Les Vendanges de Champagne (Nicolas BRAZIER - Charles-Gaspard DELESTRE-POIRSON - Théophile Marion DUMERSAN - Eugène SCRIBE)

Divertissement en un acte, mêlé de couplets.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 5 octobre 1818.

 

Personnages

 

JEAN DESVIGNES, riche vigneron

SERPETTE[1]vieux tonnelier, son valet

PROSPER, militaire retiré, amant de Bastienne

TAPALŒIL, sergent d’une légion

LATULIPE, caporal

MONSIEUR BOILEAU, parisien, parent de Monsieur Desvignes

MADAME BOILEAU, parisienne, parente de Monsieur Desvignes

BENJAMIN BOILEAU, leur fils, parisien, parent de Monsieur Desvignes

BASTIENNE, fille de Desvignes

UN TAMBOUR

SOLDATS

VENDANGEUSES

 

La Scène se passe à Ai, en Champagne, en 1818.

 

Le Théâtre représente un site de la Champagne ; dans le fond un coteau garni de vignes qui descend jusque sur le bord de la scène du côté droit ; du même côté est la porte qui est censée celle du clos ; à gauche l’entrée de la Maison ; sur le devant une cuve, posée sur champ, dont l’ouverture est du côté du public, des bottes d’osier, des cerceaux, des tonneaux.

 

 

Scène première

 

BASTIENNE, VENDANGEUSES, tenant leurs paniers, DESVIGNES, dans un coin

 

BASTIENNE, CHŒUR DE VENDANGEUSES.

Air : Quel désespoir.

Ah ! quel chagrin
De faire seules la vendange !
Ah ! quel chagrin
De cueillir seules le raisin !

BASTIENNE.

Qu’avec plaisir on mange,
Ou grappe ou grapillon,
Qu’un vendangeur arrange
Dans notre corbillon.

TOUTES.

Ah ! quel chagrin, etc.

BASTIENNE, à Desvignes.

Allons, mon papa, n’soyez donc pas triste comme ça.

DESVIGNES.

Parbleu ! ne veux tu pas que je chante ? La plus belle vendange qu’on ait vue de mémoire d’homme, et pas de vendangeurs ?... Ma récolte va rester sur pied...

BASTIENNE.

Vous avez renvoyé les premiers qui se sont présentés, vos voisins les ont pris.

DESVIGNES.

Ils me demandaient un prix exorbitant.

BASTIENNE.

Dame, il y a tant d’raisin, ils se font payer...

DESVIGNES.

Comment allons-nous faire, maintenant ? Vous voilà une douzaine de jeunes filles pour vendanger cinquante arpents de vignes... vous n’aurez pas fini dans deux mois.

BASTIENNE.

Vous savez bien que Serpette est allé chercher du renfort.

DESVIGNES.

Bah ! ton Serpette, il est si bavard, si cancanier, il se sera amusé en route.

BASTIENNE.

Et puis n’avons-nous pas toute la famille Boileau qui est arrivée hier au soir de Paris et qui nous donnera un coup de main.

DESVIGNES

Ah ! oui, des Parisiens, ils vont faire une belle besogne... je n’aurais qu’à compter sur eux.

BASTIENNE.

Justement voici Serpette, il nous amène sans doute du monde.

 

 

Scène II

 

BASTIENNE, DESVIGNES, SERPETTE, VENDANGEUSES

 

SERPETTE, courant.

Ah ! not’ bourgeois, comme j’ai couru ! les jambes me rentrent dans les cuisses.

DESVIGNES.

Il y paraît... M’amènes-tu des vendangeurs ?

SERPETTE.

Ah ! ben oui, allez, personne n’en a assez ; j’ai été de côté et d’autre, j’ai couru par ci, j’ai trotté par là, tout est pris, tout est occupé... Les belles vendanges qu’on fera cette année !

DESVIGNES.

Mais si je n’ai pas de monde pour faire les miennes ?

SERPETTE.

On n’aura rien vu de pareil depuis la comète... Je crois même que cette année-ci fera la queue à la comète.

DESVIGNES.

Quoi ! tu n’as pas trouvé ?...

SERPETTE.

Ah ! j’ai trouvé ce que je ne cherchais pas.

DESVIGNES.

Quoi donc ?

SERPETTE.

Une légion départementale qui vient d’arriver en garnison à Aï, je les ai rencontrés qu’ils étaient devant la mairie, des bel’ hommes, ma foi ; c’est si beau un bel homme ; ils se promenaient bras dessus bras dessous avec l’amoureux de mademoiselle Bastienne.

DESVIGNES.

Comment, avec l’amoureux de ma fille ? avec Benjamin Boileau ?

SERPETTE,

Eh ! non, avec Prosper la Grappe, le fils du vigneron voisin, qui a justement servi dans ce régiment là, avant d’être en retraite.

DESVIGNES.

C’est bon, qu’il soit ou non amoureux de ma fille, elle n’est pas pour lui.

BASTIENNE.

Mais mon père...

DESVIGNES.

Paix, ma fille. Vous épouserez Benjamin Boileau dès demain, et quant à Monsieur Prosper, s’il vient jamais ici, je t’ordonne de le mettre à la porte, tu entends, Serpette ?

