Les Trois polka (Pierre CARMOUCHE - DUMANOIR - Paul SIRAUDIN)

Vaudeville en un acte.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 24 mars 1844.

 

Personnages

 

AVENTURINE LERAT, danseuse

HECTOR, danseur

MONSIEUR BLAIREAU, ancien marchand

MADAME BLAIREAU

BATANDIER

PASTOURELLE, vieux maître à danser

 

La scène se passe chez Aventurine.

 

Un petit salon, meublé élégamment. Porte au fond avec verrou. Au deuxième plan, porte de chaque côté. À gauche, au premier plan, une cheminée avec pelle et pincettes.

 

 

Scène première

 

HECTOR, AVENTURINE

 

HECTOR, entrant du fond.

Où est-elle donc ?

Frappant à la porte de droite.

Aventurine !... c’est moi... Hector...

AVENTURINE, en dehors.

N’entre pas !... Je suis à ma toilette.

HECTOR.

Ah ben ! pardi !... qu’est-ce que ça fait ?... entre artistes.

AVENTURINE.

Par exemple !... Va te promener !

HECTOR.

J’y vais, ma bonne, j’y vais...

S’étalant dans un fauteuil.

Ah !... je suis brisé, rompu... Donner des leçons de polka depuis l’aurore jusqu’à minuit... et ainsi de suite, d’heure en heure... comme les départs du chemin de fer... Je tourne à la locomotive.

Consultant un carnet.

Voyons donc dans quelles rues je suis attendu... Hum ! hum !... Milan, n° 14... Londres... 17... Alger... 5... et puis après... Amsterdam, 6... En v’là des voyages !... et tout ça, ce soir !...

 

 

Scène II

 

HECTOR, PASTOURELLE

 

PASTOURELLE, tenant un écriteau, entre en chantant la gavotte et en sautillant.

Tra la la la lère...

HECTOR, se levant.

Eh ! c’est ce cher Pastourelle !... mon vieux professeur. Permettez-moi de vous saluer.

Il le salue en dansant.

PASTOURELLE, dansant aussi.

Et moi aussi.

HECTOR, même jeu.

Comment vous portez-vous ?

PASTOURELLE, même jeu.

Très bien, et vous ?

HECTOR, même jeu.

Pas mal et vous ?

PASTOURELLE, battant des entrechats.

Merci, et v...

HECTOR.

En voilà assez...

L’arrêtant.

Oh là ! oh !

PASTOURELLE, gaiement.

Ça fait du bien... ça entretient le jarret... et ça conserve les traditions.

HECTOR, lui serrant la main.

Les bonnes vieilles traditions, auxquelles vous tenez tant, mon maître... vous, le dernier représentant de la grande danse... la danse des Vestris et des Gardel...

PASTOURELLE.

Celle que je t’ai inculquée, mon garçon... ainsi qu’à elle, ma bonne petite Aventurine... Un trésor ! dont j’ai fait cadeau à M. Corali...

Cherchant autour de lui.

Mais, je ne la vois pas, mon élève, ma voisine ?

HECTOR, étonné.

Votre voisine, père Pastourelle ?... et depuis quand ?

PASTOURELLE.

Depuis trois jours... Eh ! oui, j’ai quitté mon ancienne salle de danse... rue du Pas-de-la-Mule... J’étais enfoncé dans le Marais... et je loge maintenant ici, au second, au-dessus de la petite... Tiens, je venais lui montrer mon écriteau, dont je vais orner la porte cochère...

HECTOR, lisant l’écriteau.

« Pastourelle, professeur de grâces et de maintien. »

PASTOURELLE, modestement.

Tu sais, je professe le maintien...

HECTOR.

Et les grâces...

Continuant.

« Leçons de polka au deuxième. » De polka !... Vous aussi, père Pastourelle !

PASTOURELLE.

Hein ?... permets...

HECTOR, avec chaleur.

Et vous avez raison... La polka !... Mais je la bénis !... mais, je voudrais pouvoir lui élever des hôtels... garnis !... que je louerais très cher... La polka !... mais c’est ma fortune !... Qu’étais-je, il y a quinze jours ?... Un simple et obscur danseur de l’Opéra, perdu dans la foule... un rat masculin !... gagnant 1500 francs, sans compter les amendes... qui portaient mes appointements à... 1350... Mais aujourd’hui, grâce à la polka... je ne dors plus, je ne déjeune plus, je ne dîne plus... Je suis entraîné par un tourbillon de leçons, un torrent de cachets, qui roule sur un lit de pièces de vingt francs !... Faites comme moi, mon maître, et crions : Vive la polka !

PASTOURELLE, indigné.

Moi ?... pousser des cris cosaques, des cris séditieux !... Jamais ! jamais !

HECTOR.

Ah bah !... Mais cet écriteau... Leçons de...

PASTOURELLE, fièrement.

J’annonce : Leçons de polka... mais je n’en donne pas.

HECTOR.

Tiens ! voilà un nouveau procédé.

PASTOURELLE.

Moi, aider à propager ces choses étrangères ! Vos cachucha... polonaises !... vos mazurka... espagnoles !... Mais c’est l’invasion des barbares, mon pauvre garçon !

Air de Turenne.

Non, non, jamais les danses étrangères
N’ont profané les deux pieds que voilà.
Noble gavotte de nos pères,
Votre saint culte est resté là !

Il se frappe le mollet.

HECTOR, riant.

Même à Berlin, quand on vous envoya ?

PASTOURELLE.

Non ! non !... polkas, mazurkas ou pas russe,
Ne me firent point déroger !
Je n’ai jamais dansé pour l’étranger...
Excepté pour le roi de Prusse !
J’ai dansé pour le roi de Prusse !

HECTOR.

Cependant, la cachucha...

PASTOURELLE, avec humeur.

La cachucha !... Tiens...

La dansant grotesquement, en chantant avec colère.

Tra la la la !...

S’arrêtant.

C’est donc joli, ça ?...

HECTOR.

Non... franchement.

PASTOURELLE.

Et ta mazurka !...

Il la danse très ridiculement.

C’est donc encore joli, ça ?

HECTOR.

Non, c’est une vilaine chose !...

PASTOURELLE.

Tu vois donc bien !... Et cette autre danse, qui nous vient, je crois, de la Chine... puisqu’on l’appelle kan-kan... c’est donc joli ?...

HECTOR, l’arrêtant.

Non, c’est défendu.

PASTOURELLE.

Et je suis de l’avis de messieurs les sergents de ville... J’avoue cependant une faiblesse... Je me suis mis au galop !... J’ai même capitulé avec la valse, je me suis laissé étourdir par elle, malgré son origine... tudesque... Et encore, si ça ne fait pas bondir, la manière dont valse notre génération !

HECTOR.

Comment ?

PASTOURELLE.

Autrefois, jadis, naguère encore, on valsait à trois temps... nous jouissions de trois temps, et ce n’était pas trop... Ne voilà-t-il pas que maintenant on valse à deux temps !...

HECTOR.

Oui, certes !

PASTOURELLE.

Malheureux !... Tu ne sais donc pas où ça nous mène !... L’an prochain, on valsera à un temps... et dans dix ans, on valsera sans temps !

HECTOR.

Alors, ce sera la fin des temps !

PASTOURELLE, criant.

Et on appelle ça du progrès !... et on appelle ça du...

HECTOR.

Voyons, calmez-vous.

PASTOURELLE.

Mon Dieu ! mais je suis prêt à faire des concessions !... Je ne demande pas qu’on revienne aux tricotets, à la chaconne, au menuet, à la gavotte... Je ne suis pas non plus un grand partisan de la courante... Ce serait trop beau pour un siècle de sauteurs comme le nôtre !...

