L’Homme entre deux âges (Charles DESNOYERS - Louis Marie FONTAN)

Comédie en un acte, mêlée de couplets.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre Royal de l’Odéon, le 27 novembre 1828.

 

Personnages

 

BLINVAL, âgé de 45 ans

ALFRED, son neveu, 22 ans

PAULINE, sa pupille, 17 ans

MURVILLE, son ami, 60 ans

MADAME DE VERNEUIL, sa voisine, âgée de 58 ans

 

La Scène se passe à Paris, dans un Salon.

 

 

Scène première

 

BLINVAL, seul

 

Il est assis devant son bureau, et regarde deux portraits.

Madame de Verneuil ! Pauline ! dix-sept ans, et cinquante deux... Moi, j’en ai quarante-trois, laquelle des deux choisir ? à laquelle oserai-je dire : voulez-vous m’épouser ? Ah ! c’est fort embarrassant !

Madame de Verneuil et Pauline entrent toutes deux, d’un côté opposé.

 

 

Scène II

 

BLINVAL, PAULINE, MADAME DE VERNEUIL

 

PAULINE.

Vous voilà, mon cher tuteur ? À merveille, vous allez sortir avec moi.

BLINVAL.

Mon enfant...

MADAME DE VERNEUIL.

Du tout. Vous m’accompagnerez, n’est-il pas vrai ?

BLINVAL.

Madame...

PAULINE.

Voyez donc quelle idée ! conduire mon tuteur dans une maison où l’on joue à la bouillote !

MADAME DE VERNEUIL.

Vouloir vous mener au bal !

PAULINE.

Et pourquoi pas ?

MADAME DE VERNEUIL.

Un homme de son âge !

PAULINE.

C’est précisément pour cela ; il n’est pas temps encore qu’il renonce aux plaisirs.

MADAME DE VERNEUIL.

Si fait ; à ceux de la jeunesse.

PAULINE.

Tenez, je m’en rapporte à lui. Qu’en dites-vous, mon cher tuteur ? 

BLINVAL.

Ma chère amie, je suis de ton avis, mais...

MADAME DE VERNEUIL.

Ah ! fort bien !

BLINVAL.

Mais Madame n’a pas tout-à-fait tort.

PAULINE.

Oh ! je le sais ; depuis que madame de Verneuil est venu loger dans cet hôtel, mon tuteur ne voit plus que par ses yeux.

MADAME DE VERNEUIL.

Au contraire, je remarque tous les jours que votre société lui plaît plus que la mienne.

PAULINE.

Et, quand cela serait, il ferait bien.

MADAME DE VERNEUIL.

Peut-être.

PAULINE.

Cela est sûr.

MADAME DE VERNEUIL.

Moi, je suis d’avis qu’un homme de quarante-trois ans doit être...

PAULINE.

Plus aimable, plus gai.

MADAME DE VERNEUIL.

Non ; plus posé, plus raisonnable.

PAULINE.

Air du Vaudeville de l’Anonyme.

Vous voulez rire ? je le pense.
Eh quoi ! déjà lui parler de raison !
Nos champs toujours, quand l’automne commence,
Gardent les fleurs de la belle saison.
Pour son bon goût, je veux qu’on le renomme,
Que des plaisirs il prenne encore sa part...

MADAME DE VERNEUIL.

À quarante ans, on n’est plus un jeune homme.

PAULINE.

À quarante ans, on n’est pas un vieillard.

Ainsi, c’est décidé, vous venez avec moi.

MADAME DE VERNEUIL.

Du tout ; avec moi.

BLINVAL.

Mon dieu, Madame, je suis vraiment désespéré, mais je ne puis sortir ce soir ; une affaire importante, indispensable... Au surplus, j’aperçois mon ami Murville, et sans doute, il sera charmé...

 

 

Scène III

 

BLINVAL, PAULINE, MADAME DE VERNEUIL, MURVILLE, puis ALFRED

 

MADAME DE VERNEUIL.

Monsieur de Murville ! je ne puis le souffrir.

MURVILLE, entrant.

Merci.

BLINVAL.

Quant à toi, mon enfant, tu prieras mon neveu de te servir de cavalier.

PAULINE.

Monsieur Alfred, je le déteste.

ALFRED, entrant.

Bien obligé. J’arrive toujours à propos pour entendre des choses aimables.

MURVILLE.

C’est comme moi. Je ne puis vous souffrir ; je n’esquive jamais ce compliment-là.

ALFRED.

Au surplus, je me suis fait, là-dessus, une philosophie.

MURVILLE.

Comme moi.

ALFRED.

Et je m’en console.

MURVILLE.

Comme moi.

PAULINE, à Alfred.

Ah ! Monsieur s’en console ?

ALFRED.

Sans doute.

MADAME DE VERNEUIL, à Murville.

Et vous aussi ?

MURVILLE.

Il le faut bien.

BLINVAL.

Mes amis, apaisez-vous.

MURVILLE.

M’apaiser ! je ne suis pas en colère.

ALFRED.

Ni moi non plus ; c’est Mademoiselle.

MURVILLE.

C’est Madame.

MADAME DE VERNEUIL.

Moi ?

À Blinval.

Vous entendez, Monsieur ?

BLINVAL.

Ma chère voisine, de grâce...

PAULINE.

Moi, en colère ? il faut avoir toute ma patience... 

BLINVAL, à Pauline.

Allons, allons, mon enfant.

MURVILLE.

Et pourtant, ma chère madame de Verneuil, vous savez combien je vous aime.

ALFRED.

Je rends justice à toutes les brillantes qualités de Mademoiselle.

MURVILLE.

Le véritable amour ne vit que de brouilleries et de raccommodements.

MADAME DE VERNEUIL.

Encore !

ALFRED.

Il est vrai que de temps en temps, je remarque quelques petits défauts ; du caprice, de la coquetterie...

BLINVAL.

Alfred !

PAULINE.

Ah ! je n’y tiens plus. Monsieur, hier soir, vous m’avez promis de ne plus vous mêler en rien de ce qui me regarde.

ALFRED.

En effet, et je tiendrai ma parole.

PAULINE.

À la bonne heure.

MADAME DE VERNEUIL.

Si monsieur de Murville jugeait à propos de me faire la même promesse.

MURVILLE.

Cela vous serait agréable, n’est-ce pas ?

MADAME DE VERNEUIL.

Très agréable.

MURVILLE.

Alors je ne promets rien.

MADAME DE VERNEUIL.

Comment ?

MURVILLE.

Pour aujourd’hui du moins.

Bas.

Après notre mariage, à la bonne heure.

MADAME DE VERNEUIL.

Notre mariage ! c’est un peu fort,

ALFRED, à Pauline.

Oui, Mademoiselle, je le répète, je tiendrai ma parole : hier votre colère était juste, vous aviez raison ; et moi, je me conduisais en extravagant : que dans un bal, vous écoutiez avec plaisir les fadeurs de nos jeunes gens à la mode, que vos yeux les encouragent à se montrer plus galants et plus ridicules encore, enfin que vous sembliez leur dire : n’est-il pas vrai que je suis charmante ? Eh mon dieu ! quoi de plus simple et de plus naturel, de plus louable même ?

