Les Galants ridicules (CHEVALIER)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Marais, en 1661.

 

Personnages

 

ANGÉLIQUE, fille du Docteur, amante de Léandre

BÉATRIX, suivante d’Angélique

RAGOTIN, valet de Guillot, amoureux de Béatrix

GUILLOT, amoureux d’Angélique

LE DOCTEUR, père d’Angélique

LÉANDRE, amant d’Angélique

LE BARON DE LA TOPINIÈRE, amoureux d’Angélique

TARASQUIN, valet du Baron

 

 

À MADEMOISELLE M. M.

 

MADEMOISELLE,

Il faut que je vous avoue que jamais homme ne se trouva plus embarrassé que je le fus, lorsque j’entrepris de vous adresser cette Comédie, parce que vous la donner c’est la donner à tout le monde, et que vous méritez sans doute quelque chose de plus particulier, n’ayant rien en vous que de fort extraordinaire, étant incomparable en tout comme vous êtes : cependant je me trouve contraint de faire comme les plus grands hommes ont fait, qui faisant imprimer leurs écrits, ce qui les rend communs à tous, se sont toujours servis des termes, je vous les offre, je vous les donne, je vous les dédie, je vous les consacre, comme si ne les eussent donnés qu’à une seule personne, et pourtant vous voyez que c’est en faire un présent à toute la nature, c’est pourquoi j’aurais bien voulu trouver quelque autre moyen, afin que cette Comédie pût être à vous seule : outre que j’aurais eu bien lieu de la joie qu’il n’y eut eu que vous à vous railler de moi et de mes ouvrages, sans être encor exposé à la censure de tout le monde, mais ce qui me console en ceci est, que je me suis raillé de moi-même le premier, ainsi cela ne me surprendra point ; peut-être me direz-vous que ce que je dis est ridicule, j’en demeurerai d’accord, et comme ma pièce se nomme les Galants Ridicules, je prétends que tout s’ensuive, et que l’Épître ne déroge point à l’ouvrage ; au reste si les Comédies sont bonnes quand elles font rire, je puis dire que celle-ci n’est pas mauvaise : mais comme quelquefois ces sortes de choses excitent à rire à force d’être méchantes, je ne sais ce que j’en dois croire, quoi qu’il en soit, je vous la donne comme si elle était meilleure, vous assurant que si j’eusse pu faire un chef-d’œuvre il vous eût été présenté avec autant de zèle et d’affection que cette petite pièce vous est offerte par

Votre très humble, et très obéissant serviteur,

 

CHEVALIER.

 

 

Scène première

 

BÉATRIX, LÉANDRE

 

LÉANDRE.

D’emportement, de barbarie,

Le père de ce digne objet

M’a su quereller sans sujet,

Quand j’espérais par mon hommage

Cette merveille en mariage,

Bien loin d’avoir cette beauté

Tu vois comme il m’a rebuté.

BÉATRIX.

Léandre j’ai vu cette chose

Mais enfin qu’elle ne vous cause,

Aucun sujet d’être alarmé

Étant parfaitement aimé,

Car vous savez que ma maîtresse

A pour vous beaucoup de tendresse,

Donc au lieu de vous affliger

Songez à ne rien négliger,

Pour trouver les moyens de plaire

À cet esprit bourru de père,

Et dedans ce moment fatal

Faites le bien contre le mal,

Lorsqu’il vous montre son caprice

Tachez à lui rendre service,

Épiez en l’occasion

Parfois une belle action,

Donne aux choses une autre face.

LÉANDRE.

Ah ! Béatrix je te rends grâce,

Oui depuis que tu m’as parlé

Je me trouve un peu consolé,

Je vais donc faire mon possible

Pour servir ce père insensible,

Cherchant s’il se peut le moyen

De faire de mon mal un bien,

Toi Béatrix, près de ma belle

Jusqu’à la fin sois-moi fidèle,

Moi je ferai de mon côté.

BÉATRIX.

Ne soyez plus inquiété,

Et mettez en repos votre âme

Vous l’aurez aujourd’hui pour femme,

Mais quelqu’un s’en vient en ce lieu

Faites ce que j’ai dit.

LÉANDRE.

Adieu.

 

 

Scène II

 

GUILLOT, RAGOTIN

 

GUILLOT.

Ragotin l’amour me tourmente

Je brûle d’une flamme ardente,

Depuis que certain œil vainqueur

A mis le feu dedans mon cœur,

En un mot c’est l’œil d’Angélique

Qui me perturbe et qui me pique,

Oui ce petit fripon d’objet

A pris mon âme au trébuchet.