SERPETTE.

Ah ! par exemple ! ce pauvre jeune homme !

BASTIENNE.

Mon papa, quel chagrin vous me faites.

DESVIGNES.

Air : Vaudeville du Savetier et le Financier.

Je vous ai défendu, ma fille,
De songer à ce mariag’-là.
Prosper ne s’ra pas d’ la famille.

SERPETTE, à part.

C’t’ amour-là n’arrang’ pas l’ papa. (bis.)

BASTIENNE.

En pensant à ce nœud plein d’ charmes,
Je pleurons du soir au matin.

DESVIGNES.

Veux-tu bien renfoncer tes larmes !

SERPETTE.

Oui, n’ faut pas mettr’ d’eau dans not’ vin. (bis.)

DESVIGNES.

Allons, voyons, partez, vous ferez ce que vous pourrez, commencez toujours.

Air : La vendange est terminée.

Aux travaux de la vendange
Préparons-nous, mes amis,
Nous f’rons du vin sans mélange.

SERPETTE.

Ça n’est pas comme à Paris.

DESVIGNES.

Avant de faire la cueillette,
J’ boirons un coup, ça fait plaisir.
J’ pouvons vider plus d’une feuillette,
J’aurons bientôt d’ quoi la remplir...

TOUS.

Aux travaux, etc.

Bastienne et les vendangeuses sortent. 

 

 

Scène III

 

DESVIGNES, SERPETTE

 

SERPETTE, riant.

Ce petit troupeau de fillettes !... Quand je pense qu’il n’y a que moi de garçon au milieu de tout ça !... si je voulais pourtant... ah ! bah !

DESVIGNES.

Mais qu’as-tu donc ce matin ? tu m’as l’air bien gai ; est-ce que tu as fait un bon déjeuner, Serpette ?

SERPETTE.

Comme à l’ordinaire... mes trois bouteilles le matin, autant le soir, y faut de l’ordre.

Air : On nous dit que dans l’ mariage.

D’ notre état faut nous rendre dignes ;
Si j’bois six bouteill’s, au surplus,
Depuis que j’ suis sous les Desvignes
J’ n’ai jamais bu ni moins ni plus.
Sous vot’ grand-père j’ les bus,
Sous vot’ père j’ les r’bus,
Et je serai sous vous, j’espère,
Comm’ j’étais sous (bis.) vot’ père.

DESVIGNES.

La famille Boileau se lève bien tard ; le père et la mère sont dans ma belle chambre verte, à ce que tu m’as dit ; où as-tu mis le fils Benjamin ?

SERPETTE.

Ah ! dame, ils sont arrivés que vous étiez couché, la maison était pleine, je l’ai mis dans la resserre aux futailles.

DESVIGNES.

Ce pauvre garçon ! Tu ne pouvais donc pas lui donner ton lit ?

SERPETTE.

Du tout !... et moi donc !... D’ailleurs un Parisien qui vient en Champagne, il faut bien qu’il connaisse les plaisirs de la vendange.

DESVIGNES.

Ah ! c’est comme ça que tu traites le prétendu de ma fille ?

SERPETTE.

He bien ! il n’est pas mort, tenez le voilà ce petit mignard.

Il sort.

 

 

Scène IV

 

DESVIGNES, BENJAMIN

 

BENJAMIN.

Ah ! la, la, les côtes !... ah ! cousin Desvignes, que vos lits sont durs ! Ce sont des bois de lits sans matelas, ah !

DESVIGNES.

Mon pauvre Benjamin, c’est cet imbécile de Serpette...

BENJAMIN.

Enfin, je ne sais point où j’étais.

DESVIGNES.

Tu étais dans les futailles.

BENJAMIN.

Jusqu’au cou... C’est drôle... je me suis reposé toute la nuit et je suis un peu plus las qu’hier... Vos diables de pataches nous avaient si bien secoués... surtout maman qui est un peu rondelette, avec ça qu’elle avait sur sa banquette deux marchands de vins en gros, et qui étaient si gros !... comme des tonneaux, quoi... mais si l’on n’a pas couché maman dans les futailles, une bonne nuit l’aura remise.

DESVIGNES.

Eh ! non, elle est dans ma chambre verte.

BENJAMIN.

Mais tout cela n’est rien quand on vient pour épouser... Parlons un peu de ma cousine Bastienne, elle a dix sept ans, elle est jolie, par conséquent elle a besoin d’un mari et me voilà, c’est tout simple.

Air : Vaudeville des maris ont tort.

Ne sait-on pas qu’un vert treillage
Au chèvrefeuille sert d’appui,
Que l’ormeau profit’ davantage
Quand le lierre s’unit à lui.
Si de Bastienne je suis digne,
Je cours me jeter dans ses bras,
Car c’est une naissante vigne
Qui n’attend plus qu’un échalas.

Mais voilà papa et maman.

 

 

Scène V

 

DESVIGNES, BENJAMIN, MONSIEUR et MADAME BOILEAU

 

MONSIEUR et MADAME BOILEAU.

Eh ! bonjour, cousin Desvignes !

DESVIGNES.

