L’Heureux retour (Christophe-Barthélémy FAGAN DE LUGNY - Charles-François PANARD)

Comédie en un acte et en vers, au sujet du retour du Roi.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 6 novembre 1744.

 

Personnages

 

MONSIEUR ARGANTE, bon bourgeois

AGATHE, fille de M. Argante

AMINTE, sœur de M. Argante

LISIDOR, jeune Officier

DAMON, avocat

LUCAS, jardinier de M. Argante

LE MAÎTRE D’ÉCOLE

LA MAÎTRESSE D’ÉCOLE

LE CARILLONNEUR

HABITANTS D’AUTEUIL

TROUPE DE BERGÈRES

TROUPE D’OFFICIERS

TROUPE DE JARDINIÈRES

 

La Scène est dans une Maison Bourgeoise d’Auteuil.

 

Le Théâtre représente un Jardin.

 

 

Scène première

 

MONSIEUR ARGANTE, AGATHE, LISIDOR, DAMON

 

MONSIEUR ARGANTE.

Notre Monarque est de retour.

Ô Ciel ! quelle heureuse nouvelle !

AGATHE.

Bénissons mille fois le jour

Qui près de ces lieux le rappelle.

MONSIEUR ARGANTE.

Mon cœur de joie est transporté.

Si ce moment est plein de charmes,

Ah ! nous l’avons bien mérité,

Et par nos vœux et par nos larmes.

LISIDOR.

Dans ce commun ravissement,

Vous conviendrez qu’un Militaire,

En ardeur, en amour, l’emporte assurément.

Cependant je ne puis m’en taire.

Chaque état nous fait voir l’ardeur la plus sincère.

Ce doux transport est général.

Montrant Damon.

Et Monsieur, dans l’instant, plein d’un feu sans égal,

Quoiqu’Avocat, et mon Rival,

A parlé, raisonné sur l’affaire présente,

Ma foi, je l’avouerai, d’une façon touchante.

DAMON.

Monsieur le Lieutenant, vous en êtes surpris !

MONSIEUR ARGANTE.

Ma fille !...

AGATHE.

Eh ! bien, mon Père ?

MONSIEUR ARGANTE.

Écoutez, mes Amis.

Dans tous ces jeux que l’on apprête,

Il faut nous distinguer. Inventons une Fête :

Du fond de notre cœur donnons notre tribut.

Qu’exprimer nos plaisirs, soit notre unique but.

Nous nous contenterons d’un simple badinage :

Oui, d’un léger amusement.

De talents et d’esprit le zèle dédommage.

Sous quelque travestissement,

Courons, volons sur le passage

De ce Roi si charmant.

De nos pleurs nous serons acquittés amplement

Si nous obtenons l’avantage

De le divertir un moment.

LISIDOR.

J’ai mon projet.

DAMON.

Et moi.

MONSIEUR ARGANTE.

Tous deux vous soupirez,

Tous les deux vous aimez Agathe ?

Je vous ai souvent assurés

Que le choix, entre vous, également me flatte ;

Mais il ne sera pas plus longtemps indécis.

Celui qui trouvera la plus heureuse idée,

En sa faveur verra ma fille décidée.

Ma fille est à ce prix.

À Agathe.

N’est-il pas vrai ?

AGATHE.

De grand cœur j’y souscris,

DAMON.

On peut, sans se flatter, avoir quelque espérance.

LISIDOR.

Nous verrons.

AGATHE.

Croyez-vous que moi, je m’en dispense ?

Non, non, comme une autre, je pense.

Dans ce sujet si beau, qui nous anime tous,

Dans cet heureux instant, le plus cher de ma vie,

Si je ne donnais pas quelques traits de génie,

Je ne me croirais pas digne de mon époux,

MONSIEUR ARGANTE.

Soit.

LISIDOR.

Je vous sais bon gré d’une telle saillie.

DAMON.

C’est payer un tribut, que d’être aussi jolie.

AGATHE.

Oh ! point de flatterie.

Laissons les compliments. Ne soyons occupés.

Que de l’allégresse publique.

Songeons à quels malheurs nous sommes échappés ;

Songeons par quels concerts tout un Peuple s’explique.

Qu’avec impatience on attendait ce jour !

Célébrer ses exploits, espérer son retour,

Bénir cent fois le Ciel de sa convalescence,

Furent nos seuls plaisirs pendant sa longue absence.

Ah ! contre Metz, contre Strasbourg,

Mon cœur était bien en colère.

