L’Appartement à deux maîtres (Marc-Antoine-Madeleine DÉSAUGIERS)

Comédie-Vaudeville, en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 11 août 1811.

 

Personnages

 

VALSAIN, jeune officier, amant de Madame de Solange

MADAME DE SOLANGE, jeune veuve

MONSIEUR DUCLOS, oncle de Valsain

MADAME BERTRAND, propriétaire de maison

MONSIEUR DUTRECHT, marchand tapissier

GERMAIN, valet de Valsain

FINETTE, suivante de Madame de Solange 

DES PORTEURS, personnages muets

 

La scène se passe à Paris. Le théâtre représente un salon à moitié meublé. Trois portes sont dans le fond, et deux sur les côtés. Un secrétaire garni de papiers, plumes et encre est à la gauche du spectateur, une fenêtre à la droite.

 

 

 

Scène première

 

MADAME BERTRAND, seule à la fenêtre

 

Ah ! ah ! ce sont les meubles ? montez, mes amis... prenez garde au réverbère qui est au coin de l’escalier. Là... un peu à droite... C’est cela...

Revenant.

Voilà donc mon second occupé !... je le fais un peu payer, c’est vrai, mais le quartier est si beau, la vue si variée !... deux fenêtres sur la rue Cerutti, quatre sur le boulevard Italien, trois sur un jardin magnifique... et puis le plaisir d’un voisinage choisi que ne déparera pas ma nouvelle locataire... La petite bretonne est jeune et jolie... et la tournure de ses gens me confirme dans l’opinion que j’avais d’elle. C’est une femme comme il faut, très comme il faut, et c’est à quoi doit tenir une propriétaire qui veut achalander sa maison.

Air : de contredanse.

De peur de danger
Ne pas loger
Un étranger
Sans exiger
De sa naissance,
Connaissance,
Et ne vouloir
En recevoir
Que d’un grand nom
Ou d’un grand ton,
C’est la manière
De bien faire
Une maison.
Voit-on
Bogkey, calèche ou phaéton
La nuit, le jour
Sortir tour à tour
Et rentrer dans la cour ?
Soudain,
Le lendemain,
De grand matin
Passant, voisin
S’informent du bel
Hôtel.
Voilà
Votre maison qui va
Qui va,
Et c’est déjà
À qui la verra,
La louera,
L’habitera ;
Bientôt,
Du bas en haut,
Vos logements,
Petits et grands,
Quelque soit leur prix,
Sont pris.

De peur de danger, etc.

 

 

Scène II

 

MADAME BERTRAND, GERMAIN, FINETTE, DES PORTEURS

 

GERMAIN.

Nous y voici. Le secrétaire de ce côté.

FINETTE.

Par ici la toilette.

GERMAIN.

Bien, mes enfants ; maintenant allez chercher le piano, et à votre retour, je vous donnerai de quoi boire à ma santé ! allez.

Les porteurs sortent.

MADAME BERTRAND.

Un piano ! madame est donc musicienne ?

FINETTE.

Ah ! c’est vous, madame Bertrand... Oui, sans doute elle est musicienne, et elle n’aura pas été un mois à Paris, que tous les concerts la réclameront. Vous l’entendrez.

MADAME BERTRAND.

Je m’en fais d’avance un plaisir, car telle que vous me voyez, je rat folle de musique, je me rappelle même encore certains airs d’opéra-comiques, qu’autrefois je chantais d’une manière peu commune, j’ose le dire ; mais où j’excellais, c’est dans l’air : barbare amour... mon mari m’accompagnait de la flûte, et quand nous arrivions à ce point d’orgue... vous savez... nous étions couvert d’un brouhaha d’applaudissements qui empêchait d’entendre le reste. Mais, dites-moi, madame joue donc aussi du violon ?

GERMAIN.

Du violon ?

MADAME BERTRAND.

Oui, j’en ai vu apporter un hier.

GERMAIN, faisant des signes à Finette.

C’est son mari.

MADAME BERTRAND.

Son mari ! je croyais quelle était veuve.

GERMAIN.

Nous aussi, mais monsieur est ressuscité.

MADAME BERTRAND.

Bah !

GERMAIN.

Oui, vraiment, je l’ai rencontré samedi dernier, revenant de l’armée, où il avait été laissé pour mort sur le champ de bataille.

MADAME BERTRAND.

Le pauvre cher homme !

FINETTE.

Et dans la crainte que la nouvelle d’un événement aussi heureux, annoncée trop brusquement ne produisît sur madame une révolution... car vous sentez qu’une femme qui s’est vue dix-huit mois veuve, et qui retrouve tout-à-coup son mari...

MADAME BERTRAND.

Oh ! c’est fait pour saisir, c’est fait pour saisir.

FINETTE.

Nous sommes donc convenus de ne lui en rien dire, jusqu’à ce que nous l’ayons préparée par degré à cette apparition inattendue.

GERMAIN.

Et nous ne doutons pas que votre discrétion à cet égard n’égale la nôtre.

MADAME BERTRAND.

Vous me rendez justice... Cependant, dites-moi, la reconnaissance tardera-t-elle beaucoup ?

GERMAIN.

Vingt-quatre heures tout au plus, puisque son mari emménage ici comme elle, et qu’il est difficile d’habiter longtemps le même appartement sans se voir.

MADAME BERTRAND.

J’aurais pourtant eu bien du plaisir à lui porter moi-même cette heureuse nouvelle... le veuvage est une chose si triste ! Mais voyez donc l’heureuse résurrection !

Air : Com’ ça vient, com’ ça passe.

Cela tient du prestige...
Quel bonheur, si feu mon mari
Par le même prodige
Pouvait ressusciter aussi.

GERMAIN.

Vous vous plaignez du veuvage
Mais un jour il peut finir...

MADAME BERTRAND.

Ah ! mes enfants, à mon âge
Tenir vaut mieux que courir.

ENSEMBLE.

Cela tient du prestige, etc.

FINETTE.

Vous nous entendez bien,
Ne dites rien.

MADAME BERTRAND.

Eh ! non, vous dis-je
Je sais quand il le faut
Ne pas dire un seul mot...
De trop !
Mais pouvoir revoir encor
Un mari qu’on croyait mort,
Quel effet
Cela vous fait !
Ah ! c’est (bis)
Ah ! c’est pour en mourir
De plaisir.

ENSEMBLE.

Cela tient du prestige,
Quel bonheur si feu { mon mari, etc.
                                { son

 

 

Scène III

 

FINETTE, GERMAIN

 

FINETTE.

Eh ! bien, Germain, que penses-tu de cette résurrection ?

GERMAIN.

Eh ! bien, Finette, qu’en penses-tu toi-même ?

FINETTE.

Ce que nous faisons est d’une hardiesse !...

GERMAIN.

J’en conviens... mais sans ce petit coup de tête, plus de Germain pour Finette, plus de Finette pour Germain.

FINETTE.

Pour accélérer l’union de nos maîtres, et par conséquent la nôtre, les marier de notre autorité privée, et les loger à leur insu, dans le même appartement.

GERMAIN.

Le grand mal !... Monsieur Valsain à peine arrivé à Paris, où sa maîtresse ne l’avait précédé que d’une semaine, au plus, ne m’a-t-il pas ordonné de retenir un logement dans la maison quelle habiterait, pour être plus à portée de la voir à chaque instant du jour...

FINETTE.

Je le sais, il n’y en avait plus de vacant.

GERMAIN.

Je n’avais donc rien de mieux à faire pour remplir ses vues que de le supposer mari de madame de Solange, et confondre les meubles qu’il m’avait chargé d’acheter pour lui avec ceux que tu achetais pour elle ; trait de génie sublime qui ne manquera pas, d’après le faible reconnu de ta maîtresse pour mon maître, d’entraîner leur mariage...

FINETTE.

Ou notre congé.

GERMAIN.

Oui, je conçois qu’une âme étroite, en pareille circonstance, hésiterait, craindrait, calculerait... mais celle de Germain...

FINETTE.

Sort de la sphère commune.

GERMAIN.

Tu l’as dit. De quoi diable aussi ta maîtresse, femme charmante, sans doute, et par conséquent capricieuse, s’avisait-elle, au moment d’épouser mon maître, de changer tout-à-coup d’avis et de le planter là, la veille du mariage ?

FINETTE.

Le lendemain passe, n’est-ce pas ?

GERMAIN.

Sans doute, cela se voit tous les jours.

FINETTE.

C’est la maudite légèreté de ton maître qui a causé tout le mal ; je lui avais prédit vingt fois ce qui vient de lui arriver, mais il n’a jamais voulu me croire, et si tu t’en souviens encore, la dernière infidélité qu’il nous a faite était d’une inconséquence...

GERMAIN.

Elle a été le signal de notre séparation.

FINETTE.

Que de larmes j’ai vexées, en l’annonçant ce funeste départ !

GERMAIN.

Je t’ai payée de la même monnaie.

FINETTE.

Je l’ai crue fausse un instant.

GERMAIN.

Fausse ? ah Finette ! si j’avais le temps de te peindre l’état de mon cœur à ce terrible moment... Mais voyons d’abord l’état des meubles.

Il tire un papier de sa poche.

FINETTE.

Bah ! ils sont payés...

GERMAIN.

Oui, les tiens... mais les nôtres...

FINETTE.

Ils sont encore dus !

GERMAIN.

Hélas ! oui, et monsieur Dutrecht est un créancier impitoyable.

FINETTE.

Qu’importe ! le plus pressé est de si bien répandre dans la maison, et même dans le quartier, le bruit du mariage de nos maîtres, qu’ils ne puissent plus se séparer sans un éclat, un scandale, dont l’idée seule épouvantera madame de Solange, et la décidera à ne rien défaire de tout ce que nous aurons fait.

GERMAIN.

Bien raisonné, notre mensonge devient réalité.

FINETTE.

Nos maîtres se marient.

GERMAIN.

Nous suivons leur exemple.

FINETTE.

Arrive le jour des noces...

GERMAIN.

Que termine un superbe festin.

