Les Roués (Jean-François Alfred BAYARD - Thomas SAUVAGE)

Comédie historique en trois actes, mêlée de chants

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Ambigu-Comique, le 10 septembre 1833.

 

Personnages

 

PHILIPPE Duc d’Orléans

L’ABBÉ DUBOIS

LE CHEVALIER DE RAVANNES

PELLEVIN, marchand drapier

LE CHANCELIER

EDMOND, page

MADAME GERVAIS, jeune veuve

MIMI, fille de Pellevin

HÉLÈNE BRIOLET

GERMAINE, servante de Madame Gervais

SEIGNEURS

PAGES du duc d’Orléans

MEMBRES DU PARLEMENT

PARENTS et AMIS de Madame Gervais

 

L’action se passe en 1715 ; le premier acte à Paris, le deuxième à Suresnes, et le troisième à Paris, au Palais-Royal.

 

 

ACTE I

 

Un salon chez Madame Gervais. Fenêtre à gauche. Portes latérales. Porte au fond. Une table, fauteuils.

 

 

Scène première

 

MADAME GERVAIS, MIMI

 

Au lever du rideau, Madame Gervais est assise à droite, un livre à la main : elle est pensive. Mimi est debout près de la fenêtre à gauche.

MADAME GERVAIS.

M. Desœillets ne vient pas !

MIMI, à la fenêtre.

Si je voyais passer M. Dupuis !

MADAME GERVAIS.

Toujours à la fenêtre ! que regardez-vous ?

MIMI.

Je regarde... qu’il va beaucoup moins de monde, aujourd’hui, du côté du Palais-Royal.

MADAME GERVAIS.

C’est tout simple... on disait hier que le Roi se portait mieux... les courtisans abandonnent son neveu, le Duc d’Orléans ; ils sont tous à Versailles.

MIMI.

Ainsi, ma cousine, après la mort du Roi, c’est Monsieur le Duc d’Orléans qui sera régent... L’avez-vous vu quelquefois, ma cousine ?

MADAME GERVAIS, sèchement.

Jamais, Mademoiselle.

 

 

Scène II

 

MADAME GERVAIS, PELLEVIN, MIMI

 

PELLEVIN, entrant par le fond.

Ah ! enfin, me voilà !... c’est moi...bonjour.

MIMI.

Mon papa !

MADAME GERVAIS, se levant.

M. Pellevin...

PELLEVIN.

Ne vous dérangez pas, ma belle cousine, ne vous dérangez pas... Comment cela va-t-il ?... bien, n’est-ce pas ? Toujours fraîche, toujours jolie... Et vous, petite fille ?... toujours l’air mélancolique, les yeux rouges... Allons, allons, de la gaieté ; je vous apporte de bonnes nouvelles.

MADAME GERVAIS.

Est-ce de la santé du Roi ?

PELLEVIN.

Du Roi ?... je n’en sais rien... et, ma foi, au point où il nous a conduits par ses guerres et ses palais, le mieux pour nous et pour lui, c’est, je crois, une prompte fin.

MADAME GERVAIS.

Pouvez-vous parler ainsi de la mort d’un si grand Roi, de Louis XIV, vous, un Français !

PELLEVIN.

Je suis drapier.

Air : Tu ne vois pas, jeune imprudent.

Ma foi ! tout ce que je puis voir
Dans cette mort longtemps prévue,
C’est qu’on vendra beaucoup de noir,
Et ma boutique en est pourvue.

MADAME GERVAIS.

Vous n’en seriez pas accablé ?...

PELLEVIN.

Pourquoi ?... Dans l’état que j’exerce,
D’un malheur on est console
Quand il fait aller le commerce.

Mais les nouvelles dont je vous parlais ne concernent pas la cour... ce sont des nouvelles de mariage.

MADAME GERVAIS.

Comment ?

PELLEVIN.

Oh ! ce n’est pas vous, ma cousine...

MADAME GERVAIS.

Mais je le pense bien, et je ne comprends pas...

PELLEVIN.

Oh ! c’est-à-dire... mais suffit, belle veuve, je m’entends... Ce mariage, c’est pour Mademoiselle ma fille, si elle y consent... avec M. Dupuis.

MIMI.

Oh ! avec plaisir, mon papa.

MADAME GERVAIS.

En vérité !... comment se fait-il ?... ce M. Dupuis qui a voulu la séduire... N’est-ce pas pour qu’il perdit ses traces, que vous l’ayez amenée ici... chez moi ?

PELLEVIN.

Ah ! voilà... Dupuis vint avant-hier aux Piliers des Halles ; il entre chez moi pour avoir du drap... un habit complet... Sa présence me fit monter le sang à la tête... et j’avais grande envie de lui donner un peu de ma demi-aune sur le dos... Heureusement, je me rappelai que j’étais marchand de drap... et que j’avais un autre moyen de me venger... Je lui coupai un quart de moins, c’était plus honnête. Pendant que je le servais poliment... comme je viens de vous dire... il me parlait de ma fille... qu’il adorait... D’abord, ils adorent toujours, ces Messieurs... toutes les petites marchandes du quartier des Innocents en ont des preuves... Il cherchait à sa voir sa retraite... et moi, je ne répondais rien... c’était plus adroit... j’aurais peut-être lâché quelque bêtise... il avait l’air d’y compter... Eh bien ! me dit-il alors, si mon amour était sincère, si je voulais le bonheur de votre fille...si je l’épousais... L’épouser !... diable ! c’est différent, lui dis-je... Il était très ému, je l’étais aussi ; ma demi-aune me tomba des mains... et il me paya sans marchander... Il a des qualités, ce jeune homme !

MIMI.

Oh ! oui, il en a !

PELLEVIN.

Et puis... un assez bon parti... un huissier de la maison de Monseigneur le Duc d’Orléans. Le soir même, je courus au Palais-Royal... Je m’informai de M. Dupuis à un jeune page, qui vint à moi pour savoir où je faisais faire unes perruques... je profitai de la plaisanterie pour l’interroger... et je sortis enchanté de tout ce que j’avais appris... Le lendemain, c’était hier, Dupuis est revenu, nous avons causé, fait nos conditions... Et, comme son service le retient tout le jour, vous serez mariés, cette nuit, à une chapelle particulière... près du Palais-Royal... par un prêtre de l’aumônerie de Monseigneur le Duc... C’est Dupuis qui a arrangé tout cela.

MIMI.

Comment, si tôt !...

PELLEVIN.

Eh bien ! qu’as-tu donc ?

MIMI.

Ça me fait peur !

PELLEVIN.

Il va venir te rassurer lui-même ; car je l’attends ici, pour vous le présenter.

MIMI.

Oh ! quel bonheur ! Je vais guetter son arrivée.

Elle va pour sortir, et s’arrête près de la fenêtre à écouter.

MADAME GERVAIS.

Mais savez-vous, cousin, que voilà un mariage qui va bien vite !

PELLEVIN.

Que diable voulez-vous !... une jeune fille à garder, c’est trop chanceux !

Air.

Vraiment, nous vivons dans un temps
Où les cours trop tôt se conviennent ;
Regardez tous nos jeunes gens,
Ce qu’on leur refuse, ils le prennent.

À demi-voix.

Je crains un malheur, un éclat ;
Et je ne veux pas que ma fille
Me fasse, sans un bon contrat,
L’honneur d’augmenter ma famille.

MADAME GERVAIS.

Vous penseriez...

PELLEVIN.

Eh ! mon Dieu ! voilà une petite tête qui me fait trembler !... Si vous voyiez la lettre qu’elle m’a écrite !

MIMI, le tirant par son habit.

Mon papa !...

PELLEVIN.

Oh ! une lettre superbe !... Je ne sais pas où elle a trouvé cet esprit-là... ce n’est pas dans ma boutique, toujours. On dirait que l’amour d’un certain M. Desœillets, et les soupirs de son neveu... Ah ! vous rougissez, cousine !...

MADAME GERVAIS.

Moi ! pas du tout... C’est Mademoiselle qui vous a dit...

À part.

Oh ! les petites filles !

MIMI, à part.

Est-il bavard, mon papa !...

Elle sort lentement par le fond.

PELLEVIN.

C’est votre secret, belle cousine, je n’en dirai rien... D’abord, je l’avoue, ça ma fait de la peine, parce que moi aussi j’avais des idées... j’espérais vous voir un jour à la place de ma défunte... dans mon comptoir, et mieux encore... Mais je sais que c’est M. Desœillets... un galantin à ce qu’il paraît... !

MADAME GERVAIS.

Monsieur Desœillets est un fort honnête homme que je n’a vais pas l’honneur de connaître... lorsqu’il vint un jour chez moi pour me rendre une somme assez forte qu’il devait, di sait-il, à feu mon mari... Il fut témoin des inquiétudes que me causait mon procès... voulut s’en mêler, et, grâce à son crédit, l’affaire a pris une tournure favorable...

PELLEVIN.

Il a fait tout cela... et gratis !

MADAME GERVAIS.

Touchée de ce procédé, je l’ai reçu comme il le méritait... il me fit quelques politesses...

PELLEVIN.

Il vous présenta son neveu... un grand jeune homme...

MADAME GERVAIS, vivement.

Qui ne me plaît pas !... et quoiqu’il ne vienne ici que pour m’acheter ma maison de Suresnes, si je ne dois plus le recevoir...

PELLEVIN.

Je n’ai pas dit cela !...

On entend parler dehors.

MADAME GERVAIS.

Ah ! M. Desœillets !...

PELLEVIN.

Pardon !... pardon !... je me retire...

MADAME GERVAIS.

Eh ! non, restez, je le veux... je vous en prie !

 

 

Scène III

 

MADAME GERVAIS, DESŒILLETS, HENRI[1], PELLEVIN

 

DESŒILLETS, à madame Gervais, lui baisant la main.

Belle dame... voulez-vous permettre !...

HENRI.

Pardon !... nous dérangeons un tête-à-tête...

PELLEVIN.

Ah ! c’est le neveu.

DESŒILLETS.

Eh ! mais, belle dame, vous avez ce soir un petit air préoccupé, chagrin.

HENRI.

Des larmes dans vos jolis yeux !... quelques peines secrètes... voilà celles que je voudrais partager... 

MADAME GERVAIS.

Monsieur !...

DESŒILLETS.

Moi, du moins... ne suis-je pas votre ami ?

HENRI, bas à Desœillets.

Quelle est cette figure-là ?

DESŒILLETS, bas.

Je ne la connais pas.

MADAME GERVAIS, à Desœillets.

Oh ! vous, oui, je le crois... je suis sensible à votre amitié... vous êtes si bon, si aimable !... mais aujourd’hui vos assiduités chez moi ont éveillé la malveillance, qui suppose si aisément des torts à une femme... à une veuve.

HENRI.

Surtout lorsqu’elle est jeune et jolie !

MADAME GERVAIS.

Dans ce quartier il y a tant de méchantes femmes !

DESŒILLETS.

Il y en a tant de laides !

MADAME GERVAIS.

Et ce matin... ici... On s’est permis des soupçons qui m’ont vivement affectée.

HENRI, vivement.

Vous, Madame !... et quel est l’impertinent !... Nommez-le, et je le fais enfermer à la Bast...

Se reprenant.

C’est-à-dire, je lui fais couper les oreilles !...

PELLEVIN, s’éloignant en se cachant les oreilles.

Hem !... comme il y va !

DESŒILLETS.

Holà ! Monsieur... mon neveu !

MADAME GERVAIS.

Grâce pour les oreilles de ma famille, M. Henri. Si vous tenez à me plaire, vous ne reparaîtrez plus chez moi.

À Desœillets.

ni votre oncle.

DESŒILLETS, tiré par Henri.

Qu’entends-je... vous me repoussez... moi qui, dans la gêne où vous êtes, mettrais à vos pieds une belle fortune !

PELLEVIN, passant entre Desœillets et Madame Gervais.

Que la cousine ne refuserait peut-être pas de la main d’un mari ?

DESŒILLETS.

D’un mari !...

À part.

Diable !

PELLEVIN, montrant Desœillets.

Monsieur est un homme en qui on peut avoir confiance.

Montrant Henri.

Mais voilà un gaillard qui me ferait peur ! Dame, écoutez donc, il faut qu’une femme soit sur ses gardes... les roués sont à la mode... c’est-à-dire, les mauvais sujets qui suivent les traces de l’abbé Dubois et de son élève.

DESŒILLETS, à part.

Aïe ! aïe !

HENRI, gaiement.

Bah ! vraiment, l’abbé Dubois... est-ce que vous le croyez capable...

PELLEVIN.

De tout ! c’est un drôle qui pervertit son élève, dont il partage les orgies.

Air de Masaniello.

Un coquin d’abbé, que Dieu damne,
Faisant commerce des amours ;
C’est, je crois, le diable en soutane,
Il la déchire tous les jours.
C’est un indigne qu’il faut pendre,
En dépit du petit collet.

HENRI, riant.

Bravo !

À Desœillets.

C’est pour toi...

Que n’est-il là, pour vous entendre !
Peut-être il se corrigerait...

DESŒILLETS.

Ah ça ! et le prince n’a-t-il rien mérité ?

PELLEVIN.

Eh ! eh ! je ne dis pas.

Même air.

Un débauché sans conscience,
N’ayant pour toi que ses défauts !
Ah ! si jamais il règne en France,
Ce sera le Roi des ribauds,
Sur l’autel même, il irait prendre
Une femme qui lui plairait...

DESŒILLETS, bas à Henri.

Bravo ! c’est à vous.

S’il était là pour vous entendre,
Peut-être il se corrigerait.

 

 

Scène IV

 

MIMI, MADAME GERVAIS, PELLEVIN, DESŒILLETS, HENRI

 

MIMI, accourant.

Le voilà ! le voilà 

GERVAIS.

Qui donc ?

MIMI.

Eh bien ! Dupuis, mon prétendu... Je viens de le voir accourir... je le croyais déjà ici.

HENRI.

Votre prétendu !... Est-ce que Mademoiselle Mimi se marie !

MIMI.

Oui ; Monsieur.

DESŒILLETS.

Un bon mariage ?

PELLEVIN.

Excellent !... Un huissier de la maison de Monseigneur le Duc d’Orléans.

HENRI, saisissant le bras de Desœillets.

Ah diable !

DESŒILLETS, bas.

Prenez garde !

PELLEVIN.

C’est lui qui peut nous en dires sur son maître !... Il sait toutes les histoires, toutes les roueries du Palais-Royal... Et ce matin, il me contait un tour que le prince et son précepteur ont joué à deux petites marchandes...

À Madame Gervais.

C’est à faire dresser les cheveux !

Aux autres.

C’est à mourir de rire !

MIMI.

Ah ! le voici !

Elle va au-devant de Dupuis.

HENRI, entrainant Desœillets.

Allons-nous-en.

DESŒILLETS, le retenant.

Vous nous perdez !

Ils se retirent vers le fond à gauche, causant ensemble, et tournant le dos à Dupuis.

 

 

Scène V

 

MADAME GERVAIS, PELLEVIN, MIMI, DUPUIS, DESŒILLETS, HENRI

 

PELLEVIN.

Ma belle cousine, je vous présente M. Dupuis, mon gendre.

DUPUIS, saluant.

Madame...

HENRI, bas.

Je ne connais pas...

Desœillets le pousse.

DUPUIS, apercevant Mimi.

Ah ! Mademoiselle Mimi... que je suis heureux de vous revoir !

MIMI.

Et moi aussi !

Elle va se placer la première à droite.

HENRI, bas.

Eh ! mais, cette voix !

DESŒILLETS, de même.

C’est Ravannes !

PELLEVIN.

C’est un brave jeune homme...il a des principes, dame !... et de sévères... Ce n’est pas lui qui se laisserait corrompre par ce coquin d’abbé Dubois !... Il en parle avec une colère...

DUPUIS.

Certainement... c’est le plus mauvais sujet des abbés chrétiens !... Précepteur du prince, il a changé ses qualités en défauts ; il est toujours là pour encourager ses vices et présider à ses folies...

Desœillets s’est approche de lui ; il l’aperçoit.

Ciel !

Se reprenant.

C’est-à-dire, Monsieur l’abbé est un homme d’esprit et de talent... S’il est un peu facile avec le Duc d’Orléans, c’est que ce prince est si capricieux, si intraitable lorsque ses passions l’entraînent !...

En ce moment, il voit la figure d’Henri, qui a pris, près de lui, la place de Desœillets.

Ah !...

PELLEVIN.

Qu’avez-vous donc ?

MADAME GERVAIS.

Vous voilà tout interdit...

MIMI.

Tout pâle...

DUPUIS.

Moi !... pas du tout... je ne crois pas...

Bas, à Pellevin et à Madame Gervais.

C’est que ma franchise, devant des étrangers que je n’avais pas vus... cela peut me compromettre... et ma place...

À part.

Je ne sais plus où j’en suis.

PELLEVIN.

Ah ! diable !... c’est juste !

MADAME GERVAIS.

Ne craignez rien.

Présentant Dupuis.

M. Desœillets et son neveu.

DESŒILLETS, appuyant.

M. Desœillets.

HENRI, de même.

Et son neveu.

DUPUIS, comprenant.

Ah ! fort bien.

PELLEVIN.

Oh ! sois sans crainte... ce sont de braves gens.

Montrant Desœillets.

Celui-ci, surtout... N’est-ce pas, compère, vous n’êtes pas homme à vous fâcher de ce qu’on a dit de ce méchant abbé, qui court notre charnier des Innocents, pour livrer vos jeunes filles ?... Vous savez la chanson :

« Où allez-vous, Monsieur l’abbé ?
« Vous allez vous casser le...