RAGOTIN.

Il est vrai qu’Angélique est belle

Mais vous n’êtes pas moins beau qu’elle.

GUILLOT.

Et bien Ragotin que dis-tu

De l’habit dont je suis vêtu,

La petite oie est-elle belle

Pour empaumer la Damoiselle,

Et crois-tu qu’avec tant d’appas

La drôlesse n’en tienne pas,

Le Comte de la Guillotière

Lui va donner dans la visière,

Et d’abord qu’elle me verra

Dieu sait si l’amour la prendra,

De même qu’il m’a bien su prendre.

Mais peut-on résister au tendre,

Ce diable de tendre est fâcheux

Et qui s’en pare est bien heureux.

RAGOTIN.

Pour moi je crois que qui s’en pare

Possède un secret grand et rare,

Et si le pauvre Ragotin

S’en parait, il serait bien fin.

GUILLOT.

Quoi le même mal te tourmente ?

RAGOTIN.

Monsieur j’en tiens pour la Suivante,

Et cette traîtresse aux yeux doux

A mis aussi le feu chez nous.

GUILLOT.

Nous voilà donc bien à notre aise

Moi tout de feu, toi tout de braise

Nous ne chercherons point l’Enfer

À dessein de nous y chauffer,

Je crois que nos ardeurs extrêmes

Consommeraient les diables mêmes,

Et qu’en nous voyant ces démons

Se transformeraient en charbons,

Mais qu’ils brûlent, qu’ils se rôtissent,

Qu’ils consomment, qu’ils s’engloutissent,

Qu’ils gèlent, qu’ils soient tout glaçons

Tout cela j’en dis, des chansons,

Pourvu que ma chère Maîtresse

Montre pour moi quelque tendresse,

Et que la belle à mon abord

Puisse être avecque moi d’accord,

Car j’aurais l’âme mal contente

Si ma femme était discordante,

Ainsi pour nous bien accorder

Il faut que tu l’aille aborder,

Vois donc ce qu’il faut que tu fasses

Pour me mettre en ses bonnes grâces

Va-t’en lui dire de ma part

Que c’est et sans feinte et sans fart,

Que le brave et l’illustre Comte,

En tient pour elle pour son compte,

Que quand nous nous assemblerons

Qu’ensemble enfin nous compterons,

Et que pour la faire Comtesse

Je viens la voir avec vitesse,

Qu’elle sait si fort éclater

Que je ne puis au mieux compter,

Si bien que je veux qu’elle compte

Avec moi sans aucune honte,

Car en ne voulant pas compter

Je pourrais bien me mécompter,

Parce qu’en comptant sans son hôte

Bien souvent l’on se trouve en faute,

C’est pourquoi l’on dit d’une voix

Que sans hôte on compte deux fois,

Je veux donc compter avec elle

D’une façon toute nouvelle,

Puisque c’est un compte amoureux

Qu’il nous faudra vider tous deux.

Va la voir pour me satisfaire.

RAGOTIN.

Moi Monsieur j’ai mon compte à faire,

Depuis que je suis avec vous

Je n’ai pu recevoir deux sous.

GUILLOT.

Tu te plains la Ragotinière.

RAGOTIN.

Oui Monsieur de la Guillotière.

GUILLOT.

Je compterai je te promets.

RAGOTIN.

Oui, mais vous ne payez jamais,

Vous comptez avec grand délice

Mais payer n’est pas votre vice.

GUILLOT.

Ragotin tu me fais affront.

RAGOTIN.

On fait payer à qui répond

Ne répondez pas davantage.

GUILLOT.

Va-t’en donc faire le message

Dont naguère je t’ai prié.

RAGOTIN.

J’irai quand vous m’aurez payé.

GUILLOT.

Ragotin, vois que je m’enflamme

Veux-tu laisser griller mon âme,

Parmi mille brûlants transports

Qui me vont fricasser le corps.

RAGOTIN.

Votre amour n’est pas plus ardente

Que la mienne est pour la Suivante,

C’est pourquoi rôtissons, grillons,

Consommons, brûlons, pétillons,

Que tout le feu de la nature

Tombe dessus notre fressure,

Quand nous deviendrions plus secs

Que les harengs les plus saurets,

Qu’amour nous réduirait en poudre

Vous ne me pourriez pas résoudre,

À ne rien faire qu’ayant mon fait.

GUILLOT.