PAULINE.

Monsieur.

ALFRED.

Oui, désormais je vous le jure ; je verrai votre coquetterie avec tant d’indifférence, que vous ne m’accuserez plus de manquer à la politesse.

PAULINE.

Monsieur... Ah ! je suis d’une colère... Monsieur, je vous déteste.

ALFRED.

Mademoiselle... et moi aussi... Adieu.

PAULINE.

Adieu.

Ils sortent chacun de leur côté.

 

 

Scène IV

 

BLINVAL, MURVILLE, MADAME DE VERNEUIL

 

MURVILLE, imitant la voix de Pauline.

Monsieur, je vous déteste.

MADAME DE VERNEUIL, imitant la voix d’Alfred.

Mademoiselle, et moi aussi.

Air : Simple soldat, né d’obscurs laboureurs.

Oui, j’ai pitié de ces pauvres enfants.

MURVILLE.

Ah ! de les plaindre, épargnez-vous la peine,
Leur sort n’est pas bien cruel.

MADAME DE VERNEUIL.

À vingt ans !
Devrait-on connaître la haine ?

MURVILLE.

Et pourquoi pas ? ces affreux sentiments
Sont naturels aux jeunes âmes ;
On les regrette à cinquante ans...
Hélas ! qu’est devenu le temps
Où j’étais détesté des femmes ?

Mais que dis-je ? j’en connais encore une qui ne peut me souffrir. C’est vous, ma chère madame de Verneuil.

MADAME DE VERNEUIL.

Laissez-moi donc, Monsieur.

MURVILLE.

Allons, allons calmez-vous, je sors ; décidément, vous ne voulez pas accepter mon bras pour la soirée ?

MADAME DE VERNEUIL.

Non, je reste.

MURVILLE.

Avec mon ami, à la bonne heure... Oh ! je ne suis pas jaloux, au revoir, Blinval, je monte chez moi, je vais prendre ma canne et mon chapeau, et me promener au Luxembourg.

Il sort.

 

 

Scène V

 

BLINVAL, MADAME DE VERNEUIL

 

Pendant la scène précédente, Blinval, d’un air distrait, est allé s’asseoir à son bureau ; il parcourt un livre.

MADAME DE VERNEUIL.

Eh bien ! vous ne me dites rien, monsieur de Blinval ? Moi, qui ai renoncé pour vous à ma partie de bouillote.

BLINVAL, se levant.

Pardon, pardon, ma chère voisine.

MADAME DE VERNEUIL.

Quel est ce livre ? Ah ! votre auteur favori : Lafontaine.

BLINVAL.

Oui, Madame, c’est mon conseiller habituel, c’est mon professeur de philosophie ; et, si je ne vaux pas mieux, cela n’est pas sa faute.

Air du fleuve de la vie.

Des sages avis qu’il me donne,
Je profite trop rarement ;
L’intention est toujours bonne,
La mémoire manque souvent.
De faire ce qu’il me conseille,
J’ai le projet, mais c’est en vain.
J’oublie, hélas ! le lendemain,
Ma leçon de la veille.

MADAME DE VERNEUIL.

Et quelle est la leçon que vous apprenez aujourd’hui, pour la désapprendre dans vingt-quatre heures ?

BLINVAL.

Ah Madame, si vous saviez à quoi j’ai songé depuis quelques jours...

MADAME DE VERNEUIL.

À quoi donc ?

BLINVAL.

À un mariage.

MADAME DE VERNEUIL.

Ah ! lequel ?

BLINVAL.

Le mien.

MADAME DE VERNEUIL.

Le vôtre ! sans doute vous avez choisi la personne ?

BLINVAL.

Mais pas précisément... J’avais songé d’abord à ma pupille.

MADAME DE VERNEUIL.

Mademoiselle Pauline.

BLINVAL.

Qu’en pensez-vous ?

MADAME DE VERNEUIL.

Hum ! je ne sais.

BLINVAL.

Elle est aimable.

MADAME DE VERNEUIL.

Trop aimable.

BLINVAL.

Jolie.

MADAME DE VERNEUIL.

Trop jolie.

BLINVAL.

Jeune.

MADAME DE VERNEUIL.

Trop jeune.

BLINVAL.

Oui, vous avez raison... De quel front oserai-je lui parler d’amour, de mariage ? Moi, son tuteur, moi, dont la tête commence à grisonner ? Et pourtant, d’autres per sonnes m’écouteront-elles favorablement, le croyez-vous, Madame ?

MADAME DE VERNEUIL.

Mais, Monsieur, il me semble...

BLINVAL.

Oh ! parlez... je tiens beaucoup à votre opinion, Madame.

Air d’Aristipe.

À mon âge un célibataire
De son état commence à se lasser ;
Nul être à son sort, sur la terre,
Ne daigne, hélas ! s’intéresser,
Au bonheur il doit renoncer ;
Quand l’âge des plaisirs s’envole,
Il est seul au milieu de tous,
Personne enfin ne le console.

MADAME DE VERNEUIL.

J’y songeais en pensant à vous.
Mais enfin son erreur s’efface,
Il profite de la leçon :
Des ennemis, l’Amour prend la place,
Même dans l’arrière saison ;
Dites-moi, n’ai-je pas raison ?
Et bientôt son âme attendrie
S’ouvre aux sentiments les plus doux
Auprès d’une épouse chérie...

BLINVAL.

J’y songeais en pensant à vous.

MADAME DE VERNEUIL.

À moi, Monsieur ?

BLINVAL.

Oui, Madame.  

Ici, Murville rentre en scène, avec sa canne et son chapeau.

 

 

Scène VI 

 

BLINVAL, MADAME DE VERNEUIL, MURVILLE.

 

BLINVAL, à Madame de Verneuil, sans voir Murville.

Et si vous daigniez être cette épouse, cette compagnie si nécessaire à mon bonheur...

MURVILLE, à part.

Qu’entends-je ?

MADAME DE VERNEUIL.

Monsieur... voilà des offres très flatteuses pour moi, sans contredit, et qui m’étonnent d’autant plus, que, depuis longtemps, on ne m’en fait plus de pareilles.

MURVILLE, à part.

Je le crois.

MADAME DE VERNEUIL.

Pourtant, je vous avouerai qu’un de vos amis, M. de Murville...

MURVILLE, à part.

Ah ! nous y voilà.

BLINVAL.

Que dites-vous ? Murville ?...

MADAME DE VERNEUIL.

Mais, ce ne serait point pour vous un rival bien redoutable.

MURVILLE, à part.

À merveille !

MADAME DE VERNEUIL.

Vous avez sur lui tant d’avantages ! L’esprit, le caractère... et puis, je le lui ai dit mille fois, j’ai pour lui une haine, une antipathie, que rien...

MURVILLE, descendant la scène.

Oui, oui, vous avez raison, Madame.

