Les Polonais (Charles DESNOYERS)

Impromptu en un acte, mêlé de couplets.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase, le 16 mars 1831.

 

Personnages

 

LÉOPOLD OGINSKI, jeune Polonais 

CHRISTINE, sa mère

MARIE, sa sœur

MICHEL OZEROFF, officier Lithuanien

UN GARDE NATIONAL POLONAIS

UN PAYSAN

 

La scène se passe à Praga, en février 1831.

 

 

Scène première

 

CHRISTINE, MARIE, LÉOPOLD

 

Christine et Marie attachent la cravate d’un drapeau ; Léopold et sept ou huit autres Polonais sont groupés au fond de la scène, le fusil à la main ; un drapeau blanc et amarante surmonté d’un aigle blanc flotte au-dessus du groupe. Vers la fin de l’ouverture, on a entendu le bruit lointain d’une canonnade, d’abord très forte, puis s’éloignant sensiblement. La toile se lève... Tous les personnages écoutent avec attention.

LÉOPOLD.

Plus rien !... c’était encore une fausse alerte... Depuis quatre jours sans cesse de nouvelles escarmouches, et pas encore la grande bataille !

Parlant à un jeune homme qui regarde avec une lunette d’approche.

Eh bien ! ami... de ce côté... du côté de la France !... toujours, toujours personne !

UN POLONAIS.

Non, personne.

LÉOPOLD.

Air de Téniers.

Les yeux tournés du côté de la France,
Prêts à périr, nous espérons toujours.
Nos veux sans doute ont franchi la distance...
Venez, Français... nous mourons... au secours !
Ne tardez pas, c’est trop vous faire attendre,
De nos dangers Dieu lui seul est témoin...
Qu’il vous conduise... Hélas ! pour nous entendre
Il est trop haut, et la France trop loin !

Allez, mes amis, et que le Russe, s’il approche, nous trouve toujours prêts à le recevoir. Chacune de nos habitations renferme, comme celle-ci, une famille toute armée ; des bourgeois, des étudiants, des paysans résolus à tout souffrir, à incendier leurs maisons plutôt que de les en laisser maîtres... N’oubliez pas que le troisième coup de canon parti de nos avant-postes nous annoncera la présence des masses ennemies... Venez me prendre alors... nous irons ensemble à leur rencontre.

Air de Fernand Cortez.

En avant !
En avant !
Pour le pays prenant les armes,
Point de lâches alarmes...
Nous périrons en combattant.

À Marie et Christine.

Cette idée à vos yeux
N’arrache point de larmes...
Ce trépas glorieux
Va nous conduire aux cieux.

CHŒUR.

En avant !
En avant !
Pour le pays, etc.

Ils sortent, à l’exception de Léopold, de Christine et de Marie.

 

 

Scène II

 

LÉOPOLD, MARIE, CHRISTINE

 

LÉOPOLD.

Ma bonne mère ! et toi, ma chère Marie !... Malgré mes instances, vous avez quitté Varsovie... vous avez voulu me suivre jusque sous le canon des Moscovites. Ah ! le ciel m’en est témoin... S’il m’arrive de trembler un instant, c’est pour vous ; pour vous seules.

MARIE.

Ah ! rassure-toi, mon frère... tu vois bien que moi, je ne tremble pas.

CHRISTINE.

Toi qui étais si timide, si peureuse... autrefois.

LÉOPOLD.

C’est vrai.

MARIE.

Il у a dans ces idées de patrie et de liberté quelque chose qui vous donne un courage...

CHRISTINE.

Et puis, nous sommes auprès de mon fils, de ton frère... et du moins, nous mourrons avec lui.

LÉOPOLD.

Oh ! quand je vous entends parler ainsi, quand je pense que toutes nos compatriotes tiennent le même langage... j’espère que la Pologne triomphera.

CHRISTINE et MARIE.

Je l’espère aussi.

LÉOPOLD.