FINETTE.

J’en fais les honneurs.

GERMAIN.

Le sein paré du bouquet nuptial.

FINETTE.

Et toi la tête décorée.

GERMAIN.

Ah ! quelle aimable perspective !

FINETTE.

Mais avant tout faisons nos conditions.

Air : le Premier Pas.

Abjures-tu ta soif inextinguible,
Buveur insigne et pour tel reconnu ?

GERMAIN.

Je jure au vin une haine invincible.

FINETTE.

Ah ! c’est trop fort, mon cher, à l’impossible
Nul n’est tenu. (bis)

GERMAIN.

Me promets-tu d’être toujours sensible,
Toujours fidèle au traité convenu.

FINETTE.

Oui, je te jure un amour... infaillible.

GERMAIN.

Ah ! c’est trop fort, ma chère, à l’impossible
Nul n’est tenu. (bis)

Mais j’oublie avec toi cette lettre de mon maître pour son oncle.

FINETTE.

Celui dont il doit un jour avoir la fortune ?

GERMAIN.

Qu’en attendant il mange en détail.

FINETTE.

Sais-tu ce qu’il lui marque ?

GERMAIN.

Il l’invite à venir le voir

FINETTE.

À venir le voir !... Cet oncle va tout gâter, attends à demain.

GERMAIN.

Impossible, il nous apportera de l’argent.

FINETTE.

Mais s‘il voit ma maîtresse ?

GERMAIN.

Tâche de l’éloigner.

FINETTE.

Par quel moyen ?

GERMAIN.

Ma foi...

FINETTE.

Ah ! mon dieu ! je l’entends, c’est elle !

GERMAIN.

Je me sauve par le petit escalier.

FINETTE.

Où l’enverrai-je ?

GERMAIN.

Au bal, au spectacle...

FINETTE.

Et si elle s’y refuse ?

GERMAIN.

Au diable.

Il sort par une porte latérale.

FINETTE.

Ah ! Finette, Finette dans quel guêpier t’es-tu fourrée ?

 

 

Scène IV

 

MADAME DE SOLANGE, FINETTE

 

MADAME DE SOLANGE.

Enfin, me voici chez moi !... bon dieu ! quel univers que ce Paris !... quel tourbillon ! quelle affluence !... j’ai cru que je n’arriverais jamais.

Elle va ouvrir le secrétaire et y dépose une bourse.

FINETTE.

C’est comme la rade de Brest, madame, un flux et reflux continuel.

MADAME DE SOLANGE.

Spectacles, promenades, édifices, tout y séduit, tout y transporte... Ah ! ma patrie, ma pauvre patrie, qui figurez si mal auprès c’e la capitale du monde, je crains bien que vous n’ayez reçu mes éternels adieux.

FINETTE.

Éternels !...

MADAME DE SOLANGE.

Cela te surprend, Finette ? rien n est pourtant plus vrai.

Duo nouveau de Doche.

Oui, c’est un parti pris
Je me fixe à Paris,
Au sein des ris
Tout y plaît, tout enivre.

FINETTE.

Dans ce séjour divin,
Regret ennui, chagrin
Voudraient en vain
De leurs traits nous poursuivre.

MADAME DE SOLANGE.

Et quand au plaisir tout s’y livre
Se reléguer dans un climat lointain,
Je soutiens que ce n’est pas vivre.

MADAME DE SOLANGE et FINETTE.

Non, ce n’est pas vivre (bis)

MADAME DE SOLANGE.

Spectacles, bals et concerts.

FINETTE.

Billet doux, en prose en vers.

MADAME DE SOLANGE.

Laquais, chevaux et Wyskis...

FINETTE.

Bien ou mal acquis
À Paris on a tout, on a tout, et je dis
Que Paris pour mon sexe est un vrai paradis.

MADAME DE SOLANGE et FINETTE.

Oui, c’est un paradis.

MADAME DE SOLANGE.

Que voit-on à Brest ma patrie ?
Une mer souvent en furie.

FINETTE.

Des vaisseaux qu’à la voile on met
Encor, si le temps le permet.

MADAME DE SOLANGE.

Des calmes plats ou des tempêtes.

FINETTE.

Des joueurs, de mauvaises têtes.

MADAME DE SOLANGE.

Des amateurs toujours rêvant.

FINETTE.

Et des maris le plus souvent,
Ou riant, ou jouant, ou fumant, ou buvant ;
Ah ! pour une femme
Qui n’a pas vingt ans,
Voilà sur mon âme
Un beau passe-temps. (ter)
Non, à Paris tout nous réclame.

MADAME DE SOLANGE.

À Paris tous les jours sont beaux.

FINETTE.

À Paris on fait des cadeaux.

MADAME DE SOLANGE.

À Paris, les jeux se succèdent.

FINETTE.

À Paris, les hommes nous cèdent.

MADAME DE SOLANGE.

Bref, le temple du goût, des talents et des ris.

ENSEMBLE.

C’est Paris ! c’est Paris ! c’est Paris ! c’est Paris !
C’en est fait, c’en est fait, c’est un parti bien pris,
C’est un parti bien pris
Nous restons à Paris.

FINETTE.

Ainsi, voilà Brest décidément oublié, disgracié...

MADAME DE SOLANGE.

Oh ! très décidément.

FINETTE.

Et ses habitons sont-ils tous compris dans la proscription ?

MADAME DE SOLANGE.

Je n’en connais pas un à comparer pour l’esprit, la galanterie, la tournure, à ceux de cette ville enchanteresse.

FINETTE.

Pas un, c’est beaucoup dire, et si j’osais vous citer...

MADAME DE SOLANGE.

Oh ! la jolie toilette !

Elle arrange ses cheveux devant le miroir.

FINETTE.

Mais vous m’avez interdit son nom. Pauvre jeune homme !

MADAME DE SOLANGE.

Aurais-je mon chapeau ce soir ?

FINETTE.

Oui, madame... modeste, sensible, généreux.

Elle regarde la bague qu’elle a au doigt.

MADAME DE SOLANGE.

Et mon piano ?...

FINETTE.

Vous l’aurez ce matin, madame. Avec quelle grâce il portait l’uniforme, et comme ce panache flottant annonçait bien un favori de Mars ! s’être brouillée avec lui si subitement !...

MADAME DE SOLANGE.

Ce pauvre Valsain t’intéresse donc bien fort ?

FINETTE.

Ah ! madame, quel prodige ! c’est la première fois, depuis notre arrivée, que j’entends son nom s’échapper de votre bouche.

MADAME DE SOLANGE.

Point d’observation, mademoiselle... Comme il a dû être surpris d’un aussi brusque départ.

FINETTE.

Surpris ?... Dites accablé, foudroyé ; et je ne serais pas étonnée que nous le vissions au premier jour.

MADAME DE SOLANGE.

Depuis que je suis à Paris, n’a t-il pas eu vingt fois le temps d’arriver, de tomber à mes genoux, d’y implorer un pardon que j’aurais peut-être eu la faiblesse de lui accorder ; car je l’aimais au moins ; et sans l’exemple de ma cousine, qui se repentit au bout de quatre mois d’avoir épousé le colonel Dorsey, ami de Valsain et à-peu-près du même caractère, j’aurais une seconde fois immolé ma liberté... Mais j’ai réfléchi fort à propos, et je me suis bien promis de rester fidèle au nom de l’époux qui pendant six ans avait fait mon bonheur.

Air : du Doche.

Nos deux cœurs formés l’un pour l’autre
N’eurent jamais qu’un sentiment ;
Dans un siècle tel que le nôtre
Prodige vraiment est surprenant.
Non, non, je n’ose plus prétendre
À ces beaux jours trop tôt finis
Un bon époux est un phénix
Qui ne renaît pas de sa cendre.

FINETTE.

Ah ! mon dieu ! moi qui oubliais de vous remettre cette lettre.

MADAME DE SOLANGE, saisissant vivement la lettre.

De Valsain ?... Donnez donc ?

Elle décacheté la lettre.

Non...

D’un ton piqué.

Il a très bien fait de ne pas m’écrire... Il se doute bien que sa lettre serait mal reçue. Elle est de madame Dorville... Elle me propose une loge à l’Opéra pour ce soir ? j’accepte. Elle demande réponse ?... je vais la lui faire. Concert ce matin, spectacle le soir, bal de nuit ! c’est charmant ! c’est enchanteur !

Elle écrit.

FINETTE.

Il est malheureux que l’isolement où le veuvage vous laisse, ne vous permette pas de vous livrer entièrement à tous les plaisirs de votre âge. Le monde est si méchant !... Au lieu qu’une jeune femme présentée par son mari peut chanter, rire, danser partout où bon lui semble, sans que personne puisse y trouver à redire.

Air : du Roi et le Pèlerin (de Darondeau.)

Un époux est souvent un maître,
Mais il est toujours notre appui,
Sans nous, il peut tout se permettre
Et nous ne pouvons rien sans lui. (bis)
Fut-il vieux et d’humeur jalouse
N’y regardons pas de si près ;
Tel qu’il est d’abord on l’épouse
Et, s’il se peut, on l’aime après.

MADAME DE SOLANGE.

Porte vite cette réponse à madame Dorville, et tu me rapporteras, en revenant, le chapeau que j’avais commandé.

FINETTE.

J’y cours, madame ;

À part.

mais si pendant mon absence notre second locataire survenait... il n’est pas encore temps.

Haut.

Madame va donc rester seule ?

MADAME DE SOLANGE.

Pourquoi pas ?

FINETTE.

C’est que s’il vient quelqu’un...

MADAME DE SOLANGE.

Je recevrai. D’ailleurs, qui puis-je attendre ? tu sais que je ne connais encore personne dans cette ville.

FINETTE, à part.

La connaissance serait bientôt faite.

MADAME DE SOLANGE.

Vas donc et reviens vite.

FINETTE.

J’obéis.

À part.