MADAME GERVAIS.

M. Pellevin !

DESŒILLETS, à part.

Diable d’homme !

Henri part d’un éclat de rire.

PELLEVIN, frappant sur l’épaule d’Henri.

Ça vous fait rire, vous m’avez l’air d’un bon enfant... j’aime ça... et puis, à sa figure, on voit tout de suite que ce n’est pas un de ces roués... Tant mieux, je ne les aime pas... Qu’il m’en tombe un sous ma demi aune, il sera roué, et de la belle manière... Ah ça ! belle cousine, il faut que nous causions de la cérémonie, du contrat de mariage... de mes conventions avec Dupuis... Passons dans votre chambre.

HENRI.

Permettez ! nous enlever Madame... si tôt !...

MADAME GERVAIS.

Je vous ai dit, Monsieur...

DESŒILLETS.

Et votre maison de Suresnes que mon neveu doit acheter ?...il faut que cela finisse... Vous nous donnerez à souper ce soir, à mon neveu et à moi.

MADAME GERVAIS.

Plaît-il !

HENRI.

Bravo ! j’adopte le souper.

MADAME GERVAIS.

Mais permettez...

DESŒILLETS.

Après cela congédié... Nous conviendrons de tout...

À Henri.

Vous brusquez l’affaire... la maison est à vous... et ensuite votre serviteur...

MADAME GERVAIS.

Puisque vous le voulez ainsi...

À Desœillets.

Vous serez là !...

HENRI.

Air : Valse de Robin.

À ce soir !

DESŒILLETS.

Nous viendrons, Madame.

PELLEVIN, à Madame Gervais.

L’oncle me plaît fort aujourd’hui ;
Et je crois, vraiment, qu’une femme
Peut avoir confiance en lui.

MADAME GERVAIS, à Mimi.

Pour ce souper, allez, ma chère,
Donnez des ordres, bâtez-vous !

MIMI.

Oui, cousine.

À Henri.

Mais, je l’espère,
Bientôt j’en donnerai chez nous.

Ensemble.

PELLEVIN, donnant la main à Madame Gervais.

Passons chez vous... Mais, sur mon âme,
L’oncle me plaît fort aujourd’hui :
Et je crois vraiment qu’une femme
Peut avoir confiance en lui.

DESŒILLETS.

À ce soir, nous viendrons, Madame ;
Vous terminerez avec lui.

À Henri.

Et je veux de votre flamme,
Vous guérir enfin aujourd’hui.

HENRI.

À ce soir, nous viendrons, Madame :
Ce projet me convient aussi.
J’obtiendrai le prix de ma flamme,
Je vais être heureux aujourd’hui.

MADAME GERVAIS, à Mimi.

Oui, ce soir vous serez sa femme.
L’époux que vous avez choisi
Obtiendra le prix de sa flamme :
Vous serez unis aujourd’hui.

DUPUIS.

Ah ! quel bonheur ! elle est ma femme !
Et pourtant, je l’avoue ici,
Je suis honteux, au fond de l’âme,
De les abuser tous ainsi.

MIMI.

Quoi ! ce soir je serai sa femme !
D’un tel bonheur, vraiment, ici,
Je n’osais pas, au fond de l’âme,
Former le souhait, aujourd’hui.

Mimi sort par le fond, dont Dupuis ferme la porte. Pellevin et Madame Gervais sortent par la droite.

 

 

Scène VI

 

DESŒILLETS, DUPUIS, HENRI

 

HENRI, vivement.

Un petit souper... Ah ! je te comprends, tu es adorable !...

DESŒILLETS.

Adorable ! c’est le mot, vous adorez tout le monde !...

DUPUIS, revenant, à Desœillets.

Vous ici, Monsieur l’ab...

DESŒILLETS, changeant de ton et de manières.

Silence !... Ici, point de titres... point de qualités !

DUPUIS, à Henri, le saluant.

Mais, Monseigneur...

HENRI.

Point de Monseigneur... M. Henri... voilà mon nom.

DUPUIS.

Eh bien ! va pour M. Henri... Il paraît, M. Henri, que vous êtes amoureux ?

HENRI.

Oui, Ravannes... oui, comme un fou !... j’aime plus que je n’ai jamais aimé... mais aussi, une femme si jolie et si sage !... qui me résiste, qui me repousse... c’est la première !... Sa froideur et ses dédains ne font qu’irriter mon amour !

DUPUIS.

Et toute la Cour, qui ne vous croit occupé que du soin de faire tourner en votre faveur la crise que doit amener la mort du Roi !

HENRI.

Le Roi va mieux... J’en suis enchanté, pour lui d’abord, et un peu pour moi... cela me donne du répit pour mes plaisirs... El sans les scrupules de cette veuve, la plus aimable, la plus séduisante créature... qui n’est peut-être pas aussi indifférente à mon amour qu’elle le paraît... et la preuve, c’est qu’elle veut m’éloigner... elle a peur.

DUPUIS.

Et pourquoi ne vous connaît-elle pas ?... Elle accorderait au prince, peut-être...

HENRI.

Rien... je ne la verrais plus... elle me chasserait... c’est une vertu. !

DESŒILLETS.

C’est une bégueule.

HENRI.

J’ai fait faire en secret, ces jours derniers, au nom d’un grand seigneur, des propositions qu’elle a repoussées avec ingnation ; et en ce moment même, si je suis reçu, c’est grâce à ce coquin de Dubois !

DESŒILLETS.

Oui, elle m’attire près d’elle, moi, bonhomme simple et vertueux comme un marguillier... elle me ménage... je crois même que je suis aimé.

HENRI.

Et moi !... je suis jaloux !... ce qui rend encore l’aventure plus piquante... Mais, prends garde !... je ne te quitte plus !... Elle sera à moi, entends-tu ? avant vingt-quatre heures, tu me l’as promis.

DESŒILLETS.

Vous l’aurez... Au fait, je crois qu’il est temps que vous preniez ma place ici... ou, ma foi... Écoutez donc, votre belle veuve a confiance en moi... et je ne répondrais pas de faire éternellement l’amour in partibus.

HENRI.

Malheureux !... si tu osais...

DUPUIS.

Je ne m’y fierais pas !

DESŒILLETS.

Chut !... jeune homme, silence sur cette rencontre !

HENRI.

De la discrétion, Ravannes, et je paye toutes les dettes.

DUPUIS.

Vrai !... Ah ! que de bonté... pour mes créanciers !... Quelle nouvelle pour la rue Beaubourg... Tous les Juifs vont illuminer !...

DESŒILLETS.

Nous oublierons l’un et l’autre, l’éloge que tu faisais de nous, ici, tout à l’heure...

DUPUIS.

Pardon !... c’était dans l’esprit de mon rôle...

HENRI.

Ton rôle !... En effet... qu’est-ce que cela veut dire ?... ce mariage avec la fille du marchand de drap... Voyons, explique-toi.

DUPUIS.

Monseig... M. Henri... j’aime autant... plus que vous peut être... Mademoiselle Mimi est si jolie !...

DESŒILLETS.

Je parie que c’est un mariage de contrebande !...

HENRI, plus sévèrement.

Comment ! est-ce de cela qu’on parlait à l’hôtel des pages ?... ce jeune homme de ma maison, qui veut tromper une famille de bourgeois ?... cette fausse chapelle... ce faux prêtre !...

DESŒILLETS.

C’est une rouerie !...

HENRI.

Hem !...

DUPUIS.

C’est ma première, Monseigneur.

DESŒILLETS, à Henri.

C’est juste... nous ne comptons plus...

HENRI.

N’as-tu pas d’autre moyen ?...

DUPUIS, regardant Desœillets.

Que voulez-vous ? dans cette diable de famille, il n’y a pas moyen d’arriver au but... sans qu’un abbé y ait passé.

HENRI, riant.

Parbleu ! je le sais bien...

À Desœillets.

Ne te parlait-on pas tout à l’heure de mariage, à toi ?... ah ! ah ! ah !

Desœillets rit plus fort.

DUPUIS.

Tiens ! ce ne serait peut-être pas le premier !...

DESŒILLETS, ne riant plus.

Monsieur !... que dites-vous ?...

À Henri.

N’en croyez rien !

HENRI.

Eh ! qu’est-ce que ça me fait ?... Il est plaisant avec ses scrupules !... Ah ça ! et si Madame Gervais veut t’épouser sérieusement ?...

DESŒILLETS, brusquement.

Je ne pousserai pas jusques-là, je l’espère bien !... Aussi, c’est pour en finir que je lui ai demandé à souper ici... Nous ne serons que nous trois... Je sors sous un prétexte... vous restez seul avec elle, vous vous expliquez, vous vous déclarez, vous l’attendrissez... vous...

HENRI.

Oui, je serai éloquent, je serai passionné, je serai heureux !...

DESŒILLETS.

À la bonne heure, mais sortons.

Air des Gascons.

J’entends la famille arriver,
Partons vite !... En cette demeure,
N’oubliez pas que, dans une heure,
Il faut tous deux nous retrouver.

HENRI, à Dupuis.

De Mimi respecte l’honneur,
Et retire-toi sans scandale.

DUPUIS.

Les exemples de Monseigneur
Me plaisent mieux que sa morale !

ENSEMBLE.

J’entends, etc.

Desœillets et Henri sortent par le fond.

DUPUIS.

Dans la confidence du prince !... c’est vo commencement de faveur.

 

 

Scène VII

 

MADAME GERVAIS, PELLEVIN, DUPUIS, ensuite MIMI

 

PELLEVIN.

Ah ! Dupuis, mon garçon, écoute... Je viens de causer avec Madame Gervais ; elle approuve tout.

DUPUIS, saluant.

Madame Gervais, et passant au milieu. Madame est bien bonne.

PELLEVIN.

Seulement, elle désire que ma fille soit mariée par son confesseur.

DUPUIS, à part.

Ah ! mon Dieu !

MADAME GERVAIS.

Un bon et digne prêtre de Saint-Roch, en qui j’ai confiance.

DUPUIS.

Mais permettez... c’est impossible...

À part.

Diable ! voilà qui dérange...

PELLEVIN.

Comment ! est-ce que ça te contrarie ?

DUPUIS.

Moi ! pas du tout... au contraire... Du moment que cela, convient à Madame...

À part.

Je vous demande un peu quelle idée leur est venue là !...

PELLEVIN.

Sois tranquille... je verrai ton chapelain... je lui demanderai excuse.

DUPUIS.

Non, non... c’est inutile... J’y passerai moi-même, en allant au Palais-Royal... ou ma charge m’appelle en ce moment.

MIMI, entrant sur les derniers mots.

Comment, vous partez ?

PELLEVIN.

Il a raison, le devoir avant tout.

DUPUIS.

Cela vous chagrine... mais, rassurez-vous !... je ne vous ferai pas attendre longtemps...

À part.

Elle est bien jolie... mais, ma foi ! ce n’est plus mon compte !

Haut.

Adieu !

Il sort.

 

 

Scène VIII

 

MIMI, MADAME GERVAIS, PELLEVIN

 

MIMI, le regardant sortir.

Oh ! le gentil petit mari que j’aurai là !... Ah ! ma cousine, voici une lettre qu’on vient de monter pour vous.

MADAME GERVAIS.

C’est bien, donnez...

En l’ouvrant, à Pellevin.

Vous soupez avec nous.

PELLEVIN.

Merci, merci... les préparatifs de la noce... le prêtre à prévenir...

MADAME GERVAIS, parcourant la lettre.

Ah ! que vois-je ?... quel bonheur !...

PELLEVIN.

Qu’est-ce donc ?

MADAME GERVAIS.

Une lettre d’Hélène... cette pauvre fille de Brive-la-Gaillarde... vous savez...

PELLEVIN.

Elle avait épousé, m’a-t-on dit, un jeune précepteur, qui avait commencé par la séduire...

MADAME GERVAIS.

Et qui, après, a disparu, laissant sa femme dans la misère.

MIMI.

Quelle indignité !

MADAME GERVAIS.

Voici sa lettre :

Lisant.

« Ma chère Lucile, Dieu soit loué ! je sais enfin où trouver mon coquin de mari !... Tandis que je suis ici, malheureuse et abandonnée, il vit, dit-on, à Paris, dans le luxe et les plaisirs. »

PELLEVIN.

Ah ! mon Dieu !

MADAME GERVAIS, continuant.

« C’est un scélérat, je cours le chercher... Je pars ce soir de Brive-la-Gaillarde... j’arrive chez vous mardi... je découvre le monstre mercredi... et je veux mourir s’il n’est pas pendu avant dimanche. Votre bonne amie, Hélène. »

PELLEVIN.

Tudieu ! quelle bonté !

MADAME GERVAIS.

Toujours folle !... Mais mardi... c’est demain !

PELLEVIN.

À la bonne heure :... Nous la verrons... elle sera de la noce ; car, nous ferons la noce demain... Ah ! si vous aviez voulu, nous en aurions fait deux... Mais, non, n’en parlons plus... Adieu, belle cousine.

À Mimi.

Toi, va vite à la toilette... et fais-toi bien jolie !

MIMI.

Dame ! je lâcherai. Est-ce donc si difficile !

Elle sort par la droite.

PELLEVIN, à Madame Gervais, avec un soupir.

Adieu !...

Il sort par le fond.

 

 

Scène IX

 

MADAME GERVAIS, GERMAINE

 

Germaine apporte de la lumière et met le couvert, à droite.

MADAME GERVAIS.

Pauvre cousin !... il ne sent pas que ses habitudes, ses ma prières ne peuvent me convenir...

À la domestique.

Ah ! Germaine, trois couverts, entendez-vous ?...

À elle-même.

Et pourtant, j’ai besoin d’un ami, d’un protecteur... Ce malheureux procès qui me ruine !... et quand je pense, toujours seule, exposée à la déclaration du premier fat... du neveu de M. Desœillets, par exemple ! Oh ! celui-là...

Air : Restez, restez, troupe jolie.

Il est bien !... il veut me séduire,
Et son audace me fait peur ;
Car moi-même je n’ose lire
Ce qui se passe dans mon cœur.
Ah ! je le vois, c’est un trompeur !
Son amour n’est qu’un badinage ;
Et parfois, si je pense un peu
À prendre l’oncle en mariage,
C’est pour échapper au neveu.

La domestique sort.

 

 

Scène X

 

DESŒILLETS, HENRI, MADAME GERVAIS

 

DESŒILLETS, un pâté sous le bras et des bouteilles dans les poches.

Nous voici... Le souper... bravo !... nous arrivons juste pour nous mettre à table.

HENRI.

À table, donc !

MADAME GERVAIS.

Vous êtes exacts, Messieurs.

HENRI.

Nous n’avions garde d’y manquer.

Bas, à Desœillets.

Dis donc, si tu me laissais !

DESŒILLETS.

Un pâté d’Amiens, un vrai morceau d’église... et, ici, dans mes poches, j’apporte ma cave... un vin délicieux !... le duc d’Orléans, n’en a pas de meilleur !...

HENRI, bas.

Laisse-nous !...

DESŒILLETS.

Maintenant, placez-vous, de grâce...

Henri et madame Gervais vont se mettre à table.

Je suis à vous... j’ai deux mots à dire.

MADAME GERVAIS.

Pardon... je vous suis.

DESŒILLETS, revenant.

Madame...

HENRI.

Restez, mon oncle !... vous verrez... plus tard...

DESŒILLETS.

Volontiers... je ne vous quitte pas, j’aime mieux ça.

HENRI, la prenant par la main.

Asseyez-vous, madame... Oh ! la jolie main !

Ils sont assis, et, pendant la scène, Desœillets boit et mange à pleine bouche.

GERVAIS.

Permettez... il s’agit de ma maison de Suresnes.

DESŒILLETS, la bouche pleine.

De Suresnes ?... Un peu de Bordeaux... Mon neveu l’achète ?

HENRI.

Oui, madame, je l’achète... fixez le prix vous-même, quel qu’il soit, j’y souscris d’avance...

MADAME GERVAIS.

Mais...

HENRI.

Une maison habitée par vous... ou tout vous rappellera à mon souvenir...

DESŒILLETS, la bouche pleine.

Elle lui convient beaucoup.

MADAME GERVAIS.

Pardon... le prix...

HENRI.

C’est un cadeau que je veux faire à une personne... que j’aime avec passion... belle comme vous... mais aussi insensible...

MADAME GERVAIS, voulant se lever.

Monsieur...

DESŒILLETS, la retenant.

Qu’est-ce que c’est ?... est ce qu’il se serait permis...

Buvant.

À votre santé, belle dame !

HENRI.

À la beauté la plus piquante !

MADAME GERVAIS.

Revenons à ma maison je vous en prie.

HENRI.

C’est juste... une petite maison à Suresnes, c’est un peu loin... mais, si on était sûr d’y souper souvent comme ici... en tête à tête avec vous... et sans le tiers.

Il donne un coup de pied par dessous la table à Desœillets.

DESŒILLETS, se frottant la jambe.

Merci, mon neveu.

MADAME GERVAIS.

M. Henri !...

HENRI.

Dame, il me semble que nous parlons de la maison !... Mon Dieu ! que vous êtes jolie, avec cet air boudeur ! ces yeux baissés.

MADAME GERVAIS, riant.

Il me semble, que nous n’en parlons plus !

HENRI.

Ah ! ce qui m’occupe vaut cent fois mieux, et, en échange, je donnerais toutes les maisons du monde !... et même un palais !...

