L’Arabe hospitalier (Ferdinand LALOUE)

Mélodrame en un acte.

Représenté pur la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Cirque Olympique, le 3 décembre 1822.

 

Personnages

 

HASSAN, chef de la Tribu des Arabes hospitaliers

MIRZA, jeune fille élevée par lui

ABDALA, fils d’Hassan

OCTARD, chef des Arabes Bédouins

GEOFFROY, chevalier Croisé

RAIMOND, l’un des chef des chevaliers du Temple

CHEVALIERS FRANÇAIS

TEMPLIERS

ARABES

BÉDOUINS

 

La scène se passe dans les déserts de l’Égypte, non loin de Ptolémaïs.

 

Le Théâtre représente des tentes ; à droite et à gauche, des palmiers, des déserts et des sables.

 

 

Scène première

 

OCTARD, ORKAN

 

Orkan paraît mystérieusement sur la montagne ; il est enveloppé d’un manteau d’Arabe ; il observe s’il ne peut être vu ; il s’approche de la tente d’Octard, ce dernier paraît et reconnaît Orkan.

OCTARD.

Bédouin, tu n’as pas été vu ?

ORKAN.

Non, seigneur, sous ce costume d’Arabe, qui pourrait reconnaître Orkan, le plus fidèle de vos Bédouins ; tout repose dans les tentes d’Hassan.

OCTARD.

Demain leur sommeil ne sera pas aussi paisible... quelle a été la réponse d’Hourbal ?

ORKAN.

Tu dois concevoir avec quelle joie il a appris qu’Abdala devait à l’aube du jour chasser dans le désert. Suivi de douze de tes fidèles Bédouins, il va parcourir toutes les Oasis. Il te répond de la tête d’Abdala.

OCTARD.

Qu’Abdala périsse, et la tribu que commande son père n’existera plus.

ORKAN.

Hourbal s’engage à passer encore cette journée parmi les hospitaliers... ils t’ont reçu comme un Arabe d’une tribu éloignée.

OCTARD.

Oui, je veux jouir de leur douleur quand ils ne verront pas revenir Abdala à l’heure accoutumée... je veux entendre les gémissements de cette famille ennemie quand on lui rapportera le corps sanglant de celui qui la défendit tant de fois... qui la fit triompher de nos Bédouins... qui me ravit enfin dix années de gloire !...

ORKAN.

Que dois-je faire, seigneur ?

OCTARD.

Rentre dans ta tente avant que l’heure de la prière appelle Hassan... nous profiterons du trouble que la mort d’Abdala va jeter dans la tribu ; de la dispersion des hommes armés qu’on enverra à la poursuite des meurtriers, pour revenir à la tête de nos braves, attaquer les tentes d’Hassan, et nous y porterons la mort et la désolation, va.

Orkan sort.

 

 

Scène II

 

OCTARD, ABDALA

 

ABDALA.

 Comment, étranger, tu as déjà quitté ta tente ? aurais-tu l’intention de m’accompagner à la chasse ?

OCTARD.

Les plaisirs de la jeunesse ne sont plus faits pour moi.

Avec intention.

D’autres soins m’occupent...

ABDALA.

Cette image de la guerre me rappelle des jours heureux... quand j’attaque le tigre, il me semble encore que je combats les Bédouins.

Mouvement très marqué d’Octard.

OCTARD.

Mais ne crains tu pas les chrétiens plus encore que les Bédouins ?

ABDALA.

Abdala ne crains rien !... les chrétiens combattent une nation, mais ils n’attaquent point un homme... ils renversent une armée, mais ils ne pillent point les voyageurs !... il n’y a que les Bédouins...

OCTARD, l’interrompant.

Jeune homme, il faut être un ennemi généreux !

ABDALA.

Tu as raison, je me laisse emporter par un mouvement irréfléchi... pourquoi cette tribu m’a-t-elle donné l’exemple de la haine ?... je pars, dis à mon père qu’avant le milieu du jour, je rentrerai dans nos tentes... te reverrai-je ? passe-tu cette journée parmi nous ?

OCTARD.

Demain seulement je regagnerai ma tribu...

ABDALA.

Adieu !

Il s’élance sur son chevalet s’éloigne.