Allons, en attendant l’heure du combat, je vais achever ma lettre.

MARIE.

À ton ami le Français ?

LÉOPOLD.

Justement.

MARIE.

Celui avec lequel tu as été élevé dans un lycée de Paris ?

LÉOPOLD.

Oui, j’attends de lai des nouvelles de France... il a dû m’écrire, et si mes calculs sont justes, ce paysan que j’ai envoyé à Thorn ne tardera pas à nous apporter sa lettre.

MARIE.

Ah ! tant mieux.

CHRISTINE.

Nous te laissons.

LÉOPOLD.

Marie, tu penseras, j’en suis sûr... tu parleras avec ta mère de notre ancien ami, Michel Ozeroff.

LES DEUX FEMMES.

Ozeroff !

LÉOPOLD.

Celui que tu allais épouser... lorsqu’a éclaté l’insurrection de Varsovie.

MARIE.

Ah ! mon frère... ne me parle jamais de lui... Il combat à pré sent dans les rangs de nos ennemis.

LÉOPOLD.

Il est Lithuanien.

CHRISTINE.

Capitaine au service de la Russie.

LÉOPOLD.

Et il croit se devoir tout entier à la cause de l’empereur.

MARIE.

Il a tort... et je le hais aujourd’hui... autant...

LÉOPOLD.

Que tu l’aimais autrefois, pauvre Marie !... Élevé chez un peuple généreux, tu ne comprends pas cette obéissance passive aux ordres d’un étranger ; tu ne comprends pas surtout cette ambition d’un roi qui arme frères et amis les uns contre les autres... Allons, laisse-moi, au revoir.

TOUTES DEUX.

Au revoir.

Elles sortent.

 

 

Scène III

 

LÉOPOLD, seul

 

Pauvre enfant ! plus d’hymen ! plus de bonheur !... Que dis-je ? la mort en perspective ! Ah ! que ne puis-je l’y soustraire... écrivons.

Il se met à une table, et il écrit.

« Le canon a cessé de se faire entendre... Plusieurs des nôtres, placés sur des collines de distance en distance, doivent nous annoncer, d’une part, l’approche des Russes pour le combat décisif ; de l’autre, l’arrivée des Français. Du côté de l’ennemi, nous avons eu déjà plusieurs alertes ; du vôtre, rien encore, pas même une lettre ! Que se passe-t-il donc chez vous ? Quelle infortune assez grande peut vous faire oublier la nôtre ? France de juillet, qu’est-tu donc devenue ? »

Ici Michel Ozeroff entre en scène, déguisé en officier polonais.

 

 

Scène IV

 

MICHEL, LÉOPOLD

 

MICHEL, sans voir Léopold.

Oui, je ne me trompe pas... c’est ici, c’est bien ici qu’il doit être.

LÉOPOLD, écrivant toujours.

Adieu, un seul combat peut nous perdre.

MICHEL.

C’est lui !c’est Léopold ! Ah ! comme le cœur me bat !

LÉOPOLD, achevant sa lettre.

Femmes, enfants, vieillards, toute la Pologne est au champ de « bataille. » 

MICHEL.

Approchons... Léopold... mon ami !

LÉOPOLD, se levant.

Qu’entends-je ? Cette voix ! Ozeroff ?

MICHEL.

Moi-même.

Il lui tend la main.

LÉOPOLD.

Arrête... cette main, dois-je la presser dans la mienne ?... Que viens-tu faire dans le camp des Polonais ?... Comment, dans quel dessein as-tu pris notre uniforme ? Est-ce un ami qu’il faut que j’embrasse ? Est-ce un traître qu’il faut que j’immole à mon pays ?

MICHEL.

Un traitre !... Écoute : dans des temps plus heureux, je devais épouser ta sœur.

LÉOPOLD.

Oui, dans des temps plus heureux... Maintenant, ce que tu appelles ton devoir t’ordonne de me combattre.

MICHIEL.