Bas à Desœillets.

Va-t’en ! va-t’en !

DESŒILLETS.

Vous verrez qu’il donnerait jusqu’à l’héritage de son oncle...

HENRI.

Parbleu ! et l’oncle aussi...

Bas.

Va-t’en donc !

MADAME GERVAIS.

Vous êtes fou !...

 

 

Scène XI

 

DESŒILLETS, HENRI, MADAME GERVAIS, MIMI en mariée

 

MIMI, une lettre à la main et pleurant.

Ah ! ah ! ah ! quel malheur !...

DESŒILLETS, avec impatience.

Que nous veut cette petite fille ?...

MADAME GERVAIS, se levant.

Qu’est-ce donc ?... qu’avez-vous ?...

MIMI.

Mon mariage... c’est fini !...

DESŒILLETS.

Il est manqué !...

Bas à Henri.

Ravannes a eu des remords.

HENRI, haut.

Tant mieux !...

MIMI.

Comment ! tant mieux ?... mais c’est affreux ce que vous me souhaitez-là !... que le ciel vous le rende.

MADAME GERVAIS.

Voyons, expliquez-vous, ce mariage...

MINI.

Eh bien ! ma cousine, il est remis... M. Dupuis, mon prétendu... m’écrit que son service le retient cette nuit au palais...

HENRI.

Ce n’est pas vrai.

MIMI.

Hein ! ce n’est pas vrai ?... Par exemple !... voyez plutôt...

Madame Gervais prend la lettre.

DESŒILLETS, se levant.

Qu’en savez-vous, Henri ?...

MADAME GERVAIS.

En effet... Mais, votre père n’est pas prévenu... et tous ces ordres que j’avais donnés...

MIMI.

Et ma toilette... Mais on ne peut donc compter sur rien ?...

HENRI.

Pauvre petite !...

Bas.

J’arrangerai cela... Sortez !

Mimi le regarde avec surprise.

DESŒILLETS, passant près de Madame Gervais.

Air du Premier prix.

À mon valet, pour ma voiture,
Je vais donner contr’ordre ici.

MADAME GERVAIS.

Ah ! restez, je vous en conjure !

DESŒILLETS.

Je suis à vous !

Il sort.

HENRI, bas, à Mimi.

Sortez aussi !

MIMI.

Je vais donc quitter ma couronne !
J’avais cru qu’elle servirait,
Et qu’un autre... à qui je pardonne, 
Viendrait détacher mon bouquet.

MADAME GERVAIS.

Mimi, restez...

MINI, avec impatience.

Je vais ôter tout cela !

MADAME GERVAIS.

Mais, quand je vous dis...

 

 

Scène XII

 

HENRI, MADAME GERVAIS

 

HENRI, retenant Madame Gervais.

Eh ! quoi ! vous me fuyez ?...

MADAME GERVAIS.

Mais... monsieur... des ordres à donner...

HENRI.

Ah ! c’est trop de rigueur !... me refuser un mot, un regard, un sourire, à moi qui donnerais ma vie pour être aimé de vous !...

MADAME GERVAIS.

Que dites-vous, monsieur ?

HENRI.

Oui, madame, oui... je vous aime.

Elle fait un mouvement.

Ah ! vous ne me quitterez pas ainsi !...

MADAME GERVAIS.

Grand Dieu !... est-ce un piège !...

HENRI, avec emportement.

Ce moment où je pourrais m’expliquer, vous ouvrir mon cœur, je l’appelais de tous mes vœux... et je ne le laisserai pas échapper... Eh bien ! oui, c’est l’amour, l’amour seul qui m’a conduit en ces lieux... Qui m’y retient, malgré vos rigueurs... qui me fait braver vos dédains, vos mépris, à moi qui n’y suis pas accoutumé... qui pourrais d’un mot...

D’un ton plus tendre.

Mais non, mon bonheur, je veux le devoir à votre amour, au mien... vous l’avez deviné !... j’en atteste ce soin avec lequel vous m’évitez sans cesse... ce n’était pas de l’indifférence...

MADAME GERVAIS.

Ah ! c’est affreux !...

HENRI, légèrement, passant son bras autour d’elle.

Allons, plus de ces grands airs... un peu d’abandon... je veux croire tout ce que je désire... Vous cédez...

MADAME GERVAIS.

Laissez-moi, monsieur, laissez-moi ! songez à votre oncle !...

Elle regarde autour d’elle.

HENRI, avec entrainement.

Mon oncle... eh ! que m’importe !... mon oncle... que lui importe à lui-même !... il ne viendra pas... apprenez donc...

MADAME GERVAIS, avec effroi.

Monsieur...

HENRI, se reprenant.

Eh bien ! ce n’est que par lui que j’ai pu vous fléchir... ce n’est qu’après lui que j’ai pu pénétrer jusqu’à vous... vous auriez repoussé ma jeunesse, la violence de mon amour vous aurait effrayée... je me suis placé derrière lui... j’ai attendu le moment de parler à mon tour... mais, maintenant, il n’est plus temps de feindre !...

MADAME GERVAIS.

Grand Dieu !... Vous me trompiez tous ?...

HENRI.

Non, non... Dès mon entrée dans cette maison, je me suis trahi !...

MADAME GERVAIS.

Sortez, monsieur !...

HENRI.

Non, il n’est plus en mon pouvoir... au vôtre... Je reste... je vous aime... vous m’aimerez !... vous êtes à moi !...

MADAME GERVAIS.

Ô ciel !... Sortez !... je vous l’ordonne, je le veux !...

HENRI.

Et moi, je veux...

Il s’élance après elle.

MADAME GERMAIS, s’échappant.

Ah !...

Au moment où elle va sortir, la porte s’ouvre et M. Desœillets paraît.

 

 

Scène XIII

 

MADAME GERVAIS, DESŒILLETS, HENRI

 

DESŒILLETS.

Eh bien ! qu’est-ce donc ?... que se passe-t-il ?...

MADAME GERVAIS.

Monsieur !... monsieur !... je sors, laissez-moi...

DESŒILLETS, la retenant.

Comment !... je ne comprends pas... ce trouble !...

HENRI.

Madame me fuyait...

DESŒILLETS, à part.

Parbleu ! je le sais bien !...

MADAME GERVAIS, à Henri.

Oh ! ne m’approchez pas !... un pareil langage... chez moi...

HENRI.

Vous le repoussez en vain... vous n’échapperez pas à mon amour...

MADAME GERVAIS.

Vous l’entendez !

DESŒILLETS.

Qu’est-ce que c’est que ça ?... eh ! mais, mon neveu, vous me la donnez belle !... il vous sied bien de parler ainsi, drôle que vous êtes...

HENRI.

Comment !...

DESŒILLETS.

Taisez-vous !... vous êtes un insensé...

À demi voix.

Un maladroit...

Haut.

Et je vous apprendrai à respecter un oncle comme moi...

À Madame Gervais.

Ne craignez rien !... me voilà !... j’avais l’œil sur lui.

GERVAIS.

Eh ! quoi, monsieur vous saviez...

DESŒILLETS.

Je savais tout, madame !... Est-ce que ce malheureux ne m’a pas avoué qu’il ne pouvait vivre sans vous !... depuis huit jours, il n’existe, il n’est heureux qu’aux lieux où vous êtes !... en votre absence, triste, désolé, il vous cherche, il vous appelle... il s’écrie qu’il mettra à vos pieds, ses jours, sa fortune !...

HENRI.

Une couronne !

DESŒILLETS.

S’il l’avait !...

MADAME GERVAIS.

Quoi ! monsieur, et vous avez permis...

DESŒILLETS.

Je n’ai rien permis... au contraire, malgré son désespoir, sa colère, je lui ai défendu de vous parler de sa folle passion... j’a vais sa parole d’honneur !... et voilà comme il l’a tenue !... je ne sais qui me retient que je ne le... allons, mauvais sujet...

Il le prend au collet.

HENRI, à part, le repoussant.

Malheureux !

DESŒILLETS.

Laissez donc, je vous déguise !...

Haut.

Demandez pardon à madame, et que tout soit fini !...

MADAME GERVAIS.

Jamais !... j’en suis fâchée... mais l’un et l’autre... désormais, monsieur, je ne puis plus vous recevoir !...

HENRI.

Madame...

DESŒILLETS.

Air : Ah ! si Madame me voyait.

C’est juste... Après de tels aveux,

À Madame Gervais.

Mon avis en tout est le vôtre...

À Henri.

Nous ne pouvons plus, l’un et l’autre,
Nous revoir encore en ces lieux !
Sortez, Monsieur !...

HENRI.

Comment !

À part.

L’infâme !

DESŒILLETS.

Car, vous êtes coupable, ici,
D’avoir pu manquer à Madame !...

Bas, à Henri.

Et de n’avoir pas réussi !...

Et une femme aimée de votre oncle !... Sortez, vous dis-je. Sors, malheureux, et ne reparais jamais devant moi... ou je te déshérite !...

HENRI.

Eh ! que m’importe votre héritage !... gardez-le... je m’en moque !... j’aime madame Gervais, je ne puis renoncer à elle... j’en mourrais...

DESŒILLETS.

Vous n’en mourrez pas !...

HENRI.

Eh bien ! non... je reviendrai... elle sera à moi, malgré elle, malgré vous !...

DESŒILLETS.

Va-t’en !... je te donne ma malédiction !...

MADAME GERVAIS, se jetant au devant de Desœillets.

Ah ! monsieur !...

Henri sort.

 

 

Scène XIV

 

DESŒILLETS, MADAME GERVAIS

 

DESŒILLETS, se jetant sur un fauteuil près de la table et avalant un grand verre de vin.

Non, laissez-moi, madame... c’est une infamie !... il abuse de ma faiblesse... mais, c’en est fait... je ne le verrai plus !...

MADAME GERVAIS.

C’est trop peut-être !...

DESŒILLETS.

Non, non !... le drôle... je vous devais... Ah !... le voilà des hérité et maudit !...

À part.

Ce que c’est que d’aller à la comédie !...

MADAME GERVAIS.

Eh bien ! M. Desœillets, voilà ce que je ne puis permettre... tout cela à cause de moi !... et votre neveu...

DESŒILLETS, se levant vivement.

Au fait... il est un peu fou !... mais, il est bon !... vous voulez qu’il revienne ?...

MADAME GERVAIS.

Au contraire, je veux que vous le suiviez... je veux être seule vivre seule !

DESŒILLETS.

Que dites-vous ?...

MADAME GERVAIS.

L’avouerai-je ?... tout m’effraye et m’épouvante !... je ne sais quel péril me menace, mais, je ne suis pas tranquille... entourée de pièges, d’ennemis...

Mouvement de Desœillets.

Oui... cette lettre mystérieuse, ou l’on me fait des offres dont je rougis encore... ces poursuites de votre neveu... ce qu’il me disait ici de ses projets... que vous connaissiez !... oui, vous-même, il semble que vous encouragiez son amour...

DESŒILLETS.

Ô ciel !... mais ; non, non, vous ne le pensez pas !...

MADAME GERVAIS, très ému.

Et, sans défense, sans protecteur, sans ami ! laissez-moi tous !...

Elle va s’asseoir à gauche.

DESŒILLETS, appuyé sur son fauteuil.

Et moi ?... oh ! ce n’est pas à mon âge qu’on trompe... mais, à mon âge on peut aimer encore... ah ! cent fois mieux que dans l’âge des passions... c’est un amour vrai... c’est le dernier !... Vous ne me croyez pas ?...

MADAME GERVAIS.

Si fait !... j’ai besoin de vous croire !... ah ! cette position est trop affreuse !... vous ne voulez pas me tromper, vous m’aimez ?... eh bien ! je m’abandonne à vous.

Elle se lève.

Vous savez quels sont mes vœux, vous m’avez laissez comprendre les vôtres... écoutez moi... vous le savez... M. Dupuis devait épouser ma cousine, cette nuit, tout était prêt... Il retarde son mariage... je n’ai rien décommandé... la chapelle, l’aumônier, les témoins, tout le monde nous attend... on va venir nous chercher...

DESŒILLETS.

Eh bien ?

MADAME GERVAIS.

Qu’un mariage se fasse... et que ce soit le nôtre...

DESŒILLETS.

Le nôtre !

MADAME GERVAIS.

Voici ma main, elle est à vous !

DESŒILLETS.

Permettez...

MADAME GERVAIS.

C’est ma condition... elle est irrévocable !... Vous acceptez... ou tout est rompu... vous sortez de ces lieux avec votre neveu, et je ne vous revois jamais !...

DESŒILLETS.

Madame !...

À part.

Diable !... la chapelle, le prêtre, les témoins, tout est faux... il nous l’a dit... c’est un tour de page... mais il est trop fort !...

MADAME GERVAIS.

Vous ne répondez pas ?...

DESŒILLETS.

Mais, un mariage si prompt, si inattendu... ne pouvons nous... sans presser une cérémonie... inutile...

MADAME GERVAIS.

À lieu, Monsieur, adieu !...

DESŒILLETS.

Madame !...

On entend la ritournelle du final.

MADAME GERVAIS.

On vient pour le mariage.

DESŒILLETS, à part.

Impossible !...

 

 

Scène XV

 

HENRI, dans la foule, DESŒILLETS, MADAME GERVAIS, PELLEVIN, MIMI, LA NOCE

 

Final. 

Air : Fragment du premier final de la Fiancée.

CHŒUR.

Chantons l’hymen, sa douce ivresse,
Quel beau moment ! quel jour heureux !
Qu’à les fêter chacun s’empresse,
Pour leur bonheur formons des vœux.

PELLEVIN.

Nous voici, l’heure nous appelle.
Partons vite pour la chapelle.

MIMI, pleurant.

Nous n’irons pas.

TOUS.

Il se pourrait ?

MIMI, de même.

Monsieur Dupuis...

PELLEVIN.

Hein ? que dit-elle ?

MADAME GERVAIS.

Le mariage est remis en effet.
Monsieur Dupuis nous écrit un billet
Pour s’excuser.

MIMI, aux invités.

Douleur cruelle !
J’avais déjà le chapeau, le bouquet,
Et ma toilette était si belle !

PELLEVIN.

Comment, mon gendre ?...

MADAME GERVAIS.

Il ne peut cette nuit.

PELLEVIN.

Et la raison ?

MADAME GERVAIS, elle lui donne la lettre.

Voyez ce qu’il écrit.

Pendant qu’il lit, le chant cesse, la musique continue.

HENRI, de l’autre côté, à part, à Desœillets.

Eh bien ?...

DESŒILLETS, de même.

Tout est fini !...

HENRI.

Malheureux !...

DESŒILLETS.

Il n’y a qu’un moyen...

HENRI.

Emploie-le !... sans toi, je ne l’aurais jamais aimée... rends la moi... ou je ne te revois plus !

DESŒILLETS.

Vous le voulez !... eh bien, ma foi !...

Le chant reprend.

PELLEVIN, aux invités.

Jusqu’à demain, amis, il faut attendre,
Soumettons-nous.

GERVAIS, les congédiant.

Adieu donc !

DESŒILLETS, les arrêtant.

Un instant !
C’est un hymen qu’ici chacun attend.
Amis, moi je veux vous le rendre.

PELLEVIN.

Voulez-vous devenir mon gendre ?

DESŒILLETS.

Non... Madame, à sa main, m’a permis de prétendre.

MADAME GERVAIS.

Oui... je vous la donnais.

DESŒILLETS.

Eh bien, moi, je la prends.

HENRI, bas.

Que dit-il ? que fais-tu ?

DESŒILLETS, de même.

Paix donc ! je vous la rends.

PELLEVIN.

Le gaillard a bien su s’y prendre.

CHŒUR.

Chantons l’hymen, sa douce ivresse,
Quel beau moment ! quel jour heureux !
Qu’à les fêter chacun s’empresse,
Pour leur bonheur formons des vœux.

Desœillets donne la main à Madame Gervais. On se dispose au départ.

 

 

ACTE II

 

Un salon de campagne ; une petite porte à gauche sur le premier plan, et, sur le second, du même côté, une porte à deux battants ; à droite, autre porte ; fenêtres et porte au fond donnant sur un jardin orné pour une fête ; une table disposée pour écrire ; fauteuils.

 

 

Scène première

 

MIMI, MADAME GERVAIS, PELLEVIN, PAYSANS et DOMESTIQUES au fond décorant le jardin

 

MADAME GERVAIS, entrant conduite par Pellerin ; elle est en mariée.

C’est bien, mes amis, c’est bien !... je vous remercie de vos compliments et de vos fleurs... Germaine, portez du vin dans le bosquet de tilleuls... Allez, mes amis, et dès que mon mari sera arrivé, je vous rejoindrai avec lui. Les paysans sortent.

PELLEVIN.

Qu’est-ce donc, cousine, vous soupirez ?... est-ce que vous n’êtes pas heureuse ? est-ce que vous n’êtes pas contente ?...

MADAME GERVAIS.

Oh ! je ne dis pas cela... mais, mon mari, qui a voulu que la fête et lieu ici... dans cette maison... et qui, plutôt que de me suivre...

PELLEVIN.

Vous a quitté... au fait, c’est drôle !

Air de Catinat.

Il s’en va comme il est venu,
Après la noce, tout de suite ;
Ma foi ! je n’aurais pas voulu,
À sa place, partir si vite.
Du bien que l’on vient d’obtenir,
Nous devons être plus avares ;
Et sur le bonheur à venir,
J’aurais voulu prendre des arrhes.

Mais, un peu de patience ! ses affaires l’appelaient à Sèvres... et il doit vous rejoindre à Suresnes...

