Les Trois cousines (DANCOURT)

Comédie en trois actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 18 octobre 1700.

 

Personnages

 

LE BAILLI

LA MEUNIÈRE

LOUISON, fille de la meunière

MAROTTE, fille de la meunière

DE LORME, père de Colette, et beau-frère de la meunière

COLETTE, nièce de la meunière

MONSIEUR DE LÉPINE, amant de Louison et de Marotte

MONSIEUR GIFLOT, amant de Louison et de Marotte

BLAISE, amoureux de Colette

MATHURINE, paysanne

PLUSIEURS MEINIER et MEUNIÈRES

BOHÉMIENS et BOHÉMIENNES

PÈLERINS et PÈLERINES.

 

La scène est à Créteil.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

LA MEUNIÈRE, LE BAILLI

 

LA MEUNIÈRE.

Oh çà, monsieur le bailli, vous êtes bon homme, honnête homme ; vous avez bon esprit, bonne conscience, tout bailli que vous êtes. Feu mon mari, pendant son vivant, était de vos amis, vous buviez quelquefois ensemble ; il vous souvient de ce qu’il vous recommandit en mourant, le pauvre défunt : vous lui promîtes tant que vous auriais soin de sa famille.

LE BAILLI.

Je lui tiendrai parole, et vous me trouverez toujours prêt, madame la meunière, à vous rendre tous les services qu’on peut attendre d’un véritable ami.

LA MEUNIÈRE

Je vous sis bian obligé, monsieur le bailli ; je n’ai besoin que d’un bon conseil, comme je vous ai déjà dit.

LE BAILLI.

C’est ce qu’on donne plus libéralement.

LA MEUNIÈRE.

Vous avez raison, ça ne coûte rian. Allons, dites donc, que feriais-vous si vous étiez en ma place ?

LE BAILLI.

Mais, qu’avez-vous envie de faire ?

LA MEUNIÈRE.

Tout ce que vous me direz.

LE BAILLI.

Je n’aimerais pas à vous conseiller contre votre volonté.

LA MEUNIÈRE.

Mais voirement vous moquez-vous ? Je n’ai point de volonté. Je sis une pauvre veuve qui charche à vivre tout doucement, et qui ne veut rian faire sans la participation des honnêtes parsonnes qui avont la bonté d’entrer un peu dans les petites raisons qu’on peut avoir... Il y a deux ans que je sis veuve, monsieur le bailli.

LE BAILLI.

Comment, deux ans ! Y a-t-il tant que cela ?

LA MEUNIÈRE.

Oui, tout autant : velà le treizième mois ; et pour ce qui est d’en cas de ces choses-là, drès que la deuxième année est une fois commencée, on la compte finie. Oh ! j’ai bien eu du regret au pauvre défunt.

LE BAILLI.

Oui, je le vois bien, le temps vous dure.

LA MEUNIÈRE.

Eh ! le moyen qu’il ne durit pas ? j’ai bian de la charge, au moins : deux filles qui devenont grandes, une nièce qui l’est itou, un moulin bian achalandé, biaucoup de tracas ; il est bian malaisié de prendre garde à ça toute seule.

LE BAILLI.

Vos filles ni votre nièce n’ont pas besoin qu’on veille sur leur conduite : elles sont bien sages, bien élevées ; et c’est ce qui me faisait de plus estimer le défunt, que le soin qu’il a pris de leur éducation.

LA MEUNIÈRE.

Le pauvre homme, monsieu le bailli ! quand j’y songe, s’il n’était pas mort, voyez-vous, je ne serais pas dans l’embarras où je sis.

LE BAILLI.

Non, sans doute. Mais il est facile de vous en tirer : votre nièce et vos filles sont grandes, vous êtes riche ; il faut leur trouver à chacune un bon parti qui vous en défasse.

LA MEUNIÈRE.

À chacune un, ce serait trois ; et velà bian des noces. Ne trouveriais-vous pas plus à propos de n’en faire qu’une ?

LE BAILLI.

Oui-dà, on peut les marier le même jour ; cela vous épargnera de la dépense.

LA MEUNIÈRE.

Je ne nous entendons pas, monsieur le bailli ; vous me donnez des conseils pour elles, et c’est pour moi que je vous en demande.

LE BAILLI.

Comment ?

LA MEUNIÈRE.

C’est moi qui sis d’avis de me marier ; je crois que ça vaudra mieux.

LE BAILLI.

Oui. Mais pour vous soulager des soins que vous donnent ces filles et cette nièce...

LA MEUNIÈRE.

Eh ! fi donc ; les maris que je leur baillerais n’auriont soin que d’elles, et sti que je prendrai aura soin d’elles et de moi : ce sera faire d’une piarre deux coups ; ça est bian plus commode.

LE BAILLI.

D’accord. Mais madame la meunière...

LA MEUNIÈRE.

Tenez, monsieur le bailli, ma résolution est prise, je n’en démordrai point, je veux me remarier, vous avez biau dire.

LE BAILLI.

Vous avez raison, je vous conseille de le faire.

LA MEUNIÈRE.

Et si, je ne veux pas que mes filles ni ma nièce en murmuriont la moindre chose.

LE BAILLI.

Vous ferez fort bien de les en empêcher.

LA MEUNIÈRE.

Je prétends qu’elles demeuriont filles tant qu’il me plaira.

LE BAILLI.

C’est fort bien prétendre.

LA MEUNIÈRE.

Et si elles s’avisiont tant seulement d’envisager un homme, je les dévisagerais, moi. Oh ! je sis une femme d’honneur, monsieu le bailli, je n’entends point de raillerie.

LE BAILLI.

Cela est fort louable. Et quel est le mari que vous prenez, madame la meunière ?

LA MEUNIÈRE.

Je ne sais pas bian encore ; ils sont trois ou quatre : conseillez-moi itou un peu là-dessus, monsieu le bailli.

LE BAILLI.

Très volontiers : vous n’avez qu’à dire, voyons.

LA MEUNIÈRE.

Il y a déjà le concierge du châtiau, premièrement.

LE BAILLI.

C’est un fort honnête homme.

LA MEUNIÈRE.

Et puis monsieur Giflot, le neveu de notre curé, qu’on dit qui a de l’esprit : vous savez ce qui en est.

LE BAILLI.

Oui vraiment, celui-là serait un fort bon parti.

LA MEUNIÈRE.

Il y a encore le valet de chambre de monsieu le président, qui est un bon gros réjoui.

LE BAILLI.

Celui-là ne vous déplaît pas, je gage ?

LA MEUNIÈRE.

Et puis Blaise, le garde-moulin, qui est un franc nigaud : je n’ai qu’à choisir ; lequel prendriais-vous, monsieu le bailli ?

LE BAILLI.

Mais, écoutez, ce valet de chambre...

LA MEUNIÈRE.

Oh ! sti-là a trop bonne protection, monsieu le bailli ; il me ferait enrager, et je ne serais pas la maîtresse.

LE BAILLI.

C’est une bonne raison. Vous préférez monsieur Giflot ?

LA MEUNIÈRE.

Le ciel m’en préserve ! il a trop d’esprit. On n’a que faire d’esprit dans un moulin ; le mien suffit pour ça, je n’en veux point d’autre.

LE BAILLI.

Je vois bien que le concierge...

LA MEUNIÈRE.

Fi ! c’est un grand flandrin, un grand sec, maigre ; il est quasi tout comme le défunt : il me serait avis que ce serait la même chose, et il vaudrait presque autant n’avoir pas été veuve que de ne pas s’apercevoir du changement.

LE BAILLI.

Oui, cela est vrai ; et ce sera le garde-moulin, selon toutes les apparences.

LA MEUNIÈRE.

Dame, acoutez, c’est un bon gros nigaud qui me reviant assez. Voilà ce qu’il faut eu ménage. Ça va droit en besogne, ça est déjà stylé à ma magnière, et je ferai tout ce que je voudrai de ce benêt-là.

LE BALLI.

Oui ; mais épouser votre garde-moulin ?

LA MEUNIÈRE.

Oh ! je sis butée à ça, monsieu le bailli, je n’en aurai point d’autre. Baillez-moi votre avis là-dessus, je vous en prie.

LE BAILLI.

Mon avis est que vous l’épousiez, et tout au plus vite : vous ne sauriez jamais mieux faire.

LA MEUNIÈRE.

N’est-il pas vrai ? Que je sis bian aise que vous agréais ma résolution ! car, au bout du compte, j’ai de la confiance en vous, du respect, de la croyance ; et si vous m’aviais contredite, je n’en aurais toujours rian fait qu’à ma tête, et ça eût été désagriable. En vous remarciant, monsieu le bailli, je vous prie de la noce. Je sis votre servante.

LE BAILLI.

Jusqu’au revoir, madame la meunière

 

 

Scène II

 

LE BAILLI

 

Voici une commère qui va faire un mauvais marché avec son garde-moulin ; et quelque bon esprit qu’elle paroisse avoir, ce n’est assurément pas l’esprit qui la détermine. Elle n’a nullement dessein de pourvoir ses filles, et les pauvres enfants sont en âge, et peut-être dans l’impatience d’être pourvues. Il faut avertir leur oncle de la sottise que médite sa belle-sœur. Le voici le plus à propos du monde.

 

 

Scène III

 

DE LORME, LE BAILLI

 

DE LORME.

Votre valet, monsieu le bailli ; comment vous en va ? je m’en allais cheux vous.

LE BAILLI.

Je suis bien aise que vous m’ayez rencontré. Me voulez vous quelque chose ?

DE LORME.

Eh, parguenne, si je ne voulais rian, je ne vous charcherais pas.

LE BAILLI.

Eh bien ! qu’est-ce ? De quoi s’agit-il ?

DE LORME.

Il s’agit que défunt mon frère, le meunier d’ici, est trépassé, comme vous savez, et que madame sa femme est diablement vivante, à ce qu’il me paraît : ça ne vous paraît-il pas itou comme ça, monsieu le bailli ?

LE BAILLI.

Oui, vraiment ; je voulais aussi vous parler de ça. C’est une bonne femme, fort entendue, mais...

DE LORME.

Ce n’est, morgué, pas de sa bouté ni de son entendement que je vous parle.

LE BAILLI.

Eh ! de quoi donc, s’il vous plaît, monsieur de Lorme ?

DE LORME.

Oh ! palsanguenne, c’est de son allure, et au train qu’alle va, j’ai peur qu’alle ne bronche : je ne vas de fois au moulin que je ne trouve la nappe mise et du monde autour, de grandes cruchées de vin par ici, des jambons par ilà, un gigot d’un côté, un cochon de lait de l’autre, des ménétriers dans un batiau, la musette et le hautbois sous l’orme ; il est avis que ce sont des noces parpétuelles, et si parmi tout ça je ne vois ni curé ni tabellion. Morgué, cela nous baille martel en tête ; car, voyez-vous, j’aide l’honneur, et je sis, pour l’âme du défunt, presque aussi jaloux de ma belle-sœur, que je l’aie jamais été de ma femme Margot, pendant qu’alle était au monde ; et je ne l’étais pas mal, comme vous savez.

LE BAILLI.

Vous ne l’étiez que trop, et vous aviez quelquefois des emportements...

DE LORME.

Oh ! pargué, je ne l’ai rossée qu’une fois, mais je la rossis bian, et dans le fond j’avais tort ; au moins, n’allez pas croire que j’avais raison.

LE BAILLI.

Non, non, je ne suis point porté à croire le mal.

DE LORME.

Je ne sais, morgué, comment ça se fit. Je devais aller ce jour-là à tras lieues d’ici pour une coupe de bois que j’y avais à vendre ; je rencontris le marchand en sortant du village, il me ramenit au Grand-Cerf ; j’y tombîmes d’accord, je bûmes le vin du marché, copieusement pour ça : je ne nous quittimes qu’à minuit. Je retournis chez moi ; on ne m’y attendait pas ; je trouvis ma femme dans le lit : et voyez un peu queu peste de vision, monsieu le bailli, la carogne me paroissit double.

LE BAILLI.

Voilà une vilaine vision, monsieur de Lorme

DE LORME.

Je vous laisse à penser queu vacarme ; j’étais pis qu’un enragé : mais le lendemain je me rapaisis, je compris facilement que c’est que j’étais ivre, et que c’était ma faute. Enfin, bref, tant y a, Margot me pardonnit ma barlue, on nous

raccommodit. Et voyez, monsieu le bailli, queu bénédiction ! avant ça, je ne pouvièmes avoir d’enfants, et de ce raccommodement-là il est venu cette petite fille, qui est votre fillole, et qui a morgué plus d’esprit qu’alle n’est grosse. Oh ! je ne sais pas de qui alle tiant, je vous l’avoue.

LE BAILLI.

Vous aimez bien cet enfant-là, monsieur de Lorme ?

DE LORME.