BLINVAL.

Murville !

MADAME DE VERNEUIL.

Comment, vous étiez là, Monsieur ?

MURVILLE.

J’arrivais, comme tout à l’heure, à point nommé pour entendre mon panégyrique. Au surplus, je suis de votre avis, Madame ; mon ami Blinval vaut cent fois mieux que moi, et je vous conseille de l’épouser.

BLINVAL.

Oh ! mon ami, je t’en prie...

MURVILLE.

Non, vraiment, je ne plaisante pas ! c’est un parti superbe pour tous les deux. Allons, mariez-vous, mes enfants, mariez-vous. Comme dit la chanson : Il faut des époux assortis... Et vous avez bien les mêmes goûts, le même caractère, n’est-il pas vrai ?

MADAME DE VERNEUIL.

Pas tout-à-fait, mais je l’espère.

BLINVAL.

Et moi, je l’espère.

MURVILLE.

Et moi, donc !

À part.

Je te prouverai que ton projet pas le sens commun, cela vaut mieux que de me mettre en colère.

Haut.

Ainsi, c’est décidé, madame de Verneuil, me voilà raisonnable. Je renonce à vous, en faveur de mon ami... Parlons d’autre chose. N’étiez vous pas invitée, pour ce soir, chez madame la marquise de Versac ?...

BLINVAL.

En effet.

MURVILLE.

Et toi aussi, Blinval ?

BLINVAL.

Oh ! moi, je n’aime pas la marquise de Versac.

MURVILLE.

Diable ! tu es bien difficile.

MADAME DE VERNEUIL.

Une femme charmante !

BLINVAL.

D’accord ; mais chez elle, on parle politique, et l’on joue au boston.

MADAME DE VERNEUIL.

Eh bien ! le boston est un jeu fort agréable.

MURVILLE.

Et la politique est aussi très amusante.

BLINVAL.

C’est possible ; chacun son goût. Tu sais bien que, là dessus, nous ne sommes jamais d’accord.

MURVILLE.

Qui ; tu penses encore en enthousiaste.

MADAME DE VERNEUIL.

En jeune homme.

MURVILLE.

Les choses d’autrefois le déplaisent.

MADAME DE VERNEUIL.

Et nous aimons les choses d’autrefois.

MURVILLE, à part.

Pour raison.

BLINVAL.

Je conçois qu’il y a quarante ans...

MURVILLE.

Entendez-vous, Madame, il se moque de l’ancien régime !

MADAME DE VERNEUIL.

M. de Blinval, cela n’est pas bien.

MURVILLE.

C’est très mal.

BLINVAL.

Mais enfin...

MADAME DE VERNEUIL.

Enfin, Monsieur, je prétends vous prouver...

BLINVAL.

Tenez, Madame, brisons là, je vous en supplie, nous ne pouvons nous entendre.

MADAME DE VERNEUIL.

À la bonne heure.

MURVILLE.

Ah ! çà, dites-moi donc, mes amis, pour en revenir à votre mariage...

BLINVAL.

Eh ! laisse-moi tranquille.

MADAME DE VERNEUIL.

Nous avons le temps d’y penser.

Blinval se promène avec colère, et va prendre un journal sur son bureau.

MURVILLE, à madame de Verneuil.

Que voulez-vous aussi ? Impossible qu’il ait d’autres idées. Il ne voit que par les yeux de sa papille et de son étourdi de neveu.

MADAME DE VERNEUIL.

Ah ! c’est bien là ce qui l’a perdu.

MURVILLE.

Si j’étais à sa place, je sais bien ce que je ferais.

MADAME DE VERNEUIL.

Et moi aussi : pour ne plus être obligé de leur obéir, je me séparerais d’eux en les mariant ensemble.

BLINVAL.

Comment ! que dites-vous ?

MURVILLE.

En effet, je n’y pensais pas.

MADAME DE VERNEUIL.

Ils sont faits l’un pour l’autre : deux extravagants.

BLINVAL.

Eh ! non, Madame, non ; ils ne sont pas faits l’un pour l’autre, j’en suis sûr, je m’y connais peut-être, et certainement je ne souffrirai pas...

MADAME DE VERNEUIL.

Vous vous fâchez, Monsieur, je me retire.

BLINVAL.

Pardon, Madame, mille pardons, mais...

MADAME DE VERNEUIL.

Venez, M. de Murville ; à la bonne heure, vous avez été raisonnable aujourd’hui.

MURVILLE.

N’est-ce pas ? J’ai de bons moments, quoique vous ne puissiez me souffrir... Mais avant de nous séparer, est-ce que nous ne fixerons pas le jour de la noce ?

BLINVAL.

Va-t’en au diable.

MURVILLE.

Madame, je suis à vos ordres. Pauvre Blinval ! regardez donc le journal qu’il tient à la main, au lieu de lire comme moi, le Moniteur.

MADAME DE VERNEUIL.

Ou comme moi, la Gazette.

BLINVAL.

Bien obligé.

Air : Comme il m’aimait.

Je ne veux pas,
Je ne veux pas
Changer aujourd’hui pour vous plaire,
Mon humeur et mon caractère.

MADAME DE VERNEUIL.

Ni moi non plus ; point de débats.

MURVILLE, à part.

Les voilà brouillés, à merveille !

Bas à Madame de Verneuil.

Il est trop jeune...

À Blinval.

Elle est trop vieille.

MADAME DE VERNEUIL et BLINVAL.

Je n’en veux pas,
Je n’en veux pas.

Madame de Verneuil sort avec Murville.

 

 

Scène VII

 

BLINVAL, seul

 

Ah ! je suis d’une colère ! marier ma pupille à mon neveu ! quelle extravagance !

Air précédent.

Je ne veux pas,
Je ne veux pas.
Grâce au ciel je suis raisonnable ;
L’hymen avec femme semblable,
À mes yeux n’offre plus d’appas...
Non vraiment, j’en perdrais la tête,
Le Moniteur et la Gazette !...
Je n’en veux pas,
Je n’en veux pas.

Entre elle et moi, il y a un siècle de distance, et j’aurais trop à faire pour ajuster mon humeur à la sienne.

 

 

Scène VIII

 

BLINVAL, PAULINE, ALFRED

 

PAULINE, rentrant avec Alfred.

Laissez-moi, Monsieur, laissez – moi ; si c’est ainsi que vous tenez votre promesse...

ALFRED.

Ma promesse ? Oui, sans doute, je l’ai oubliée un instant ; mais comment voulez-vous que je conserve mon sang-froid, lorsque vous me dites...

BLINVAL.

Eh bien ! mes enfants, encore une querelle ?

ALFRED.

Non, mon oncle, non. C’est Mademoiselle...

PAULINE.

C’est Monsieur, qui a bien le plus mauvais caractère...

BLINVAL.

Oui, c’est vrai, vous avez raison tous les deux ; mais je veux, j’exige que tout cela finisse !

ALFRED.

Comment, mon oncle !

PAULINE.

Vous voulez...

BLINVAL.