MIMI.

Mais, il y est déjà venu !

MADAME GERVAIS.

Monsieur Desœillets ?

MIMI.

Sans doute... vous savez, vous m’aviez envoyée en avant pour tout mettre en ordre... il était ici, il visitait la maison... il distribuait les chambres... il a choisi pour les mariés celle qui est au bout de ce corridor... la chambre bleue... et même, il a cassé votre jolie lampe de nuit qui était sur la cheminée.

MADAME GERVAIS.

Et comment cela ?

MIMI.

Je ne sais... une maladresse... 

PELLEVIN.

Ah ! ça, Mimi, ou t’a-t-il logée, toi ?

MADAME GERVAIS, montrant la petite porte.

Ici, sans doute... cette pièce donne par une petite porte dans mon alcôve...

MIMI.

Il en fait son cabinet.

PELLEVIN.

C’est juste... heureux cousin ! il n’aura qu’un pas à faire !...

À Madame Gervais.

Eh bien ! eh bien ! encore cet air de tristesse !... de la gaieté, cousine !...

On entend du bruit, Mimi remonte la scène.

MADAME GERVAIS.

Oui, vous avez raison !... Eh ! mais, quel bruit !... que se passe-t-il donc ?...

 

 

Scène II

 

MIMI, MADAME GERVAIS, HÉLÈNE, PELLEVIN

 

HÉLÈNE.

Eh ! oui, c’est moi... Hélène Briolet... son amie !

MADAME GERVAIS.

Hélène !...

PELLEVIN.

L’infortunée de Brive-la-Gaillarde !

HÉLÈNE, très gaiement.

C’est toi, bonjour, mon ange ; comment te portes-tu ?... bien... toujours belle...

Apercevant Pellevin.

Tiens ! c’est le père Pellevin... bonjour, mon vieux !

PELLEVIN.

Mademoiselle...

HÉLÈNE.

Mademoiselle !... encore un qui se moque de moi !...

MADAME GERVAIS...

Y penses-tu ?...

HÉLÈNE, légèrement.

Oh ! il n’y pas de mal, j’y suis habituée... Demoiselle, je l’ai été, je ne le suis plus et ça revient au même... Malheureusement.

Changeant de ton.

Ah ! mes amis !... j’ai versé bien des larmes !...

Elle essuie des larmes.

MADAME GERVAIS.

Pauvre Hélène !

HÉLÈNE, pleurant.

Une pauvre jeune fille, mariée à un scélérat qui l’a plantée là, pour ne plus la revoir... ah !

PELLEVIN.

Mais, vous l’avez retrouvé !...

HÉLÈNE.

Eh ! mon Dieu ! pas encore... mais je suis sur sa trace et si je le tiens une fois ! je viens à Paris tout exprès pour faire du bruit... j’irai au parlement, au roi lui-même !...

MADAME GERVAIS.

Mais enfin, où est-il ?... que fait-il ?...

HÉLÈNE.

Ce qu’il fait !... rien de bon !... ce qu’il est... il est abbé !

PELLEVIN et MADAME GERVAIS.

Abbé !...

HÉLÈNE.

Oui, abbé... tout ce qu’il y a de plus abbé... depuis longtemps je le savais, mais je n’osais pas me l’avouer à moi-même... un mari abbé, qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse !....

MADAME GERVAIS.

Je ne reviens pas de ma surprise !

PELLEVIN.

C’est un conte !...

HÉLÈNE.

Rien de plus vrai : Vous le savez bien, jeune encore, j’étais demoiselle de compagnie chez Monsieur Defermont. Il y avait près du fils de la maison, un petit précepteur, bien laid, bien mauvais sujet... mais, bien aimable !... trop aimable, peut être !... M. Defermont, qui s’en aperçut, me dota et lui ordonna de m’épouser ou de sortir de chez lui. On dit qu’il était déjà dans les ordres... le moyen de le savoir !... il ne faisait pas même sa prière... le drôle fut tenté par la dot, il m’épousa, et huit jours après, il décampa avec elle ! impossible de le découvrir !... je restai privée de tout !... et pendant que je me recommandais à Dieu, lui, se donnait au diable !... il paraît qu’il a fait fortune... qu’il vit à Paris, dans le luxe et les plaisirs... c’est du moins ce que me mande une personne qui n’ose m’en dire davantage ; mais, puisqu’il est en évidence, j’aurai de ses nouvelles !... ne voilà !... il a beau me renier, je suis sa femme, je le crierai partout... je l’imprimerai s’il le faut, et je signerai : Madame l’abbé Dubois !

PELLEVIN.

Dubois !... l’abbé Dubois !... est-ce que ce serait le précepteur de Duc d’Orléans... son âme damnée ?...

MADAME GERVAIS.

Y pensez-vous !

HÉLÈNE.

Celui-là ou un autre, ça m’est égal... je le découvrirai, je le poursuivrai... si du moins, il me faisait passer quelques douceurs... une pension... un bon revenu... je ne dis pas... parce qu’enfin, l’argent, ça console... mais, non, rien du tout, ma chère !

Air : Que de mal, de tourment.

Que de maux, que d’ennuis !
Quels jours et quelles nuits,
J’ai passés au fond de ma retraite,
Depuis qu’époux flambe,
Ce scélérat d’abbé
Est parti sans tambour, ni trompette !
Si vous saviez tous deux
Combien il est affreux,
D’avoir toujours ainsi
Un absent pour mari,
Lorsqu’à tant de malheurs
On joint encor des mœurs !
Lorsque l’on a des mœurs !
Je languis, je maigris,
Et je viens à Paris
Pour avoir, du moins, un vrai veuvage !
Je veux qu’il soit pendu !
Ce plaisir m’est bien dû,
Ce sera, depuis mon mariage,
Le seul plaisir complet
Que l’abbé m’aura fait !

PELLEVIN.

Pendu !... bravo !... Il faut que ce soit aux piliers des Halles... je louerai mes fenêtres.

MADAME GERVAIS.

Tu es folle !...

HÉLÈNE, toujours gaiement.

Tu ne sais pas ce que c’est que d’être enchaînée à un individu qui ne peut-être votre mari, ni en public, ni en particulier !... oh ! les hommes ! les hommes ! ce sont des monstres !...

PELLEVIN.

Merci !...

HÉLÈNE.

Tu es heureuse, toi !... tu es libre, tu peux le remarier.

PELLEVIN.

C’est fait !...

HÉLÈNE.

Hein ?... qu’est-ce qu’il dit le vieux père ? tu es remariée ?

MADAME GERVAIS.

De ce matin.

HÉLÈNE.

Et ton mari ?...

MADAME GERVAIS.

Je l’attends.

HÉLÈNE.

Comment ! est-ce qu’il se fait aussi attendre !... un mariage !... c’est donc ça que chez toi, là-bas, à Paris, j’ai trouvé à tout le monde un air de fête... on m’a dit que tu étais à Suresnes... moi, qui étais impatiente de t’embrasser, je ne me le suis pas fait répéter deux fois... j’ai lancé mon fiacre jusqu’ici, au grand galop... deux rosses qui en mourront... j’espérais que tu m’aiderais dans mes démarches... mais, tu es de noce et l’on ne peut se passer de toi... je ne veux pas t’enlever à ton mari pour courir après le mien... adieu donc, indique-moi seulement un avocat.

MADAME GERVAIS.

Comment ! nous quitter ainsi !

PELLEVIN.

C’est impossible !

HÉLÈNE.

Je n’ai pas une minute à perdre !

MADAME GERVAIS.

Bon ! vingt-quatre heures !... donne-les-moi, ce soir, je te présente à mon mari, et demain, je t’accompagnerai où tu voudras, à Versailles s’il le faut.

PELLEVIN.

Justement... j’ai mon gendre futur, Monsieur Dupuis, huissier du cabinet du Duc d’Orléans, qui sera bientôt le maître... il pourra vous servir.

HÉLÈNE.

Vrai !... vous lui parlerez pour moi !... je le verrai !

MADAME GERVAIS.

Aujourd’hui même !

HÉLENE.

Eh ! bien, j’accepte !

PELLEVIN.

Ainsi vous restez à la noce ?

HÉLÈNE, gaiment.

Une noce ! une noce !... non, je ne peux pas voir un mariage sans que ça me fende le cœur !... ça me rappelle le mien ! et puis, ce costume de voyage...

MADAME GERVAIS.

Cela me regarde... j’ai ici, ce qu’il te faut, je me charge de ta toilette... viens...

PELLEVIN.

Allez vite et je vous retiens pour le premier menuet !...

HÉLÈNE.

Le menuet ! j’en raffole !

Dansant.

Air du procès du Baiser.

Glissez,
Passez,
Tournez en cadence ;
Rien n’est
Coquet
Comme un menuet :
Par goût,
Surtout,
J’aime cette danse,
Ses pas,
Ses lacs
Sont remplis d’appas !

Pleurant.

Femme abandonnée,
Aux pleurs condamnée, 
Sur ma destinée,
Que j’en répandis !

Gaiement.

Mais de la vengeance
Je vois l’espérance ;
Heureuse d’avance,
Au chagrin je dis :

Passez ;
Glissez,
Tournez en cadence ;
Rien n’est
Coquet, etc.

Pellevin reprend le refrain en dansant avec elle ; puis elle entre dans la chambre à gauche, avec Madame Gervais. Pellevin sort par le fond.

 

 

Scène III

 

MIMI, seule

 

Dépêchez-vous ! le bal va bientôt commencer !... dieu que c’est gentil une noce ! ces chants, ces fleurs, et cette toilette de mariée !... Quand je pense que ce devrait être moi...

Air : Voilà trois ans qu’en ce village. (Léocadie.)

Hélas ! encore un mariage,
Et pourtant ce n’est pas le mien !
J’ai seize ans... on dit qu’à cet âge,
On doit former un doux lien,
J’en pleurerais si ce n’était le sien !
Chacun se dit : Voilà la jeune épouse,
C’est la Reine de ce beau jour...
Ce n’est pas que je sois jalouse ;
Mais, mon Dieu, quand viendra mon tour ?

Tout le village vous regarde ;
Le bailli vous donne la main ;
Le suisse, avec sa hallebarde,
Devant vous, ouvre le chemin ;
Viennent après bedeaux et sacristain.
L’on paraît belle comme un ange :
Beau voile, gants blancs, robe à jour ;
Que ça va bien, la fleur d’orange !...
Ah ! mon Dieu, quand viendra mon tour ?

 

 

Scène IV

 

HENRI, MIMI

 

HENRI, entrant par le fond.

C’est ici... cette maison de Suresnes.

Apercevant Mimi.

Ah ! Mademoiselle...

MIMI.

Monsieur Henri !...

HENRI.

Votre cousine... Madame Gervais... où est-elle ?

MIMI.

Là, dans la chambre à coucher.

HENRI.

Ciel !... et son mari... M. Desœillets ?...

MIMI.

Mon Dieu ! qu’est-ce donc ? comme vous êtes pâle !...

HENRI.

Est-il arrivé ?... est-il là ?...

MIMI.

Non, pas encore.

HENRI.

Ah ! je respire !...

MIMI.

Pendant la cérémonie... on lui a remis un billet qui l’a forcé à partir sur le champ... mais, vous le savez... vous étiez là, vous aviez l’air bien malheureux... ce n’est pas vous qui lui ayez écrit ?

HENRI, sans l’écouter.

Et il n’a pas revu Madame Gervais ?

MIMI.

Non... à moins qu’à Paris, en mon absence...

HENRI.

Comment ! vous croiriez ?...

MIMI.

Mais, dites-moi, M. Dupuis... il ne revient plus... vous m’avez dit hier un mot que je ne comprends pas... c’est égal, je l’ai retenu... J’arrangerai cela... Vous l’avez dit !...

HENRI.

Oui, c’est vrai... je me rappelle... en effet je veux du bien à M. Dupuis... j’ai un peu de crédit... auprès de ses chefs... je lui ferai donner un congé, s’il en a besoin... mais, a une condition... vous allez guetter son arrivée...

MIMI.

De M. Dupuis ?...

HENRI.

Non de l’abbé... je veux dire de M. Desœillets... et vous m’en préviendrez... allez...

MINI, à part.

C’est singulier !... il me dit ça d’un air... j’y vais, j’y vais.

Elle sort par le fond.

 

 

Scène V

 

HENRI, seul

 

S’il l’avait revue !... s’il osait... ah ! le malheureux !... je suis jaloux de lui, j’étouffe, je ne puis rester en place... il a reçu mon billet, il s’est éloigné, il a obéi... c’est bien ! mais ce mariage tout supposé, tout ridicule qu’il est, lui livre celle que j’aime plus que je n’ai jamais aimé !... il respectera ses charmes... il l’a juré... mais, tient-on de pareils serments ?... un homme comme lui !

Regardant par la porte à droite.

Elle est là... chez elle... je reste en sentinelle !...

 

 

Scène VI

 

DESŒILLETS, HENRI

 

DESŒILLETS.

Il me demande ?...

HENRI.

Ah ! c’est toi !...

DESŒILLETS, froidement.

Oui, j’ai un peu tardé... mais enfin, j’arrive... on doit m’attendre...

HENRI.

Et quel est ton projet ?...

DESŒILLETS.

Mon projet... mais, il est tout simple... ma femme est ici... je viens la rejoindre...

HENRI.

Que dis-tu, malheureux ?... mais, tu le sais, dans ce mariage... tout est faux.

DESŒILLETS.

Raison de plus pour finir par une vérité...

HENRI.

Eh ! quoi ! tu oserais ?... mais, non... tu crains ma vengeance ! Trompe-moi, vole-moi, pille-moi... à la bonne heure !... mais morbleu ! respect à mes plaisirs... souviens-toi de tes promesses... C’était pour moi que tu la trompais... c’était pour assurer mon bonheur... je ne sais comment... mais, enfin... tu l’as juré !...

DESŒILLETS.

C’est possible... j’ai juré tant de choses que je n’ai pas tenues !... et ce matin j’ai changé d’avis... il m’a semblé que puisque je me damnais, il valait mieux que ce fût pour mon propre compte... que pour un ingrat.

HENRI.

Un ingrat !

Air : Il me faudrait quitter l’empire.

Prends garde, je vois l’artifice
De la scène que tu me fais...
Car je ne sais aucun service.
Que ma bonté n’ait couvert de bienfaits,
Et j’ai souvent rougi de ses effets.
À voir la splendeur importune
Dont grâce à moi tu parais revêtu,
Il semblerait que la fortune
Veut faire enrager la vertu.

Tu cherches un prétexte pour me trahir !

DESŒILLETS.

Vous trahir !... si je l’avais voulu, il y a longtemps que je m’en serais passé la fantaisie... et, en ce moment encore, la duchesse du Maine, qui veut faire son mari régent, m’achèterait plus cher que vous ne me paierez jamais... Ah ! c’est que pour elle je suis plus qu’un homme de plaisir... un homme d’intrigue, qui remuerait Paris, la France, l’Europe s’il le fallait pour vous donner la régence.

HENRI.

Ah ! parbleu ! je le sais bien !

DESŒILLETS.

Vous le savez !... et pourtant, vous avez réuni vos partisans, vous leur avez tout promis, tout donné... les conseils de régence sont formés, les ministres sont nommés... et moi, rien... mordieu ! rien !

HENRI.

Comment ! ce n’est que cela ?... mais que veux-tu ?... on crierait contre moi.

DESŒILLETS.

On crierait ? et qui donc ?... la cour ? le clergé ?... ils en ont bien vu d’autres... le peuple ?... que lui importe !... le haineux Richelieu la saigné comme un bourreau ; l’hypocrite Mazarin l’a pillé comme un arabe, et, vices pour vices, le peuple doit préférer ceux qui ne font de mal à personne, et qui font du bien à tant de monde... à vous tout le premier.

HENRI.

Eh ! mon Dieu ! fais-toi ministre comme eux... cardinal même... je ne demande pas mieux ; mais, viens à mon secours... tiens tes promesses...

DESŒILLETS.

Tiendrez-vous les vôtres ?

HENRI.

Je te le jure !... Si tu savais tout ce que j’ai souffert depuis ce matin !... il me semblait que ce bien allait m’échapper... que tu voulais me le ravir... J’étais inquiet... soupçonneux...

DESŒILLETS...

Ah ! c’est mal !... me soupçonner d’aller sur vos brisées... vous qui allez sur les miennes... Rappelez-vous la réponse de ce vieux roi, qui ne veut pas mourir, à sa vieille dévote de Maintenon... je n’ai jamais aimé les dévotes, qui me le rendent bien !... La marquise m’accusait d’aimer le jeu, le vin et les femmes !... « Je le sais, lui répondit le royal héritier de Scarron ; mais convenez du moins que l’Abbé ne perd, ne s’enivre et ne s’attache jamais !... » C’est vrai... Madame Gervais est belle assurément, et je ne dis pas... mais

Air de Calpigi.

Désormais tous deux, il me semble
Que nous sommes liés ensemble,
Car nous avons fait un traité
Qui, par moi, sera respecté.
Vous le savez bien, je me flatte
D’être un habile diplomate,
Et je tiens toujours un serment...
Quand je ne puis faire autrement.

HENRI.

Voyons... quels sont tes projets... quel est ton plan ?

DESŒILLETS.

Vous le saurez... plus tard...

Montrant le cabinet.

Là... en attendant, écrivez-moi un billet qui m’annonce votre départ pour Bordeaux...

HENRI.

Comment ?...