HECTOR.

Ah ! je vous en remercie.

PASTOURELLE.

Dis-moi, aujourd’hui, qui est-ce qui entre-chatte ?...

HECTOR.

Plaît-il ?

PASTOURELLE.

Je dis qu’il n’y a plus en France un seul entrechattier ! excepté moi, peut-être !... Et j’irais apprendre à de malheureux jeunes gens un pas l’autre... comme ceci...

Il figure.

Ah ! fi ! ah ! fi !... j’aimerais mieux me casser le tibia !... C’est absolument la danse des dindons !

HECTOR.

Ah ! ah ! des personnalités !

PASTOURELLE.

Je t’assure... prends les deux premiers dindons venus, les plus dindons que tu pourras trouver... mets-les dans une poêle à frire... bien chauffée... ils danseront la polka !

HECTOR.

Oh ! il faut encore du talent !

PASTOURELLE.

Laisse-moi donc tranquille... du talent ?... il faut du talon !...

Il tape.

hein !...

HECTOR.

Ah ça ! mais, avec ces idées... quand on vient chez vous, sur la foi de ceci...

Montrant l’écriteau.

pour vous en demander des leçons à cinq francs le cachet... vous refusez donc ?

PASTOURELLE, vivement.

Du tout, mon bien bon ! je ne refuse jamais les cinq francs... Je prends les cinq francs... je commence par là... Il ne faut pas décourager les personnes qui ont des dispositions... Mais je fais ce raisonnement-ci : la polka est une chose qui n’est pas encore bien connue... la gavotte est une chose qui n’est plus connue du tout ; donc, c’est également nouveau... donc, c’est absolument la même chose pour celui qui ne sait pas... On me donne cinq francs pour une leçon de polka... je donne en place une leçon de gavotte, qui vaudrait dix francs comme un liard... C’est encore moi qui y mets du mien.

HECTOR.

Et... avez-vous déjà fait beaucoup d’élèves dans ce genre-là ?

PASTOURELLE.

Oh !... un seul !... Et celui-là peut se vanter de danser la polka comme feu Gavotte lui-même !

HECTOR.

Air : Vaudeville d’une heure de folie.

Oui, mais l’argent que l’on vous à donné,
On pourrait vous le faire rendre ;
Car l’élève ainsi façonné,
A payé... pour ne rien apprendre.

PASTOURELLE.

Mon cher, suis bien ce raisonnement-là,
Et j’aurai, je crois, gain de cause :
Puisqu’il apprend qu’il n’ sait pas la polka.
Il a donc appris quelque chose.

 

 

Scène III

 

HECTOR, PASTOURELLE, AVENTURINE

 

AVENTURINE, entrant, prend le milieu.

Ah ! ah ! quelle réunion ! l’ancienne et la nouvelle école... Bonjour, Hector, bonjour, vieux, comment ça va-t-il ?... Tiens, vous avez l’air tout... Je ne dirai pas le mot.

HECTOR.

Il est furieux contre la nouvelle danse...

AVENTURINE.

Vrai ?... Ah ! vieux, vous avez tort... c’est une chose fièrement utile dans bien des occasions !

PASTOUBELLE.

Utile... pour toi, qui en vends !

AVENTURINE.

Pour tout le monde !... Tenez, demandez à ce vieux diplomate de l’avant-scène... qui a été rencontré chez la petite... chose, de chez nous. On voulait le mystifier... qu’est-ce qu’il a répondu ?... « Je viens apprendre la polka... » Et dernièrement, quand un monsieur a surpris dans l’appartement de sa femme le petit... le petit chose... de chez nous... quelle explication a-t-il donnée à ce monsieur ?... Polka !

HECTOR, riant.

Depuis ce temps-là, on dit qu’un mari est... polké !

AVENTURINE, regardant Pastourelle.

C’est toujours moins désagréable que de dire qu’un mari est...

Il l’arrête.

Je ne dirai pas le mot.

PASTOURELLE.

Je t’en sais gré...

Soupirant.

Ne rouvre pas d’anciennes blessures !

HECTOR.

Ah ça ! ma bonne, il faut que nous convenions de nos faits pour ce bal de ce soir... Il est décidé que nous y danserons... Quinze louis.

PASTOURELLE.

Ah ! les banquistes !... Et moi ?...

HECTOR, passant au milieu.

Oui, mon vieux, c’est comme ça...

À Aventurine.

La duchesse Flouriska m’enverra sa voiture avec son chasseur ! et je viendrai te prendre à onze heures, heure militaire. As-tu ton costume bohême ?...

AVENTURINE.

Complet !... et un peu joli, tu verras.

HECTOR.

Oh ! Dieu !... sept heures !... et la rue de Milan qui m’attend ! et la rue d’Alger qui s’impatiente ! En avant la locomotive !

Il va prendre son chapeau.

PASTOURELLE.

Et moi, je vais poser mon écriteau... afficher ma honte !...

AVENTURINE, l’arrêtant.

Du tout, vieux... vous allez me copier encore quelques réclames... qu’il faut continuer à lancer dans les journaux politiques...

Récitant.

« Mademoiselle Aventurine Lerat, de l’Académie royale de musique, vient d’ouvrir une salle de... et cætera... »

HECTOR.

L’envoies-tu à tous les journaux ?

AVENTURINE, l’arrêtant.

Non, à quelques-uns seulement... Vous m’en ferez 350 copies.

PASTOURELLE, hésitant.

Tu sais, ma fille, que je me sers difficilement de mes mains... oh ! si tu avais besoin de mes jambes...

AVENTURINE.

Eh bien ! j’en aurai besoin aussi... Vous irez aux journaux pour moi...

Le câlinant.

allez... vous trouverez dans ma chambre tout ce qu’il vous faut... avec ce bon vin de Malaga que vous aimez... Soyez gentil, gros joufflu !

PASTOURELLE.

Câline, va !... Elle me ferait danser sur la tête !... ce qui serait une méthode bien gênante.

ENSEMBLE.

Air du Tambour-Major.

C’est pour toi, tu peux m’en croire...
L’honneur des danseurs français,
Va travailler à la gloire
De ces cancans polonais !

AVENTURINE et HECTOR.

Ah ! pour       { toi quelle victoire !
                        { moi
Lui, le vieux danseur français,
S’en va proclamer la gloire
Des triomphes polonais.

Hector sort par le fond, Pastourelle par la droite.

 

 

Scène IV

 

AVENTURINE, puis BLAIREAU

 

AVENTURINE, seule.

Vite ! une citadine et à mes courses... Où ai-je donc fourré la liste de mes écolières ?...

Elle cherche sur la cheminée.

Tiens ! des lettres !...

Elle en ouvre une.

De mon propriétaire... Je sais ce qu’il demande... tous les trois mois, c’est la même chose. Il m’ennuie périodiquement, celui-là...

Elle la jette au feu et en ouvre une autre.

« Charmante Aventurine... » Encore un qui demande quelque chose, bien sûr... mais dans un autre genre... signé : « Arthur Blaireau !... » Eh ! mais, c’est ce vieux chauve, ce quinquagénaire dépouillé, qui me poursuit toujours dans le passage noir de l’Opéra... et qui a la prétention de m’apporter ses hommages à domicile !... C’est égal, il n’a pas encore osé se présenter chez moi...

Jetant la lettre au feu.

Va tenir compagnie à mon propriétaire, va... Mais où donc ma femme de chambre a-t-elle mis cette liste ?...

Passant à droite.

Rosalie !... Rosalie !...

BLAIREAU, paraissant au fond, un paletot sur le bras.

Me voilà !

AVENTURINE, jetant un cri.

Ah !... c’est lui !