Air du Vaudeville de la Haine d’une Femme.

Allons, morbleu ! plus de querelle,
Tous deux ici faites la paix.

ALFRED.

La paix avec Mademoiselle !

PAULINE.

Avec Monsieur !

ALFRED et PAULINE.

Jamais ! jamais !

BLINVAL.

Du débat auquel je m’oppose,
Je veux au moins savoir la cause.

PAULINE et ALFRED.

La cause, je la connais bien.

PAULINE.

C’était...

ALFRED.

Parbleu ! c’était...

BLINVAL.

Eh bien ?

ALFRED.

Je n’en sais rien.
Je n’en sais rien.

PAULINE.

Ni moi non plus, je n’en sais rien...

BLINVAL.

À merveille ! 

PAULINE.

Ah ! figurez-vous, mon cher tuteur, que M. Alfred m’a traitée de coquette.

BLINVAL.

Vraiment ?

ALFRED.

J’ai tort, peut-être !

PAULINE.

Il a ajouté que ma toilette ne lui plaisait pas du tout.

ALFRED.

Parbleu, vous avez bien dit que je ne savais pas mettre ma cravate !

BLINVAL.

Ah ! c’est affreux !

ALFRED.

Mon oncle, mon cher oncle, je vous en prie, accordez moi une grâce.

BLINVAL.

Laquelle ?

ALFRED.

Depuis la mort de mon père, vous avez daigné me faire venir dans votre maison ; et vous ne doutez point de ma reconnaissance, ni du plaisir que j’aurais à vivre toujours avec vous ; mais franchement, il est trop cruel pour moi d’être détesté, comme je le suis, par Mademoiselle, et de la voir à chaque instant du jour.

PAULINE.

Ah ! je vous en prie, mon cher tuteur, si vous m’aimez, ne refusez pas à Monsieur la grâce qu’il vous demande... Car, aussi bien que lui, il me tarde d’être délivrée... Vous m’entendez, n’est-il pas vrai ?

BLINVAL.

Enfin, que veux-tu, Alfred ? te séparer de moi ?

ALFRED.

De vous ; non, je ne dis pas cela ; mais du moins, de Mademoiselle.

BLINVAL.

Comment faire ?

ALFRED.

Comment ? je n’en sais rien ; mais il le faut.

PAULINE.

Absolument.

BLINVAL.

C’est donc une haine ?

ALFRED.

Mortelle.

PAULINE.

Irréconciliable.

BLINVAL.

Eh bien, je verrai, je réfléchirai.

ALFRED.

Ne l’oubliez pas, entendez-vous, mon oncle... Je le sens, je ne puis être heureux que loin de Mademoiselle !...

PAULINE.

Eh bien, alors, allez-vous-en.

ALFRED.

À l’instant même... Tout aimable que soit votre présence, ne croyez pas que je la regretterai.

PAULINE.

Partez donc.

ALFRED.

Je pars. Voyez-vous l’amour-propre ! Mademoiselle est persuadée que je trouve du plaisir à la voir, à rester auprès d’elle ! moi !... Mon oncle, vous penserez à ce que je vous ai dit... Adieu ; adieu, Mademoiselle.

Il sort.

 

 

Scène XIX

 

BLINVAL, PAULINE

 

BLINVAL, à part.

Allons, madame de Verneuil se trompait ; je ne dois pas les marier ensemble Non, grâce au ciel... Peut-être, même...

PAULINE.

Eh bien ! qu’avez-vous, mon cher tuteur ? On dirait que vous parlez tout seul. !

BLINVAL.

Moi ! Il est vrai, je pensais à toi, Pauline.

PAULINE.

Je le crois. Vous êtes si bon ! Depuis mon enfance, vous n’avez cessé de penser à moi, à mon bonheur ; grâce à vous, j’ai toujours été heureuse, quoique je fusse orpheline. Aussi, mon cœur n’est point ingrat, je vous aime... comme un père.

BLINVAL, à part.

Comme un père !

PAULINE.

Et, si jamais vous aviez des chagrins, si vous étiez malheureux, qui vous consolerait ? Qui essaierait vos pleurs ? ce serait moi.

BLINVAL.

Chère Pauline !

PAULINE.

Eh bien ! vous pleurez... Ah ! mon dieu ! qu’est-ce donc ? Mon tuteur, vous me cachez quelque chose.

BLINVAL.

Mais...

PAULINE.

Cela n’est pas bien, et je veux, j’exige que vous n’appreniez à l’instant même le sujet de vos larmes.

BLINVAL.

Moi !

PAULINE.

Ah ! n’allez pas me désobéir.

BLINVAL.

Eh bien... eh bien, oui... ces larmes que je répands malgré moi, Pauline, c’est toi, c’est toi seule qui me les fais répandre... mais elles sont de joie, de bonheur... Eh ! puis-je donc te voir, t’entendre, ma chère Pauline, sans éprouver une émotion, an plaisir...

PAULINE.

Vraiment ? Tant mieux ; je ne vous défends pas de pleurer de la sorte.

BLINVAL.

Oui, j’ai pris soin de ta jeunesse, je le devais ; mais ce qui fut quelque temps un devoir, est maintenant un bonheur pour moi ; maintenant, j’ai besoin de te voir, de t’aimer...

PAULINE.

Ah ! mon cher tuteur ! mon père !

BLINVAL, à part.

Son père ! toujours !

Haut.

Je l’avouerai pourtant, quelquefois, quand je pense à toi, il est une idée, un pressentiment qui m’afflige. Je me dis : Pauline ne restera pas toujours auprès de moi.

PAULINE.

Pourquoi donc ?

BLINVAL.

Jolie, aimable comme elle est, un jour, elle connaîtra l’amour, un jour, elle se mariera, sans doute...

PAULINE.

Ah ! jamais... Je ne crois pas, du moins.

BLINVAL.

Et moi, vieux garçon, sans amis, sans parents, il faudra peut-être aussi que je choisisse...

PAULINE.

Ah ! mon cher tuteur, ne vous mariez pas. Si vous alliez faire un mauvais choix, c’est donc moi qui en serais la cause, et je me le reprocherais toute ma vie. Tenez, faisons une convention ensemble.

BLINVAL.

Laquelle ?

PAULINE.

Air de la Marraine.

Jusques à quarante-trois ans,
Puisque mon tuteur put attendre,
Pauline doit aussi longtemps
Du joug de l’Hymen se défendre.
Oui, s’il vous plaît, j’ajournerai
Tous mes projets de mariage...
Enfin, Monsieur ; j’y songerai
Lorsque j’aurai votre âge.

BLINVAL.

Et quoi, Pauline !

PAULINE.

Même air.

Entre nous, ah ! point de débats,
Ce dessein-là ne peut vous plaire ;
Mais nous ne me comprenez pas,
Je vais éclaircir ce mystère.
Je ne vous quitterai, je crois,
Jamais... car, pour le mariage,
On ne pensera plus à moi,
Lorsque j’aurai votre âge.