Bonjour, cousin et cousine Boileau ; je commençais à m’impatienter de ne pas vous voir.

MADAME BOILEAU.

C’est la faute de mon mari.

BOILEAU.

C’est ça, c’est ma faute... J’étais las, moi ; au fait, cousin, je viens aux vendanges, et quoi faire, moi qui ne bois que de l’eau ?... Mais ma femme m’a dit : partons, et nous sommes partis.

DESVIGNES.

C’est bien ça d’être complaisant pour sa femme.

MADAME BOILEAU.

Ah ! là-dessus, Monsieur Boileau l’est tout-à-fait... ça ne l’empêche pas de faire ses volontés, parce que je le laisse parfaitement libre.

BOILEAU.

Pour ça, je lui rends justice... Cousin, comme je vous disais donc, je voulais venir par la diligence ; mais ma femme m’a dit, je veux prendre les pataches... Eh bien ! j’ai dit : prenons les pataches... j’ai les reins brisés, mais c’est égal.

MADAME BOILEAU.

Il ne s’agit pas de ça, cousin Desvignes, comment trouvez-vous le petit ?... Il est grandi, n’est-ce pas, depuis dix ans que vous ne l’avez vu.

BOILEAU.

Je ne me souciais pas de le marier sitôt, mais ma femme ma dit : il faut marier les enfants de bonne heure, et nous venons marier Benjamin.

BENJAMIN.

Et mon papa et ma maman viennent me marier.

BOILEAU.

Ah ça ! cousin Desvignes, nous allons donc bien nous amuser aux vendanges ?

DESVIGNES.

Il ne tiendra qu’à vous.

BOILEAU.

Moi, si je suivais mes goûts, j’aimerais mieux me reposer, voir ça de loin comme un tableau pittoresque de chez Monsieur Pierre.

MADAME BOILEAU.

Mais, moi, je veux que vous vendangiez.

BOILEAU.

Ma femme dit qu’elle veut que je vendange, ainsi vendangeons.

MADAME BOILEAU.

Cousin, voyez-vous sous ce peignoir ?... Un déshabillé complet, un petit costume tout-à-fait élégant.

Air : En jupon court, etc.

Pour suivre la bande joyeuse
Avec un costume coquet,
Je me suis mise en vendangeuse,
En jupon court, en blanc corset.

BOILEAU.

Elle est charmante en vendangeuse !...

MADAME BOILEAU, minaudant et montrant Benjamin.

Taisez-vous donc devant cet enfant ; et moi j’ôte mon petit surtout, voyez-vous ce costume champêtre !

DESVIGNES.

Allons, je vais vous conduire dans la vigne la plus voisine.

BOILEAU.

Ah ! ça, cousin, nous voulons qu’il n’y ait aucune différence entre nous et les autres vendangeurs... Vous allez nous donner des ciseaux, des paniers, des hottes.

MADAME BOILEAU.

J’ai apporté la mienne de Paris... Benjamin, va me la chercher.

Benjamin va la chercher et la lui pose.

DESVIGNES.

Vous allez, avoir tout ce qu’il faut.

Il appelle.

Hé ! Serpette !...

SERPETTE, accourant sur la porte.

Not’ bourgeois.

DESVIGNES.

Apporte aux cousins et à la cousine Boileau tout ce qu’il faut pour vendanger.

SERPETTE, sur la porte.

Oui, not’ bourgeois.

DESVIGNES.

Vous allez venir avec moi, je vais vous mener au bon endroit.

BENJAMIN.

Et moi aussi, cousin, ça fait que je verrai ma petite cousine Bastienne.

BOILEAU.

Tu la verras plus tard, tu vas te fatiguer... Tu es las, reste ici... Je le veux.

MADAME BOILEAU.

Pourquoi le contrarier, s’il veut venir avec nous, cet enfant.

BOILEAU.

Allons, viens, puisque ma femme le dit.

 

 

Scène VI

 

DESVIGNES, BENJAMIN, MONSIEUR et MADAME BOILEAU, SERPETTE, avec une hotte, un panier, des serpettes, etc.

 

SERPETTE.

V’là tous les affutiaux.

DESVIGNES,

Allons, cousine, à vous ce panier.

SERPETTE, aidant Monsieur Boileau à passer sa hotte.

Aidez-vous donc un peu.

BOILEAU, se promenant avec sa hotte.

Air : l’Amour ainsi qu’la nature.

Que les vendangeurs sont drôles !

SERPETTE.

Baissez un peu les épaules.

BOILEAU.

Ma hotte ne pèse rien.

SERPETTE, à part.

Elle est vide, je l’ crois bien.

BOILEAU.

Je veux qu’elle soit remplie
De vos raisins les plus beaux.

SERPETTE, à part.

Avant ce soir, je parie,
Qu’il eu aura plein le dos.

MADAME BOILEAU.

Partons, partons !

Elle donne le bras à Monsieur Boileau.

BOILEAU.

Allons, oui, partons, ma femme le dit.

TOUS.

Air : Allons, dépêchons.

Ah ! d’un pas léger,
Allons tous vendanger ;
Ce plaisir n’offre aucun danger.
Courons les coteaux
Et coupons à propos
Tous les raisins les plus gros.

