Les Pailles rompues (Jules VERNE)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre-Historique, le 12 juin 1850.

 

Personnages

 

D’ESBARD

FRONTIN

RAOUL D’ELMONT

UN SUISSE

HENRIETTE D’ESBARD

MARINETTE

 

Paris 17...

 

La scène représente une chambre richement meublée. Une alcôve à droite de l’acteur. Un lit. Au fond une porte à deux battants. Sur le côté droit, un premier plan, une porte ouvrant sur les appartements de service.  Sur le côté gauche, au premier plan, une porte ouvrant sur un cabinet de toilette. Une table, au deuxième plan ; une fenêtre donnant sur le jardin.

 

 

MONSIEUR ALEXANDRE DUMAS FILS

 

De votre appui, Monsieur, hautement je m’honore,
Puisque, grâce à vos soins, je suis resté vainqueur !
En me donnant la main, vous donniez plus encore,
Car là, chacun le sait, est place votre cœur.

D’ou vient que mon esprit inquiet se tracasse
Pour vous faire embrasser ce nouveau-né ! – pourtant,
Aux enfants dont parfois on leur fait dédicace,
Que de pauvres maris ne travaillent autant !

Prodigue Saint-Martin, de votre savoir-faire
Au pauvre vous avez donné bonne moitié ;
On m’a trouvé bien mieux vêtu qu’à l’ordinaire.
Sans que vous parussiez vous être dépouillé !

Voici notre morale, afin qu’on la comprenne !
Oui, je n’aurai, Monsieur, réussi qu’à demi,
Si les femmes encor partent pour la Lorraine !...
Et si je ne suis pas à jamais votre ami !

JULES VERNE

 

 

Scène première

 

FRONTIN, MARINETTE

 

Marinette lit auprès d’une table.

FRONTIN entre avec deux candélabres.

Oh ! à cette heure-ci la chambre n’est pas faite ?

MARINETTE.

Frontin !

FRONTIN.

D’une servante il faudra faire emplette.

MARINETTE.

Frontin !

FRONTIN.

Lorsqu’on paresse ainsi tout le matin,

Pour terminer l’ouvrage on compte sur...

MARINETTE.

Frontin !

FRONTIN.

Frontin par-ci, par-là... je vous tire nies chausses !

Marinette veut donc me mettre a toutes sauces !

Dieu sait que je ne suis, et ne serai jamais

L’admirateur zélé de ses charmes...

MARINETTE.

Mais...

FRONTIN.

Mais

Vous voulez devenir ma femme de ménage,

Et vous ne savez pas faire un lit ! a votre âge !

Où donc est l’oreiller ?... Et d’où vient le dessein

De ne pas remplumer un peu ce traversin ;

Pour que Monsieur se fâche, et contre nous tempête

D’avoir ses pieds, ce soir, au-dessus de sa tôle ?

MARINETTE.

Eh bien ! quand vous seriez un peu mon serviteur ?

FRONTIN.

En vérité ! voilà qui serait bien flatteur !

Quand votre serviteur peut se servir à peine !

Vos services vont-ils arriver par douzaine ?

La fille ! vertuchoux ! vous nous en dégoisez !

Croyez-vous que je reste ici les bras croisés ?

Vous chantez-là, mamie, une drôle de gamme !

Je sers, primo Monsieur, et seconde, Madame,

Tertio l’intendant, en quatrième lieu

Les amis de Madame, agréés par Monsieur !

Je sers, en travaillant quinze heures par journée,

Trois cent soixante-cinq ou six jours par année !

Je sers le chat, je sers le carlin, et je sers

Au perroquet hargneux le biscuit des desserts !

C’est donc assez, je crois, pour que je ne m’honore,

Par-dessus le marché, de vous servir encore !

MARINETTE.

Mais Madame, Monsieur et leurs amis reçus

Ne font-ils pas, sur vous, pleuvoir de bons écus ?

FRONTIN.

D’accord... mais contre moi, notre intendant rechigne,

Et le carlin me mord, et le chat m’égratigne,

Et le perroquet va sur mon dos caquetant

Ma mie, et vous pourriez fort bien en faire autant !

MARINETTE.

Frontin l’impertinent m’épousera, je jure !

FRONTIN.

Ne vous avisez pas de tenir la gageure !

Avez-vous une dot ?

MARINETTE.

Nous en aurons !

FRONTIN.

Oui dà !

MARINETTE.

Un sac bien rebondi !... c’est la votre dada ?

Qu’est-ce donc que l’amour ?

FRONTIN.

C’est un mât de cocagne,

Où le grimpeur s’épuise et joue a perd qui gagne ;

À moins que, par bonheur, tombant du premier coup

Il se rompe une jambe, ou se casse le cou !

MARINETTE.

Mais risquer pour avoir !

FRONTIN.

Avoir quoi, je vous prie ?

Le droit d’être assommé par la plaisanterie !

Ma foi, le beau métier que le métier d’époux !

Voyez monsieur d’Esbard ?...

MARINETTE.

Un avare ! un jaloux !

Qui se plaint hautement que trop vite on digère,

Et voudrait que l’on put s’engraisser à l’eau claire.

Un homme gros et gras, fort comme le Pont-Neuf,

Qui rognerait un liard, et tondrait sur un œuf !

FRONTIN.

Comprenez donc enfin, quel plaisant alliage

De deux tempéraments nous fait le mariage !

Que diable ! pensez-y ! car je vous dis tout net,

Que ces désagréments ne sont point de mon fait !

Toujours le mariage aigrit le caractère !

Lorsque l’un veut parler, l’autre ne veut se taire !

On s’emporte, on dispute, on se querelle, ou bien

L’un ne veut plus parler, et l’autre ne dit rien !

Tous ces ennuis la vont comme mars en carême !

Moi, je suis né garçon, et je mourrai de même !

Lorsque l’on voit les gens tremper aux mêmes pots

Une même cuiller, on peut parier gros

Que si la femme est vieille, on la trompe en cachette,

Que si l’époux est vieux, la chose est déjà faite,

Et que, s’ils ont même âge, et même intimité,

Ils se trompent tous deux, chacun de son côté !

L’hymen est un combat où jour et nuit on ruse ;

Quand Madame veut ça, Monsieur le lui refuse.

Par exemple, monsieur d’Esbard veut aujourd’hui

En province emmener son épouse avec lui,

Et madame a dit non, mais à son tour désire

Certains beaux diamants ; alors Monsieur, de dire

Nenni de son côté ; de là, donc, des combats !

Tu viendras ! – Je l’aurai ! – Non, tu ne l’auras pas !

C’est à n’en pas finir !

MARINETTE.

Si fait ! J’en ai la preuve !

La femme de Monsieur...

FRONTIN.

Tu veux dire sa veuve,

Car jamais, que je crois !...

MARINETTE.

Taisez-vous donc, Frontin !

FRONTIN.

Enfin, qu’a fait Madame ?

MARINETTE.

Eh bien ! l’autre matin,

Monsieur la tourmentait encor pour ce voyage,

Elle a rompu la paille, et c’est là le plus sage,

Quand on ne sait comment finir de longs débats !

FRONTIN.

Rompre la paille !... Il faut que je sois bête, hélas !

Car je ne comprends rien à ce moyen superbe !

MARINETTE.

Il n’est pas Dieu possible ! on t’aura nourri d’herbe,

Mon pauvre bel esprit ! c’est bien simple pourtant,

Et, de Rome à Paris, il n’est-pas un enfant

Qui n’ait joué ce jeu ? Je t’explique la chose

En l’appliquant, à nous !

FRONTIN.

J’écoute !

MARINETTE.

Je suppose...

Tu veux mon beau bonnet, je veux ton vieux chapeau,

Et nous nous refusons ce mutuel-cadeau ;

Dans ce cas nous prenons et rompons une paille.

Et dès ce moment-là, commence la bataille.

FRONTIN.

Après ?