Une autre chose encore a bien su me déplaire ;

Il m’en reste-là des soupirs ;

Je boude...

MONSIEUR ARGANTE.

Contre qui ?

AGATHE.

Contre la Médecine,

Elle a trop contraint nos désirs :

Elle en veut toujours aux plaisirs :

Elle est si lente et si chagrine...

MONSIEUR ARGANTE.

N’attaquons point les Médecins :

Leur sagesse a rendu nos plaisirs plus certains.

LISIDOR, d’un ton de petit Maître.

Les Médecins... sont bons.

DAMON.

L’autre siècle, la mode

Fut de les ridiculiser.

Alors, apparemment, quelque fausse méthode,

Où leur extérieur pédantesque, incommode,

Donna lieu de les mépriser :

Mais malgré la critique, à nous tromper facile,

L’Art mérita toujours d’être en soi respecté.

Lorsqu’aux premiers Humains le Destin irrité

Refusa l’immortalité,

Il leur laissa du moins cette science utile,

Qui fait que l’homme, après avoir bien médité,

Par une conjecture habile,

De sa vie entrevoit les causes, les ressorts,

Et, pour les rétablir, va puiser les trésors

Qu’offre à son docte choix la nature fertile.

Cet Art a reçu des Mortels

Tantôt l’Exil, et tantôt des Autels ;

Souvent, il n’a paru qu’un hasardeux système.

Mais qu’on soit détrompé ; puisque cet Art enfin

A servi notre Roi dans son péril extrême,

Il ne reste plus de problème :

À jamais on dira, c’est un Art tout divin.

LISIDOR.

Je pense comme vous.

MONSIEUR ARGANTE.

Très fort je vous approuve.

Mais, nos Fêtes ? Quoi donc ! N’y penserons-nous pas ?

DAMON.

Je suis prêt.

LISIDOR.

Attendez, dans le moment je trouve

Une idée...

MONSIEUR ARGANTE.

Ah ! voici ma Sœur avec Lucas.

 

 

Scène II

 

AMINTE, LUCAS, MONSIEUR ARGANTE, AGATHE, LISIDOR, DAMON

 

LUCAS, à Aminte.

Oh ! morgué, laissez-nous ; morgué, laissez-nous dire.

AMINTE, à Lucas.

Un moment, s’il vous plaît.

LUCAS.

Ah ! j’en crévons de rire.

MONSIEUR ARGANTE.

Venez, venez, ma Sœur.

Eh ! bien, vous sentez-vous d’humeur

À seconder aujourd’hui notre zèle ?

AMINTE.

Mais, mon Frère, je crois,

Qu’au bruit d’une telle nouvelle

Ma joie est toute naturelle,

Moi, qui fus de tout temps amoureuse du Roi !

MONSIEUR ARGANTE.

Amoureuse ! Vous ?

AMINTE.

Moi.

L’on connaît ma vertu : mais quoique très rebelle...

LUCAS.

Il est fâcheux, ma foi,

Qu’il n’en ait rien su.

MONSIEUR ARGANTE.

Paix.

LUCAS.

La belle Citadelle.

Que ce serait à prendre !

MONSIEUR ARGANTE.

Eh ! Paix.

LUCAS.

Devant vos charmes

Je crois voir un Guerrier... la... qui vous rend les armes.

AMINTE.

Je conviens de mon faible ; et dès longtemps avant

Son départ pour l’Armée

Ma flamme s’était exprimée.

J’ai pris la liberté d’écrire assez souvent,

En forme de Placet. Il faut que j’y renonce.

LUCAS.

Palsanguenne, le Roi devait faire réponse.

AMINTE.

Au dîner seulement j’ai quelquefois paru ;

Et je me suis fait voir tout le plus que j’ai pu :

LUCAS.

Y’a bian d’autres que vous.

LISIDOR.

De l’hommage des Belles

Les Rois ne sont point offensés.

AMINTE.

Je me distinguerai par quelques bagatelles ;

Et nous verrons. Avant que deux jours soient passés...

DAMON.

Vous ne m’étonnez point. Moi, je vous crois sincère ;

Et l’amour pour son Roi quelquefois peut bien faire,

Dans le cœur d’une Femme, un effet singulier.

On adora toujours la dignité suprême.

Notre amour pour LOUIS est plus particulier.

La Valeur, la Justice et la Clémence même,

Par lui seul il est grand ; c’est lui seul que l’on aime.

Je n’ose rappeler nos funestes destins,

Trop tristes, et trop bien dépeints.