BOILEAU, à Desvignes.

Si sous ce costume badin
Ma femme m’agaçait sous cape,
Je serais homme, cher cousin,
À mordre encore à la grappe.

TOUS LES QUATRE.

Ah ! d’un pas léger, etc.

Ils sortent tous excepté Serpette.

 

 

Scène VII

 

SERPETTE, seul

 

Voilà encore de bons ouvriers, pas trop ! ça va manger notre soupe aux choux, et ça ne fera pas la moitié de l’ouvrage : et ce grand dadet de Benjamin qui veut épouser la fille d’un vigneron... Est-ce que ça se connaît en vin ?... Comment, est-ce que Monsieur Prosper Lagrappe souffrira ça... Le voilà qui rôde autour de l’enclos... il regarde si mam’zelle Bastienne est là... Entrez donc, Monsieur Prosper.

 

 

Scène VIII

 

SERPETTE, PROSPER, TAPALŒIL

 

PROSPER.

Que me veux-tu, mon pauvre Serpette ?

SERPETTE.

Ah ! ah ! vous n’êtes pas seul ; c’est égal, entrez, Monsieur le militaire.

PROSPER.

C’est un ami, un brave camarade !

TAPALŒIL.

Oui, mon ancien, et je me nomme Tapalœil, à votre service.

SERPETTE, mettant la main sur un œil.

Non, merci... Eh bien, Monsieur Prosper, savez-vous pourquoi que je vous ai fait entrer ?

PROSPER.

Non.

SERPETTE.

C’est pour vous dire de vous en aller... Monsieur Benjamin Boileau vient pour épouser mam’zelle Bastienne... Il est ici avec ses père et mère... et tout en faisant les vendanges, il coupe l’herbe sous le pied à votre amour.

PROSPER.

Est-il possible !... Ah ! mon ami, je suis au désespoir !

TAPALŒIL.

Eh bien ! y penses-tu ? qu’est-ce que c’est que ce ton là ?... On dirait que tu viens de perdre une bataille... Eh ! morbleu, tout n’est pas désespéré.

PROSPER.

Ne l’entends-tu pas ?

TAPALŒIL.

Ah ! je vois à ton air que depuis que tu as quitté le régiment, tu n’es plus soldat.

PROSPER.

Que dis-tu, mon ami ?

Air : Du premier pas.

Je suis soldat,
Mon cher, pourrais-tu croire,
Qu’ainsi l’on puisse oublier son état,
Au souvenir de plus, une victoire,
Tâte mon cœur... quand on parle de gloire,
Sens comme il bat. (bis.)

Mais, toi, tu n’es donc plus sensible à l’amour ?

TAPALŒIL.

À l’amour !... mille bombes !

Même air.

Je suis soldat,
Mais j’aime sa fleurette ;
Faire l’amour est aussi notre état :
C’est dans la paix une douce amusette ;
Tâte mon cœur... je vois une fillette,
Sens comme il bat. (bis.)

SERPETTE.

Eh ! bien, vous allez battre en retraite. V’là ma commission achevée ; je ne peux pas rester davantage, vu qu’il faut que j’aille quérir des vendangeurs.

PROSPER.

Tu disais que vos vendanges étaient commencées.

SERPETTE.

Oui, elles sont dans un joli état ! Ce diable de Monsieur Desvignes, il lésine, il lésine en diable, il n’a pas voulu les payer, tous les vendangeurs sont occupés ailleurs, nous n’avons que des filles, pas d’hommes, je n’en peux trouver.

TAPALŒIL.

Quoi, vous n’avez pas de vendangeurs ?

SERPETTE.

Mon dieu non... nous n’avons que des vendangeuses.

TAPALŒIL.

Et vous voudriez des hommes ?

SERPETTE.

Tant que j’en pourrons trouver... Cinquante arpents de vignes à vendanger.

TAPALŒIL.

Que ne parliez-vous ?... j’ai ce qu’il vous faut.

SERPETTE.

En vérité ?

TAPALŒIL.

Oui, de braves gens, qui ne demandent qu’à être utiles, et gratis encore.

SERPETTE.

Gratis, ah ! que Monsieur Desvignes va t être content ! Je cours lui dire ça... mais il faut les rassembler tout de suite.

TAPALŒIL.

Ce ne sera pas long ; tu vas voir cela.

PROSPER, à Tapalœil.

Mais, mon ami...

TAPALŒIL.

Ne devines-tu pas que notre présence va être utile à ton amour, et que la famille Boileau se souviendra d’être venue aux vendanges de Champagne.

Au tambour.

Tapin, un roulement.

Roulement.

SERPETTE.

Ah ! ben, ah ! ben, v’là encore une drôle de manière de faire venir des vendangeurs. Je cours dire ça au bourgeois.

Il sort.

 

 

Scène IX

 

SERPETTE, PROSPER, TAPALŒIL, LATULIPE, LES SOLDATS, en veste blanche et en bonnet de police

 

CHŒUR.

Air : Entends-tu l’ rappel qui sonne.

Déjà le tambour résonne,
Faut-il s’exercer, nous voilà.
Dès qu’ l’heur’ du service sonne,
Notre légion est toujours là.