Ah, quel obstiné de valet,

Il nous laisserait tous deux cuire

Tous deux sécher et tous deux frire,

Si je ne le rendais content

Il faut lui donner de l’argent,

Tiens, Ragotin, voilà tes gages.

RAGOTIN.

Maintenant pour tous vos messages,

Vous n’avez qu’à me commander.

GUILLOT.

Va donc promptement aborder,

La voleuse de ma franchise

Car la brigande me la prise,

Enfin tu lui feras savoir

Que je suis tout gros de la voir,

Tiens donc toute prête ta langue

À lui faire cette harangue,

Heurte à sa porte la voilà.

RAGOTIN.

Holà, belle Angélique, holà,

 

 

Scène III

 

BÉATRIX, RAGOTIN

 

BÉATRIX.

Que vous plaît-il de ma maîtresse.

RAGOTIN.

Je voudrais lui parler traîtresse.

BÉATRIX.

Pourquoi m’appeler de ce nom.

RAGOTIN.

Excuse-moi petit tendron,

Malade de ma maladie

On peut bien dire une folie,

Et de la dire j’ai bien lieu

Puisqu’un petit Diable de Dieu,

Cet amour ou plutôt ce traître

M’a fait en te voyant paraître,

Appeler de cette façon

Comme il use de trahison,

Qu’il a filouté le cœur nôtre

Je vous avais pris l’un pour l’autre,

Tu ressemble à ce friponneau

Tout ainsi que deux gouttes d’eau,

Mais loin de t’appeler traîtresse

Je te veux nommer ma déesse,

Belle déesse, mon souci,

Fais venir ta Maîtresse ici.

BÉATRIX.

Mais pourquoi, que veux-tu lui dire ?

RAGOTIN.

Pour lui déclarer le Martyre,

De Monsieur le Comte Guillot

Dont je suis le valet Ragot.

BÉATRIX.

Le Comte de la Guillotière.

RAGOTIN.

Oui.

BÉATRIX.

J’y vais, la Ragotinière,

Madame, on vous demande en bas.

 

 

Scène IV

 

ANGÉLIQUE, BÉATRIX, RAGOTIN

 

RAGOTIN.

Malepeste qu’elle a d’appas,

Ma foi la Maîtresse me tente

Tout autant comme la Suivante,

Et quand je les vois toutes deux

Je ne sais où porter mes yeux,

Contentons-nous de la Soubrette

La Maîtresse est sans doute faite,

Pour mon Maître, il la doit avoir

Çà faisons donc notre devoir,

Madame, si mon éloquence,

Se déploie en votre présence,

C’est que mon Maître est de vos yeux

Comme de vous fort amoureux,

Mais c’est un amour sans semblable

Il vous aime comme le diable,

Il dit qu’il vous possèdera

Ou que Belzébuth vous aura,

Et qu’enfin s’il ne vous possède

Qu’il s’en va pour dernier remède,

Se précipiter loin de vous

Entre deux draps de lin bien doux.

ANGÉLIQUE.

Pourquoi dire cette sottise.

 

 

Scène V

 

ANGÉLIQUE, BÉATRIX, GUILLOT, RAGOTIN

 

GUILLOT, sort du coin du théâtre où il était caché.

Ma belle, excusez la franchise,

Ragotin venait en ce jour

Pour vous découvrir mon amour,

Mais sa maladroite personne

Ne sait pas comme l’on raisonne,

Car alors qu’il faut raisonner

Il faut bien ratiociner

Et quand bien l’on ratiocine

La raison en est bien plus fine,

Ainsi raisonnant comme il faut

On a le raisonnement haut ;

Or donc la raison raisonnante

D’elle-même est fort éloquente,

Et comme enfin cette raison

N’a rien en elle que de bon,

Concluons qu’étant admirable

La raison est bien raisonnable.

RAGOTIN, chantant.

Et concluons par nos raisons

Qu’il faut quitter l’eau de la Seine

Pour les bateaux et les poissons.

GUILLOT.

Ragotin voulez-vous vous taire ?

RAGOTIN.

Que chacun fasse son affaire.

GUILLOT.

Rare objet qui me perturbez.

RAGOTIN.

Œil coquereau qui m’embourbez.

GUILLOT.

Je te défends de plus rien dire.

RAGOTIN.

Je veux déclarer mon martyre.

GUILLOT.

Finirez-vous bientôt Ragot ?

RAGOTIN.

Monsieur, parlez à votre écot,

Je parle ici des amours nôtres

Vous pouvez là parler des vôtres,

Vous en avez permission

Poussez donc votre passion,

Moi je m’en vais pousser la mienne

Ah, s’il faut qu’un jour je te tienne...