Si je l’aime ! C’est une petite mièvreté agriable ; alle a de petites magnières sémillantes, une maleigneté drôle ; alle fait pièce à qui alle peut, alle ne pense bian de parsonne ; alle dit du mal de tout le monde, et si tout le monde l’aime. Oh ! c’est une jolie créature. La voici, je pense : je lui ai donné charge d’observer sa tante la meunière ; alle viant m’en dire queuque nouvelle.

LE BAILLI.

Je vous en apprendrai de plus sûres que personne.

DE LORME.

Bon, tant mieux. Mais écoutons an tantinet ce que Colette aura à me dire.

 

 

Scène IV

 

DE LORME, LE BAILLI, COLETTE

 

DE LORME.

Eh bian ! mon entant, tu vians du moulin ? Qu’est-ce qu’il y a de nouviau ? que fait ta tante ?

COLETTE.

La voilà qui vient d’arriver ; et tout en arrivant elle est d’abord allée trouver Blaise, le garde-moulin, et elle s’est mise à babiller avec lui. Oh ! c’est une grande causeuse que cette femme-là. Bonjour, mon parrain.

LE BAILLI.

Bonjour, Colette, bonjour.

DE LORME.

N’as-tu point acouté ce qu’alle disait ?

COLETTE.

Oh ! que si fait, vraiment ; mais comme elle est défiante, on ne la saurait écouter que de loin ; ou n’entend qu’une partie de ce qu’elle dit, il faut deviner le reste.

DE LORME.

Oh ! parguenne, oui ; l’es une plaisante devineuse ! Monsieu le bailli ?

LE BAILLI.

Je ne la crois pas fort habile, franchement.

COLETTE.

Hom ! Je la suis assez pour deviner tout ce que vous disiez hier à notre voisine la belle cabaretière, qui était avec vous sur sa porte.

LE BAILLI.

Comment ! petite fille...

Colette contrefait, par ses gestes, ceux du bailli et ceux de la voisine.

COLETTE.

Vous faisiez comme ça, mon parrain : vous la regardiez avec de certains yeux, vous lui preniez la main, et dans ce temps-là, c’est que vous lui disiez que vous étiez amoureux d’elle, et elle vous repoussait ; elle secouait comme ça la tête, c’est qu’elle répondait qu’elle n’en croyait rien. Et vous, tout aussitôt de faire comme ça : vous lui juriez que ça était vrai ; et j’entendis un peu le dernier mot ; il y avait, je crois, qu’elle était adorable.

DE LORME.

Oh ! oh ! monsieu le bailli.

LE BAILLI.

Ah ! ah !

COLETTE.

Cela est bien vrai, je vous en réponds ; et la voisine faisait comme ça, et je suis sûre qu’elle disait : Paix, taisez-vous, ne parlez pas si haut ; mon mari est là-dedans.

LE BAILLI.

Voilà une rusée petite fillole, compère de Lorme ; si elle devine aussi juste en toutes choses, elle est plus habile que vous, sur ma parole.

DE LORME.

Tatigué, queul esprit ! ça est marveilleux, n’est-ce pas ? Eh ! qu’est-ce que c’est que t’as deviné de ta tante, dis ?

COLETTE.

Qu’elle aime Blaise de tout son cœur, et que Blaise ne se soucie guère d’elle.

LE BAILLI.

Le premier article est vrai, je le sais par elle-même : pour le second, il faut l’éclaircir. Qu’est-ce qui vous le fait soupçonner ? Voyons.

COLETTE.

C’est ma tante qui le va toujours chercher, et puis, quand ils sont ensemble, il n’y a quasi qu’elle qui parle : elle gesticule, elle devient rouge, et Blaise est comme ça. Il fait une espèce de moue ; et quand il lâche deux ou trois paroles, c’est en levant le nez ou en secouant les oreilles. Oh ! s’il est amoureux, lui, ce n’est pas de ma tante, je vous en réponds.

LE BAILLI.

Cela pourrait être, et j’ai à vous avertir que la grande folie de votre belle-sœur est de se remarier.

DE LORME.

La dévargondée !

LE BAILLI.

La fillole a fort bien deviné : c’est Blaise à qui elle en veut, et si il y en a trois autres qui la recherchent.

DE LORME.

Comment ! trois, monsieu le bailli ? Est-il possible qu’il y ait tant de fous que ça dans le village ? Et qui sont ces nigauds-là, avec votre parmission ?

LE BAILLI.

Ce ne sont point des nigauds. La meunière est riche ; le concierge du château, le valet de chambre de monsieur le président, et le neveu du curé ont des vues pour elle.

COLETTE.

Oh ! que nenni, mon parrain ; je devine mieux que vous : ce n’est point pour ma tante qu’ils vont au moulin, c’est pour mes cousines.

LE BAILLI.

Pour vos cousines ! Qui vous a dit cela ?

COLETTE.

Bon, qui me l’a dit ! est-ce qu’on me dit quelque chose ? Ils se défient tous de moi, ils ne me disent rien ; mais je sais tout : il n’y a pas jusqu’à Blaise, qui e<t amoureux de moi, et qui n’oserait me le dire, de peur que je ne me moque de lui.

DE LORME.

Il est amoureux de toi ? Comment sais-tu cela ?

COLETTE.

Voyez, que cela est difficile à deviner ! Je ne l’aime pas, moi, au moins ; mais je ne laisse pas de lui faire bonne mine, pour l’empêcher d’épouser ma tante. Oh ! s’il faisait cette sottise-là, j’en serais bien fâchée, je vous l’avoue.

LE BAILLI.

Le garde-moulin serait amoureux de vous ? Allez, vous êtes folle.

COLETTE.

Vous ne le voulez pas croire, il faut vous en donner le plaisir Le voilà qui vient ; cachez-vous tous deux derrière ce buisson, vous entendrez ce qu’il me dira : je vais lui donner belle, et, tout nigaud qu’il est, je le ferai parler, je vous en réponds.

DE LORME.

La jolie enfant, monsieu le bailli ! Est-ce moi qui ai fait ça ?

LE BAILLI.

Voyons, voyons si elle ne se trompe point ; cela ne sera pas inutile à de certains desseins que j’ai dans la tête.

COLETTE.

Cachez-vous donc vite, qu’il ne vous voie point ; car c’est un benêt qui serait honteux.

 

 

Scène V

 

COLETTE, BLAISE

 

COLETTE.

C’est à moi qu’il en veut assurément, et le nigaud n’approchera point que je ne l’appelle. Holà, Blaise, holà.

BLAISE.

Bonjour, madame Colette ; est-ce que vous voudriais me parler, que vous m’appelez ?

COLETTE.

Mais toi, mon garçon, n’as-tu rien à me dire ?

BLAISE.

Morgué nenni, vous êtes trop moqueuse, queuque sot qui s’y fie ; je crèverais plutôt que d’en ouvrir la bouche ; à moins que ça ne vienne de vous, je n’oserais vous le dire.

COLETTE.

Eh ! quoi dire ?

BLAISE.

Ce qui m’amène envars ici. Vous croyez peut-être que c’est par hasard que j’y vians, ça n’est pargué pas ; c’est tout exprès, et si je n’en fais pas semblant, comme vous voyez.

COLETTE.

Tu es un garçon bien dissimulé.

BLAISE.

Parguenne, il faut être comme ça. Je ne veux point qu’on se gobarge de moi ; voyez le biau plaisir, on ira dire son secret à une fille, et pis la masque s’en gaussera. Nannin, morgué, nannin ; il n’en sera rian ; j’ai plus de cœur que ça.

COLETTE.

Tu aurais quelque secret à m’apprendre, à moi ?

BLAISE.

Eh ! oui morguenne, j’en ai un. Quand vous n’y êtes point, je sis tout prêt à vous le dire ; et drès que je vous vois, vous avez une certaine meine malicieuse qui me renfonce la parole. C’est que je sis si timide, voyez-vous, et si pourtant avec les filles il m’est avis qu’d faut de la hardiesse.

COLETTE.

Assurément : rassure-toi, va, va, parle.

BLAISE.

Oui mais si ce secret-là vous est désagriable ? Il y a des secrets qui déplaisont queuquefois. Votre tante m’a dit le sian, par exemple ; il m’a fâché : si le mian va vous faire de même ?

COLETTE.

Et qu’est-ce que c’est que son secret à ma tante ?

BLAISE.

Qu’alle est amoureuse de moi.

COLETTE.

Et le tien à toi ?

BLAISE.

Que je sis amoureux de vous ; mais vous n’en saurais rian que vous ne le deviniais. Je sens bian ça, je n’aurais jamais l’impartinence de vous le dire.

COLETTE.

Ah ! tu feras fort bien de ne m’en point parler.

BLAISE.

Oh tatigué ! que je n’ai garde ; vous en feriais de biaux contes.

COLETTE.

Oh ! oui, je t’en réponds.

BLAISE.

Stapendant, je crois que ça me fera tourner la çarvelle.

COLETTE.

Cela serait fâcheux.

BLAISE.

Oui, voirement ; et si vous aviais l’esprit de deviner ça, et la bonté d’en être bian aise, je ne deviendrais peut-être pas fou, voyez-vous. Eh ! allons, allons, morguenne, empêchez-moi de l’être.

COLETTE.

Eh bien ! va, nous verrons ; laisse faire.

BLAISE.

Commencez-vous à deviner un tantinet ?

COLETTE.

Oui, oui, j’entrevois quelque chose.

BLAISE.

Entrevoyez-vous que je crève d’amour, et que c’est vous qui en êtes la cause.

COLETTE.

Cela me pareil un peu comme tu le dis.

BLAISE.

Oh ! morgué, je dis vrai, je joue le franc jeu ; et tenez, je ne bois point de vin, queuque part où je me treuve, que je ne m’enivre tout bas à votre santé, madame Colette.

COLETTE.

Cela est bien tendre.

BLAISE.

Il ne me viant point de pensée d’amour que ce ne soit pour vous.

COLETTE.

Fort bien.

BLAISE.

Et quand il m’en viant de mariage, c’est itou pour vous, madame Colette.

COLETTE.

Mais tu me parles de ton amour bien familièrement, à ce qu’il me semble.

BLAISE.

Parguenne, c’est que vous m’enhardissez ; et quand je sis une fois enhardi, dame, acoutez, je ne sis plus honteux : il n’y a qu’à me mettre en train et à me laisser faire.

 

 

Scène VI

 

LE BAILLI, DE LORME, COLETTE, BLAISE

 

LE BAILLI.

Doucement, monsieur Blaise, doucement.

BLAISE.

Eh bian ! tatigué, ne velà-t-il pas ; je n’étions pas seuls ; on nous acoutait : vous m’avez fait jaser pour me faire pièce.

DE LORME.

Comme vous vous échauffez, monsieu le garde-moulin ; prenez garde.

BLAISE.

Oh ! dame, excusez, monsieu de Lorme, la hardiesse que j’ai la libarté de prendre ; mais comme madame la meunière a en fantaisie que vous deveniais mon biau-frère, je me sis fourré dans la mienne qu’il vaudrait mieux que ce fut

mon biau-père que vous devenissiais : ça dépendra de vous ; voyez, il n’y a pas plus de difficulté à l’un qu’à l’autre.

DE LORME.

Oh ! palsangué, je vous baise les mains ; il y a de la difficulté des deux cotés, monsieur Blaise.

BLAISE.

Eh ! oui, ça est vrai. Je ne veux pas l’un ; vous ne vêlez peut-être pas l’autre, vous, et c’est ce qui fait que je ne sommes pas d’accord ; mais madame Colette accommodera tout ça, alle n’a qu’à vouloir.

DE LORME.

Alle n’a qu’à vouloir ?

BLAISE.

Eh ! parguenne, oui. N’est-il pas vrai, monsieu le bailli ? Il y a comme ça queuquefois des parents bourrus, des brutaux, qui ne voulont pas bailler leurs filles en mariage, et les filles, parfois, s’y baillont d’alles-mêmes. Comme on n’y entend point de mal, on va le grand chemin ; et de queuque part qu’alles viennent, on ne laisse pas de les prendre ; et le biau-père est biau-père maugré li, mais ne laisse pas de l’être : vous comprenez bian, madame Colette ?

DE LORME.

Comment ! biau-père maugré li ? Oh ! parguenne, j’y bouterons queuque empêchement, monsieu le bailli.

LE BAILLI.

Sans emportement, monsieur de Lorme. Monsieur Blaise est un bon garçon, un honnête garçon ; et, pourvu qu’il nous promette de ne point épouser la meunière...

BLAISE.

Eh ! parguenne, il y a bon moyen de m’en empêcher ; qu’on me baille la nièce, il est bian sur que je n’épouserai point la tante.

LE BAILLI.

Il n’y a rien qui ne se puisse faire ; mais, en attendant, promettez-nous...

BLAISE.