À part.

Mon vieux chauve !...

Haut.

Vous ici, Monsieur !...

BLAIREAU, avec aplomb.

Comme vous voyez, Mademoiselle... Permettez-moi de déposer mon paletot...

AVENTURINE, l’arrêtant du geste.

Mais je vous ai dit, Monsieur, que vos persécutions m’ennuyaient... radicalement !

BLAIREAU.

Je vous ai répondu, Mademoiselle, que j’en étais très fâché.

AVENTURINE.

Je vous ai dit, Monsieur, que je n’admettais jamais les hommages d’un homme, passé 45... printemps...

BLAIREAU.

Je vous ai répondu, Mademoiselle, que je n’en avais que 38... c’est un âge très bien porté...

AVENTURINE, passant à gauche.

Je vous ai dit, enfin, que je vous défendais de vous présenter ici !...

BLAIREAU, s’avançant.

Je vous ai répondu, Mademoiselle, que j’obéirais avec douleur... que je n’y mettrais pas le pied.

AVENTURINE, avec dignité.

Mais, Monsieur, il me semble que les deux pieds y sont.

BLAIREAU.

C’est vous qui m’avez appelé.

AVENTURINE.

Moi ?...

BLAIREAU.

Je suis dans mon droit... et je le prouve... Êtes-vous, oui ou non, mademoiselle Aventurine Lerat, danseuse ?

AVENTURINE.

Je m’en fais honneur.

BLAIREAU.

Avez-vous annoncé, dans les papiers publics, que vous donniez des leçons de polka aux deux sexes ?...

AVENTURINE.

C’est historique !... mais...

BLAIREAU.

 Eh bien ! comme j’ai la prétention d’être d’un des sexes désignés... je viens prendre des leçons de polka... Permettez-moi de déposer mon paletot...

Il le place sur le fauteuil.

AVENTURINE.

Monsieur !...

Il s’arrête.

Monsieur, je ne donne des leçons qu’aux dames...

BLAIREAU, vivement.

Aux deux sexes !... c’est imprimé.

AVENTURINE.

Oui, aux hommes

Appuyant.

au-dessus de 45 ans... Or, comme vous n’en avez que 38... vous repasserez dans quelques années !...

BLAIREAU, à lui-même.

Comment ! je suis trop vieux pour l’amour, et trop jeune pour la polka !... Allons, bah ! une déclaration à la Jacques Ferrand.

Haut.

Aventurine !... avez-vous vu les Mystères de la Porte-Saint-Martin ?

AVENTURINE.

Non, pas encore.

BLAIREAU, à part.

Ça va être tout nouveau pour elle...

Haut, avec un ton de mélodrame.

« Aventurine, tu ne me connais pas... tu m’as cru vieux, triste et sévère... Non, non, je suis jeune encore par mon énergie comme par mon audace !... »

AVENTURINE, jouant l’effroi.

Ah ! vous me faites peur !...

BLAIREAU.

« Tais-toi !... tais-toi !... laisse-moi parler, laisse-moi te dire... »

À part.

Qu’est-ce que je pourrais donc lui dire ?...

Haut.

« Écoute, n’en dis rien... j’ai de l’or, j’en ai beaucoup... le veux-tu ?... je t’en donnerai, nous partagerons... Est-ce assez ?... eh bien ! je t’épouserai. »

AVENTURINE.

Vous m’épouseriez ?...

BLAIREAU, à part.

Ah ! diable ! Jacques Ferrand m’a entraîné trop loin !...

 

 

Scène V

 

AVENTURINE, BLAIREAU, PASTOURELLE, sortant de la chambre avec les copies de la réclame

 

PASTOURELLE.

Chère petite, voici les...

Voyant Blaireau.

Qu’est-ce que c’est que ça ?...

BLAIREAU, à part.

Pastourelle !... je suis gobé !...

PASTOURELLE, le regardant sous le nez.

Eh ! mais, c’est M. Blaireau !

BLAIREAU.

Oui... je... je ramassais le... le mouchoir de...

Il tire le mouchoir d’Aventurine, bas.

Laissez le donc tomber...

AVENTURINE.

Par exemple !... un mouchoir brodé !...

PASTOURELLE, à part.

Ah ! vieux farceur !...

Haut.

Tiens, tiens, comme les amis se rencontrent !... Et madame Blaireau se porte bien ?

AVENTURINE, vivement.

Hein ?

BLAIREAU, bas, avec colère.

Oh !... imbécile !...

PASTOURELLE, fièrement.

Vous dites, Monsieur ?

BLAIREAU, furieux, en se levant.

J’ai dit : Imbécile !

PASTOURELLE, gaiement.

Vous vous répétez, mon cher.

AVENTURINE.

Madame Blaireau !

PASTOURELLE, à Aventurine.

Je cours porter nos réclames... Adieu, Monsieur Blaireau... bien des choses à Madame Blair...

BLAIREAU, bas, en le poussant.

Mais, va-t’en donc... imbécile !

Il ferme la porte.

PASTOURELLE, la rouvrant.

Vous avez dit : imbécile !... Ah ! ah !... Vous êtes bien monotone !...

Il sort par le fond.

 

 

Scène VI

 

BLAIREAU, AVENTURINE

 

AVENTURINE, jouant l’indignation.

Ah ! vous êtes marié !... ah ! vous avez une femme !... et vous venez m’offrir... En voilà un toupet !...

BLAIREAU, suppliant.

Aventurine !...

AVENTURINE, avec dignité.

Arthur, vous me faites de la peine !

BLAIREAU, résolument.

Eh bien ! oui !... puisque cette vieille pirouette l’a dévoilé... je suis uni... je suis grévé d’une épouse... mais quand vous saurez !...

AVENTURINE.

Quoi ?

BLAIREAU.

Vous vous direz : Arthur ne peut pas aimer ça... Arthur est excusable de se conduire comme un drôle !...

AVENTURINE.

Quoi donc ?... Madame Blaireau est vieille ?

BLAIREAU.

Pis que ça !

AVENTURINE.

Elle est laide ?

BLAIREAU.

Pis que ça !

AVENTURINE.

Elle vous bat ?...

BLAIREAU.

Oui... c’est-à-dire non... pis que ça encore...

AVENTURINE.

Ah ça ! mais elle a donc un défaut ?...

BLAIREAU, avec rage.

Un défaut qui me prend sur les nerfs !... qui me crispe, qui me... Permettez-moi de déposer mon paletot...

AVENTURINE.

Ah ! que vous m’impatientez !...

BLAIREAU.

Enfin, elle est... Auvergnate !

AVENTURINE, froidement.

Auvergnate ?...

BLAIREAU, s’animant par degrés.

Oh ! mais, Auvergnate pur sang !... sauf l’accent qu’elle a eu le bonheur de perdre en route... c’est l’Auvergne incarnée !...

AVENTURINE.

Ha ! ha ! ha !

BLAIREAU.

Dernièrement, il lui arrive un cousin de Saint-Flour... un charabia révoltant... Savez-vous de quoi ils s’avisèrent tous deux ?...

AVENTURINE.

Un cousin ?... je devine !...

BLAIREAU.

Je devine ce que vous devinez... mais vous n’y êtes pas... Figurez-vous qu’ils se mirent à danser comme des forcenés, sur le tapis de mon salon... quoi ?... la bourrée d’Auvergne !...

AVENTURINE, riant.

La bourrée ?... ha ! ha ! ha !

BLAIREAU.

Cette danse, qui appartient à la chorégraphie des ours !... Et voilà le plus humiliant... pendant que ma femme dansait avec son cousin, j’ai été forcé de leur servir d’orchestre... de souffler dans cette hideuse machine, qui produit des...