GUILLOT.

À la fin je me fâcherai

Ragot je vous étrillerai.

BÉATRIX.

Tais-toi, laisse parler ton Maître.

GUILLOT, à Angélique.

Pardonnez si j’ose paraître,

À vos yeux les plus grands fripons

Et d’amour les plus grands tisons,

Qui soient dans le reste du monde

Ils m’ont, ou je veux qu’on me tonde,

Emmouraché d’une façon

Que j’en ai l’âme au court-bouillon,

Le pauvre foie à la compote

La fressure à la matelote,

Et le cœur en un tel ragoût

Qu’il peut contenter votre goût,

Vous êtes, je me donne au diable

Une personne incomparable,

Et la nature sur ma foi

Vous a faite digne de moi.

Ah, trop aimable pécheresse

Si vous devenez ma Maîtresse,

Qu’en satisfaisant mon désir,

Vous m’allez donner de plaisir,

Car vous avez une prestance

Qui porte à la concupiscence,

D’abord que je vois vos appas

Vous me mettez dans des états,

Mais des états si pitoyables

Qu’en voyant vos yeux adorables,

J’en serais quitte à bon marché

Si j’en sortais pour un péché.

Vos yeux m’ayant mis de la sorte

Ont causé qu’ici je m’apporte,

Pour voir si vous trouverez bon

Que nous fassions conjonction,

En mariant nos deux personnes

Répondez la bonne des bonnes.

ANGÉLIQUE, bas le premier vers.

Ô le ridicule Amoureux

Monsieur, j’approuve fort vos vœux,

Mais comme je dépends d’un père

Il le faut voir pour cette affaire,

Je pense qu’il s’en vient ici

Dieu me garde d’un tel mari.

 

 

Scène VI

 

GUILLOT, RAGOTIN, ANGÉLIQUE, BÉATRIX, LE DOCTEUR

 

LE DOCTEUR.

Allons chez nous bonne hypocrite

Vous aussi bonne chattemite,

Qui ne faites, que mugueter

Que jaser et que coqueter,

Caquet bon bec poule à ma tante

Et la maîtresse et la suivante.

 

 

Scène VII

 

GUILLOT, RAGOTIN, LE DOCTEUR

 

LE DOCTEUR.

Et bien que vous plaît-il Monsieur.

GUILLOT.

Je suis venu brave Docteur...

LE DOCTEUR.

Je suis venu, c’est une phrase

Qui met mon âme dans l’extase,

Car vous ne pouviez être ici

À moins que d’y venir aussi.

GUILLOT.

Vous saurez que ce qui m’amène.

LE DOCTEUR.

Sachez avant que je l’apprenne,

Que c’est fort bien dit vous saurez

Vous oirez, vous écoutez,

Parce que pour faire comprendre

Il faut avant se faire entendre.

GUILLOT.

Entendez-moi donc s’il vous plaît.

LE DOCTEUR.

Tout incontinent j’y suis prêt,

Mais souffrez que je vous avoue

Que vous méritez qu’on vous loue,

Quand vous demandez humblement

Audience pour un moment,

S’il vous plaît est un si beau terme

Que je vous entends de pied ferme,

GUILLOT.

Monsieur je vais donc commencer.

LE DOCTEUR.

Avant que plus outre passer,

Vous permettrez que je vous die

Que ce mot a grande énergie,

Ne dit-on pas communément

Telle fin tel commencement,

Un commencement admirable

Est suivi d’une fin semblable,

Donc on ne doit commencer rien

Qu’à dessein de le finir bien,

Et de plus jamais éloquence...

GUILLOT.

Permettez-vous que je commence ?

LE DOCTEUR.

Oui Monsieur je vous le permets.

GUILLOT.

Ne commencerai-je jamais ?

LE DOCTEUR.

Commencez donc votre harangue.

GUILLOT.

Que le Diable emporte ta langue.

LE DOCTEUR.

Commencerez-vous votre point.

GUILLOT.

Et toi ne finiras-tu point,

Comment veux-tu que je commence,

Si tu troubles mon éloquence.

LE DOCTEUR.

Je prête silence, parlez.

GUILLOT.

Sachez que mes sens sont brûlés

Apprenez...

LE DOCTEUR.

Comment que j’apprenne,

Esprit grossier âme malsaine,

Apprenez, ne sais-tu pas bien

Qu’un Docteur n’ignore de rien,

Que toutes les plus rares choses

Dedans moi sont toutes encloses,

Que je passe chez les savants

Pour un miracle de mon temps,

Qu’il n’est point d’esprit qui ne cède

Aux sciences que je possède,

Dont sachant tout de bout en bout

Qui dit Docteur veut dire tout,

Et tu me viens dire d’apprendre.