 

Mais quand une fièvre brûlante

Attaquait ce jeune Héros,

Hélas ! que l’on se représente

Quel fut le plus grand de ses maux.

 

Armé, respirant la vengeance,

Pouvant seul remplir son dessein,

Dans une fatale impuissance

Il gémit d’étouffer ses projets dans son sein.

 

Cependant sa première gloire

Pouvait assez flatter son cœur.

Faut-il que couronné des mains de la Victoire

On éprouve autant de douleur ?

 

Tout le bien que promet sa sagesse infinie,

N’a jamais été précédé,

Ni par l’oppression, ni par la tyrannie ;

À la tranquille Paix la Gloire a succédé.

 

Si nos Fastes publics lui comparaient Auguste,

Il faudrait faire alors quelques distinctions.

On dirait, pour en parler juste,

Auguste sans proscriptions.

LUCAS, à Damon.

Je vais vous dire queuques choses,

Monsieur l’Avocat ; si jamais

Vous ne plaidiais que de ces Causes,

Vous gagneriais tous vos Procès.

C’est à mon tour. Voici mon aloquence.

MONSIEUR ARGANTE.

Oh ! tai-toi ; nous avons des affaires.

LUCAS.

Je vais

Finir dans l’instant.

MONSIEUR ARGANTE.

Non.

LUCAS.

Un moment d’audience.

AMINTE.

Je vais vous raconter un songe très flatteur

Que j’ai fait.

LUCAS.

Bon ! un songe ! Oh ! morgué, Sarviteur ;

Ce sont des vérités, moi, qu’il faut que je conte.

LISIDOR.

Voyons son éloquence.

MONSIEUR ARGANTE.

Au moins qu’elle soit prompte.

LUCAS.

Eh ! oui. Vous saurez donc que de Peres en Fils,

Dans Auteuil, de tout temps, j’ons eu de biaux esprits,

Et des Abbés.

MONSIEUR ARGANTE.

Fort bien !

LUCAS.

Bref, ils étiont grand nombre

Au fond du petit bois, dans le lieu le plus sombre.

J’avons vu qu’ils lisiont, étant rassemblés là,

Des Vars sur des papiers qu’estiont longs comme ça.

J’avançons. Ils parliont du Roi notre bon Sire :

Ils déclamiont leurs Vars ; moi, j’les acoute lire :

Et le plaisir que’l’ya, c’est que j’les sais par cœur,

MONSIEUR ARGANTE.

Tien, va-t’en.

LISIDOR.

Eh ! laissez.

MONSIEUR ARGANTE.

Oh ! le beau Raconteur ?

LUCAS, déclamant.

La Renommée a porté la trompette...

Dans les airs on entend... On entend dans les airs...

Et puis l’Écho...

MONSIEUR ARGANTE.

Va-t’en.

LUCAS.

V’là l’Écho qui répète...

Le Ciel, et la Terre, et les Mers...

Phœbu m’inspire...

Mes accords... j’les admire...

Je viens sur les ailes des vents...

Je viens sur les ailes des vents...

Dans les Cieux j’élève ma tête...

MONSIEUR ARGANTE.

Va-t’en.

LISIDOR.

Oh ! c’en est trop ; arrête,

Va-t’en.

MONSIEUR ARGANTE.

Va-t’en.

LISIDOR.

Va-t’en.

LUCAS.

Je vois les ouragans...

LISIDOR.

Va-t’en.

MONSIEUR ARGANTE.

Va-t’en.

LISIDOR.

Va-t’en.

LUCAS.

Je vois les ouragans.

MONSIEUR ARGANTE.

Va-t’en sur les ailes des vents.

On le chasse.

 

 

Scène III

 

MONSIEUR ARGANTE, AGATHE, AMINTE, LISIDOR, DAMON

 

AMINTE.

Et mon songe ? Il faut bien...

MONSIEUR ARGANTE.

Oh ! faites-nous en grâce ;

Et nous allons céder la place

Aux Habitants d’Auteuil qui m’ont fait demander

Mon Jardin, pour pouvoir danser tout à leur aise.

À Lisidor et Damon.

Oh ! çà, mes chers enfants, il ne faut plus tarder.

Songeons à nos projets. Faites que cela plaise

Allez en quelque endroit rêver seuls un instant.

Par les objets, la verve est aisément distraite.

AGATHE.

S’il faut tout exprimer ce que mon cœur ressent,

J’ai besoin aussi de retraite.

