Les Intrigues de la loterie (Jean DONNEAU DE VISÉ)

Comédie en trois actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en 1663.

 

Personnages

 

CÉLIANE, Mère de Clarice

MÉLISSE, Nièce de Céliane

CLARICE, Amante de Clidamis

VALÈRE, Amant de Mélisse et de Clarice

CLÉRONTE, Amant de Clarice et de Mélisse

CLIDAMIS, Amant de Clarice

FLORINE, Servante de Céliane

DU BOIS, Valet de Chambre de Cléronte

MONSIEUR GERVAIS, Domestique de Céliane

CLARIMOND, Fourbe

CLARINE, Femme d’intrigue

ERGASTE, Bourgeois

GASPARD, Laquais d’une Amie de Mélisse

MICHELETTE, Cuisinière de Céliane

UN LAQUAIS de Céliane

GUILLEMAIN, Crocheteur

 

La Scène est à Paris dans la Maison de Céliane.

 

 

PRÉFACE

 

Quoique les Nouveautés soient souvent bien reçues en France, j’avais lieu d’appréhender que celle-ci ne fût pas du nombre, et je devais craindre qu’on ne s’ennuyât d’entendre parler d’une même chose pendant trois Actes qui ne sont pas remplis de beaucoup d’Incidents. J’ai néanmoins été trompé ; et quoiqu’on ne parlât presque plus de Loterie, cette Pièce n’a pas laissé d’avoir un succès raisonnable ; mais à dire vrai, elle ne doit pas tout son bonheur à la Loterie. Ce n’est pas que ce sujet ne fournit beaucoup de choses : mais comme elles se ressemblaient trop, et qu’elles n’étaient pas assez brillantes, j’ai cru que pour rendre cet Ouvrage plus agréable, j’y devais mêler quelques caractères nouveaux, et j’ai été assez heureux pour en trouver deux ou trois qui n’avaient jamais paru sur la Scène. Je ne vous en dirai rien, vous jugerez en lisant cette Pièce, s’ils sont bien touchés ou non ; mais je vous prie de considérer, que n’en faisant pas le principal sujet, je n’ai pu les mettre tout à fait dans leur jour.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

FLORINE, MONSIEUR GERVAIS

 

FLORINE.

As-tu tout délivré déjà ?

MONSIEUR GERVAIS.

Non, par ma foi,

Il reste bien encor deux cents Boîtes, je crois.

FLORINE.

C’est peu.

MONSIEUR GERVAIS.

Je n’eus jamais de fatigues pareilles ;

Il me semble toujours que j’ai dans les oreilles,

Donnez Numéro tant, la Boîte de Crésus,

Celle de Mistanflute, et de Nostradamus ;

Donnez pour Mahomet, Jean Gifflard, la Fortune,

Soufflez sont des Chansons, Lanturlu, Lorgne-Lune,

Guillemette-l’heureuse, Argent-mignon, Pantin,

Qu’on est sot quand on perd, S’il plaisait au Destin,

Mathieu-Salé, Néant, J’aurai sur ma parole,

Le Marquis né coiffé, le Cadet la Gingeolle,

Le vrai Fortunatus, Lenlere, Argent-perdu,

Pour aussi fou qu’un autre, et pour l’heureux Pendu.

Voilà, depuis deux jours, tout ce que j’entends dire.

FLORINE.

Que tous ces Noms plaisants te doivent faire rire !

MONSIEUR GERVAIS.

Qu’il est de fous partout !

FLORINE.

D’accord.

MONSIEUR GERVAIS.

Mais, à propos,

Personne n’est encor venu quérir de Lots.

Qu’en penses-tu ?

FLORINE.

C’est que...

MONSIEUR GERVAIS.

Pour moi cela m’étonne.

FLORINE.

C’est.

MONSIEUR GERVAIS.

Quoi donc ?

FLORINE.

C’est qu’il n’est encor venu personne.

Avec son Crocheteur, que prétend celui-ci ?

 

 

Scène II

 

CLARIMOND, FLORINE, MONSIEUR GERVAIS, LE CROCHETEUR

 

FLORINE.

Monsieur, que voulez-vous ?

CLARIMOND.

Madame est-elle ici ?

FLORINE.

Oui. Je crois que non.

CLARIMOND, bas.

Bon.

Haut.

Hé bien, la Loterie ?

FLORINE.

C’est un grand embarras.

CLARIMOND.

Dites-moi, je vous prie,

Avez-vous délivré déjà beaucoup de Lots ?

FLORINE.

Ah oui, Monsieur, beaucoup, et même des plus gros.

MONSIEUR GERVAIS, à Florine.

Pourquoi mens-tu ?

FLORINE, bas.

Tais-toi.

Haut.

Ma Maîtresse, elle-même,

A fait les Billets noirs, avec un soin extrême.

CLARIMOND, à part.

J’attendais cet aveu. Vous connaissez sa main.

Lisez, et donnez vite.

Au Crocheteur.

Approchez, Guillemain.

FLORINE lit.

Un grand Miroir doré.

GUILLEMAIN.

Ce n’est pas tromperie,

Je veux, dorénavant, mettre à la Loterie.

CLARIMOND.

Voyons donc ce Miroir ?

FLORINE.

Vous voulez m’attraper.

À d’autres, j’en sais trop, pour me laisser duper.

Je m’en aperçois bien, Monsieur, vous voulez rire.

CLARIMOND.

Je ne puis rien comprendre à ce que tu veux dire.

N’as-tu pas mon Billet et ta Maîtresse, enfin,

N’a-t-elle pas écrit les Billets de sa main ?

Le mien n’en est-il pas ?

FLORINE.

Voilà son caractère ;

Et celui qui l’a fait, le sait bien contrefaire.

CLARIMOND.

Comment, c’est donc ainsi qu’on en use céans ?

Agit-on de la sorte avec d’honnêtes Gens ?

MONSIEUR GERVAIS, bas à Florine.

Tu lui fais un affront.

FLORINE, bas à Monsieur Gervais.

Ne veux-tu pas te taire ?

CLARIMOND.

Rendez-moi mon Billet. Dans ma juste colère,

J’éclaterais ici, si je n’espérais pas

Me venger hautement d’un procédé si bas.

MONSIEUR GERVAIS, à Florine.

Je crois, Monsieur, il parle avec trop d’assurance ;

Son Billet n’est point faux.

FLORINE.

Ah quelle extravagance !

Il l’est, te dis-je.

MONSIEUR GERVAIS, bas à Florine.

Non.

FLORINE, bas à Monsieur Gervais.

Je le peux bien savoir.

MONSIEUR GERVAIS.

Comment ?

FLORINE.

Madame n’a pas mis un Billet noir.

MONSIEUR GERVAIS.

Ah vous avez perdu, Monsieur, je vous assure ;

Elle a, pour vous convaincre, une preuve très sûre.

CLARIMOND.

Hé bien donc, en Justice elle la fera voir.

GUILLEMAIN.

Monsieur, payez-moi donc ?

 

 

Scène III

 

MONSIEUR GERVAIS, FLORINE

 

MONSIEUR GERVAIS.

Quoi, pas un Billet noir !

Ah, ah, me deviez-vous cacher ce qui se passe.

FLORINE.

Mon cher Monsieur Gervais, ne dites rien, de grâce,

Je vous rendrai l’argent de vos Billets.

MONSIEUR GERVAIS.

D’accord.

 

 

Scène IV

 

MONSIEUR GERVAIS, FLORINE, UN PETIT LAQUAIS

 

LE LAQUAIS.

Contre la Loterie on peste là-bas fort ;

Ils sont bien quinze, ou vingt.

MONSIEUR GERVAIS.

Qu’est-donc qu’ils demandent ?

FLORINE.

Ce sont, assurément, leurs Boîtes qu’ils attendent.

Allez donc vite, allez.

MONSIEUR GERVAIS.

Souviens-toi...

FLORINE.

C’est assez.

 

 

Scène V

 

FLORINE, seule

 

Pour n’avoir rien du tout, ils sont bien empressés.

J’ai pensé tout gâter, mais aussi, ma Maîtresse

Devait tromper le Monde avecque plus d’adresse,

Donner des Billets noirs à des Gens apostés,

Qui devant cent Témoins les eussent rapportés.

C’est ainsi qu’aujourd’hui... Mais non. Oui, C’est Clarine.

 

 

Scène VI

 

CLARINE, FLORINE

 

CLARINE.

Je ne me trompe pas ; non, vraiment, c’est Florine.

FLORINE.

Que viens-tu faire ici ?

CLARINE.

Comme dix mille fous,

Demander mes Billets. Mais qu’y faites-vous, vous ?

FLORINE.

J’y demeure.

CLARINE.

Voilà justement mon affaire ;

Vous pourrez me servir dans ce que je veux faire.

Mais quels Gens sont-ce ici ? La Fille a des appas,

Elle est jeune, et d’Amants elle ne manque pas.

FLORINE.

Elle en peut bien avoir, sans que sa Mère en gronde ;

Car c’est la Mère, enfin, la meilleure du monde,

La moins fâcheuse ; Elle est de ces Mères du temps,

Qui, pour les trop aimer, font tort à leurs Enfants ;

Qui leur endurent tout, leur sont trop complaisantes ;

Qui, près d’eux, font toujours l’office de Servantes ;

Qui les prônent partout, et font enfin si bien,

Qu’ils font tomber sur eux sans cesse l’entretien ;

Qu’à tout ce qu’il leur plaît, on voit toujours souscrire ;

Qui n’oseraient jamais en rien les contredire ;

Qui leur cèdent en tout, qui leur donnent le pas,

Qui leur servent toujours les morceaux délicats ;

Qui n’ont d’yeux que pour eux, que l’amitié rend folles ;

Qui de tous leurs Enfants, se font autant d’Idoles ;

Qui, pour les ajuster, et leur laisser du bien,

S’épargnent toute chose, et ne négligent rien ;

Et qui, sans leur congé, n’osent jamais rien faire ;

De ces Mères, enfin, que leurs Filles font taire.