GUILLOT.

Ah, que ne te puis-je voir pendre,

Je veux vous dire que l’amour

Est cause...

LE DOCTEUR.

Que tu vois le jour,

Que par lui seul tu tiens ton être

Que sans lui tu ne pouvais naître,

Que c’est lui qui nous fait aimer

Qu’il sait l’art de nous enflammer,

Et qu’encor qu’il ne voie goutte

Il nous sait conduire à la route,

Qu’il faut suivre pour les plaisirs

Animant nos plus chers désirs,

Il fait palpiter notre foie

Il mène au séjour de la joie,

Enfin par ce divin enfant

On se voit souvent triomphant,

De l’aimable objet qui nous charme

Et pourtant lui seul nous désarme,

Et quand on se voit triomphant

On ne le doit qu’à cet enfant,

Oui cet aveugle qui nous guide

Donne de l’esprit au stupide,

Il fait que le plus ignorant

Près d’une maîtresse est savant,

Et qui rend toutes nos paroles

Pleines d’illustres hyperboles.

GUILLOT.

Ah, c’est trop hyperboliser

Je m’en vais à mon tour jaser

Sachez que la belle Angélique.

LE DOCTEUR.

Si c’est la beauté qui vous pique.

GUILLOT.

Comment donc je ne dirai rien

L’amour...

LE DOCTEUR.

Ainsi qu’il fait du bien,

Il fait du mal et de la peine

Et met notre cœur à la gêne,

Il porte nos intentions

Souvent aux basses actions,

Il nous présente des abîmes

Qui nous font tomber dans les crimes,

Et bien souvent nous y tombons

Alors que moins nous y pensons.

GUILLOT.

Parleras-tu toute ta vie ?

LE DOCTEUR.

Non ma phrase est bientôt finie,

Je ne vous dirai plus qu’un mot

Sachez brave Comte Guillot...

GUILLOT.

Sachez docteur qui n’en sait guère

Que ta langue est une haranguère,

LE DOCTEUR.

Sachez...

GUILLOT.

Je ne veux rien savoir.

LE DOCTEUR.

Voyez donc...

GUILLOT.

Je ne veux rien voir.

LE DOCTEUR.

Comprenez...

GUILLOT.

Ni même comprendre.

LE DOCTEUR.

Apprenez...

GUILLOT.

Que peux-tu m’apprendre.

LE DOCTEUR.

En toutes choses d’exceller.

GUILLOT.

Bourreau, je ne veux que parler.

LE DOCTEUR.

Parlez, je suis tout prêt d’entendre.

GUILLOT.

J’attends...

LE DOCTEUR.

Vous pouvez tout attendre.

GUILLOT.

J’espère...

LE DOCTEUR.

Espérez tout de moi.

GUILLOT.

Croyez...

LE DOCTEUR.

Fort aisément je crois.

GUILLOT.

Pensez...

LE DOCTEUR.

Je sais ce que je pense.

GUILLOT.

Donnez...

LE DOCTEUR.

Je vous donne audience,

Ainsi que vous l’avez voulu.

GUILLOT.

Dis-moi traître as-tu résolu,

De m’étourdir en cette place.

LE DOCTEUR.

Enfin mon silence se lasse,

Vous parlez trop Monsieur Guillot.

GUILLOT.

Je veux...

LE DOCTEUR.

Vous ne direz plus mot,

Il faut qu’à mon tour je m’explique.

GUILLOT.

J’aime votre fille Angélique.

LE DOCTEUR.

Quoi c’est l’objet de vos souhaits

Touchez, vous ne l’aurez jamais.

 

 

Scène VIII

 

GUILLOT, RAGOTIN

 

GUILLOT.

Nous voilà bien dans nos affaires.

RAGOTIN.

Nos maux sont extraordinaires

Jamais je ne vis tel parleur.

GUILLOT.

Ah ! Quel enragé de Docteur,

Et quel grand cracheur d’épigramme

Il m’a pensé vomir son âme,

Au nez dans son chien d’entretien

Pour un Docteur qui ne sait rien,

Il fait valoir une sottise

Comme un Docteur qui doctorise,

Mais pourtant en doctorisant

Il m’a rendu fort mal content,

Le diable emporte sa doctrine

Lui-même et sa maudite mine,

De m’avoir ainsi refusé

L’objet dont je suis embrasé,

Et celle où tout mon soin s’applique.