Ma foi laissons aller les choses... Si on prévoyait tout, ou ne ferait jamais rien.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

MADAME DE SOLANGE, seule

 

Elle regrette Valsain... Mais au fond a-t-elle tort ? Elle a souvent eu à se louer de sa générosité, et moi, je n’aurais jamais eu à me plaindre de sa conduite sans cet esprit de légèreté... Ah ! Valsain, Valsain, que ne m’est-il permis de douter encore de votre inconstance... mais ces lettres qu’on m’a remises à Brest et où vous adressiez à d’autres les mêmes serments... Voilà les hommes ! Aussi plus j’y pense, plus je m’applaudis du parti que j’ai pris, et je suis bien décidée à ne plus retomber dans le piège auquel j’ai eu le bonheur d’échapper.

Air : Ah ! que de chagrins dans la vie.

Valsain dans les champs de la guerre
Combattit toujours vaillamment ;
Pourquoi le plus franc militaire
Était-il si perfide amant ?
Mais ma retraite a su venger la gloire
De mon sexe par lui trahi...
Car c’est pour nous remporter la victoire
Que de fuir devant l’ennemi.

 

 

Scène VI

 

MADAME DE SOLANGE, DUTRECHT

 

DUTRECHT.

J’ai bien l’honneur d’être le très humble serviteur de madame. Madame a-t-elle passé la nuit chez elle ?

MADAME DE SOLANGE.

Oui, monsieur. Pourquoi cette demande ?

DUTRECHT.

Madame a-t-elle bien dormi ?

MADAME DE SOLANGE, à part.

Quel est cet original ?

DUTRECHT.

Du sommeil le plus profond, je gage ? j’en étais sur...

À part.

édredon superfin...

Haut.

et le ciel, comment madame l’a-t-elle trouvé ?

MADAME DE SOLANGE.

Le ciel !

DUTRECHT.

Il est mon ouvrage, et comme c’est la première chose qu’on voit en s’éveillant, j’ai voulu que l’azur de son reflet venant flatter agréablement votre imagination...

MADAME DE SOLANGE.

De grâce, monsieur, de quoi me parlez-vous, et ou voulez vous en venir ?

DUTRECHT.

Et la toilette ? Et la glace roulante ne sont elles pas des chefs-d’œuvre de délicatesse et dégoût.

MADAME DE SOLANGE.

Ah ! Monsieur serait-il ?...

DUTRECHT.

Précisément, Madame, Dutrecht tapissier de père en fils depuis un siècle.

Air : De la sauteuse.

Dans mon magasin
Surnommé le berceau des modes,
J’ai soir et matin
Presque tout le quartier d’Antin.
Chez moi lit, fauteuil,
Sofa, secrétaires, commodes,
Soit dit sans orgueil
Séduisent du premier coup d’œil.
La ville et la cour
Ne se mirent que dans mes glaces ;
Je tiens tour à tour
Tables de nuit, bonheurs du jour.
J’ai de plus rideaux,
Tables de bouillotte à deux faces,
Consoles trumeau
Et tapis en poils de chameaux.
La grâce est surtout
La qualité dont je me pique
Et je suis partout
Vanté pour mon excellent goût.
De mon acajou
L’éclat est d’un effet magique,
Aussi ne sais-je où
L’on trouverait pareil bijou.
Têtes de griffons,
Cornes de chèvres, cols de cygne,
Griffes de lion,
J’ai tout cela dans ma maison,
Et je ne vois point
Un seul confrère qui soit digne
D’être sur ce point,
Mon maître et même mon adjoint,
Je leur fais la loi,
Et sans médire
Je puis dire
Qu’aucun n’a ma foi,
Des pieds de biche comme moi.

MADAME DE SOLANGE.

Avez-vous fini, monsieur.

DUTRECHT.

Oui, madame.

MADAME DE SOLANGE.

Puis-je savoir, maintenant, le motif qui me procure le plaisir de vous voir ?

DUTRECHT.

Il est un peu intéressé puisqu’il faut vous le dire.

MADAME DE SOLANGE.

Comment donc n’avez vous pas été payé.

DUTRECHT.

Oui, madame...

MADAME DE SOLANGE.

À la bonne heure, et je vous crois trop honnête homme...

DUTRECHT.

À moitié, madame, à moitié.

MADAME DE SOLANGE.

Comment ?

DUTRECHT.

Oui, madame votre femme de chambre a payé comptant tout ce quelle a pris chez moi ; mais tout ce que j’ai fourni à monsieur votre mari...

MADAME DE SOLANGE, riant.

À mon mari, dites-vous ?

DUTRECHT.

Oui, madame, à lui même. Vous riez ? C’est fort bien ; mais j’espère que cela ne souffrira pas de difficultés ?

MADAME DE SOLANGE.

Il en existe pourtant une petite.

DUTRECHT.

Et laquelle, s’il vous plaît ?

MADAME DE SOLANGE.

C’est que je ne me connais pas de mari.

DUTRECHT.

Ah ! Madame n’est pas mariée ?

À part.

Je vois ce que c’est. Raison de plus pour me tenir sur mes gardes

Haut.

mariée ou non, madame, j’espère que vous reconnaîtrez la dette ?

MADAME DE SOLANGE.

C’est ce qui vous trompe, monsieur... je ne la reconnais pas.

DUTRECHT.

Et moi, je reconnais mes meubles. En voici la facture qui se munie à douze cents francs, et je ne sors pas d’ici que je ne sois payé.

MADAME DE SOLANGE.

Monsieur, savez-vous bien que ce ton là ?...

DUTRECHT.

Vous déplaît ?... J’en suis très fâché, mais certainement je ne suis pas d’humeur à souffrir des querelles qui ont pu survenir entre monsieur et madame, depuis l’époque où j’ai fourni mes meubles, ce qui est acheté est acheté.

MADAME DE SOLANGE.

Cet homme extravague... Finette ?...

DUTRECHT.

Ah ! vous pouvez appeler, je ne sortirai pas sans mon argent.

MADAME DE SOLANGE.

Finette ? Madame Bertrand ?

 

 

Scène VII

 

MADAME DE SOLANGE, DUTRECHT, GERMAIN

 

GERMAIN.

Eh ! bien, pourquoi donc ce bruit ?

À part.

Hai ! hai ! madame de Solange ! dissimulons.

DUTRECHT.

Eh ! tenez, madame, voici l’homme à qui j’ai livré ma marchandise.

MADAME DE SOLANGE.

Germain ici ?

GERMAIN.

Enfin c’est madame de Solange que j’ai l’honneur de saluer ?

MADAME DE SOLANGE, à Germain.

Monsieur Valsain serait-il à Paris ?

GERMAIN.

Eh ! madame, aurait-il pu vivre éloigné de vous ?

DUTRECHT.

Non, sans doute, mais mon argent...

GERMAIN.

Avec quelle rigueur vous l’avez traité ! est-ce ainsi que vous deviez payer son amour ?

DUTRECHT.

Et vous, est-ce ainsi que vous payez mon mémoire.

GERMAIN, bas à Dutrecht.

Eh ! mon dieu, monsieur Dutrecht, votre mémoire sera acquitté demain... Mais sortez ou vous allez tout gâter.

DUTRECHT.

Tout gâter !...

GERMAIN.

Eh ! sans doute ; ne voyez vous pas que c’est une surprise que mon maître veut ménager à sa femme.

DUTRECHT.

À sa femme ! madame dit qu’elle n’est pas mariée.

GERMAIN, embarrassé.

Elle dit...

Riant.

Ah ! monsieur Dutrecht pour un homme du monde, permettez-moi de vous due... Elle n’est pas mariée ? Vous ne voyez donc pas ?

DUTRECHT.

Je ne vois pas... Je ne vois pas mon argent.

GERMAIN.

Air : Du pas redoublé.

Eh ! bien vous le verrez tantôt
Mais sortez et pour cause.

DUTRECHT.

Votre parole, il me la faut...

GERMAIN.

C’est bien la moindre chose.

DUTRECHT.

Oui, mais est-ce de bonne foi ?

GERMAIN.

La meilleure du monde

DUTRECHT.

Que le ciel vous entende

GERMAIN, le mettant à la porte.

Et toi
Que l’enter te confonde.

 

 

Scène VIII

 

MADAME DE SOLANGE, GERMAIN

 

GERMAIN.

Pardon, mille fois pardon, madame, de la scène désagréable qu’une méprise vient de vous occasionner. Mon maître n’ayant pu supporter l’idée de vivre séparé de vous, vous a suivie à Paris, et le sort, qui, sans doute, le favorisait, a voulu qu’il vint louer un appartement dans la maison même que vous habitez.

MADAME DE SOLANGE.

Comment ! Valsain loge dans ma maison ?

GERMAIN.

Sans doute, madame, de là le quiproquo de monsieur Dutrecht, notre tapissier commun ; trompé par le rapport des circonstances, il vous a de son autorité privée, mariée à mon maître qui donnerait tous les trésors du monde, pour qu’une aussi douce erreur eût un instant de réalité,

MADAME DE SOLANGE.

Valsain est à Paris ? je reconnais bien à sa tête.

GERMAIN.

Dites son cœur. Mais le voici lui-même. Je viens de lui apprendre que vous étiez sa voisine et il accourt pour vous en témoigner son ravissement.

MADAME DE SOLANGE.

Il sera mal reçu.

À part.

Quoiqu’il m’en coûte un peu, mais je dois punir son audace.

 

 

Scène IX

 

MADAME DE SOLANGE, GERMAIN, VALSAIN

 

VALSAIN, regardant l’appartement.

C’est bien, très bien.

GERMAIN.

Monsieur est content ?

VALSAIN.

Oui, tu as fait preuve de goût.

GERMAIN, à part.

Et d’adresse !

VALSAIN.

Et tu es bien sûr que madame de Solange loge dans cette maison ?

GERMAIN, bas à Valsain.

Si j’en suis sûr ?... Mais regardez donc... La voilà.

VALSAIN, bas à Germain.

Chez moi ? c’est charmant !

Haut.

Ah ! madame, qu’il n’est doux de me revoir si près de vous, au moment où je craignais de vous avoir perdue pour toujours.

MADAME DE SOLANGE, froidement.