Ainsi, c’est décidé, nous ne nous marierons ni l’un ni l’autre. Jurez-moi, Monsieur, que vous ne vous marierez jamais.

BLINVAL.

Eh ! Pauline, si tu étais assez téméraire pour faire le même serment...

PAULINE.

J’y suis prête, je jure...

BLINVAL.

Aurais-tu toujours le courage de le remplir ?

PAULINE.

C’est donc bien difficile ?

BLINVAL.

Nos caractères ne se ressemblent pas sous tous les rapports : pour vivre toujours ensemble, il faudrait que l’un de nous d’eux changeât.

PAULINE.

Oui, certainement, ce serait vous.

BLINVAL.

Moi !

PAULINE.

Vous même : mais il n’y a rien de plus facile, et je m’en charge.

BLINVAL.

Vraiment ?

PAULINE.

Écoutez-moi, Monsieur, et ne m’interrompes point ; la leçon que je vais vous donner est plus importante que vous ne pouvez croire. Vous avez de l’esprit, beaucoup d’esprit, mais vous n’en montrez pas assez ; vous êtes bon, sensible, généreux, mais vous joignez à tant de vertus un air de sé vérité qui vous fait le plus grand tort, auprès de moi, du moins. Avec votre fortune, vous pourriez connaître tous les plaisirs, et me les faire partager ; et vous ne le faites pas, pourquoi ? parce que vous avez quarante-trois ans. Eh ! mon Dieu, soyez donc raisonnable ; déridez votre front soucieux, amusez-vous enfin, ne soyez jamais triste, et vous aurez toujours vingt ans.

BLINVAL.

Cependant...

PAULINE.

Monsieur, écoutez-moi ; je ne vous ai pas encore permis de rompre le silence. Tenez, ce soir on m’apporte une robe nouvelle, sur-le-champ je viens vous trouver, depuis hier nous n’étions pas sortis ensemble. Eh bien ! vous avez, dites-vous, une affaire importante, indispensable, et vous me refusez ! Si vous agissez ainsi, vous serez toujours vieux d’abord.

BLINVAL.

Ma chère enfant, tes reproches ne sont pas justes : ne me fais-je pas une loi d’accomplir tous tes vœux, tous tes désirs ? hier encore, ne t’ai-je pas conduite au bal ?

PAULINE.

Oui, vous y venez, mais...

BLINVAL.

Mais ?

PAULINE.

Vous ne dansez pas.

BLINVAL.

Eh bien ! je danserai.

PAULINE.

Bien sûr ?

BLINVAL.

Je te le promets.

PAULINE.

À la bonne heure. Ah ! encore un reproche.

BLINVAL.

Parle.

PAULINE.

Vous n’avez point de loge aux Bouffes ni au Grand-Opéra.

BLINVAL.

Tu sais que je n’aime pas...

PAULINE.

La musique à la mode ? Monsieur, il y a une bonne raison pour que vous l’aimiez, et moi aussi.

BLINVAL.

Laquelle ?

PAULINE.

Elle est à la mode.

Duo.

Air nouveau de M. J.-B. Tolbecque. (musicien de l’orchestre de l’Odéon.)

BLINVAL.

Tu le veux ? j’y consens, ma chère ;
Rien ne me coute pour te plaire.
Dès demain, je t’obéirai,
Aux Bouffes je m’abonnerai.

Ensemble.

PAULINE.

À mon âge, on est volontaire ;
Mais cherchez toujours à me plaire,
Et toujours je vous aimerai,
Et jamais je ne gronderai.

BLINVAL.

Tu le veux ? etc.
Est-ce là tout ? es-tu contente ?

PAULINE.

Prenez, pour que je sois contente,
Une figure plus riante.

BLINVAL.

En souriant, je te plairai.
Eh bien, toujours je sourirai.
Est-ce bien tout ? es-tu contente ?
Va, cherche bien, Pauline, cherche bien.

PAULINE.

Non, je ne vois plus rien ;
Je suis contente.

BLINVAL.

Elle est charmante !
Est-ce bien tout ?

PAULINE.

Assurément.
C’est tout, du moins pour le moment

Ensemble.

À mon âge, on est volontaire, etc.

BLINVAL.

À ton âge on est volontaire :
Mais je ferai tout pour te plaire,
En souriant, je te plairai ;
Eh bien, toujours je sourirai.

BLINVAL.

Chère Pauline !

PAULINE.

Il y a bien encore quelque chose que je voudrais pouvoir réformer.

BLINVAL.

Quoi donc ?

PAULINE.

Impossible.

BLINVAL.

Mais enfin...

PAULINE, le conduisant devant une glace.

Tenez, Monsieur, regardez-vous.

BLINVAL.

Est-ce ma toilette ?

PAULINE.

Un peu ; mais avec un tailleur à la mode, nous en viendrons à bout. Quant au reste, ah ! c’est dommage.

BLINVAL.

Parle donc, explique-toi.

PAULINE.

Eh bien ! je n’aime pas... 

BLINVAL.

Achève.

PAULINE.

Tenez, asseyez vous mon cher tuteur ; je le veux.

Blinval s’assied.

Ce sont... vos cheveux gris que je n’aime pas ; heureusement, vous n’en avez pas beaucoup. Tenez, ne bougez pas.

Elle lui arrache un cheveu gris.

 

 

Scène X

 

BLINVAL, PAULINE, MURVILLE

 

MURVILE, entrant.

Que vois-je ?

PAULINE.

Ah !

Elle pousse un cri, et s’enfuit.

 

 

Scène XI

 

MURVILLE, BLINVAL

 

MURVILLE.

Allons, c’est charmant, c’est délicieux.

BLINVAL.

Mon cher Murville, tu me vois enchanté, transporté.

MURVILLE.

Et moi aussi.

BLINVAL.

Ma papille est adorable.

MURVILLE.

Décidément, madame de Verneuil est une femme charmante.

BLINVAL.

Tu trouves ?

MURVILLE.

Oui, sans doute. Je suis réconcilié avec elle : je l’ai conduite chez madame de Versac ; j’ai joué à la bouillote, au boston, au piquet, jeu privilégié des douairières du fau bourg Saint-Germain. Enfin, nous sommes très bien ensemble, et je vais l’épouser.

BLINVAL.

En vérité ?

MURVILLE.

Parole d’honneur, qu’en dis-tu ?

BLINVAL.

Ma foi, mon pauvre Murville, j’aurais mauvaise grâce à me moquer de toi : nous ne sommes pas plus sages l’un que l’autre.

MURVILLE.

Air du Ménage de Garçon.

Allons, mon ami, sois sincère,
Dis-moi, faut-il me marier ?
Faut-il rester célibataire ?

BLINVAL.

Que sais-je ? j’allais te prier
Toi-même de me conseiller.
Qui, je ris de notre folie :
Je vois deux aveugles, enfin,
Qui s’égarent de compagnie,
Et se demandent leur chemin.

BLINVAL.

Et moi aussi, je veux épouser...

MURVILLE.

Qui donc ? encore madame de Verneuil !