DESŒILLETS, disposant tout pour écrire.

Il le faut... pour éloigner les soupçons...

HENRI.

Tout ce que tu voudras... je m’abandonne à toi.

Il passe à la droite près de la table.

DESŒILLETS.

Des adieux bien tendres... une lettre bien sentimentale... cela vous est si facile !

 

 

Scène VII

 

HENRI, DESŒILLETS, DUPUIS

 

DUPUIS.

Quel air de fête !... des bouquets partout !...

DESŒILLETS.

Ah ! c’est Ravannes !...

DUPUIS.

Pardon !... on m’invite à me rendre ici... Que s’est-il donc passé ?...

HENRI, à la table.

C’est bien, Ravannes... vous avez renoncé à ce mariage... je suis content de toi !...

Il écrit.

DESŒILLETS, à part.

Moi... c’est différent... il en profite !...

DUPUIS, s’inclinant.

Prince, quand j’ai compris que cela pouvait déplaire à votre Altesse...

DESŒILLETS.

Comment, vrai !... c’est un remords !

DUPUIS, bas à Desœillets.

Chut !... vous ne savez pas... une idée de la famille.

Air de Marianne.

Au lieu de ce faux mariage
Que j’avais préparé pour moi,
C’en était un selon l’usage,
Mariage de bon aloi.

DESŒILLETS.

Qu’ai-je entendu ?...

HENRI.

Hein ? que dit-tu ?...

DESŒILLETS.

Rien.

À part.

J’en mourrai !

À Dupuis.

Tout est faux ?...

DUPUIS.

Tout est vrai !

DESŒILLETS.

La chapelle ?...

DUPUIS.

Oui !

DESŒILLETS.

Le prêtre !...

DUPUIS.

Aussi !
C’était, je crois,
Leur confesseur.

DESŒILLETS, pâle et défait.

Tais-toi.

HENRI, lui remettant le billet.

Tiens, lis, abbé... puisque tu mènes
Si bien mes affaires...

DESŒILLETS.

Vraiment !...

À part.

Mais c’est le diable, assurément,
Qui s’est mêlé des miennes !

HENRI.

Eh ! mais, qu’as-tu donc ?... comme le voilà pâle.

DUPUIS.

En effet...

DESŒILLETS.

Moi !... pas du tout... je n’ai rien...

À part.

Dieu ! s’ils savaient !...

 

 

Scène VIII

 

HENRI, PELLEVIN, DESŒILLETS, DUPUIS

 

PELLEVIN.

Ah ! mes compères, je vous trouve à propos !... venez donc animer la fête !... Une noce sans mariés, ça ne va guères !...

DUPUIS.

Une noce !...

PELLEVIN.

Ah ! c’est toi, mon garçon !...

À Desœillets.

Bonjour, cousin...

À Dupuis.

Tu ne sais pas... en ton absence, les préparatifs n’ont pas été perdus... Madame Gervais a pris la place de ma fille, et monsieur Desœillets la tienne... ils sont mariés !...

DUPUIS.

Vous !

DESŒILLETS, lui serrant la main, à part.

Silence !...

DUPUIS, à part.

Ah ! mon Dieu ! je comprends !...

PELLEVIN, à Henri.

Et vous, jeune homme, vous êtes des nôtres... De la gaieté, morbleu !... moi, je suis un gaillard... Mais, où sont ces dames... la mariée ?...

À Desœillets.

Vous l’avez vue ?...

DESŒILLETS.

Non... non... pas encore.

PELLEVIN.

Je vais la chercher...

Revenant près de Dupuis.

À propos, elle n’est pas seule... car, Dupuis, il faut que je le dise, nous avons quelqu’un à te présenter... à le recommander... une pauvre femme bien malheureuse...

Avec un rire étouffe.

La femme d’un coquin d’abbé... d’un abbé Dubois...

DESŒILLETS.

Hein ?...

DUPUIS.

Qu’est-ce que vous dites là ?...

HENRI.

Comment !... de l’abbé Dubois., du Palais-Royal ?

DESŒILLET, vivement.

C’est faux... c’est impossible !...

PELLEVIN.

Oh ! celui-là... je ne dis pas...

Riant.

Quoiqu’il en soit bien capable !... C’est une drôle d’aventure... elle vous contera ça... C’est pour faire pendre son perfide qu’elle arrive tout exprès de Brive-la-Gaillarde.

DESŒILLETS, à part.

Ah ! mon Dieu !

PELLEVIN.

C’est bien la malheureuse la plus gaie !... une petite femme qui n’est pas mal du tout...

Remontant la scène.

Eh, tenez, la voyez-vous là-bas, comme elle danse... à gauche !...

DESŒILLETS, à demi voix.

Ma femme !

HENRI.

Tu dis ?...

DUPUIS, à part, riant.

Sa femme !...

PELLEVIN, entre Henri et Desœillets.

La femme de l’abbé... je l’ai retenue... mais je cours prévenir ces dames... et puis, après, en avant le feu d’artifice et la danse !... D’abord, il faut s’amuser à la noce... ça porte bon heur aux mariés... et puis, il y a là des petites filles jolies, jolies !... le sang est superbe, dans la famille... et si le cœur vous en dit... à un autre !

Air : Gai, gai, etc.

Gai, gai, marions-nous !
On a beau rire
Et médire,
Gai, gai, marions-nous,
Il faut bien y passer tous !

L’hymen est comme un duo,
Lorsque la chanson commence...
Mais plus tard, on a la chance
De la chanter en trio.

TOUS.

Gai, gai, marions-nous, etc.

DUPUIS, poussant le bras à Desœillets.

Convenez, maris heureux,
Qu’il est souvent agréable
D’envoyer sa femme au diable !
Surtout quand on a deux !

PELLEVIN.

Raison de plus.

TOUS.

Gai, gai, marions-nous, etc.

Pellevin sort. Henri et Dupuis éclatent de rire. Desœillets est furieux.

 

 

Scène IX

 

HENRI, DESŒILLETS, DUPUIS

 

HENRI, tombant sur un fauteuil.

Ah ! ah ! ah ! ta femme !... j’en rirai toute ma vie !

DESŒILLETS.

Mais, non... je vous le jure !...

HENRI.

Oh ! ne le lâche pas... ah ! ah ! ah !...

DUPUIS, à demi-voix.

Ah ! ah ! ah ! dites donc, et l’autre.

DESŒILLETS, avec colère.

Veux-tu te taire !...

À Henri.

Et vous, Prince, riez, riez... c’est fort plaisant pour moi... et pour vous... car, bien certainement, je ne resterai pas ici... je me sauve !...

HENRI, le retenant.

Y penses-tu ? m’abandonner ainsi dans ma position !...

DESŒILLETS.

Et la mienne !... si cette maudite femme s’est mis dans la tête que je suis son mari... ce qui n’est pas au moins... je défie qu’on en ait la preuve.

À part.

Et pour raison !...

Haut.

Mais, je sais qu’il y a une espèce de folle qui s’attache à mes pas... qui croit m’effrayer... du reste, pas de conduite... des amants qui l’animent contre moi... si elle me trouve ici, elle me reconnaîtra, elle criera... et nous sommes tous perdus !... bonsoir...

HENRI.

Ah ! reste !... et Madame Gervais...

DESŒILLETS.

Oh ! pour elle... ce n’est qu’une plaisanterie... une simple plaisanterie... entendez-vous.

HENRI.

Non, tu ne me quitteras pas ainsi ! mon sort est dans tes mains... tu m’as fait des promesses, tu les tiendras... ou je ne te revois jamais !

DESŒILLETS.

Air : Je loge au quatrième étage.

Quoi ! me trouver entre deux femmes,
Ou, pour mieux dire, entre deux feux !
Non pas, j’éviterai ces dames :
Je tiens à conserver mes yeux.
Si j’échappe à la châtelaine,
Mon Hélène m’attend, hélas !

DUPUIS.

Vraiment ? elle se nomme Hélène !

DESŒILLETS.

Et moi, je suis son Ménélas.

Écoutez, il y un moyen, un seul d’empêcher l’éclat qui perdrait tout !... voilà Ravannes, il est jeune, adroit, spirituel... il faut qu’il nous débarrasse de madame... c’est-à-dire de cette femme !...

DUPUIS.

Moi !...

HENRI.

Tu as raison !...

DUPUIS.

Mais, comment ?

HENRI.

Air : Est-il supplice égal.

Prix de ton dévouement,
Je t’offre un régiment.

DESŒILLETS.

Allons, enfant, courage !

DUPUIS.

Quoi ! le don est formel ?

HENRI.

Je te fais colonel.

DESŒILLETS.

Un dernier tour de page !

HENRI.

Tu vois le prix...

DUPUIS.

Volontiers, j’y souscris.
Bientôt, gagnant la plaine,
Nouveau Pâris,
En invoquant Cypris,
J’enlève votre Hélène !

Ensemble.

DUPUIS.

Ah ! vraiment, c’est charmant,
Avoir un régiment !
Un tel prix m’encourage.
Oui, le don est formel,
Me voilà colonel :
Un dernier tour de page.

HENRI et DESŒILLETS.

Prix de ton dévouement,
Accepte un régiment.
Allons, enfant, courage !
Oui, le don est formel,
On te fait colonel :
Un dernier tour de page.

DESŒILLETS.

Mes femmes, je me sauve !

Il s’échappe en courant et entre dans la chambre à droite.

HENRI.

Je suis ici chez mon oncle... et, j’invite la mariée à danser.

À Ravannes.

On t’a chargé de l’enlèvement d’Hélène, enlève-la !

 

 

Scène X

 

HÉLÈNE, MADAME GERVAIS, HENRI, DUPUIS

 

On apporte deux bougies.

MADAME GERVAIS.

Mais, viens donc, il est arrivé et je veux...

Apercevant Henri.

Ah !...

HENRI.

Pardon !... madame... mon oncle m’a dit que vous aviez bien voulu permettre...

MADAME GERVAIS, sans le regarder.

Je croyais trouver ici M. Desœillets...

DUPUIS, allant à Madame Gervais.

Il vient de nous quitter... mais, on m’a dit, Madame, que je pouvais être utile à quelqu’un de vos amis...

MADAME GERVAIS.

En effet, M. Dupuis...

HÉLÈNE, passant à Dupuis.

Comment ! est-ce que Monsieur serait l’huissier du cabinet... le gendre de M. Pellevin ?... oui ! ah ! mon Dieu !... mon Dieu !... monsieur, que je suis aise de vous rencontrer... vous êtes jeune, et la jeunesse est si bonne, si aimable !... j’ai toujours aimé la jeunesse... aussi, vous ne me refuserez pas le petit service que j’attends de vous... on vous à parlé de moi...

S’attendrissant.

Hélas ! vous voyez une pauvre femme trahie, abandonnée par un perfide qui m’a épousée avec la croix et la bannière et qui ma laissée là pour elles... je viens le poursuivre, le dénoncer, le forcer à une reconnaître... vous m’aiderez, on me l’a promis...

Prenant un air gracieux.

Et, croyez, Mon sieur, que je serai éternellement reconnaissante de la bonté que vous aurez eue pour votre très humble et très obéissante servante, Hélène, femme Dubois !...

DUPUIS.

Madame...

HENRI, à part.

Ah ! ça, mais, c’est un moulin à paroles que la femme à l’abbé !...

MADAME GERVAIS.

C’est bien... M. Dupuis t’indiquera la marche à suivre... mais, plus tard.

HÉLÈNE.

Tout de suite... j’aime mieux ça !...

MADAME GERVAIS.

Cette indiscrétion...

DUPUIS.

Pas du tout... Madame a raison... il se présente aujourd’hui même une occasion qu’on ne retrouverait peut-être jamais...

HÉLÈNE.

Laquelle !... je m’y cramponne !...

DUPUIS.

Monseigneur le Duc d’Orléans est à Saint-Cloud ce soir... mais seul... l’abbé Dubois, qui pourrait bien être le vôtre...

HÉLÈNE.

Oh ! ce serait trop heureux ! 

MADAME GERVAIS.

Comment !

HÉLÈNE.

Sans doute... la fortune...

HENRI, à part.

Voilà deux époux qui aiment l’argent en diable !...

DUPUIS.

L’abbé Dubois est à Paris... Saint-Cloud est près d’ici... il y a en bas un carrosse, je le prends... en une heure, j’y conduis Madame, je la présente au prince et je la ramène à Suresnes avant la fin du bal.

HENRI.

Voilà un plan qui me paraît très bien...

HÉLÈNE.

Et à moi aussi !...

MADAME GERVAIS.

Pourquoi ne pas-remettre à demain ?

DUPUIS.

Demain, Madame, je ne réponds plus de rien !

HENRI.

Madame regrettera peut-être le bal ?...

HÉLÈNE.

Je l’ai ouvert avec Pellevin... et, je viendrai le finir avec toi, si tu veux, mon garçon... je serai bien gaie, bien légère... surtout si j’ai obtenu justice de mon abbé.

HENRI.

Je vous conseille de ne pas l’épargner !...

HÉLÈNE.

Sois tranquille, mon fils... la vengeance sera bonne... il y a assez longtemps que je pleure, il faut que je me fasse rire à mon tour !... partons.

DUPUIS.

Je suis à pos ordres !...

MADAME GERVAIS.

Tu nous reviendras !...

DUPUIS.

Dans une heure !...

HENRI.

Madame, voulez-vous accepter ma main pour passer à la danse ?

MADAME GERVAIS, sans le regarder.

Attends-moi, Hélène... je t’accompagne jusqu’à la voiture.

Air : Petit blanc.

HENRI.

Quel dédain ! Ah ! Madame !...

MADAME GERVAIS.

Sortons !

HÉLÈNE, lui montrant Henri.

Mais un aveu...
Je crois lire, en ton âme,
Que c’est là ce neveu
Qui t’intéresse un peu.

MADAME GERVAIS, bas.

Ah ! tais-toi, je t’en prie,
N’ai-je pas fait un choix ?
Je le hais !

HÉLÈNE.

Pauvre amie,
Pas tant que tu le crois.

DUPUIS, parlant.

J’ai gagné mon régiment !

Ensemble.

HÉLÈNE et DUPUIS.

Suivez-moi,  } partons vite,
Guidez-moi, }
Le temps presse, il le faut ;
À regret je vous quitte ;
Nous reviendrons bientôt.

MADAME GERVAIS, à part.

Laissons-le, partons vite ;
Et cachons, il le faut,
Qu’à regret je le quitte,
Mais qu’il parte bientôt !

HENRI.

Je le vois, je l’irrite,
Mais restons, il le faut ;
À regret on me quitte,
Je le saurai bientôt.

Dupuis entraine Hélène ; Madame Gervais sort avec eux par le fond.

HENRI, seul.

Pas un mot, pas un regard, et cependant elle est émue !...

 

 

Scène XI

 

HENRI, DESŒILLETS

 

DESŒILLETS, sortant avec précaution.

Elle est partie ?...

HENRI.

À l’instant...

DESŒILLETS.

Dieu soit béni !...

HENRI.

Te voilà sauvé !

DESŒILLETS.

Et vous, prince... vous êtes perdu !

HENRI.

Que veux-tu dire ?...

DESŒILLETS.

Que parmi toute celle famille, qui est bien composée des figures les plus grotesques !... je ne sais pas où on les a prises !... il y a deux jeunes filles... que vous connaissez... les petites marchandes du palais.

HENRI.

Ah ! mon Dieu !...

DESŒILLETS.

Il n’y a pas de danger pour moi... j’étais si bien affublé la nuit de cette aventure, que je les défierais de me reconnaître aujourd’hui... mais, vous, c’est différent !...

HENRI.

Parbleu ! si elles me voient !...

DESŒILLETS.

Elles ne vous verront pas... La noce va venir par ici... cachez-vous... de ce côté...

Henri va entrer par la grande porte à gauche. Ouvrant la porte du cabinet à gauche.

Non, là... dans ce cabinet... en attendant mieux...

HENRI.

Puis-je sortir par le fond ?

DESŒILLETS.

Gardez-vous-en bien !... c’est l’alcôve de la mariée... restez là... je vous rejoindrai...

HENRI.

Mais, ton projet ?...

DESŒILLETS.

Vous le saurez... On vient... les gens de la noce... entrez !

HENRI.

J’y suis !

Il entre dans le cabinet.

 

 

Scène XII

 

DESŒILLETS, MADAME GERVAIS, HENRI, dans le cabinet, dont la porte reste ouverte

 

On voit au fond les gens de la noce circuler. Les danses se forment.

MADAME GERVAIS, en dehors.

Venez par ici... venez... après l’allemande.

DESŒILLETS.

Madame Gervais !... ma femme !

HENRI.

Prends garde... je suis là !...

Il ferme à moitié la porte.

MADAME GERVAIS, entrant.

C’est vous, mon ami... j’ai bien de peine à vous trouver !

DESŒILLETS.

Ne m’en parlez pas... ces maudites affaires...

À part.

Le fait est qu’elle est très bien !

MADAME GERVAIS, lui prenant la main.

Qu’avez-vous donc ? cet air distrait...

DESŒILLETS.

Non, chère amie, je ne suis occupé que de vous... vous êtes si belle... et cette main...

Il va pour l’embrasser. Henri, qui le regarde, lui fait signe, il la laisse aller. À part.

Diable !

MADAME GERVAIS.

Eh bien, oui, cette main, elle est à vous... est-ce que vous la repoussez ?

DESŒILLETS, la prenant.

Moi !... au contraire...

Henri lui fait des signes.

Oh ! ma foi, tant pis... c’est bien le moins.