Je vous salue, monsieur.

GERMAIN, à part.

Les voilà lancés ; gare l’explication !

VALSAIN.

Je suis désespéré de ne m’être pas trouvé chez moi à votre arrivée.

MADAME DE SOLANGE.

Qu’auriez-vous donc fait ?

VALSAIN.

J’aurais volé au devant de vous. Germain, un fauteuil à madame.

MADAME DE SOLANGE.

Je suis très bien

À part.

il fait les honneurs de ma maison.

VALSAIN.

J’aime à croire que vous ne m’avez pas attendu longtemps.

MADAME DE SOLANGE.

Moi, monsieur, je ne vous attendais pas du tout.

GERMAIN, bas à Valsain.

Elle voulait donner un coup d’œil à votre logement... glissez là-dessus.

MADAME DE SOLANGE.

Je suis même très surprise de la témérité que vous avez eue de me suivre à Paris. Mon départ de Brest aurait dû vous faire connaître mes sentiments à votre égard.

VALSAIN.

Il est vrai, mais ils n’ont rien changé aux miens, et le soin que j’ai eu de venir loger dans cette maison vous le prouve assez.

MADAME DE SOLANGE.

Vous m’avouerez, monsieur, qu’il y a plus que de la hardiesse à venir habiter la maison même que j’occupe. C’est une tyrannie, et si vous ne discontinuez vos visites, vous me forcerez encore à quitter ce logement.

VALSAIN.

Mais, madame, de quoi vous plaignez-vous donc ? je n’ai pas encore pris la liberté de me présenter chez vous, quoique nous ne soyons séparés peut-être que par un étage, car j’habite le second, et vous ?

MADAME DE SOLANGE.

Le second aussi.

GERMAIN, vivement.

Oui, monsieur et madame logent sur le même carré.

VALSAIN.

Se pourrait-il ?

MADAME DE SOLANGE.

Fort bien ! jouez la surprise, monsieur.

VALSAIN.

Je vous jure que j’ignorais...

MADAME DE SOLANGE.

Dès demain je quitte cette maison.

VALSAIN.

J’en fais autant.

MADAME DE SOLANGE.

Je vais loger à l’extrémité de la ville.

VALSAIN.

Je vous y suivrai.

MADAME DE SOLANGE.

Quoi ! monsieur, vous oseriez...

VALSAIN.

M’attacher à vos pas, jusqu’à ce que je sois parvenu, à force de soins, d’instances, de prières, à vous ramener au premier sentiment que j’eus le bonheur de vous inspirer.

Air nouveau du Doche.

Je crois encore au sort flatteur
Qu’en vous tout semblait me promettre,
Si cette espoir est une erreur,
Daignez au moins me la permettre ; (bis.)
J’abjure enfin, pour être heureux,
Ces feux qui n’ont qu’une étincelle...
Le plaisir dit : sois amoureux,
Mais le bonheur dit : sois fidèle.

MADAME DE SOLANGE.

Je connais la divinité
À qui votre cœur sacrifie,
Et je ne puis en vérité
Croire à tant de philosophie. (bis.)
À votre sexe ambitieux
De conquérir la plus rebelle,
Le plaisir dit : sois amoureux,
La vanité : sois infidèle.

VALSAIN.

Quelques soient vos préventions contre moi, tant que votre main sera libre, rien ne pourra m’empêcher d’y prétendre.

MADAME DE SOLANGE.

Il serait plaisant que monsieur eût formé le projet de m’épouser malgré moi : l’on n’a pas d’exemple de cette importunité ; laissez-moi, monsieur.

GERMAIN, à part.

Voilà l’instant que je redoutais.

MADAME DE SOLANGE.

J’attends quelqu’un ce matin... J’ai à écrire... il faut que je sorte à l’instant même...

VALSAIN, lui offrant la main.

Je ne prétends pas vous retenir ; mais souffrez que je vous conduise...

MADAME DE SOLANGE.

J’irai bien seule.

VALSAIN.

De grâce...

MADAME DE SOLANGE.

C’est inutile vous dis-je.

VALSAIN.

Puisque vous l’exigez...

Il fait un profond salut à madame de Solange, qui le lui rend et chacun d’eux reste à sa place, attendant que l’autre s’en aille.

Trio.

Air : Adieu Marton. (de l’Épreuve villageoise.)

MADAME DE SOLANGE.

Adieu monsieur.

GERMAIN, à part.

Hélas ! je tremble.

VALSAIN.

Adieu, madame,
Il faut nous séparer, et bannir tout espoir ;
Mais si pour vous j’éteins ma flamme,
Au moins, cruelle femme,
Daignez accorder à mon âme,
La liberté de vous revoir.

GERMAIN, bas à madame de Solange.

Si vous restez (bis) il va parler jusqu’à ce soir.

MADAME DE SOLANGE.

Chez moi je ne puis vous admettre,
Si vous ne voulez me promettre
De ne plus me parler d’amour.

VALSAIN.

À l’homme heureux qui chaque jour
Vous voit, vous entend tour-à-tour,
Quel entretien voulez-vous donc permettre ?

MADAME DE SOLANGE.

Adieu, monsieur.

GERMAIN.

Nous y voilà.

VALSAIN.

Adieu, madame.

MADAME DE SOLANGE.

Il reste là !

GERMAIN, à madame de Solange.

À vous quitter sa vive flamme
Jamais ne se décidera.

MADAME DE SOLANGE.

Adieu, monsieur.

GERMAIN, à part.

Hélas ! je tremble !

VALSAIN.

Adieu, madame.

MADAME DE SOLANGE.

Il ne s’en ira pas.

VALSAIN.

Qui donc retient ses pas ?

GERMAIN, à part.

Ils n’en finiront pas.

MADAME DE SOLANGE.

Adieu, monsieur...

VALSAIN.

Adieu, madame.

MADAME DE SOLANGE.

Toujours adieu, madame !

GERMAIN, bas à madame de Solange.

Sortez, sortez, c’est sur mon âme
De le chasser le seul moyen.

MADAME DE SOLANGE, sortant.

Adieu, monsieur.

VALSAIN.

Vous me quittez ? (bis.)

MADAME DE SOLANGE.

Il le faut bien.

VALSAIN.

Encore un mot (bis.), encore un seul mot d’entretien ?

MADAME DE SOLANGE.

Non, non, non, non, je n’entends rien.

GERMAIN, à part.

Fort bien,
Il ne soupçonne rien.

 

 

Scène X

 

VALSAIN, GERMAIN

 

GERMAIN, à part.

Elle nous cède la place, je respire.

VALSAIN.

Ah ! Germain, tu me vois au comble de la joie !

GERMAIN.

Tant mieux, monsieur, mais puis-je savoir le motif de ce transport soudain ?

VALSAIN.

Tu me le demandes ?

Air : Sans être belle, on est aimée.

À l’extrémité de la ville
Elle veut chercher un asile,
Où l’aveu de ma vive ardeur
Ne troublera plus son bonheur.
Et voilà pour me fuir plus vite,
Que ses pas s’attachent aux miens ;
Elle accourt aux lieux que j’habite ;
Ah ! je la tiens,
Si c’est ainsi qu’elle me quitte,
Ah ! je la tiens.

GERMAIN.

Eh ! bien, monsieur, d’après nos conjectures, je ne vois qu’une marche à suivre.

VALSAIN.

Et quelle est-elle ?

GERMAIN.

C’est de forcer la belle dans ses derniers retranchements, et de la réduire par un siège opiniâtre à, une capitulation dont elle ne paraît pas très éloignée, et qui mettra le comble à notre gloire.

VALSAIN.

C’est bien aussi mon intention, une seule chose m’embarrasse.

GERMAIN.

Le manque de munitions, n’est-il pas vrai ? mais nous avons dans votre cher oncle une troupe auxiliaire qui peut nous être d’un grand secours dans cette expédition.

VALSAIN.

Si elle veut donner.

GERMAIN.

Elle donnera. Vos dépêches sont parvenues au quartier général, et la réponse ne peut tarder d’arriver.

VALSAIN.

Il serait peut être plus décent que j’allasse la chercher moi-même.

GERMAIN.

Et plus sage. Les fonds qu’on va chercher, sont toujours plus sûrs que ceux qu’on attend ; et votre tapissier veut son argent aujourd’hui.

VALSAIN.

Je cours chez mon oncle.

GERMAIN.

Courez, monsieur.

VALSAIN.

Il n’ignore pas l’amour dont j’ai brûlé à Brest pour madame de Solange, mes lettres lui en ont fait un portrait bien au-dessous encore de la réalité, et ma bouche va si bien lui confirmer l’idée favorable qu’il a dû en concevoir, que je ne doute pas...

GERMAIN.

Oui, monsieur ? mais vous savez que sans argent le plus habile n’est qu’un sot, ainsi...

VALSAIN.

Je t’entends.

GERMAIN.

Air : de la Chasse.

Partez, monsieur, sans plus de paroles,
Et songez bien qu’ici je vous attends ;
Quand on ne peut compter deux pistoles
Il est permis de compter les instants.

VALSAIN.

Puissé-je enfin, du destin favorable,
Goûtant bientôt les effets bienfaisants,
Toucher le mur d’une femme adorable,
Et les écus du meilleur des parents.

Ensemble.

GERMAIN.

Partez, monsieur, etc.

VALSAIN.

Allons, je pars sans plus de paroles,
Dans notre état c’est perdre trop de temps.
Quand ou ne peut, etc.

 

 

Scène XI

 

GERMAIN, seul

 

Enfin, le voilà parti ! puisse-t-il au moins nous rapporter de quoi satisfaire notre avide tapissier, qui peut-être alors, nous délivre a de ses éternelles visites. Je frissonne encore de la peur qu’il ma faite tantôt, et sans ma présence d’esprit. Je voyais notre projet dans l’eau et notre mariage au diable. Ce qui m’inquiète encore, c’est le caquetage de notre bavarde de propriétaire ; un seul mot suffirait pour renverser tout l’édifice de notre bonheur et m’ensevelir moi et Finette sous ses ruines... Belle conclusion ! mais loin de nous un tel pressentiment.