 

 

Scène III

 

OCTARD, seul

 

Qu’il a bien laissé voir toute son inimitié contre ma tribu ! tu cours à ta perte ! en quelque lieu que tu portes tes pas, il y aura là des Bédouins !... si tu ne meurs pas de la main d’Octard, tu mourras du moins parce qu’il l’aura voulu.

 

 

Scène IV

 

HASSAN, OCTARD, MIRZA, FAMILLE d’Hassan

 

On sort des tentes.

HASSAN.

Mes enfants, voici bientôt l’heure de la prière, vous allez joindre vos vœux aux miens, pour la prospérité de l’Arabie et de la religion de Mahomet.

MIRZA.

Mais, Abdala ne parait point encore, mon père, sa tente est déserte, et cependant il aime à se trouver au milieu de sa famille, à cette heure sacrée du jour.

OCTARD.

Abdala, suivi de quelques hommes de cette tribu, a devancé le jour dans les plaines, pour surprendre le tigre...

MIRZA.

Dieu de Mahomet veille sur lui.

HASSAN.

Ne crains rien, ô Mirza, fille adoptée par mon cœur, future compagne de mon Abdala ; tu connais sa valeur et son adresse, que peux-tu redouter, les chrétiens ont attaqué Saladin, mais ils n’ont point encore tenté de conquêtes au désert ; que viendraient-ils faire dans nos misérables tentes, qui sans cesse reculeraient devant eux et les forceraient peut-être à s’ensevelir dans nos mers de sable.

OCTARD.

Tu connais mal les chrétiens, vieillard, ils ont déjà franchi l’espace qui sépare Ptolémaïs de l’Oasis d’Amrou.

MIRZA.

Mais, mon père, si les Bédouins...

HASSAN.

Au nom de tous les Arabes hospitaliers , j’ai fait une trêve avec eux.

OCTARD, à part.

Tu comptes sur la foi de tes ennemis, insensé, ta tribu sera détruite.

MIRZA.

On dit que leur chef Octard est sans pitié...

HASSAN.

Que nous importent ses cruautés ; nos Arabes sont armés de flèches comme les siens, et mon Abdala, mon brave Abdala les commande.

OCTARD, à part.

Abdala ! ah ! puisse le tigre qu’il poursuit déchirer le sein du vainqueur d’Octard.

HASSAN.

Mais, voici nos fidèles serviteurs.

À Octard.

Étranger, la religion de Mahomet est la tienne, veux-tu prier avec nous ?

OCTARD.

J’y consens, puisse le ciel exaucer mes vœux, Hassan, tu n’aurais plus rien à désirer.

Hassan va dans le fond du théâtre, monte sur un tertre élevé, toute sa famille s’agenouille autour de lui.

HASSAN, élevant ses bras vers l’Orient.

Dieu de l’Arabie, préserve la contrée, où naquit ton prophète, des vapeurs enflammées du Simoun et du joug des Européens. Tourne ta main puissante vers cette tribu ; que les vertus de famille et l’hospitalité s’y conservent à jamais, et à forts de la protection céleste, farouche Octard,

Mouvement d’Octard.

 nous ne craignons ni tes ruses, ni le nombre de tes soldats, Dieu seul est Dieu, et Mahomet est son prophète. Mes enfants, levez-vous.

Tous se lèvent dans un saint recueillement.

Ballet.

HASSAN.

Maintenant, allez rassembler les troupeaux, et guidez-les vers les sources de l’Istakar.

Il rentre avec Octard ; les serviteurs sortent de différents cotés.

 

 

Scène V

 

MIRZA, JEUNES FILLES

 

MIRZA.

Mes sœurs, il est temps de se mettre à l’ouvrage.

UNE JEUNE FILLE.

Dis nous un de ces chants que tu composas pour célébrer la gloire d’Abdala ?

MIRZA.

Air.

« Peuples, pasteurs de l’Arabie,
« Chantez, Hassan veille sur vous ;
« Mais quoi, le Bédouin impie
« Vient troubler des jours aussi doux.
« Jeunes filles, séchez vos larmes,
« Votre tendre ami reviendra ;
« Guerriers, comptez tous sur vos armes,
« Car votre chef, c’est Abdala.

Deuxième Couplet.