MADAME GERVAIS, lui retenant la main.

Qu’est-ce donc ? que tenez-vous là ?

DESŒILLETS, montrant un papier.

Rien... un billet, une lettre de ce pauvre Henri.

MADAME GERVAIS.

Votre neveu ?

DESŒILLETS, l’observant.

Son amour était un vrai délire, et plutôt que d’être témoin de mon bonheur, il vient de partir ; voyez, ses adieux sont déchirants.

MADAME GERVAIS, émue.

Ah ! sitôt ; pauvre jeune homme !... eh bien, je crois qu’il a eu raison ; je ne suis pas fâchée de son départ.

DESŒILLETS, de même.

Ni moi non plus, car je le vois, son amour vous a touchée.

MADAME GERVAIS.

Taisez-vous, jaloux.

HENRI, à part.

Des regrets, à moi... ah !

Il referme vivement la porte.

 

 

Scène XIII

 

MIMI, MADAME GERVAIS, PELLEVIN, DESŒILLETS, TOUTE LA NOCE

 

Air de la Servante justifiée.

CHŒUR.

Amis, que la nuit,
Par nous, sans bruit,
Soit égayée !
À l’heureux époux,
Conduisons tous
La mariée !

PELLEVIN.

Seuls tous deux !
C’est scandaleux !
Mais patience !
La nuit, aux amants,
Laisse, je pense,
Assez de temps !

CHŒUR.

Amis, que la nuit, etc.

PELLEVIN.

Voyons, une ronde en attendant.

TOUS.

Oui, une ronde, une ronde !

DESŒILLETS.

Volontiers ; et surtout du nouveau.

MADAME GERVAIS.

Oh ! le cousin sait tout ce qu’on chante dans Paris.

MIMI.

C’est le Lully du quartier.

TOUS.

Allons, une ronde, une ronde !

PELLEVIN.

Voici du nouveau... elle est du duc d’Orléans lui-même, paroles et musique.

Chanson du Régent.

Air nouveau de M. Pâris.

Insensés ! nous ne voyons pas
Les chagrins des autres états,
Et nous voulons changer le nôtre
Souvent contre celui d’un autre,
À qui le sien déplait autant ;
Et voilà comme
L’homme
N’est jamais content !

TOUS.

Et voilà comme, etc.

On danse. Pendant le refrain du couplet, Madame Gervais, conduite par des dames, entre dans la chambre à gauche.

PELLEVIN.

Chut ! silence... la mariée a disparu.

MIMI.

Quand je pense que ce devrait être moi.

DESŒILLETS, à part.

Quel sacrifice !... elle est si jolie...

PELLEVIN, à Desœillets, bas.

Dites donc, à vous...

Haut.

Second couplet !

L’enfant voudrait devenir grand,
Le vieillard être adolescent,
La fille être femme et puis veuve,
La veuve se donner pour neuve,
La vieille fixer un amant ;
Et voilà comme
L’homme
N’est jamais content.

TOUS, en dansant.

Et voilà comme, etc.

Pendant le refrain, Desœillets est conduit par des jeunes gens à la chambre nuptiale.

PELLEVIN.

Oh, oh ! le marié file ; heureux cousin !... j’ai le cœur serré... mais il nous reste le bon vin et les rondes, ça étourdit... Troisième couplet...

On se dispose à danser. La ronde est brusquement interrompue par l’arrivée d’Hélène.

 

 

Scène XIV

 

PELLEVIN, HÉLÈNE, MIMI, CHŒUR

 

HÉLÈNE, entrant furieuse et en désordre.

C’est une infamie... c’est une horreur !

TOUS.

Qu’est-ce ? qu’ayez-vous ?

HÉLÈNE.

Ce que j’ai, ce que j’ai... je n’en puis plus, j’étouffe !

PELLEVIN.

Eh mais, ma danseuse, d’où venez-vous comme ça ?

HÉLÈNE.

D’où je viens ?... de Paris... le scélérat, comme il m’a fait courir ! Elle est belle, sa protection... Il me fait monter en carrosse pour me conduire à Saint-Cloud... il part le premier à cheval... nous brûlons le pavé... c’est à perdre la respiration.

TOUS.

Eh bien ?

HÉLÈNE.

Air : Pourquoi me réveiller. (Gentilhomme de la chambre.)

Vraiment c’est une horreur,
Que j’endure
Une telle injure !
J’épouserais d’honneur
Celui qui serait mon vengeur !

Rêvant à mon procès
Dans ce fiacre qui roule,
Déjà je me berçais
De l’espoir du succès ;
Un chaos tout-à-coup
M’éveille près du Roule !
Ce n’était pas du tout
Le chemin de Saint-Cloud.
Arrête donc, cocher !...
Ma colère est vaine,
Il m’en traine ;
Rien ne peut le toucher,
Il court au risque d’accrocher.
La portière en débris,
Enfin cède à ma rage,
Et les passants surpris,
S’amassent à mes cris.
Aux badauds de Paris,
Je conte mon outrage ;
Au lieu d’être attendris,
On répond par des ris...

Il est vrai que j’étais pourpre de colère, les yeux en feu, le bonnet de travers ; mais ce n’est pas une raison... et j’aurais eu du plaisir à les souffleter tous ; mais, de peur d’être reprise, j’attrape un fiacre et je reviens ventre à terre chercher ici le traître qui m’a enlevée, et lui demander raison de sa con duite... car

Vraiment c’est une horreur,
Que j’endure
Une telle injure !
J’épouserais d’honneur
Celui qui serait mon vengeur.

TOUS.

C’est trop plaisant, d’honneur, etc.

HÉLÈNE.

Eh bien, vous riez aussi, vous !

PELLEVIN.

Allons, allons, silence ! les mariés sont retirés dans leur appartement... vite au salon...

HÉLÈNE.

Allez tous au diable !

CHŒUR.

Même air qu’en entrant.

Des heureux époux,
Respectons tous
Le tête-à-tête !
Mais à notre tour,
Jusques au jour,
Menons la fête !

Ils sortent tous en chantant. L’air du chœur continue jusqu’à la fin de l’acte.

 

 

Scène XV

 

HÉLÈNE, DESŒILLETS

 

HÉLÈNE, assise à droite.

Et moi je reste ; j’étouffe encore.

On ouvre la petite porte à gauche.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

DESŒILLETS, refermant la petite porte.

À présent, il s’agit d’éviter madame Dubois.

HÉLÈNE, s’avançant après avoir pris la bougie qui reste.

Un homme !...

DESŒILLETS.

Quelle est cette femme ?...

HÉLÈNE.

Eh ! mais... je ne me trompe pas !... ces traits... c’est lui !...

DESŒILLETS.

Cette voix... c’est elle !

HÉLÈNE.

Scélérat !...

DESŒILLETS.

Coquine !...

Il souffle la bougie, se sauve, et referme la porte.

HÉLÈNE, dans l’obscurité.

Oses-tu bien ?...arrêtez... c’est lui... Dubois... mon mari... mon abbé !...

Elle va heurter contre un fauteuil. La musique, qui a toujours été crescendo, couvre sa voix. Elle tombe assise.

Ah, je suis morte !...

 

 

ACTE III

 

Un riche salon au Palais-Royal. Au fond, grande fenêtre à balcon. Portes latérales. Galerie à gauche.

 

 

Scène première

 

EDMOND, PAGES, VALETS DE PIED

 

Au lever du rideau, les valets versent du Champagne aux pages qui trinquent en chantant.

CHŒUR.

Air : Buvons à plein verre. (Fra-Diavolo.)

Point d’Argus
Sévère,
Buvons à plein verre ;
Le dieu qu’on révère
Ici, c’est Bacchus.

EDMOND.

Si l’épouse altière
D’un monarque austère,
Trop longtemps fit taire
Nos vœux, nos désirs ;
Grâce à la Régence
Qui bientôt commence,
Renaîtront en France
Les jeux, les plaisirs.

TOUS.

Point d’Argus
Sévère, etc.

Ravannes entre.

 

 

Scène II

 

EDMOND, RAVANNES, en costume militaire, PAGES

 

EDMOND.

Messieurs !... Messieurs !... voici Ravannes !... notre ancien camarade, il ya nous mettre au courant... Eh ! Monsieur l’officier...

RAVANNES.

Edmond !... ah ! bonjour Messieurs, bonjour.

À part.

que je voudrais savoir ce qui s’est passé là-bas... cette nuit !...

EDMOND.

Nous diras-tu pourquoi le Prince à peine de retour, ce matin, est reparti précipitamment dans une voiture de la cour, qui l’attendait ?...

RAVANNES.

Il n’est pas dans son appartement ?...

EDMOND.

Eh ! non !... mais où est-il ?... ce n’est pas chez une de ses maîtresses... car il n’y va pas en pareil équipage... et d’ailleurs Monsieur le Duc de Saint- Simon était avec lui... il avait l’air de lui faire un sermon en deux ou trois points... il est si amusant M. de Saint-Simon !... je ne puis jamais le voir sans bâiller, moi.

RAVANNES.

Sorti... sorti !... je ne comprends pas... l’abbé Dubois n’était pas avec lui ?...

EDMOND.

Eh ! non !... puisque je t’ai dit que M. de Saint-Simon était là, et tu sais bien que sa figure produit sur l’abbé, l’effet de l’eau bénite sur le Diable !... eh ! mais qu’as-tu donc ?... laisse-là ton air Caton et viens rire avec nous !... tiens, quand tu es entré, nous nous partagions les honneurs, les emplois, les pensions du nouveau règne !... moi, d’abord je tournais la tête à toutes les femmes... la Fillon m’a prédit que je serais le plus grand petit mauvais sujet de la cour... et la Fillon s’y connait ! n’est ce pas, Messieurs ?...

RAVANNES.

Vous songez à l’avenir, enfants !

EDMOND.

Fi donc !

Air : Pour le trouver, je vais en Allemagne.

Moi, l’avenir fort peu je m’en occupe ;
C’est l’affaire de nos neveux.
Des longs projets je ne suis pas la dupe,
Je sais mettre un terme à mes vœux ;
Joie et plaisirs voilà ce que je veux !
Ma vie moi n’est que folle et légère,
Je pense enfin, si jamais j’ai pensé,
À l’avenir quand on remplit mon verre,
Et, quand il est vide, au passé !

RAVANNES.

Et dites-moi... que sait-on de Versailles ?

EDMOND.

Que le grand roi est tout près d’être bien petit et que la vieille Maintenon intrigue déjà pour ce boiteux de Duc du Maine... dont elle voudrait faire un régent... mais nous sommes là !... et dussions-nous mettre tous les bâtards à la Bastille, le Prince l’emportera... nous avons pour nous, notre droit, notre épée, et la morale publique !

Ils éclatent de rire.

RAVANNES.

Que vous êtes fous !...

EDMOND.

Et toi, tu es d’un sérieux !... tiens !... voilà l’abbé qui va nous donner des nouvelles.

 

 

Scène III

 

EDMOND, DUBOIS, il est en manteau court et porte une petite calotte, RAVANNES

 

DUBOIS.

Eh !... je ne me trompe pas... c’est Ravannes !...

EDMOND, fredonnant.

Où allez-vous, Monsieur l’abbé ?...

DUBOIS.

Chez Monseigneur...

EDMOND.

Vous allez vous casser le...

DUBOIS, sévèrement.

Plaît-il ?...

EDMOND.

Le Prince n’y est pas !...

DUBOIS.

Éloignez-vous, je vous prie... j’ai à parler à Monsieur de Ravannes.

EDMOND.

À la bonne heure ; parlez lui, mais n’attendez pas de réponse ce matin, car il ne dit rien... il est discret comme un jésuite.

DUBOIS, regardant Ravannes.

Discret !... c’est bien !...

EDMOND, étourdiment.

Avez-vous des nouvelles de la cour, Monsieur l’abbé !... le Roi est-il mort ? prenons nous le deuil ? à quand les fêtes...

Ils se pressent tous autour de lui.

DUBOIS.

Ah ! Messieurs, je vous en prie... Monsieur Edmond...

EDMOND.

Je m’en vais... je les emmène...

Bas.

Mais à une condition... c’est que je serai de service au premier petit souper de la régence.

À part.

Allons, Messieurs... laissons ces deux mauvais sujets se faire leurs confidences...

Ils passent dans le fond, en riant.

 

 

Scène IV

 

DUBOIS, RAVANNES

 

DUBOIS.

Ravannes... le Prince est rentré...

RAVANNES.

Avant le jour...

DUBOIS.

Pas possible !...

RAVANNES.

J’étais là...

DUBOIS.

Que t’a-t-il dit ?...

RAVANNES.

Rien !... il était furieux... il vous maudissait...

DUBOIS.

Il en est bien capable !... l’ingrat !...

RAVANNES.

Il paraît que M. de Saint-Simon, est venu le chercher pour le conduire à Versailles...

DUBOIS.

L’as-tu vu partir ?

RAVANNES.

J’étais rentré chez moi... rêvant à cette intrigue d’hier... dont je ne puis saisir le fil... mais dans laquelle je crains de découvrir des choses qui me répugnent, qui me blessent le cœur.

DUBOIS.

Imbécile !... et dis-moi, es-tu retourné là-bas !... à Suresnes...

RAVANNES.

Ma foi non ; après l’évasion de votre Hélène, je n’ai pas osé... j’ai craint la bombe qui allait éclater...

DUBOIS.

Maladroit... me la renvoyer ainsi...

RAVANNES.

Ce n’est pas ma faute !... toutes les poissardes du Roule attirées par ses cris ont entouré la voiture... elle s’est échappée au milieu d’elles...

DUBOIS.

Eh !... je le sais bien, de par tout les diables !... son retour à Suresnes a failli me perdre et je ne sais ce qui est arrivée après mon départ... mais j’ai donné des ordres... tu préviendras le Lieutenant de police que je l’attends chez moi ce matin... il faut qu’il l’enlève à quelque prix que ce soit.

RAVANNES.

Quoi !... vous voulez ?...

DUBOIS.

Je veux éviter un scandale... nous touchons au but... le roi est mal... fort mal... le prince, une fois au pouvoir, j’ai mes plans... il faut que j’entre aux affaires... que je m’élève aux honneurs... au ministère...

RAVANNES, souriant.

Et au chapeau...

DUBOIS, s’échauffant.

Pourquoi pas ?... je serai coiffé, mitré, crossé, de par tous les diables... il n’y a pas d’évêque en France qui l’ait mieux mérité que moi... Et !... qui s’y opposerait ?... le prince ?... je saurai me rendre nécessaire à sa politique comme à ses plaisirs... Rome ? mais les consciences du Vatican seront-elles moins élastiques que celles de Versailles... devant certains arguments ?... je serai prince aussi, moi... prince de l’Église !... premier ministre !

Air : À soixante ans on ne doit pas remettre.

Allons, morbleu ! l’abbé, ferme, courage !
Tu peux à tout aspirer à bon droit ;
Mais cette route où ton ardeur t’engage
N’est, souviens-t-en, qu’un sentier fort étroit ;
Renverse tout !... Succès au plus adroit.
Qu’importe que la foule en gronde,
Plaisirs, honneurs, voilà tout mon souci,
Et si je perds, en agissant ainsi,
Le radis que promet l’autre monde...
Je me le donne au moins en celui-ci.

RAVANNES, saluant.

Bravo !... Monseigneur.

DUBOIS.

Ah ! dans mon rêve je l’avais oublié.

RAVANNES.

Voilà des projets...

DUBOIS.

Je compte sur ta discrétion !...sur ton zèle... et pour commencer... un des premiers actes du prince sera de tenir sa promesse, de te donner un régiment.

RAVANNES.

Ah ! Monsieur l’abbé !...

DUBOIS.

En attendant... aide-moi... à prévenir un éclat qui me perdrait sans retour... que ces femmes disparaissent et ta fortune est faite... surtout, ne te remontre plus chez Madame Gervais... chez le marchand de drap...

RAVANNES.

Oh !... moi... qu’importe !...

DUBOIS.

Il importe beaucoup.

EDMOND, paraît à la porte de gauche et annonce.

Monseigneur !

DUBOIS.

Ghût !... voici le prince !... cours chez le lieutenant de police ! qu’il vienne... je l’attends.

 

 

Scène V

 

DUBOIS, LE PRINCE, en grand habit de cour, RAVANNES, EDMOND, SEIGNEURS, PAGES

 

LE PRINCE.

Oui, qu’on donne des ordres ; qu’on prévienne mon aumônier... pour qu’il officie sur le champ dans la chapelle du palais... je vais m’y rendre... allez Messieurs... et priez pour le roi... ah ! Ravannes... en sortant de la chapelle... je vous retrouverai ici...

DUBOIS, bas à Ravannes.

Hâte-toi.

Ravannes sort par la galerie. Tous les seigneurs et les pages sortent par la droite.

 

 

Scène VI

 

DUBOIS, LE PRINCE

 

DUBOIS.

Le Roi, Monseigneur ?

LE PRINCE, assis.

Il est fort mal...

DUBOIS.

Vous avez appris ?...

LE PRINCE.

Rien de bon !... il y a des intrigues pour m’enlever la régence... on cherche à me perdre dans les esprits... on monte le peuple contre moi... on me peint à ses yeux comme un homme sans principes ; on nomme les gens qui m’entourent toi le premier...

DUBOIS.

Et que dit-on de moi ?

LE PRINCE.

Mais, ce que j’en pense : que tu es un grand coquin.

DUBOIS.

Trouvez-moi un honnête homme qui vous fasse le même profit.