Air : De Doche.

Adroit Germain, c’est par des coups de maître,
Qu’on voit toujours tes pareils s’illustrer,
Quand pour nous les fonds vont renaître,
Sentirais-tu ton courage expirer.
Non, redoublons et de front et d’astuce,
Trompons, intriguons sans remords,
Et jusqu’au bout soyons fripons, ne fut-ce
Que pour l’honneur du corps.

J’entends le cher oncle, vivat ! les fonds nous arrivent ; vivat !... non parbleu, si Finette ou sa maîtresse s’avisaient de rentier ; lâchons de le congédier bien vite.

 

 

Scène XII

 

MONSIEUR DUCLOS, GERMAIN[1]

 

MONSIEUR DUCLOS.

Ah ! te voilà, Germain ; bonjour, bonjour, mon garçon.

GERMAIN.

Ah ! monsieur, soyez le bienvenu.

MONSIEUR DUCLOS.

Où est ton maître ?

GERMAIN.

Ne pouvant résister au désir, au besoin qu’il avait de vous voir, il est allé chez vous.

MONSIEUR DUCLOS.

Ah ! diable, tant pis.

GERMAIN.

Et je crains qu’il ne vous y attende, tandis que vous l’attendez chez lui.

MONSIEUR DUCLOS.

Ce ne serait pas le moyen de nous rencontrer, je retourne bien vite...

GERMAIN, à part.

Bon, madame de Solange ne le verra pas.

MONSIEUR DUCLOS, vivement.

Sais-tu l’usage qu’il veut faire de l’argent qu’il me demande ?

GERMAIN.

L’usage ! oui ! monsieur, c’est une acquisition dont il vous fera part lui-même.

MONSIEUR DUCLOS.

Quelque cheval, je gage.

GERMAIN.

Qu’est-ce que c’est, monsieur, qu’un cheval ? nous sommes bien au-dessus de cela, ma foi.

MONSIEUR DUCLOS.

Mon neveu n’aime donc plus les chevaux ?

GERMAIN.

Lui, monsieur ? il est changé du tout au tout. Mais songez que le temps passe.

MONSIEUR DUCLOS.

Qu’aime-t-il donc maintenant ?

GERMAIN.

Ce qu’il aime ?

MONSIEUR DUCLOS.

Eh ! oui.

GERMAIN.

Ce qu’il aime ?... je ne vous le dirai pas, monsieur, je veux vous ménager le plaisir de la surprise, et je vous prédis quelle sera grande.

MONSIEUR DUCLOS.

Tant mieux.

GERMAIN.

Air : Vaudeville de Monsieur Guillaume.

Si vous saviez tout le fruit qu’il recueille,
Des bons conseils d’un oncle qu’il chérit ;
Si vous voyez son portefeuille !
Quelle richesse et de style et d’esprit.

MONSIEUR DUCLOS.

Quoi ! tout de bon ! quelle métamorphose !

GERMAIN.

Je n’ai point là de ses papiers...
Mais le fait est que sans cesse il compose

À part.

Avec ses créanciers.

MONSIEUR DUCLOS.

Voilà une réforme qui ne s’accorde guères avec ce que j’entends dire de tous les côtés.

GERMAIN.

Quel rapport désavantageux a-t-on pu vous faire sur notre compte ?

MONSIEUR DUCLOS.

Air : Quand on ne dort pas de la nuit.

On dit que Valsain des longtemps
Fait de très mauvaises affaires.

GERMAIN.

Quoi ! monsieur, vous ; à soixante ans,
Des envieux, des médisants,
Vous croyez les propos vulgaires ?

MONSIEUR DUCLOS.

On lui reconnaît du bon ; mais
Des dettes par-dessus la tête.

GERMAIN.

Monsieur, vous ne pourriez jamais
Soupçonner (bis.) tout ce qu’on lui prête.

MONSIEUR DUCLOS.

Dis-moi encore, Germain.

GERMAIN.

Peste soit des questions.

MONSIEUR DUCLOS.

Qu’est devenue cette jeune veuve qu’il adorait à Brest, et dont il me faisait dans ses lettres un portrait si séduisant ?

GERMAIN.

Eh ! monsieur, comment voulez-vous que je me rappelle ?...

MONSIEUR DUCLOS.

Tu crains de me répondre.

GERMAIN.

Non, monsieur ; mais vous me parlez de si loin !... ah ! j’y suis... madame de Solange, chez qui, par parenthèse, il m’envoyait si souvent ?

MONSIEUR DUCLOS.

Tu t’en souviens ?

GERMAIN.

Comme si j’y étais encore.

MONSIEUR DUCLOS.

Eh ! bien ?

GERMAIN.

Eh ! bien, monsieur, oubliée.

MONSIEUR DUCLOS.

Entièrement ?

GERMAIN.

Entièrement.

MONSIEUR DUCLOS.

Tant pis ; d’après le désir qu’il m’avait témoigné d’épouser cette jeune veuve, j’avais fais prendre des informations sur son compte.

GERMAIN.

Eh ! bien, monsieur ?...

MONSIEUR DUCLOS.

Elles ont toutes été à son avantage.

GERMAIN.

Et vous auriez peut-être consenti.

MONSIEUR DUCLOS.

Ma foi, oui.

GERMAIN, à part.

C’est un piège

Haut.

Mais si vous saviez le désir que mon maître a de vous presser dans ses bras, vous seriez déjà...

MONSIEUR DUCLOS.

Eh ! parbleu ! je fais une réflexion. Tu auras plutôt fait de courir chez moi, et de dire à mon neveu que je l’attends ici.

GERMAIN.

Moi, monsieur ? vous laisser seul ? vous ne le pensez pas.

MONSIEUR DUCLOS.

Va, va, te dis-je, et surtout dépêche-toi.

Au moment où il va sortir, Finette entre.

 

 

Scène XIII

 

MONSIEUR DUCLOS, FINETTE, GERMAIN

 

Finette arrive en fredonnant, un carton à la main.

MONSIEUR DUCLOS.

Quelle est cette fille ?

GERMAIN.

Je ne sais.

À part.

peste soit du chapeau ?

FINETTE, jouant la surprise.

Ah ! mon dieu, pardon, messieurs je me trompe d’étage.

GERMAIN.

Puissiez-vous avoir souvent de pareilles distractions, mon enfant,

À part.

que le diable t’emporte !

FINETTE, faisant la révérence.

Monsieur est bien honnête.

Elle entre furtivement dans le cabinet du fond, à droite.

GERMAIN, à part.

Je l’ai échappé belle.

MADAME BERTRAND, derrière le théâtre.

Par ici, mes amis, par ici.

GERMAIN.

Ah ! diable ! le piano de notre veuve ! Tout conspire contre nous.

MONSIEUR DUCLOS.

T’en iras-tu enfin ?

GERMAIN.

De tout mon cœur.

Il sort.

 

 

Scène XIV

 

MONSIEUR DUCLOS, MADAME BERTRAND, DEUX HOMMES portant un piano

 

MADAME BERTRAND, aux porteurs.

Posez-le là... bien... bien, mes enfants... une musicienne ! c’est charmant... ah ! Excusez-moi, monsieur, je ne vous avais pas vu. Puis-je savoir qui vous demandez ? Pardon de l’indiscrétion ; mais comme propriétaire.

MONSIEUR DUCLOS.

J’attends monsieur Valsain.

Il s’assied et parcourt un livre.

MADAME BERTRAND.

Monsieur Valsain !... Monsieur a donc appris...

MONSIEUR DUCLOS.

Qu’il est de retour, qu’il loge ici, et en qualité d’oncle, je viens le voir.

MADAME BERTRAND.

Vous êtes son oncle ?... ah ! monsieur, vous avez dû éprouver une bien grande révolution...

MONSIEUR DUCLOS.

Quand donc cela ?

MADAME BERTRAND.

Plus bas, je vous prie, quand on vous a dit qu’il était mort.

MONSIEUR DUCLOS.

Mort ! qui ?

MADAME BERTRAND.

Monsieur Valsain.

MONSIEUR DUCLOS, se levant.

Valsain est mort ?

MADAME BERTRAND.

Eh ! non ; parlez plus bas. Mais sa femme le croit toujours.

MONSIEUR DUCLOS.

Sa femme ?

MADAME BERTRAND.

Chut !... ah ! ce n’est pas l’embarras, ç’aurait été dommage, car c’est bien le plus joli couple !

MONSIEUR DUCLOS.

Ah ! ça, madame, il y a ici du quiproquo, de qui me parlez-vous donc ?

MADAME BERTRAND.

Je vous parle d’un fort joli officier, nommé Valsain, arrivé des armées depuis quelques jours, après avoir été laissé pour mort sur le champ de bataille ; bruit qui s était répandu et confirmé, au point que sa pauvre épouse les jours encore tous les jours, et vous sentez que dans l’état où elle est, on ne saurait prendre trop de ménagements pour lui annoncer cette nouvelle, qui pourrait lui porter un coup...

MONSIEUR DUCLOS.

Allons, vous êtes folle.

MADAME BERTRAND.

Qu’appelez-vous folle ?

MONSIEUR DUCLOS.

Je voudrais bien voir que mon neveu fut marié.

MADAME BERTRAND.

Je voudrais bien voir qu’il ne le fut pas ! c’est que voyez-vous, monsieur, sur le chapitre des mœurs et de la décence, je suis scrupuleuse.

MONSIEUR DUCLOS.

Scrupuleuse...

MADAME BERTRAND.

Oui, monsieur, comme on ne l’est pas.

Air : Du vaudeville de l’Avare.

Si dans ma maison un jeune bomme
Cherchait un cœur à cajoler,
Comme c’est Bertrand qu’on me nomme,
Il trouverait à qui parler.
Et si jamais le téméraire
Croyait pouvoir, l’or à la main,
Venir à bout de son dessein.
C’est à moi qu’il aurait affaire.