« Vous, pèlerins, qui de Médine
« Revenez de péchés absous,
« Ne craignez meurtre, ni rapine,
« Octard ne songe plus à vous.
« Il fuit ; son élite guerrière,
« Tous ces brigands qu’il commanda,
« Sont étendus sur la poussière,
« Et leur vainqueur, c’est Abdala.

MIRZA, se levant avec émotion.

Mais me trompai-je ! c’est le pas de son coursier que j’entends... Dieu... que vois-je ! ah ! mes sœurs ! un étranger qui ne porte point le turban... ah ! fuyons ! fuyons !...

Toutes se lèvent, emportant leur ouvrage et fuient vers les tentes d’Hassan.

 

 

Scène VI

 

Le sir de GEOFFROY blessé

 

Il est sur un cheval qui s’arrête de lui-même à l’aspect des tentes d’Hassan ; Geoffroy en descend péniblement, et le cheval s’élance en hennissant vers les tentes du fond.

GEOFFROY, le bras en écharpe.

Où suis-je ? chez les Arabes... au milieu des Bédouins peut être... n’importe, la fatigue et le besoin ne me laissent pas la force d’avancer.

Il tombe sur un banc.

 

 

Scène VII

 

GEOFFROY, HASSAN, ensuite MIRZA

 

HASSAM.

Chrétien, que viens-tu faire dans nos tentes ?

GEOFFROY.

J’y viens mourir, si tu es sans pitié.

HASSAN.

Tu es blessé, ah ! quoique ton armure m’annonce un ennemi de ma nation, tu es blessé, soit l’hôte d’Hassan, un Bédouin t’a-t-il porté le coup de lance qui semble avoir traversé con bras ?

GEOFFROY.

Généreux Hassan, je ne puis te dire si l’Arabe qui me frappa... c’était dans une mêlée... je volais au secours d’un... mais je me sens faible...

HASSAN, appelant.

Mirza ! Mirza !

MIRZA, arrivant.

Mon père !

HASSAN.

Cet étranger qui causa ta frayeur est malheureux, blessé, je le confie à tes soins ; tu connais la puissance de nos plantes salutaires.

Geoffroy entre sous les tentes, soutenu par la jeune fille.

 

 

Scène VIII

 

HASSAN, OCTARD

 

OCTARD.

Comment, enfant de Mahomet, tu donnes un asile à ce Chrétien ?

HASSAN.

Ne te l’ai-je point donné à toi-même, pourquoi veux-tu que nul ne repose sur la natte ou tu t’es reposé ?

OCTARD.

Mais il est chrétien.

HASSAN.

Il est homme.

OCTARD.

S’il reçut une blessure, c’est sans doute en combattant contre les tiens.

HASSAM.

Les Arabes hospitaliers n’attaquent point l’étranger isolé ; quelques Bédouins, errants sans doute, qui cherchent à se dis traire d’une trêve qui les fatigue.

OCTARD, à part.

Ah ! s’il est couvert du sang de mes Bédouins qu’il périsse.

Haut.

Hassan, ne dois-tu rien à ta patrie, à ta religion ; laisseras-tu reposer tranquille, au sein de ta famille, l’ennemi de ton peuple et de ton Dieu ; veux-tu attirer la malédiction du prophète sur les propres enfants ? Mahomet nous ordonne de frapper nos ennemis.

HASSAN.

Non quand ils dorment sous notre garde.

OCTARD.

Ce sont les Arabes qu’il blessa, qu’il faut secourir.

HASSAN.

Qu’ils viennent, mes tentes leur sont ouvertes ; les soins d’un hôte compatissant, les secours de Mirza et du sage Haroul, si puissant dans l’art de guérir, tout leur sera prodigué.

OCTARD.

Venge-les d’abord.

HASSAN.

Ce sont là les sentiments d’un Bédouin, non d’un Arabe hospitalier.

OCTARD.

Tu penses donc que je suis un Bédouin ?

HASSAN.

Peu m’importe ; si cela est, je veux l’ignorer, tu as habité au sein de ma famille.

OCTARD.

Oui, tu fus mon hôte et mon hôte généreux, mais je veux m’acquitter de tes bienfaits en immolant ton ennemi.

HASSAN.

Arrête, un pas de plus, tu es mort.

OCTARD.