BLINVAL.

Non, Pauline.

MURVILLE.

Ta pupille ! est-ce que tu serais assez fou...

BLINVAL.

Ah ! mon ami, si j’en croyais mon cœur... Mais la raison me dit à chaque instant...

MURVILLE, à part.

Ah diable ! si la raison allait lui conseiller de revenir à ma future.

Haut.

Mon cher Blinval, tout bien réfléchi, tu feras bien de ne consulter que ton cœur.

BLINVAL.

Et d’offrir ma main à Pauline ?

MURVILLE.

Oui, mon ami.

BLINVAL.

Pauline n’est qu’un enfant.

MURVILLE.

Un enfant bien aimable, et à qui tu n’es pas indifférent.

BLINVAL.

Qui ne rêve que bals, que spectacles.

MURVILLE.

Tu l’y conduiras.

BLINVAL.

Enfin, une petite folle qui s’amuse à m’arracher mes cheveux blancs.

MURVILLE.

De quoi te plains-tu ? C’est tout profit... Que dirais-tu donc, si tu épousais madame de Verneuil ?... Elle t’arracherait les cheveux noirs, et tu serais joli garçon... Tandis que moi... une tête de l’ancien régime, la poudre, les ailes de pigeon... c’est un parti superbe pour elle. Allons, mon ami, crois-en mes conseils ; sois l’époux de Pauline, tu feras ton bonheur, et tu m’obligeras particulièrement. Ton neveu, peut-être, n’en sera pas très satisfait.

BLINVAL.

Mon neveu ! il vient de me supplier, à l’instant, de l’éloigner pour toujours de ma pupille.

MURVILLE.

En vérité ?

BLINVAL.

Et Pauline n’a fait la même prière.

MURVILLE.

Alors, je ne vois plus d’obstacle à notre projet... Il faudra marier Alfred...

BLINVAL.

Le marier !

MURVILLE.

C’est le seul moyen de le séparer de lui.

BLINVAL.

En effet.

MURVILLE.

Ne l’ai-je pas entendu l’autre jour faire un éloge pompeux de mademoiselle de Saint-Ange ?

BLINVAL.

Il est vrai ; je m’en souviens.

MURVILLE.

Eh bien ! voilà une femme qui lui convient parfaitement.

BLINVAL.

Oui, parbleu !

MURVILLE.

Mon ami, nous n’avons pas un instant à perdre... Moi, puisque tu renonces sans retour à madame de Verneuil, je vais me présenter officiellement à ta place... Toi, tu parleras aux parents de la jeune personne, et surtout, tu feras à ta pupille, à ton neveu, un petit discours préparatoire... Monsieur Alfred ! Mademoiselle Pauline ! ah ! les voici... Venez, venez donc... Blinval a deux mots à vous dire.

Entrée des deux jeunes gens.

 

 

Scène XII

 

MURVILLE, BLINVAL, PAULINE, ALFRED

 

MURVILLE, à part.

C’est singulier ! voilà deux jeunes gens qui ne peuvent pas se souffrir, et ils sont toujours ensemble.

Haut.

Je vous laisse : je vais achever de me réconcilier avec ma future.

Il sort.

 

 

Scène XIII

 

BLINVAL, ALFRED, PAULINE

 

PAULINE et ALFRED.

Sa future !

BLINVAL.

Oui, madame de Verneuil, il va l’épouser ; et ce n’est pas le seul mariage, peut-être, que nous soyons près de conclure. Écoutez-moi, mes enfants : vous m’avez demandé en grâce, d’être séparés l’un de l’autre, de ne plus vous voir...

ALFRED.

Oui, mon oncle.

PAULINE.

Oui, mon tuteur.

BLINVAL.

Eh bien, vous allez être satisfaits.

PAULINE.

Ah ! tant mieux.

ALFRED.

Oui, tant mieux.

BLINVAL.

Pour cela, je ne vois qu’an parti à prendre.

ALFRED et PAULINE.

Lequel ?

BLINVAL.

C’est de te marier, Alfred.

ALFRED.

Me marier !

PAULINE.

Eh ! pourquoi pas ? C’est un moyen comme un autre.

ALFRED.

En effet, je suis assez d’avis... Mais, avec qui me marier ?

BLINVAL.

Oh ! nous chercherons ensemble parmi les jeunes personnes de notre connaissance... Que penses-tu de mademoiselle de Saint-Ange ?

ALFRED.

Mademoiselle de Saint-Ange ?

PAULINE.

Elle est jolie.

ALFRED.

Certainement, elle est jolie, très jolie.

PAULINE.

Qui vous dit le contraire ?

ALFRED.

Et je ne connais pas une femme qui soit plus séduisante ; non, non, pas une. 

PAULINE.

Oh ! je le crois.

BLINVAL.

Ainsi donc, tu consentirais...

ALFRED.

Oui, mon oncle ; oui, je consens dès à présent... Je suis prêt à épouser mademoiselle de Saint-Ange.

PAULINE.

Vous ferez bien.

BLINVAL.

Pour toi, Pauline, je veux aussi te donner un époux.

PAULINE.

Un époux !

ALFRED.

À elle ?

BLINVAL.

À elle-même.

PAULINE.

Mais cependant, vous m’aviez promis...

ALFRED.

Au fait, je ne vois rien qui s’y oppose.

PAULINE.

Ah ! ni moi non plus.

ALFRED.

Et, sans doute, mon oncle, vous avez déjà choisi l’heureux mortel ?...

BLINVAL.

Oui.

ALFRED.

Il est de notre connaissance ?

BLINVAL.

Oui.

ALFRED.

Et il aime Mademoiselle ?

BLINVAL.

Beaucoup.

ALFRED.

Ah ! c’est bien, c’est très bien.

PAULINE.

Mon cher tuteur, êtes-vous bien sûr qu’il m’aime ?

ALFRED.

Enfin quel est donc ce jeune homme !

BLINVAL.

Ce n’est pas un jeune homme, c’est...

PAULINE et ALFRED.

C’est ?

BLINVAL.

C’est moi.

ALFRED et PAULINE.

Vous !

ALFRED.

Vous, mon oncle ?

BLINVAL.

Moi-même.

PAULINE, à part.

Ah ! je suis toute saisie.

ALFRED, à part.

Ce mariage-là n’a pas le sens commun.

BLINVAL.

Eh bien, Pauline, qu’en dis-tu ? Réponds-moi, ai-je eu tort d’espérer ?

PAULINE.

Non mon cher tuteur, au contraire... Certainement, vous ne pouvez douter du plaisir.

BLINVAL.

Chère enfant !

ALFRED.

Tenez, mon oncle, voulez-vous que je vous parle franchement ?

BLINVAL.

Qu’as-tu à me dire ?

ALFRED.

Vous me faites de la peine.

BLINVAL.

Pourquoi ?

ALFRED.

Pour rien... mais vous me faites de la peine... Je suis fâché de voir que vous épousiez Mademoiselle.

BLINVAL.

Mais enfin...

ALFRED.