D’un ton nasillard.

Quoin !... quoin !...

AVENTURINE.

La musette.

BLAIREAU.

Oui, la mugetta !... Bon ! voilà que je parle comme eux !... aussi, à force de souffler avec rage, j’ai cassé quelque chose au bout de l’instrument, et, ce matin, je me suis chargé de le porter chez le luthier...

Tirant une musette de sa poche.

Voilà pourquoi je désirais déposer mon paletot.

Lui donnant la musette.

Voyez !... voyez le cor à piston de cette peuplade !...

AVENTURINE.

Ah ! l’horreur !

BLAIREAU, la jette sur le fauteuil.

Concevez-vous maintenant que je fuie le domicile conjugal... et que je vous offre un cœur incompris !...

AVENTURINE, d’un air grave.

Non, Monsieur, ce sont des choses qui ne se font pas, et je vous prie d’en finir.

BLAIREAU, suppliant.

Eh bien ! non... eh bien ! non !... rien qu’une leçon de polka... je veux m’étourdir à force de polka !...

AVENTURINE.

Mais, je vous ai dit...

BLAIREAU.

Oh ! il me la faut... je la veux... et je ne sors pas d’ici que je ne sois un des plus forts polkistes de Paris... et de Pologne !...

AVENTURINE, à part.

Je n’ai que ce moyen de m’en débarrasser...

Haut.

Eh bien ! soit, j’y consens... je vous l’enseignerai, mais c’est impossible, tant que vous serez habillé ainsi...

BLAIREAU.

Alors, permettez...

Il quitte une manche.

AVENTURINE, le retenant.

Non, ce n’est pas cela... j’ai l’usage de ne donner de leçons aux hommes, que lorsqu’ils ont le costume du pas.

BLAIREAU.

Est-ce qu’il faut me mettre en Turc ?

AVENTURINE.

Non, en Hongrois...

BLAIREAU, vivement.

Oh ! mais, qu’à ça ne tienne... Babin demeure à côté... je cours louer tout ce qu’il me faut !...

À part.

Le collant m’est très avantageux.

AVENTURINE.

Allez, allez, jeune boyard !...

Air : J’étouffe de colère.

Cherchez des uniformes...
Car souvent, par bonheur,
Pour la grâce et les formes,
L’habit fait le danseur.

BLAIREAU.

Dans tous ses uniformes
Je prends le plus flatteur ?
Pour la grâce et les formes,
Je veux vous faire honneur.

 

 

Scène VII

 

AVENTURINE, seule

 

Veux-tu te sauver, vieux papillon !... Un homme, qui a un ménage monté, et qui porte sa flamme en ville !... Allons donc !...

Air de Bergeronnette.

Heureusement, à l’Opéra,
Grâce au temps moral où nous sommes,
Nous avons supprimé les hommes...
Surtout de l’âg’ de celui-là.
L’amour à la danse ressemble :
Il faut que l’on s’entende au mieux :
La jeunesse a bien plus d’ensemble,
Quand il s’agit d’un pas de deux.
Et puis, d’une épous’ légitime,
Le mari, c’est sacré, vraiment !
Ce n’est qu’à son amie intime.
Que l’on peut souffler un amant !
Comme on dit dans le corps des ballets,
Bien loin de troubler un ménage,
La sylphide doit rester sage
Pour tous les maris vieux et laids.

 

 

Scène VIII

 

AVENTURINE, MADAME BLAIREAU

 

MADAME BLAIREAU, entr’ouvrant la porte et passant la tête.

Toc ! toc ! toc !... peut-on entrer, s’ous plaît ?

AVENTURINE.

Hein ?... Qui demandez-vous, Madame ?

MADAME BLAIREAU.

Je demande Mademoiselle Purpurine... Zéphyrine... ou...

Riant.

Je ne sais plus quoi !...

AVENTURINE.

Aventurine... c’est moi !... Puis-je savoir... je suis pressée.

Madame Blaireau s’assied.

Donnez-vous donc la peine de vous asseoir, je vous en prie.

MADAME BLAIREAU.

Mademoiselle Purpurine... je viens ici pour la polka... je crois bien que c’est vous qui tenez cet article...

AVENTURINE, riant.

Oui, Madame, en effet... c’est ma partie !...

MADAME BLAIREAU.

Eh bien ! je voudrais que m’en donniez pour une quinzaine de francs... j’en prendrais même pour moins, si vous en faites pour moins !

AVENTURINE.

Vous demandez à prendre des leçons, vous ?

MADAME BLAIREAU.

Oui, Madame, donnez-moi vite ça, et tout ce que vous aurez de mieux, parce que c’est pour le recéder à quelqu’un.

AVENTURINE, riant.

Comment, le recéder ?

MADAME BLAIREAU, se levant.

Oui, à ma petite Palmyre... Ah ! vous ne la connaissez pas !... ma nièce, une jeune fille charmante... à qui un certain flandrin fait la cour... Il lui écrit des lettres longues de ça... que j’ai surprises... Le gaillard veut se faufiler dans toutes nos sociétés... et il lui a mis dans la tête de danser avec elle cette nouvelle machine... que je ne connais pas... Cette enfant me désole !... elle pleure, elle maigrit, elle me réveille dans la nuit... Je lui dis : Palmyre, est-ce que tu voudrais de la fleur d’orange ?... – Non, ma tante, je voudrais savoir la polka !... – Ce matin, elle a refusé de déjeuner : Palmyre, prends donc ton café... de l’excellent moka !...

Pleurant.

Ah ! non... je ne veux pas de moka... je veux la polka !... Ah ! j’ai dit : Voyons, tu m’embêtes, avec ta polka !... je vais aller l’apprendre et je te l’apprendrai. Là !... es tu contente ?

Elle fait sonner de l’argent.

AVENTURINE.

C’est adroit... et moral !... Madame, je suis tout à vous... Avez-vous déjà quelques notions sur cette danse ?

MADAME BLAIREAU.

Oh ! moi, je n’en connais qu’une, de danse... celle de ma patrie.

AVENTURINE.

Quelle patrie ?... la belle Italie ?

MADAME BLAIREAU.

Fi donc !... la belle Auvergne.

AVENTURINE, étonnée.

Bah !

MADAME BLAIREAU.

Oui, Madame... le pays natal de la bourrée.

AVENTURINE, riant.

Tiens !... comme Madame Blaireau.

MADAME BLAIREAU, vivement.

D’où savez-vous mon nom ?

AVENTURINE.

Votre nom ?... Comment !... vous seriez ?...

MADAME BLAIREAU.

Quoi ?...

AVENTURINE.

Sa femme ?...

MADAME BLAIREAU.

La femme de qui ?

AVENTURINE, troublée.

Eh bien ! de... de votre mari.

MADAME BLAIREAU, vivement.

Vous connaissez mon mari ?

AVENTURINE.

Oui... c’est-à-dire... non.

Apercevant la musette.

Oh !

Elle court la cacher.

MADAME BLAIREAU.

Qu’est-ce que vous cachez donc là ?

AVENTURINE.

Rien, rien... un manchon...

La musette tombe.

MADAME BLAIREAU.

Dieu !... ma musette !... Mon mari est donc venu ici !... Ah ! le manant !... il a apporté sa musette chez une danseuse !... Il est encore ici... il est caché !

AVENTURINE.

Mais, non... je l’ai mis dehors.

MADAME BLAIREAU, furieuse.

Vous voulez me mettre dedans !... Où est votre chambre ?... ouvrez-moi votre commode... ouvrez-moi vos ormoires... je veux fouiller dans tous vos placards !

AVENTURINE.

Mais, quand je vous jure...

MADAME BLAIREAU.