Si je vous le promettrai ! Je sommes déjà trois qui nous sommes baillé parole de ne vouloir point d’alle, et stapendant je faisons la meine d’en vouloir biaucoup : et voyez comme je joue de malheur, monsieu le bailli, je sis justement sti dont alle veut le plus.

LE BAILLI.

Je le sais bien.

BLAISE.

Alle voulait que je fissions aujourd’hui des accordailles ; et comme je ne veux point d’épousailles, moi, il m’est avis que ces accordailles-là seriaient suparflues.

DE LORME.

Eh ! oui, voirement.

BLAISE.

Je l’amusons tous trois du mieux que je pouvons, avec des ménétriers, parfois, de petites chansonnettes par ici, de petits régalements par ilà : quand je la trouvons trop bonne, je li faisons querelle ; je devenons bons quand alle fait la meine, et drès qu’alle se radoucit, je li charchons noise. Alle nous r’aime comme ça tour à tour, et tour à tour je faisons semblant de la r’aimer ; mais je ne voulons jamais rian conclure.

LE BAILLI.

Mais à quoi bon ces semblants-là ?

BLAISE.

À quoi bon, monsieu le bailli ? morgué, les semblants ne sont que pour alle ; mais il y a du tout de bon pour les filles.

DE LORME.

Comment, du tout de bon ?

BLAISE.

Oui : monsieu Giflot en aime l’une ; monsieu de Lépeine est amoureux de l’autre, et c’est moi qui, envars alles, manigance tout ça pour eux, sans que leur mère s’en doute, à condition qu’à la pareille ils maniganceront pour moi envars Colette, sans que monsieu de Lorme s’en aperçoive. Oh ! j’avons morgué bian pris nos mesures.

DE LORME.

Oh ! oh ! parguenne, velà qui est admirable, monsieu le bailli !

BLAISE.

Vous serez morgué les dupes de ça, car j’y avons regardé.

DE LORME.

C’est ce qu’il faudra voir.

BLAISE.

Je sis le boudeux aujourd’hui, moi, à cause qu’alle voulait des accordailles. Monsieu de Lépeine est le régaleux, et monsieu Giflot fera le jaloux. Dame, voyez-vous, je nous divartissons comme des petits rois. Les jeunes filles, qui avont le mot et qui savont que ça se fait pour l’amour d’alles, prenont leur part du divartissement. La meunière, qui ne sait rian de rian, se divartit itou comme les autres, et par ainsi je sommes tretous en joie.

DE LORME.

Je vous le disais bian, monsieu le bailli, ce sont, morgué, des noces parpétuelles.

On entend une symphonie.

BLAISE.

Oui, justement... entendez-vous ? Velà monsieu de Lépeine qui va leur bailler un plat de son métier.

LE BAILLI.

Nous parlerons à loisir de tout cela, monsieur de Lorme ; il faut se conduire prudemment dans cette affaire-ci.

BLAISE.

Ils s’en allont envars là-bas, je pense. Eh ! morguenne, que ne venont-ils envars ici ? la place est plus belle, et vous trouveriais peut-être ça drôle.

LE BAILLI.

Oui-dà, oui-dà ; j’aime à voir qu’on se réjouisse.

BLAISE.

C’est un tas de filles et de garçons babilles tretous comme des meuniers et des meunières, et monsieu de Lépeine à leur tête, et tout ça pour faire voir au monde qu’il ne méprise point le moulinage. Oh ! ça est bian galant, voyez-vous.

LE BAILLI.

Assurément. Allez, ma fillole, allez vous joindre à ces jeunes filles, et tâchez de les amener ici.

COLETTE.

Elles ne demanderont pas mieux, mon parrain, et ma tante aussi, j’en suis sûre.

BLAISE.

Oh ! palsanguenne, j’en réponds itou, et j’allons vous amener toute la bande joyeuse.

 

 

Scène VII

 

DE LORME, LE BAILLI

 

DE LORME.

Eh bian ! monsieu le bailli, ne velà-t-il pas ce que je vous disais ? Dame, voyez-vous, je devine itou aussi bian que Colette. Oh ! pour ce qui est de ça, je tenons l’un de l’autre.

LE BAILLI.

Oui, vous avez bon sens, bon esprit.

DE LORME.

La meunière bronchera, prenons-y garde, et si alle bronche une fois, ses filles et la mienne broncheront itou, peut-être ; car les filles et les femmes, c’est comme les moutons, voyez-vous ; drès que l’une a sauté le fossé, crac, velà les autres après ; et la meunière est une sauteuse, je vous en avartis.

LE BAILLI.

Il faut examiner la chose avec attention, pour pouvoir prendre des mesures justes.

DE LORME.

C’est biau dit.

LE BAILLI.

Observer la mère et les filles.

DE LORME.

Et la mienne itou, monsieu le bailli : c’est une dessalée.

LE BAILLI.

Laissez-moi faire, et ne dites rien à votre belle-sœur, surtout.

DE LORME.

Que je ne li dise rian ? J’aurais pourtant bian envie de li laver la tête.

LE BAILLI.

Gardez-vous-en bien : il ne faut pas lui donner soupçon qu’on ait dessein de la contrecarrer.

DE LORME.

Vous avez raison ; je ne sonnerai mot.

LE BAILLI.

Voici Colette qui les amène ; prenons notre part de leur joie, feignons tous deux d’être fort contents de toutes ces petites parties déplaisirs.

DE LORME.

Oh ! tatigué, ne vous boutez pas en peine. Que je vas faire semblant de me divartir !

 

 

PREMIER INTERMÈDE

 

Plusieurs habitants du village, vêtus en meuniers et en meunières, et conduits par monsieur de Lépine, viennent en dansant prendre sur le théâtre les places qu’ils doivent occuper pendant le divertissement que l’on donne à la meunière.

MONSIEUR TOUVENEL, vêtu en meunier.

Pour adoucir le long veuvage
De la meunière de ces lieux.
Tout rit sans cesse en ce village,
Et chacun y fait de son mieux ;
Pour adoucir le long veuvage
De la meunière de ces lieux.

Entrée.

MADEMOISELLE HORTENSE, meunière.

Les plaisirs naissent sous les pas
D’une veuve à joli visage,
Et le veuvage a ses appas
Quand on en fait un bon usage.

Entrée.

MONSIEUR TOUVENEL, meunier.

En voyageant avec l’amour,
Telle aura fait cent fois naufrage,
Qui s’y rembarque au premier jour,
Tant agréable est ce voyage !
Celui d’hymen est moins charmant,
Et la veuve prudente et sage
Ne s’expose que rarement
Aux périls d’un second orage.

Entrée.

Branle.

MONSIEUR TOUVENEL, meunier.

Ici l’Amour et sa mère
Vont d’un air badin,
De la beauté la plus fière
Enflammer le sein.
Le joli, belle meunière,
Le joli moulin !

MADEMOISELLE HORTENSE, meunière.

Le dieu de la bonne chère
Fait à tous festin ;
Chacun s’ivre à sa manière,
D’amour ou de vin.
Le joli, etc.

MONSIEUR TOUVENEL, meunier.

Tout le long de la rivière
Chacun par la main
Mène en chaulant sa bergère,
Exempt de chagrin.
Le joli, etc.

MADEMOISELLE MIMI, meunière.

Là, d’une danse légère,
En blanc escarpin,
Thibaut, avec sa commère,
Foule le sainfoin.
Le joli, etc.

MONSIEUR TOUVENEL.

Richesse et grandeur pour plaire
Sont un sûr moyen,
Mais mon cœur charmé préfère,
À tout autre bien,
Ton joli, etc.

Je vivrai dans ma chaumière,
Content du destin.
Si j’en puis, pour grâce entière,
Obtenir enfin
Ton joli, etc.

Tous les acteurs et les actrices du divertissement sortent du théâtre en dansant, comme ils y sont entrés.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

LE BAILLI, DE LORME, LA MEUNIÈRE

 

DE LORME.

Parguenne, la belle-sœur n’a pas tort, monsieu le bailli, velà une bonne petite vie, toujours chanter, danser, boire et manger. Gagne-t-on biaucoup à ce métier-là ?

LA MEUNIÈRE.

On y gagne du bon temps, biau-frère ; n’est-ce pas le meilleur proufit de la vie ?

DE LORME.

Hom, masque ?

LE BAILLI.

Monsieur de Lorme ?

DE LORME,

Oh ! rian, rian ; je sis prudent : vous me l’avez enchargé, et je m’en vais m’en aller, de peur de faire queuque sottise. Sans adieu, monsieu le bailli. Nous nous revarrons, madame la meunière.

 

 

Scène II

 

LE BAILLI, LA MEUNIÈRE

 

LA MEUNIÈRE.

À qui en a cet animal-là, monsieu le bailli ? et que veut-il donc dire ?

LE BAILLI.

C’est un brutal qui n’aime pas qu’on se réjouisse.

LA MEUNIÈRE.

L’impertinent ! De quoi se mêle-t-il ? sont-ce là ses affaires ? Je veux me réjouir, moi, je veux passer le temps, je n’ai rian de mieux à faire.

LE BAILLI.

Vous le passez fort agréablement ; votre manière de veuvage a son mérite ; et si j’étais à votre place, je ne me presserais point de me remarier.

LA MEUNIÈRE.

Oh ! voirement, monsieu le bailli, ça est bian aisié à dire ; mais tous ces plaisirs-là, ce n’est que du vent, voyez-vous ; et un mari, c’est du solide.

LE BAILLI.

Il est vrai, vous avez raison ; et, puisque vous avez pris votre parti, que votre choix est fait...

LA MEUNIÈRE.

Hom ! ça n’est pas si détarminé que tantôt, monsieu le bailli.

LE BAILLI.

Comment donc ?

LA MEUNIÈRE.

Il m’est avis, à l’heure qu’il est, que monsieu de Lépeine vaudra mieux que Blaise.

LE BAILLI.

Et peut-être demain monsieur Giflot vous plaira-t-il mieux que monsieur de Lépine ?

LA MEUNIÈRE.

Dame, acoutez, ça se pourrait bian. C’est mon himeur, voyez-vous, je sis un peu changeuse.

LE BAILLI.

Oui, cela est vrai, et du vivant du défunt vous étiez tout de même.

LA MEUNIÈRE.

Ce sont des inquiétudes qu’on a dans l’esprit, des inçartitudes ; on ne saurait se résoudre,

LE BAILLI.

Dans ces incertitudes-là, mes avis vous seraient inutiles : quand vous aurez pris votre résolution, je ne manquerai pas de vous conseiller de la suivre. Je vous donne le bonjour, madame la meunière.

LA MEUNIÈRE.

Je vous baise bian les mains, monsieu le bailli.

 

 

Scène III

 

LA MEUNIÈRE

 

Je gouvarne cet homme-là comme je veux ; et queuque mari que je prenne, il le tiendra en bride. Allons, velà qui est fini, ce sera monsieu de Lépeine : il s’est habillé en meunier pour me faire plaisir, sti-là ; il m’est avis qu’il m’aime mieux qu’un autre. Le velà qui revient ; c’est moi qu’il charche : ce garçon-là ne saurait vivre sans moi.

 

 

Scène IV

 

LA MEUNIÈRE, LÉPINE

 

LÉPINE, à part.

La désagréable situation que celle où je me trouve !

LA MEUNIÈRE.

Il se plaint de moi. Ces amoureux-là se plaignont toujours.

LÉPINE, à part.

Quel chagrin d’être réduit à tant de contrainte, et de ressentir tant d’amour !

LA MEUNIÈRE.

Mais voirement, il ne sait ce qu’il dit ; an ne le contraint point.

LÉPINE, à part.

Il faut pourtant savoir à quoi m’en tenir, faire expliquer cette charmante personne, et m’en assurer la possession.

LA MEUNIÈRE.

Je li fais pardre l’esprit. Allez, allez, monsieu de Lépeine, ne vous chagraignez point ; vous me posséderez.

LÉPINE, à part.

La fâcheuse rencontre !

LA MEUNIÈRE.

Je vous le promets, je ne m’en dédirai point. Giflot est un sot, Blaise un nigaud ; c’est vous qui aurais la préférence.

LÉPINE.

C’est un bonheur que rien ne pourrait égaler, s’il n’était point troublé par de certaines réflexions.

LA MEUNIÈRE.

Queux réflexions, monsieu de Lépeine ? qu’est-ce que ça, des réflexions ?

LÉPINE.

C’est ce qui empoisonne tous les plaisirs de la vie.

LA MEUNIÈRE.

Velà une vilaine drogue, ne vous sarvez point de ça.

LÉPINE.

On n’en est pas le maître. En vous épousant, par exemple, je me trouverais le plus heureux de tous les hommes, si vous n’étiez pas la mère de deux jeunes filles.

LA MEUNIÈRE.