Insensé, le sang d’un chrétien doit être si doux à voir couler pour les yeux d’un Arabe.

HASSAN.

Mais quel cortège sinistre s’avance vers nous, ce sont des pasteurs de cette tribu ; quel homme pâle et défiguré portent ils sur des branches de palmiers ?

UN ARABE.

Hassan, malheureux père, arme-toi de courage, voilà ton fils mourant que nous le rapportons.

HASSAN, allant vers son fils.

Abdala, mon cher Abdala !

OCTARD, à part.

Ô divin prophète, je te remercie, Octard est satisfait.

HASSAN.

Ô mon fils !

À un Arabe.

Hâtez-vous de vous rendre auprès du sage Haroul.

L’ARABE, à Octard.

Voici une arme que nous avons trouvée auprès du malheureux Abdala.

OCTARD.

C’est le fer d’un Européen ; Hassan, vengeras-tu ton fils, du moins ?... il meurt sous la main d’un chrétien, peut-être celui-là même à qui tu accordes des soins si généreux.

HASSAN.

Non, je ne puis le croire, mon Abdala, non, tu ne mourras pas.

 

 

Scène IX

 

HASSAN, OCTARD, MIRZA

 

ABDALA, d’une voix faible.

Mirza !

L’Arabe, envoyé pour chercher Haroul, le ramène avec lui ; c’est un vieillard presque courbé, avec une barbe et des cheveux blancs.

HASSAN.

Il respire encore, hâtez-vous, mes amis, transportez-le dans sa tente.

À Mirza.

Mirza, ma fille, reviens à toi.

Tous entrent dans les tentes d’Abdala.

 

 

Scène X

 

OCTARD, seul

 

Mahomet me seconde, en pourrais-je encore douter ; le héros des Arabes, ce jeune Abdala, devant qui j’ai pu fuir, entraîné par mes Bédouins en déroute, il meurt ; oui, Octard, en t’introduisant parmi tes ennemis, pour prendre une idée de leurs forces et de leurs ressources, tu étais loin de penser aux douces émotions de vengeance qui t’y attendaient ; mais, c’est peu d’être délivré d’Abdala, que toute leur tribu périsse, sans qu’il m’en coûte un guerrier ; il faut que cet Européen l’hôte d’Hassan, meurt sous les coups des Arabes hospitaliers, et que l’assassinat d’un chrétien excite tous les chrétiens à exterminer la tribu rivale de celle d’Octard.

 

 

Scène XI

 

OCTARD, HASSAN

 

HASSAN.

Haroul espère ; mon fils vient de se réveiller d’un long évanouissement, mais dans l’état de faiblesse où il se trouve, il serait dangereux qu’il parlât ; ainsi, nous ignorons encore quelle main homicide...

OCTARD.

Celle du chrétien que tu protèges, te dis-je ; regarde, le voilà, il est sans armes.

 

 

Scène XII

 

OCTARD, HASSAN, GEOFFROY

 

OCTARD, à Geoffroy.

À qui ce fer ?

GEOFFROY.

C’est mon épée.

 

 

Scène XIII

 

OCTARD, HASSAN, GEOFFROY, UN ARABE

 

L’ARABE.

Hassan, j’ai reconnu le coursier de ton fils parmi les autres ; il est encore couvert de sang, et les gardiens prétendent que cet étranger le montait lorsqu’il arriva dans la tribu !

HASSAN, à Geoffroy.

Serais-ta le meurtrier de mon fils ?

GEOFFROY.

Je ne connais point ton fils ; j’ai combattu dans le désert contre des lâches qui attaquaient un petit nombre d’hommes à peines armés ; j’ignore qui est tombé sous mes coups, mais cette épée est la mienne ; le coursier qui me guida vers ces lieux, s’offrit à moi sur le lieu du combat et appartient peut être à l’un de ceux que j’ai combattus ; pardonne, vieillard, je sens que tu dois me haïr ; mais cependant, plus je te regarde, plus je songe à tes vertus, et moins je comprends comment tu aurais pu donner la vie à un lâche.

OCTARD.

C’en est trop ! oses-tu calomnier encore celui que tu as assassiné !

GEOFFROY.

Assassiné ! Arabe, fais-moi périr dans les supplices, tu le peux, mais ne m’insulte pas.