 

 

Scène XV

 

MONSIEUR DUCLOS, MADAME BERTRAND, GERMAIN, DUTRECHT

 

GERMAIN, à Dutrecht.

Quand je vous dis qu’il n’y est pas.

DUTRECHT.

Je l’attendrai.

GERMAIN, à part.

Madame Bertrand aura-t-elle été maîtresse de sa langue ?

DUTRECHT.

Je ne me soucie pas d’aller et venir éternellement, mes instants sont comptés.

GERMAIN.

Peut-être ne reviendra-t-il pas de sitôt...

MONSIEUR DUCLOS.

Qui ? Valsain ?

DUTRECHT.

Oh ! il faudra bien qu’il revienne.

MADAME BERTRAND, sortant.

Si votre maître n’est pas marié, vous aurez affaire à moi.

GERMAIN, à part.

Allons, elle a jasé.

MONSIEUR DUCLOS.

Monsieur désire parler à Valsain ?

GERMAIN.

Hai ! hai !

DUTRECHT.

Oui, monsieur. Il a besoin d’une leçon et je viens la lui donner.

MONSIEUR DUCLOS, à part.

Une leçon ! à Germain. Quel est donc cet homme là ?

GERMAIN, à monsieur Duclos.

C’est son maître de piano.

MONSIEUR DUCLOS.

Ah ! ah ! Tu ne m’avais pas dit qu’il cultivât cet instrument.

GERMAIN.

Je voulais vous surprendre.

MONSIEUR DUCLOS, à Dutrecht.

Eh ! bien, monsieur, êtes-vous content de lui ?

DUTRECHT.

Pas trop, monsieur, mais je lui apprendrai...

GERMAIN.

Il est en bonnes mains.

DUTRECHT, à Germain.

A-t-il touché ce matin ?

GERMAIN.

Non, mais ce soir sans doute...

DUTRECHT.

Toujours ce soir.

MONSIEUR DUCLOS.

Allons, allons, ce n’est pas de sa faute. On ne fait que d’apporter à l’instant même...

DUTRECHT.

Bah ! bah ! j’ai beau lui parler, il n’a pas d’oreilles.

MONSIEUR DUCLOS.

Je me reconnais là, il tient de famille.

GERMAIN.

Mais il ne vous demande qu’un peu de patience...

DUTRECHT.

Eh ! voilà déjà huit jours que ‘je lui chante sa gamme et il n’est jamais en mesure.

MONSIEUR DUCLOS.

Je vous prierai pourtant de me dire franchement si vous croyez en venir à bout ?

DUTRECHT.

À bout ! je l’espère parbleu bien.

MONSIEUR DUCLOS.

C’est qu’il ne faudrait pas lui voler son argent.

DUTRECHT.

Qu’appelez-vous, lui voler son argent ! apprenez, monsieur, que la probité de Dutrecht égale au moins son talent et sa renommée.

MONSIEUR DUCLOS.

Dutrecht !

DUTRECHT.

Regardez ces meubles.

MONSIEUR DUCLOS.

Ces meubles !

GERMAIN, bas à Dutrecht.

Taisez-vous donc.

DUTRECHT.

C’est tout ce qu’il y a de plus beau en bois, en étoffes.

GERMAIN, à part.

Où me fourrer ?

MONSIEUR DUCLOS.

Mais, monsieur, vous n’êtes donc pas pianiste ?

DUTRECHT.

Eh ! non, monsieur, je suis ébéniste.

MONSIEUR DUCLOS.

Ébéniste !

DUTRECHT.

Et Si ce n’avait été par égard pour la réputation de madame Valsain...

MONSIEUR DUCLOS.

Madame Valsain !

DUTRECHT.

Oui vraiment ; qui pourtant dit n’être pas mariée, et que monsieur soutient l’être.

MONSIEUR DUCLOS, prenant Germain par l’oreille.

Ah ! fripon ! Valsain est donc marié ?

GERMAIN.

Non, monsieur.

DUTRECHT, saisissant l’autre oreille de Germain.

Comment ! coquin, il n’est pas marié ?

GERMAIN.

Si fait.

MONSIEUR DUCLOS.

Non, si fait ; lequel des deux ?

GERMAIN.

Eh ! bien, non, non.

MONSIEUR DUCLOS.

Tu mens ?

GERMAIN.

Ah ! monsieur, est-ce vous que je voudrais tromper ?

DUTRECHT.

C’est à dire que monsieur m’a donné la préférence.

GERMAIN.

Je ne dis pas cela

DUTRECHT.

Pourquoi m’avez-vous soutenu ce matin, que la dame que je voyais, était la femme de votre maître.

GERMAIN.

Parce que je sais qu’un débiteur marié inspire plus de confiance qu’un débiteur garçon, et qu’une femme est une hypothèque...

MONSIEUR DUCLOS.

Et pourquoi m’as-tu dit que monsieur était un maître de piano ?

GERMAIN.

Parce que j’étais sûr, connaissant votre excellent cœur, qu’au seul nom d’un créancier de monsieur Valsain, votre bourse se serait ouverte en faveur de ce cher neveu, pour qui vous avez déjà trop fait, et que j’ai cru de mon devoir de prévenir par un stratagème innocent ce nouvel acte de faiblesse.

DUTRECHT.

Quoi ! monsieur, vous seriez l’oncle de mon débiteur !

MONSIEUR DUCLOS.

Oui, monsieur, j’ai ce malheur là.

DUTRECHT, à part.

Il a l’air d’un homme comme il faut.

Haut.

Ce malheur ?... Pourquoi donc ? un garçon charmant, plein de douceur, d’amabilité, un peu jeune, peut-être, mais qui avec le temps et l’exemple d’un parent tel que vous, ne peut manquer...

MONSIEUR DUCLOS, à part.

Il va me demander de l’argent.

DUTRECHT.

Air : Traitant l’Amour sans pitié.

Ah ! comment voir sans transports
Un oncle dont la tendresse
D’une imprudente jeunesse
Baigne réparer les torts.
C’est un ami, c’est un père,
C’est un ange sur la terre,
Du soleil qui nous éclaire
Les feux sont moins bienfaisants
C est d’un dieu la main suprême,
C’est la providence même
Ce n’est que douze cents francs.

MONSIEUR DUCLOS, à part.

Nous y voilà.

Haut.

Comme je ne suis ni un père, ni un ange, ni une providence, tout ce que je puis pour vous, c’est de faire à mon neveu un sermon...

DUTRECHT.

Eh ! monsieur, un sermon ne paiera pas la dette...

MONSIEUR DUCLOS.

Non, mais il l’empêchera peut-être d’en faire d’autres.

DUTRECHT.

Ah ! vous le prenez sur ce ton là... c’est clair... tel père, tel fils ; tel oncle, tel neveu ; mais qu’il ait à me payer ce matin, ou ce soir, signification par huissier, demain sommation correctionnelle, et après demain expropriation forcée.

MONSIEUR DUCLOS.

M. Dutrecht, le bruit n’avance pas les affaires avec moi.

DUTRECHT.

Aussi ne m’en tiendrai-je pas là, et monsieur votre neveu saura ce qu’on gagne à jouer un honnête homme.

GERMAIN.

Un honnête homme ?

 

 

Scène XVI

 

MONSIEUR DUCLOS, MADAME BERTRAND, GERMAIN, DUTRECHT, VALSAIN

 

VALSAIN, à part, et entrant dans un cabinet.

Oui ! mon juif !

DUTRECHT.

Ciel, je le suis, et tour, le monde n’en peut pas dire autant.

QUATUOR du médecin malgré lui.)

Ne pourriez-vous, monsieur Dutrecht,
Parler eu termes plus honnêtes ?

GERMAIN.

Vous pourriez, mon cher, sauf respect,
Payer cher le bruit que vous faites.

DUTRECHT.

Je parle comme on parle avec...
Avec des gens tels que vous êtes.

MONSIEUR DUCLOS.

Sortez, morbleu, sortez d’ici.

DUTRECHT.

Est-ce moi qu’on renvoyé ainsi ?

VALSAIN, à part.

Comment finira tout ceci ?
Il faut payer si je me montre.

DUTRECHT.

Non, non, morbleu, non, j’attendrai
Que votre neveu soit rentré.
Oui ; malgré vous je resterai.

Il s’assied.

VALSAIN, MONSIEUR DUCLOS, GERMAIN.

Il restera bon gré, malgré.

GERMAIN, à part.

Hélas ! tout est désespéré,
Si notre veuve le rencontre.

MONSIEUR DUCLOS.

Le drôle se flatte, ma foi,
De pouvoir faire ici la loi.
Sans plus tarder retire toi.

GERMAIN.

Croyez-vous faire ici la loi !

DUTRECHT.

Bon ! en criant plus haut que moi
Ou ne me cause aucun effroi.

VALSAIN.

Je meurs d’effroi ! je meurs d’effroi.

DUTRECHT.

Je puis rester assis, je crois
Sur des fauteuils qui sont à moi.

MONSIEUR DUCLOS et GERMAIN.

Ah ! c’en est trop, choisis fripon,
Ou de la porte ou du bâton.

VALSAIN.

Il va sortir de la maison,
Notre homme, enfin, entend raison.

DUTRECHT.

De cet affront j’aurai raison,
Demain l’argent ou la prison.

 

 

Scène XVII

 

MONSIEUR DUCLOS, GERMAIN, ensuite VALSAIN

 

GERMAIN.

A-t-on jamais vu un impertinent pareil ? Insulter le plus respectable

des hommes, le plus tendre des oncles, le plus...

MONSIEUR DUCLOS.

Me direz-vous, monsieur Germain, comment il se fait qu’avec l’ordre, l’économie et la sagesse de votre maître, ce marchand ne soit pas encore payé ?

GERMAIN, feignant de ne pas l’entendre.

Que je le retrouve, fripon...

VALSAIN, accourant.

Ah ! mon oncle, mon cher oncle !

MONSIEUR DUCLOS.

Eh ! arrive donc,

À part.

cachons-lui mes soupçons.

VALSAIN.