Un caractère abominable !

BLINVAL.

Bon, n’est-ce que cela ? tranquillise toi, ce n’est pas ton affaire.

ALFRED.

Oh ! mon dieu, pas du tout, ce que j’en dis, moi, c’est pour vous, uniquement pour vous... Car enfin... Il suffit d’ailleurs que cet hymen plaise à mademoiselle Pauline, et...

PAULINE.

Oui, Monsieur... il me plaît, et beaucoup.

ALFRED.

À la bonne heure... Tout est pour le mieux... Je suis enchanté... Mon oncle, ce mariage, le mien, croyez-vous qu’il soit décidé promptement ?

BLINVAL.

Oh ! mon dieu, le plutôt possible... Demain, ce soir même, si tu veux.

ALFRED.

Oui, mon oncle, oui, ce soir.

BLINVAL.

Eh bien ! de ce pas, je vais parler aux parents, et bien tôt, je l’espère...

ALFRED.

Ah ! mon oncle, quelle reconnaissance ! je suis si heureux, si content d’épouser Mademoiselle de Saint-Ange... car je l’aime, je l’adore ! et chaque minute de retard me semble un siècle.

BLINVAL.

J’y cours, adieu Pauline, dois-je croire que tu éprouves une partie de son impatience et de la mienne ?

PAULINE.

Oui, mon cher tuteur, beaucoup, dans ce moment mon cour est tout-à-fait d’accord avec le sien.

BLINVAL.

Adieu.

Il lui baise la main.

ALFRED.

Le plutôt possible, n’est-ce pas, mon oncle ?

BLINVAL.

Oui, mon ami.

Il sort.

ALFRED.

Merci ; mon oncle, merci, mon bon oncle.

Pauline est allée s’asseoir sur le devant de la scène. Elle effeuille machinalement, et d’un air de dépit, une rose qu’elle vient de tirer de son corset.

 

 

Scène XIV

 

ALFRED, PAULINE

 

ALFRED, toujours au fond du théâtre.

Excellent oncle ! jamais je n’oublierai...

Il se promène d’un bout à l’autre du théâtre, en affectant beaucoup de gaité, froisse ses gants et son chapeau, puis redescendant la scène, et se plaçant à côté de Pauline.

C’est bien, c’est très bien de sa part d’avoir deviné mes vœux, prévenu mes désirs... et les vôtres, n’est-il pas vrai, Mademoiselle ?

PAULINE.

Oui, Monsieur, oui ; l’hymen qu’il me proposé est pour moi le comble du bonheur.

ALFRED.

Oh ! je le crois, votre joie est bien naturelle, la mienne aussi ; celle que j’aime est charmante.

PAULINE.

Mon tuteur est le meilleur des hommes.

ALFRED.

Son image est sans cesse présente à ma pensée : des cheveux blonds.

PAULINE.

D’abord, elle est brune.

ALFRED.

Et de grands yeux bleus.

PAULINE.

Ils sont noirs.

ALFRED.

Mais j’apprécie en elle des qualités plus solides, des vertus... d’abord, elle n’est point coquette, point capricieuse.

PAULINE.

Mon tuteur ne se fera point un jeu de me contrarier, de me faire de la peine.

ALFRED.

Enfin, elle a tout ce qu’il faut pour me plaire.

PAULINE.

Je l’aime, je l’aime... autant que je vous déteste.

ALFRED.

À la bonne heure. Une fois mariés, nous ne nous verrons plus.

PAULINE.

Non, nous ne nous verrons plus.

ALFRED.

Alors nous serons heureux.

PAULINE.

Oui, nous serons heureux.

ALFRED.

Ah ! je sens que je commence à l’être ; certainement, je suis heureux... très heureux... et... eh bien ! qu’est-ce que j’ai ? il me semble...

Il essuie une larme.

Bon ! quelle folie !

Il se retourne, et aperçoit Pauline qui porte son mouchoir à ses yeux.

Que vois-je ? elle aussi ! elle pleure ! Pauline...

PAULINE.

Laissez-moi.

ALFRED.

Pauline ! vous pleurez !

PAULINE.

Laissez-moi,

ALFRED.

Ah ! je vous en conjure, Pauline, répondez-moi, Pourquoi pleurez-vous ? parlez... Nous ne nous aimons pas, c’est vrai, et jusqu’à présent, j’ai cru même que je vous haïssais... mais n’importe, ce n’est pas une raison.

Air de Céline.

Ah ! ne me cachez point ces larmes,
Elles retombent sur mon cœur ;
Et pourtant j’y trouve des charmes ;
Car les chagrins ont aussi leur douceur :
Parfois une main ennemie
Peut suffire pour consoler...
Ah ! souffrez que je les essuie,
Si c’est moi qui les fais couler.

Pauline, encore une fois, je vous en conjure, ne refusez pas de m’apprendre la cause de vos chagrins.

PAULINE.

Laissez-moi, je vous déteste.

ALFRED.

Et moi, moi, je vous... je t’aime.

PAULINE.

Alfred ! que dites-vous ?

ALFRED.

Oui, Pauline, chère Pauline, je t’aime, je ne puis en douter, et je ne sais encore comment je me suis abusé jusqu’à présent sur les sentiments que tu m’inspires. Élevés ensemble, presque dès notre enfance, longtemps une amitié toute fraternelle, nous unit l’un à l’autre. Peu à peu nos cœurs... le mien du moins, changea sans que je m’en aperçusse ; je ne te voyais plus avec les mêmes yeux : j’éprouvais en ta présence, un trouble, une contrainte que je ne pouvais définir ; mes tourments augmentaient encore, quand je voyais d’autres que moi te regarder avec trop d’attention, quand je te voyais leur sourire. Le soin même que tu prenais de ta parure me donnait de chagrin, me désespérait... Je me disais : elle songe à plaire à d’autres qu’à moi. J’étais furieux, je t’accusais de légèreté, de coquetterie ; je croyais te haïr... Ah ! pardonne-moi, j’avais perdu la tête ; j’étais... j’étais jaloux, j’étais amoureux ; et les larmes que tu viens de répandre ont achevé de m’en instruire.

PAULINE.

Alfred... Tout que vous venez de me dire, je le comprends ; les sentiments que vous me dépeignez, je les ai éprouvés comme vous ; comme vous, je cherchais à m’abuser.

Air de l’Angelus.

De ce léger moment d’erreur,
Aucun souvenir ne me reste ;
Il ne sortait point de mon cœur,
Ce mot affreux : je vous déteste.

ALFRED.

Que ce mot cruel, désormais,
Soit remplacé par un sourire.

PAULINE.

Alfred, quand je vous le disais...
Tu sais ce que je voulais dire.

ALFRED.

Chère Pauline !

PAULINE.

Mais comment faire maintenant ?

ALFRED.

Oui, quel parti prendre ?

PAULINE.

Et mon tuteur, à qui j’ai promis...

ALFRED.

Et moi qui le pressais d’aller demander la main de madame de Saint-Ange !

PAULINE.