TAPALŒIL.

Il faut mettr’ la main à l’œuvre,
Dans un instant il s’agira
D’une nouvelle manœuvre
Qui sans doute vous plaira.

CHŒUR.

Déjà le tambour, etc.

LATULIPE.

Qu’est-ce qu’il y a donc, sergent ?

TAPALŒIL.

Mes amis, êtes-vous capables d’une grande expédition ?

LATULIPE,

En doutez-vous ?

TAPALŒIL.

D’un grand dévouement ?

LATULIPE.

Menez-nous où vous voudrez.

TAPALŒIL.

Eh ! bien, je vais vous mener...

LATULIPE.

En enfer, s’il le faut.

TAPALŒIL.

Non, pas si loin ; je vais vous mener en vendanges.

LATULIPE.

En vendanges ?

TAPALŒIL.

Ça vous étonne ?

PROSPER.

Mes amis, la fête sera complète, bonne chère, bon vin et de jolies vendangeuses.

LATULIPE.

C’est charmant !... en avant, marche !

TAPALŒIL.

Un moment... attendez le général, c’est-à-dire le bourgeois de la vigne.

Air : C’est la petite Thérèse.

Qu’ la disciplin’ soit sévère,
Nous n’ somm’s pas chez l’ennemi.
Chaque Français est un frère
Qu’on n’doit pas servir à d’mi.
Que personne ne s’échappe,
Car nous allions un fier train
Quand nous mordions à la grappe
Dans la vigne du voisin.

Attention au commandement... J’aperçois le général lui-même avec son aide-de-camp.

LATULIPE, voyant Serpette.

Il est un peu déjeté, l’aide-de-camp.

TAPALŒIL.

On va vous passer en revue... à vos rangs !

Ils se rangent sur deux files. Prosper sort.

 

 

Scène X

 

LES MÊMES, DESVIGNES, SERPETTE

 

SERPETTE.

Tenez, not’ bourgeois, les voilà... Ai-je t’y menti ?

DESVIGNES.

Bonjour, Messieurs.

TAPALŒIL.

Messieurs... Dites donc camarades... Nous sommes bons enfants.

DESVIGNES.

Messieurs mes camarades, quel plaisir vous me faites !... Quel service vous me rendez... et gratis encore, à ce que m’a dit Serpette.

TAPALŒIL, gaiement.

Un soldat français ne fait rien par intérêt.

DESVIGNES.

Je le sais.

Air : Vaudeville de la Bouquetière anglaise.

Vous ne restez pas en arrière
Pour obliger votre prochain.
Au lieu d’une arme meurtrière,
Je vous verrai la serpette à la main.

TAPALŒIL.

De vendanger nous nous ferons tous gloire,
Oui nous pouvons, en cueillant vot’ raisin,
Vous aider à faire le vin,
Puisque nous vous aidons à l’ boire.

TOUS.

Vous aider, etc.

DESVIGNES.

Allons, vous êtes de bons garçons, de bons lurons !... Eh ! morbleu, nous défoncerons ce soir une feuillette de vieux champagne, afin de faire place au nouveau.

TAPALŒIL.

S’il ne s’agit que de ça, la place ne vous manquera pas.

SERPETTE.

Ce sont des gaillards qui flûtent joliment.

DESVIGNES.

Allons, ne perdons point de temps ; Serpette, donne aux camarades tout ce qu’il faut.

TAPALŒIL.

Air : À soixante ans.

Vous voulez bien accepter nos services,
Et vous aurez de zélés travailleurs ;
Mais dans c’métier étant un peu novices,
P’t’ être aurez-vous de mauvais vendangeurs.

DESVIGNES.

Morbleu ! des gens tels que vous sont bien dignes
D’être comptés dans les bons ouvriers ;
Car vous saurez vendanger dans les vignes
Comm’ vous savez moissonner des lauriers.

SERPETTE.

Allons, allons, par ici, mes amis, voilà un tas d’outils... on pas ce tas là, ce tas ci ; prenez les paniers, les hottes ; laissez-là les bottes d’osier et les cerceaux ; ne touchez donc pas aux cerceaux... Allons, v’là qu’ils me prennent les jambes à présent.

TAPALŒIL.

C’est moi qui me trompais.

SERPETTE, riant.

Oh ! farceur !... Le camarade s’amuse.

DESVIGNES.

Allons rejoindre nos vendangeuses... Les voici sur le coteau voisin.

On voit les vendangeuses qui se rapprochent en travaillant.

TAPALŒIL.

Montrez-nous le chemin, Monsieur Desvignes.

TOUS.

Air : Vive, vive sans cesse, du Nécessaire.

Les vignes nous demandent,
Ne nous arrêtons pas.
Les Filles nous attendent,
Amis, doublons le pas.

TAPALŒIL.

En vendange, il me semble,
Que tout doit s’excuser ;
Nous cueillerons ensemble
La grappe et le baiser.

LE CHŒUR.

Les vignes, etc.

Les soldats s’éloignent ayant Desvignes à leur tête. Serpette s’occupe à faire des bottes d’osier.