Comment ! qu’est-ce que ça fait, monsieu de Lépeine ? Eh bien, oui, je ne les renie pas, je sis leur mère, on ne vous trompe point ; je me baille pour veuve, tredame.

LÉPINE.

Un beau-père se trouvera chargé du soin de leur conduite : elles sont aimables, elles seront aimées ; c’est une chose embarrassante.

LA MEUNIÈRE.

Ce sera mon affaire ; le biau-père n’aura que voir à ça, ne vous boutez pas en peine.

LÉPINE.

Si vous songiez à les pourvoir avant...

LA MEUNIÈRE.

Ah ! les pourvoir. Oh ! dans huit ou dix ans je parlerons de ça. J’ai du bian, je sis jeune, j’en prétends jouir, et je neveux pas que des affamés de gendres me fassent rendre compte.

LÉPINE.

Quoi ! si quelqu’un songeait à l’une d’elles...

LA MEUNIÈRE.

Je crois, Dieu me pardonne, que je noierais celle qui acouterait ce queuqu’un-là ; et le queuqu’un n’aurait pas biau jeu, je vous en réponds. Ne vous embarrassez point de ça, laissez-moi faire.

LÉPINE.

Votre famille m’est trop chère, je ne pourrais me dispenser de m’en embarrasser. Ce sont ces réflexions qui m’assassinent : j’ai fait les miennes, faites les vôtres ; tout mon bonheur dépend de vous.

 

 

Scène V

 

LA MEUNIÈRE

 

Oh bian ! je ne le ferai pas, monsieu de Lépeine. Je le disais bian tantôt à monsieu le bailli, c’est un obstiné qui a de la protection, et qui me ferait enrager. Il marierait mes filles en dépit que j’en eusse : je me moque de ça, velà qui est tarminé ; monsieu Giflot me conviendra mieux, je m’en vais le prendre.

 

 

Scène VI

 

LA MEUNIÈRE, DE LORME

 

DE LORME.

Oui, c’est bian fait, velà qui est commode, il n’y a qu’à choisir, vous êtes à même. Pargué, madame la meunière, vous êtes une grande bête avec votre esprit, de ne vous apercevoir pas qu’on se gobarge de vous ?

LA MEUNIÈRE.

Comment, on se gobarge de moi ? Que voulez donc dire, monsieu de Lorme ?

DE LORME.

Tatigué, si monsieu le bailli ne m’avait pas défendu de parler... Mais je voulons vous faire tomber dans le paniau ; car sans ça, morguenne...

LA MEUNIÈRE.

Eh bian, sans ça ?

DE LORME.

Sans ça, je vous dirais franchement que vous êtes une folle.

LA MEUNIÈRE.

Monsieu de Lorme...

DE LORME.

Une sotte, une cruche, une impartinente.

LA MEUNIÈRE.

Mais, monsieu de Lorme...

DE LORME.

Une masque, avec votre remariage ; que c’est vos filles qu’il faut marier, ou bian qu’alles se marieront toutes seules, je vous en avartis.

LA MEUNIÈRE.

Elles se marieront toutes seules ? Et à qui, s’il vous plaît ?

DE LORME.

Parguenne, à qui ? On manque bian de ça.

LA MEUNIÈRE.

Mais, encore ?

DE LORME.

Oh ! tatigué, j’ai promis de ne rian dire : vous en serais la dupe ; ça sera biau, à votre âge, de vous laisser attraper par de jeunes nigauds qui se moquont de vous.

LA MEUNIÈRE.

Qui se moquont de moi ? Je voudrais bien savoir qui sont ces impartinents-là, monsieu de Lorme ?

DE LORME.

Eh ! oui, tatigué, c’est là le hic. Oh ! pour ce qui est de ça, c’est un sot animal qu’une femme...

LA MEUNIÈRE.

Il me ferait pardre l’esprit. À qui en avez-vous donc ? qu’est-ce que ça signifie ?

DE LORME.

Et rian, rian. Drès que ce qu’on leur dit leur fait plaisir, alles baillont là-dedans si sottement...

LA MEUNIÈRE.

Ouais !

DE LORME.

Et de fins renards comme ceux-ci ne caressont la poule que pour attraper les poussins : c’est morgué bian fait, au bout du compte.

LA MEUNIÈRE.

Mais que veut dire tout ça ? Qu’est-ce que c’est que la poule, les poussins, les fins renards ?

DE LORME.

Queul esprit bouché ! La poule, c’est vous ; les poussins, prenez que c’est vos filles ; et monsieu de Lépeine et monsieu Giflot sont les renards qui amadouent la poule ; mais c’est les poussins qu’ils voulont prendre.

LA MEUNIÈRE.

Allez, vous ne savez ce que vous dites avec vos visions.

DE LORME.

Oui, c’est bian dit, ce sont des visions : comme ça ne vous plaît pas, vous n’en croyez rian ; si ça vous plaisait, vous le croiriais.

LA MEUNIÈRE.

Mais qui vous a dit ça, biau-frère ?

DE LORME.

Votre garde-moulin qui se gausse itou de vous. Il est amoureux de Colette ; mais, morguenne, je ne veux non plus de li pour mon gendre, que vous voulais des autres pour les vôtres, et si pourtant ils se sont tous trois baillé le mot pour les devenir maugré nous.

LA MEUNIÈRE.

Oh ! pour ce qui est de moi, je l’empêcherai bian ; et quoique je ne croye rian de ça, je ne lairai pas d’y mettre ordre.

DE LORME.

Ce sont vos affaires : monsieu le bailli et moi, voyez-vous, je ne serions pas fâchés que vos filles fussiant pourvues ; et c’est justement ce qui fait que je ne vous avertissons de rian.

LA MEUNIÈRE.

Fort bian.

DE LORME.

Je sommes convenus de ça par ensemble : si vous aviais queuque doute de la chose, vous feriais du bruit, du vacarme ; il vaut mieux que vous n’en sachiais rian, ça passera plus doucement.

LA MEUNIÈRE.

Ça se passera, en cas que ça soit. Sans adieu, biau-frère.

 

 

Scène VII

 

DE LORME

 

La velà morgué tout ahurie, alle ne sait où alle en est, et si je ne lui en ai lâché qu’un petit mot en passant. Oh ! palsanguenne, sans monsieu le bailli, je lui en aurais bian dit davantage. Ah ! te velà, Colette. Acoute, mon enfant, j’ai queuque chose à te dire.

 

 

Scène VIII

 

DE LORME, COLETTE

 

COLETTE.

Quoi, mon père ?

DE LORME.

Tu es gentille, tu as bon esprit, tu déviant grande ; les filles empirent queuquefois en grandissant.

COLETTE.

Oh ! je n’empirerai point, moi, je vous en réponds.

DE LORME.

Ces divartissements du moulin, ces ménétriers, ces danses, ces petites chansonnettes, tout ce train-là, vois-tu, ne mène à rian de bon ; on s’acoquine à ça. Ça divartit, ça amuse ; de jeunes garçons se mêlont là-dedans, ils vous contont des fariboles ; an les acoute, et ça acoquine encore plus que tout le reste. Enfin, bref, tant y a, velà qui est fini, je ne veux plus que tu y ailles.

COLETTE.

Et c’est vous qui m’y avez envoyée toutes les fois que j’y ai été, mon père.

DE LORME.

Oui, ça est vrai ; j’ai eu tort, et je veux avoir raison. Quand je t’y envoyais, tu m’obéissais en y allant. Je te défends d’y aller, il faut m’obéir en n’y allant pas ; et c’est là le moyen de ne pas empirer.

COLETTE.

Mais ma tante, mes cousines, que diront-elles ?

DE LORME.

Oh ! parguenne, alles diront ce qui leur plaira, mais tu feras ce que je veux, ou... suffit, je m’entends bian.

COLETTE.

Vous m’allez faire passer pour une ridicule.

DE LORME.

Ouais !...

COLETTE.

Il est arrivé dans le village je ne sais combien de bohémiens et de bohémiennes ; monsieur Giflot les doit amener tantôt au moulin. Ils diront la bonne aventure de tout le monde ; vous serez cause que je ne saurai pas la mienne : je meurs d’envie de la savoir.

DE LORME.

Eh ! fi, morguenne, est-ce qu’il faut s’affier à ce que disont ces gens-là ? Ce sont des ignorants. Tian, mon enfant, quand j’épousis ta mère, ils lui disirent qu’alle aurait des enfants, et ils me disirent à moi que je n’en aurais point ; et si j’étions le mari et la femme, queule apparence ? Ce sont des fripons qui ne faisont que mentir. Je ne veux point que tu ailles là.

COLETTE.

Eh ! je vous prie.

DE LORME.

Morgué, ça n’est pas bian, Colette ; t’es désobéissante quand je te défends une chose.

COLETTE.

Ne me la défendez que demain, mon père ; je vous le demande en grâce.

DE LORME.

Eh bian ! velà qui est fait ; mais à condition d’une chose, au moins.

COLETTE.

Quelle condition, mon père ?

DE LORME.

Que tu ne parleras point au garde-moulin, et que tu l’envoieras promener en cas qu’il te parle.

COLETTE.

Lui, mon père ? Hélas ! le pauvre garçon, qu’est-ce qu’il vous a fait ?

DE LORME.

Comment, ce qu’il m’a fait ? Il dit qu’il sera mon gendre maugré moi. Ça ne saurait arriver que par ton moyen ; et le moyen que ca n’arrive pas, c’est que vous n’ayez tant seulement pas de convarsation ensemble.

COLETTE.

Mais, mon père...

DE LORME.

Or, pour sti-là, il n’y a point de demain, je te le défends, morgué, drès aujourd’hui ; je saurai bian ce qui en sera. Je te mets la bride sur le cou, je ne te contrains en rian ; mais pour ce qui est d’en cas du garde-moulin, il vaudrait autant que tu te fusses noyée que de li parler. Je t’en avartis, baille-t-en de garde.

 

 

Scène IX

 

COLETTE

 

Ouais ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi mon père me fait-il cette défense-là ? et pourquoi cette défense-là me fâche-t-elle ?

 

 

Scène X

 

MAROTTE, COLETTE, LOUISON

 

MAROTTE.

Ma chère cousine, ne savez-vous point à qui en a ma mère ?

COLETTE.

Comment, à qui elle en a ?

LOUISON.

Elle est delà plus mauvaise humeur du monde.

COLETTE.

Et depuis quand donc

MAROTTE.

Depuis tout à l’heure. Je ne l’ai jamais vue si grondeuse, et si elle ne l’est quelquefois pas mal, comme tu sais.

COLETTE.

Vous a-t-elle querellées ?

LOUISON.

Comment, querellées ! Il n’a tenu qu’à nous d’être battues ; elle était en bonne disposition pour cela.

COLETTE.

Et pas une de vous deux ne devine pourquoi ?

MAROTTE.

Je m’en doute un peu, moi, cousine.

LOUISON.

Je soupçonne aussi quelque chose.

COLETTE.

Eh bien ! que soupçonnez-vous ? de quoi te doutes-tu ?

MAROTTE.

C’est que, en dansant tantôt ici, monsieur Giflot n’a fait que me parler.

COLETTE.

Le grand malheur ! Est-ce d’aujourd’hui qu’il te parle ? Ce n’est pas cela, Marotte.

MAROTTE.

Oui ; mais eu s’en allant il m’a baise la main, et je l’ai laissé faire par mégarde, en songeant à autre chose ; et ma mère l’aura vu, peut-être.

COLETTE.

C’est quelque chose que cela. Et que soupçonnes-tu, toi, dis, cousine ?

LOUISON.

Eh ! mais à peu près la même chose.

COLETTE.

Et tantôt aussi...

LOUISON.

Oui, je crois. Monsieur de Lépine n’a cessé de me faire des mines, et je lui en faisais aussi, moi, pour le contrefaire : on s’accoutume à cela ; c’est une habitude.

COLETTE.

Il n’y a pas grand mal à faire des mines, et ma tante n’est pas femme à s’effaroucher de ces bagatelles.

LOUISON.

Oui : mais c’est que ma jarretière s’est défaite ; il a voulu me la rattacher ; et moi, qui n’aime pas la dispute...

COLETTE.

Et pour éviter la peine de te baisser...

LOUISON.

Il faut que ma mère se soit aperçue de cela.

COLETTE.

Oui, cela se pourrait bien.

MAROTTE.

Enfin, cousine, que ce soit cela ou autre chose, elle nous défend à toutes deux, mais avec des menaces épouvantables, de parler jamais ni à l’un ni à l’autre.

COLETTE.

Ah ! ah ! voici qui est admirable ! mon père vient de me défendre aussi de parler au garde-moulin, moi.

LOUISON.

Il te défend de parler à Blaise ?

COLETTE.

Oui, vous dis-je ; ils sont tous deux en train de défendre.

LOUISON.

Cela est chagrinant. Comment ferons-nous donc ?

MAROTTE.