CLARINE.

La punit-on, par là, de son trop de bonté ?

FLORINE.

Sa Fille abuse trop de sa facilité,

La tourne en ridicule, et croit ne pouvoir faire

Un Conte un peu plaisant, sans y mêler sa Mère.

CLARINE.

Pour une Fille sage, elle en use un peu mal.

FLORINE.

Nous avons bien céans un autre Original.

C’est une Nièce ; elle a de grandes connaissances,

Elle parle toujours d’Astres, et d’Influences,

De Planètes, d’Aspects, de Radiation,

De Signes, d’Ascendants, et de Conjonction ;

Et croyant qu’aux Mortels tout doit servir d’augures,

Elle tire de tout, de sottes conjectures.

On l’entend le matin, en ouvrant son rideau,

Demander, si les Gens ont ouï le Corbeau ;

Puis, sur ce qu’on lui dit, elle croit la journée

Lui devoir être heureuse, ou bien infortunée.

Comme tout lui fait peur, elle ne sort jamais,

Avant d’examiner les Songes qu’elle a faits.

Si pendant son chemin, par hasard, il arrive

Quelque petit malheur, cette Spéculative

En tire un faux augure, et revient promptement

Chez elle, pour songer à faire un Testament.

CLARINE.

Que ces chagrins plaisants, et ces terreurs paniques,

Doivent donner à rire aux plus mélancoliques !

FLORINE.

Du reste elle est fort bonne, elle a de la douceur,

Et sa Cousine est bien de plus fâcheuse humeur.

CLARINE.

Elles ont des Amants tendant au Mariage ?

FLORINE.

La Superstitieuse a l’Amant le moins sage ;

C’est un évaporé, qui parle incessamment ;

L’autre parle bien moins, et fait tout prudemment.

Mais Dieu, j’entends le fou, qui vient voir sa Maîtresse.

Ah, que je l’appréhende !

CLARINE.

Il faut que je te laisse ;

Je vais quérir ma Boîte, et je vais revenir,

Car je te prétends bien encore entretenir.

 

 

Scène VII

 

CLÉRONTE, FLORINE

 

CLÉRONTE.

As-tu mes Boîtes ?

FLORINE.

Non, Madame vous les garde.

CLÉRONTE.

Ah, Florine, morbleu, lorsque je te regarde,

Quand m’aimeras-tu donc ?

FLORINE.

De grâce, laissez-moi.

CLÉRONTE.

Hé quoi, depuis le temps que je brûle pour toi...

FLORINE.

Que de Contes !

CLÉRONTE.

Florine.

FLORINE.

Ah, Monsieur, je vous en prie...

CLÉRONTE.

C’est un petit Dragon, quand elle est en furie.

Un baiser seulement.

FLORINE.

Mélisse l’apprendra.

CLÉRONTE.

Je me soucierais peu de ce qu’elle en dira,

Si Florine, pour moi, n’était pas si cruelle.

Mélisse est sage, bonne, et peut passer pour belle,

Et rien n’est comparable à l’éclat de ses yeux ;

Mais son sublime esprit est toujours dans les Cieux ;

Elle passe les nuits à lorgner les Étoiles ;

Et quand la nuit les couvre avec ses sombres voiles,

Nul ne peut la tirer en conversation,

Et son esprit demeure en spéculation.

Dans tout ce qu’elle fait, les Astres sont ses guides,

Et toujours on l’entend parler éphémérides.

Cela n’est pas mon fait, et je sens que mon cœur...

Que ta jeune maîtresse est bien d’une autre humeur.

FLORINE.

Son humeur sympathise assez avec la vôtre,

Et vous êtes tous deux aussi fous l’un que l’autre.

CLÉRONTE.

Florine.

FLORINE.

Modérez ces transports violents ;

Cette chaleur est forte, et vous prend par élans.

CLÉRONTE.

Veux-tu cinq cents Louis, pour te prouver la flamme

Que tes yeux trop fripons ont fait naître en mon âme.

FLORINE.

Cinq cents Louis ! voyons, vous ne les avez pas.

CLÉRONTE.

Puisque je te l’ai dit, ma foi, tu les auras.

Tiens.

FLORINE.

Je n’en vois que deux.

CLÉRONTE.

Ce n’est point menterie,

Porte ces deux Louis à quelque Loterie,

Et tu pourras gagner bien plus que je n’ai dit.

FLORINE.

Allez les y porter.

Bas.

Je crève de dépit.

CLÉRONTE.

Ah, Friponne, ces yeux...

FLORINE, le menaçant.

Laissez-moi là, de grâce ;

Ou bien les coups suivront de fort près la menace.

CLÉRONTE.

Je vois ce qui te fait parler avec chaleur,

Ce courroux passera.

 

 

Scène VIII

 

FLORINE, seule

 

Ce n’est qu’un franc Causeur ;

Il fait beaucoup de bruit ; mais de tels Personnages,

Empêchent rarement les Filles d’être sages,

Ils n’en attrapent plus. Mais qu’est-ce que je vois ?

C’est son Valet de Chambre, il est fou, que je crois.

 

 

Scène IX

 

FLORINE, DU BOIS

 

DU BOIS.

Ah malheur ! ah destin ! ah disgrâce trop grande !

Non, je ne puis plus vivre, il faut que je me pende.

FLORINE.

Qu’as-tu donc ?

DU BOIS.

Mon malheur ne se peut concevoir ;

J’ai tout perdu, Florine, et suis au désespoir.

FLORINE.

Comment ?

DU BOIS.

Une aventure étrange, et peu commune,

A fait, d’entre mes mains, échapper la Fortune ;

Je la tenais par où l’on la cherche aujourd’hui.

Et par la Loterie... Épargne mon ennui,

Et ne me force point d’en dire davantage.

FLORINE.

En découvrant son mal, souvent on se soulage.

Raconte-moi donc tout ?

DU BOIS.

Hé bien donc, je le veux.

J’avais trente Billets sous un nom fort heureux.

FLORINE.

Et quel ?

DU BOIS.

Amphitryon.

FLORINE.

Tu te moques, je pense ?

DU BOIS.

Ah ce choix était fait avec grande prudence ;

De l’heur d’Amphitryon l’on ne saurait douter ;

Et son bonheur venait de ce que Jupiter,

Brûlant pour sa Moitié, d’une pressante flamme,

Avait bien daigné faire un Enfant à sa Femme.

FLORINE.

Ah trop d’honneur, vraiment.

DU BOIS.

Je ne me moque point ;

Et bien des Gens hier, disputant sur ce point.

Le Sexe en sa faveur décida de la chose :

Mais un Démon bizarre, à mon bonheur s’oppose ;

Et quoique sous le nom du bon Amphitryon,

Mes Billets... Juges-en par ma narration.

Ayant ouvert ma Boîte, avec une âme émue,

D’abord un Billet blanc s’est offert à ma vue,

Sans paraître alarmé d’un tel commencement,

J’ai cru devoir passer au second promptement.

Le second que j’ai pris, était encor de même.

Ce n’est rien, ai-je dit, en ouvrant le troisième.

Il était blanc ; de trois, j’ai passé jusqu’à six,

Blancs encor ; et de six j’ai passé jusqu’à dix.

Mon espérance alors étant presque mourante,

Pestant contre le Sort, et d’une main tremblante,

Ayant le cœur tour gros, et de peur palpitant,

J’en ai, fort lentement, ouvert encore autant,

Mais je les ai trouvés d’une blancheur extrême.

Ce malheur m’a d’abord fait devenir tout blême ;

Mais un rouge enflammé chassant cette pâleur,

Des dix restants, j’en ai pris neuf avec chaleur.

Ils étaient blancs encor ; alors avec furie,

J’ai pesté tout mon saoul contre la Loterie.

Un Billet me restait avec un peu d’espoir,

Lorsqu’un de nos Voisins est entré pour me voir.

Ce Diable, que je crois, sous la forme d’un Homme,

M’a, de tous mes Billets, voulu rendre la somme.

Croyant faire un beau coup, j’ai pris mon Homme au mot,

Et déjà je disais en moi-même, ô le Sot !

En mettant promptement en poche la finance,

Qu’il venait de compter avecque diligence,

Quand je l’ai vu sauter, d’avoir un Billet noir.

FLORINE.

Noir !

DU BOIS.

Noir.

FLORINE.

Noir !

DU BOIS.

Noir, morbleu, j’en suis au désespoir ;

Et de plus, il était de quatre cents Pistoles.

Je n’ai pu, de regret, proférer deux paroles.

Peut-on être, dis-moi, malheureux à ce point ?

FLORINE.

Pour moi, je me pendrais, je ne le cèle point.

DU BOIS.

Non, non, pour regagner, je sais des Loteries,

Où l’on ne voudrait pas faire de tromperies.

J’y prétends mettre encor.

FLORINE.

Ah n’y mets plus, crois-moi.

DU BOIS.

Te croire ? Ah j’y mettrai, je t’en donne ma foi :

Quand la Fortune en veut, on fait des gains notables ;

Les exemples en sont assez considérables.

Un Homme heureux, ayant gagné dernièrement

Un fort beau Vase d’or, le vendit promptement :

Deux jours après, il eût d’une autre Loterie,

Dont tous les Lots étaient de bonne Argenterie,

Le même Vase encor, qu’encor il revendit ;

Et jusques à trois fois, le Hasard lui rendit.

FLORINE.

Le Hasard ne fait pas toujours des coups semblables.

DU BOIS.

Il en fait bien souvent d’aussi considérables.

Une Dame, naguère, alla voir un Miroir,

Que pour cent Louis d’or elle ne pût avoir :

Dans une Loterie, on mit le Miroir même ;

Et quelque temps après par un bonheur extrême,

La Dame le gagna pour vingt francs seulement.