MARINETTE.

Si tu reçois quelque objet de ma main,

Tu perds, et j’ai gagné ton vieux chapeau, Frontin,

Et moi, si je reçois de ta main quelque chose...

FRONTIN.

Je gagne ton bonnet !... très bien ! mais quelle clause

Régit monsieur d’Esbard ?

MARINETTE, appuyant sur les mots.

S’il reçoit un objet

De la main de Madame, il perd et se soumet

À donner la parure aux désirs de sa femme ;

Mais s’il fait accepter quelque chose à Madame,

À son tour, celle-ci vaincue, obéira,

Et pour cette province, avec lui, partira.

FRONTIN.

Beau moyen pour trancher les brouilles conjugales ;

Mais les chances, dis-moi, me semblent inégales :

Monsieur, dans tout cela, ne risque qu’un bijou,

Mais Madame, l’ennui d’aller je ne sais où,

Avec un vieux mari qui n’est pas toujours drôle !

MARINETTE.

Oui, mais Monsieur perdra ! Madame sait son rôle !

Et la femme à qui Dieu donna le moins d’esprit,

En a toujours deux fois autant que son mari !

FRONTIN.

C’est pour ça que tu veux m’épouser ! Pauvre femme !

Mais tu perds bien ton temps !

MARINETTE.

C’est bon ! voici Madame !

 

 

Scène II

 

FRONTIN, MARINETTE, HENRIETTE

 

HENRIETTE entrant par le fond.

Frontin, laissez-nous !

Frontin sort par la porte du fond.

 

 

Scène III

 

MARINETTE, HENRIETTE

 

HENRIETTE.

Viens ! – Vous disputez encor !

MARINETTE.

Oui, Madame, toujours ! c’est un drôle de corps

Que mon futur époux !

HENRIETTE.

Tu l’épouses.

MARINETTE.

Madame,

Le ciel voulut toujours ce que voulut la femme ;

C’est un ancien proverbe, et nions Frontin sera

Mon mari, sans compter...

HENRIETTE.

Quoi donc ?

MARINETTE.

L’et-cætera !

HENRIETTE.

Que dis-tu Marinette, et quel affreux langage ?

MARINETTE.

Madame, on m’a remis pour vous certain message...

HENRIETTE.

Qui donc ?

MARINETTE.

Un grand faquin, un énorme valet

Qui cachait dans sa main un tout petit billet ?

HENRIETTE.

Qu’il t’a dit de remettre ?...

MARINETTE.

À vous-même !

HENRIETTE.

À moi-même ?

Faisant des difficultés pour prendre le billet.

Mais de la part de qui ?

MARINETTE.

De quelqu’un qui vous aime !

HENRIETTE.

Quelles sont ccs façons ?

MARINETTE.

Ma foi, je n’eu sais rien.

Mais j’ai pris le billet, et le voilà.

HENRIETTE.

C’est bien.

Donne.

Lisant.

C’est de d’Elmont !

MARINETTE.

De d’Elmont ?

HENRIETTE.

Il m’adore !

MARINETTE.

Quel est ce d’Elmont-là ?

HENRIETTE.

C’est un enfant encore !

Il va venir ici ! –Voilà trois ans, sais-tu,

Qu’on nous a séparés et que je ne l’ai vu !

Il est dragon ; demain, il repart pour la guerre.

MARINETTE.

C’est votre parent ?

HENRIETTE.

Oui ! mon cousin, et ma mère

Voulait nous marier ensemble.

MARINETTE.

Bon, bon, bon !

Je m’explique très bien ce que veut le dragon !...

HENRIETTE.

Il avait dix-neuf ans ! C’est un jeune homme à peine,

Et son vilain métier me fait bien de la peine.

Il est si délicat, si timide et si doux,

Qu’on va me le tuer, hélas aux premiers coups.

MARINETTE.

Élevez donc les gens pour qu’ils aillent se battre,

Et, sans profit pour vous, se faire mettre en quatre ;

Bichonnez-les à point, soignez-les, aimez-les,

Pour en faire un beau jour de la chair à boulets !

La mort joue avec eux, comme l’on joue aux quilles,

Et nous les retrouvons, perchés sur deux béquilles,

Courbés, borgnes, manchots, goutteux, cicatrisés,

Aveugles, chauves, sourds, et tout-à-fait usés !

Amour, honneur, deux mots qui nos entendent guère !

Donc, si vous m’en croyez, Madame, avant la guerre,

Profitez, profitez de l’auteur du billet,

Du gentil chérubin, pendant qu’il est complot !

On ne sait ce qui peut arriver !

HENRIETTE.

Mais la folle,

Et mon mari ?

MARINETTE.

Bah ! bah ! le mari ! parabole !

Allégorie ! histoire ! anecdote ! roman !

Vieux meuble fait exprès pour mettre un jeune amant !

Recevez le dragon, moi, j’en fais mon affaire !

HENRIETTE.

Quel rude conseiller ! Ah ! j’aurais fort à faire

Si je t’écoutais, toi ! Je verrai cet enfant ;

Mais comme un simple ami, comme on voit un parent !

Dans mon triste couvent, je crois l’entendre encore,

À travers les barreaux, dire : je vous adore !

Sa bouche le disait moins encor que ses yeux,

Car l’œil est, en amour, ce qui parle le mieux !

J’ai là, dans mon missel, de pauvres violettes,

Et des fleurs d’aubépine avec des pâquerettes,

Qu’il cueillait en venant, sur le bord du chemin,

Qu’il portait à sa bouche en me prenant la main,

Qu’ensuite je cachais dans mes livres d’étude,

Et dont le gai parfum peuplait ma solitude

De ces rêves dorés, que firent de tout temps,

En respirant des fleurs, les filles de seize ans !

Qu’est-ce donc que de nous ! J’ai dix-neuf ans à peine ;

L’enfance me caresse encor de son haleine ;

Nul amour dans mon cœur n’a chassé celui-là,

Je lui souris toujours, et pourtant je sens là,

Maintenant que l’enfant a fait place à la femme,

Que du sillon creusé jadis au fond de l’âme,

Rien ne pourra germer pour moi dans l’avenir,

Et que ce grand espoir n’est plus, qu’un souvenir !

Le monde est ainsi fait, vois-tu !... Toutes les filles

Ont rêvé des amours éternels, quand les grilles

De leur couvent fermaient à leurs yeux l’horizon,

Et toutes, froidement, ont vu dans leur maison

Auprès de leur mari, s’asseyant à leur table,

Mangeant, buvant, riant, le cousin adorable

Qui leur donnait des fleurs, et dont seule, la mort

Devait les empêcher de partager le sort.

MARINETTE.

Pauvre monsieur d’Elmont !

HENRIETTE.

Tu le plains, Marinette ?

MARINETTE.

Oui, la position me semble un peu trop nette,

Et pour son amour-propre et pour son amour.

HENRIETTE.

Mais

Ce que je t’ai dit là, Marinette, jamais

Je ne veux le lui dire.

MARINETTE.

Il n’est pas tant à plaindre,

Le pauvre chérubin, car si vous savez feindre,

Et recevoir de lui des fleurs, comme autrefois,

Si tous tremblez encore au doux son de sa voix,

Si pour mieux lui cacher tant de métamorphoses

Vous lui donnez la main, et permettez les choses,

Que vous lui permettiez, quand jadis au couvent

Vous étiez jeune fille, et qu’il était enfant,

Les grilles n’étant plus entre vous deux, Madame,

Vous pourrez lui donner autre chose que l’âme,

Et la pitié saura vous mener en ce jour

Bien plus loin que jamais ne vous mena l’amour.

HENRIETTE.

Tu te trompes, je veux doucement l’éconduire,

Lui, sans rien demander, et moi, sans lui rien dire,

Il veut un rendez-vous, parce qu’il part demain ;

À ce pauvre soldat qui se met en chemin,

Je donne du courage, et je fais une aumône !