OCTARD.

Égaré dans ta route par son coursier, tu vins, pour la punition de ton crime, te livrer toi-même au fer de nos lances. Fais du moins, avant de mourir, un aveu noble et franc, et ne cherche pas à racheter ta vie par un vil mensonge.

GEOFFROY, avec une fureur concentrée.

Hassan, cet homme est-il un des tiens ?

HASSAN.

Il est étranger à ma tribu.

GEOFFROY.

Eh ! bien, au jugement du dieu de l’univers, du dieu des Musulmans et des Chrétiens, laisse-moi le combattre corps-à corps, et le punir de son atroce calomnie.

OCTARD.

Ton destin est rempli, le mien ne l’est point encore ; que viens-tu me proposer, de combattre contre toi : tu ne dois plus tomber sous la main d’un guerrier, et ta vie désormais dépend de ton juge et non d’un adversaire.

Il sort.

 

 

Scène XIV

 

HASSAN, GEOFFROY

 

HASSAN.

Chrétien, avant que le sort de mon fils ne soit désespéré ; ayant que ton meurtre ne soit entièrement avéré, fuis ; tu vas peut-être me priver de mon Abdala, tu ôtes un espoir à ma vieillesse, un appui à ma nation, mais tu as reposé ta tête au sein de mes foyers, ta vie m’est sacrée ; fuis derrière ces tentes, tu trouveras un coursier qui te mènera à Ptolémaïs, où sont encore des frères d’armes.

GEOFFROY.

Non, Hassan, je ne fuirai pas ! ta vertu m’étonne et me terrasse ; mais il m’est impossible de profiter d’une générosité qui te méritera, peut-être, le blâme de tous les tiens.

HASSAN.

Pars, je suis le chef des Arabes hospitaliers.

GEOFFROY.

Tu regretteras, peut-être un jour, de n’avoir pas vengé ton fils.

HASSAN.

Je regretterais bien plus d’avoir immolé mon hôte.

GEOFFROY.

Non, je ne puis te quitter avec cette idée que le plus généreux des hommes me croit un lâche meurtrier.

HASSAN.

Tu te trompes, je ne le crois pas ; mon fils est tombé noblement sous tes coups... peut-être même, j’aime encore à le penser, il s’accumule sur la tête des preuves d’un meurtre dont tu es innocent, mais les circonstances, le hasard, tout t’accuse : pars. :

GEOFFROY, lui prenant la main, la baisant.

Généreux vieillard, ah ! si tu n’avais maudit, j’aurais cru entendre la malédiction de mon père ; va, je donnerais maintenant tout mon sang pour sauver les jours de ton fils.

HASSAN.

Mon fils ?

 

 

Scène XV

 

HASSAN, GEOFFROY, MIRZA

 

MIRZA, s’approchant d’Hassan.

Il est dans une crise qui va décider de sa vie ou de sa mort. Je ne sais, mais dans son transport, on l’entend mêler le mot de chrétien, au mot d’assassin.

HASSAN, avec un mouvement d’horreur.

Pars, étranger, pars, je suis encore ton hôte, mais dans un instant je ne serais plus que ton juge. Allons voir mon fils.

Ils rentrent dans les tentes d’Abdala, Geoffroy monte à cheval, s’éloigne triste et rêveur.

 

 

Scène XVI

 

OCTARD

 

Ce jeune chrétien ne peut plus échapper au supplice ; j’ai proclamé partout son meurtre, vrai, ou faux. Hassan même ne pourrait le sauver. Chrétien et tribu d’Hassan, vous allez combattre pour assouvir ma vengeance, chaque coup que vous porterez frappera mon ennemi.

 

 

Scène XVII

 

OCTARD, UN BÉDOUIN

 

OCTARD, au Bédouin.

Vas, cours auprès de l’Oasis d’Amrou, tu y trouveras les chrétiens.

LE BÉDOUIN.

Si Hassan me voit quitter ses tentes, que pensera-t-il, seigneur ?

OCTARD.

Le meurtre d’Abdala a jeté le trouble dans la tribu, on ne pense point à nous ; tu diras aux chrétiens qu’un des leurs va devenir la victime d’Hassan. Tu feras un tableau horrible des cruautés qu’on exerce envers cet étranger, pars.