Sapristi !... vous me feriez jurer aussi !

AVENTURINE.

Voyons, calmez-vous !

MADAME BLAIREAU.

Je ne veux pas me calmer !... je ne me calmerai pas !...

AVENTURINE.

Eh bien ! oui, là... votre Blaireau me fait la cour... mais je ne veux pas vous en priver de ce Monsieur... Entre femmes, on s’entend, on se soutient... Voyons, touchez là, soyons amies... et faisons la chasse au Blaireau.

MADAME BLAIREAU.

Vrai ?... vous n’en voulez pas ? vous me promettez que...

On sonne.

AVENTURINE.

Chut !... j’entends sonner !... C’est lui qui revient...

MADAME BLAIREAU, hors d’elle.

Auriez-vous un poignard... donnez-moi un poignard.

AVENTURINE, riant.

Je n’en ai pas pour le moment.

MADAME BLAIREAU.

Vous êtes bien mal meublée !... Un couteau, des ciseaux... une arme à feu !...

AVENTURINE.

Une arme à feu ?... je n’ai que les pincettes.

MADAME BLAIREAU, court les prendre.

Ça me va !... l’action va être chaude !

On sonne de nouveau.

AVENTURINE.

Il s’impatiente !... je me sauve... Ma femme de chambre va lui dire que je l’attends ici, dans ce salon, vous me remplacerez ! et... le reste vous regarde... Faites bon ménage.

Elle sort à droite.

 

 

Scène IX

 

MADAME BLAIREAU, puis BATANDIER

 

MADAME BLAIREAU, qui a saisi les pincettes.

Attends, attends, gredin ! je vais te pincer !...

Elle se range contre la porte du fond, en attitude. Batandier frappe à la porte.

D’une petite voix. Entrez !

Batandier entre en regardant à gauche ; sans l’avoir envisagé, Madame Blaireau s’élance sur lui, les pincettes à hauteur du nez.

MADAME BLAIREAU.

Ah ! galopin !

BATANDIER.

Ah !... qu’est-ce que c’est que ça ?... Qui vive ?

MADAME BLAIREAU.

Dieu ! ce n’est pas lui !... ce nez n’est pas à moi !

Haut.

Ah ! Monsieur, je suis confuse...

BATANDIER, se touchant le nez.

Vous preniez donc ceci pour une bûche ?

MADAME BLAIREAU, s’efforçant de rire.

Oh ! une plaisanterie... quelqu’un, que je voulais attraper...

BATANDIER.

Mais vous avez attrapé quelqu’un !

MADAME BLAIREAU.

Permettez que je remette en place...

Elle va à la cheminée.

BATANDIER.

Comment donc je vous en prie tout particulièrement.

Montrant la cheminée.

J’aime beaucoup mieux qu’elles soient là, que là...

Montrant son nez. À part.

C’est drôle, comme elle est engraissée depuis avant-hier, cette petite Aventurine qui paraît si mince sur la scène... l’effet des maillots !...

Haut.

Mademoiselle Aventurine...

MADAME BLAIREAU.

Hein ?... plaît-il ?...

À part.

Ah ! oui... c’est vrai ! je dois la remplacer.

Haut.

Monsieur, qu’y a-t-il pour votre service ?...

BATANDIER, d’un air fat.

Question oiseuse !... Un jeune homme assez galamment taillé, qui vient chez une danseuse, assez galamment taillée aussi... Hein ?... y êtes-vous ?

MADAME BLAIREAU, reculant à part.

Ah ! diable !... j’ai bien peur d’y être !

BATANDIER.

Ma foi, je me suis dit : Mon bon ami... (je suis fort de mes amis) va-t’en... (je me tutoie quand je suis seul) va-t’en chez Aventurine... et elle ne te refusera certainement pas...

MADAME BLAIREAU, vivement.

Brisons là, Monsieur... je ne veux même, pas d’explication... Que demandez-vous ?

BATANDIER.

Eh bien !... mais... une leçon de polka.

MADAME BLAIREAU, respirant.

Ah ! à la bonne heure !

BATANDIER, choqué.

Que pensiez-vous donc, s’il vous plaît ?

MADAME BLAIREAU.

Rien... rien... enfant que j’étais !...

BATANDIER.

Oui, Mademoiselle Aventurine...

À part.

Comme elle est grasse, mon Dieu !

Haut.

J’ai un besoin immodéré de polka !

MADAME BLAIREAU.

Et vous comptez sur moi...

À part.

Il tombe bien !

BATANDIER.

Mais de la véritable... de la bonne édition... car je viens d’être victime d’un vol à la polka !...

MADAME BLAIREAU.

Comment cela ?

BATANDIER.

Ayant des raisons de cœur pour me livrer à cette tarentule scandinave... je m’adresse à un vieux sauteur... un équilibriste, je crois ! je lui prends six cachets et je lui dis d’entreprendre mes jambes... et de tâcher de me faire aller... À chaque leçon... il me disait : Bien ? vous allez, vous allez !... je ne savais pas à quel point il me faisait aller !... Hier, alors, dans un salon haut placé... en haut lieu... au cinquième étage... on demande à grands cris le pas à la mode... Mesdames, me voilà... et je m’avance d’une façon onduleuse... et comme Artaban, si renommé pour sa fierté... je pars !... j’entends bientôt quelques personnes qui pouffaient... je croyais qu’elles toussaient... les rhumes donnent beaucoup... L’orchestre me gênait infiniment... ces imbéciles de ménétriers jouaient je ne sais quoi au lieu de l’air nouveau et consacré de la polka... ta la la...

Il fredonne l’air de la gavotte.

Nous étions très mal ensemble !... je discerne alors des sourires, je me dis, c’est bon... je fais de l’effet !... Je continue... on chuchote, on marmotte... je vais plus ferme... les bourdonnements arrivent bientôt à l’état de murmures du peuple dans les tragédies... quand on veut exiler le tyran !... hou ! hou ! hou !... Calas ! Calas !... quelques-uns même se permirent une chansonnette assez connue !

Chantant entre ses dents.

Ah ! c’ cadet-là !... tra la la la...

Je ne sais pas à quoi cela faisait allusion... c’étaient des gens très comme il faut !... Alors, le maître de la maison vient me dire : Monsieur, on vous avait demandé une polka... c’est une mystification... je ne sais pas où vous avez diné, mais, en pareil cas, le grand air est favorable... Je veux crier...

Criant.

Monsieur !... Cette véhémente allocution fait éclater des hourras féroces. Je me précipite, honteux et confus... et j’emporte un vieux chapeau à la place du mien... qui était tout neuf !. Trente francs de cachet et seize francs de chapeau, quarante-six francs pour une polka... supposée !

MADAME BLAIREAU, riant.

Qu’aviez-vous donc dansé ?

BATANDIER, furieux.

Je n’en sais rien !... une chose sans nom... inqualifiable !... Furieux, je cours chez ce vieux saltimbanque... Il avait déménagé, en oubliant de prendre sa quittance !

MADAME BLAIREAU.

Ah ! ah ! ah ! Il a voulu se moquer de vous, c’est tout simple.

BATANDIER.

Si je le retrouve jamais, il est bien sûr que je lui casse les bâtons de cire à cacheter qui lui servent de jambes !...

MADAME BLAIREAU, riant.

Vous lui donnerez une danse véritable !

BATANDIER.

Je le dois à mon honneur et à mon amour !... car je comptais sur ce pas pour achever de fasciner une piquante jouvencelle, avec laquelle je me livre aux belles-lettres... Encore hier, je lui écrivais : Ô comète de mon âme... ô Palmyre...

MADAME BLAIREAU, à part.