 

 

Scène IX

 

LE BARON DE LA TOPINIÈRE, TARASQUIN, GUILLOT, RAGOTIN

 

LA TOPINIÈRE.

Oui j’aime l’illustre Angélique,

Et quiconque s’en approchera

Il est certain qu’il périra,

Je m’en vais lui couper la trame

Et puis je lui mangerai l’âme.

GUILLOT, se cachant.

Où me suis-je venu fourrer.

RAGOTIN.

Monsieur, on nous va dévorer,

Nous sommes à la boucherie.

LA TOPINIÈRE.

Si quelqu’un dedans ma furie,

Ose se présenter à moi

Sans doute il en mourra d’effroi,

Me voilà dedans une rage

Qui va faire de tout carnage,

Où sont-ils tous ces amoureux

Qui cherchent l’objet de mes vœux,

Afin que sur eux mon épée

Attrape sa franche lippée.

TARASQUIN.

Mais qui s’oserait présenter

À vous qui savez tout dompter.

LA TOPINIÈRE.

Le Comte de la Guillotière

Éprouvera mon humeur fière.

TARASQUIN.

Pour Monsieur son valet Ragot

Je lui veux couper le gigot,

Et le mettre sur la litière.

RAGOTIN.

Adieu pauvre Ragotinière,

Quel horrible coupe-jarret.

GUILLOT.

Ragot, tel Maître tel valet.

LA TOPINIÈRE.

Qui va là ?

RAGOTIN.

Monsieur, je trépasse.

LA TOPINIÈRE.

Allons vite faisons main basse,

Tuons tout, massacrons, brisons,

Rompons, cassons, exterminons,

Égorgeons, mettons tout par terre,

Livrons à tous amants la guerre,

Je veux d’un regard plein d’horreur

Les immoler à ma fureur,

Que la moindre de mes conquêtes

Soit d’abattre cent mille têtes,

De couper et jambes, et bras

Ce sont là mes petits combats,

Mon courage étant sans mesure

Je défais toute la nature,

Quand ma valeur lance ses traits

Et quand je veux je la refais,

Mais quelque vaillant qu’on puisse être

L’amour est toujours notre Maître,

Puisqu’on se rend ou tôt ou tard

À ce petit chien de bâtard,

Vois donc celle qui tient mon âme

Dis-lui que son aspect m’enflamme,

Et que je ne puis vivre heureux

Qu’alors que je vois ses beaux yeux,

Son port, son air, sa bonne mine,

Cette douceur qui m’assassine,

Enfin tous ses charmes divers

Qui font que je suis dans ses fers,

Va voir si la belle est visible

Mon cœur est percé comme un crible,

De la pointe de ses attraits.

TARASQUIN, l’appelant.

Holà, miracle, des objets.

ANGÉLIQUE.

Que veut-on ?

TARASQUIN.

Beauté printanière

Le Baron de la Topinière,

Désire vous voir un moment.

 

 

Scène X

 

ANGÉLIQUE, LA TOPINIÈRE

 

ANGÉLIQUE.

Je vais à lui présentement.

LA TOPINIÈRE.

Approchez doux charme des charmes

Comme on vous doit rendre les armes,

Le phénix de tous les guerriers

Vient mettre à vos pieds ses lauriers,

Mon bras plus craint que le tonnerre

M’a su gagner toute la terre,

J’ai tout soumis à mon courroux

Il ne reste donc plus que vous.

Mais votre beauté sans seconde

Est plus forte que tout le monde,

Pourtant telle que vous soyez

Il faudra que vous succombiez

Car me voyant, la plus cruelle

Peut dire qu’elle en a dans l’aile,

Jugez donc si vous en tiendrez

Dès que vous me regarderez.

ANGÉLIQUE.

Je me donnerai bien de garde

De vous, quoique je vous regarde,

Eussiez-vous cent fois plus d’appas

Baron vous ne me tenez pas.

 

 

Scène XI

 

GUILLOT, RAGOTIN, LA TOPINIÈRE, TARASQUIN

 

GUILLOT.

Je crains qu’il ne quitte pas prise.

LA TOPINIÈRE.

Je crains ici quelque surprise.

TARASQUIN.

Je crains quelques coups de bâton.

GUILLOT.

Évitons la contusion.

S’il se peut en faisant le brave.

RAGOTIN.

Songez que je suis votre esclave,

Et que si vous faites le sot

Adieu, vous et votre Ragot,

Ce Baron de la Topinière

Est un rude traîne-rapière,

Nous aurons ici du qu’as-tu.