Est-ce donc un péché, dis-moi, que d’être bonne ?

MARINETTE.

Va pour la charité ! quelle belle vertu !

Quand on a dix-neuf ans et les yeux bleus !...

HENRIETTE.

Sais-tu

Ce qu’il faut faire ? Car si mon mari se doute...

MARINETTE.

Recevez le dragon !

HENRIETTE.

Le recevoir ?

MARINETTE.

Sans doute.

HENRIETTE.

Et si monsieur d’Esbard...

MARINETTE.

Est là, je cacherai

Le jeune enfant, Madame, et je vous le rendrai !

S’approchant de la porte du fond.

Ah ! Madame, voyez !

HENRIETTE, la rejoignant.

Quoi donc ?

MARINETTE.

La bonne mine

Qu’a monsieur ! Quel habit, et quelle taille fine !

Il vient pour vous séduire en ce costume là !

Madame, tenez bon !

HENRIETTE.

Ne crains rien !

MARINETTE.

Le voilà.

HENRIETTE.

Va !

Marinette sort par fa porte de droite.

 

 

Scène IV

 

HENRIETTE, D’ESBARD

 

D’ESBARD, à part.

Tâchons de gagner, sans payer, ce voyage !

HENRIETTE, à part.

Gagnons ces diamants ; je gagnerai, je gage.

Haut.

Huit heures vont sonner ! Vous voilà prêt déjà !

Ah ! que j’aime à vous voir ainsi que vous voilà !

D’ESBARD, à, part.

Elle va m’assiéger ! Ne faisons pas de faute !

HENRIETTE.

Vraiment ! Que vous portez, Monsieur, la tête haute !

D’ESBARD.

J’ai bon air en effet, et cet habit est beau !

HENRIETTE.

Sur ce siège, un instant, posez votre chapeau,

Et tournez vous un peu, que je vous voie à l’aise.

D’Esbard pose son chapeau sur un fauteuil, et se pavane.

Vous êtes magnifique ! Et cet habit là pèse

Au moins deux cents !

D’ESBARD.

Au moins ! Mais qu’est-ce que le poids.

D’un habit, pour entrer dans la faveur des rois !

HENRIETTE.

On vous présente enfin, ce soir, au roi de France !

Vous me présenterez un jour, aussi, je pense !

D’ESBARD.

Vous serez, de la Cour, un des beaux ornements.

HENRIETTE.

Oui, si vous m’achetez, Monsieur, ces diamants,

Ou bien si je les gagne !

D’ESBARD.

Oh ! oh ! c’est impossible !

HENRIETTE.

Bah ! Aux séductions vous êtes accessible !

D’ESBARD.

Oh ! oh !

HENRIETTE.

Ces diamants me pareront très bien ?

Vous les aurez pour trois mille écus. C’est pour rien.

D’ESBARD, à part.

Diable ! rien, est bien cher !

Haut.

Gagnez-les !

HENRIETTE.

Je vous prie,

Que n’avez-vous pour moi plus de galanterie ?

Pourquoi cette avarice, et pourquoi refuser

Cet écrin ?... Suis-je ainsi ?... Voulez-vous un baiser ?

Offrant sa joue.

Prenez !

D’ESBARD.

Non, non, non, non !

HENRIETTE, à part.

Ah ! le jeu que tu joues

Te coûtera plus cher que tu ne crois !

Haut.

Mes joues

Vous savent gré, Monsieur, du refus, car enfin

On n’est pas plus discret vraiment.

D’ESBARD, d’un air fin.

Ni plus malin !

HENRIETTE.

Allons, puisque avec vous, on ne peut pas s’entendre,

Partez, Monsieur, parlez ! Le roi doit vous attendre !

Aux rois, vous le savez, on ne doit point faillir !

D’ESBARD.

Vous vous moquez de moi ! vous devez me haïr :

Mais j’aime mieux cela !

HENRIETTE.

Vous êtes un avare !

Mais chez les financiers, la chose n’est pas rare.

L’argent est en leur caisse, ainsi qu’en un tombeau !

Tenez, allez-vous en !

Lui présentant son chapeau.

Voilà votre chapeau !

Allez vite à la cour, puisque le temps vous presse.

Tenez.

D’ESBARD, sonnant.

Frontin !

 

 

Scène V

 

HENRIETTE, D’ESBARD, FRONTIN

 

FRONTIN, entrant par la porte du fond.

Monsieur ?

D’ESBARD.

Prends ce que ta maîtresse

Tient en main.

FRONTIN, prenant le chapeau.

Le chapeau de Monsieur ?

D’ESBARD.

Justement

Et mets-le sur ma tête !

FRONTIN, après l’y avoir mis.

Après ?

D’ESBARD.

Après, va-t’en !

Frontin sort par la porte du fond.

 

 

Scène VI

 

HENRIETTE, D’ESBARD

 

D’ESBARD.

Trouvez-vous cela bien joué ?

HENRIETTE.

J’ai fort à faire,

Si je veux triompher d’un si rude adversaire !

Mais tout n’est pas fini ?

D’ESBARD.

Je pars bien vite, alors !

Je suis plus sur de moi, lorsque je suis dehors !

Adieu, madame !

HENRIETTE.

Adieu !

D’Esbard va pour sortir.

Pardon, je vous rappelle !

Emploierez-vous demain la voiture nouvelle ?

D’ESBARD.

Non.

HENRIETTE.

Me permettez-vous de m’en servir un peu !

Je ne l’userai pas !... Je vous promets...

D’ESBARD.

Mon Dieu !

Prenez ! je ne crains pas que ma voiture s’use !

Vous pouvez la casser si cela vous amuse.

HENRIETTE.

Ah ! comme vous voilà galant et généreux.

Cela vous fera mal !

D’ESBARD.

Que nous serions heureux

Si vous vouliez, Henriette !

HENRIETTE.

Et que faudrait-il faire ?

D’ESBARD.

Ah ! vous le savez bien !

HENRIETTE.

Ah ! toujours cette affaire !

Quitter, Paris ?... Non pas ! 

D’ESBARD.

Je sais un bon pays...

HENRIETTE.

C’est possible, monsieur, mais j’aime mieux Paris !

D’ESBARD.

Là-bas, on se transforme...

HENRIETTE.

En œufs frais, en laitage.

Qui pourrait bien, monsieur, tourner les jours d’orage !

D’ESBARD.

Que cela serait gai !

HENRIETTE.

C’est la centième fois

Que vous me proposez ce plaisir. – Dans vos bois

Allez seul ! Moi, je reste.

D’ESBARD.

Allons, mon Henriette,

Tu veux ces diamants ! Bien ! je te les achète,

Si tu consens enfin à me suivre là-bas.

HENRIETTE.

Gardez vos diamants, monsieur, je n’en veux pas !

Vous les vendez trop cher ! J’aime mieux la gageure

Qui pourra me donner pour rien cette parure !

D’ESBARD.

Si c’est vous qui gagnez !

HENRIETTE.

Je gagnerai toujours.

Vous laissant partir seul, de rester quelques jours

Sans vous voir !

Elle tousse.

Et d’ailleurs, je suis trop enrhumée

Pour m’exposer à l’air.

D’ESBARD.

Oh ! pauvre bien-aimée !

Ou donc avez-vous pris ce vilain rhume-là ?

HENRIETTE.

À vivre près de vous !

D’ESBARD.

Il faut soigner cela.

HENRIETTE.

Allez-vous-en alors !

D’ESBARD.

Comme vous avez hâte

De me voir m’éloigner !

HENRIETTE.

Savez-vous une pâte

Qui guérisse la toux, que j’en fasse acheter ?

D’ESBARD, avec joie.

Oh ! il n’est pas besoin, car j’ai soin d’en porter

Toujours sur moi !

HENRIETTE.

Voyons !

D’Esbard tend sa boîte.

Voulez-vous que j’en prenne ?

D’ESBARD.