J’obéirai, mais cela me fera de la peine.

LOUISON.

Et à moi aussi.

COLETTE.

Avant cela, je ne songeais pas seulement que Blaise fût au monde, et à présent je pense toujours à lui, malgré que j’en aie.

MAROTTE.

Et moi donc ? je ne me souciais pas non plus de monsieur Giflot, et de l’heure qu’il est je m’aperçois que je m’en soucie.

LOUISON.

Cela est admirable : quand monsieur de Lépine me parlait, je n’avais quelquefois pas le mot à lui répondre, et maintenant je trouve que j’ai mille choses à lui dire.

COLETTE.

C’est la défense qui est cause de cela : et je vois bien que tu aimes monsieur Giflot, toi ; et toi, que tu ne hais pas monsieur de Lépine.

MAROTTE.

Eh ! qui te fait croire cela, dis, cousine ?

LOUISON.

Sur quoi penses-tu des choses comme cela ?

COLETTE.

Voyez, que cela est difficile à comprendre ! Nous sommes toutes trois l’une comme l’autre ; nous pensons toutes trois la même chose : je sens bien, de mon côté, que c’est que j’aime Blaise ; et je vois bien, que du vôtre, vous aimez monsieur de Lépine et monsieur Giflot.

LOUISON.

Quoi ! tu aimes Blaise, ma cousine ?

COLETTE.

Oui ; mais je ne lui ai jamais dit, et je voudrais bien qu’il le sût.

MAROTTE.

Je lui dirai, si tu veux, cousine, pourvu que tu dises pour moi la même chose a monsieur Giflot. On ne t’a pas défendu de parler à celui-là ?

COLETTE.

Ni à toi de parler à Blaise ? Il n’y aura pas de mal à tout cela, dis, cousine ?

LOUISON.

Non, vraiment ; cela sera fort commode, au contraire, et voilà notre marché bientôt fait. Mais monsieur de Lépine, qui est-ce qui lui parlera ? J’ai aussi quelque chose à lui dire, et je veux, aussi-bien que ma sœur, que ce soit sans désobéir à ma mère.

COLETTE.

Eh bien ! je m’en charge, ne te mets pas en peine.

LOUISON.

Ah ! que tu me feras de plaisir, cousine ! Je n’aurais jamais eu la hardiesse de lui avouer moi-même une chose comme celle-là.

MAROTTE.

Monsieur Giflot n’en eût peut-être jamais rien, su sans cette occasion-ci.

COLETTE.

Ni Blaise non plus. Voilà d’heureuses défenses !

LOUISON.

Mais, comment ferons-nous dans la suite ? Car, quand on s’aime, c’est pour s’épouser ; et ma mère ne me laissera jamais épouser monsieur de Lépine.

MAROTTE,

Ni à moi monsieur Giflot.

COLETTE.

Oh ! dame, je ne les épouserai pas tous deux pour vous ; cela ne se peut pas.

LOUISON.

Et nous n’épouserons pas aussi Blaise à nous deux, voyez.

COLETTE.

Vraiment non, il n’y a pas d’apparence.

MAROTTE.

Eh bien ! donc, à quoi tout cela aboutira-t-il ? il vaudrait autant ne leur rien dire.

LOUISON.

Si fait, si fait, parlons toujours ; on verra après ce qu’on aura à faire.

COLETTE.

Elle a raison : il y a des moyens pour tout. Nous sommes toutes trois d’intelligence, toutes trois filles, toutes trois amoureuses ; nous ne manquerons pas d’expédients.

MAROTTE.

Oh ! j’en trouverai quelqu’un, moi, j’en suis sûre.

LOUISON.

Si j’en manque, ce ne sera pas faute d’y rêver.

COLETTE.

Il m’en viendra sur-le-champ, à moi, j’en réponds. Voici vos deux amants ensemble.

MAROTTE.

Ils sont encore en habit de meunier.

COLETTE.

C’est bon signe pour des meunières. Allez-vous en parler à Blaise, et ne négligez pas mon affaire ; j’aurai soin des vôtres.

 

 

Scène XI

 

GIFLOT, MAROTTE, LÉPINE, LOUISON, COLETTE

 

GIFLOT.

Vous voyez, charmantes personnes, deux amants outrés de désespoir, s’ils ne sont enfin éclaircis de leurs destinées.

MAROTTE.

Laissez-moi, je vous prie, monsieur Giflot ; ma mère m’a défendu de vous écouter et de vous répondre.

GIFLOT.

Quoi ! vous pouvez...

MAROTTE.

Oh ! ne me suivez pas, s’il vous plaît, et ne vous en allez pas sans parler à Colette.

LÉPINE.

Avez-vous pour moi le même ordre, et l’exécuterez-vous avec autant de régularité ?

LOUISON.

Oh ! pour cela, oui : ma mère m’a aussi défendu de parler ; je suis devenue muette.

LÉPINE.

Mais, de grâce, au moins...

LOUISON.

Ne me pariez point, ne me questionnez point : mais demeurez ici, au moins ; Colette a quelque chose à vous dire.

 

 

Scène XII

 

LÉPINE, GIFLOT, COLETTE

 

LÉPINE.

Monsieur Giflot ?

GIFLOT.

Monsieur de Lépine ?

COLETTE.

Voilà deux filles bien obéissantes !

LÉPINE.

Aimable Colette, ne les trouvez-vous pas les plus injustes personnes du monde ?

COLETTE.

Oui, il y a quelque chose à dire à cela : expliquez-moi un peu vos petites affaires.

GIFLOT.

Nous n’aimons qu’elles, nous les adorons, nous ne vivons que pour elles seules, nous ne sommes occupés que de notre amour.

COLETTE.

Cela est bien tendre.

LÉPINE.

C’est pour nous approcher d’elles, et, vous ne l’ignorez pas, pour avoir occasion de les voir et de leur parler, que nous nous imposons l’ennuyeuse contrainte de paraître tous deux amoureux de votre tante.

COLETTE.

Cela est tout-à-fait gênant.

GIFLOT.

Et, depuis un mois que dure cette contrainte, nous ne pouvons obtenir d’elles qu’elles soient sensibles à tant d’amour.

COLETTE.

Cela est bien cruel ! vous avez raison.

LÉPINE.

Elles se plaisent à nous désespérer.

COLETTE.

Les méchantes cousines que j’ai là ! Quoi ! aucune d’elles n’a jamais flatté votre amour d’une parole favorable ?

GIFLOT.

Non.

COLETTE.

Et pas un de vous ne peut deviner si vos soins plaisent ou déplaisent ?

LÉPINE.

Non.

COLETTE.

Oh ! pour cela, voilà des filles bien dissimulées, et des amoureux bien peu pénétrants.

GIFLOT.

Comment ?

LÉPINE.

Que dites-vous ?

COLETTE.

On leur a défendu de vous parler ; et comme je suis bonne, moi, je parle pour elles.

GIFLOT.

Eh ! que nous dites-vous encore ?

LÉPINE.

Expliquez, charmante Colette...

COLETTE.

Oh ! monsieur de Lépine, expliquez vous-même ; si vous avez tous deux l’esprit si bouché, vous n’êtes pas si amoureux que vous le dites.

GIFLOT.

Vous nous permettriez de croire que vos deux cousines nous aiment ?

COLETTE.

Non, vraiment, je ne vous dis pas cela. Comme vous saisissez les choses ! Fi donc ! oh ! non, non, elles ne vous aiment pas ; mais elles vous estiment infiniment, et elles m’ont toutes deux permis de vous le dire.

LÉPINE.

Adorable Colette !

GIFLOT.

Il faut que ma reconnaissance...

COLETTE.

Oh ! doucement, doucement, point de ces compliments-là : ce sont mes cousines qui vous estiment, ce n’est pas moi qu’il en faut remercier.

LÉPINE.

Eh ! ne savez-vous point sur quoi votre tante leur a défendu...

COLETTE.

Il faut quelle se doute de quelque chose : mais, pour empêcher qu’elle continue de s’en douter, faites semblant tous deux de l’aimer encore plus que de coutume ; ne parlez point à mes cousines, ou que ce soit bien finement ; ne leur faites point de mines, et me laissez faire. J’ai dans l’esprit que tout ira bien, et que nous en aurons bonne issue.

 

 

Scène XIII

 

GIFLOT, LÉPINE

 

GIFLOT.

Voilà une adroite petite cousine, monsieur de Lépine.

LÉPINE.

Je n’ai pas mauvaise opinion de nos affaires, puisqu’elle est dans nos intérêts.

GIFLOT.

Paix, taisons-nous ; voici le père de Colette.

 

 

Scène XIV

 

DE LORME, GIFLOT, LÉPINE

 

DE LORME.

Ah ! palsangué, bon ; voici de nos gaillards ; je vas les faire jaser : je veux savoir un peu ce qu’ils avont dans l’âme. Sarviteur, monsieu Giflot ; votre valet, monsieu de Lépeine.

GIFLOT.

Je vous donne le bonjour, monsieur de Lorme.

LÉPINE.

Je vous baise les mains de tout mon cœur.

DE LORME.

Et moi à vous. Eh bian ! qu’est-ce, messieurs ? comment gouvarnez-vous la joie ? Cette petite drôlerie de tantôt était assez drôle, oui ; ça était bian troussé.

LÉPINE.

Vous y êtes-vous un peu diverti ?

DE LORME.

Comment, divarti ! Jl n’y a pargué rian de plus divartissaut que tout ça. Allez, morguenne, c’est à faire à vous. Que vous entendez bian ça ! comme vous endormez la meunière !

GIFLOT.

Comment, comment donc, monsieur de Lorme ?

DE LORME.

Oh ! ce que j’en dis, n’est pas que j’en parle ; et monsieu le bailli et moi, je serons ravis que vous l’attrapiais.

LÉPINE.

Que nous l’attrapions ?

DE LORME.

Alle le mérite bian, voyez-vous ; et si c’est une masque, une folle de vouloir que n’an la cajole, et de ne voir pas que n’an cajole ses filles.

GIFLOT.

On les cajole ! Et qui, monsieur de Lorme ?

DE LORME.

Eh ! pargué, vous-mêmes ; et vous faites bian, da ; il n’y a pas de mal à ça ; les filles valent toujours mieux à cajoler que non pas les mères.

LÉPINE.

Il est vrai ; mais...

DE LORME.

Ça est naturel ; et je serais itou un fou, moi, si je prétendais que n’an m’en contit plutôt qu’à Colette.

GIFLOT.

Monsieur de Lorme est homme de bon sens.

DE LORME.

Et vous itou, monsieu Giflot, et monsieu de Lépeine itou ; et mes nièces itou ne sont pas des sottes : il n’y a que la meunière qui est une bête.

LÉPINE.

Vous êtes étrangement prévenu contre elle

DE LORME.

C’est que je n’aime, morgué, pas que des veuves songiant à se remarier quand alles avont des filles à pourvoir : ça est impartinent, voyez-vous.

GIFLOT.

Vous avez raison. Mais parlez-vous de bonne foi, monsieur de Lorme ?

DE LORME.

Si je parle de bonne foi. Je sis toute bonne foi, moi. Eh ! pargué, demandez-li à alle-même ; je vians de li faire la honte, et li ai, morgué, dit tout franchement que vous la feriais bailler dans le paniau, que vous vous moquiais d’alle, et que c’étaient ses filles à qui vous en vouliais ; mais tout ça sans l’avartir de rian, voyez-vous ; car monsieu le bailli dit qu’il ne faut pas qu’allé le sache.

LÉPINE.

Eh ! voilà justement, monsieur Giflot, pourquoi elle leur a défendu de nous parler.

DE LORME.

Alle ne veut pas que ses filles vous parliont ?

GIFLOT.

Non.

DE LORME.

Oh ! bian, bian, je sis leur oncle, et je veux qu’alles vous parliont, moi. Vous êtes de braves gens, d honnêtes gens, qui vous gobargez de ma belle-sœur, et qui êtes amoureux de mes nièces. Ces bonnes magnières-là m’avont gagné l’âme ; ne vous boutez pas en peine.

LÉPINE.

Nous promettez-vous de seconder nos desseins ?

DE LORME.

Oh ! morgué, je vous le promets, et monsieu le bailli veut bian pis faire.

GIFLOT.

Monsieur le bailli ?

DE LORME.

Il prétend, morgué, que vous les épousiais tout-à-fait, et il tournera ça d’une certaine magnière... Enfin, je vians de le quitter : c’est un bian honnête homme.

LÉPINE.

Mais ne savez-vous point à peu près quelles mesures...

DE LORME.

Paix, chut, il ne faut pas ébruiter ça. Je voulons vous surprendre en conversation avec ces jeunes filles queuque part là aux environs, quand vous ne songerais à rian ; et pis monsieu le bailli, qui sait la justice, dit qu’il faudra que vous les épousiais ou que vous soyais pendus ; et velà pourquoi il est bon qu’alles vous parliont, voyez-vous.