FLORINE.

Tu me viens faire ici des Contes de Roman.

DU BOIS.

Pour deux Louis encor, une vieille Servante

Gagna six mille francs : Elle en fut si contente,

Qu’elle en mourut de joie. Une autre n’ayant rien,

Et pour se marier, voulant avoir du bien,

Mit à la Loterie ; et gagna une somme

Assez considérable, en eut d’abord un Homme.

On sait que depuis peu, chez un bon Maréchal,

Du bien gagné par là, pensa faire un grand mal ;

Un amas de Louis surprit tant sa Famille,

Qu’il fit perdre d’abord la parole à sa Fille,

Il fallut la saigner.

FLORINE.

Les pauvres Gens, hélas !

DU BOIS.

En tenant leur argent, ils ne le croyaient pas ;

Ils ouvraient de grands yeux, dans leur joie incertaine ;

Et regardant tant d’or, le croyaient bon à peine.

FLORINE.

Pour un, dont le Hasard favorise les vœux,

Apprends qu’il fait souvent deux mille malheureux.

J’en ai vu cet Hiver risquer cinq cents Pistoles,

Et n’en pas retirer seulement deux oboles ;

Et je sais que des Gens las de leur mauvais sort,

De perdre encor, se sont donné la mort.

DU BOIS.

La résolution en est tout à fait prise,

Et je veux mettre enfin jusques à ma chemise :

Je te le dis encor ; oui, je mettrai partout,

Et je prétends par là pousser le sort à bout.

La Loterie enfin...

FLORINE.

Quoi, toujours Loterie ?

Ah parlons d’autre chose.

DU BOIS.

Et de quoi, je te prie,

Pourrais-je te parler qui fut plus de saison ?

On en trouve aujourd’hui dedans chaque Maison ;

On en parle à la Cour, on en parle à la Ville :

L’Ignorant en raisonne, aussi bien que l’Habile ;

On entend retentir ce mot de tous côtés,

Dans tous les Lieux publics, dans les Sociétés.

L’un dit, la Loterie était de telle somme ;

L’autre, il ne fut jamais un plus malheureux Homme.

Un autre, en tel quartier, Madame telle en fait ;

Monsieur tel, de sa Boîte est très mal satisfait.

Combien de Billets noirs aviez-vous dans la vôtre ?

Nous n’avions rien du tout que du blanc dans la nôtre ;

Avecque Monsieur tel, je viens d’ouvrir les miens ;

Tel doit, avecque telle, ouvrir tantôt les siens,

Celui-là n’ouvre point ses Billets, qu’il ne tremble ;

Tels m’attendent ce soir, pour partager ensemble.

De la France, aujourd’hui voilà tout l’entretien ;

Il est fort à la mode, et c’est aussi le mien

Adieu, jusqu’à tantôt, je cherche ici mon Maître.

Et je lui vais parler.

En se retournant.

Tu ne sais pas, peut-être,

Que de la Loterie, où nous avons mis tous,

On doit ouvrir ce soir les Billets devant nous.

FLORINE.

C’est assez.

 

 

Scène X

 

FLORINE, seule

 

Si je perds à cette Loterie,

Je dirai que ce n’est partout que tromperie.

J’ai mis à celle-là parce que l’on sait bien,

Que celui qui la fait, est un Homme de bien.

 

 

Scène XI

 

FLORINE, CLARINE

 

FLORINE.

As-tu ta Boîte, enfin ?

CLARINE.

C’est une affaire faite.

Mais je te trouve seule, ainsi que je souhaite :

Mon dessein n’étant pas de te rien déguiser,

Sache donc que tantôt je ne t’ai fait causer,

Et n’ai sur le tapis fait mettre ta Maîtresse...

Enfin, tout comme moi, l’affaire t’intéresse.

Veux-tu gagner beaucoup ? Parle donc ?

FLORINE.

Hé comment ?

CLARINE.

La chose est bien facile ; et je sais un Amant

Prêt d’expirer d’amour pour ta jeune Maîtresse.

Il faut, pour soulager le tourment qui le presse,

Que tu...

FLORINE.

Vous me prenez pour une autre, je crois :

J’ai trop d’honneur, et si...

CLARINE.

De grâce, écoute-moi.

FLORINE.

La proposition est forte, ce me semble.

CLARINE.

T’ai-je dis qu’il fallait qu’ils couchassent ensemble ?

Ce n’est pas mon dessein, je prétends seulement

Que tu parles du mal que souffre cet Amant.

FLORINE.

Comment le nomme-t-on ?

CLARINE.

C’est un fort galant Homme,

Et c’est... oui, c’est, je crois, Clidamis qu’on le nomme ;

Il est riche, bien fait ; languissant, doucereux,

Et l’on ne peut trouver d’Amant plus amoureux.

Au Cours, aux Jeux publics, il a vu ta Maîtresse,

Et pour elle il a pris d’abord de la tendresse :

Il voudrait seulement qu’elle sût son ardeur,

La pouvoir voir enfin, j’entends avec honneur.

Ainsi, sans faire mal, et sans friponneries,

Nous gagnerons de quoi mettre à cent Loteries ;

Ayant à tant d’endroits, on gagne assurément.

Cela te tente fort ? Confesse.

FLORINE.

Nullement,

Je n’y gagne jamais.

CLARINE.

J’ai des Noms admirables,

Qui n’ont jamais manqué d’être fort favorables.

FLORINE, à part.

Tous ces Noms-là, céans, n’auraient servi de rien.

CLARINE.

Qui ne risque jamais, amasse peu de bien.

FLORINE.

Le sort peut n’être pas pour moi toujours de même.

Puis je te veux servir, à cause que je t’aime.

CLARINE.

C’est justement cela. Mais dis-moi librement,

L’Amant de ta Maîtresse aime-t-il froidement ?

Chacun croit qu’il n’a plus beaucoup d’ardeur pour elle.

FLORINE.

Ou je me trompe, ou bien ce rapport est fidèle ;

Je pense deviner, et crois qu’il est fâché,

Connaissant son humeur, de s’y voir attaché :

Mais étant honnête Homme, il sait bien se contraindre,

Et sans un grand sujet, ne voudrait pas s’en plaindre.

Si sa Cousine avait l’esprit autrement fait,

Je pense que du reste il serait satisfait ;

Ils se jettent tous deux de certaines œillades,

Qui font connaître assez que leurs cœurs sont malades.

CLARINE.

Oui, mais cette Cousine ayant un autre Amant...

FLORINE.

C’est un évaporé, qui ne plaît nullement.

Que Clidamis tantôt use de tromperie,

Et feignant de venir mettre à la Loterie,

Qu’il monte ici tout droit ; et que, s’il est galant,

Il fasse avec esprit paraître son talent :

Ma Maîtresse saura ce qu’il faut qu’elle sache ;

Jamais pour un Amant, Coquette ne se fâche.

CLARINE.

Je m’en vais l’avertir.

FLORINE.

Allez donc promptement :

Mais au moins...

CLARINE.

J’entends bien, point d’Amie autrement.

 

 

Scène XII

 

FLORINE, seule

 

Je crois qu’assez longtemps je me suis défendue,

On ne retrouve plus l’occasion perdue :

Mais comme ma Maîtresse enfin le saura bien,

À l’argent près, je crois que je ne pèche en rien.

 

 

Scène XIII

 

FLORINE, MICHELETTE

 

FLORINE.

Michelette, qu’as-tu ?

MICHELETTE.

La Populace émue,

Contre Madame crie hautement dans la Rue ;

Tout le monde s’en plaint, jusques à ses Amis,

Et dans sa Loterie elle n’a, dit-on, mis

Rien que des Billets blancs.

FLORINE.

Il faut que chacun cause ;

De chaque Loterie on dit la même chose ;

Et souvent les Perdants, sans aucune raison,

Que parce qu’ils n’ont rien, font parler Monsieur On.

MICHELETTE.

Mon Dieu, je savons tout, et ne sommes point bêtes ;

Et puisque sans témoins Madame a fait nos Boîtes,

Ses Gens, et ses Amis, devaient du moins avoir,

Pour sauver son honneur, chacun un Billet noir,

Dont ils auraient devant fait le prix avec elle.

C’est ce qu’a fort bien fait Madame de Grinbelle.

FLORINE.

Notre Maîtresse agit plus équitablement,

Et chacun est traité chez elle également.

MICHELETTE.

Vraiment oui.

FLORINE.

Mais va-t’en, laisse gronder le monde,

On doit rire de tout, lorsque le Peuple gronde ;

Sans en savoir la cause, il change en un moment,

Et n’est jamais longtemps d’un même sentiment.

MICHELETTE.

Si l’on m’attrape plus... Vous le saviez, j’enrage.

FLORINE.

Tais-toi donc ? tu perdras, si tu n’es pas plus sage,

Tout le bien, qu’en sortant, on t’a promis ici.

MICHELETTE.

Je n’aurai pas besoin de dire grand-merci.

 

 

Scène XIV

 

FLORINE, seule

 

Mais allons avertir notre jeune Maîtresse,

Que Clidamis, pour elle, a beaucoup de tendresse :

Pour deux Beautés, ils vont être trois soupirants ;

Ils pourront bien entre eux vider leurs différents.

Si par là j’ai mon compte, il ne m’importe guère :

Allons donc promptement songer à cette affaire.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

CLÉRONTE, DU BOIS

 

CLÉRONTE.

Hé bien donc, qu’as-tu fait ?

DU BOIS.

J’en ai trouvé partout,

Et Paris en est plein, de l’un à l’autre bout.