Avant une heure, la bataille sera livrée.

LÉOPOLD.

Avant une heure !... Eh bien ! tant mieux... nous étions las de l’attendre...

MICHEL.

Ce matin, en pensant à votre petit nombre, aux forces supérieures qui vont vous attaquer de toutes parts, je tremblais... non pas pour toi... je sais que tu es résolu à périr.

LÉOPOLD.

Nous le sommes tous.

MICHEL.

Mais parmi ceux qui vont affronter avec toi le plomb, la mitraille de nos soldats... n’en est-il pas que tu aimerais à préserver de tout danger ?... ta mère... ta sœur.

LÉOPOLD.

Ma mère... ma sœur !

MICHEL.

Dis, Léopold, quelque soit le résultat du combat, si je pouvais t’assurer qu’elles y survivront.

LÉOPOLD.

Explique-toi.

MICHEL.

C’est pour cela que j’ai pris ce costume, que je suis parvenu jusqu’à toi... au risque de passer pour un espion dans votre camp, pour un déserteur dans celui des Moscovites. Je suis porteur d’un sauf-conduit, avec lequel ta sœur, ta mère pourront traverser sans périls les avant-postes de notre armée ; un guide sûr les conduira jusqu’aux frontières de la Lituanie, dans ma famille... leur existence du moins sera sauvée... et plus tard, après la guerre... tu pourras les revoir... si le ciel...

LÉOPOLD.

Si je ne suis pas mort avec tous mes compatriotes... n’est-ce pas là ce que tu voulais dire ?

MICHEL.

Mon ami !

LÉOPOLD.

Je te comprends, mon vieux camarade... quant aux offres que tu viens de me faire, ce n’est pas à moi d’y répondre... viens, Marie, et toi aussi, ma mère.

 

 

Scène V

 

MICHEL, LÉOPOLD, MARIE, CHRISTINE

 

LÉOPOLD.

Tenez, le voilà, celui donc nous parlions encore il y a quelques instants.

MICHEL.

Vous parliez de moi !

MARIE.

C’est lui ?

CHRISTINE.

M. Ozeroff !

LÉOPOLD.

Plus bas ! plus bas ! ma mère... cet ami a bravé tous les dangers pour vous préserver de ceux qui vous menacent.

MARIE.

Que dis-tu ?

LÉOPOLD.

Il faut nous séparer.

LES DEUX FEMMES.

Nous séparer !

LÉOPOLD.

Ce sauf-conduit qu’il vous présente...

TOUTES DEUX.

Un sauf-conduit !

Michel le remet à Marie.

MICHEL.

Air de Caleb.

Acceptez-le, je vous en prie,
Et pour un temps éloignez-vous !

MARIE.

Quitter mon frère ! et ma patrie !

CHRISTINE.

Jamais !

MICHEL.

Je tombe à vos genoux.
Remplissant, et sans gloire,
Un devoir rigoureux,
Ce n’est pas la victoire,
C’est la mort que je veux.
Oui, dans mon malheur extrême,
Au trépas je vais courir ;
Mais si je sauve ce que j’aime,
Sans regret je puis mourir.

MARIE.

Non, monsieur, nous n’accepterons pas.

CHRISTINE.

Nous resterons.

Elle déchire le sauf-conduit.

MICHEL.

Ce dévouement inutile...

CHRISTINE.

Inutile !... et qui l’embrassera avant le combat, en lui disant : Tombe ou sois vainqueur !

LÉOPOLD.

Ma mère !... ma chère Marie !...

CHRISTINE.

Air : Simple soldat, etc.

Jusqu’à la fin nous restons près de lui,
Le même destin nous rassemble,
Et si mon fils doit périr aujourd’hui,
Tous trois alors nous périrons ensemble.

MICHEL.

De quelle horreur vous pénétrez mes sens !
Vous refusez !...

LÉOPOLD.