 

 

Scène XI

 

PROSPER, TAPALŒIL, BASTIENNE, DESVIGNES, sur le coteau

 

PROSPER, à Tapalœil.

Ils s’éloignent... Si Bastienne pouvait s’approcher !... La voilà qui descend de ce côté... Mais son père est sur le coteau... Il la surveille.

Il se cache derrière une vigne.

TAPALŒIL.

Laissez-moi faire.

Allant à Bastienne.

Mademoiselle, votre panier n’est pas encore plein ?

BASTIENNE.

Ah ! Monsieur, je ne suis pas une paresseuse ; voilà déjà deux fois que je le vide.

TAPALŒIL.

Voyez donc comme cette vigne est chargée de grappes... Allez donc, je suis sûr que vous serez contente de ce que vous y trouverez.

BASTIENNE, allant au ceps de vigne, derrière lequel Prosper est caché sur le devant du Théâtre.

Vraiment...

Elle voit Prosper.

Ah !

DESVIGNES, au haut du coteau.

Qu’as-tu donc à crier ?...

BASTIENNE.

C’est la surprise, mon père !... Ah ! la belle vigne !... La belle vigne !

PROSPER, bas.

Ma chère Bastienne, on veut nous séparer.

BASTIENNE, de même.

Je n’y consentirai jamais.

DESVIGNES, sur le coteau.

Oh ! l’année est superbe ! on n’a jamais vu de fruit pareil sur les vignes, n’est-ce pas, Bastienne ?

BASTIENNE.

C’est vrai, mon père.

DESVIGNES.

Tu mettras celui-là à part pour Madame Boileau.

BASTIENNE.

Du tout, je le garde pour moi.

TAPALŒIL, à part.

La petite friande !

BENJAMIN, paraissant sur le coteau.

De quoi s’agit-il donc ?

DESVIGNES.

Ah ! te voilà, toi ! tu vas aider Bastienne ; va faire le galant auprès d’elle.

TAPALŒIL.

Voici notre prétendu. À nous, camarades.

BENJAMIN.

La voilà donc enfin.

Courant auprès d’elle.

BASTIENNE, à Prosper.

Oh ! Ciel ! Il va te voir !

PROSPER.

Il ne me connaît pas.

Il reste à genoux et feint de vendanger.

BENJAMIN.

Permettez, mademoiselle et charmante future...

BASTIENNE.

Je ne permets rien, Monsieur.

BENJAMIN.

Je dois et je veux vous aider.

BASTIENNE.

Je n’ai besoin de personne, je vendangerai bien seule.

BENJAMIN.

Seule, mais voilà un vendangeur qui est là, en tapinois... Que faites-vous donc là, vous ?

PROSPER.

Ce que je fais... vous le voyez.

Air : Jeunes beautés aux regards tendres.

Je cueille la grappe nouvelle,
Laissez-moi faire mon métier.
Je le vois, malgré votre zèle,
Vous êtes mauvais ouvrier.
Dans cette vigne qui m’est chère,
Je saurai si bien travailler
Que vous ne pourrez, je l’espère,
Y trouver même à grappiller.

BENJAMIN, à part.

Ah ! ah ! tout ça me paraît suspect... Si je me cachais un peu pour voir ce que ça deviendra... mettons-nous dans le cuvier.

Il se cache dans ce cuvier.

TAPALŒIL, à part.

Bon, le voilà dedans.

Haut.

Eh dis donc, Latulipe, je suis las, si nous nous reposions un peu.

LATULIPE, tirant un jeu de cartes de sa poche.

Oui, et pour passer le tems, veux tu faire une partie ?

TAPALŒIL.

Hein ! volontiers.

LATULIPE.

As-tu de l’argent ?

TAPALŒIL.

Non, absent par congé.

LATULIPE.

Eh bien ! qu’est-ce que nous jouerons, la drogue ?

TAPALŒIL.

Non, mieux que ça : tu as vu ce grand échalas qui prétend souffler Bastienne à Prosper !

LATULIPE.

Oui.

TAPALŒIL.

Si nous jouions ses oreilles, hein ! qu’en dis-tu ?

BENJAMIN, dans le cuvier.

Par exemple ! en voilà de belles !

LATULIPE.

C’est dit. Celui qui gagnera, aura le plaisir de les lui couper.

TAPALŒIL.

Allons, ça va ; ses oreilles à la triomphe.

Ils baissent le cuvier sous lequel Benjamin se trouve pris. Il doit y manquer une planche sur le devant, de manière que le public voie sa figure.

TAPALŒIL, mettant un jeu de cartes sur le cuvier.

Voyons à qui fera.

LATULIPE, coupant.

À toi.

Air : Quand on va boire à l’écu.

Donne les cartes, je t’attends.

TAPALŒIL, donnant.

Deux, trois, quatr’, cinq, allons, jouons bien vite ;
Pique pour moi.

LATULIPE.

Du cœur.

TAPALŒIL.

Je prends.

BENJAMIN, dans le cuvier.

J’prendrais bien d’suite
La clé des champs.

LATULIPE, jouant.

Ne trich’ pas.

TAPALŒIL.

C’est entendu.
C’est à moi qu’l’honneur est dû
D’étriller le prétendu.
Je coup’

LATULIPE.