Qu’il me tardait de vous embrasser ! et quel plaisir j’ai de vous voir si frais, si bien portant !

MONSIEUR DUCLOS.

Oui, je me porte assez bien. N’as-tu pas rencontré sur l’escalier ?...

VALSAIN.

Mon tapissier ? oui mon oncle ; il venait me demander une misère que je lui ai payée.

GERMAIN, à part.

Il l’a payé.

VALSAIN.

Vous me regardez ? vous voyez que ma santé ne le cède en rien à la vôtre ; effet du nouveau genre de vie que j’ai adopté.

GERMAIN.

Que vous avais-je dit, monsieur.

À part.

Il l’a payé !...

MONSIEUR DUCLOS.

Tu as donc véritablement renoncé...

VALSAIN.

Au tourbillon ? oui, mon oncle. J’ai senti que les plaisirs n’étaient pas le bonheur, et las de voltiger sur les pas de toutes les femmes, je me suis enfin fixé.

MONSIEUR DUCLOS.

Fixé !

GERMAIN.

À Paris, au centre des arts.

À Valsain.

Si vous parlez de la veuve, adieu l’argent

VALSAIN, de même.

Tu as raison,

Haut.

belles lettres, peintures, musique, tout y est porté à la perfection, et l’étude de ces arts divins va seule désormais occuper tous mes instants.

MONSIEUR DUCLOS.

Embrasse-moi encore, mon cher Valsain ; ce que tu me dis-là me charme d’autant plus qu’on était venu me fatiguer les oreilles de mille propos...

VALSAIN.

De mille propos ?...

MONSIEUR DUCLOS.

Qui ne tendaient qu’à le faire déshériter. Mais je connaissais mon neveu et quelque preuve qu’on ait voulu me donner de ton mariage...

VALSAIN.

De mon mariage ! qui a osé vous dire...

MONSIEUR DUCLOS.

La propriétaire de cette maison.

GERMAIN, à part.

Je l’aurais parié...

MONSIEUR DUCLOS.

C’est qu’elle prétendait avoir vu ta femme.

VALSAIN.

Ma femme ! qui a pu lui faire croire ?...

GERMAIN.

Ah ! monsieur, je vois ce que c’est. Madame Bertrand vous aura rencontré hier donnant la main sur l’escalier à notre jolie voisine.

VALSAIN.

Madame de Solange ?... Je n’ai pas...

MONSIEUR DUCLOS.

Madame de Solange ?

GERMAIN, à part.

Hai ! hai !

VALSAIN.

Oui, mon oncle.

MONSIEUR DUCLOS.

Elle n’est donc pas à Brest ?

VALSAIN.

Elle est ici depuis huit jours ; Et plus épris d’elle que jamais je lai suivie dans cette ville. Je loge dans la maison qu’elle habite, mais je jure sur l’honneur, que je suis entièrement libre, que j’occupe seul cet appartement, et que tous les meubles que vous voyez... un piano ici ?

GERMAIN, à part.

En voilà bien d’une autre !

VALSAIN.

Germain, pourquoi cet instrument se trouve-t-il chez moi ?

GERMAIN.

Allons, monsieur, il n’est plus temps de dissimuler, monsieur votre oncle sait tout.

VALSAIN.

Comment ?

GERMAIN.

Je lui ai tout dit.

MONSIEUR DUCLOS.

Oui, mon ami, et je te sais gré de la surprise que tu voulais me ménager. Allons donne-moi un échantillon de ton nouveau talent.

GERMAIN.

Oui, monsieur, un petit échantillon ? votre oncle aura de l’indulgence, il sait qu’au bout de trois ou quatre mois de leçon...

VALSAIN.

Comment, coquin, tu soutiendras ?... Je vous jure, mon oncle, que jamais...

MONSIEUR DUCLOS.

Je ne veux pas te contraindre... Tu n’est pas marié ?

VALSAIN.

Je vous en donne ma parole d’honneur.

MONSIEUR DUCLOS.

Voilà tout ce qu’il me faut

MADAME DE SOLANGE, derrière le théâtre.

Finette ?

GERMAIN, à part, apercevant madame de Solange.

Notre veuve ! il n’y a plus à reculer, il faut que la bombe éclate.

Il sort.

 

 

Scène XVIII

 

MONSIEUR DUCLOS, VALSAIN, MADAME DE SOLANGE, entrant

 

Madame de Solange jette son châle sur un fauteuil.

MADAME DE SOLANGE, appelant.

Finette ?... Finette ?

MONSIEUR DUCLOS, bas à Valsain.

Quelle est cette dame qui entre si librement chez toi ?

VALSAIN, à part à son oncle.

C’est elle, ma charmante voisine, madame de Solange

À part.

elle revient ! bon ! je suis aimé !

MONSIEUR DUCLOS.

Venir seule chez un jeune homme ? la démarche est au moins inconséquente.

MADAME DE SOLANGE.

Finette ?... elle ne viendra pas ! il suffit qu’on soit pressé...

Apercevant Valsain.

Ah ! c’est vous, monsieur ?

À part.

Allons, il reçoit ses amis chez moi.

VALSAIN.

Il paraît, madame, qu’une affaire importante vous occupe ?

MADAME DE SOLANGE.

Très importante. On m’offre une loge à l’Opéra... il est tard et ma toilette n’est pas commencée.

VALSAIN.

Il vous faut si peu de chose pour être parée !

MONSIEUR DUCLOS, à part.

Viendrait-elle s’habiller chez lui ?

VALSAIN.

Permettez-moi de vous présenter monsieur Duclos, cet oncle respectable dont je vous ai si souvent parlé.

MADAME DE SOLANGE.

Ah ! monsieur, je rougis du négligé où vous me voyez. Mon arrivée toute récente à Paris, le désordre d’un emménagement ne m’ont pas permis... Finette ?

MONSIEUR DUCLOS.

Vous êtes très bien, madame. Le portrait que mon neveu m’avait fait de vos charmes n’était nullement exagéré, et je ne m’étonne plus que la crainte de vous perdre, l’ait fait violer à Paris sur vos traces.

MADAME DE SOLANGE, ouvrant le secrétaire.

Je vois que monsieur vous a déjà instruit de sa folie.

MONSIEUR DUCLOS, bas à Valsain.

Eh ! bien, elle ouvre ton secrétaire.

VALSAIN.

Que cherchez-vous donc là, madame ?

MADAME DE SOLANGE.

Peut-on pousser plus loin L’indiscrétion ? Il ne me sera pas permis de prendre de l’argent dans ce secrétaire ?

MONSIEUR DUCLOS, à Valsain.

De l’argent ?

VALSAIN.

Je vous jure que j’ignore...

MADAME DE SOLANGE.

Sept heures !... ah ! mon dieu ! et madame Dorville qui m’attend ! pardon, messieurs.

VALSAIN, voulant la retenir.

De grâce, encore un mot.

MONSIEUR DUCLOS, le ramenant, tandis que madame de Solange entre dans le cabinet à droite.

Doucement, Valsain ; par quel hasard faites vous bourse commune ?

VALSAIN.

Madame... elle est partie ! C’est votre faute, mon oncle ; mais elle va à l’Opéra... vite, à ma toilette,

Il appelle.

Germain !... Germain !... Trois heures auprès d’elle ! ce sera charmant.

Il entre dans le cabinet à gauche.

 

 

Scène XIX

 

MONSIEUR DUCLOS, seul

 

Eh ! bien, mon neveu dans ce cabinet ?... Madame de Solange dans celui-ci ?... le chapeau de l’un sur ce fauteuil, le châle de l’autre sur cette chaise...

Air : De l’Opéra-Comique.

Qui pourra me donner le fil
De cette énigme vraiment neuve ?
Dans ce logis Valsain est-il
L’amant ou l’époux de la veuve ?
D’un côté pour qu’il soit amant
Elle accueille trop mal sa flamme,
Et de l’autre il est trop ardent,
Pour qu’elle soit sa femme.

 

 

Scène XX

 

GERMAIN, FINETTE

 

GERMAIN, paraissant mystérieusement par l’une des portes latérales.

Finette ?

FINETTE, de même à l’autre porte latérale.

Germain ?

GERMAIN.

Où sont-ils ?

FINETTE.

Je rien sais rien, mais je sais bien où je voudrais être.

GERMAIN.

Où donc ?

FINETTE.

À mille lieues d’ici.

GERMAIN.

De la crainte ! fi donc, nous sommes en trop beau chemin pour battre en retraite.

FINETTE.

Ou plutôt en assez mauvais pour être battus. Mais enfin, dis-moi ?

Air : Au soin que je prends de ma gloire.

De leur prétendu mariage,
As-tu bien répandu le bruit

GERMAIN.

D’ premier au dernier étage
Tout cet hôtel en est instruit,
Sais-tu des langues féminines
Si le caquet nous servira.

FINETTE.

Je ne l’ai dit qu’à trois voisines,
Tout le quartier le sait déjà.

GERMAIN.

Bravo ! permets que...

Il veut l’embrasser, on entend appeler.

MADAME DE SOLANGE, dans le cabinet.

Finette ?

VALSAIN, de même à gauche.

Germain ?

GERMAIN et FINETTE.

Ils étaient là !

MADAME DE SOLANGE, paraissant.

M’entendez-vous, mademoiselle ?

VALSAIN, de même.

Voyez si le drôle viendra !

 

 

Scène XXI

 

GERMAIN, FINETTE, MADAME DE SOLANGE sort de son cabinet en peignoir et VALSAIN du sien en robe de chambre

 

MADAME DE SOLANGE.

Air : Du quatuor de Félix.

Ô ciel ! ô ciel ! quoi ! chez moi-même
Audace extrême

VALSAIN.

Ô ciel ! ô ciel ! quoi ! chez moi-même
Bonheur extrême.

GERMAIN et FINETTE.

Hélas ! je meurs d’effroi.

MADAME DE SOLANGE.

M’apprendrez-vous pourquoi
Dans un tel négligé vous vous montrez chez moi ?

VALSAIN.

Chez vous ! mais vous savez très bien
Que ce logement est le mien.