GIFLOT.

La justice ne se mêlera point de cette affaire, et il ne faudra point de violence pour nous déterminer à ces mariages.

DE LORME.

Non ?

LÉPINE.

Non, je vous assure.

DE LORME.

Tatigué, que j’ai d’esprit ! je l’ai dit comme ça à monsieu le bailli, et il dit comme ça, que pour ce qui est d’en cas de ça, il sera le tant mieux ; que moyennant ça, il ne faudra, m’est avis, dit-il, qu’un avis de parents et d’amis ; et comme d’amis je n’en croyons point, on prendra l’avis des amoureux, l’un vaut bien l’autre ; et pour les parents, alles n’avont d’autre parenté que moi, je sis toute la famille : ça sera bientôt bâti, comme vous voyez. Oh ! ce monsieu le bailli est un habile homme.

GIFLOT.

Tout flatte nos souhaits, monsieur de Lépine.

LÉPINE.

Nous n’aurions jamais pris le canal du bailli pour parvenir à ce bonheur.

DE LORME.

Motus, au moins. Le velà, je pense : ne lui témoignez rian ; il m’a, morgué, bian recommandé de ne vous en rian dire.

 

 

Scène XV

 

LE BAILLI, DE LORME, GIFLOT, LÉPINE

 

LE BAILLI.

Ah ! ah ! messieurs, tous deux ensemble ? Voilà des rivaux en bonne intelligence ! Et le prétendu beau-frère, pour qui se déclare-t-il ? Il faut faire la cour au beau-frère.

DE LORME.

Tatigué, queu malin, comme il les cajole !

LÉPINE.

Nous aurons aussi besoin de votre protection, monsieur, et nous savons que madame la meunière défère beaucoup à vos sentiments.

LE BAILLI.

Si elle prenait de mes conseils, tout le monde serait content, et elle aussi, peut-être ; mais c’est le choix qui l’embarrasse, et vous la régalez si bien tour-à-tour. Comment ! je viens de rencontrer une troupe de bohémiens et bohémiennes qui, par les ordres de monsieur Giflot, à ce qu’on m’a dit, doivent ici venir dire la bonne aventure à tout le village, et donner, à leur manière, une petite fête qui ne promet pas moins que celle de tantôt. Cela est galant, messieurs, et l’objet de ces galanteries ne vous doit pas payer d’ingratitude.

GIFLOT.

Ce sont des choses, monsieur...

LE BAILLI.

Voici madame la meunière qui me cherche, car elle m’a fait dire qu’elle me voulait parler. Allez, messieurs, faites avancer votre petite mascarade ; je ne ferai rien contre les intérêts de l’un ni de l’autre.

LÉPINE.

Nous sommes persuadés de vos bontés, monsieur, et nous y mettons toute notre espérance.

DE LORME.

Morgue, je m’en vais itou avec eux, monsieu le bailli ; vous allez peut-être dire là queuque chose que vous me diriais encore de ne pas dire, et cela me fait de la peine.

LE BAILLI.

Oui, vous avez raison, monsieur de Lorme : allez et avertissez votre fille et vos nièces de venir ici ; la partie ne serait pas bonne sans elles.

 

 

Scène XVI

 

LE BAILLI, LA MEUNIÈRE

 

LE BAILLI.

Je prends soin d’écarter tout le monde, comme vous voyez, afin que nous puissions parler en liberté. Çà, que me voulez-vous dire ?

LA MEUNIÈRE.

Ah ! monsieu le bailli, je sis dans de grandes parplexités ; mon animal de biau-frère m’a dit des choses qui me mettont de bian mauvaise himeur.

LE BAILLI.

Le sot ! Eh ! que vous a-t-il dit, encore ?

LA MEUNIÈRE.

Que vous êtes un fripon, monsieur le bailli, qu’on se moque de moi, que vous le savez bian, que vous en êtes bian aise, et que ce n’est pas à moi, que c’est à mes filles que ces amoureux faisont l’amour : ce serait bian déplaisant, au moins.

LE BAILLI.

C’est un maroufle qui ne sait ce qu’il dit ; je vous suis caution du contraire.

LA MEUNIÈRE.

Si ça était vrai, voyez-vous, je crois que j’étranglerais ces deux masques-là, et les amoureux itou ; et ce serait bian fait, n’est-ce pas, monsieu le bailli ?

LE BAILLI.

Cela serait un peu violent ; mais il ne sera pas nécessaire d’en venir à ces extrémités, et je vous donnerai des expédients pour découvrir la vérité de toutes choses.

LA MEUNIÈRE.

Et pour leur faire pièce à tous tant qu’ils sont, en cas que cette vérité-là me soit désagriable ; car j’ai de tarribles soupçons dans la çarvelle.

LE BAILLI.

Nous ne tarderons pas à en avoir l’éclaircissement, et à y mettre ordre. Voici ces bohémiens que monsieur Giflot vous amène ; ne marquez aucune défiance, entendez-vous ? Nous nous tirerons ensemble à l’écart, et nous parlerons à fond de cette affaire.

LA MEUNIÈRE.

Oui, c’est bian dit. Mais auparavant je veux me faire dire la bonne aventure : ça ouvre bian l’asprit ; et, suivant ce qu’ils me diront, j’aviserons ensemble à ce que j’aurai à faire.

 

 

DEUXIÈME INTERMÈDE

 

Monsieur Giflot amène une troupe de Bohémiens et Bohémiennes, qui se joignent à plusieurs paysans et paysannes du village, avec lesquels ils forment une espèce de fête, dont ils régalent la meunière.

MONSIEUR TOUVENEL, bohémien.

Nous passons entre nous la vie
Tant doucement,
Que qui la goûte un seul moment,
Ne peut après, sans qu’il s’en mue.
Vivre autrement.

Entrée.

MONSIEUR TOUVENEL continue.

Nous cherchons la bonne fortune,
En la disant ;
C’est notre soin le plus pressant,
D’en faire avoir ici quelqu’une
À chaque amant.

Entrée.

MADEMOISELLE HORTENSE, bohémienne.

Nous rappelons au souvenir
Tout ce qui peut faire bien aise,
Et ne disons rien qui ne plaise
Pour l’avenir.

Entrée.

Nous promettons amant chéri
À jeune fille en mariage ;
À veuve, lasse du veuvage,
Nouveau mari.

Entrée.

Branle.

MONSIEUR TOUVENEL.

Jeunes filles qui portez
Blonde chevelure,
L’Amour vient de tous côtés
Rendre hommage à vos beautés.
La bonne aventure au gué,
La bonne aventure.

MADEMOISELLE HORTENSE.

Longue souffrance en aimant
Est chose bien dure ;
Mais lorsqu’un heureux amant
Plaît au premier compliment,
La bonne aventure au gué,
La bonne aventure.

MADEMOISELLE MIMI.

Voir sans obstacle un ami,
Bagatelle pure ;
Mais, pour un amant chéri,
Tromper tuteur ou mari,
La bonne aventure au gué,
La bonne aventure.

MONSIEUR DE LAVOI, meunier.

Si l’Amour d’un trait malin
Vous a fait blessure,
Prenez-moi pour médecin
Quelque bon garde-moulin.
La bonne aventure au gué,
La bonne aventure.

Si l’Amour d’un trait charmant
Vous a fait blessure,
Prenez pour soulagement,
Un gaillard fait comme Armand.
La bonne aventure au gué,
La bonne aventure.

MADEMOISELLE HORTENSE.

Suivons un penchant flatteur,
Sans peur de murmure ;
Est-il plus grande douceur
Que celle que donne au cœur
La bonne aventure au gué,
La bonne aventure ?

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

DE LORME

 

Oh ! velà, palsangué, des maximes qui ne valont rian pour de jeunes filles, et ces bohémiens-là sont des dénicheux de marles, sur ma parole. Velà ce que c’est, madame la meunière, vous aimez la joie, le divartissement ; vos filles s’élevont parmi tout ça ; alles n’entendont, par-ci, par-là, que des morales d’amour, et vous ne voulez pas qu’alles songiant au mariage ? Ça est, morgué, impartinent, ça est ridicule. Mais il m’est avis que la velà là-bas qui jase bian d’action avec monsieu le bailli, notre belle-sœur la meunière. C’est un rusé manœuvre que ce bailli ; et sans que la meunière est une obstinée criature, il lui ferait faire tout ce qu’il voudrait.

 

 

Scène II

 

DE LORME, BLAISE

 

BLAISE.

Pargué ! vous êtes bian malin, monsieu de Lorme.

DE LORME.

Et en quoi donc malin, monsieu Blaise ?

BLAISE

Morgue, vous défendez à Colette de me parler : alle ne me regarde pas tant seulement ; et, hors deux coups de pied et queuques soufflets qu’alle m’a fait l’amitié de me bailler, je n’en ai pas reçu la moindre honnêteté du dépit tantôt, voyez-vous.

DE LORME.

Et qui vous a dit que je li aie fait cette défense-là, monsieu Blaise ?

BLAISE.

Eh ! pargué, c’est alle-même, monsieu de Lorme.

DE LORME.

Ah ! ah ! Alle vous a donc parlé à ce compte-là ?

BLAISE.

Eh ! voirement, oui, alle m’a parlé pour me dire qu’alle ne me parlerait plus : velà une belle avance. Eh ! morgué, reparmettez-li qu’alle me parle, monsieu de Lorme.

DE LORME.

Oh ! tatigué, que je m’en garderai bian !

BLAISE.

Je ne dirons point de mal de vous, je vous le promets.

DE LORME.

Pargué, je le crois bian.

BLAISE.

Et je nous contraindrons tous deux là-dessus, je vous en réponds.

DE LORME.

Vous vous contraindrais ? Qu’est-ce à dire ? Oh ? bian, bian, il vaut mieux que vous vous contraigniais en ne disant mot, que non pas en parlant.

BLAISE.

Monsieu de Lorme ?

DE LORME.

Monsieu Blaise ?

BLAISE.

Si vous ne voulez pas que je nous parlions, je nous ferons des meines ; et les meines, parfois, disont bian des choses.

DE LORME.

Les meines disont queuque chose ? je li défendrai itou ce parler-là.

BLAISE.

Mais, monsieu de Lorme...

DE LORME.

Mais, monsieu Blaise, il n’en sera, morgué, rian.

BLAISE.

Eh bian ! soit ; je la varrai, tout au moins, alle me varra : vous n’empêcherez pas que je nous regardions, peut-être ?

DE LORME.

Je ne l’empêcherai pas ?

BLAISE.

Non, voirement ; et, comme je nous lisons dans l’œil entre nous autres...

DE LORME.

Si fait, morgué, je l’empêcherai ; et j enfermerai plutôt Colette que non pas de souffrir que n’an li lise dans l’œil. Oh ! je varrons un peu comment vous vous y prendrais pour être mon gendre, maugré que j’en aie. Je vous baise bian les mains, monsieu Blaise. Ah ! ah ! ah !

 

 

Scène III

 

BLAISE, LOUISON, MAROTTE

 

BLAISE, seul.

Pargué, bon ! le velà justement de l’himeur qu’il faut pour bailler un bon acheminement à ce que j’ai envie qui arrive. Il querellera Colette, il la tormentera, la parsécutera, et ça la hâtera de m’aimer ; c’est ce que je demande. J’ai queuque doutance qu’alle ne me hait pas, et je voudrais bian, par queuque moyen, que cette doutance-là devenît une çartitude.

LOUISON.

Bonjour, monsieur Blaise.

BLAISE.

Je vous baise bian les mains, mademoiselle Louison.

MAROTTE.

Votre servante, monsieur Blaise.

BLAISE.

Votre valet, mademoiselle Marotte.

LOUISON.

Je croyais que ma cousine Colette était avec toi.

BLAISE.

Bon, avec moi ! Son père li a défendu qu’alle me parlît.

MAROTTE.

On lui a défendu de te parler ?

BLAISE.

Oui, voirement.

LOUISON.

Je vous le disais bien, ma sœur, qu’elle avoir quelque chose.

MAROTTE.

Oui, justement, c’est de ça qu’elle est si chagrine.

BLAISE.

Alle est chagrine de ça ? vous le croyez ?

MAROTTE.

Si je le crois ? Oh ! je suis assez dans sa confidence...

LOUISON.

Oh ! çà, ma sœur, vous tairez-vous ? Voilà comme vous êtes, vous. Ne pouvez-vous vous empêcher de dire tout ce que vous savez ? Je n’ai jamais vu de fille si babillarde.

BLAISE.

Eh ! laissez-la babiller, mademoiselle Louison. Dites, dites, mademoiselle Marotte, je vous en prie.

MAROTTE.

Non, non : ma sœur a raison ; Colette ne veut pas que tu le saches.

BLAISE.

Je ferai comme si je n’en savais rian ; parlez.