LE PRINCE.

Sans conscience, sans probité, sans mœurs.

DUBOIS.

J’ai perdu tout cela à votre service.

LE PRINCE.

Tous les vices et pas une vertu.

DUBOIS.

Si ça vous rapporte davantage.

LE PRINCE.

Oh ! tais-toi, tais-toi ; et cette nuit, cette nuit !... Ah ! quelle idée infernale t’est passée par l’esprit.

DUBOIS.

Est-ce à vous de vous en plaindre ? Au fait, je vous reconnais là : amoureux comme un page, vous courez après le bonheur ; vous le paieriez de tous vos titres à la régence ; vous êtes heureux, et voilà le remords qui vous poursuit comme un écolier.

LE PRINCE, se levant.

Heureux !... ah ! ce n’est pas ainsi que j’aurais voulu l’être : cette femme si confiante, trahie par celui à qui elle s’est donnée ; livrée comme une victime à mon silence... et moi, sans pitié, par une nuit profonde, quand elle nommait son mari... quand elle te croyait là, au lieu de moi... ah ! cela fait horreur. J’ai trompé des bourgeoises, des grisettes qui m’aimaient, du moins, qui étaient fières de mon amour ; mais là, dans ce projet que j’ai connu trop tard pour te résister, il y a un mélange de perfidie et de lâcheté qui soulève le cœur... Ah ! je ne te pardonnerai jamais.

DUBOIS.

Plaisanterie que, tout cela ; mais, dites-moi, vous n’avez rien entendu, des cris, des menaces, au bout du corridor ?

LE PRINCE.

Eh ! que sais-je ?... hors de moi, inquiet et tremblant, je respirais à peine ; vingt fois j’ai voulu lui révéler cet horrible mystère, mais ma langue était glacée, l’expression même de mon ivresse venait expirer sur mes lèvres.

DUBOIS.

Eh quoi ! madame Gervais ne sait donc pas... ?

LE PRINCE.

Rien... rien... Profitant d’un instant de sommeil, je me suis évadé, non comme un amant heureux, mais comme un misérable, qui craint le jour et la justice.

DUBOIS.

Elle ne sait rien encore, tant mieux.

LE PRINCE.

Mais, juge donc... si en ce moment cette affreuse aventure venait à être connue, quel parti mes ennemis pourraient en tirer !... la cour... le parlement... la ville tout entière.

DUBOIS.

Bah ! on en rirait...

LE PRINCE.

Et le duc du Maine serait régent, peut-être.

DUBOIS.

Diable ! ne badinons pas.

LE PRINCE.

Les bourgeois feraient un bruit du diable.

DUBOIS.

Contre qui ?... ils ne vous connaissent pas... et vous n’êtes pas tenté de revoir la veuve ?

LE PRINCE.

Eh bien, si fait ! car, vois-tu, Dubois, depuis hier... depuis ce matin... je l’aime cent fois davantage... il faut qu’elle me pardonne, qu’elle soit à moi ; je me charge de son sort, de sa fortune... je veux qu’elle n’ait pas un désir à former... Je l’environnerai de tout l’éclat du luxe et des plaisirs.

DUBOIS.

Oh ! en ce cas je vous réponds d’elle... au lieu d’un mari... comme moi... on lui donne un amant... comme vous... Elle allait végéter, obscurément honnête et vertueuse à mille écus de rente ; on la fait à son insu femme du monde, presque de la cour, riche, brillante... elle est à vous... mais plus tard, quand vous serez au pouvoir et que rien ne pourra vous l’enlever. Évitons pour aujourd’hui un scandale que ferait peut-être la vertu de madame Gervais ; il y a de ces bourgeoises si bizarres... parlez-moi des vertus de la cour ! elles ne crient pas, celles-là. Mais, voyons, Prince, avez-vous pris vos mesures ? vous êtes-vous assuré du Parlement ?

LE PRINCE.

Je quitte le premier président.

DUBOIS.

Et moi, j’ai vu les conseillers, de votre part... Oui, pendant que vous vous livriez au plaisir, je travaillais à votre triomphe. J’ai couru toute la nuit ; je fais gagner le peuple, les troupes sont bien disposées.

LE PRINCE.

Merci, merci... je n’oublierai pas tes services.

DUBOIS.

Et vous me faisiez des reproches ?

LE PRINCE.

Ah ! le traître... comme il sait toujours me ramener !... et pourtant j’étais furieux contre toi ; il y a des moments ou je voudrais te faire pendre...

DUBOIS.

Je ne vous laisserais pas faire... et, tenez, vous me regretteriez. Voyez-vous, prince, il faut pour ministres préférer les esprits souples et féconds en ressources... aussi, une fois régent, comptez sur moi : les affaires, les plaisirs, les finances et les maîtresses, je mènerai tout de front. Dame ! tout cela se tient, les maîtresses et les finances surtout... et, si vous pouvez disposer d’un chapeau de cardinal...

LE PRINCE.

Malheureux ! y penses-tu ? et ta femme ?

DUBOIS.

Je n’en ai pas.

LE PRINCE, sévèrement.

Prends garde... au moindre scandale tout est rompu entre nous... tu me perdrais.

DUBOIS.

C’est cela... reconnaissance de prince. Mais je mets bon ordre à ce qui me regarde. Songeons à vous... vous allez ?...

LE PRINCE.

À ma chapelle.

DUBOIS.

Pour la santé de Louis XIV ?

LE PRINCE.

Sans doute.

DUBOIS, riant.

Tâchez de paraître bien triste.

LE PRINCE.

Certainement.

DUBOIS, riant plus fort.

Comme une veuve qui voit partir son vieux mari.

LE PRINCE.

C’est un grand roi.

DUBOIS, riant.

Dont vous héritez à peu près.

LE PRINCE.

Je prierai pour lui.

DUBOIS, riant.

Pour qu’il vive ?

LE PRINCE.

Mais...

Riant malgré lui.

Infâme...

Reprenant son sérieux.

Silence !

 

 

Scène VII

 

DUBOIS, RAVANNES, LE PRINCE

 

RAVANNES, entrant vivement.

Ô ciel !

LE PRINCE.

Qu’est-ce, Ravannes ?

RAVANNES.

Pardon, Prince, je suis tout tremblant... une lettre de monsieur Pellevin.

DUBOIS.

Du marchand de draps ?

RAVANNES.

Il m’annonce sa visite pour ce matin.

DUBOIS.

Diable ! voilà qui commence mal.

LE PRINCE.

Éloignez-le... éloignez-le !

RAVANNES.

Il ne viendra pas seul.

DUBOIS.

Écris que tu es... à Saint-Cloud, par exemple.

EDMOND, entrant par la gauche.

Monseigneur, l’aumônier est à l’autel.

LE PRINCE.

C’est bien.

Bas à Dubois.

Dubois, que personne de cette famille n’entre au Palais... je reverrai madame Gervais, mais plus tard.

À Ravannes.

Ravannes, de la discrétion.

Haut à Dubois.

Me suivez-vous, Monsieur l’Abbé ?

DUBOIS.

À la chapelle ? merci... j’ai l’intention d’écrire pour le lieutenant de police, que j’attends.

À Ravannes.

Eh vite... mets-toi en campagne, et que les bourgeois perdent nos traces. Oublie ta maîtresse, je t’en donnerai deux.

LE PRINCE, élevant la voix.

Ravannes, je vous fais capitaine de mes gardes.

Il sort par la gauche.

DUBOIS, à mi-voix.

Et moi, je te promets une abbaye.

Il sort par la droite.

 

 

Scène VIII

 

RAVANNES, EDMOND, ensuite HÉLÈNE, PELLEVIN

 

EDMOND.

Dis donc, Chevalier, je te fais mon compliment... mais j’oubliais... il y a là deux femmes charmantes, qui te demandent.

RAVANNES.

Moi ?

EDMOND.

Non pas toi, si tu veux ; mais cela revient au même : elles veulent parler à monsieur Dupuis, l’huissier du cabinet.

RAVANNES.

Ô ciel ! à monsieur Dupuis ?

EDMOND.

N’est-ce pas ton nom de guerre et d’amour ?... et le vieux marchand, à qui j’ai donné un jour de si bon renseignements sur toi.

Pellevin et Hélène paraissent dans le fond.

RAVANNES.

Il est avec elles ?

EDMOND.

Juste... et sa grosse perruque aussi.

RAVANNES.

Grand Dieu !

EDMOND.

Eh ! tiens, le voilà.

PELLEVIN, à la cantonade.

C’est bien, c’est bien ; je vous rejoins.

HÉLÈNE.

Et moi, je ne sors pas d’ici.

Apercevant Ravannes.

Ah, ah ! c’est toi... je te retrouve donc enfin, mon joli conducteur.

PELLEVIN.

Comment, Monsieur Dupuis ?

EDMOND.

L’huissier du cabinet.

Il passe à la droite de Ravannes.

HÉLÈNE.

Un huissier ?... laissez donc, avec ce costume ?

PELLEVIN.

En effet... il est brave comme un prince.

RAVANNES, embarrassé.

Ce costume ?... ah ! oui... habit de cérémonie, service extraordinaire.

À part.

Allons, nous voilà bien.

HÉLÈNE.

Voyons un peu, monsieur l’huissier en service extraordinaire, où me menais-tu hier ? réponds-moi. Ah ! ah ! te voilà déconcerté.

RAVANNES.

Moi ! pas du tout, je vous jure... Le prince n’était pas à Saint-Cloud, et je voulais vous présenter ici, au Palais-Royal, quand votre brusque fuite...

HÉLÈNE.

Laisse donc, c’était un piège... tu étais payé pour ça.

RAVANNES.

Quoi, vous pourriez n’accuser ?

EDMOND.

 Oh ! quelle commère.

PELLEVIN.

Allons donc, ça ne se peut pas.

RAVANNES.

Ah ça, vous n’étiez pas seuls ?... on m’a dit qu’une autre dame...

HÉLÈNE.

Certainement ; cette bonne Lucile, que j’ai forcée à m’accompagner.

RAVANNES.

Lucile ? madame Gervais ?

PELLEVIN.

Elle vient de nous quitter pour entrer dans la chapelle.

RAVANNES, surpris.

Dans la chapelle ?...

À part.

Malédiction !

HÉLÈNE.

Que dis-tu là ?

RAVANNES.

Rien... seulement qu’il faut aller la chercher sur-le-champ ; l’amener ici.

HÉLÈNE.

Moi, d’abord, j’attends le Prince pour me jeter à ses pieds, pour lui demander justice et protection.

RAVANNES.

C’est cela ; mais je veux vous conduire ensemble près du Prince. PELLEVIN.

Je cours la rejoindre et je la ramène.

RAVANNES.

Bravo... toi, Edmond... c’est-à-dire, monsieur le Page, vous allez conduire monsieur Pellevin jusqu’à la chapelle.

À Pellerin.

Allez vite, allez.

Bas à Edmond.

Une fois sorti avec cette autre dame, fais-les disparaître à quelque prix que ce soit, renfermer dans une pièce du Palais s’il le faut.

EDMOND.

Mais...

RAVANNES.

La faveur du Prince est à ce prix.

EDMOND.

En ce cas, sois tranquille.

Il sort avec Pellevin.

HÉLÈNE, prenant Ravannes par le bras.

Oui, mon Huissier galonné ! Te voilà tout interloqué ; qu’est ce que tu disais à ce godelureau ?

RAVANNES.

Moi ? rien, je vous assure ; mais je vais vous conduire.

HÉLÈNE.

Où donc ?

RAVANNES, voulant l’entrainer.

Ne craignez rien ; venez, il n’y a pas une minute à perdre.

HÉLÈNE, résistant.

Non pas, non pas ; je vois encore là-dessous la griffe du diable... ou de mon abbé.

RAVANNES.

Suivez-moi, vous dis-je.

Air : Fragment de Fra-Diavolo.

Pourquoi me résister ?

HÉLÈNE.

Ici, je veux rester.

RAVANNES.

Oh ! de grâce,
Quittez la place.

HÉLÈNE.

Tu n’es qu’un imposteur.

RAVANNES.

Non vraiment ; et d’honneur,
Je ne veux que votre bonheur.

 

 

Scène IX

 

DUBOIS, RAVANNES, HÉLÈNE

 

La porte du cabinet à droite s’ouvre, Dubois sort un papier à la main.

DUBOIS.

Cet ordre au lieutenant de police, et je suis débarrassé de ma femme.

RAVANNES.

Ciel !

Reprise du chant.

Ensemble.

DUBOIS, à part.

Ceci rend le calme à mon âme.
Avec cet ordre, Dieu merci,
Je fais coffrer ma tendre femme :
C’est la traiter en bon mari.

HÉLÈNE, sans le voir.

Oui, l’on s’entend avec l’infâme,
Mais j’attendrai le Prince ici :
Il est galant près d’une femme,
Et fera pendre mon mari.

RAVANNES, apercevant Dubois.

Ô ciel ! c’est l’abbé ! Quelle gamme
Tous deux vont se chanter ici !
Laissons Monsieur avec Madame,
La femme est digne du mari.

DUBOIS.

Ciel !... c’est elle !

HÉLÈNE.

C’est bien lui, enfin !

RAVANNES, à Dubois.

Ma foi, j’ai fait ce que j’ai pu.

À part.

À l’autre, maintenant.

Il sort par le côté de la chapelle.

HÉLÈNE.

Va, va ; je reste.

DUBOIS, tombant dans un fauteuil.

C’est le diable qui me la renvoie.

 

 

Scène X

 

DUBOIS, HÉLÈNE

 

HÉLÈNE.

Ah ! je te tiens enfin, double scélérat.

DUBOIS, à part.

Elle m’a reconnu tout de suite... jouons serré.

Il se lève, et va pour sortir.

HÉLÈNE, le retenant.

Reste... ne crois pas m’échapper.

DUBOIS.

Qu’est-ce, ma bonne ? que me voulez-vous ? je ne vous connais pas.

HÉLÈNE.

Tu ne me connais pas, monsieur l’Abbé ? moi, ta légitime épouse ?

DUBOIS.

Allons donc, taisez-vous et sortez.

HÉLÈNE.

Je ne sortirai pas... oh ! tu as beau prendre tes grands airs, ne crois pas m’effrayer ; je ne suis pas timide, vois-tu ; puis que je t’ai retrouvé je ne te quitte pas.

DUBOIS.

Oh ! quelle harpie.

HÉLÈNE.

Tu es mon mari : je le crierai partout, à la ville, à la cour.

DUBOIS.

On ne te croira pas... Moi, précepteur d’un prince, son ami, son confident...

HÉLÈNE.

Quand tu serais le diable.

DUBOIS.

Un homme d’église...

HÉLÈNE.

Eh bien ! je suis une femme d’église !

DUBOIS.

Silence ! Ces cris, ce scandale...

HÉLÈNE.

Ah ! c’est ce que tu crains... Tant mieux ! Je ferai du bruit, j’en ferai !... Tous ces grands seigneurs, et le prince lui-même, je veux les attirer ici... les rendre témoins...

DUBOIS.

Miséricorde !...

HÉLÈNE.

Ah ! tu ne me connais pas... rappelles-toi les promesses que tu m’as faites avant la noce, la dot que tu as reçue après... et ce vieux prêtre qui nous a mariés...

DUBOIS.

Beau chef-d’œuvre qu’il a fait là...

HÉLÈNE.

Tu conviens donc...

DUBOIS, l’amenant jusqu’au bas de la scène.

Eh bien ! oui... Après tout, c’est le meilleur parti pour empêcher un éclat conjugal qui amuserait tout le monde, excepté moi... Je te connais donc... mais tremble ! je suis puissant...

HÉLÈNE.

Ça m’est égal...

DUBOIS.

J’ai vingt moyens de te perdre...

HÉLÈNE.

Je m’en moque...

DUBOIS.

Tu n’es pas ma femme !... tu ne l’as jamais été... où est la preuve ?...

HÉLÈNE.

Dans les registres du vieux curé...

DUBOIS.

Elle n’y est plus...

HÉLÈNE.

Comment ?... tu aurais eu l’audace... Mais à Brive, tout le monde dira...

DUBOIS.

Que tu as eu des amants... trois, quatre...

HÉLÈNE.

Ce n’est pas vrai !...

DUBOIS.

Je sais leurs noms...

HÉLÈNE.

Et quand cela serait !... une pauvre femme, trahie, abandonnée...

DUBOIS.

Ainsi, folle... ou coquine, choisis...

HÉLÈNE.

Que veux-tu dire ?

DUBOIS.

J’attends le lieutenant-de-police...

HÉLÈNE.

Pourquoi faire ?

DUBOIS.

Pour te renfermer...

HÉLÈNE.

Ô ciel !... mais ne l’espère pas, je me plaindrai, je crierai...

DUBOIS.

Folle !...

HÉLÈNE.

Je dirai que je suis ta femme...

DUBOIS.

Folle !...

HÉLÈNE.

Que tu as déchiré les registres, emporté ma dot, que tu es mon abbé, enfin...

DUBOIS.

Folle !... folle !... folle à lier...

HÉLÈNE, hors d’elle.

Misérable !... folle, moi !... Tu veux donc que je le devienne...

DUBOIS, s’exaltant.

Mais toi, malheureuse... sais-tu ce que tu veux me faire perdre ?... De belles charges, de beaux traitements, l’amitié du prince, et plus encore, tout ce que j’espère... car le Roi, est en train de mourir... mon élève est régent, et sous lui, je puis tout obtenir... Le titre de premier ministre, la mitre d’évêque, le chapeau de cardinal...