Ah ! grand Dieu ! c’est le flandrin de ma nièce !

BATANDIER.

Vous dites ?

À part.

C’est étonnant, cette femme engraisse à vue de... nez...

MADAME BLAIREAU, à part.

Eh bien ! j’en apprends de belles.

BATANDIER.

Maintenant, charmante Ballerina, que je vous ai mise au courant, faites votre état, et mettez-moi au pas... en question.

MADAME BLAIREAU, à part.

Pas moyen de dire que je ne suis pas...

BATANDIER.

Il serait pourtant temps que nous polkassions... du verbe polker. Polkons-nous, ou ne polkons-nous pas ?

MADAME BLAIREAU, à part.

Attends, séducteur !... je vais lui apprendre tout ce que je sais... la bourrée d’Auvergne.

Haut.

Je suis à vous, Monsieur.

BATANDIER, posant de l’argent sur la cheminée.

Ah ça ! et la musique ?

MADAME BLAIREAU.

Je ferai l’orchestre... je chanterai l’air... Placez-vous.

Lui donnant des coups de pied.

Les pieds comme ça.

BATANDIER.

Ah ! en dedans ?... c’est bien plus commode que chez nous.

MADAME BLAIREAU.

Et ces bras ? Allons donc !

BATANDIER.

Les bras en guirlande ?

MADAME BLAIREAU.

Non... pendants.

BATANDIER.

J’aime bien mieux ça... Et pendant que...

MADAME BLAIREAU.

Et la tête qui va et qui vient.

BATANDIER, balançant la tête.

C’est un peu chinois, comme les magots...

MADAME BLAIREAU.

Maintenant, faites comme moi.

Air de la vieille bourrée.

Regardez la polka
Qui nous vient de Bohême,
Fait’s bien comme cela,
Voyez quell’ grâce elle a.
Tra la, la, la, la.

BATANDIER, charmé.

C’est la Pologne même,
Moi, dont on se moqua,
Je saurai la polka !

TOUS DEUX, dansant.

Tra la, la, la, la, la,
Quell’ danse de Bohême !
Moi     } dont on se moqua,
Lui      }
Je sais donc   } pour la polka.
Prend ça        }

MADAME BLAIREAU, levant le pied.

Et youp ! la Catharina !

BATANDIER.

Hein ?... comment dites-vous ça ?

MADAME BLAIREAU.

Youp ! la Catharina ! C’est le cri d’amour des Polonais.

BATANDIER.

Ah ! les Polonais amoureux ?... à la bonne heure !... voilà de la polka !... Encore une fois pendant que c’est chaud. Tra la, la, la, la.

On sonne.

BATANDIER.

On a sonné là-bas !

MADAME BLAIREAU, à mi-voix.

Ne dites rien, ne bougez pas.

BATANDIER, le pied en l’air.

Ah ! ah ! du mystère... les mystères de l’Opéra !... Connu.

BLAIREAU, en dehors.

Je vous dis que Mademoiselle Aventurine m’attend.

MADAME BLAIREAU.

Serait-ce mon perfide !...

Elle va mettre le verrou.

BALANDIER, à part.

Comment !... elle a encore des perfides, à cet âge-là !

BLAIREAU, en dehors.

Ouvrez-donc c’est moi !

MADAME BLAIREAU, à mi-voix.

C’est lui ! mon mari !

BATANDIER.

Hein ? vous êtes en puissance ?

MADAME BLAIREAU, à part.

Moi qui venais pour le surprendre avec une femme... s’il me trouvait avec un jeune homme... je perdrais tout mon avantage !... Ah ! Térébenthine, viens à mon secours !

Elle rentre précipitamment par la droite.

BATANDIER, surpris.

Elle me laisse seul... avec son... moitié sur les bras... Ouvrons et filons...

On frappe de nouveau ; il ouvre.

 

 

Scène X

 

BLAIREAU, BATANDIER

 

BLAIREAU, entrant.

Ah ! c’est heureux !

BATANDIER, gracieusement.

Monsieur...

BLAIREAU, à part.

Un homme !... Son amant, peut-être...

Haut, avec grâce.

Monsieur...

BATANDIER.

Monsieur...

BLAIREAU.

Je vous présente mes devoirs.

BATANDIER.

Agréez l’assurance de ma considération...

Moment de silence ; ils se regardent en se saluant.

BLAIREAU, essayant de ricaner.

Un bien beau temps, aujourd’hui.

BATANDIER.

Mais oui... et vous ?

À part.

Il n’a pas l’air méchant.

BLAIREAU.

Je vous ai dérangé ?

BATANDIER, saluant.

Ah ! Monsieur... Comment donc... vous êtes chez vous.

BLAIREAU, à part.

Hein ?... plaît-il ?... Ce n’est donc pas ce que je croyais.

BATANDIER, voulant s’en aller.

Je ne veux pas être importun... Mes respects à Madame.

BLAIREAU, à part.

Tiens, il me prend pour... Bon ! bon !

Haut et fort.

Un instant, Monsieur... permettez que je vous pose quelques questions.

BATANDIER, se redressant.

Sur quelles matières ?

BLAIREAU.

Vous n’étiez pas seul ici... vous étiez avec...

BATANDIER.

Avec Mademoiselle Aventurine... Oui, mon président.

BLAIREAU.

Et que faisiez-vous, s’il vous plaît ?

BATANDIER.

Question oiseuse !... Un jeune homme, assez galamment taillé qui vient chez une danseuse, assez galamment taillée aussi... Hein ?... y êtes-vous ?...

BLAIREAU, furieux.

Non, Monsieur.

BATANDIER, finement.

Polka !

BLAIREAU.

Vous osez dire ?

BATANDIER, d’une grosse voix.

Polka !...

BLAIREAU.

Ah ! fort bien... je m’y attendais... le prétexte universel... Mais je ne suis pas assez bête !...

BATANDIER.

Je vous jure que si !

BLAIREAU, continuant.

Et je vais vous donner une leçon, Monsieur !...

BATANDIER.

Vous aussi ?... Vous devez gagner beaucoup d’argent dans la famille ?

BLAIREAU.

Trêve de lazzi !... vous allez la danser, Monsieur.

BATANDIER.

La danser !... Comment traduisez-vous cette locution ?

BLAIREAU.

Si vous n’êtes venu ici que pour cela, vous allez me le prouver, séance tenante, en exécutant la chose... Je vous somme !...

BATANDIER.

Comment donc... avec plaisir... ça me fera une seconde répétition. Se mettant en position et fredonnant le prélude ordinaire.

Tra la, la, la.

 

 

Scène XI

 

BLAIREAU, BATANDIER, AVENTURINE

 

AVENTURINE, accourant de sa chambre.

Alerte !... Sauve qui peut !... Vous êtes perdu !

BLAIREAU.

Hein ? quoi ?

BATANDIER, reculant.

Qu’est-ce que c’est encore que celle-là ?

AVENTURINE.

Votre femme est ici !... elle vous cherche !

BLAIREAU.

Ma femme !

BATANDIER.

Parbleu ! puisque tout à l’heure...

BLAIREAU.

Je me sauve !

Il court au milieu.

AVENTURINE.

Impossible !... elle garde toutes les portes, avec sa bonne, son concierge et un commissionnaire...

BLAIREAU.

Un Auvergnat !... C’est bien elle...

Suppliant.

Ah ! Mademoiselle Aventurine...

BATANDIER.

Hein ? Encore une !... Ah ça ! mais... cette maison est donc pleine d’Aventurines ?... Et l’autre ?

BLAIREAU.

Quelle autre ?

BATANDIER.

La femme aux pincettes ?

BLAIREAU.

Quelles pincettes ?

BATANDIER, à lui-même.