 

 

Scène IV

 

MONSIEUR ARGANTE, AMINTE, LE MAÎTRE et LA MAÎTRESSE D’ÉCOLE, LE CARILLONNEUR, LES HABITANTS D’AUTEUIL

 

Entrée.

LE MAÎTRE D’ÉCOLE, à Monsieur Argante, parlant très lentement.

Mon... si... eur... Mon... si... eur...

LE CARILLONNEUR, à M. Argante, parlant très bref.

Monsieur, Monsieur...

LE MAÎTRE D’ÉCOLE.

Je... suis... Maître... d’École.

LE CARILLONNEUR.

Et moi Carillonneur

Et moi Carillonneur.

Il chante.

C’est moi qui fais le carillon ;
Je chante de cette façon,
Din din, don don, din din, don don.
Dès le matin,
Tin tin, tin tin,
Sur ce beau ton
Tin tin, ton ton,
À mon carillon je fais dire,
Vive à jamais le Grand Bourbon ;
Bon bon.
Pour sa valeur tout le monde l’admire ;
On l’aime parce qu’il est bon ;
Bon bon bon bon bon bon
Bon bon bon.
Pour sa valeur tout le monde l’admire ;
On l’aime parce qu’il est bon ;
Bon bon bon bon bon bon.

Danse du Maître et de la Maîtresse d’École, et du Carillonneur.

Vaudeville

UNE JEUNE FILLE.

Que l’infidèle Colin
M’abandonne pour Lisette ;
Que j’éprouve son dédain,
Que je perde sa fleurette ;
Eh ! qu’est-ç’que ça m’fait à moi ?
Je vois ce que je souhaite.
Eh ! qu’est-ç’que ça m’fait à moi,
Quand je vois notre bon Roi ?

UN JEUNE GARÇON.

Que facile à mes Rivaux,
Lison pour moi soit farouche ;
À mes soupirs, à mes maux
Que son oreille se bouche ;
Eh ! qu’est-ç’que ça m’fait à moi ?
Plus qu’elle mon Roi me touche.
Eh ! qu’est-ç’que ça m’fait à moi,
Quand je vois notre bon Roi ?

UNE JEUNE FILLE.

Que la noce de ma sœur
Dans le Carnaval soit faite ;
Que l’on fasse son bonheur,
Sans songer à la cadette ;
Eh ! qu’est-ç’que ça m’fait à moi,
Je n’en suis point inquiète.
Eh ! qu’est-ç’que ça m’fait à moi,
Quand je vois notre bon Roi ?

LE MAÎTRE D’ÉCOLE.

Que tout mon champ soit battu
Par les vents et par la grêle ;
Que l’on trouve la vertu
De notre femme un peu frêle ;
Eh ! qu’est-ç’que ça m’fait à moi ?
Ma foi, très peu je m’en mêle.
Eh ! qu’est-ç’que ça m’fait à moi,
Quand je vois notre bon Roi ?

UNE VIEILLE.

Bien loin de mes jeunes ans,
Je sens que mon terme arrive :
Sans doute dans peu de temps
J’irai voir la sombre rive ;
Mais qu’est-ç’que ça m’fait à moi,
Pourvu que mon Prince vive ?
Mais qu’est-ç’que ça m’fait à moi,
Quand je vois notre bon Roi ?

On danse.

 

 

Scène V

 

AMINTE, LUCAS

 

AMINTE, tenant un papier.

Vien-çà, Lucas, vien-çà ; sans cesse on me plaisante ;

Chacun ici me raille, et toi tout le premier :

Mais pour toi, quoiqu’un peu grossier,

Je sais que tu n’as pas au fond l’âme méchante,

Tu fais même souvent paraître du bon sens.

Je veux te consulter. Je viens encor d’écrire.

De la façon dont je m’y prends,

Dans mes précautions, dans mes raisonnements,

Vois si l’on peut trouver quelque chose à redire.

LUCAS.

Parlais.

AMINTE.

D’abord ; penses-tu, mon Ami,

Que lorsque l’on écrit un Billet, une Lettre,

Un Placet pour le Roi, pareil à celui-ci,

Crois-tu qu’on ait toujours soin de les lui remettre ?

De pareils Placets sont-ils lus

Au Roi sont-ils exactement rendus ?

LUCAS.

Oh ! ça n’est pas douteux.

AMINTE.

Je le crois ; car je pense

Que personne jamais

N’eut assez d’ignorance

Pour ne s’y pas servir de termes circonspects,

Pour ne pas témoigner alors tous ses respects ?

LUCAS.

Non.

AMINTE.