Comment ! si je le veux ! cette boîte est la tienne,

Mignonne, prends-là donc !

HENRIETTE.

Quoi ! vous me la donnez ?

D’ESBARD.

Oui.

HENRIETTE.

Vous me donnez tout, ce soir, vous m’étonnez.

D’ESBARD.

Prenez !

HENRIETTE, approchant et retirant sa main.

Vous êtes sûr que cette pâte est bonne.

Pour le rhume que j’ai ?

D’ESBARD.

Le médecin l’ordonne !

HENRIETTE, même jeu.

Mais chez quel confiseur la prenez-vous ?

D’ESBARD.

Ma foi,

Cette pâte me vient du confiseur du roi !

HENRIETTE, même jeu.

Du confiseur du roi ! C’est le moins que j’y goûte !

D’ESBARD.

Prenez !

HENRIETTE, même jeu.

Mais dites-moi ce que ce bonbon coûte !

D’ESBARD.

À quoi bon ?

HENRIETTE.

Je le veux.

D’ESBARD.

Un écu !

HENRIETTE, même jeu.

C’est fort cher !

Ce bonbon est-il doux, ou bien est-il amer ?

D’ESBARD.

Il est doux !

HENRIETTE.

Il est doux, alors rien ne m’arrête !

Elle sonne.

 

 

Scène VII

 

HENRIETTE, D’ESBARD, MARINETTE

 

D’ESBARD.

Eh bien ! que faites-vous ?

HENRIETTE.

Je sonne Marinette.

À Marinette.

Passe-moi cette boîte.

MARINETTE.

Ah ! la voici !

HENRIETTE.

Très bien !

MARINETTE.

Qu’est-ce cela ?

HENRIETTE, prenant des pastilles dans la boîte.

Des bonbons pour le rhume !

MARINETTE.

Tien ! tien !

Monsieur se met en frais de bonbons pour sa femme !

Que c’est bien à monsieur !... Puis-je en prendre, madame ?

HENRIETTE.

Es-tu donc enrhumée ?

MARINETTE.

Oh ! non, mais c’est sucré,

Et ça me guérira du rhume que j’aurai.

HENRIETTE, prenant la boîte de pastilles.

Ces bonbons sont exquis !... Il faut que j’en reprenne.

Rien des choses au roi !

D’ESBARD.

Hum !

MARINETTE.

Autant à la reine.

Elles se dirigent vers la porte de droite.

D’ESBARD.

Rendez la boîte au moins.

HENRIETTE, lui offrant la boîte.

Comment donc ! La voici.

D’ESBARD, retirant ses mains.

Marinette, prends-la.

MARINETTE, la prenant et l’empochant.

Merci, monsieur, merci !

Elles sortent.

 

 

Scène VIII

 

D’ESBARD, seul

 

Quel indigne pari ! Blais que Dieu me pardonne,

On donne quand on perd, et pour gagner on donne.

Me voilà bafoué, joué, battu, vaincu,

Sans compter que j’en suis pour un petit écu !

Il sonne.

 

 

Scène IX

 

D’ESBARD, FRONTIN

 

FRONTIN, entrant.

Monsieur m’a sonné ?

D’ESBARD.

Non, j’ai sonné Marinette.

FRONTIN.

Monsieur ne sort donc pas ?

D’ESBARD.

Non, j’ai mal à la tête !

Va chercher cette fille ! entends-tu.

FRONTIN.

Si j’entends...

D’ESBARD.

Quelle mine ce soir ! Eh bien ! donc ?

FRONTIN.

Je m’y rends !

Frontin se détourne pour s’en aller.

D’ESBARD, rappelant Frontin.

Qu’est cela, mons Frontin ! Avance, je te prie !

Tourne-toi donc un peu !

Voyant qu’il a les mains attachées derrière le dos.

Quelle plaisanterie !

FRONTIN.

Pardonnez-moi, monsieur, je ne plaisante pas !

J’aurais mauvaise grâce à le faire.

D’ESBARD.

En ce cas,

Parle ! réponds ! qui donc t’a fait cette malice

De te lier les mains !

FRONTIN.

Monsieur, c’est votre Suisse !

Un homme de grand sens et qui, s’il eût tété

Le soin de la science, aurait bien haut été !

D’ESBARD.

Mais pourquoi ce lien ?

FRONTIN.

Monsieur, voici la chose !

J’ai rompu comme vous une paille, et m’expose

En n’y prenant pas garde, à perdre en ces paris,

Le droit de me moquer désormais des maris.

D’ESBARD.

Je ne te comprends pas !

FRONTIN.

Je tombe en quenouillette

À mon risque et péril avec la Marinette !

Elle m’épouse si... je perds... si je reçois

De sa petite main, monsieur, quoi que ce soit !

Et, bien qu’en l’attrapant, a son amour j’échappe,

En présence du coup dont le destin me frappe,

Tous rires ou bons mots seraient fort déplacés !

D’ESBARD.

Bah ! ce n’est que cela ?...

FRONTIN.

Monsieur, c’est bien assez.

D’ESBARD.

Qui donc t’a pu monter contre le mariage ?

FRONTIN, gravement.

Tel que l’infortuné pêcheur de coquillage

Se plonge au fond des mers et n’arrache souvent

Qu’un caillou sans valeur, des flots qu’il va bravant,

Tel l’époux insensé, le nigaud, le bélitre,

Ne rapporte parfois qu’une coquille d’huître,

Et, la considérant, trop tard, avec regret

Voit qu’il n’a rien trouvé de ce qu’il espérait.

Ainsi parlait mon père ; et je tiens à le croire !

Quand le vin est tiré, monsieur, il faut le boire.

Et, fût-ce une piquette, à vous tournevirer,

Le parti le plus sage, est de s’en enivrer !

Mon père connaissait le sexe et la débâcle ;

Car, sur deux cents maris, monsieur, c’est un miracle,

Si, sans compter les morts, cent quatre-vingts ne sont...

Ce qu’on ne saurait être, en demeurant garçon.

D’ESBARD.

Ces perspectives-la sont assez peu tentantes !

FRONTIN.

Les chiffres sont exacts !

D’ESBARD.

Frontin, tu m’épouvantes !

Ton père exagérait ! on ne peut s’y fier !

FRONTIN, gravement.

Mon père... n’a jamais voulu se marier !

D’ESBARD.

Hé ! de moi ! mons Frontin ! je te crois hypocondre !

Il est des femmes dont nous oserions répondre,

Et madame D’Esbard...

FRONTIN.

Ah ! je ne dis plus rien...

Je parle pour moi seul !

D’ESBARD.

Pour toi seul ! ah ! fort bien.

Car cette Marinette est physiquement leste !

FRONTIN.

Et moralement donc ! D’un mouvement d’un geste !...

D’ESBARD.

Et de plus appétente au plus mince désir.

Si bien, que sa vertu, sur l’aile du zéphyr,

S’envolerait, Frontin, jusqu’au bout de la terre,

Et peut-être au-delà, tant je la crois légère !

FRONTIN.

Sur l’aile du zéphyr ! Eh ! Monsieur, jugez-donc

Ce qu’elle deviendrait par les jours d’aquilon !

Aussi, je tiens mes mains closes pour la soubrette !

D’ESBARD.

Mais qui me servira maintenant ?

FRONTIN.

Marinette !

D’ESBARD.

Je serai bien servi ! Je veux savoir pourtant

Par elle les désirs d’Henriette.

FRONTIN.

C’est tentant.

D’ESBARD.

Voudra-t-elle parler ?

FRONTIN.

C’est un moulin qui tourne,

Quand même il ne fait pas de vent !

D’ESBARD.

Fort bien, retourne

La chercher.

FRONTIN.

Prenez-la par la douceur surtout !

D’ESBARD.

Prends-bien garde, Frontin, de te casser le cou !

Frontin sort par la porte de droite.