On n’entend à présent parler que Loterie ;

J’en ai trouvé d’Argent, de Lits, d’Argenterie,

De Meubles, de Bijoux, de Toile, de Tableaux,

De vieux Livres de prix, et de Livres nouveaux,

D’écharpes, de Liqueurs, de Vins, de Friandises,

De vieux Colifichets, de vieilles Marchandises,

D’Étoffes, de beaux Points, de Jambons, de Pâtés.

Un Curieux en fait de belles Raretés,

De coquilles de prix, Cailloux, Cristaux, Grains d’Ambre.

Si vous avez besoin d’une Robe de Chambre,

J’en sais une qui n’est du tout que de cela,

Et tous les Gens de Cour ont mis à celle-là.

Enfin ceux qui n’ont point de bien dans leurs Familles,

Se vont bientôt, par là, défaire de leurs Filles :

Et pour vous assurer que je ne vous mens pas,

Et que je ne dis rien sans bons Certificats,

Par ces Billets moulés, vous pourrez tout connaître.

Hé bien, jamais Valet servit-il mieux son Maître ?

CLÉRONTE.

Suffit.

 

 

Scène II

 

CÉLIANE, CLÉRONTE

 

CLÉRONTE.

Mélisse, enfin, ne se fera pas voir,

Madame.

CÉLIANE.

Mieux que vous, je ne le puis savoir ;

Son obstination là-dessus est très forte,

Et rien ne peut enfin lui faire ouvrir la porte,

Lorsque son Esprit est aux Astres attaché.

CLÉRONTE, à part.

Comment un tel Esprit peut-il m’avoir touché ?

Je m’en lasse à la fin, et vois que pour lui plaire,

Il faut être Astrologue. Ah ! j’aperçois Valère.

 

 

Scène III

 

CÉLIANE, CLÉRONTE, VALÈRE

 

CLÉRONTE.

Je t’attendais ; Veux-tu que nous risquions tous deux ?

Tu sais bien que toujours je suis assez heureux :

Avec moi veux-tu mettre à trente Loteries ?

On amasse, par là, de belles Pierreries ;

J’en ai déjà beaucoup.

VALÈRE.

Tu fais tout par excès,

Et tu gâtes, par là, jusqu’au bien que tu fais

 

 

Scène IV

 

CÉLIANE, CLÉRONTE, VALÈRE, CLARICE

 

CÉLIANE.

Ma Fille, viens, ma Fille : Elle est assez bien mise :

Elle a bon air, elle a la taille fort bien prise ;

Tirant une Boîte à mouches.

Il te manque une Mouche ici. J’en ai je crois.

Attends, je la mettrai.

CLARICE.

De grâce, laissez-moi.

CÉLIANE.

Pourquoi n’as-tu pas mis de Ruban à la mode ?

CLARICE.

Ne finirez-vous point ? Dieu, qu’elle est incommode !

CÉLIANE.

Tu devais y songer.

CLARICE.

Quelle Femme, bon Dieu !

CÉLIANE.

On ne se soucia jamais de soi si peu :

Elle ne pèche pas par l’amour de soi-même,

La pauvre Enfant.

CLÉRONTE, à part.

Je sens, tout de bon, que je l’aime.

VALÈRE.

Elle n’a pas besoin d’ornements empruntés,

Puisqu’elle brille assez de ses propres beautés.

CÉLIANE.

Monsieur n’est pas flatteur, et dit...

CLARICE.

Mon Dieu, ma Mère,

Vous feriez beaucoup mieux, si vous pouviez vous taire.

CÉLIANE.

Je n’ai pas fait grand mal, ne vous fâchez donc pas ;

Lorsque vous rougissez, vous avez moins d’appas.

Mais n’ouvrirons-nous pas toute l’après-dînée

Nos Boîtes ? peut-on mieux employer la journée ?

CLARICE.

On ne les peut avoir toutes que sur le soir :

Faut-il que vous parliez toujours sans rien savoir !

VALÈRE, à part.

Une pareille humeur ne m’accommode guère.

CLÉRONTE, à part.

La Fille est, par ma foi, plus sage que la Mère.

CÉLIANE.

Au lieu de la gronder, je dois dissimuler :

Quand je la fâche, elle est six jours sans me parler.

CLÉRONTE.

À propos, nous devions mettre à la Loterie

Que l’on fait ici près.

CÉLIANE.

Elle est d’Argenterie,

Et même, à ce qu’on dit, d’Argent, et de Bijoux :

Comme nous avons dit, mettons ensemble tous ;

J’y prétends mettre, avec ma Maison toute entière.

Laquais ?

UN LAQUAIS.

Madame ?

CÉLIANE.

Fais venir la Cuisinière.

CLARICE.

Que vous avez d’esprit ! ce sont là de vos coups ;

N’avez-vous point de honte ? ah j’en rougis pour vous.

CÉLIANE.

Dès que je dis un mot, je m’entends contredire.

À Valère.

Mais vous ne dites rien.

VALÈRE.

J’en aurais trop à dire.

 

 

Scène V

 

CÉLIANE, VALÈRE, CLÉRONTE, CLARICE, MICHELETTE

 

CÉLIANE.

Viens, d’une Loterie on t’a mise avec nous.

MICHELETTE.

C’est assez que je sois d’une autre avecque vous.

CÉLIANE.

Veux-tu de l’argent ?

CLÉRONTE.

Vois, que ta Maîtresse t’aime !

MICHELETTE.

Hé bien donc, je le veux aller porter moi-même ;

Je n’y mettrai jamais autrement.

CÉLIANE.

Et pourquoi ?

MICHELETTE.

Dame, pourquoi.

CÉLIANE.

Crains-tu de mettre avecque moi ?

MICHELETTE.

Dieu me garde d’avoir quelque soupçon dans l’âme.

Moi, craindre rien de vous ! d’une si bonne Dame !

Mais Madame Taupin fit d’abord comme vous,

Elle enjôla ses Gens, qui furent trompés tous ;

Et gardant leur argent, son avarice extrême

Lui fit faire en secret ses Boîtes elle-même,

Qu’elle ouvrit devant eux, et fit brûler après,

De peur qu’on n’apprit tout, en les voyant de près.

CLARICE.

Allez, Impertinente, apprenez à vous taire.

Voilà les beaux discours que s’attire ma Mère !

 

 

Scène VI

 

CÉLIANE, CLARICE, MÉLISSE, CLÉRONTE, VALÈRE

 

MÉLISSE, au coin du Théâtre.

Je vois Valère, et sens augmenter mon ennui :

Ah que mon Éventé n’est-il fait comme lui !

CÉLIANE.

Ma Nièce vient enfin, elle a quitté les Astres.

CLARICE.

Elle sait quels chagrins, quels bonheurs, quels désastres,

À tous ses bons Amis on doit voir arriver.

CLÉRONTE.

Avecque de l’argent nous venez-vous trouver ?

Car il en faut pour mettre à cette Loterie

Elle fait la mine.

Dont nous parlions hier. Ce n’est point raillerie.

MÉLISSE.

On doit prendre devant plus de précaution ;

Sur ce qu’on a songé, faire réflexion ;

Penser aux accidents qui dans ces conjonctures

Aux Mortels, comme nous, doivent servir d’augures.

J’entends aux accidents arrivés récemment,

Car, par là, le sort parle indubitablement.

On doit de plus chercher une de ces journées

Dont les Noms sont sans R, et qui sont fortunées ;

Des Planètes on doit voir la conjonction,

Et ne risquez jamais qu’avec réflexion.

CLÉRONTE.

Vous eussiez cru jadis aux entrailles des Bêtes ?

MÉLISSE.

Oui, par là, les Romains devinaient leurs Conquêtes.

Je veux bien l’avouer, j’aime avec passion

Tout ce qui sent un peu la Divination.

Si je pouvais, toujours on verrait à ma Table

Neuf ou dix de ces Gens, dont l’esprit admirable

Est toujours élevé ; de ces Savants enfin,

Qui lisent dans le Ciel les Secrets du Destin.

CLÉRONTE.

De votre Astrologie, et de tous vos augures...

MÉLISSE.

Ah n’en parlez pas mal, ce sont des choses sûres.

CÉLIANE.

Les Astrologues sont...

CLARICE.

Hé laissez tout cela,

Elle en sait plus que vous, sur ce chapitre-là.

MÉLISSE.

Le bon Vespasien apprit, pendant un somme,

Qu’on le verrait un jour, Souverain dedans Rome,

Quand l’Empereur Néron aurait moins d’une dent ;

Il le fut en effet, après cet accident.

CLARICE.

Laissons les Songes là, les bonheurs, les désastres.

MÉLISSE.

Que j’ai pitié de vous ! Quoi, ne pas croire aux Astres,

Aux présages par où s’explique le Destin ?

Quel esprit avez-vous ? Est-il rien plus certain ?

Les Astres sont puissants, et pour moi je m’y fie ;

Et ceux qui savent bien l’Horoscopographie...

CLÉRONTE.

Ah quel étrange mot ! il vient de m’assommer.

VALÈRE.

Madame, une autre fois, ne le doit pas nommer.

CLÉRONTE.

À quoi bon tout cela, Madame, je vous prie ?

Et qu’a de commun Rome avec la Loterie ?

Pour y mettre dix francs, voilà de grands discours ;

Et les Astres...

MÉLISSE.

On doit les consulter toujours.

 

 

Scène VII

 

CÉLIANE, CLARICE, VALÈRE, CLÉRONTE, MÉLISSE, GASPARD

 

MÉLISSE.

Mais que veux-tu, Gaspard ? As-tu quelque nouvelle...

GASPARD.

Ma Maîtresse vous prie à souper avec elle.

MÉLISSE.

Ce soir ?

GASPARD.

Oui.

MÉLISSE.

Mais, dis-moi, qui doit en être encor ?

GASPARD.

Madame Cornalion, et Monsieur du Trésor,

Monsieur de Flanconar, Monsieur de Landouillère,

Madame Boisnonain, et Monsieur Poulinière,

Monsieur de Vaugauret.