Écoute-moi donc. Sire, une fille sage

Vous rend depuis longtemps un très sincère hommage.

À suivre en tout le plus exact honneur

Elle s’est toujours appliquée ;

Mais elle veut du moins, pour l’offre de son cœur,

Paraissant à la Cour, être un peu remarquée ;

Un seul de vos regards va payer son ardeur.

LUCAS.

Bon.

AMINTE.

Si vous souhaitez, Sire, que l’on vous donne

Un Portrait de cette Personne,

En deux mots le voilà.

Haussant la voix.

La personne est toute charmante...

LUCAS, sérieusement.

Morgué, n’mettais pas ça,

AMINTE.

L’attitude noble, touchante...

LUCAS.

N’mettais pas ça.

AMINTE.

Le regard fin et doux...

LUCAS.

N’mettais pas ça, car vous y serais prise...

AMINTE.

Le rire gracieux ; en tout c’est un bijou.

LUCAS.

Eh ! non, morguenne, eh ! non ; ça f’rait une méprise ;

Ça vous mettrait dans l’embarras ;

Quand vous paraîtriais, on n’vous r’connaîtrait pas.

N’mettais pas ça.

AMINTE.

Comment ? Eh ! que veux-tu donc dire ?

LUCAS.

Moi, de bonne amiquié, j’vous baille mon avis.

AMINTE.

C’est parler franchement.

LUCAS.

Cela doit vous suffire :

Car quand je veux parler comme les biaux esprits,

Morgué, je n’sais ce que je dis.

AMINTE.

Mais enfin...

LUCAS.

Croyais-moi. Ça convient mal d’écrire.

Faire pour sa santé des vœux, c’est-là, je crois,

La meilleure façon de bien aimer le Roi.

Son devancier LOUIS, de célèbre Mémoire,

Par exemple, a vécu longtemps.

Eh ! bian, v’là ce qui faut. Héritier de sa gloire,

Qu’il soit aussi l’héritier de ses ans.

Pour moi, v’là comme je l’entends.

Mais charcher qu’on nous voie, ou vouloir faire accroire

Que nous avons de l’honneur, des appas,

Tout ça, morgué, je ne l’approuve pas.

Quand on est vaniteux, on a que du déboire.

Il faut que tout chacun se tienne en son devoir.

Toinett’ not’ femme, et not’ fille Thérèse.

Je l’avons vu passer. Quel était notre espoir ?

Voulions-je en être vus ? Non, je voulions le voir ;

Et j’l’avons vu tout à notre aise,

Ainsi, par conséquent...

 

 

Scène VI

 

MONSIEUR ARGANTE, AGATHE, AMINTE, LUCAS

 

AGATHE.

Oui, mon Père, Damon

A déjà su trouver...

MONSIEUR ARGANTE.

Dans un moment, ma fille.

À Lucas.

Que je parle à Lucas ! Va vite, mon garçon ;

Notre jeune Officier te cherche.

LUCAS.

Oh ! jarnombille ?

J’y vas. Mais excusais. J’étions ici, Monsieur,

À rac’moder l’esprit de Mamesel’vot’Sœur.

MONSIEUR ARGANTE.

Va, ne perd point de temps. Pour son projet de Fête,

Lisidor a besoin de toi.

LUCAS.

Parguienne, il a raison. Je ne somm’pas si bête.

MONSIEUR ARGANTE.

Je t’ordonne, entends-tu, d’obéir comme à moi,

De ne pas épargner ta peine.

LUCAS.

Taisez-vous donc, marguienne,

Jamais j’nons été paresseux.

Et dans un si beau jour, j’en vaut une douzaine.

Allais, allais, j’nous entendrons tous deux.

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR ARGANTE, AGATHE, AMINTE

 

AMINTE, à part.

Je vois qu’à mes desseins tout le monde s’oppose.

Peut-être ont-ils raison.

Il faut, je le vois bien, chercher quelqu’autre chose.

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR ARGANTE, AGATHE

 

MONSIEUR ARGANTE.

Oh ! pour moi quel plaisir !... Eh ! bien, ce cher Damon

A donc imaginé...

AGATHE.

Nous ne tarderons guères

À voir exécuter ce qu’il a composé.

Aussi tôt qu’il s’est proposé

De rassembler d’Auteuilles plus jeunes Bergères,

Tout a secondé son projet.

Il semble que la Fête

De soi-même s’apprête :

La joie et l’ardeur ont tout fait.

Quand le zèle aux leçons préside,

L’instruction va promptement.