Soldat de la Russie,
Nos ennemis t’attendent dans leurs rangs.
Va combattre pour les tyrans,
Et nous, mourons pour la patrie.

TOUS TROIS.

Oui, nous mourons pour la patrie !

MICHEL.

Ainsi, plus d’espérance ; je ne vous reverrai plus !

LÉOPOLD.

Peut-être sur le champ de bataille...

MICHEL.

N’achève pas... mon ami, mon frère...

LÉOPOLD.

Oh ! ne crains rien, si je te rencontre, j’oublierai que tu combats pour la Russie.

MICHEL.

Et moi, plutôt briser mon épée...

MARIE.

Brisez-la donc... car tous ceux que vous allez combattre, sont aussi vos amis, vos frères.

LÉOPOLD.

Tiens, regarde !

Il va prendre le drapeau que sa sœur tenait à la main au lever du rideau.

Voilà notre étendard... voilà le cri de guerre que nous vous adressons.

MICHEL, lisant.

« Nous combattons pour notre liberté, comme pour celle des Russes. »

LÉOPOLD.

Oui, pour la liberté de tous les peuples.

MICHEL.

Que dis-tu, Léopold ?

LÉOPOLD.

La vérité !... et toi, cependant, un Lithuanien, un Polonais comme nous, comme nous écrasé, asservi par la Russie, c’est pour elle que tu portes les armes ! On vous a dit à toi et à tes compatriotes : marchez ! combattez ! égorgez des milliers d’hommes qui ont eu l’insolence de vouloir être libres ! Brûlez leur ville, et pour salaire, vous aurez six jours de pillage !... et toi, Michel, et tous les tiens, vous n’avez pas alors brisé vos épées !...

MICHEL.

Arrête, au nom du ciel, arrête !...

LÉOPOLD.

Mais ces fers qu’on veut imposer à la Pologne, retomberont sur vous, quand vous nous aurez massacrés.

MICHEL.

Il est trop vrai !

LÉOPOLD.

Eh bien ! ces fers, qu’ils nous soient donc apportés par d’autres que par toi...

MICHEL.

Comment !

LÉOPOLD.

Tout à l’heure, tu voulais leur sauver la vie... moi, je veux te sauver l’honneur.

MICHEL.

L’honneur !

LÉOPOLD.

Air : Ce que j’éprouve en vous voyant.

Auprès de nous tu resteras ;
Tiens... c’est ma sœur qui t’en supplie,
Pour te sauver de l’infamie,
Top épouse te tend les bras.

MICHEL, parlant.

Mon épouse !

LÉOPOLD.

Oui, près de nous tu resteras.
Rejette au loin les faveurs souveraines,
Le faux honneur qui sut trop t’abuser ;
Ne souffre pas qu’on puisse t’accuser
D’avoir perdu sous le poids de tes chaînes
Jusqu’au désir de les briser.

MICHEL.

C’en est fait, je veux les briser,
Pour jamais je veux les briser.

Non... Je n’y résiste plus... J’ai pris l’uniforme d’un soldat polonais... Je le garde, et je m’en montrerai digne.

LÉOPOLD.

Mon ami !

CHRISTINE.

Mon fils !

MARIE.

Mon époux !

MICHEL.

Et comme vous, je combattrai pour la liberté de la Pologne et pour celle de tous les peuples.

MARIE.

Ah ! si tous les Lithuaniens, si toute l’armée russe pouvaient voir notre drapeau !

LÉOPOLD.

Sois tranquille... Celui-là, je ne le défendrai pas, je le laisserai prendre... Venez, venez, mes amis.

 

 

Scène VI

 

MICHEL, LÉOPOLD, MARIE, CHRISTINE, LES POLONAIS

 

LÉOPOLD.

J’ai à vous présenter un nouveau compagnon d’armes.

UN POLONAIS.

Un Français !

LÉOPOLD.

Non, pas encore... C’est un officier lithuanien, mon beau-frère, Michel Ozeroff.

TOUS.