Ah ! j’y suis... c’était mademoiselle Aventurine la mère !

BLAIREAU, vivement.

Si je m’échappais par la cuisine ?

MADAME BLAIREAU, en dehors.

Veillez bien à la porte de la cuisine ! et qu’on aille chercher le commissaire.

BLAIREAU.

Je suis flambé !

AVENTURINE.

Vous me faites cet effet-là.

BATANDIER.

Allons, allons... vous êtes flambé.

BLAIREAU, très troublé.

Je pourrais bien lui répondre que... Mais elle me demande la preuve de... et comment je... Ah ! c’est à s’arracher les cheveux !

BATANDIER.

Vous ne pouvez pas... il est inutile d’essayer...

BLAIREAU, à Aventurine.

Une leçon, danseuse !... une leçon, ou la mort !...

AVENTURINE, passant à droite.

Bonsoir... il est trop tard.

BATANDIER.

Il est trop tard, brave homme.

BLAIREAU, avec désespoir.

Je suis donc perdu, moi !

 

 

Scène XII

 

BLAIREAU, BATANDIER, AVENTURINE, PASTOURELLE, du fond

 

PASTOURELLE, entrant comme à sa première scène, en dansant et en chantant le dialogue.

Je viens de porter les réclames... Tra la la la...

BLAIREAU, poussant un cri de joie.

Ah ! je suis sauvé !

Il s’élance sur Pastourelle, le saisit au collet, et l’enlève ou l’entraîne à gauche, en le faisant tourner pendant que le vieux danseur crie.

PASTOURELLE.

Hein ? quoi ?... qu’est-ce que c’est ?... Il m’étrangle ! À la garde !...

Ils disparaissent.

 

 

Scène XIII

 

BATANDIER, AVENTURINE

 

AVENTURINE, riant aux éclats et tombant sur un fauteuil à droite.

Ah ! ah ! ah !

BATANDIER, tout ahuri.

Qu’est-ce qu’il a fait ?... qu’est-ce qu’il a pris là ?... ça avait l’air d’un homme... je n’ai pas bien vu...

Criant.

Quoi ?

AVENTURINE, riant toujours.

Ah ! ce pauvre vieux !

BATANDIER.

Ah ça ! mais, il se passe un tas d’aventures, chez ces Aventurines !

AVENTURINE, se levant.

Monsieur !

BATANDIER.

Oh ! pardon, chère belle... car je vous reconnais à présent... vous êtes la vraie Aventurine, la bonne... la mince... celle que j’ai vu à l’Opéra... Et moi, qui vous accusais de maillots !... Grâce, pour un franc étourdi !

AVENTURINE.

Mais, avec tout ça, qui êtes-vous donc ?

BATANDIER, saluant.

Batandier... Chéri... Batandier... et je venais... vous savez... Youp la Catarina...

AVENTURINE.

Vous dites ?

BATANDIER.

Mais je ne vous donnerai pas cette peine... j’ai reçu une excellente leçon de Mademoiselle Aventurine la mère.

AVENTURINE.

Ma mère ?

BATANDIER, la regardant.

Oh ! il n’y a pas de comparaison... elle est bien plus replète que vous... mais fort aimable, du reste... quand elle ne vous embrasse pas en pincettes.

AVENTURINE, à part, en riant.

Ah ! bon... je comprends ! c’est la Blaireau !...

Haut.

Qu’est-ce qu’elle vous a donc appris ?

BATANDIER, se mettant en position.

Mais, dame !... la...

 

 

Scène XIV

 

BATANDIER, AVENTURINE, HECTOR

 

HECTOR, entrant tout essoufflé du fond.

Ah ! me voilà !

BATANDIER.

Qu’est-ce que c’est encore que ça ?

HECTOR.

Quelqu’un !

Bas, à Aventurine.

Un élève ?... Oui ?...

Le regardant.

Physique peu inquiétant...

Haut.

Monsieur, je vous salue...

À Aventurine.

Tu ne m’attendais pas encore, ma bonne ?

BATANDIER, à part.

Il la tutoie !... C’est M. Aventurine fils.

HECTOR.

J’ai mené lestement mes leçons... La rue de Milan était indisposée, la rue de Londres dînait en ville, et la rue de Hambourg était à la campagne... Ah ! ça, la duchesse Flouriska nous attend... Chaud là, à ton costume !

AVENTURINE.

Eh ! vite, en avant les éperons.

Elle sort à droite.

HECTOR.

Moi je grimpe chez le père Pastourelle... Adieu, M. Leblond.

Il sort au fond.

 

 

Scène XV

 

BATANDIER, puis MADAME BLAIREAU

 

BATANDIER.

Pourquoi donc m’appelle-t-il M. Leblond, M. Aventurine fils ?

MADAME BLAIREAU, entrant, très agitée, du fond.

Il ne m’échappera pas, le gamin ! Je le tiens ! je le traque !

BATANDIER.

Bon ! la mère... à présent !

MADAME BLAIREAU, allant à lui.

Où est-il ? Monsieur... où est-il ?

BATANDIER.

Qui ?

MADAME BLAIREAU, le secouant.

Mon mari... mon homme... cet infâme chauve !...

BATANDIER.

Hé, Madame, ne secouez pas...

MADAME BLAIREAU.

Je ne vous lâcherai que quand vous m’aurez dit où il est.

BATANDIER, résolument.

Je ne vous dirai où il est que quand vous m’aurez lâché.

MADAME BLAIREAU.

Je lâche.

BATANDIER.

Je dis...

Montrant la porte à gauche.

Ouvrez cette porte !

MADAME BLAIREAU, essayant d’ouvrir.

Fermée !...

BATANDIER, s’emparant des pincettes qu’il cache sous son paletot.

Dérobons-lui son arme favorite.

MADAME BLAIREAU.

Ouvrez, Monsieur, ouvrez !... au nom de la loi !... Le commissaire est là !

À Batandier.

Faites donc le commissaire, vous !

BATANDIER.

Comment ça se fait-il ?... Ah !...

Élevant la voix.

Saprelotte ! Monsieur... Saprelotte !... Ouvrez donc... ça finit par être embêtant !...

MADAME BLAIREAU, à travers la porte.

Je sais que vous êtes ici... sortez !

La porte s’ouvre et Blaireau paraît.

Ah !

BATANDIER, à part.

Que je ne voudrais pas être à la place de M. Aventurine père !

 

 

Scène XVI

 

BATANDIER, MADAME BLAIREAU, BLAIREAU

 

BLAIREAU, avec aplomb.

Oui, Madame... oui, je suis ici.

MADAME BLAIREAU.

Il l’avoue !

BATANDIER, s’asseyant, à part.

Ah ! je vais jouir de cet incident.

MADAME BLAIREAU, se contraignant.

Et qu’y venez-vous faire, Monsieur ?

BLAIREAU, souriant.

Vous ne l’avez pas deviné, Madame ? Ah ! vous n’êtes pas forte !...

BATANDIER, à part.

Il ne la trouve pas forte !... Il lui faudrait l’enceinte continue, à cet homme-là !

MADAME BLAIREAU, le pressant.

Eh bien ! Monsieur, vous êtes venu pour...

BLAIREAU.

Eh bien ! Madame, je suis venu pour

Appuyant.

apprendre la polka.

MADAME BLAIREAU.

La pol...

BATANDIER.

Allons, bon !... encore un !

MADAME BLAIREAU.

Allons, soit !... Vous êtes taillé pour cet exercice... et vous avez dû faire des progrès rapides...

Avec force.

Je vous somme de la danser !

BATANDIER, à part.

Tiens, juste la sommation qu’il m’a faite !... Je jouis beaucoup de cet incident, savez-vous ?