 

 

Scène X

 

D’ESBARD, seul

 

Ce Frontin m’a dit là des vérités bien grandes !

Tous les maris trompés ne sont point des légendes !

Si j’allais être un jour dans les maris chantés ?

Ce Frontin m’a dit là de grandes vérités !

 

 

Scène XI

 

D’ESBARD, MARINETTE

 

MARINETTE, entrant par la droite.

Monsieur m’a demandée ?

D’ESBARD.

Approche, Marinette !

MARINETTE.

Monsieur ne sort donc pas ?

D’ESBARD, lui prenant le menton.

Toujours plus mignonnette.

Je t’ai souvent donné...

MARINETTE.

Jamais rien ! Jamais rien !

D’ESBARD.

La preuve que plus tard je te voudrais du bien !

Et je te promets plus !

MARINETTE.

Ah ! c’est bien peu de chose !

D’ESBARD.

Marinette, sais-tu quel sujet indispose

Ma femme contre moi ?

MARINETTE.

Parfaitement !

D’ESBARD.

Quoi donc ?

MARINETTE.

C’est que vous êtes vieux !

D’ESBARD.

Il me vient un soupçon !

MARINETTE.

Il ne vous en vient qu’un ?

D’ESBARD, à part.

Ah !

Haut.

Les refus d’Henriette

À me suivre, ont bien sûr une cause secrète !

Tout ce que tu voudras, je te le donnerai

Si tu veux m’éclairer.

MARINETTE, prenant la bougie.

Je vous éclairerai !

D’ESBARD.

Toi qui la connais bien, dis un peu ce qu’Henriette

Désire d’ordinaire !

MARINETTE.

Ah ! dam !... elle souhaite...

Vos diamants !

D’ESBARD.

Je sais ! mais quelle chose encor

D’un prix inférieur !

MARINETTE.

Ça peut-il être en or ?

D’ESBARD.

Peuh !...

MARINETTE.

Mais enfin, pourquoi ces questions ?

D’ESBARD.

Ma fille,

Madame d’Esbard est trop jeune et trop gentille...

Et je veux l’emmener en province a tout prix.

MARINETTE.

À tout prix ! Mais pourquoi ?

D’ESBARD.

Pour l’honneur des maris !

Elle a certain cousin...

MARINETTE.

N’allez-vous pas la battre

Pour un cousin qu’elle a ! Moi, Monsieur, j’en ai quatre

Tous jeunes, tous charmants, et, quand le temps viendra,

J’espère que Frontin, Monsieur, les comptera !

D’ESBARD.

Je voudrais donc savoir...

MARINETTE.

Oui, vous voulez apprendre

Ce que veut votre femme, afin de la surprendre !

D’ESBARD.

C’est cela ! Quelque objet d’assez mince valeur !

MARINETTE.

Et pourtant d’un aspect galamment enjôleur !

D’ESBARD, à part.

Une fois le tour fait, je me le ferai rendre.

MARINETTE.

Vous lui donneriez rien, si rien se pouvait prendre !

D’ESBARD.

Justement !

MARINETTE, cherchant.

C’est assez difficile ! Pourtant

Cela peut se trouver.

D’ESBARD, cherchant aussi.

Cherche bien, mon enfant !

MARINETTE, se frappant le front.

Et je cherche !

D’ESBARD, avec espoir et crainte.

Voyons, trouves-tu ?

MARINETTE.

Je m’applique !...

Tiens ! si vous lui donniez une autre domestique

Qui servît a servir Marinette ?

D’ESBARD, haussant les épaules.

Non pas !

MARINETTE.

Tiens ! si vous lui donniez votre cœur ! chut ! plus bas !

Hein ?

D’ESBARD.

Il faut un objet d’assez mince volume

Pour qu’on l’ait à la main !

MARINETTE, riant.

Des pâtes pour le rhume ?

D’ESBARD.

Ah ! c’est trop se moquer de moi, la fille !

MARINETTE.

Eh bien !

Je dois vous déclarer que je ne trouve rien,

Et puisque je n’ai rien trouvé, moi, Marinette,

Vous ne trouverez rien.

D’ESBARD.

Que cette fille est bête !

Il se dirige vers la porte du fond.

MARINETTE.

Surtout ne lui donnez ni carlin, ni pierrot,

On voit dans tous les coins que nous en avons trop !

D’Esbard sort furieux.

 

 

Scène XII

 

MARINETTE, seule

 

Elle s’approche de la fenêtre de la galerie.

Il s’en va furieux ! rouge comme une pomme !

Escorté de Frontin. S’il savait, le bonhomme,

Qu’il doit rôder par la, certain petit cousin.

Il serait bien plus rouge encor ! Voici Frontin

Qui revient les poignets liés, et la voiture

De Monsieur qui s’en va ! Je crois bien voir figure

D’amoureux, se glissant dans les arbres là-bas !

Il s’approche d’ici ! – Je ne me trompe pas !

Il guettait le départ de l’époux !

Revenant.

Ah ! que n’ai-je

Aussi mon chérubin, au front blanc comme neige !

Elle revient sur le devant de la scène.

 

 

Scène XIII

 

MARINETTE, RAOUL

 

RAOUL embrassant Marinette.

Voilà !

MARINETTE.

Qu’est-ce, Monsieur ? Apprenez, s’il vous plaît.

RAOUL.

Ton mari, j’en suis sûr, est gros, stupide, laid,

Plus coloré que n’est le couchant en septembre ?

MARINETTE.

Monsieur ! que voulez-vous ?

RAOUL.

Une femme de chambre

Du nom de Marinette !

MARINETTE.

Eh bien ! Monsieur, c’est moi !

RAOUL, l’embrassant encore.

Ah ! c’est toi, Marinette ! Eh bien ! voilà pour toi.

MARINETTE.

Monsieur !

RAOUL.

C’est bien, tu vas prévenir ta maîtresse

Que quelqu’un qu’elle attend l’attend, et cela presse.

MARINETTE.

Ma maîtresse n’attend personne !

RAOUL.

Et le cousin

D’Elmont !

MARINETTE.

C’est vous ?

RAOUL.

Parbleu !

MARINETTE, sortant par la droite.

C’est là le chérubin

Pont madame parlait ! Aux enfers on en grille

De plus doux que cela !

RAOUL.

Dépêche-toi, ma fille !

 

 

Scène XIV

 

RAOUL, seul

 

Enfin, je vais revoir mon amour de couvent

Et nous allons encor nous aimer comme avant !

Comme avant ! Qu’ai-je dit ? Par le ciel et la terre !

Nous allons nous aimer mieux qu’avant, je l’espère !

 

 

Scène XV

 

RAOUL, HENRIETTE

 

HENRIETTE, entrant par la droite.

Que dit donc Marinette ?... Ah ! Raoul !

RAOUL.

Par les Dieux !

Vive le jardinier qui cultive en ces lieux

Une si belle fleur !

HENRIETTE.

Ah ! combien je suis aise

De vous voir, cher Raoul, et qu’encor il vous plaise

De me sacrifier quelques instants trop courts.

RAOUL.

Mettons-les à profit ! – çà, l’on m’aime toujours ?

HENRIETTE.

Comment, si l’on vous aime ?

RAOUL.

Oui, l’on m’aimait naguère !

Aime-t-on moins Malbroug parce qu’il va-t’en guerre ?

Quand je vais devenir un Turenne, un Vauban,

Un assiégeur de ville...

HENRIETTE.

Oh ! mais c’est un forban

Que monsieur mon cousin. – Oh ! Raoul, quel dommage.

RAOUL.

Vous me trouvez changé fort à mon avantage,

N’est-ce pas ?

HENRIETTE.

Hélas !

RAOUL.

Oui, trois ans de garnison

Complètent un soldat, fils de bonne maison.

Quand il sait profiter des leçons que lui donne

Le monde féminin chez qui l’on garnisonne.

HENRIETTE.

Quel ton, quelles façons... Raoul... vous oubliez !...