Un Lithuanien !

LÉOPOLD.

Vous voyez, mes amis, que notre étendard a fait merveille.

Tout le monde se groupe autour d’Ozeroff.

Mon cher Ozeroff ! cet instant est un des plus beaux de ma vie... Et vous aussi, mes braves camarades, vous partagez notre allégresse, nous sommes heureux.

MICHEL.

Oui... et nous n’avons pas une heure à vivre.

LÉOPOLD.

C’est vrai, pas une heure... Ah ! bah ! qu’importe ? Cette minute qui s’écoule à présent, cet ennemi qui vient faire avec nous cause commune, que nous pressons dans nos bras... et ce rêve, ce beau rêve de l’union de tous les peuples, voilà qui vaut mieux que trente années d’existence !

Ici un coup de canon.

LÉOPOLD.

Entendez-vous le premier coup de canon ?... C’est le signal pour préparer nos armes... Au troisième, nous marchons à l’ennemi. Il nous reste un instant, un seul... Eh bien ! pour la dernière fois peut-être, au bruit même du canon des Moscovites, trinquons en semble à la liberté du monde !

On apporte des verres et des bouteilles.

LÉOPOLD, élevant son verre.

Air : Est-il supplice égal ?

Vive la liberté !
L’univers enchanté
Va bénir son passage.
Les Français sont vainqueurs :
Brisons, brisons ailleurs
Les fers de l’esclavage !

CHŒUR.

Vive la liberté, etc.

LÉOPOLD.

Rois absolus,
Vos beaux jours ne sont plus.
Bravant votre arrogance,
Tous vos sujets,
Autour de vos palais,
Rêvent l’indépendance.
Peuples, armez-vous tous :
Trop longtemps à genoux,
Levez-vous à la ronde.
Despotisme entêté,
Tremble, la liberté
Fera le tour du monde.

CHŒUR.

Peuples, armez-vous tous, etc.

LÉOPOLD.

Que de combats !
Pour ses tyrans, hélas !
Que de sang ! que de guerres !
Les rois unis,
Voilà vos ennemis,
Peuples, vous êtes frères.

Montrant un drapeau tricolore.

Français, nos défenseurs,
Venez, vos trois couleurs
Triomphent à la ronde.
Ce drapeau respecté,
Avec la liberté,
Fera le tour du monde.

CHŒUR.

Français, nos défenseurs, etc.

LÉOPOLD, au Polonais.

Regarde, ami, du côté de la France.

LE POLONAIS.

Rien !...

LE POLONAIS.

Ah !... si fait, j’aperçois...

TOUS.

Quoi donc ?

LE POLONAIS.

À deux cents pas d’ici, on agite le drapeau tricolore qui doit nous servir de signal.

LÉOPOLD.

Ah ! j’en étais bien sûr, les Français !

TOUS.

Les Français !

LÉOPOLD.

Air : Garde à vous ?

Taisons-nous !
Taisons-nous !

MARIE.

Attendons en silence,
Une fausse espérance
Peut nous abuser tous.

CHŒUR.

Taisons-nous,
Taisons-nous.

Deuxième coup de canon.

UN POLONAIS.

Mais le canon résonne,
Et je ne vois personne.

LÉOPOLD.

Nous combattrons sans vous,
Français... ah ! vengez-nous.

CHŒUR.

Non, plus de vaine espérance,
Du moins, enfants de la France,
Vengez-nous !
Nous combattrons sans vous,
Vengez-nous !

LÉOPOLD.

Je ne me trompe pas... c’est Paul, celui de nos camarades que ce matin j’ai envoyé à Thorn.

MARIE.

Ah ! sans doute, il nous apporte des nouvelles.

LÉOPOLD.

Oui... il tient à la main une lettre... un journal.

TOUS.

Un journal !

LÉOPOLD.

Un journal de France !