LOUISON.

Si tu veux faire semblant de n’en rien savoir, il est inutile qu’on te le dise.

BLAISE.

Eh bian ! je ferai queu semblant on voudra : morgué, dites promptement, je sis sur des épeines.

MAROTTE.

Ce pauvre garçon ! il faut le tirer d’inquiétude, ma sœur.

LOUISON

Mais de quoi cela servira-t-il ? Il est amoureux de Colette, Colette est amoureuse de lui...

BLAISE.

Colette est amoureuse de moi ?

MAROTTE.

Oui, elle nous l’a avoué à nous ; mais elle ne t’aurait jamais fait cette confidence-là, à toi.

BLAISE.

Colette est amoureuse de moi ? N’est-ce point pour vous gobarger de moi que vous me dites ça ?

LOUISON.

Non ; nous te disons vrai : mais où cet amour-là vous mènera-t-il ?

BLAISE.

Comment, où il nous mènera ? Tatigué, qu’il nous mènera loin ! alle n’a qu’à vouloir tant seulement.

MAROTTE.

Mon oncle ne consentira jamais que tu l’épouses.

BLAISE.

Oh ! palsangué, je l’épouserai bian sans li ; je ne sis, morgué, pas si nigaud que je le parois : et partant que vous me disiais vrai, et que Colette avec queuque douzaine de filles du village et autant de jeunes garçons qui avont fait partie

pour aller à certain pèlerinage...

LOUISON.

Comment ! quel pèlerinage ?...

BLAISE.

Ils appelont cela le pèlerinage d’amour ; c’est, disont-ils, queuque part du côté de Paris, Les filles y allont pour se marier avec les garçons, les garçons pour se marier avec les filles : oh ! c’est une belle imagination ! Il y a tant de pèlerins. Tant de pèlerines !

MAROTTE.

Mais vraiment, Blaise, ce sont des enlèvements que ces pèlerinages-là ?

BLAISE.

Fi donc, des enlèvements ! ce ne sont que des voyages, et des voyages qui faisont, morgué, bian les parsonnes. Avant qu’on parte, les parents faisont toujours queuques difficultés ; drès qu’on est de retour, ils convenont de tout à belles baisemains pour éviter noise, et comme ça le pèlerinage ne manque point son effet ; c’est une petite marveille.

LOUISON.

Si ce pèlerinage-là pouvait faire changer d’humeur à ma mère, qui dit qu’elle ne veut pas nous marier ?

BLAISE.

Acoutez, il ne serait pas mal de la convartir un peu sur ce chapitre.

MAROTTE.

Je ne haïrais pas à voyager, moi ; et si Colette se faisait pèlerine...

BLAISE.

Pargué, pourquoi non ? La voici, je vais lui proposer, s’il est vrai qu’alle m’aime...

LOUISON.

Non, non, ne lui parlez pas, à cause de mon oncle.

MAROTTE.

Nous la persuaderons mieux que vous.

LOUISON.

Oui ; je vous en réponds, laissez-moi faire.

BLAISE.

Oh bian ! faites donc, je m’en vas m’aboucher avec queuques pèlerins, et préparer tous les affutiaux et les brimborions du pèlerinage.

 

 

Scène IV

 

COLETTE, MAROTTE, LOUISON

 

COLETTE.

Comment donc ! Blaise s’en va dès qu’il me voit ? Ce n’est pas qu’il boude, dites, cousines ?

MAROTTE.

Lui, bouder ? Au contraire, il est de la meilleure humeur du monde ; et c’est nous qui lui avons dit de ne pas te parler, à cause de ton père qui te l’a défendu.

LOUISON.

Ce n’est pas la peine de lui désobéir dans des bagatelles comme cela, dont on n’a que faire.

COLETTE.

Vous avez raison.

MAROTTE.

Il vaut mieux garder cela pour quelque bonne occasion, qui mène à quelque chose.

COLETTE.

Oui, cela est vrai. A-t-il été bien aise, cousines, de ce que vous lui avez dit ?

LOUISON.

Il en est tout transporté. Monsieur de Lépine était-il de même quand il a su...

COLETTE.

Je n’ai jamais vu personne si ravi.

MAROTTE.

Quoi ! monsieur Giflot ne l’était pas encore davantage ?

COLETTE.

Davantage ? non : cela ne se peut pas ; mais c’était tout de même. Allez, je vous réponds d’eux, répondez-moi de Blaise.

LOUISON.

Tout cela est le plus beau du monde ; mais que nous servira-t-il de les aimer et d’en être aimées ?

COLETTE.

Dame, je ne sais.

MAROTTE.

Tu disais tantôt que nous ne manquerions pas d’expédients.

COLETTE.

Oui ; mais j’ai l’esprit bouché, je ne sais pas pourquoi.

LOUISON.

J’ai beau rêver, le mien l’est aussi.

MAROTTE.

Ma mère et mon oncle ne consentiront jamais à ces mariages.

COLETTE.

Oh ! je ne crois pas : il faudrait de fortes raisons pour les y résoudre.

LOUISON.

Si le pèlerinage de Blaise pouvait produire ces fortes raisons-là, ma sœur ?

MAROTTE.

Oui, les pèlerinages sont bons à bien des choses

COLETTE.

Qu’est-ce que c’est que ce pèlerinage de Blaise ?

LOUISON.

Un petit voyage qu’il va faire avec je ne sais combien de filles et de garçons du village.

COLETTE.

Comment ! Blaise s’en va ? il me quitte, ma cousine ?

MAROTTE.

Non, il ne te quitte point ; au contraire, il dit que le pèlerinage en vaudrait beaucoup mieux, si vous vouliez le faire ensemble.

COLETTE.

Moi, m’en aller avec un homme ?

LOUISON.

Nous lui avons promis de te le persuader.

COLETTE.

Vous ne me le persuaderez point. Voyez le beau conseil !

MAROTTE.

Comment, le beau conseil ? Je lui ai répondu que tu le suivrais, moi.

COLETTE.

Mais cela est fort impertinent, fort ridicule ; et vous me feriez passer...

LOUISON.

Ne te facile point, cousine ; il n’y a qu’à n’en rien faire.

COLETTE.

Le bel esprit ! donner comme ça des paroles, m’engager malgré moi dans des démarches... Quand est-ce qu’ils partent ?

MAROTTE.

Dès aujourd’hui peut-être.

COLETTE.

Dès aujourd’hui ! Vous ne demanderiez pas mieux que de me faire faire un pas comme celui-là pour vous en moquer. Je suis dans une colère... Oh ! je vous le revaudrai, vous me le paierez, et je m’en vengerai.

LOUISON.

Eh bien ! là, venge-toi, et ne fais point tant de bruit : tu n’as qu’à en dire autant à monsieur de Lépine ; cela est bien difficile !

MAROTTE.

À monsieur de Lépine, et à monsieur Giflot aussi.

COLETTE.

Fort bien : vous tiendriez toutes deux les paroles que je donnerais, je le vois bien.

MAROTTE.

Oh ! pour cela, oui : j’ai plus de cœur que toi ; et si l’on se mêlait pour moi de quelque affaire, on n’en aurait pas le démenti, je t’en réponds.

LOUISON.

On ne fait rien que pour lui faire plaisir, et on en a le désagrément, voyez ?

COLETTE.

Mais, vraiment, vous n’y songez pas : aller en pèlerinage comme cela, c’est se faire enlever.

MAROTTE.

Non, point du tout : je le croyais d’abord ; mais Blaise nous dit que ce n’est qu’un voyage.

COLETTE.

Oui, un voyage avec des garçons !

LOUISON.

Eh ! non : les filles vont par un côté, les garçons par un autre.

COLETTE.

Mais, tout revient au même, on se retrouve.

MAROTTE.

Eh ! vraiment, oui ; il faut bien qu’on arrive.

COLETTE.

Tenez, mes cousines, voilà un sot voyage, vous avez beau dire,

MAROTTE.

Un sot voyage ! Presque tout le village le fait : est-ce que tout le village voudrait faire une sottise ?

LOUISON.

C’est en tout bien et en tout honneur, à bonne intention, ce qu’on en fait ; et ne serons-nous pas bien aises au retour qu’il n’y ait plus de difficultés à nos mariages ?

COLETTE.

Oui, ça serait bien, si ça était comme ça ; mais...

LOUISON.

Blaise dit que ça n’a jamais manqué ; laisse-nous faire.

MAROTTE.

Paix, taisons-nous, voici mon oncle.

COLETTE.

Allez-vous-en, et me laissez ici ; je veux lui parler avant que de me résoudre.

LOUISON.

Ne va pas lui rien dire du pèlerinage, au moins.

COLETTE.

Non, non ; ne craignez rien, et allez m’attendre au bord de l’eau, sous la grande saussaie.

 

 

Scène V

 

DE LORME, COLETTE

 

DE LORME.

Ah ! ah ! les cousines s’enfuyont ; je crois, Dieu me pardonne, qu’alles avont peur de moi : c’est que je sais de leurs petites fredaines, voyez-vous. Mais stapendant je ne leu veux point de mal, et la belle-sœur est une bonne femme, qui mérite bian ce qui lui arrivera.

COLETTE.

Comment, mon père ?

DE LORME.

Et, rian, rian ; c’est une obstinée qui ne veut point les marier.

COLETTE.

Je crois pourtant qu’elles seraient bien aises d’être mariées.

DE LORME.

Alles avont raison ; mais leur mère est une goulue qui veut tout pour alle.

COLETTE.

Oh ! elle a beau vouloir, elle n’aura personne.

DE LORME.

C’est une bourrue, une capricieuse, qui ne veut tant seulement pas que ces pauvres filles jasiaint un tantinet avec leux amoureux.

COLETTE.

Cela est bien dur, n’est-ce pas ?

DE LORME.

Eh ! fi, morgué, c’est une moquerie.

COLETTE.

Au moins, mon père, je n’ai pas parlé à Blaise, depuis que vous m’avez dit que vous ne le vouliez pas.

DE LORME.

Tu as fort bian fait. Ce n’est pas de même : j’ai raison, moi, vois-tu ; et ce que j’en fais n’est pas que je veuille épouser Blaise : mais ta tante, alle est amoureuse des amoureux qu’avont ses filles, et c’est pour ça qu’alle les gourmande.

COLETTE.

Oh ! vraiment, vraiment, ces gourmanderies vont être cause de quelque chose de beau.

DE LORME.

Comment ?

COLETTE.

Elles s’en vont faire un pèlerinage pour tâcher de rendre ma tante raisonnable.

DE LORME.

Un pèlerinage ? Alles faisont fort bian.

COLETTE.

Oui ; mais vous ne savez pas qu’elles ne sont pas toutes seules, et qu’il y a des pèlerins qui vont avec elles.

DE LORME.

Bon, tant mieux ! C’est bian avisé de prendre compagnie ; alles ne s’ennuieront pas dans les chemins.

COLETTE.

Oh ! vraiment non ; c’est monsieur Giflot et monsieur de Lépine qui font aussi ce pèlerinage-là.

DE LORME.

Tatigué que ça va bian ! velà ce que je demandons.

COLETTE.

Vous trouvez qu’elles font fort bien ?

DE LORME.

Comment, bian ! alles faisont à marveille, et je n’en voudrais pas tenir cent bons écus.

COLETTE.

Voyez un peu comme on se trompe ! Je leur voulais conseiller, moi, Je n’en rien faire.

DE LORME.

Garde-t-en bian voirement ; il faut les encourager à ça, au contraire.

COLETTE.

Oh ! ce n’est pas le courage qui leur manque ; et elles disent que quand elles reviendront il n’y aura plus de difficultés à leurs mariages.

DE LORME.

Oh ! pour ce qui est de ça, non ; monsieur le bailli et moi je les ferons faire : ces mariages-là se faisont d’eux-mêmes ; il y a des règles pour ça, ça va tout seul.

COLETTE.

Vous leur conseillez donc de partir, mon père ?

DE LORME.

Oui palsangué, je leur conseille.

COLETTE.

Que ces bons conseils-là leur feront plaisir !

DE LORME.

Et de chagrin à ta tante : c’est ce qui m’en plaît le plus. Alle m’en veut itou ; mais, morgué, je m’en gausse.

COLETTE.

Elle vous en veut aussi ? Je vais porter vos conseils à mes cousines,

Bas.

et demander pour moi ceux de ma tante.

 

 

Scène VI

 

DE LORME

 

Avec tout ça, voyez ce que c’est que de bailler aux filles bon exemple, comme j’en baille à Colette, moi. Je ne sis point libartin, je la tiens de court, je vous la sarmonne : aussi ça est-il d’une douceur, d’une simplicité ; ça ne me fera point de frasque. Mais la meunière... Oh ! palsangué, monsieu le bailli, j’avons le bon bout de notre côté, ne vous boutez pas en peine.