Tu coup’s ?

BENJAMIN.

Il coup’. Ah ciel ! je suis perdu !

Ensemble.

TAPALŒIL, ramassant les cartes.

J’ai gagné, le fait est certain.
Allons, mon cher, la partie
Est finie,
Et je veux avoir, avant d’main,
Les oreill’s de not Benjamin.

LATULIPE.

Tu gagnes, le fait est certain.
Allons, mon cher, la partie
Est finie,
Et tu dois couper, avant d’main,
Les oreill’s de not’ Benjamin.

BENJAMIN, dans le cuvier.

Il gagne, le fait est certain.
Eh quoi ! déjà la partie
Est finie ?
Est-il vrai qu’il aurait, avant d’main,
Tes oreill’s, mon pauvr’ Benjamin ?

 

 

Scène XII

 

LES MÊMES, MONSIEUR et MADAME BOILEAU, PROSPER, BASTIENNE

 

MADAME BOILEAU.

Mais, où est-il donc passé ce petit drôle-là ?... Messieurs, vous n’avez pas vu mon Benjamin ?

LATULIPE.

Non, Madame.

Bas à Benjamin.

Si tu dis un mot !...

BENJAMIN, sous le cuvier.

Je me tais.

BOILEAU.

Sa future doit se dessécher sur pied de ne pas le voir.

Apercevant Prosper qui embrasse Bastienne.

Ah ! ma femme, qu’est-ce que je vois ?... Bastienne qui se laisse embrasser par un vendangeur ! courons conter cela au cousin Desvignes.

TAPALŒIL, à part.

Diable ! il faut les empêcher.

Prenant Madame Boileau par la main.

Eh ! voilà une vendangeuse que je n’avais pas encore aperçue... Eh ! d’où sortez-vous donc, ma belle enfant ?

BOILEAU.

Qu’appelez-vous, ma belle enfant l pas tant de familiarité, s’il vous plaît, vous devez voir que ma femme n’est pas un enfant.

LATULIPE.

Parbleu, vous arrivez bien, vous allez danser avec nous la ronde des vendanges.

BOILEAU.

Par exemple !

TAPALŒIL.

Ah ! il faut danser.

Tapalœil prend Madame Boileau par le bras, il fait un signe, quatre soldats sortent des vignes, entourent Madame Boileau et dansent en la forçant de rester dans le rond.

CHŒUR.

Air : Vaudeville des deux Valentins.

Vendangeons, vendangeons,
Et pourtant dansons,
Mes amis, célébrons
Le vin qu’ nous aurons.
Vendangeons,
Vendangeons,
Plus tard nous ferons
Sauter tous les bouchons.

PROSPER.

L’an dernier ici,
J’ vendangions aussi,
Voilà la ressemblance,
L’ vin tournait, dit-on,
C’t’année y sera bon,
Voilà la différence.

BOILEAU, se fâchant.

Messieurs, Messieurs, voulez-vous bien me rendre mon épouse.

Des jeunes filles à qui Bastienne à fait signe, viennent entourer Monsieur Boileau et le font danser de force comme les soldats font danser sa femme.

REPRISE DU CHŒUR.

Vendangeons, vendangeons, etc.

TAPALŒIL.

Partout l’ vin manquait,
Partout on l’aimait,
Voilà la ressemblance.
On n’buvait qu’un coup,
On boira beaucoup,
Voilà la différence.

CHŒUR.

Vendangeons, vendangeons, etc.

 

 

Scène XIII

 

LES MÊMES, DESVIGNES, SERPETTE

 

DESVIGNES.

Eh bien ! c’est ainsi qu’on répare le temps perdu !

SERPETTE.

Tiens, y dansent eux... ils n’sont pas gênés.

DESVIGNES, voyant Monsieur Boileau tout étouffé.

Eh bien ! qu’avez-vous donc, cousin Boileau ?

BOILEAU.

Rien, c’est que j’ai été incommodé tout à l’heure, on m’a fait danser de force, et comme je venais de boire de la tisane...

PROSPER, riant.

Oui, de la tisane de Champagne.

DESVIGNES, voyant Prosper.

Ah ! ah ! c’est vous, Monsieur Prosper ; comment, malgré ma défense...

PROSPER, embarrassé.

Mais, père Desvignes...

DESVIGNES.

Je vous trouve bien hardi d’avoir osé vous introduire chez moi, sortez sur-le-champ.

TAPALŒIL.

Allons, tranquillisons-nous, voyons, je suis calme, moi... de quoi s’agit-il ? Il paraîtrait, mon cher Prosper, que c’est là le papa qui te refuse la main de sa fille pour la donner à un nigaud.

BENJAMIN, sous le cuvier.

Hein !

TAPALŒIL.

Il t’ordonne de sortir de chez lui sur-le-champ.

DESVIGNES.

C’est cela...

TAPALŒIL.

C’est trop juste, respect aux papas, la morale l’exige. Allons, tambour ; un roulement.

 

 

Scène XIV

 

LES MÊMES, TOUS LES SOLDATS

 

Le tambour fait un roulement, tous les soldats sortent des vignes et viennent se mettre sur un rang.