RAOUL.

Non pas, je me souviens, et je tombe à vos pieds !

M’y voici ! – Raisonnons !... Chut !... Jadis, en votre âme

Le cousin avait fait certain chemin, Madame ;

Vous donniez une main qu’il baisait tendrement !

Parfois même, à travers la grille, un front charmant

Rougissant de pudeur, mais tout brûlant de fièvre.

S’inclinait pour venir au devant de sa lèvre,

Et sa lèvre, en touchant ce front, disait tout bas :

« Henriette ! Oh ! qui donc ne vous aimerait pas ? »

Et vous, vous répondiez, félicité suprême !

« Ah ! vous ne m’aimez pas autant que je vous aime ! »

Eh bien ! puisque c’est dit, puisque c’est répondu,

Le dire de nouveau serait du temps perdu,

Madame, et le mieux est, du moins c’est ma pensée,

De reprendre la chose où nous l’avons laissée :

Or, nous l’avions laissée à moitié du chemin.

Pour aller jusqu’au bout, je vous offre la main.

HENRIETTE.

Vous oubliez à qui vous parlez, j’imagine ?

RAOUL.

Nous avons gaspillé beaucoup de temps, cousine,

Il faut le réparer, ce temps.

HENRIETTE.

Êtes-vous fou ?

Réfléchissez un peu, Monsieur, et songez où

Vous êtes !

RAOUL.

Mais je suis près de vous, ce me semble

Heureux que le hasard, cousine, nous rassemble,

À neuf heures du soir, chez mon très cher cousin.

Monsieur d’Esbard, un gros, rond comme un muids de vin

Qui vient de s’en aller en cour, et dont la femme

M’adorait autrefois. Eh bien ! dites. Madame,

Suis-je dans mon bon sens, ou fou ?

HENRIETTE.

Monsieur d’Elmont,

C’est vrai... Je vous aimais.

RAOUL.

Alors, foin du sermon !

HENRIETTE.

Mais jamais mon amour ne vous donna de gage

Qui vous permît de prendre avec moi ce langage.

RAOUL.

Ah ! oui, vous me parliez des étoiles, des fleurs,

Et je mouillais vos mains en les couvrant de pleurs,

Ces pleurs avec lesquels l’amour craintif s’apaise ;

Mais j’avais dix-neuf ans et vous en aviez seize !

Et nous ne savions rien des douces vérités,

Et des secrets d’amour par le temps apportés.

Mais depuis ce temps là, j’ai levé tant de voiles

Dans les cieux azurés, j’ai compté tant d’étoiles !

Sur des pas adorés, j’ai semé tant de fleurs !

J’ai, sur de belles mains, répandu tant de pleurs !

Qu’à force de pleurer, ma paupière est aride,

Qu’à force de briller, mon firmament est vide,

Qu’à force de fleurir, mon jardin est fané...

Traitez-moi donc, cousine, en homme ruiné,

Qui répond, à qui veut naviguer sur le Tendre,

Le chemin est trop long et je ne puis attendre.

HENRIETTE.

Eh bien ! n’attendez pas, Monsieur, ce n’est pas moi

Qui vous ai rappelé céans.

RAOUL.

Non, par ma foi !

C’est moi qui, sans savoir que la place était prise,

Suis venu vous troubler. Pardon de la méprise.

HENRIETTE.

Que la place est prise !

RAOUL.

Oui.

HENRIETTE.

Pardon ! à votre tour

Expliquez-vous, Monsieur.

RAOUL.

C’est bien clair, mon retour

Gêne certain projet que certaine cousine

Ne veut pas avouer, mais que, moi, je devine.

HENRIETTE.

Certain projet ?...

RAOUL.

Voyons ! Parlez-moi franchement.

À quoi bon vous gêner ?... Nous avons un amant,

Et le pauvre cousin trop tard arrive. En somme,

C’est ma faute : – Cousine, est-il bon gentilhomme,

Au moins, mou successeur ?

HENRIETTE.

Monsieur !

RAOUL.

A-t-il bon air ?

Je vous préviens qu’à moins qu’il ne soit duc et pair

Je réclame !

HENRIETTE.

Oh ! Raoul, quelles choses infâmes

Me dites-vous donc là ?

RAOUL.

Nous connaissons les femmes.

Et savons que toujours le mépris qu’elles font

De l’un, vient de l’amour que pour l’autre elles ont.

HENRIETTE.

Mais que j’aime quelqu’un ou non, que vous importe ?

RAOUL.

La jeune passion dans votre cœur est morte.

Ô serments éternels qui ne durez qu’un jour !

HENRIETTE.

Oui, tout passe, Monsieur, tout meurt, même l’amour !

RAOUL.

Au plus profond de l’âme, avec joie on l’enterre,

Madame ; et votre cœur doit être un cimetière.

Puis-je de mon « Ci gît » connaître la teneur,

Savoir si d’un tombeau vous m’avez fait l’honneur,

Si dans vos jours voilés de tristesse morose,

Refoulée au dedans, une larme l’arrose.

Si j’ai, quoique vaincu, dans ma rivalité,

Une concession à perpétuité !

Ou si, m’abandonnant à ma pauvre fortune,

Je suis, tout simplement, dans la fosse commune ?

HENRIETTE.

Vous n’êtes nulle part.

RAOUL.

Ce n’est pas consolant !

Il est donc bien jaloux, monsieur mon remplaçant ?

HENRIETTE.

Très jaloux !

RAOUL.

Je le plains.

HENRIETTE.

Et pourquoi ?

RAOUL.

Le pauvre homme

Doit avoir fort à faire, et je voudrais voir comme

Il s’en tire.

HENRIETTE.

Très bien !

RAOUL.

Il a donc de l’esprit ?

HENRIETTE.

Énormément, Monsieur !

RAOUL.

Et c’est...

HENRIETTE.

C’est mon mari !

RAOUL.

Comment, vous, vous aimez monsieur d’Esbard ?

HENRIETTE.

Je l’aime !

RAOUL.

Depuis le premier jour ?...

HENRIETTE.

Depuis ce jour là même !

RAOUL.

Mais vous me recevez, quand il vient de sortir !

HENRIETTE.

Mais si je vous reçois, c’est pour vous avertir

Que désormais, monsieur, ma porte vous est close.

RAOUL.

Allons, j’aurai toujours emporté quelque chose

De ce doux entretien.

HENRIETTE.

Et qu’emporterez-vous ?

RAOUL.

Cette conviction qu’on aime son époux

Pour...

Il hésite.

HENRIETTE.

Pour ?

RAOUL.

Pour son argent ! Que le cœur fait, l’usure,

Et que le vôtre ici donne bonne mesure.

Qu’une fille peut vendre une âme de seize ans,

À qui fera sonner quelques sacs bien pesants ;

Qu’afin de ne pas être en reste de largesse,

Après avoir donné la fleur de sa jeunesse,

La belle ayant à rompre un amour ébauche,

Aimera son mari par-dessus le marché !

Madame, ai-je compris ce que vous vouliez dire ?

Un autre en pleurerait ; moi, je préfère en rire !

Rions-en tous les deux, car c’est, en vérité,

Ainsi que doit finir cette moralité.

Quoi ! vous ne riez pas !

HENRIETTE.

Oh ! je vous rends les armes,

Vous êtes le plus fort !

Elle pleure.

RAOUL.

Il vous reste des larmes !

C’est toujours quelque chose.

HENRIETTE.

Oh ! monsieur !

RAOUL.

Vous pleurez ?

HENRIETTE, éclatant.

Mais vous le voyez bien que je pleure.

RAOUL.

Oh ! tenez !

Henriette ! Je suis un méchant, sur mon âme !

L’homme qui, comme moi, fait pleurer une femme,

Est un lâche !

HENRIETTE, voulant se lever.

C’est bien !

RAOUL.