MADAME DE SOLANGE.

Ô ciel ! ô ciel ! quelle impudence !

GERMAIN et FINETTE.

Ô ciel ! ô ciel ! je suis en transe !

MADAME DE SOLANGE.

Ne lassez pas ma patience
Sortez, Valsain, tout vous en fait la loi.

VALSAIN.

Allons, vous plaisantez, je pense,
Voudriez-vous me chasser de chez moi ?

MADAME DE SOLANGE et VALSAIN.

C’est moi, c’est moi, qui suis chez moi.

GERMAIN et FINETTE.

Je meurs d’effroi !

 

 

Scène XXII

 

VALSAIN, MADAME DE SOLANGE, MADAME BERTRAND, GERMAIN, FINETTE

 

MADAME BERTRAND.

D’où vient donc tout ce tapage ?

GERMAIN et FINETTE.

La bavarde ! sauvons-nous.

Ils s’échappent.

MADAME BERTRAND.

Oh ! c’est l’effet de la reconnaissance !

MADAME DE SOLANGE.

Ah ! madame ! vous arrivez fort à propos. Faites-moi le plaisir de me dire qui de monsieur ou moi habite cet appartement ?

MADAME BERTRAND.

Mais vous l’habitez tous les deux.

MADAME DE SOLANGE et VALSAIN.

Tous les deux !

MADAME BERTRAND, à Valsain.

Est-ce qu’elle ne vous a pas encore reconnu ?

VALSAIN.

Reconnu !... pour qui ?

MADAME BERTRAND.

Pour son mari.

MADAME DE SOLANGE.

Allons, ils veulent tous que je sois mariée.

MADAME BERTRAND.

Toute la chaussée d’Antin retentit déjà de cet heureux événement.

MADAME DE SOLANGE.

Ciel !

MADAME BERTRAND.

On sait que la résurrection de monsieur votre mari va vous faire oublier les ennuis de dix-huit mois de veuvage.

VALSAIN.

Mais, madame, je n’ai pas le bonheur d’être l’époux de madame de Solange.

MADAME BERTRAND.

Qu’entends-je ?

MADAME DE SOLANGE.

Non, sans doute, et je ne sais pas...

 

 

Scène XXIII

 

VALSAIN, MADAME DE SOLANGE, MADAME BERTRAND, MONSIEUR DUCLOS, ramenant GERMAIN et FINETTE

 

MONSIEUR DUCLOS, à madame de Solange.

Je tiens les coupables... Ils m’ont tout avoué et j’accours vous rendre la justice qui vous est due.

MADAME BERTRAND.

Coquins !

VALSAIN.

Germain ?

MADAME DE SOLANGE.

Finette ?

MADAME BERTRAND.

Eux-mêmes.

VALSAIN, à Germain.

Misérable ! qui a pu te porter à compromettre ainsi madame ?

GERMAIN.

Mon respect pour vos ordres, mon cher maître.

VALSAIN.

Qu’est-ce à dire ?

GERMAIN.

Ne m’aviez-vous pas enjoint de vous louer un logement dans la maison qu’habiterait madame, pour respirer, disiez-vous, l’air qu’elle respirerait ?

VALSAIN.

Eh ! bien ?

GERMAIN, aux genoux de son maître.

Eh ! bien ! monsieur, n’en ayant pas trouvé de vacant, j’ai cru pouvoir faire une petite inversion à votre ordre, c’est-à-dire, qu’au lieu de prendre un logement dans la même maison que madame, j’ai pris le même logement que madame dans la maison.

VALSAIN.

Comment, coquin, tu as osé...

FINETTE.

Et comme nous savions que notre mariage dépendait de celui de nos maîtres, nous avons cru devoir établir entre vous deux cette petite communauté de mobilier, bien persuadés que madame, qui d’ailleurs ne voit pas monsieur Valsain indifféremment...

MADAME DE SOLANGE.

Finette !

FINETTE.

Pardon, cela m’est échappé... Aimerait mieux en passer par tout ce que nous aurions fait, que d’en venir à un éclat scandaleux, qui fait toujours autant de tort à une jolie femme qu’un bel et bon mariage lui fait de bien.

MADAME DE SOLANGE.

Eh ! bien, mademoiselle, vous vous êtes trompez dans votre calcul ; je ne me marierai pas, et vous sortirez de chez moi.

MADAME BERTRAND.

Vous vous marierez, madame, l’honneur de ma maison l’exige.

MADAME DE SOLANGE.

Non, madame, je ne me sens pas assez généreuse pour sacrifier à vos intérêts le bonheur de ma vie entière.

VALSAIN.

Ah ! madame, douterez-vous toujours de mon retour à la raison ?

Air : En amour comme en amitié.

La frayeur dont votre abandon
À trop longtemps glace mon âme,
Est une cruelle leçon
Qui doit vous garantir ma sagesse et flamme.
Valsain mérita vos mépris,
Mais vous le rendez à lui-même ;
C’est au moment de perdre ce qu’il aime
Que le cœur en sent tout le prix.

MADAME DE SOLANGE, à part.

Il a pourtant l’air de bonne foi.

MONSIEUR DUCLOS.

Pouvez-vous balancer si longtemps, quand tant de motifs devraient vous décider ?

MADAME BERTRAND.

L’ennui du veuvage.

FINETTE.

Le soin de votre réputation.

GERMAIN.

L’innocence de mon maître.

VALSAIN.

La sincérité de mon amour.

MONSIEUR DUCLOS.

Les cent quarante lieues qu’il vient de faire.

FINETTE.

Ah ! oui, madame, que ne doit on pas espérer d’un homme à qui on fait faire tant de chemin, même avant le mariage ?

MADAME BERTRAND, à Valsain.

Et d’ailleurs, monsieur...

Air : Cœurs sensibles.

Qu’on approuve votre flamme
Ou qu’on trompe votre espoir,
Pour n’encourir aucun blâme
Il m’importe de savoir
Si vous êtes chez madame
Ou si madame est chez vous ?

MADAME DE SOLANGE, après un moment d’embarras.

Eh ! bien, nous sommes chez nous.

TOUS.

Vous êtes tous deux, chez vous.

 

 

Scène XXIV

 

VALSAIN, MADAME DE SOLANGE, MADAME BERTRAND, MONSIEUR DUCLOS, GERMAIN, FINETTE, DUTRECHT

 

DUTRECHT.

Vous serez chez vous, quand vous m’aurez payé mes meubles.

GERMAIN, bas à Valsain.

C’est notre tapissier.

DUTRECHT.

Ainsi, pour la dernière fois, madame...

MADAME DE SOLANGE.

Pour la dernière fois, monsieur, je n’ai rien à démêler avec vous. Parlez à Finette.

DUTRECHT, à Finette.

J’espère, mademoiselle...

FINETTE.

Je ne vous dois rien, monsieur, parlez à Germain.

DUTRECHT, à Germain.

J’espère, monsieur...

GERMAIN.

Cela ne me regarde pas, parlez à mon maître.

DUTRECHT, à Valsain.

Monsieur, j’espère

VALSAIN.

Oui, monsieur, vous allez être satisfait, parlez à mon oncle.

DUTRECHT.

Parlez à mademoiselle, parlez à monsieur, parlez à mon oncle... que signifie cette plaisanterie ? se moque-t-on de moi ?

MONSIEUR DUCLOS.

Non, monsieur, on ne se moque pas de vous et en voici la preuve.

Il tire un papier de sa poche.

DUTRECHT.

Une lettre de change, sans doute.

MONSIEUR DUCLOS.

Non, c’est mon adresse. Vous n’aurez qu’à vous présenter demain chez moi.

DUTRECHT.

Jusqu’à quatre heures, monsieur sera-t-il chez lui ?

MONSIEUR DUCLOS.

Jusqu’à midi.

DUTRECHT.

J’y serai à sept heures.

 

 

Vaudeville

 

FINETTE, à Valsain.

Air : de Monsieur Alexandre Piccini.

De sa liberté quand pour vous
Madame fait le sacrifice,
N’imitez pas certains époux
Chez qui bientôt l’ennui se glisse.
Qui, las, au bout d’un mois ou deux
Des plaisirs purs que le cœur donne
Presque jamais quand l’Amour sonne
Ne sont chez eux.

MONSIEUR DUCLOS.

Chez nos jeunes gens c’est en vain
Qu’un malheureux créancier sonne,
Il a beau se lever matin,
Il ne trouve jamais personne ;
Mais qu’un intérêt amoureux
Leur amène jeune fillette,
Ah ! pour acquitter cette dette
Ils sont chez eux.

MADAME BERTRAND.

Que l’on envoie à Tivoli
Jeune fat, beauté surannée,
Un gourmand au café Hardi,
Un bel esprit à l’Athénée,
À Charenton vieil amoureux,
Vieille coquette aux Incurables,
Maris jaloux à tous les diables,
Ils sont chez eux.

GERMAIN.

Combien voyons-nous aujourd’hui
De ces gens nommés parasites,
Fondant sur la table d’autrui
Les intérêts de leurs visites.
Chez vous par leur estomac creux
Avertis de l’heure où l’on dîne,
Entre la cave et la cuisine,
Ils sont chez eux.

VALSAIN.

Conduisez nos jeunes gens Français
Dans les champs poudreux de Bedonne,
Aimez leurs bras et placez-les
Sous le feu de l’airain qui tonne.
Là, faites briller à leurs yeux
L’espoir d’un trépas plein de gloire
Entre l’honneur et la victoire
Ils sont chez eux.

MADAME DE SOLANGE, au Public.

Il est décidé qu’en ces lieux
Nous fixons tous deux notre asile,
Mais soyez toujours à nos yeux
Les maîtres de ce domicile,
Et si quelque voisin fâcheux
Voulait troubler vos locataires,
Prouvez en bons propriétaires
Qu’ils sont chez eux.


[1] Pendant toute cette scène, Germain doit témoigner par sa pantomime la crainte de voir entrer madame de Solange, et le désir de voir partir monsieur Duclos.

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