MÉLISSE.

Est-ce tout ?

GASPARD.

Non vraiment.

Madame Barbotin, Monsieur de Pont-Dormant,

Madame Boudinval, et Monsieur de Saint Blesme,

Puis ma Maîtresse, et vous, qui faites la treizième.

MÉLISSE.

Moi ?

GASPARD.

Vous.

MÉLISSE.

Qui, moi, dis-tu ? te moques-tu de moi ?

Tu me prends pour un autre. Ah je tremble d’effroi.

Non, cela ne se peut concevoir, treize à table !

Ah je trouve, vraiment, ta Maîtresse admirable ;

Treize à table ! Ah sur moi c’est faire un attentat.

Voilà ce que l’on doit nommer assassinat :

Il le faut avouer, ma surprise est extrême.

Me prier, moi, de faire à table une treizième !

Sors d’ici, mon ami, dépêche-toi donc tôt.

Ah je ne prétends pas mourir encor sitôt.

GASPARD, en s’en allant.

Quel esprit !

 

 

Scène VIII

 

MÉLISSE, CLARICE, CÉLIANE, CLÉRONTE, VALÈRE

 

MÉLISSE.

Ma frayeur est encor sans seconde.

N’est-il pas vrai qu’il est beaucoup de Fous au monde ?

CLÉRONTE.

Tel l’est, qui n’en croit rien.

VALÈRE.

Mais pour nous divertir,

Allons nous promener.

MÉLISSE.

Je n’oserais sortir,

Car j’ai toute la nuit songé de terre noire :

C’est un Songe fâcheux.

CLARICE.

Quoi, faut-il toujours croire...

MÉLISSE.

Pendant que le corps dort, l’esprit veille toujours ;

Hippocrate le dit.

CLÉRONTE.

Ah quittons ces discours.

CÉLIANE.

Mais, puisque d’aujourd’hui vous ne voulez rien faire,

Ma Nièce, entrons ici, pour parler de l’affaire

Que l’on nous dit hier.

MÉLISSE.

Ah, je n’en ferai rien,

À dîner, les Couteaux étaient en Croix.

CLÉRONTE.

Fort bien.

MÉLISSE.

Vous vous moquez toujours de telles aventures ;

Mais les Romains pourtant croyaient fort aux augures,

Aux Astrologues...

CLARICE.

Mais...

MÉLISSE.

Ne m’interrompez pas.

La Perse avait un Roi que l’on nommait Abas ;

Cet exemple est récent, et même d’importance.

Jamais ce Roi prudent ne donnait Audience,

Qu’il n’eût été devant quelque temps enfermé

Avec un Astrologue alors fort estimé.

Ce Monarque, jamais n’entrait dans uns Ville,

Qu’il n’eût bien consulté cet Astrologue habile ;

Et souvent on l’a vu, jusqu’aux Faubourgs entrer,

Et dessus ses avis d’abord se retirer,

Voulant laisser passer, par ce trait de prudence,

Des Astres irrités, la maligne influence.

CLÉRONTE.

Morbleu !

MÉLISSE.

Ce Roi passait pour être sage aussi.

 

 

Scène IX

 

ERGASTE, CÉLIANE, CLARICE, MÉLISSE, CLÉRONTE, VALÈRE

 

ERGASTE.

Pour prendre avis de vous, vous me voyez ici.

CÉLIANE.

Entrons donc.

ERGASTE.

Écoutez, Madame, je vous prie,

Ce n’est pas un secret. Comme à la Loterie

On voit cent mille Fous risquer incessamment,

J’ai cru que je devais agir plus prudemment,

Et qu’avant de risquer, il me serait facile...

Il le faut avouer, je suis un Homme habile ;

Quand on a du bon sens, on le fait remarquer.

Sachez que j’étais sûr, avant que de risquer,

De deux Lots.

CÉLIANE.

De deux Lots !

CLÉRONTE.

Mais par quel tour d’adresse...

ERGASTE.

Écoutez. Je fus voir une Devineresse ;

Je consultai longtemps avec elle, et j’appris

Que j’aurais sûrement deux Lots de fort grand prix,

En mettant certain jour à quelque Loterie.

MÉLISSE, à part.

Qu’il a d’esprit !

CLARICE, à part.

Quel fou !

ERGASTE.

Ce n’est point raillerie,

J’y mis, au jour marqué, chez Monsieur Guillemot.

MÉLISSE.

Vous deviez, pour le moins, espérer le gros Lot.

ERGASTE.

J’eus deux Boîtes ; j’ouvris aussitôt la première.

MÉLISSE.

Hé bien ?

ERGASTE.

Tout était blanc.

CÉLIANE.

Et dedans la dernière ?

ERGASTE.

Je vous viens consulter là-dessus ; la voilà.

Voyez-vous ? regardez. Là, de ce côté-là.

À Valère.

Voyez, Monsieur.

À Cléronte.

Voyez, la cire est emportée ;

Cette Boîte a sans doute été décachetée.

Regardez bien encor, voyez par cet endroit.

CLÉRONTE.

Cela se peut.

ERGASTE.

Sans doute, et la chose se voit :

Mais conseillez-moi tous ; parlez, que dois-je faire ?

VALÈRE.

Je ne sais pas.

CÉLIANE.

Ni moi.

CLÉRONTE.

Dans une telle affaire,

On est embarrassé.

ERGASTE.

Vous vous moquez, je crois.

On est embarrassé ! je ne le suis pas, moi.

Dans cette Boîte-là les deux Lots doivent être ;

S’ils ne s’y trouvent pas, on les a pris.

CLÉRONTE.

Peut-être.

ERGASTE.

Ah, Monsieur, il n’est point de peut-être à cela ;

Ils sont pris, s’ils ne sont dans cette Boîte-là :

C’est pourquoi je la veux faire ouvrir en Justice ;

S’ils ne s’y trouvent pas, il faudra qu’on punisse

Guillemot, ou ses Gens, comme en ayant ôté

Les deux Lots qui dedans doivent avoir été,

Et que l’on aura pris par quelque tour d’adresse,

Car on doit croire, enfin, à la Devineresse.

MÉLISSE.

Sans doute.

ERGASTE.

J’ai revu ledit Sieur Guillemot,

Lequel m’a répondu, qu’il lui restait un Lot,

Et que s’il me plaisait, je n’avais qu’à le prendre :

Mais j’en veux avoir deux, ou je le ferai pendre.

VALÈRE.

Il ne le sera pas, Monsieur, assurément.

ERGASTE.

Prenez-vous son parti contre moi ?

VALÈRE.

Nullement.

ERGASTE.

Qui le sauvera donc ?

VALÈRE.

Il vous manque une Pièce.

ERGASTE.

Quelle ?

VALÈRE.

Un Certificat de la Devineresse,

Qui marque qu’elle a dit que vous auriez deux Lots.

ERGASTE.

Si je pouvais l’avoir...

CLARICE.

Il serait à propos.

ERGASTE.

Je m’en vais donc tâcher d’en obtenir un d’elle,

Car cette affaire-là passe la bagatelle :

Ou j’aurai deux Lots, ou Monsieur Guillemot...

Il verra qu’il n’a pas affaire à quelque Sot.

 

 

Scène X

 

CLARICE, MÉLISSE, CLÉRONTE, CÉLIANE, VALÈRE

 

CLARICE.

Qu’il est fou, ma Cousine !

MÉLISSE.

Un peu moins qu’on ne pense ;

Les plus Sages, souvent, sont fous en apparence.

CLARICE.

Je sais ce que je dis.

MÉLISSE.

Je le sais bien aussi.

 

 

Scène XI

 

CLIDAMIS, VALÈRE, CLÉRONTE, CÉLIANE,  CLARICE, MÉLISSE

 

CLÉRONTE.

Ne me trompé-je point ? que viens-tu faire ici ?

CLIDAMIS.

Mettre à la Loterie.

CLÉRONTE.

Elle est déjà tirée.

CLIDAMIS.

Tout de bon ?

CLÉRONTE.

Oui, morbleu, la chose est assurée ;

Et tu nous vois ici, comme Amis seulement.

CLIDAMIS.

Vous êtes bien heureux, Messieurs, assurément ;

De pouvoir visiter des Personnes si belles,

Et qui sont, que je pense, aussi spirituelles.

CÉLIANE.

Il est vrai qu’en ma Fille on trouve des appas.

CLARICE.

Hé, ma Mère, bon Dieu, ne vous tairez-vous pas ?

Pour moi vous me ferez déserter.

CÉLIANE.

Quelle Fille !

CLIDAMIS.

On ne saurait trouver de plus belle Famille.

CLÉRONTE.

Pour louer tout le Sexe, on connait Clidamis.

CÉLIANE.

Clidamis ! feu son Père était de mes Amis,

Je le connais, et sais son bien, et sa naissance.

VALÈRE.

Monsieur est estimé partout, pour sa prudence ;

Et je le connais, moi, par réputation.

CLIDAMIS.

Je suis heureux, d’avoir votre approbation.

MÉLISSE.

Pour moi, qui sais, je pense, un peu d’Astronomie,

Et qui dois me connaître en Physionomie,

Je vois bien que, dans peu, Monsieur doit être heureux,

Par l’Hymen d’un Objet favorable à ses vœux.

CLÉRONTE.

Vos Almanachs toujours ne sont pas véritables.

MÉLISSE.

Par Livres, je vous vais prouver qu’ils sont croyables,

Quand j’aurai de Monsieur su la Nativité.

CLÉRONTE.

D’accord.

À Clidamis.

Dessus ce point dis-lui la vérité,

Oblige-moi.

CLIDAMIS.

C’est l’an mille six cent quarante,

En Avril, un Lundi, du même mois le trente,

À deux heures et trois minutes du matin.

CLÉRONTE, à Mélisse.

Me tiendrez-vous parole ?

MÉLISSE.