On entend, on conçoit, on s’accorde aisément,

Que le progrès en est rapide !

MONSIEUR ARGANTE.

Cet Avocat Damon est un homme d’esprit.

Pour lui, je crois, le cœur te dit...

Ein ? Parle un peu...

AGATHE.

Qui ? lui, mon père ?

MONSIEUR ARGANTE.

Serait-ce Lisidor qui saurait mieux te plaire ?

AGATHE.

Mon choix est toujours incertain,

Entr’eux deux je ne fais aucune différence.

Vos ordres en ce jour ont dicté leur destin,

Et doivent décider de cette préférence.

MONSIEUR ARGANTE.

Si l’hymen, au surplus, ne te convenait pas,

Et si tu te sentais...

AGATHE.

Quoi ?

MONSIEUR ARGANTE.

Quelque répugnance... 

AGATHE.

Oh ! point du tout, mon père.

MONSIEUR ARGANTE.

Ah, tant mieux. En ce cas,

Cela nous tire d’embarras.

Mais notre monde ici s’avance ;

J’entends des instruments, et la Fête commence.

 

 

Scène IX

 

MONSIEUR ARGANTE, AGATHE, PLUSIEURS BERGÈRES, vêtues de blanc, tenant des Couronnes de Laurier d’une main, et des Lys de l’autre

 

Marche.

UNE BERGÈRE.

Tout annonce notre Maître,
Nous n’aurons plus de soucis ;
Son aspect fera renaître
Les doux plaisirs et les ris :
C’est par lui que l’on voit croître.
Les Lauriers parmi les Lys.

UNE AUTRE BERGÈRE.

Près de lui nous pourrons être ;
Tous nos vœux seront remplis.
Sitôt qu’on l’a vu paraître,
Ces lieux se sont embellis.
C’est par lui que l’on voit croître
Les Lauriers parmi les Lys.

On danse.

Duo.

DEUX BERGÈRES.

Fiers Ennemis, qu’un orgueil téméraire
Contre LOUIS a rassemblés,
Tremblez, nouveaux Titans, tremblez ;
Les Dieux l’ont armé du tonnerre,
Pour vous précipiter au centre de la terre...

UNE BERGÈRE.

Ah ! que plutôt ses glorieux exploits
À Bellone imposent des chaînes ;
Que la Paix accorde les Rois,
Et que l’Hymen fasse des Reines !

On danse.

UNE AUTRE BERGÈRE.

Grand Roi, qui dans le Champ de Mars
Marchez sur les pas des Césars,
Que vos Moissons seront fertiles !
Que de Lauriers vous sont acquis !
Les cœurs sont les clefs des Villes ;
Vous aurez bientôt tout conquis.

On danse.

LA PREMIÈRE BERGÈRE.

Vous qu’une chaîne favorable
Unit au Monarque des Lys,
De vous, tous les cœurs sont ravis ;
Vous nous charmez, Reine adorable.
Que le Destin le plus flatteur
À vos vœux sans cesse réponde !
Vous faites le bonheur
D’un Vainqueur
Qui fait celui de tout le monde.

On danse.

Vaudeville.

UNE BERGÈRE.

Par nos jeux et par nos chansons
Témoignons notre allégresse.
Le Roi charmant que nous servons,
Pour nous est rempli de tendresse.
Dans ce beau jour, célébrons
Tout ce qui l’intéresse ;
Réunissons dans le même refrain
Le Roi, la Reine, et le Dauphin.

Chez notre Roi, tout est grandeur,
Noble orgueil, feu guerrier, vaillance.
Chez la Reine, tout est douceur,
Agrément, bonté, bienveillance.
Chez le Fils, tout est ardeur,
Respect et déférence.
Que de raisons pour célébrer sans fin,
Le Roi, la Reine et le Dauphin !

Les jours de ce Roi généreux
Intéressent l’Europe entière.
Son sort ne pourrait être heureux
Sans une compagne si chère.
Au bonheur de tous les deux
Le Fils est nécessaire.
Dieux Immortels, faites vivre sans fin
Le Roi, la Reine et le Dauphin.

On danse.

 

 

Scène X

 

MONSIEUR ARGANTE, AGATHE

 

MONSIEUR ARGANTE.

L’Intention toujours nous justifie.

Cette Fête, d’ailleurs, me semble très jolie.

D’écouter et de voir, je n’ai pu me lasser.

Où se cache Damon ? Je voudrais l’embrasser.

Oh ! c’est lui sûrement qui deviendra mon Gendre,

À bon droit il peut y prétendre.