BLAIREAU.

Je suis tout prêt... Malheureusement, la musique me manque, et...

On entend jouer l’air de la gavotte sur une pochette, dans la chambre à gauche.

BATANDIER.

D’où part cette symphonie ?

MADAME BLAIREAU, à part.

Térébenthine joue de la pochette !

BLAIREAU, à part.

Pastourelle vient à mon secours.

Haut.

M’y voici, Madame.

Il danse la gavotte sur l’air.

BATANDIER, suivant tous ses mouvements.

Ah ça ! mais... je reconnais cette danse !... Oui... c’est bien ça !... c’est celle que le vieux m’a fournie !... celle qui m’a valu des humiliations !

S’élançant vers lui et l’arrêtant.

Monsieur... qui vous a appris cette polka ? Nommez-moi l’auteur de cette polka !... on demande l’auteur !

BLAIREAU.

Eh ! vous le savez bien... C’est Mademoiselle Aventurine.

BATANDIER, riant.

Mais, pas du tout ! elle a abusé de votre vieillesse et de votre calvitie.

BLAIREAU.

Jeune homme !...

BATANDIER.

Elle vous a fourré dedans... ça n’a aucun rapport avec la vraie polka, la polka des salons, qu’elle vient de m’apprendre. Attendez, attendez...

MADAME BLAIREAU, à part.

Ah ! le malheureux !... que va-t-il faire ?

BATANDIER.

Vous allez voir la véritable danse hongroise... telle qu’on la pratique à Baden-Bis.

BLAIREAU.

Hein ?

BATANDIER.

À Baden... Baden, quoi !... J’économisais un Baden... Attention.

Il danse la bourrée en soufflant dans sa musette.

BLAIREAU.

Ah ça mais, je reconnais cette danse !... Oui... c’est bien ça !... C’est celle que ma femme s’est permise avec son cousin !... sur le tapis de mon salon.

S’élançant vers Batandier et l’arrêtant.

Monsieur !...

Batandier continue à danser.

Qui vous a appris cette polka ?... Nommez-moi l’auteur de cette polka !... je demande aussi l’auteur.

BATANDIER.

Eh ! vous le savez bien... C’est Mademoiselle Aventurine la mère... Elle est là pour le dire...

BLAIREAU.

Ma femme !...

Furieux.

C’est donc avec ma femme que vous étiez enfermé ?

BATANDIER, riant.

Mais vous le savez bien. Ah ! qu’il est assommant.

À Blaireau.

Vous n’avez donc pas plus de tête que de cheveux.

BLAIREAU.

C’est ma femme qui vous a appris la bourrée d’Auvergne ?

BATANDIER, bondissant.

Qu’est-ce que vous dites ? la bourrée d’Auv...

BLAIREAU, désespéré.

Ah ! Madame !... Vous m’avez donné un nouveau cousin !

MADAME BLAIREAU, troublée.

Mais, non... Mais je te jure, Amédée !... Et la preuve, c’est qu’il est l’amant de Palmyre, de votre nièce.

BATANDIER, vivement.

Qu’est-ce qu’elle dit ? Palmyre, votre nièce ! n° 45 ?... Vous êtes donc les Blaireau, à votre compte ?

BLAIREAU.

Faites donc l’ignorant !

BATANDIER.

Je suis en plein Blaireau !

MADAME BLAIREAU.

Et tiens, si tu en doutes, tiens, voici les lettres que ce grand lui écrivait ! où il l’appelle comète !

Elle prend des papiers roses dans sa poche.

BATANDIER.

Elle a mes autographes !...

BLAIREAU, indigné.

Ma nièce ?... Vous osez me dire !...

À part.

Je vais les confondre.

Haut.

Inconnu... votre âge ?

BATANDIER.

Majeur.

BLAIREAU.

Votre nom ?

BATANDIER.

Batandier (Chéri).

Geste d’une parenthèse.

BLAIREAU.

Votre état ?

BATANDIER.

Cinq pour cent... Je monte.

BLAIREAU.

Et... vous êtes prêt à épouser ma nièce ?

BATANDIER.

Incontinent.

BLAIREAU, étonné.

Ah bah !... Eh bien ! je vous la donne !...

BATANDIER.

Eh bien !... je la prends.

 

 

Scène XVII

 

BATANDIER, MADAME BLAIREAU, BLAIREAU, PASTOURELLE, puis HECTOR et AVENTURINE

 

PASTOURELLE, entrant.

Eh bien ! mon élève, achevons nous la...

BATANDIER, l’apercevant.

Ah !

PASTOURELLE, le reconnaissant.

Ah ! mon polkeur !...

BATANDIER, se jetant sur lui et le bousculant.

Ah ! vieux fourbe !... vieux roué !... je mets enfin la main sur toi !... Qu’est-ce que tu m’as fourré dans les jambes ? Qu’est-ce que tu m’as fait commettre en société ? Comment appelle-tu ce gigotage révoltant ?

PASTOURELLE.

Ne blasphémez pas, malheureux !... c’était la gavotte.

BATANDIER, exaspéré.

La gav...

PASTOURELLE.

Otte.

BATANDIER.

La gav...

PASTOURELLE, criant.

Otte !...

BATANDIER.

Je t’ai couvert d’or, et tu m’as induit en gavotte !... Je viens ici pour me refaire, et l’on me repasse la bourrée d’Auvergne !... Voilà tout ce qu’on me donne de polka pour mon argent !... Dites-moi donc tout de suite qu’elle n’a jamais existé, la polka... Que c’est un bruit de Bourse, pour faire baisser le cinq !

PASTOURELLE.

Malheureusement non... elle existe, l’aventurière !

BATANDIER.

Eh bien ! alors, où en tient-on ? Qui me l’apprendra ?

AVENTURINE, en costume hongrois, et s’élançant de la droite.

Moi.

HECTOR, de même, et du fond.

Et moi.

TOUS.

Que vois-je ?

MADAME BLAIREAU, s’approchant de Batandier pendant la ritournelle.

Mon neveu, je ne veux pas abuser de vos dix francs...

Elle les prend sur la cheminée.

Les voici !

BATANDIER.

Ma tante... je ne veux pas abuser de vos pincettes...

Il les tire de dessous sa redingote.

Les voilà !

Pas de la Polka.

À la fin du pas, entraînés à leur tour, Batandier et Madame Blaireau sautillent la bourrée, pendant que Pastourelle et M. Blaireau se livrent à la gavotte.

CHŒUR.

Air d’un des motifs de la danse.

Ah ! bravo ! brava !
C’est bien cela.
Honneur à la polka !...

Aventurine, essoufflée, s’assied près de la cheminée, et parle bas à Batandier.

BATANDIER, s’avançant et saluant.

Messieurs, notre jeune camarade se trouvant subitement... essoufflée, est dans l’impossibilité de chanter le couplet final ; je me suis chargé de la remplacer dans ce moment solennel... et, malgré l’émotion inséparable d’un premier début qui paralyse mes moyens, je réclame toute votre indulgence.

Air du Baiser au porteur.

Je suis une jeune sylphide,
Je compte à peu près dix-sept ans,
Et je viens, tremblante et timide,
Solliciter des juges bienveillants,
Et demander quelques bravos galants.
Auprès de vous lorsque ma voix réclame
Votre faveur pour mes faibles essais,
Songez, Messieurs, que je suis une femme !...
Et que vous êtes des Français !

Il prend Aventurine par la main, et la présente au public.

Vous pensiez bien que ce n’est pas moi... c’est elle qui vous dit ça par mon organe.

Songez qu’elle est un’ gentill’ petit’ femme,
Et que vous êt’s des chevaliers français !

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