Il n’est rien plus certain,

Et je vous ferai voir des choses admirables,

Par les Astres qu’il eût en naissant favorables,

Par les Planètes lors dans toute leur vigueur,

Et par le signe enfin Consignificateur.

CLÉRONTE.

Mais allons donc, enfin.

MÉLISSE.

Je le veux.

 

 

Scène XII

 

CLIDAMIS, CÉLIANE, VALÈRE, CLARICE

 

CLIDAMIS.

Cette Belle

Paraît être bien douce, et bien spirituelle.

CÉLIANE.

Parfois elle devine.

CLARICE.

Oui, mais c’est rarement.

À Valère.

Pût-elle deviner, Monsieur, dernièrement,

Que nous devions gagner cette Bague ?

VALÈRE.

Madame,

J’ai...

CLARICE.

La confusion s’empare de votre âme.

VALÈRE.

J’ai fait cent fois dessein de ne pas l’oublier.

CLARICE.

Comme à votre mémoire on doit peu se fier,

Allez me la quérir.

VALÈRE.

J’y cours en diligence,

Et prétends réparer, par là, ma négligence.

 

 

Scène XIII

 

CLIDAMIS, CÉLIANE, CLARICE

 

CLIDAMIS.

Je ne puis revenir de mon étonnement ;

Et suis encor surpris, Madame, en ce moment,

Quand je songe au bonheur que par la Loterie...

CLARICE.

Mais voyez là-dedans, ma Mère, je vous prie,

Si ces Ouvriers font comme je leur ai dit.

Vous savez, je crois bien...

CÉLIANE.

Oui, ma Fille, il suffit.

 

 

Scène XIV

 

CLARICE, CLIDAMIS

 

CLIDAMIS, à part.

Prenons l’occasion, elle nous rit.

Haut.

Madame,

Je ne puis plus cacher le beau feu qui m’enflamme ;

Vous pourrez en trouver l’aveu précipité,

Et remarquer en moi trop de témérité :

Mais quand l’occasion se montre favorable,

Qui la laisse échapper, est souvent condamnable.

CLARICE.

Sitôt qu’on voit les Gens leur faire un tel aveu,

C’est les aimer beaucoup, ou les estimer peu.

Je sais que je devais d’abord vous faire taire ;

Mais je ne puis avoir une feinte colère,

J’ai souhaité de vous cette parfaite amour,

Et que... Mais j’en dis trop, que je pense, à mon tour.

CLIDAMIS.

Ah que je suis heureux ! et que cette tendresse...

CLARICE.

Ces transports trop ardents me font voir ma faiblesse :

Cachez-les-moi, de grâce.

CLIDAMIS.

Ah vous repentez-vous

De m’avoir témoigné des sentiments si doux ?

Cléronte paraît au bout du Théâtre.

CLARICE.

Non ; et connaissant trop votre mérite extrême...

Vous m’allez faire encor dire que je vois aime.

CLIDAMIS.

Si vous m’aimez, pourquoi me le vouloir cacher ?

 

 

Scène XV

 

CLIDAMIS, CLÉRONTE, CLARICE

 

CLARICE, à Cléronte.

Vous êtes trop loin là, vous pouvez approcher,

Car vous ne pourriez pas, que je crois, bien entendre.

CLÉRONTE.

Qu’ai-je vu ? qu’ai-je ouï ? je n’y puis rien comprendre.

Vous aimez Clidamis, perfide ?

CLARICE.

Pourquoi non ?

Mais est-ce à vous qu’il faut que j’en rende raison ?

Mais pourquoi vous Jaloux ! je voudrais le connaître.

Valère vous a-t-il donné charge de l’être ?

Le représentez-vous ?

CLIDAMIS.

Ne pressez point Monsieur

De vous dire...

 

 

Scène XVI

 

VALÈRE, CLARICE, CLÉRONTE, CLIDAMIS

 

CLARICE.

Êtes-vous jaloux par Procureur ?

Cléronte a-t-il de vous commission de l’être ?

J’aime Monsieur, dit-il, il a su le connaître ;

Avec grande chaleur il prend votre intérêt.

VALÈRE.

Ah je serais plutôt jaloux de ce qu’il l’est :

Mais si j’étais sujet à cette frénésie,

Il me faudrait souvent montrer ma jalousie ;

Car enfin les Beautés qui sont de votre humeur,

Doivent rendre jaloux le plus tranquille cœur.

Quand on est, comme vous, jeune, spirituelle,

Que l’on entend partout dire que l’on est belle,

Qu’on fait des Soupirants presque à chaque moment,

On se sent refroidir pour son premier Amant ;

Et soit qu’il ait beaucoup d’amour, ou de mérite,

S’il ose être jaloux, aussitôt on le quitte :

Ainsi, si j’avais lieu de me plaindre de vous,

Je pourrais vous quitter, avant d’être jaloux.

CLARICE.

Ce discours est adroit, honnête en apparence ;

Je vois bien toutefois ce qu’il faut que j’en pense :

Qui ne peut se fier à ma fidélité...

Adieu, c’est m’obliger, que d’en avoir douté.

VALÈRE.

Moi, l’ai-je dit ?

CLARICE.

C’est donc que vous me faites grâce :

Mais, Valère, sachez que je hais la menace.

Venez, Monsieur ; je veux, en dépit des Jaloux,

Jouir encor un peu d’un entretien si doux.

Nous pouvons là-dedans entrer avec ma Mère.

 

 

Scène XVII

 

VALÈRE, CLÉRONTE

 

CLÉRONTE.

Hé bien, après cela, dis, que prétends-tu faire ?

VALÈRE.

Je ne sais.

CLÉRONTE.

Tu devrais les aller quereller,

Et ne les pas laisser ensemble se parler.

VALÈRE.

Il faut bien que chacun vive à sa fantaisie.

CLÉRONTE.

Morbleu !

VALÈRE.

Je ne veux pas avoir de jalousie.

CLÉRONTE.

Mais tu dois en avoir.

VALÈRE.

Chacun a son humeur.

CLÉRONTE.

Tu me fais enrager avec cette froideur.

VALÈRE.

Je m’en trouve fort bien.

CLÉRONTE.

Ah ! Amant trop commode !

Je te veux voir au rang des Maris à la mode,

Qui sans s’inquiéter de ce qu’on fait chez eux...

VALÈRE.

S’ils vivent sans chagrins, ne sont-ils pas heureux ?

CLÉRONTE.

Heureux d’être... Ah, morbleu, tu te moques, je pense ?

A-t-on jamais parlé de telle extravagance ?

Ah, Valère, crois-moi, je suis de tes Amis...

VALÈRE.

Hé bien, je vais céder Clarice à Clidamis.

CLÉRONTE.

Garde-t-en bien.

VALÈRE.

Je vais donc l’épouser moi-même.

CLÉRONTE.

Ah tu ferais encor une folie extrême.

VALÈRE.

Donne-moi donc conseil.

CLÉRONTE.

Ne la vois plus, crois-moi :

C’est là te conseiller de même que pour moi ;

Ce conseil est fort bon, et te doit satisfaire.

VALÈRE.

Adieu, j’apprends, par là, tout ce que je dois faire.

CLÉRONTE.

Il a quelque dessein, qu’on ne soupçonne pas :

Mais allons travailler à sortir d’embarras.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

CLIDAMIS, VALÈRE

 

VALÈRE.

Vous n’en douterez pas, sachant que chaque jour

Je sens diminuer pour elle mon amour ;

Mais malgré les raisons que j’avais de me plaindre,

Tant qu’elle eût un Amant, j’ai voulu me contraindre.

Et je cesse à présent, connaissant votre ardeur.

Cléronte l’aime aussi, mais sans toucher son cœur :

S’il croit pourtant pouvoir faire approuver sa flamme,

Il chassera d’abord Mélisse de son âme ;

Mais il faut pour cela que vous ne disiez rien,

Ni de vos feux cachés, ni de notre entretien.

Vous vous voudrez bien, je crois, me rendre ce service.

Puisqu’enfin je vous sers, en vous cédant Clarice.

Ce secret-là m’importe, et vous saurez pourquoi.

CLIDAMIS.

Mais Cléronte paraît, rentrez avecque moi ;

Par mon avis, Clarice, avec un peu d’adresse,

Va savoir si, pour elle, il a de la tendresse.

 

 

Scène II

 

CLARICE, CLÉRONTE

 

CLÉRONTE.

Ah puisque vous manquez à Valère de foi,

Ne jetez pas les yeux sur d’autres que sur moi :

Me prenant pour Amant, vous me ferez justice,

Car je me lasse, enfin, de l’humeur de Mélisse ;

Déjà, depuis longtemps, je soupire pour vous ;

Et pour moi-même, enfin, j’étais tantôt jaloux.

CLARICE.

Voilà ce que de vous, je souhaitais d’apprendre.

CLÉRONTE.

N’aurez-vous point pour moi quelque sentiment tendre ?

CLARICE.

Ah ce que je ferai, vous surprendra beaucoup.

CLÉRONTE.

Je suis heureux enfin, Amour, c’est à ce coup.

Que ne vous dois-je point ? Ma joie est infinie :

Mais, taisons-nous, voici toute la Compagnie.

 

 

Scène III

 

CÉLIANE, MÉLISSE, CLIDAMIS, VALÈRE, CLARICE, CLÉRONTE, DU BOIS

 

CÉLIANE.

Nos Boîtes vont venir, demeurez ici tous,

Car je n’ai pas dessein de les ouvrir sans vous.

DU BOIS.

En attendant, Monsieur, écoutez je vous prie,

Un avis merveilleux touchant la Loterie ;

Un avis... un avis... mais un avis du temps.

Que vous ferez par là de grands gains tous les ans !

Mais pour mon droit d’avis, dites-moi donc, qu’aurai-je ?

CLÉRONTE.

Parle, ou tais-toi.