Je crois que Lisidor ne peut le surpasser.

 

 

Scène XI

 

LUCAS, MONSIEUR ARGANTE, AGATHE

 

LUCAS.

Tout beau, tout beau, ne faut pas vous presser.

Et moi, pour Lisidor je gage.

MONSIEUR ARGANTE

Pourquoi ?

LUCAS.

C’est qu’j’ons mis la main à l’ouvrage,

MONSIEUR ARGANTE.

Ah ! la conséquence est fort sage !

LUCAS.

Il nous a commandé. J’ons fait ce qu’il a dit.

J’ons sarvi d’not’adresse ; et lui de son esprit.

Queu drôle de corps ! Tatiguienne...

Allais, je le donne au plus fin.

On se promène en un Jardin ;

C’est un jardin qui se promène... 

C’est...

MONSIEUR ARGANTE.

Ne dis rien.

LUCAS.

Avec...

MONSIEUR ARGANTE.

Je ne veux rien savoir.

Ne sais-tu pas que ce qu’on prise

Semble ensuite bien moins valoir ?

Pourquoi nous ôter la surprise ?

LUCAS.

Eh ! bian, morgué, vous varrais ;

Et dans le même instant vous en déciderais.

AGATHE.

Mon Père, en attendant, souffrez que je vous dise...

LUCAS.

J’allons retourner là ; car je pensons, ma foi,

Qu’ils avont du chagrin de se passer de moi.

 

 

Scène XII

 

MONSIEUR ARGANTE, AGATHE

 

AGATHE.

Mon Père, vous savez que je me suis promise

De peindre aussi mes sentiments.

Accordez-moi quelques moments,

Et jugez si mes Vers méritent qu’on les lise.

Elle lit.

Toi, qui fus animé de l’esprit le plus pur,
Moins Peintre du passé, qu’Oracle du futur,
Qui peignis Télémaque... Ah ! ton Héros respire.
Tu ne racontais pas ; mais tu savais prédire.
À côté de Minerve, un Prince adolescent
Voudrait suivre les pas d’un Père qu’il adore.
Il est doux et brillant, et semblable à l’Aurore.
Ah ! que de fleurs doivent éclore
Au tendre aspect de cet Astre naissant !

Auprès de l’auguste Déesse
On voit encor deux jeunes Déités,
Qui, conduites par sa sagesse,
N’écoutent que ses volontés.
L’une et l’autre suivent ses traces,
Et prouvent cette vérité,
Que l’on peut accorder les Vertus et les Grâces,
Et la douceur avec la Majesté.

MONSIEUR ARGANTE.

En t’approuvant je crains de me flatter ;

Et sur tes Vers, je ne saurais te dire

S’ils sont assez bien faits, pour qu’on ose les lire...

Voyons si Lisidor a droit de l’emporter.

 

 

Scène XIII

 

MONSIEUR ARGANTE, AGATHE, DES OFFICIERS arrivent d’un côté, et de l’autre des JARDINIÈRES, tenant des Cerceaux de Fleurs

 

Entrée.

DEUX JARDINIÈRES.

Guidez par le Dieu de Cythère
Nous faisons ce qu’il nous prescrit :
Son feu divin nous éclaire ;
Et sa chaîne nous réunit.
Son feu, etc.

On danse.

Ô devoir ! souvent tu nous causes
De l’amertume et du dépit :
Mais tes chaînes sont des roses,
Quand c’est l’Amour qui nous conduit ;
Mais tes chaînes, etc.

On danse, et les Cerceaux forment des berceaux, des portiques, des galeries, etc.

UNE JARDINIÈRE.

C’est en vain que les Fleurs, les Moissons et les Fruits,
Nous rendent trois Saisons aimables.
Hiver nous te devons un présent plus exquis,
Et des plaisirs plus délectables.

On danse.

UNE AUTRE JARDINIÈRE.

Volez, Plaisirs, que rien ne vous arrête ;
Volez, secondez nos ardeurs.
Brillez, animez notre Fête ;
C’est la Fête de tous les cœurs.

On danse.

 

 

Scène XIV

 

LUCAS, AMINTE, MONSIEUR ARGANTE, AGATHE

 

LUCAS.

Allons vite, morgué, j’voulons la préférence :

Baillez-nous-la, sans hésiter.

MONSIEUR ARGANTE.

Ce que l’on vient d’exécuter

Remet mon esprit en balance :

De leur égale ardeur, je me sens enchanter.