Non, je reste à vos pieds,

Et je baise vos mains. Je veux que vous sachiez

Toute la vérité, maintenant, sur mon compte.

Oh ! pardon, mille fois ! C’est une fausse honte

Qui m’a fait vous parler, enfant, comme j’ai fait,

Je ne suis pas ainsi. Je ne suis pas parfait,

Mais j’ai toujours du cœur, et toujours je vous aime !

Ce que vous avez vu de moi, n’est pas moi-même !

Mon orgueil me tenait comme en une prison :

Pauvre sot que j’étais !... Des mots de garnison

Je me croyais forcé de prendre ici la forme,

De vêtir un amour fait sur mon uniforme,

De faire, devant vous, me servant de jurons,

Sonner mon scepticisme avec mes éperons,

Et de cacher enfin, pour avoir contenance,

Trop de timidité, sous de l’impertinence.

Après trois ans passés loin de vos yeux, j’ai cru

Que si vous me voyiez comme vous m’aviez vu,

J’aurais l’air d’un niais, et j’ai voulu paraître

Autre que je n’étais, et que je ne sais être.

Voilà la vérité, cousine ! En voulez-vous

Une preuve de plus. – Je suis a vos genoux

Comme au couvent jadis ! Tenez, et ma main tremble,

Ainsi qu’elle tremblait quand nous étions ensemble.

Mon cœur battait ! Il bat ! – Écoutez ! Et ma voix

Est émue aujourd’hui, de même qu’autrefois ;

Je suis jeune, et n’ai rien perdu de ma jeunesse ;

Je vous aime, et n’ai ri n perdu de ma tendresse !

On dit qu’il s’est passé trois ans, ce n’est pas vrai !

Nous nous sommes quittés aux premiers jours de mai.

Voici que mai fleurit. Tout le long de la route

Je vous cueillais des fleurs, n’est-ce pas ! Et sans doute

Vous vous en souvenez ? Eh bien ! voici des fleurs

Que je vous apportais. Sont-ce pas les couleurs

Que vous aimiez le plus ? – Elles semblent séchées

Parce que, dans mon sein, je les avais cachées ;

Mais en les approchant un peu de votre front,

Comme sous le soleil, elles refleuriront !

Eh bien ! suis-je changé, dis, ou suis-je le même !

HENRIETTE.

Allez-vous-en, Raoul !... Je crois que je vous aime !

 

 

Scène XVI

 

RAOUL, HENRIETTE, MARINETTE

 

MARINETTE.

Voilà, monsieur !

HENRIETTE, se levant.

Mon Dieu ! Sauvez-vous !

MARINETTE, le faisant cacher dans le cabinet.

Par ici !

Il se cache.

HENRIETTE.

Que fais-tu ?

MARINETTE.

Je le cache.

HENRIETTE.

Et la clé ?

MARINETTE.

La voici !

 

 

Scène XVII

 

RAOUL, HENRIETTE, MARINETTE, D’ESBARD, FRONTIN, les mains liées

 

D’ESBARD, entrant par le fond.

On l’a vu !

FRONTIN.

Non !

D’ESBARD.

Lui !

HENRIETTE.

Qui ?

D’ESBARD.

Madame m’interroge,

Quand jusque dans sa chambre un amoureux se loge,

Que madame convie a de tels rendez-vous

De hardis amoureux autres que son époux !

Mordieu ! si ce larron a pris l’honneur du maître

Il ne s’est pas du moins enfui par la fenêtre !

Il est ici !

MARINETTE.

Quel il ? c’est un pronom enfin !

D’ESBARD.

Qu’importe le pronom, puisqu’il est masculin !

HENRIETTE.

Mais, Monsieur...

D’ESBARD.

Taisez-vous... Marinettes fidèles.

Pigeons toujours porteurs de billets sous vos ailes.

MARINETTE.

Mais, Monsieur !...

D’ESBARD.

Taisez-vous !... et celui que l’on croit

Engagé par son sexe a se montrer adroit,

Se laissant cajoler par une péronnelle,

Prête â l’amant son dos, pour lui servir d’échelle !

Malheur a toi, Frontin ! car d’autres serviront

À te faire grimper la honte jusqu’au front !

FRONTIN.

Mais, Monsieur !

D’ESBARD.

Taisez-vous ! j’ai tout appris du Suisse !

MARINETTE.

Il se trompe !

D’ESBARD.

Assez donc ! que tout cela finisse !

Mon suisse, entendez-vous, sait fort bien épier ;

Car il vient, depuis peu, de se remarier !

À Henriette.

Votre amant est ici !

HENRIETTE.

Non, Monsieur !

D’ESBARD.

Imposture !

Madame ! Il est ici, puisque je vous le jure !

Répondez sans mentir, car je ne prévois pas

Où pourrait s’arrêter ma colère en ce cas !

Votre amant est caché.

HENRIETTE.

Oui, Monsieur.

D’ESBARD.

Voyez comme

La perfide mentait ! Après ? quel est cet homme ?

C’est votre cousin ?

HENRIETTE.

Oui !

D’ESBARD.

Ce d’Elmont débauché

Arrivé d’aujourd’hui ?

HENRIETTE.

Oui !

D’ESBARD.

Vous l’avez caché !

HENRIETTE.

Oui !

D’ESBARD, montrant le cabinet.

Là ?

HENRIETTE.

Oui !

D’ESBARD.

Oui ! La clé !

HENRIETTE.

Non ! non !

D’ESBARD, irrité.

La clé, vous dis-je !

HENRIETTE.

Grâce !

D’ESBARD.

Je veux la clé !

HENRIETTE.

Non ! non !

D’ESBARD.

J’ai le vertige !

La clé !

HENRIETTE.

Vous le tueriez ! non !

D’ESBARD.

Ce bras est puissant !

HENRIETTE.

Grâce ! grâce !

D’ESBARD.

La clé ! j’ai besoin de son sang !

Arrachant la clé des mains d’Henriette.

Ah ! je la tiens enfin !

HENRIETTE, riant.

Ah ! ah !

D’ESBARD.

De mon délire...

HENRIETTE

Ah ! ah ! ah !

D’ESBARD.

Jour de Dieu, Madame, on ose rire !!

HENRIETTE.

Ah ! ah ! ah !

D’ESBARD.

Qu’est-ce donc ?

HENRIETTE.

Ah ! ah !

D’ESBARD.

Répondez-moi !

HENRIETTE.

Ah ! ah ! ah ! je ne puis ! ah ! ah ! ah ! ah !

D’ESBARD.

Pourquoi ?

HENRIETTE.

Ah ! ah ! j’étouffe !

D’ESBARD.

Eh bien !

HENRIETTE.

Il faut que cela passe ?

FRONTIN.

Hé ! hé !

D’ESBARD.

Frontin !

FRONTIN.

Hé ! hé !

D’ESBARD.

Je...

FRONTIN.

Hé ! hé ! hé !

D’ESBARD.

Te chasse.

MARINETTE.

Hi ! hi ! hi !

D’ESBARD.

Marinette, au diable ! nous verrons !

TOUS TROIS.

Ah ! ah ! hé ! hé ! hi ! hi ! hi ! nous étoufferons !

D’ESBARD, allant vers le cabinet.

Oh ! je vous châtierai sans pitié, je vous jure !

HENRIETTE, l’arrêtant.

Vous voudrez bien, Monsieur, m’acheter ma parure !

D’ESBARD.

Votre parure ! quoi !

HENRIETTE.

Vous êtes tout troublé !

Vous avez de mes mains. Monsieur, reçu la clé !!

FRONTIN.

Hé ! hé ! haïe !

D’ESBARD.

Oh ! c’est vrai ! j’ai perdu ; ma parole !

Madame, vous avez bien joué votre rôle !

Cette clé ! oh ! oh ! oh ! Moi qui croyais vraiment

Que vous aviez ici renfermé votre amant !

Alors je suis vaincu !...

FRONTIN.

Hé ! hé !

D’ESBARD.