DU BOIS.

Tâchez d’avoir le Privilège,

De faire seul ici, débiter, fabriquer,

Boîtes, Cire et Papier, que vous ferez marquer ;

Et qu’on défende à ceux qui font des Loteries...

CLIDAMIS.

Ah, ah.

DU BOIS.

Ce ne sont pas ici des railleries,

Vous riez sans sujet, cet avis est fort bon ;

L’on en vend, tous les ans, pour plus d’un million ;

Faites donc un Placet, Monsieur, en diligence :

Car on vous préviendra, je sais que l’on y pense ;

L’avis est important.

 

 

Scène IV

 

CÉLIANE, CLARICE, MÉLISSE, VALÈRE, CLIDAMIS, CLÉRONTE, DU BOIS, FLORINE

 

CÉLIANE.

Hé bien, Florine, enfin,

Les as-tu ?

FLORINE.

Je les tiens, il n’est rien plus certain.

Écoutez.

DU BOIS.

Ah, ma foi, ce n’est point raillerie.

FLORINE.

À propos, savez-vous que cette Loterie

Fut dès hier tirée ?

MÉLISSE.

Oui.

FLORINE.

Savez-vous par qui ?

MÉLISSE.

Non.

FLORINE.

Sachez que ce fut par Monsieur Cornuqui.

MÉLISSE.

Cornuqui, ce Bossu ? quoi, ce Bossu, Florine ?

Ce Bossu ?

FLORINE.

Ce Bossu.

MÉLISSE.

Quel Astre nous domine !

Un Bossu ! quel présage ! ah nous n’aurons tous rien,

Puisqu’un Bossu... Florine, au moins le sais-tu bien ?

FLORINE.

Que trop.

DU BOIS.

De tout mon cœur je voudrais le voir pendre,

Ce Bossu.

CLÉRONTE.

Mais ouvrons, et nous pourrons apprendre...

CÉLIANE.

Non, les Intéressés doivent tous être ici.

VALÈRE.

Michelette nous manque.

CLARICE.

Il est vrai.

DU BOIS.

La voici.

 

 

Scène V

 

MICHELETTE, CÉLIANE, MÉLISSE, CLARICE, FLORINE, CLIDAMIS, VALÈRE, CLÉRONTE, DU BOIS

 

MICHELETTE.

Nos Boîtes sont ici, l’on vient de me l’apprendre ;

Je crois que vous alliez les ouvrir, sans m’attendre.

VALÈRE.

En fait de Loterie en use-t-on si mal ?

Non ; car, comme l’Amour, elle rend tout égal,

Associant ensemble et les Fous, et les Sages.

MICHELETTE.

J’ai perdu, cet Hiver, onze mois de mes gages

À ce beau jeu.

CÉLIANE.

Tais-toi.

MICHELETTE.

Ma foi, nous n’aurons rien.

DU BOIS.

Et pourquoi donc ?

MICHELETTE.

Gageons, que je devine bien.

J’avais avec plusieurs Dames du Cimetière,

Saint Jean s’entend. J’y mis, mais la fine première ;

Nous avions cent Billets, si je l’en souviens bien,

Chez un homme d’Honneur.

CLIDAMIS.

Et vous avez eu ?

MICHELETTE.

Rien.

Nous étions la Cornu, la Ridou, la Moussette,

Gillette la Boiteuse, et la Fille à Massette,

Dame Barbe, Simone, et Denise Tuyau,

Thoinette, Guillebert, la Femme à Gras-Douillau.

CÉLIANE.

Je te crois.

MICHELETTE.

La Margot, la grande Jacqueline,

Parine Carrabeux, la jeune Mathurine,

La Carcoffe, la jeune et vieille Gigotin,

La Femme à Gobinel.

CÉLIANE.

Veux-tu te taire, enfin ?

MICHELETTE.

Dame Suzanne, Alix, la grande Ricatotte,

La Moulardeau, Martine, avec la Ravignotte,

Julienne Barbot, avec la Bon-Vouloir :

Et puisque nous n’avons toutes pu rien avoir,

Madame, croyez-moi, nous n’aurons rien ; vous dis-je,

Car nous sommes bien moins, et c’est ce qui m’afflige.

Enfin nous n’aurons rien, et quoi que vous disiez...

CÉLIANE.

Tais-toi.

VALÈRE.

L’on doit souffrir de ses Associés ;

Et jusques à tantôt Michelette est la vôtre.

CÉLIANE.

Ouvrons donc ; mais au moins, ouvrons l’une après l’autre ?

Ne donne qu’une Boîte à la fois.

MÉLISSE.

C’est bien fait.

FLORINE, tire une Boîte de son Tablier, qu’elle donne à Cléronte.

Adonis.

VALÈRE.

Ah ce Nom te convient tout à fait ;

Tu l’as pris pour cela.

MICHELETTE, quittant sa place pour s’aller mettre auprès de Cléronte, tandis que Du Bois est aussi à un de ses côtés.

Je crains la tromperie,

Voyons de près.

CLÉRONTE.

Tout beau, laisse-moi, je te prie.

MICHELETTE.

Je crois, pour mon argent, pouvoir voir comme vous.

CLÉRONTE.

Ne me presse pas tant, tu verras bien.

DU BOIS, la poussant.

Tout doux,

Blanc, blanc, tout blanc, blanc encor, blanc de même ;

Blanc, blanc : non, noir. Vivat. Ah ma joie est extrême ;

Le Bossu, pour ce coup, n’a pas porté malheur.

MÉLISSE.

Hé bien donc, qu’avez-vous ?

CÉLIANE.

Lisez vite, Monsieur.

CLÉRONTE.

C’est un gros Lot.

CLARICE.

Lisez.

CLÉRONTE.

Croyez-vous que je raille ?

MÉLISSE.

Non.

MICHELETTE.

Monsieur, s’il vous plaît, lisez.

CLÉRONTE.

Une Médaille.

MICHELETTE.

Elle est donc d’or ?

CLÉRONTE.

De cuivre, où l’on voit le Portrait

Du sage Roi David, bien gravé trait pour trait.

FLORINE.

Du Roi David !

DU BOIS.

Vraiment, ce Lot est admirable.

CLIDAMIS.

Une Médaille antique est bien considérable.

DU BOIS.

L’on en ferait bien mieux priser l’antiquité.

CÉLIANE.

Une autre Boîte.

FLORINE.

C’est.

VALÈRE.

Qui ?

FLORINE.

La Fidélité.

CÉLIANE.

C’est moi.

MICHELETTE.

Vous ?

FLORINE.

On le voit ; car Madame est si bonne,

Qu’elle ne voudrait pas avoir trompé personne.

DU BOIS.

Voyons donc. J’aperçois... Ma foi, je croyais voir...

Ah qui n’aurait pas cru qu’il devait être noir ?

Celui-là me paraît bien plus gros que les autres ;

Il est... Non, vous n’avez rien du tout dans les vôtres.

CLÉRONTE.

Une autre.

VALÈRE, à part.

Je me fais un divertissement

De leur avidité.

CÉLIANE.

Donne donc promptement.

FLORINE.

Ça, Mathurin Questier.

DU BOIS.

C’est moi-même. Je gage

Que j’aurai sous le Nom d’un si grand Personnage,

D’un Astrologue enfin.

CLARICE.

Ma Cousine en fait cas.

DU BOIS.

Sous un Nom si fameux, dites, n’aurons-nous pas...

MÉLISSE.

Mais quel Songe as-tu fait cette nuit ?

DU BOIS.

Moi, Madame ?

Attendez... j’ai...

CLIDAMIS.

Dis vite...

DU BOIS.

Ah, oui, c’est sur mon âme,

De Cornes qu’est mon Songe ; et j’en ai tant vu...

MÉLISSE.

Bon.

Il dénote profit, et domination.

DU BOIS, regardant les Billets.

Il a, ma foi, dit vrai : Non. Mais voyons les autres.

MICHELETTE.

Ils seront, que je pense, aussi blancs que les vôtres.

DU BOIS.

Ah, ah, ah, ah, ah, ah, je vois...

MICHELETTE.

Que vois-tu ?

DU BOIS.

Rien :

Mais regardons encor, et retournons-les bien.

Ils sont, ma foi, tous blancs. La peste soit du Songe.

Je le dirai toujours ; oui, tout Songe est Mensonge ;

Je donne l’Astrologue au diable de bon cœur,

Et le chien de Bossu qui m’a porté malheur.

CÉLIANE.

Une autre.

FLORINE.

Numéro quatre-vingts. Toute Belle.

CÉLIANE.

C’est ma Fille.

CLIDAMIS.

Il est vrai que rien n’est si beau qu’elle.

CLÉRONTE.

Non, rien n’est comparable à ses divins appas.

CLARICE.

Mais je vous avais dit que je ne voulais pas

Qu’on me donnât ce Nom.

CÉLIANE.

Sans te mettre en colère,

Ouvre ta Boîte.

CLARICE.

Non, j’ouvrirai la dernière.

CÉLIANE.

Ah voyons.

CLARICE.

Non, non, non.

CÉLIANE.

Ma Fille.

CLARICE.

Non, non, non.

CÉLIANE.

Mais...

CLARICE.

Mais je ne veux pas.

CÉLIANE.

Quelle obstination !

 

 

Scène VI

 

CLARINE, CÉLIANE, CLARICE, CLIDAMIS, CLÉRONTE, VALÈRE, DU BOIS, FLORINE

 

CÉLIANE.

Mais que désirez-vous ?

FLORINE.

C’est toi ! C’est une Femme :

À votre Loterie elle avait mis, Madame,

Je la connais...

CÉLIANE.

Vient-elle ici quérir des Lots ?

CLARINE.

Non, je vous viens plutôt troubler mal à propos,

Je venais voir Florine, excusez je vous prie...

CÉLIANE.

Nous ouvrons les Billets d’une autre Loterie.