GUILLOT.

Tu ne seras jamais battu,

En la présence de ton Maître.

RAGOTIN.

Vous fuirez des premiers peut-être.

GUILLOT.

Tu m’as bien la mine je crois

De fuir aussi tôt comme moi.

TARASQUIN.

Ah, Monsieur le Baron je tremble.

Et crois que nous tremblons ensemble.

LA TOPINIÈRE.

Je ne tremble pas mais j’ai peur

Ah, que n’ai-je un peu plus de cœur.

GUILLOT.

Que n’ai-je un peu plus de courage

L’on me verrait faire carnage.

TARASQUIN.

Pour éviter ces carnassiers ?

Je m’en vais fuir tout des premiers.

LA TOPINIÈRE.

Ne crois pas qu’ici je demeure

Je vais fuir aussi tout à l’heure.

 

 

Scène XII

 

GUILLOT, RAGOTIN

 

RAGOTIN.

De peur par moi d’être assailli,

Comme ils ont happé le taillis.

GUILLOT.

Quand on voit ma mine cruelle...

RAGOTIN.

Ils ont enfilé la venelle,

Mais s’ils revenaient sur leurs pas.

GUILLOT.

Je crois qu’ils ne reviendront pas,

Que ferons-nous ?

RAGOTIN.

Je viens d’apprendre

Que Monsieur le Docteur est tendre,

Sur l’article de bien chanter

Il faut donc l’expérimenter,

Chantant tous deux comme des anges

Faisant d’admirables mélanges,

De nos voix, pour toucher le cœur

De ce vieux barbon de Docteur,

Peut-être que notre musique

Vous pourra gagner Angélique,

Cherchons donc un air, promptement

Et chantons méthodiquement.

GUILLOT.

Mais quel air dirons-nous, regarde.

RAGOTIN.

Monsieur nous dirons la guimbarde.

GUILLOT.

Que veux-tu dire esprit bourru.

RAGOTIN.

Nous dirons donc l’enturlu.

GUILLOT.

N’en sais-tu pas une délite.

RAGOTIN dit l’air de toutes les chansons qu’il nomme.

N’avez-vous point vu Marguerite.

GUILLOT.

Tu ne sais point d’autre chanson ?

RAGOTIN.

Disons, hélas Jean hélas don.

GUILLOT.

Va ta forte fièvre quartaine.

RAGOTIN.

Ou bien turlututu rengaine.

GUILLOT.

Ragot, vous me déplaisez fort.

RAGOTIN.

Léandre était dessus le bord.

GUILLOT.

Sont cela des chansons nouvelles ?

RAGOTIN.

Les plus vieilles sont les plus belles,

Mais vous ne trouvez rien de bon

Voulez-vous un quand dira-t-on.

GUILLOT.

J’en veux une toute nouvelle.

RAGOTIN.

Qui est celui ? là qui m’appelle.

GUILLOT.

Il faut qu’il ait l’esprit perdu.

RAGOTIN.

Ah, j’en sais une d’un pendu,

Qui va bien être votre affaire.

GUILLOT.

Ragot, si tu ne te veux taire,

Je te donnerai mille coups.

RAGOTIN.

Petite brunette aux yeux doux.

GUILLOT.

Tu ne te tairas pas, j’enrage.

RAGOTIN.

Je n’en dirai pas davantage.

GUILLOT.

Laisse-moi parler un moment.

RAGOTIN.

Autant en emporte le vent.

GUILLOT.

Chanter encor âme indiscrète.

RAGOTIN.

L’autre jour dame Guillemette.

GUILLOT.

Le traître est aussi grand chanteur

Que le Docteur est grand parleur,

Va que la tempête t’entraîne

Docteur de la Samaritaine,

Sans toi j’aurai bien la vertu

D’en faire une belle impromptu.

RAGOTIN.

Nous la chanterons donc ensemble.

GUILLOT.

Tu ne dis pas si bon me semble.

RAGOTIN.

Il vous semblera bon ou non

Je veux être de la chanson.

GUILLOT.

Attends, je crois que j’en tiens une.

RAGOTIN.

Elle ne sera pas commune.

GUILLOT.

Tu n’as qu’à me suivre Ragot.

RAGOTIN.

Commencez donc le premier mot.         

Guillot commence la moitié du couplet seul, et Ragotin et lui le chantent ensemble.

GUILLOT.

Chanson.