C’est vrai, c’est ta faute aussi.

ALFRED.

Ma faute !

PAULINE.

Sans doute, pourquoi as-tu consenti ?

ALFRED.

Mais toi-même, lorsque mon oncle t’a parlé de son projet de mariage...

PAULINE.

Oh ! moi, moi, c’est bien différent.

ALFRED.

Du tout, c’est la même chose, et certainement, vous avez bien plus fort que moi.

PAULINE.

Par exemple, c’est un peu fort.

ALFRED.

Tenez, je ne vous le pardonnerai jamais.

PAULINE.

Ni moi non plus.

ALFRED.

C’est affreux.

PAULINE.

C’est abominable.

ALFRED.

Oh ! je vous en veux mortellement.

PAULINE.

Et moi... je vous dét...

ALFRED.

Ah ! pardon, ce mot me rend à moi-même, j’allais te quereller encore. Que veux-tu ? on ne se corrige pas tout d’un coup de ses mauvaises habitudes ; mais à l’avenir, quand nos querelles viendront à recommencer...

PAULINE.

Ah ! vous croyez qu’elles recommenceront encore...

ALFRED.

Je le crains.

PAULINE.

Et moi aussi.

ALFRED.

Mais alors...

Air de M. Adam.

Ma colère
Sera passagère.
Fâchés pour un rien,
On se pardonne pour un rien.
Toi, Pauline, si tu veux me plaire,
Voici le moyen
De me calmer, retiens-le bien,
Redis-moi toujours : je vous déteste,
Et ce mot charmant,
Ce mot que j’aime maintenant,
Trop longtemps, à mes yeux si funeste,
Sera le signal de notre raccommodement.

Ensemble.

ALFRED.

Redis-moi toujours, etc.

PAULINE.

Je dirai toujours, etc.

PAULINE.

À la bonne heure, c’est un point convenu.

ALFREÐ.

Chère Pauline.

Il lui baise la main à plusieurs reprises. Rentrée de Murville et de madame de Verneuil.

 

 

Scène XV

 

ALFRED, PAULINE, MURVILLE et MADAME DE VERNEUIL

 

MURVILLE.

Ah ! parbleu, voilà des ennemis qui sont en bonne intelligence.

ALFRED.

Monsieur... de grâce...

MURVILLE.

Eh ! mon dieu, j’avais deviné tout cela. Eh bien ! vous voilà tous les deux immobiles, comme des statues. Pauvres jeunes gens, vous vous aimez ; n’est-ce pas ? Mariez-vous.

ALFRED.

Ah ! Monsieur, si vous daigniez vous charger auprès de mon oncle...

MURVILLE.

De votre oncle ! ah ! diable, c’est difficile... dans ma position surtout... mais c’est égal, je m’en charge. Oui, c’est un point décidé. Sa pupille ne lui convient pas du tout ; il fallait qu’il eût perdu la tête.

MADAME DE VERNEUIL.

Mais vous m’avez dit que vous lui aviez conseillé de l’épouser ?

MURVILLE.

C’est vrai, mais alors, il avait encore des prétentions à votre main, et de deux folies, je lui conseillais la moindre.

MADAME DE VERNEUIL.

M. de Murville !

MURVILLE.

Eh bien, n’allez-vous pas vous fâcher encore, maintenant que nous avons fait la paix ?... Attendez au moins que nous soyons mariés. Oui, mes enfants, je parlerai pour vous ; et, je l’espère, nous conclurons, à la fois, mon mariage et le vôtre. J’entends Blinval ; comment m’y prendre ? Ah ! La Fontaine !

Il prend le volume sur la table.

À merveille ! je vais trouver mes arguments dans son auteur favori.

 

 

Scène XVI

 

TOUS LES PERSONNAGES

 

BLINVAL, entrant.

Mon cher Alfred, tout marche au gré de nos souhaits : M. de Saint-Ange consent de bon cœur à t’accorder sa fille ; et de son côté, la jeune personne.

ALFRED.

Mon oncle...

BLINVAL.

Eh bien ! tu ne me remercies pas ?... Quelle singulière figure !

MURVILLE.

Mon ami, mon pauvre ami... voici le moment d’appeler à ton secours, tout le courage, toute la philosophie...

BLINVAL.

Que veux-tu dire ? Explique-toi.

MURVILLE.

Blinval, mon cher Blinval, tu ne me comprends pas...

Il l’amène sur le devant de la scène, et lui dit bas, en lui montrant La Fontaine.

Tiens, lis.

BLINVAL.

La Fontaine !

MURVILLE, lisant.

« L’Homme entre deux âges. »

BLINVAL.

Après ?

MURVILLE, continuant de lire.

« Celle que je prendrais, voudrait qu’à sa façon,
Je vécusse, et non à la mienne ;
Je vous suis obligé, belles, de la leçon »

Comprends-tu maintenant ?

BLINVAL.

Pas tout-à-fait. Il est bien convenu que je n’épouse pas madame de Verneuil ; mais Pauline...

MURVILLE.

Pauline ! regarde-la.

BLINVAL.

Eh bien ?

MURVILLE.

Et regarde ton neveu.

BLINVAL.

Est-ce que par hasard...

MURVILLE.

Oui, ils s’aiment.

BLINVAL.

Impossible.

MURVILLE.

Demande-leur.

BLINVAL.

Alfred... Pauline... est-il vrai ?

Signe affirmatif des deux jeunes gens.

Mais, tout à l’heure encore, vous vous détestiez.

MURVILLE.

Raison de plus. Ils se détestent encore ; mais ils ne peu vent se passer l’un de l’autre. C’est comme moi avec madame de Verneuil.

MADAME DE VERNEUIL.

Laissez-moi donc, Monsieur.

MURVILLE.

Elle ne peut me souffrir, et nous ferons un excellent ménage.

BLINVAL.

Allons, puisqu’il le faut, je suivrai les conseils de La Fontaine ; c’en est fait, je reste garçon.

MURVILLE.

Et tu fais bien.

ALFRED.

Ah ! mon cher oncle !

PAULINE.

Mon cher tuteur !

ALFRED.

Quelle reconnaissance !

PAULINE.

Quel bonheur ! Alfred, nous irons faire la noce à la campagne.

ALFRED.

Du tout ; nous resterons à Paris.

PAULINE.

Monsieur, vous me ferez le plaisir...

ALFRED.

Non, je ne le veux pas.

PAULINE.

Et moi, je le veux.

ALFRED.

Pauline, voilà un caprice...

PAULINE.

Alfred, je vous déteste.

ALFRED.

Ah ! tu as raison, ma chère Pauline : quand tu voudras, nous partirons pour la campagne.

CHŒUR.

Redis-moi } toujours : je vous déteste,
Je dirai      }
Et ce mot charmant, etc.

LES AUTRES PERSONNAGES.

Répétez toujours : je vous déteste,
Et ce mot charmant,
Que vous chérissez maintenant,
Trop longtemps à vos yeux si funeste,
Sera le signal de votre raccommodement.

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