CLARINE.

J’en sais une.

CLÉRONTE.

Où ? parlez.

VALÈRE.

Son argent est tout prêt.

CLARINE.

Vous serez surpris tous d’apprendre ce que c’est ;

Car celle-là n’est point du rang des Loteries,

Où l’on fait tous les jours mille friponneries ;

De celles où l’on met dans chaque Boîte après,

Au lieu de Billets noirs, de blancs qu’on tient tout près ;

De celles où souvent, des Fourbes, ou des Bêtes,

Se trompent lourdement, en mettant dans les Boîtes,

Tantôt plus, tantôt moins, de Billets qu’il ne faut.

CLIDAMIS.

Cela m’est arrivé chez Monsieur Verminaut.

CLARINE.

Celle dont je vous parle, est tout à fait fidèle,

Et ne doit pas, enfin, être de même celle

De Madame Doucet, qui fit fort à propos,

Comme elle avait promis, tomber les plus gros Lot :

À tous ses Créanciers, qui sans ce tour d’adresse,

Avaient tous résolus de lui faire une pièce.

VALÈRE.

Elle dit vrai.

CLÉRONTE.

Du Bois, avais-je à celle-là ?

DU BOIS.

Non, Monsieur.

CLÉRONTE.

Comment donc s’est pu faire cela ?

CLARINE.

Autre. Quatre Beautés, jeunes, spirituelles,

Qui souhaitaient d’avoir des Jupes des plus belles,

Et qui manquaient d’argent, aux dépens du Public,

En gagnèrent bientôt par ce nouveau trafic,

Puisque sans mettre tout dedans leur Loterie...

DU BOIS.

Je n’y mettrai jamais. Quelle filouterie !

CLARINE.

Madame Bobinar fit un aussi bon tour ;

Et voulant obliger quelques Gens de la Cour,

Comme elle est fine, adroite, et fort spirituelle,

Elle les fit venir voir tous les Lots chez elle.

En les considérant, chacun fit son souhait,

Et dès le lendemain chacun fut satisfait ;

Et la Dame, par là, fit sa Cour à merveille.

MÉLISSE.

Vous l’avez fort bien dit, l’adresse est sans pareille.

CÉLIANE.

Ah je ne voudrais pas agir comme cela,

Car l’on vole les Gens, en faisant ces tours-là.

CLÉRONTE.

Mais dites-nous, enfin, quelle est la Loterie...

CLARINE.

On n’y met rien.

DU BOIS.

J’en suis, elle est sans fourberie.

CLÉRONTE.

Mais qu’y peut-on gagner ?

CLARINE.

Une Femme, en un mot.

DU BOIS.

Ah, Monsieur, soyez-en, c’est un assez gros Lot.

CLÉRONTE.

Oui ; mais, quand on le veut, on se s’en peut défaire.

CLARINE.

Écoutez. Je vous vais conter toute l’affaire.

Une Fille de qui le nom est fort connu,

Jeune, riche en appas, ainsi qu’en revenu,

Ayant bien, pour le moins, six mille écus de rente,

Et qui doit hériter encor d’une Parente ;

D’un fameux Astrologue, apprit ces jours passés,

Des malheurs dont ses jours sont, dit-il, menacés,

Si jamais par amour la Belle se marie.

Cela fait qu’elle veut faire une Loterie,

Afin que le Hasard lui présente un Époux,

Pour qui jamais son cœur n’ait rien senti de doux.

Pour cet effet, l’on doit choisir neuf, ou dix Hommes,

Des plus sages qui soient dans le Siècle où nous sommes :

Des Billets qu’ils auront, ils ne payeront rien tous ;

On n’en mettra qu’un noir, l’heureux sera l’Époux,

Et cela sera net, sans nulle tromperie :

Mais pour être reçu dans cette Loterie,

Chacun doit apporter une Attestation...

CLÉRONTE.

De quoi donc ?

CLARINE.

De ses mœurs, et de sa santé.

DU BOIS.

Bon.

Monsieur est grand ami de son Apothicaire,

Et son Chirurgien est depuis peu son Compère !

Il n’en manquera pas ; car pour tout dire, enfin,

Il est des bons amis d’un fameux Médecin :

Et comme il est aussi des Amis de sa Femme,

Une Attestation de cette belle Dame,

Dans cette occasion peut prouver sa santé.

CLÉRONTE.

Ne veux-tu pas te taire ? ô Ciel, quel éventé !

Mais, Madame, achevons ; De cette Loterie

Nous pourrons rire après. Donne donc, je te prie.

FLORINE.

Valère.

VALÈRE.

Donnez-moi.

CLÉRONTE.

Sous ton nom ?

VALÈRE.

Pourquoi non ?

Que sert de le changer ? mon Nom n’est-il pas bon ?

CLÉRONTE.

J’enrage quand je vois cette froideur extrême.

DU BOIS.

Oui, non. Ah celui-là... Non il est tout de même :

Mais je me suis bien trompé, si... la, la, la, la, la,

Valère les jette de sang-froid, et Du Bois et Michelette les ramassent.

Rien. Ah vous n’avez pas bien ouvert celui-là.

FLORINE.

La Pucelle à regret. À qui la Boîte est elle ?

CLÉRONTE.

À Michelette.

MICHELETTE.

À moi ? que dites-vous ? Pucelle.

Moi Pucelle à regret ! Pucelle !

CLIDAMIS.

Pourquoi non ?

CLÉRONTE.

C’est la Communauté qui t’a donné ce Nom.

CÉLIANE.

Dépêche donc.

MICHELETTE.

Çà.

DU BOIS.

Rien, rien, rien.

En sautant.

Michelette,

Il est noir, et très noir, notre fortune est faite.

MÉLISSE.

Tout de bon ?

DU BOIS.

Oui vraiment, on ne peut l’être plus.

Lis donc vite, lis donc.

MICHELETTE.

Estimé mille Écus.

FLORINE.

Mille écus !

DU BOIS.

Mille écus.

MICHELETTE, embrassant sa maîtresse.

Ah ma chère Maîtresse.

DU BOIS, embrassant son maître.

Mon cher Maître, ah, ah, ah, allégresse, allégresse.

MICHELETTE.

Sans Lunettes je n’ai pu tout lire.

DU BOIS.

Achevez.

MICHELETTE.

Je...

DU BOIS.

Donnez, je lirai, si vous ne les avez.

MICHELETTE.

Je les tiens.

CLÉRONTE.

Lisez donc.

MICHELETTE.

Elles ne sont pas nettes.

CLARICE.

Ne finiras-tu point, avecque tes Lunettes ?

MICHELETTE.

Un Pe... Pe... Perroquet, estimé mille Écus.

DU BOIS.

Un Perroquet !

MICHELETTE.

Voyez.

DU BOIS.

Je demeure confus.

Comment ? c’est trop, il faut s’en plaindre à la Justice.

FLORINE.

Les sept Planètes. C’est la Boîte de Mélisse.

DU BOIS.

Mille écus ! Mille écus !

Mélisse ouvre ses Billets.

Comment, un Perroquet ?

Il faudrait, pour cela, qu’il eût bien du caquet.

MICHELETTE.

Mille écus ! les Voleurs !

MÉLISSE.

Je n’ai rien dans la mienne.

DU BOIS, se retournant avec précipitation.

Ah voyons donc.

CÉLIANE.

Florine, ouvre vite la tienne.

FLORINE, éternuant.

Ste.

MÉLISSE.

Ouvrez vite, ouvrez ; cela n’ira pas mal.

Ouvrez, l’éternuement est un Signe augural.

FLORINE.

Le Capricorne en l’Ascendant.

DU BOIS.

Ah, ah.

FLORINE.

Écoute :

Ce Nom vient de Madame, il est heureux sans doute.

CLÉRONTE.

Heureux ; nous allons voir.

DU BOIS.

Rien, rien, rien, rien, rien, rien.

CLARICE, après avoir ouvert ses Billets, pendant que Florine a ouvert les siens.

Je n’ai rien, non plus qu’elle.

DU BOIS, se retournant tout à coup.

Ah, ah, cela va bien.

CLÉRONTE.

Je n’en suis pas surpris, mais je ris dans mon âme...

Montrant Mélisse.

Mais qui ne rirait pas du malheur de Madame ?

De ses précautions, qui n’opèrent jamais.

MÉLISSE.

C’est que j’ai du malheur dans tout ce que je fais ;

Et lorsque l’on me voit arriver des désastres,

C’est que mon malheur est bien plus fort que les Astres.

CLÉRONTE.

C’est... Je ne veux pas dire.

MÉLISSE.

Allez, Impertinent,

Ne me voyez jamais.

CLÉRONTE.

D’accord. Dès maintenant

Je vous quitte.

MÉLISSE.

Fort bien.

CLÉRONTE.

Mais croyez-vous, Madame,

Qu’un autre...

VALÈRE.

Oui, ses yeux ont su toucher mon âme ;

Et si Clarice veut...

CLARICE.

Qui, moi ? de tout mon cœur.

MÉLISSE.

Hé bien, espérez donc.

CLÉRONTE.

Cette naissante ardeur

M’oblige infiniment ; car j’adore Clarice,

Qui doit à mon amour rendre bientôt justice :

Elle me l’a promis.

CLARICE.

Mais je n’en ferai rien.

J’estime Clidamis, ma Mère le sait bien,

Et nous sommes d’accord.

CLÉRONTE.

Ah quelle tromperie !

À Clarine.

Allons me faire écrire à cette Loterie...

Allons, je suis heureux, et jamais je ne perds.

CLIDAMIS, à Clarice.

Et moi, je suis heureux, de vivre dans vos fers.

MICHELETTE.

Songeons au Perroquet, car je crains qu’il ne meure.

DU BOIS.

Nous aurions un Procès.

FLORINE.

Allons donc tout à l’heure.

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