La farce est bonne !

Et Frontin ! Marinette, oh ! oh ! je vous pardonne !

Oh ! oh ! oh !

À part.

Quelle dent on vient dé m’arracher !

HENRIETTE.

La parure est a moi !

D’ESBARD.

Je m’en vais la chercher ! Oh !

Il sort.

 

 

Scène XVIII

 

HENRIETTE, MARINETTE, FRONTIN, puis RAOUL

 

FRONTIN.

...Croire qu’un amant est...

HENRIETTE.

Sortez tout de suite...

RAOUL.

Mais je vous reverrai, n’est-ce pas ?

HENRIETTE.

Fuyez vite.

Mon mari va rentrer, et nous serions perdus

S’il vous retrouvait là !

RAOUL.

Vous ne m’eu voulez plus ?

HENRIETTE.

Non !

RAOUL.

Vous m’aimez toujours ?

HENRIETTE.

Oui !

RAOUL.

J’en veux une preuve !

HENRIETTE.

Recommençons-nous donc une seconde épreuve ?

RAOUL

Je ne veux qu’un seul mot !

HENRIETTE.

Dites !

RAOUL.

Vous m’écrirez ?

HENRIETTE.

Jamais !

RAOUL.

Je reste alors !

HENRIETTE.

Tout ce que vous voudrez,

Mais partez !

RAOUL.

Oui, je pars !

MARINETTE, à part.

Ah ! ce n’est pas sans peine !

HENRIETTE.

Adieu !

RAOUL.

Mon régiment va se rendre en Lorraine.

Demain !

HENRIETTE.

Bon ! la Lorraine !

RAOUL.

Écrivez-moi là-bas !

N’allez pas m’oublier !

MARINETTE.

On ne l’oubliera pas !

HENRIETTE, l’entraînant.

Partez !

Ils sortent.

 

 

Scène XIX

 

MARINETTE, FRONTIN

 

FRONTIN.

Hé ! hé ! hé ! ce mari qu’on abuse !

MARINETTE.

Frontin !

FRONTIN.

Se laisser prendre à cette pauvre ruse !

MARINETTE.

Frontin !

FRONTIN.

On m’offrirait trente-six clés en vain !

Mais quand on se marie, on entre aux quinze-vingt.

MARINETTE.

Frontin !

FRONTIN.

J’en ris encor. – Trompé de telle sorte !

« Ouvrez vite, ou je vais enfoncer cette porte !

Un homme est chez vous ? – Oui. – Ce d’Elmont débauché

Arrivé d’aujourd’hui ! – Oui. – Vous l’avez caché !

Oui ! oui ! oui ! oui ! oui ! oui ! pour toutes vos requêtes !

Alors je suis... Mais oui, mon cher monsieur, vous l’êtes !

MARINETTE.

Oui-dà ! vous tairez-vous, insipide bavard !!

Vous eussiez été pris comme Monsieur d’Esbard !!

FRONTIN.

Point !

MARINETTE.

Vous auriez reçu la clé !

FRONTIN.

Oh ! fine mouche !

Non ! non !

MARINETTE.

Si !

FRONTIN.

Je vous dis non de ma propre bouche !

Essayez !

MARINETTE.

Rira bien qui le dernier rira !

FRONTIN.

Oui ! mais pleurera bien celle qui pleurera !

MARINETTE.

Frontin !

FRONTIN.

Votre sacoche aux tours est épuisée

MARINETTE.

Frontin !

FRONTIN.

Je ne puis rien recevoir, la rusée !

Kys ! kys !

MARINETTE.

Chut !

FRONTIN.

Je me ris de vous ! Kys ! kys !

MARINETTE.

Holà !...

FRONTIN.

Kys ! kys ! ou ne peut rien recevoir ! Kys !

MARINETTE, lui donnant un soufflet.

Voilà !!!

 

 

Scène XX

 

MARINETTE, FRONTIN, HENRIETTE

 

HENRIETTE.

Eh bien ! qu’ai-je entendu ?

MARINETTE.

C’est fait !

HENRIETTE.

Quelle bataille !

MARINETTE.

Non ! je viens de gagner, Madame, au jeu de paille.

FRONTIN.

Comment ?

MARINETTE.

Il a reçu ce soufflet de ma main !

Il a perdu !

FRONTIN.

Comment !

MARINETTE.

Nos noces à demain !

HENRIETTE.

Je dote Marinette !

FRONTIN.

Oh ! la belle journée !

J’ai vendu mon honneur.

MARINETTE.

Ma main vous est donnée !

Pas un mot maintenant sur le jeune homme !

FRONTIN.

Après ?

MARINETTE.

C’est que je suis ta femme, et je le prouverais !

 

 

Scène XXI

 

MARINETTE, FRONTIN, HENRIETTE, D’ESBARD

 

D’ESBARD.

Oh ! j’en rirai toujours ! Attrapé de la sorte,

Au moment où j’allais enfoncer cette porte !

J’ai perdu, belle dame, et maintenant, je ris

Comme le plus dupé des dupes de maris !

Voilà l’écrin !

Il le pose sur la table.

HENRIETTE.

Merci !

D’ESBARD.

Partirons nous, ma belle ?

HENRIETTE.

Partir ! Non pas, Monsieur !

D’ESBARD.

Toujours aussi rebelle !

HENRIETTE.

Oui.

D’ESBARD.

Partir avec moi, je pense, est sans danger !

HENRIETTE.

Sans doute !

D’ESBARD.

Connaissant l’Ouest, il faut voyager

Dans l’Est maintenant !

HENRIETTE.

Non ! non !

D’ESBARD.

Visiter, ma reine...

HENRIETTE.

Non, ni l’Est, ni le Sud, ni le Nord !!

D’ESBARD.

La Lorraine !

HENRIETTE.

La... la Lorraine !...

D’ESBARD.

Eh bien ?

HENRIETTE.

Monsieur !...

D’ESBARD.

Vous reculez !

HENRIETTE.

Vous y tenez !

D’ESBARD.

Beaucoup.

HENRIETTE.

C’est vous qui le voulez !

D’ESBARD.

Avec rage, mamour !

HENRIETTE.

J’irai ! – Je dois me rendre !

FRONTIN.

Oh ! si je lui donnais ma corde pour se pendre !

MARINETTE.

Frontin, voilà comment je vous obéirai !

D’ESBARD.

Frontin a donc perdu !

MARINETTE.

Mais oui !

FRONTIN.

Miséréré !!!

Appelant.

Le Suisse, venez çà. ! – C’est pour qu’il me délie !

En me liant les mains, j’ai fait une folie !!

C’est ma femme, monsieur, qu’il fallait attacher !

 

 

Scène XXII

 

MARINETTE, FRONTIN, HENRIETTE, D’ESBARD, LE SUISSE

 

Le Suisse délie Frontin.

FRONTIN, se mouchant.

Moi qui voulais depuis deux heures me moucher !!

D’ESBARD.

Partons !

À part.

Trois mille écus que mon honneur me coûte !

MARINETTE.

C’est toujours le mari qui veut se mettre en route !

HENRIETTE, donnant une bourse an Suisse.

Chut !

MARINETTE.

Bien ! nous y gagnons tous.

FRONTIN.

J’y gagne pour ma part,

L’espoir d’être un beau jour ce qu’est monsieur d’Esbard !

LE SUISSE, au public.

Messious,

Monsir t’Espard, il est gondent ; il mène

Sans fous, pien endendu, son épousse en Lorraine ;

Marinette est gondende, et même avec le demp,

Le Vrondin vuinira par se trufer gondend.

Monsir t’Elmont s’en fa gondend ; l’amour l’enifre ;

Matame est oun beu drop gondende de le suifre ;

Montrant sa bourse.

Moi, je zuis drès gondend d’avoir touché ceci.

Les acters zont gondends de vous trufer ici...

Et l’audeur le sera, si fous l’êtes aussi.

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