Le Bédouin sort.

 

 

Scène XVIII

 

OCTARD, seul

 

Mon triomphe est assuré ; les chrétiens vont marcher sur la tribu d’Hassan, pour venger leur compatriote... ceux que les chrétiens épargneront, tomberont sous les coups de mes Bédouins.

 

 

Scène XIX

 

OCTARD, GEOFFROY, ARABES

 

Geoffroy est ramené par les Arabes, tumulte.

LES ARABES.

Voilà le meurtrier d’Abdala, qu’il périsse !

GEOFFROY.

Si j’ai frappé votre Abdala, frappez-moi de même ; mais épargnez-moi l’horreur de vos cris.

Quelques Arabes entrent dans la tente d’Hassan.

OCTARD.

C’est ton chant de mort qu’ils entonnent.

GEOFFROY.

Lâche ! tu viens insulter à mon malheur, va, je préfère encore ton insulte à ta pitié.

OCTARD.

Tribu d’Hassan, ce soir tu seras rayée des fastes de l’Arabie.

Il sort.

 

 

Scène XX

 

GEOFFROY, seul, prisonnier

 

Je vais mourir, sans doute, tout me l’annonce ; mais je ne regrette pas la vie, puisque je la perds pour avoir défendu la faiblesse. Je vois encore ce jeune Arabe, luttant presque seul contre ses nombreux ennemis, mais il était de mon devoir de le secourir.

 

 

Scène XXI

 

GEOFFROY, HASSAN, UN ARABE

 

L’ARABE.

Voici le coupable.

HASSAN.

Malheureux chrétien, le ciel se déclare contre toi ; je ne dois plus chercher à combattre ses augustes desseins, songe donc à te défendre.

GEOFFROY.

Quiconque ne se sent coupable d’aucun crime, n’a que l’équité de ses juges à implorer pour toute défense.

 

 

Scène XXII

 

GEOFFROY, HASSAN, LES ANCIENS DE LA TRIBU

 

Les Anciens de la tribu arrivent à pas lents, et se rangent en cercle.

UN VIEILLARD.

Que diras-tu pour te défendre ?

GEOFFROY.

On m’accuse d’être le meurtrier d’Abdala, je ne le connais point, et nulle raison d’inimitié n’a pu exister entre nous ; s’il s est vrai qu’il soit tombé sous mes coups, comme les preuves semblent l’attester, je ne cherche ni à le nier, ni même à m’en justifier, j’ai fait mon devoir... un jeune Arabe se défendait dans le désert, contre plusieurs hommes armés qui l’attaquaient... je me suis mis à ses côtés, j’ai combattu pour lui... si j’ai frappé ton fils, Hassan, c’est qu’il était parmi les assaillants... ton fils était coupable. Vieillards, je ne sais de quelle tribu était celui que je secourus, le nom de sa tribu ne peut me rendre innocent ou coupable, et cependant il fera sans doute ma perte ; vous allez me punir de ce qu’une action généreuse par elle-même a tournée contre l’un des vôtres.

UN VIEILLARD.

Jeune homme, Abdala fut incapable de ce dont tu l’accuses.

LE PEUPLE.

Qu’il périsse !

HASSAN.

Arabes, je ne connais plus votre générosité ordinaire ; songez que cet étranger fut mon hôte.

LE VIEILLARD.

Ils ne voient plus ‘en lui que le meurtrier de leur soutien, de leur défenseur, de notre Abdala ! 

HASSAN.

Chrétien, défends toi.

GEOFFROY.

Je n’ai rien à dire de plus.

LE VIEILLARD.

Nous connaissons les preuves qui l’accusent, allons aux voix.

LE PEUPLE.

Non, la mort.

HASSAN.

Arrêtez ! avant de prononcer, songez qu’Abdala n’a pu paraître dans ce jugement, ne précipitez rien, attendons.

Tous les vieillards se lèvent, passent l’un après l’autre auprès d’une petite urne, où ils déposent un caillou ; Hassan y va le dernier.

UN JUGE, vidant l’urne.

Six noires, une seule blanche... la mort !

Trois Arabe s’s’approchent de Geoffroy, et s’agenouillent l’arc tendu, non loin de lui ; Hassan détourne la vue.

HASSAN.