CHŒUR.

Déjà le tambour résonne,
Faut-il s’exercer ? nous voilà !
Dès que l’heur’ du service sonne,
Notre légion est toujours là.

DESVIGNES.

Qu’est ce que ça veut dire ?... Messieurs, je n’ai pas parlé de vous.

TAPALŒIL.

Air de Lantara.

Monsieur, nous sommes militaires
Ici nous respectons vos droits ;
Mais comme nous vivons en frères,
Nous soutenir, voilà nos lois. (bis.)
Nous vous le disons sans bravades,
Tout devient commun entre nous ;
Et renvoyer un de nos camarades,
C’est vouloir que nous partions tous.

D’un ton de commandement.

Camarades, par file à droite, pas accéléré, marche !

DESVIGNES, se mettant devant eux.

Un moment, un moment !

TAPALŒIL, aux soldats.

On veut parlementer, camarades, halte !

SERPETTE.

Les belles évolutions !

DESVIGNES.

Songez donc qu’il s’agit de ma fortune ; l’année est si bonne ; qui sait quand nous en aurons une pareille.

SERPETTE.

Laissez donc, sept années de disette, sept années d’abondance...c’est connu.

TAPALŒIL.

C’est cela. Camarades, en avant.

DESVIGNES,

Mais, qu’exigez-vous ?

TAPALŒIL.

Que Prosper épouse celle qu’il aime.

DESVIGNES, à Boileau.

Vous voyez, cousin Boileau, qu’il n’y a pas moyen de faire autrement.

TAPALŒIL.

À la bonne heure. Soldats, rompez les rangs, aux vignes !

BENJAMIN, sous le cuvier.

Ah ! ça, et moi donc, qu’est-ce qui va me tirer de là ?

LATULIPE, levant le cuvier.

Allons, sors, et tu garderas tes oreilles.

BENJAMIN.

Et je garderai ?

SERPETTE.

Vos oreilles... est-ce que vous êtes sourd ?

BENJAMIN.

Dites donc, papa, d’après ce que je viens d’entendre dans ce cuvier, il paraît que c’est en vain...

BOILEAU.

Oui, mon ami... qu’est-ce que c’est donc qu’un pays où l’on fait danser de force les maris, où l’on se grise avec de la tisane ?... De vos vendanges j’en ai...

SERPETTE.

Plein le dos. C’est ce que je l’y disais à ce matin.

BENJAMIN.

Oui, papa, parce que nous sommes des Citadins et eux des Champenois. Allons-nous-en.

MONSIEUR et MADAME BOILEAU.

Allons-nous-en.

BOILEAU.

Nous arriverons encore à temps pour faire nos vendanges à Clignancourt.

SERPETTE.

Clignancourt-Montmartre ? ça doit faire de jolie boisson.

TAPALŒIL.

Consolez-vous, on fera bonne vendange partout cette année.

Air : Sans mentir

Faisons donc chacun les nôtres,
On ne trouve, sans mentir,
À vendanger pour les autres,
Ni courage, ni plaisir.
Mais enfin la destinée
Change pour les vignerons.
Mes chers amis, cette année,
Tout le vin que nous ferons,
Espérons ;
Espérons,
Que c’est nous qui le boirons.

TOUS.

Espérons, etc.

SERPETTE.

Dame, chacun son tour, ça n’est que juste.

Vaudeville.

DESVIGNES.

Air : Une nouvelle aussi bonne, aussi belle. (Des Deux Valentins.)

D’ la joie universelle        } bis.
Que tout se ressente ici, }
Allons, jarni,
Point de souci.
Une vendange aussi bonne, aussi belle,
Vaut un mari ;
Mon enfant, le voici.

Il unit Prosper à Bastienne.

CHŒUR.

Une vendange, etc.

PROSPER, à Bastienne.

Partout le vin ruisselle,    } bis.
Ça doit donner du cœur. }
Espoir flatteur
Pour notre ardeur.
Une vendange aussi bonne, aussi belle,
Avant un an nous portera bonheur.

CHŒUR.

Une vendange, etc.

LATULIPE.

Buvons à pleine écuelle } bis.
Le vin aura du goût.       }
Y en a beaucoup,
Et bon surtout.
Une vendange aussi bonne, aussi belle,
Vaut un p’tit coup
Que l’on boira partout.

CHŒUR.

Une vendange, etc.

SERPETTE.

Que le violon m’appelle, } bis.
On me verra m’lancer,    }
Sauter, valser,
Me trémousser.
Une vendange aussi bonne, aussi belle,
Doit fair’ danser...
Comm’ je vas me r’dresser.

CHŒUR.

Une vendange, etc.

TAPALŒIL, au Public.

Quand le ciel renouvelle         } bis.
Pour nous tous ses bienfaits, }
Nous chantons avec zèle
Le bonheur des Français.
Point de procès,
Point de... la paix !
Une vendange aussi bonne, aussi belle,
À nos couplets
Doit valoir un succès.

CHŒUR.

Une vendange, etc.


[1] Ce rôle doit être joué en caricature. Serpette doit avoir les jambes crochues et la voix aigre comme tous les gens mal conformés.

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