 

 

Scène VII

 

LE BAILLI, DE LORME

 

LE BAILLI.

Quoi ! qu’est-ce ? qu’est-il arrivé depuis peu ?

DE LORME.

Les mariages que je souhaitons sont, morgué, faits, presque autant vaut...

LE BAILLI.

De quelle manière ?

DE LORME.

Oh ! palsanguenne, parsonne ne pourra dire non, pas même la meunière...

LE BAILLI.

Ce ne sera peut-être pas la plus rétive. Eh bien ?

DE LORME.

Monsieu de Lépeine et monsieu Giflot s’enfournont d’eux-mêmes.

LE BAILLI.

Comment ?

DE LORME.

Ils emmèneront les nièces en pèlerinage.

LE BAILLI.

En pèlerinage ! Qui vous a dit cela ?

DE LORME.

Pargué, Colette alle-môme, à qui j’ai recommandé qu’alle les faisît partir tout au plus vite. C’est bian fait, n’est-ce pas ?

LE BAILLI.

Il n’y a pas grand danger qu’elles partent ; mais il ne faut pas qu’elles aillent loin.

DE LORME.

Oh ! je les rattraperons facilement ; et puis autant de marié ou dépendu, n’est-ce pas ? Velà, morgué, bian pourvoir des filles.

LE BAILLI.

Je me suis avisé fort à propos de répandre quelques espions dans le village, qui me rendront compte de tout ce qui se passera.

DE LORME.

Oh ! palsangué, je m’en fierai mieux à moi qu’à parsonne, et je m’en vais les espionner moi-même : oh ! je vous en viandrai bientôt dire des nouvelles.

 

 

Scène VIII

 

LE BAILLI

 

Qu’il y a d’union dans de certaines familles ! Voilà un beau-frère qui n’a rien tant à cœur que de faire du chagrin à la meunière, et l’autre est bien femme à le lui rendre.

 

 

Scène IX

 

LA MEUNIÈRE, LE BAILLI

 

LA MEUNIÈRE.

Velà qui est tarminé, mousieu le bailli ; j’ai pris mon parti, je ne compte plus sur Blaise ; c’est un parfide ; et au cas que monsieu de Lépeine et monsieu Giflot me manquiont itou...

LE BAILLI.

Je ne vous conseille pas de faire de grands fonds sur eux.

LA MEUNIÈRE.

Que le monde est malin ! Ce vilain Blaise, que je croyais si nigaud, monsieu le bailli...

LE BAILLI.

Eh bien ?

LA MEUNIÈRE.

Il a eu l’esprit d’enrôler Colette : les velà qui s’en allont ensemble en pèlerinage.

LE BAILLI.

Ils s’en vont ensemble ! En êtes-vous bien sûre ?

LA MEUNIÈRE.

Si j’en sis sûre ? C’est Colette alle-même qui me l’a dit. Alle m’est venue demander mon avis là-dessus ; et vous jugez bian que je li ai conseillé qu’alle s’en allît ; et tout ça pour faire plaisir au biau-frère, car je nous aimons tant...

 

 

Scène X

 

DE LORME, LE BAILLI, LA MEUNIÈRE

 

DE LORME.

Eh, tatigué ! madame la meunière, à quoi vous amusez-vous donc ? N’allez-vous pas dire adieu à vos filles ?

LA MEUNIÈRE.

Adieu à mes filles ? Allez, monsieu de Lorme. allez-vous-en prendre congé de la vôtre, et ne vous mettez pas en peine des miennes.

DE LORME.

Je ne sais, morguenne, pas à queu pèlerinage alles s’en allont ; mais alles sont drôlement équipées pour le voyage.

LA MEUNIÈRE.

Allez, vous êtes fou, monsieu de Lorme.

DE LORME.

Oui, je sis fou, et votre garde-moulin est bian honnête. C’est li qui les conduit par le chemin, mais alles trouveront queuques autres pèlerins sur la route.

LA MEUNIÈRE.

Hom ! l’esprit bouché. Allez, mon bon ami, ce ne sont pas mes filles que Blaise conduit ; c’est la vôtre, il n’en emmène qu’une.

DE LORME.

La mienne ? Il est, morgué, bon là ! oh ! je sais bian ce que j’en dis, j’en ai vu deux.

LA MEUNIÈRE.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que le mal vous tient ; vous êtes accoutumé à voir double.

DE LORME.

Madame la meunière ?

 

 

Scène XI

 

MATHURINE, LE BAILLI, LA MEUNIÈRE, DE LORME

 

MATHURINE.

Ah ! voirement, monsieu, voici bian du tintamarre.

LE BAILLI.

Comment, Mathurine ! qu’est-ce qu’il y a ?

MATHURINE.

Toutes les filles et les garçons se sont baillé le mot pour désarter le village. Ils se sont habillés comme des mascarades, et ils disont comme ça qu’ils s’en allont en pèlerinage, pour celle fin d’être mariés ensemble.

LE BAILLI.

Mais, vraiment, c’est une gageure, je pense.

MATHURINE.

Monsieu le curé est survenu, qui dit qu’il les mariera bian tretous ; qu’il ne faut point de pèlerinage pour ça, et qu’il ne prétend point qu’ils se mariont autre part : mais eux, ils voulont toujours partir ; venez-vous-en tâcher d’y bouter ordre.

DE LORME.

Morgue, monsieu le bailli, c’est une rage que ça.

MATHURINE.

Eh ! voirement, oui, c’en est une. Il n’y a pas jusqu’à votre petite Colette qui emmène deux garçons pour alle toute seule, monsieu Giflot et monsieu de Lépeine.

DE LORME.

Monsieu Giflot et monsieu de Lépeine ? queu conte !

MATHURINE.

Il n’y a point de conte à ça : et velà, je crois, toute la bande qui viant vars ici ; les plus pressés allont devant les autres. Eh biau ! est-ce un conte ? Tenez, voyez vous-même.

DE LORME.

Eh ! pargué, non ; c’est alle-même.

LE BAILLI.

Et les deux pèlerins qui la suivent de près.

LA MEUNIÈRE.

Qu’est-ce que tout ça veut dire ?

 

 

Scène XII

 

LE BAILLI, LA MEUNIÈRE, DE LORME, COLETTE, GIFLOT, LÉPINE

 

DE LORME.

Eh ! parle donc, eh ! fille. Comme te velà faite ! Est-ce que t’es itou une voyageuse ?

COLETTE.

Mon père...

DE LORME.

Eh bian ! mon père ? Tenez, monsieu le bailli, alle me demande des conseils pour ses cousines, et la masque les prend pour alle. Queue trahison !

COLETTE.

Il n’y a point de trahison là-dedans. Mes cousines ont profité de vos conseils, et moi j’ai suivi ceux de ma tante.

DE LORME.

Eh ! pourquoi donc ces deux messieux que tu dis qui sont amoureux d’alles ?

COLETTE.

Eh ! oui, justement, c’est pour elles que je les emmène, et elles emmènent Blaise pour moi : nous nous sommes partagés comme cela pour éviter la médisance.

DE LORME.

Eh ! oui : mais... Tatigué, que d’esprit, monsieu le bailli ! velà une jolie petite criature !

LE BAILLI.

Oui, vraiment. Que dites-vous à ça, madame la meunière ?

LA MEUNIÈRE.

Que voulez-vous que je vous dise ? je sis tout ébaubie.

LE BAILLI.

Vous voyez bien que c’est à vos filles qu’on en voulait.

LA MEUNIÈRE.

Eh ! voirement oui, je le vois bian ; je ne le vois que trop.

LE BAILLI.

Après un éclat comme celui-ci, le meilleur parti que vous ayez à prendre, c’est, en cas que ces messieurs veuillent les épouser sans dot, de consentir à ces mariages tout au plus vite.

LÉPINE.

Oh ! de tout mon cœur, je ne demande pas mieux.

GIFLOT.

Ni moi non plus ; c’est tout ce que je souhaite.

LA MEUNIÈRE.

À ces conditions-là, je le veux bian itou ; j’en serai défaite.

COLETTE.

Si mon père voulait aussi, monsieur le bailli, Blaise me prendrait de même.

DE LORME.

Je ne débourserai rian pour ça ? Eh bian ! velà qui est fait. Je veux tout ce qu’alle veut ; alle est trop gentille. Vous resterais donc veuve à votre corps défendant, madame la meunière ?

LA MEUNIÈRE.

Moi, rester veuve ?

LE BAILLI.

Il faudra prendre le concierge ; c’est le portrait du défunt.

LA MEUNIÈRE.

Prendre sti-là ? Je crèverais plutôt ; il y a trop de ressemblance.

LE BAILLI.

Eh bien ! je ne lui ressemble point, moi. Vous, vous êtes riche et sans famille ; voulez-vous me prendre ?

LA MEUNIÈRE.

Vous prendre, vous ? Vous feriais-vous meunier, monsieu le bailli ?

LE BAILLI.

Pour me faire meunier, non : mais je vous ferai baillive.

LA MEUNIÈRE.

Eh bian ! baillive soit ; vous n’avez qu’à faire.

DE LORME.

Morgué, que ça me plaît ! Velà tout le monde pourvu : n’y a-t-il point queuque fille ici, biau et bian tourné comme je sis, qui me voulît faire itou queuque chose ?

LE BAILLI.

Oui, j’ai votre fait, monsieur de Lorme.

DE LORME.

Bon, tant mieux. Allons, que les pèlerins et pèlerines viennent se réjouir de nos mariages. Il faut qu’ils soyaient tretous de nos noces ; et, morgué, vivent les pèlerinages ! sans sti-ci, je ne serions pas si bian d’accord que je le sommes.

 

 

TROISIÈME INTERMÈDE

 

Les garçons et les filles du village, vêtus en pèlerins et en pèlerines, se disposent à faire voyage au temple de l’Amour.

MONSIEUR TOUVENEL, pèlerin.

Au temple du fils de Vénus,
Chacun fuit sou pèlerinage ;
La cour, la ville, le village,
Y sont également reçus :
Ceux qui viennent dans le bel âge
Y sont toujours les mieux venus.

Entrée.

MONSIEUR TOUVENEL.

L’Amour, ce petit dieu malin,
Met tout en usage pour plaire ;
Il a régalé la meunière
Pour s’asservir tout le moulin.

Entrée.

MONSIEUR TOUVENEL.

Quand j’ai quelque amoureux dessein.
Je fonde d’abord la cuisine ;
Et, pour attraper ma voisine,

Entrée.

MADEMOISELLE HORTENSE, pèlerine.

Venez dans l’île de Cythère
En pèlerinage avec nous ;
Jeune fille n’en revient guère
Ou sans amant ou sans époux ;
Et l’on y fait sa grande affaire
Des amusements les plus doux.

MONSIEUR TOUVENEL.

Pour s’engager dans ce voyage
Il ne faut point tant de façon ;
Je ne veux pour tout équipage
Que mon amour et mon bourdon ;
Et, pour avoir soin du ménage,
Marotte, Colette, ou Louison.

MADEMOISELLE HORTENSE.

Nous irions ensemble à la Chine,
Sans avoir écu ni denier ;
Jeune et gentille pèlerine
Porte toujours de quoi payer :
L’Amour prend soin de la cuisine,
Et Bacchus est le sommelier.

Entrée.

Branle.

MONSIEUR TOUVENEL.

Nos pèlerins ont bonne mine ;
Que de gentilles pèlerines !
Mais, à ce que dit Mathurine,
La mine trompe quelquefois.
Que de gentilles pèlerines
L’Amour assemble sous ses lois !

MADEMOISELLE MIMI, pèlerine.

Mais, à ce que dit Mathurine,
Que de gentilles pèlerines !
La chose vaut qu’on l’examine,
Et je veux en juger par moi.
Que de gentilles pèlerines
L’Amour assemble sous ses lois !

MADEMOISELLE HORTENSE.

La chose vaut qu’on l’examine.
Que de gentilles pèlerines !
Il ne faut esprit ni doctrine
Pour apprendre à faire un bon choix.
Que de gentilles pèlerines
L’Amour assemble sous ses lois !

MONSIEUR TOUVENEL.

Il ne faut esprit ni doctrine,
Que de gentilles pèlerines !
Et souvent telle est la plus fine,
Qui s’y trompe le plus de fois.
Que de gentilles pèlerines
L’Amour assemble sous ses lois !

MADEMOISELLE MIMI.

Et souvent telle est la plus fine.
Que de gentilles pèlerines !
Si mou premier choix me chagrine,
Quitte à troquer au bout du mois.
Que de gentilles pèlerines
L’Amour assemble sous ses lois !

MADEMOISELLE HORTENSE.

Si mon premier choix me chagrine,
Que de gentilles pèlerines !
J’imiterai notre voisine ;
Elle en prend bon nombre à la fois.
Que de gentilles pèlerines
L’Amour assemble sous ses lois !

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