Chère friponne d’Angélique

Mouche coquine qui me pique,

Vous avez escroqué mon cœur

Écornifleuse de mon âme

Objet aimable suborneur,

Il faut que Guillot vous entame.

RAGOTIN.

Nous venons de chanter la vôtre

Chantons donc s’il vous plaît la nôtre.

GUILLOT.

Allons, Ragotin, je le veux.

RAGOTIN.

Ah, je la tiens par les cheveux,

Je commence si bon vous semble

Et puis nous chanterons ensemble.

RAGOTIN en dit la moitié seul, puis ils la disent ensemble.

Vous avez ma Béatrix

Plus de puces qu’un chat gris,

Et si vous ne m’aimiez bien

Par ma foi je vous souhaite,

Bientôt la gale du chien.

 

 

Scène XIII

 

GUILLOT, RAGOTIN, LA TOPINIÈRE, TARASQUIN

 

LA TOPINIÈRE.

Il faut qu’ils meurent tout de bon.

RAGOTIN.

Voici bien une autre chanson,

Monsieur souffrez que je recule

Je vous laisse faire l’Hercule.

GUILLOT.

Ragotin ne me quitte pas.

RAGOTIN.

Monsieur je crains trop le trépas,

Permettez-moi que je m’en aille.

GUILLOT.

Je crains aussi cette canaille.

LA TOPINIÈRE.

Commençons par le Sieur Guillot

Et nous finirons par Ragot.

GUILLOT.

Ragotin, mettons-nous en garde.

RAGOTIN.

Moi ? Monsieur, hélas je n’ai garde.

LA TOPINIÈRE.

Nous allons avancer nos jours.

TARASQUIN.

Je vais appeler au secours.

RAGOTIN.

Monsieur, je vais crier à l’aide

Au meurtre, un Diable nous possède.

LA TOPINIÈRE.

Quelqu’un, à la force, au voleur.

 

 

Scène XIV

 

LE DOCTEUR, GUILLOT, RAGOTIN, LA TOPINIÈRE, TARASQUIN

 

LE DOCTEUR.

Qui peut causer cette rumeur ?

GUILLOT.

Ce drôle qui veut votre fille

Mais il faut qu’ici je l’étrille.

LA TOPINIÈRE, par-dessus le Docteur.

Ce n’est rien qu’un coquin, Monsieur.

GUILLOT, par-dessus le Docteur.

C’est un archi-faquin, Docteur.

LE DOCTEUR.

La démonstration m’outrage

N’en faites donc pas davantage.

LA TOPINIÈRE, par-dessus le Docteur.

Laissez-moi lui couper les bras.

GUILLOT, tout de même.

Je vais mettre sa tête à bas.

LE DOCTEUR, appelant à lui.

On me moleste on m’outrecuide

Mes gens à moi, l’on m’homicide.

RAGOTIN.

Hélas où nous fourrerons-nous ?

TARASQUIN.

Nous allons avoir mille coups.

 

 

Scène XV

 

LÉANDRE, LE DOCTEUR, GUILLOT, RAGOTIN, LA TOPINIÈRE, TARASQUIN

 

LÉANDRE.

Qui fait ce bruit quel tintamarre

Ah, vous aurez cent coups de barre,

Je vous fracasserai les bras.          

Il parle aux Amants Ridicules et les frappe.                 

LES GALANTS RIDICULES s’enfuyant disent.

Que nous ne vous attendons pas.

LE DOCTEUR.

Comme ils gagnent tous la guérite

Celui qui les daube est d’élite.

LÉANDRE.

Comment, être perturbateurs

De ce grand Docteur des Docteurs.

LE DOCTEUR.

Mais qui venge là mon offense ?

LÉANDRE.

Quoi s’adresser à la science,

Ô dieux, quelle témérité.

LE DOCTEUR.

Vous que j’ai tantôt rebuté,

M’avoir fait une telle grâce

Que faut-il pour vous que je fasse ?

LÉANDRE.

M’accorder l’objet de mes vœux

Si vous voulez me rendre heureux.

LE DOCTEUR.

Oui je vous l’accorde Léandre.

LÉANDRE.

Tout vient à point qui peut attendre,

Monsieur...

LE DOCTEUR.

Ma fille approchez-vous

Léandre sera votre époux.

 

 

Scène XVI

 

ANGÉLIQUE, LÉANDRE, LE DOCTEUR, GUILLOT, RAGOTIN, LA TOPINIÈRE, TARASQUIN

 

ANGÉLIQUE.

Ô Ciel, que je suis fortunée.

LE DOCTEUR.

Allons conclure l’hyménée.

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