Content de ton obéissance,

Ma fille, à ton penchant je veux m’en rapporter,

Ne crains point de ma part aucune résistance.

 

 

Scène XV

 

LISIDOR, DAMON, MONSIEUR ARGANTE, AGATHE, AMINTE, LUCAS

 

MONSIEUR ARGANTE, à Lisidor et à Damon.

Charmé de tous vos soins, je me vois, mes amis,

Autant que je l’étais, entre vous, indécis.

Il faut, sur un tel choix, que ma fille prononce ;

Et ma décision sera dans sa réponse.

DAMON,

Qu’elle daigne parler.

LISIDOR.

Nous lui sommes soumis,

AGATHE.

Puisqu’il faut décider, et que j’y suis forcée,

Voici donc ma pensée.

Mon choix sera conduit par ce commun amour,

Par ce sentiment respectable,

Dont on voit tous les cœurs occupés dans ce jour :

Et par-là, l’Officier me semble préférable,

Du Roi, sans cesse, il suit les pas,

Dans les dangers, dans les combats ;

C’est lui qui le défend, c’est lui qui l’accompagne.

Pour une tendre Épouse, il est assez fâcheux

D’avoir presque toujours son Époux en campagne :

Mais quoi ! tout effort généreux

Porte avec soi sa récompense.

Si de suivre le Roi, mon Sexe me dispense,

Si pour lui je ne puis mourir,

Je m’offre par l’Époux que j’aime ;

Ah ! que du moins la moitié de moi-même

Soit occupée à le servir !

Je vous fais un aveu sincère.

Enfin ; Messieurs, réduite à faire

À l’un de vous une espèce de tort,

Ma main sera pour Lisidor.

LUCAS.

Morgué, c’est bain.

LISIDOR, baisant la main d’Agathe avec transport.

Hélas !

AGATHE, à Damon.

Sans être méprisée,

Votre flamme, Damon, sans doute est refusée.

Il faut bien sortir d’embarras.

Que faire ? Croyez-moi, ne vous désolez pas.

En temps de Paix, Monsieur, vous m’eussiez épousée.

LUCAS.

Oui, vive un Officier ? ça fait bian plus d’éclat,

C’est plus vif, plus léger. Tambour battant, il mène...

Et pis, c’est qu’on a tant de peine

À d’venir veuv’ d’un Avocat !

MONSIEUR ARGANTE, à Damon.

Vous êtes, je le sais, sans beaucoup de richesse ;

Ma Sœur a de gros biens ; et quoiqu’elle ait... parbleu,

Je vous conseillerais...

DAMON.

Ceci mérite un peu

D’y penser. Cependant, à Rome et dans la Grèce,

En des Jours solennels, on vit maint Citoyen

Se dévouer à la Patrie.

Entr’autres, il y eut un Chevalier Romain

Qui se jeta... ma foi, j’accepte la partie.

Aminte, par hasard, voudrait-elle ma main ?

AMINTE.

J’y consens.

DAMON, à Aminte.

Recevez un conseil salutaire ;

Quoique vous sachiez bien tout ce que l’on doit faire,

Madame, faites vous un devoir, croyez-moi,

De changer en respect votre amour pour le Roi,

LUCAS.

Pendant que nous avons ici tout notre monde,

Il faut finir par une Ronde.

On danse.

Vaudeville chanté par les Bergères.

Reprends tous tes charmes,
Paris : calme-toi ;
Après tant d’alarmes,
Tu revois ton Roi.
Dans sa Ville la plus chère
Il fait son séjour.
Oh !... ma Bergère,
Oh ! l’heureux retour !

Que nos Militaires
Vont dompter de cœurs !
On ne tiendra guères
Contre leurs ardeurs.
Ils vaincront tout à Cythère,
Comme dans Fribourg.
Oh !... ma Bergère,
Oh ! l’heureux retour !

L’Enfant de Cythère.
Qui, depuis six mois,
Triste et solitaire
Paraît aux abois,
Va bientôt sur la fougère
Chanter à son tour :
Oh !... ma Bergère,
Oh ! l’heureux retour !

Pour faire des Hommes,
Maint Guerrier revient ;
La Ville où nous sommes
Très fort leur convient ;
Car il est aisé d’en faire
Dans ce grand séjour.
Oh !... ma Bergère,
Oh ! l’heureux retour !

La Fête nouvelle
Ne réussira,
Qu’autant que le zèle
La protégera.
Comme nous, il vous inspire.
Il doit en ce jour,
Messieurs, vous faire dire :
Oh ! l’heureux retour !

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