HÉLÈNE.

Grand Dieu !...

DUBOIS.

Oui, tout cela... en perspective... Je veux l’avoir... je l’aurai... à moins qu’un scandale...

HÉLÈNE.

Ainsi, à toi des honneurs, des dignités, de l’or, de l’or... à pleines mains... et à moi, la misère ou la prison ! Non jamais... sois ministre, cardinal, si tu veux... je partagerai tout !... fusses-tu pape !...

DUBOIS, avec effroi.

Tais-toi...

À part.

Je crois entendre...

HÉLÈNE.

Tiens !... on a bien vu la papesse Jeanne...

DUBOIS.

Écoute !

À part.

Allons, les grands moyens.

Haut.

Le lieutenant de police nous est dévoué, je l’attends... Ta liberté est dans mes mains... une fois renfermée... tu auras beau crier : folle ! aimes-tu mieux cela que la vie douce et commode... que peut mener à Brive... ou ailleurs, madame Dubois, libre de ses actions... veuve... du premier venu...

HÉLÈNE.

Par exemple !... une pareille proposition... quand je puis me venger... quand je puis...

DUBOIS.

Avec une bonne pension...

HÉLÈNE.

Hein ?...

DUBOIS.

Air : Verse, verse le vin de France (d’Adam).

Voyons, je t’offre cent louis.

HÉLÈNE.

Cent louis ! après tant d’alarmes,
Tant de chagrins et tant d’ennuis ;
Est-ce donc là payer mes larmes,
Payer mes larmes ?

DUBOIS.

Trois cents !

HÉLÈNE.

Quel langage est-ce là ?
L’on a trop de fierté dans l’âme ;
Jamais l’or ne une séduira.

DUBOIS.

Laissez-vous faire encor, Madame.

HÉLÈNE.

Jamais, infâme !

DUBOIS.

Cinq cents !

HÉLÈNE.

Non ; l’honneur d’une femme,
Croyez-moi, vaut mieux que cela.

DUBOIS.

Non, ma foi, l’honneur de ma femme,
J’en réponds, ne vaut pas cela.

Même air.

Sans pitié tu vois mes terreurs,
Tu jouis de ton avantage.
Va pour six cents...

HÉLÈNE.

Tous tes honneurs
Valent pour toi bien davantage.

DUBOIS.

Morbleu ! j’enrage !
Huit cents...

HÉLÈNE, hésitant.

Non...

À part.

C’est joli déjà.

DUBOIS.

Ô ciel ! vers nous quelqu’un s’avance.
Mille !...

HÉLÈNE.

Mille ! qu’on garantira.

DUBOIS.

Mille louis payés d’avance.

HÉLÈNE, avec joie.

Payés d’avance.
J’accepte, car, en conscience,
Le coquin ne vaut pas cela.

DUBOIS.

Accepte, car, en conscience,
Un marine vaut pas cela.

 

 

Scène XI

 

HÉLÈNE, RAVANNES, DUBOIS

 

RAVANNES, rentrant.

Monsieur l’Abbé, Monsieur l’Abbé !

DUBOIS.

Qu’est-ce ? qu’y a-i-il ?

RAVANNES.

Un grand tumulte se fait entendre ; les cloches sonnent de tous côtés ; on accourt au Palais.

DUBOIS.

Des nouvelles de Versailles... je cours.

Vivement et à Hélène.

Silence ! pas un mot, c’est convenu...

HÉLÈNE.

C’est convenu... et le paiement ?

DUBOIS.

Ce soir même.

À Ravannes.

Chevalier, je vous recommande Madame ; faites-la reconduire chez elle.

Il sort.

HÉLÈNE.

Dans le carrosse d’hier ?... non pas, non pas !

 

 

Scène XII

 

HÉLÈNE, MADAME GERVAIS, RAVANNES

 

MADAME GERVAIS, pâle et défaite.

Laissez-moi, laissez-moi... je ne sortirai pas !

HÉLÈNE.

Lucile !

MADAME GERVAIS, se jetant dans ses bras.

Ah ! c’est toi... ne me quitte pas.

RAVANNES.

Madame...

MADAME GERVAIS.

Vous, Monsieur Dupuis... Vous ainsi... que s’est-il donc passé ? pourquoi veut-on m’arracher de ces lieux ?... pourquoi monsieur Pellevin a-t-il été enlevé malgré lui... malgré mes cris ?

HÉLÈNE.

Ah, ça ! mais c’est donc une forêt que ce Palais-Royal ?

RAVANNES.

Mesdames, au nom du ciel, sortez d’ici... suivez-moi... redoutez des malheurs.

MADAME GERVAIS.

Des malheurs... et lesquels ? Ah ! je ne sais quel trouble j’éprouve... votre conduire hier avec Hélène ; cette personne qu’elle a rencontrée chez moi ; la disparition de mon mari ; la position où je vous retrouve, mon trouble même, votre embarras ; et tout à l’heure au milieu de la foule, à la chapelle... cette ressemblance d’un grand seigneur... oh ! non, non... j’ai mal vu... je suis folle !

RAVANNES.

Venez... Hélène. Sortons ; j’ai promis de me taire.

MADAME GERVAIS.

Et moi, je veux demander justice pour monsieur Pellevin ; je veux revoir...

RAVANNES, la prenant par le bras.

Impossible ! il faut absolument...

Apercevant le Prince.

Ah !...

 

 

Scène XIII

 

HÉLÈNE, MADAME GERVAIS, RAVANNES, LE PRINCE, EDMOND, COURTISANS, PAGES, SUITE

 

EDMOND, annonçant.

Le Prince.

LE PRINCE.

C’est bien, Messieurs, c’est bien ; dans un instant je retourne à la Cour.

MADAME GERVAIS.

Grand Dieu !

RAVANNES, vivement, au Prince.

Monseigneur, on vous attend dans votre cabinet.

MADAME GERVAIS, s’avançant.

Monseigneur...

LE PRINCE, se retournant.

Qu’est-ce ?... que vois-je ?

MADAME GERVAIS, hors d’elle.

Ces traits, cette voix... oh ! non... pardonnez.

LE PRINCE.

Vous ici, Madame... Madame Gervais...

MADAME GERVAIS.

Monsieur Henri...

LE PRINCE, bas.

Silence, de grâce...

Haut, à sa suite.

Et vous, sortez tous ; sortez... je veux être seul.

HÉLÈNE, à madame Gervais.

Quoi donc ? je ne te quitte pas.

MADAME GERVAIS, s’attachant à elle, et regardant le Prince.

Oh ! non...

EDMOND, bas, à Ravannes.

Dis donc, ça a l’air d’une bombe qui éclate.

LE PRINCE, revenant à madame Gervais.

Madame...

Aux seigneurs, avec impatience.

Sortez donc.

RAVANNES, entraînant Hélène.

Venez, Madame, venez...

Tout le monde sort.

 

 

Scène XIV

 

MADAME GERVAIS, LE PRINCE.

 

MADAME GERVAIS, jusqu’alors immobile et les yeux fixés sur le Prince ; elle se ranime tout-à-coup en se voyant seule.

Grand Dieu ! où suis-je ? seule... laissez-moi...

LE PRINCE.

Ah ! je vous en supplie...

MADAME GERVAIS, reculant.

Laissez-moi, Monsieur Henri... Monseigneur.

LE PRINCE.

Henri... je ne veux pas d’autre nom : rien n’est changé en moi ; c’est toujours le même amour.

MADAME GERVAIS.

Ah ! Prince...

LE PRINCE.

Oui, cet amour violent, passionné, qui m’a conduit à vos pieds, et que vos mépris, vos dédains n’ont fait qu’irriter encore...

MADAME GERVAIS.

Mais lui, votre oncle, monsieur Desœillets, mon mari ?

LE PRINCE.

Oh ! grâce, grâce !

MADAME GERVAIS.

Grâce... vous me faites trembler...

LE PRINCE.

Je vous aimais... je voulais être aimé ; c’était là mon ambition, mon bonheur... et votre vertu me repoussait. Le Prince vous eût épouvantée ; l’offre d’une fortune vous eût fait horreur... il a fallu vous tromper pour vous vaincre : un autre s’est placé entre nous ; vous l’aimiez, lui.

MADAME GERVAIS.

Lui ? où est-il ?

LE PRINCE.

Grâce à votre erreur, je pouvais vous voir, tous les jours, à toute heure, vous parler malgré vous de cet amour que vous désespériez... Et hier encore, quand vous vouliez nous bannir de votre présence, ce mariage...

MADAME GERVAIS.

Grand Dieu ! n’achevez pas.

Air : Je n’ai pas vu ces bosquets de lauriers.

Ah ! tout mon sang s’est glacé dans mon cœur,
Et malgré moi je tremble, je frissonne !...
Vous qui devez consoler le malheur,
Vous, le premier sur les marches du trône ;
Au nom des lois vous qui devez, sur nous,
Étendre une main protectrice,
N’achevez pas... vous, notre espoir à tous ;
Si c’est un piège, un crime... c’est à vous
Que j’en dois demander justice !

Elle tombe accablée dans un fauteuil.

LE PRINCE, à ses pieds.

Pardon, pardon !... je suis coupable, je te demande ma grâce... je te la demande à genoux... l’amour ne fait-il rien pardonner ?... Parle, prononce, demande...ma vie est à toi... je veux l’employer à t’entourer de soins, de tendresse... il n’y aura pas une femme qui ne te porte envie... à toi, à toi, pour toujours... crois-en mes larmes, mes remords... laisse-toi fléchir.

MADAME GERVAIS.

Jamais, jamais.

LE PRINCE.

Oh ! ne me repousse pas... je t’aime comme un furieux... comme un insensé... depuis hier, cent fois davantage... Ne me fais pas expier mon crime.

MADAME GERVAIS.

Son crime !

LE PRINCE.

Oui, ce bonheur que j’ai usurpé... cette nuit.

MADAME GERVAIS, se levant, et le fuyant.

Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! soutiens-moi... je me meurs !...

Elle tombe à genoux.

LE PRINCE, la prenant dans ses bras.

Oh ! reviens à toi... Ce projet infernal, ce n’est pas moi qui l’ai formé... ce crime abominable, ce n’est pas moi qui l’ai préparé. Je serais mort cent fois, plutôt que d’en avoir la pensée... D’abord, j’ai voulu fuir... refuser ce bonheur que j’avais tant demandé... je le repoussais avec effroi... Mais tu étais là, près de moi, dans l’ombre... toi, si cruelle, si sage... toi, que j’aimais tant... je n’ai pas eu de courage.

MADAME GERVAIS, se cachant la tête dans ses mains.

Ah ! misérable !

LE PRINCE.

Oui, moi, moi seul... Mais toi, toujours pure...

MADAME GERVAIS, s’éloignant de lui.

Perdue... perdue pour jamais... Me venger ! n’ai-je pas les lois qui me protégeront ?... oui... j’irai me jeter aux pieds du Roi... j’irai lui demander justice de cet infâme attentat... de vous, que j’avais raison de fuir, de redouter... de vous, que je tremblais d’aimer.

LE PRINCE.

De m’aimer !... moi !...

MADAME GERVAIS.

Ah ! vous me faites horreur à présent. Et l’infâme qui m’a trahie... lui, mon mari...

LE PRINCE.

Il ne l’est pas, il ne l’a jamais été... Une piège, une ruse... Mais je te vengerai... le veux-tu ?

MADAME GERVAIS.

Mon mari... Qui donc ? qui donc ?

 

 

Scène XV

 

EDMOND, DUBOIS, LE PRINCE, MADAME GERVAIS

 

EDMOND, annonçant.

Monsieur l’abbé Dubois.

Il sort.

LE PRINCE.

Ciel !...

À Dubois.

Va-t’en, va-t’en.

DUBOIS, allant à lui.

Monseigneur, le Roi est mort.

MADAME GERVAIS, le reconnaissant.

Ah !...

Elle tombe évanouie.

LE PRINCE.

Malheureux !... Du secours !

DUBOIS.

Silence !... n’appelez pas... Diable, Madame Gervais !...

LE PRINCE, qui la tient dans ses bras.

De l’air... de l’air !... elle est morte.

DUBOIS.

Non, évanouie.

Allant ouvrir la fenêtre du fond.

Ce n’est rien.

LE PRINCE.

Lucile, Lucile !

DUBOIS.

Tenez, elle revient... Vous, prince, du courage... Autre chose doit vous occuper en ce moment... Le Roi est mort... La duchesse du Maine crie que son mari est régent... Mais voici la cour qui arrive en foule dans ce palais, pour saluer le soleil levant. Le Parlement est dans cette galerie.

MADAME GERVAIS, se relevant avec égarement.

Le Parlement ! ou est-il ?... J’irai à lui, je lui dirai : Me voilà... ils m’ont trompé lâchement, un prêtre... un prince... Mais il y a des lois... vous rendez la justice... Vengez-moi.

DUBOIS.

Malheureuse !...

MADAME GERVAIS.

N’approchez pas, n’approchez pas !

Elle s’élance à la croisée ouverte.

LE PRINCE.

Grand Dieu !

MADAME GERVAIS.

Si vous faites un pas, je suis morte.

LE PRINCE.

Revenez à vous.

DUBOIS.

Pas de scandale... Pour moi, que m’importe ?... mais vous perdriez le Prince. Confiez-vous à son amour, comptez sur ses largesses... Il est plus puissant que jamais... il est régent de France.

MADAME GERVAIS.

Régent de France !

LE PRINCE.

Il t’aime, il n’aimera jamais que toi.

MADAME GERVAIS.

Régent de France !... et vous son ministre, sans doute... Infimes !... n’approchez pas... Du scandale, de la vengeance, à quoi bon ?

Air : Ô mon pays. (Madame Duchambge.)

Ne craignez rien ; le mépris... le silence
Couvriront tout...gardez votre bonheur,
Régnez, la France est en votre puissance ;
Mais à moi seule appartient mon honneur.
Lorsque des lois, lâche dépositaire.
Du crime, un prince ose se faire un jeu,
Quand la justice abandonne la terre,
Il faut aller la demander à Dieu !

Elle monte sur la croisée et se précipite dans la rue.

LE PRINCE, courant vers la croisée.

Lucile ! arrêtez... ah !

DUBOIS.

Trente pieds... quelle folie !

 

 

Scène XVI

 

DUBOIS, LE PRINCE, RAVANNES, EDMOND, LE CHANCELIER, LE LIEUTENANT DE POLICE, LE PRÉSIDENT DU PARLEMENT, MAGISTRATS, COURTISANS, PAGES, etc.

 

RAVANNES, annonçant d’un côté.

Messieurs du Parlement.

EDMOND, de l’autre côté.

Messieurs du Conseil.

DUBOIS, ranimant le prince.

Prince, prince !

LE PRINCE.

C’est toi qui l’as tuée.

DUBOIS.

Eh ! morbleu, il s’agit bien de cela. Le Parlement, les Ministres, toute la Cour... Songez que vous jouez la régence.

Les ministres, le parlement, etc. sont entrés des deux côtés ; le Prince cherche à faire bonne contenance.

LE PRÉSIDENT DU PARLEMENT.

Monseigneur, les destinées de la France sont remises en vos mains.

Cris au dehors.

LE PRINCE.

Grand Dieu ! je crois entendre...

DUBOIS, bas, se rapprochant.

Régent...

LE CHANCELIER.

Prince, nous partageons l’émotion que vous cause la mort du Roi.

LE PRINCE.

C’est bien, Messieurs, c’est bien.

Cris plus fort au-dehors.

Quels cris ?

DUBOIS, vivement.

Prince, ce sont les acclamations du peuple.

LE LIEUTENANT DE POLICE.

Monseigneur, la France déjouera les intrigants qui veulent tous enlever la régence.

PELLEVIN, en dehors.

J’entrerai, j’entrerai.

LE PRINCE.

Messieurs ! Messieurs !

 

 

Scène XVII

 

HÉLÈNE, DUBOIS, LE PRINCE, PELLEVIN, RAVANNES, EDMOND, MINISTRES, COURTISANS, PAGES

 

HÉLÈNE, entrant tout en pleurs.

Morte, morte !

Elle s’arrête en pleurant.

PELLEVIN, entrant tristement, et se jetant aux pieds du prince.

Prince, c’est à vos genoux que...

Reconnaissant le prince.

Ciel !

LE PRINCE, troublé, et cherchant à se remettre.

Eh bien ! Monsieur... qu’est-ce ? que se passe-t-il ? qu’avez vous à m’apprendre ?

PELLEVIN.

Monsieur... non, Monseigneur... c’est Madame Gervais, qui vient d’expirer sous cette fenêtre... Madame Gervais... M. Henri...non, non...

DUBOIS, vivement.

Ah ! cette pauvre femme que je n’ai pas voulu présenter à Son Altesse.

PELLEVIN.

Comment...

Reconnaissant Dubois.

Ah !

RAVANNES, à Pellevin.

Pas un mot, ou la Bastille...

PELLEVIN.

Vous aussi !

Il se relève, et reste interdit.

LE PRINCE.

Une femme... qui implorait ma pitié...et que vous refusiez de me présenter !... vous avez causé sa mort, peut-être... Ah, l’abbé, je ne vous le pardonnerai jamais !

DUBOIS.

Prince...

LE PRINCE.

Partez pour l’Angleterre, et attendez mes ordres.

HÉLÈNE, bas, à Dubois.

Et moi ?

DUBOIS.

Silence !... je serai ministre.


[1] Desœillets, costume de riche financier ; Henri, costume bourgeois élégant.

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