 

 

Scène VII

 

MICHEL, LÉOPOLD, MARIE, CHRISTINE, LES POLONAIS, UN PAYSAN, qui tient à la main une lettre et un numéro du National

 

LÉOPOLD.

Ah ! donne, donne. Écoutez, mes amis.

TOUS.

Écoutons, silence !

LÉOPOLD, lisant la lettre.

« Pologne !... Varsovie !... Praga !... c’est le cri général en France... Sont-ils vainqueurs ? Le bon droit est-il plus fort que le nombre ? À la Bourse, au théâtre, dans les salons, on ne se rencontre que pour s’interroger sur le sort de ces nobles amis... » Ah ! je le savais bien, moi, que les Français ne nous avaient pas oublié.

MARIE, lisant le journal.

« Hier, on a chanté sur nos théâtres une cantate en l’honneur des héroïques défenseurs de Varsovie, et les applaudissements, les larmes du public ont témoigné de notre sympathie universelle pour la cause polonaise. »

CHRISTINE.

Des larmes ! des applaudissements !

MICHEL.

Une cantate !

CHRISTINE.

Air de Turenne.

Enfant encor, tu pris les armes
Pour combattre leurs ennemis ;
Ton père au milieu des alarmes
Te conduisait.

LÉOPOLD.

Hélas ! et je le vis
Tomber sanglant sous les murs de Paris.

MICHEL.

Et voilà donc votre reconnaissance,
Français ; comment vous justifierez-vous ?

LÉOPOLD.

Le coq gaulois chante pour nous,
Nous mourions pour l’aigle de France.

Non, ma mère, non, mes amis, notre malheur nous rend injustes. On nous aime en France... Mais il y a tant d’obstacles ! Ils sont si loin ! Combien ils doivent souffrir ! Ah ! que je les plains !

MARIE.

Tu as raison, mon frère... Écoutez, écoutez plutôt cet autre article... « Le comité polonais s’organise sous la présidence du général Lafayette... »

LÉOPOLD.

Hein ! que vous disais-je ?

MARIE.

« À la tribune, le brave général Lamarque réclame des secours, une armée pour la Pologne. »

LÉOPOLD.

Voyez-vous ? Après ?...

MARIE.

Ah ! je n’ai pas la force de lire.

LÉOPOLD, prenant le journal.

« Il est écrit là haut que ce peuple infortuné doit périr. »

TOUS.

Périr !

LÉOPOLD, au paysan.

Te chargeras-tu de porter ma réponse ?

LE PAYSAN.

Oui, je te le promets.

LÉOPOLD.

Ajoutons quelques lignes...

Écrivant avec rage.

« Les Russes ne veulent passer sur le corps sanglant de la Pologne que pour arriver jusqu’à vous. Nous emporterons au tombeau, l’espérance que nous serons vengés, et que de nos cendres et des ruines de nos villes, sortiront la liberté des peuples et la chute du despotisme. Adieu, pour toujours sans doute. »

TOUS.

Oui, pour toujours.

Sortie du paysan.

 

 

Scène VIII

 

TOUS LES PERSONNAGES, excepté LE PAYSAN

 

Troisième coup de canon.

LÉOPOLD.

Et maintenant, aux armes !

TOUS.

Aux armes !

LÉOPOLD.

Que du moins ce drapeau nous tienne lieu de leur présence, et que leur chant national nous ranime encore à nos derniers instants.

Tous les Polonais se rassemblent autour du drapeau tricolore.

LÉOPOLD, prenant le drapeau tricolore.

Air : De la Marseillaise.

Amour sacré de la patrie.
Conduis, soutiens nos bras vengeurs.
Liberté, liberté chérie,
Combats avec les défenseurs.
Sous ce drapeau que la victoire
Accoure à tes males accents
Que tes ennemis expirants
Voient ton triomphe et notre gloire.

CHŒUR GÉNÉRAL.

Aux armes, Polonais ! formez vos bataillons !
Marchons !
Marchons !
Le ciel est juste, et nous triompherons !

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