Malheureux, si je n’ai pu réussir à le sauver, épargnons-nous du moins l’horreur de son supplice ; allons chercher des consolations auprès de mon infortuné fils.

 

 

Scène XXIII

 

LES MÊMES, MIRZA, ABDALA

 

MIRZA.

Arrêtez ! voici Abdala !

HASSAN.

Mon fils !

Abdala est soutenu par Ouglou. Les trois Arabes se relèvent.

ABDALA, levant les yeux vers son père.

Quoi ! mon père !... vous allez punir un de mes meurtriers, où est-il

HASSAN.

Le voilà, mon fils.

ABDALA, apercevant Geoffroy qu’on lui indique.

Lui, grand dieu ! je ne me trompe pas, c’est lui !... c’est mon libérateur !

Il tend les bras à Geoffroy qui s’y précipite. Stupéfaction générale.

Tableau.

 

 

Scène XXIV

 

LES MÊMES, UN ARABE

 

L’ARABE.

Aux armes ! aux armes ! les chrétiens s’approchent.

D’autres Arabes, des femmes, des enfants s’élancent sur le théâtre.

TOUS.

Aux armes !

Tous les Arabes armés se rangent autour d’Hassan.

 

 

Scène XXV

 

LES MÊMES, LES CHEVALIERS CHRÉTIENS sont prêts à fondre sur les Arabes, Geoffroy s’étance au-devant d’eux

 

GEOFFROY.

Arrêtez, au nom de la France, arrêtez... chevaliers, voudriez-vous triompher d’un peuple paisible, hospitalier, qui, surpris à l’improviste, n’a pu même encore rassembler ses défenseurs.

RAYMOND.

Geoffroy, nous vous retrouvons ; nous accourions vous venger.

GEOFFROY.

Comment !

RAYMOND.

Un Arabe du désert est venu, de la part d’Octard, nous avertir qu’un chevalier Français allait périr, assassiné par les habitants de cette tribu.

Au Bédouin.

Tu nous as donc trompés ?

GEOFFROY.

Ah ! si vous connaissiez les vertus d’Hassan, les exploits de son fils, vous en voudriez pour vos alliés, non pour vos ennemis. Octard, le traître Octard, mérite seul votre haine.

Des pasteurs arrivent par la gauche du spectateur, en criant.

UN ARABE.

Derrière la colline du Simagar, on a vu les Bédouins arborer le drapeau de la guerre ; ils ont déjà attaqué nos pasteurs, et s’il faut en croire ces derniers, l’Arabe qui habitait encore ce matin parmi nous est à leur tête.

RAYMOND.

Noble Hassan, vos guerriers ne sont point encore rassemblés, votre fils, dont le renom est venu jusqu’à nous, n’est plus en état de combattre, comptez sur notre secours.

Les Chrétiens se cachent derrière et dans les tentes.

 

 

Scène XXVI

 

LES MÊMES, OCTARD, BÉDOUINS

 

OCTARD.

Me reconnais-tu, Hassan ? à quoi t’ont servi tes vertus hospitalières ? ce matin Octard était en ton pouvoir et tu l’as laissé échapper. Bas les armes ! il n’est plus temps de me résister. Ton fils ne peut plus commander à ta place, et les Chrétiens vont se joindre à moi pour venger la mort de leur compatriote ; soumets-toi, ils vont venir.

GEOFFROY, s’élançant d’une tente, l’épée à la main.

Oui, les voilà, mais c’est pour l’écraser.

Combat pendant lequel Geoffroy combat Octard. Abdala, soutenu par Mirza, guide ses soldats dans la mêlée. Les Bédouins sont vaincus. Octard est renversé par Geoffroy.

HASSAN.

Chrétiens, je vous dois eu un jour, la vie de mon fils et la conservation de ma tribu ; par quels services m’acquitterai-je envers vous ?

RAYMOND.

Tu ne nous dois rien, Hassan ; nous combattons pour la cause sainte, vous suivons la loi que dieu nous a donnée ; nous n’oublierons jamais que tes tentes ont servi d’asile à l’un de nos plus vaillants chevaliers ; je proclamerai ta bienfaisance dans nos camps, et nos armes, redoutables pour les ennemis de la foi, protégeront toujours ta tribu hospitalière.

Tableau.

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