Une conspiration en 1537 (George SAND)

1831.

 

Personnages

 

ALEXANDRE DE MÉDICIS, grand-duc de Florence

VALORI, commissaire apostolique

MALATESTA BAGLIONE, commandant des forces militaires

LE CAVALIERE (sic) DE MARSILI, officier de la maison du Grand-Duc

LE CAPITAINE CESENA, officier de la maison du Grand-Duc

GIOMO LE HONGROIS, écuyer du Grand-Duc

FERNANDO L’ANDALOU, écuyer du Grand-Duc

LORENZODE MÉDICIS, cousin du Grand-Duc

MADONNA MARIA SODERINI, mère de Lorenzo

MADONNA CATTERINA, sœur de Lorenzo

BINDO ALTOVITI, oncle de Lorenzo

MICHEL DEL FAVOLACCINO, dit Scoronconcolo, spadassin

GIULIO CAPPONI, citoyen de Florence

ÉCUYERS DU GRAND-DUC

PAGES DU GRAND-DUC

Etc.

 

 

Scène première

 

MALATESTA, VALORI, MARSILI, PLUSIEURS GENTILHOMMES attachés au Grand-Duc, PLUSIEURS RICHES BOURGEOIS de la ville, QUELQUES SEIGNEURS étrangers

 

Le Palais du Grand-Duc à Florence. 6 janvier 1537 Dix heures du matin.

MARSILI.

Je le dis en conscience à Vos Seigneuries l’émeute de ce matin ! avait un caractère sérieux.

VALORI.

Encore les jeunes gens ? Quelques élèves de l’école de peinture, artistes sans talent et sans barbe, qui croient que l’exaltation tient lieu de génie, quelques jeunes légistes, venus de Bologne, pour montrer dans nos rues leurs moustaches hérissées et leurs fraises tachées d’encre ? Un coup de vent ferait justice de ces conspirateurs à tête vide et à mine affamée.

MARSILI, baissant la voix.

Le peuple est bien mécontent.

MALATESTA.

C’est sa nature. Qu’importe d’ailleurs, si nous avons une garnison impériale bien payée à nos portes, et dans nos murs des troupes dévouées au gouvernement ? Il est assez prouvé qu’avec les Florentins, le sceptre de fer vaut mieux que le sceptre d’or.

MARSILI.

C’est parfaitement juste. Mais ce nouvel édit de proscription a indisposé bien des familles prêtes à adhérer au gouvernement.

VALORI.

On se passera de leur adhésion. Sa Sainteté chérit le duc Alexandre, comme une mère aime son fils, et le protègera envers et contre tous.

Un gentilhomme parle bas à son voisin, qui lui répond.

Prenez garde que le regard perçant de Valori ne surprenne le sourire sur vos lèvres. Le pape est comme Dieu. Il est partout.

UN PAGE annonçant.

Le Duc.

Le Duc entre, suivi du capitaine Cesena, de Vitelli, de plusieurs écuyers, pages et gens d’armes.

LE DUC.

Eh bien ! Messieurs ! Qu’est-ce donc ? Nous avons encore eu du bruit ce matin ?

MALATESTA.

Quelques amis des derniers proscrits se sont assemblés autour de Santa Reparata et ont tenté d’en appeler au peuple. Mais les Florentins fidèles à Votre Altesse les ont dispersés, injuriés, et, sans l’intervention de la force militaire, ils eussent fait de ces factieux une sévère justice.

LE DUC.

Il fallait donc les laisser faire.

VITELLI.

J’ai pensé que Votre Altesse aimerait mieux ordonner, dans sa sagesse, le châtiment des rebelles.

LE DUC.

Oui ! se débarrasser soi-même de ses ennemis, cela fait plaisir. Qu’ils soient jetés dans les cachots !

VITELLI.

C’est une chose faite, Seigneurie.

LE DUC.

Eh bien ! qu’ils soient pendus ! Je gage que ce qui les fâchera le plus sera de ne pouvoir plus dire du mal de moi.

MARSILI, fait un pas en avant et d’une voix mal assurée.

Altesse, j’ai un neveu.

MALATESTA, le retenant par son manteau.

Vous vous perdez.

MARSILI.

Je me tais.

LE DUC, à Valori. Pendant la conversation du Duc avec Valori les autres personnes se tiennent dans l’éloignement.

Votre Excellence a-t-elle reçu ce matin des nouvelles de la Cour de Rome ?

VALORI.

Clément VII envoie mille bénédictions à Votre Altesse. Sa Sainteté fait des vœux pour sa longue prospérité. Mais elle craint avec raison qu’Elle ne se lance au milieu de nouveaux dangers par trop d’indulgence et d’aveuglement.

LE DUC.

L’on vous voit venir, Monsieur le Commissaire apostolique. Encore quelques mauvaises branches à élaguer[1] ? Dites, dites. Il est plus facile d’abattre que d’élever.

VALORI.

La perfidie veille quand la vengeance s’endort.

LE DUC.

Ce sont vos formules d’usage pour me demander un homme et une corde, l’un portant l’autre. Quel est le gros négociant florentin qui excite l’appétit du Saint-Siège ?

VALORI.

Ce n’est point un négociant, mais un patricien.

LE DUC.

Ah ! cela s’obtient plus difficilement, et se paye plus cher.

VALORI.

C’est Laurent de Médicis que le pape réclame comme transfuge de sa justice[2].

LE DUC.

Bah Lorenzino ? Lorenzaccio[3], comme l’appellent les Florentins ? Mais c’est mon parent et mon favori, l’ignorez-vous ?

VALORI.

C’est le rejeton d’une branche ennemie de la vôtre, et dont le poignard, toujours prêt à ouvrir un chemin à la sédition, a trop souvent rencontré le cœur d’un parent et d’un maître.

LE DUC.

Allons ! vous raillez, quand vous parlez de poignard à Lorenzino. C’est un éventail qui convient à sa blanche main[4] !

VALORI.

Que Votre Altesse me pardonne si j’insiste. La Cour de Rome s’étonne que la seule grâce qu’ait accordée le duc de Florence à un traître, soit tombée sur un ennemi de Clément VII.

LE DUC.

Mais que lui reproche donc si tard le Saint-Père ? Est-ce toujours la mutilation des statues de l’arc de Constantin ? Ces antiquailles sont-elles si précieuses aux Romains qu’ils aient été bien justes de condamner à mort l’écolier qui, dans une nuit d’ivresse et de débauche, eut la plaisante idée de les décapiter ? Par saint Cosme ! J’ai ri de la sainte colère du pape, en songeant que, si tous ces grands hommes ; revenaient à la vie, il ne manquerait pas de les excommunier[5]. Le cardinal Hippolyte de Médicis avait bien fait comprendre à Sa Sainteté, qui est Elle-même un Médicis, que l’ignominie du supplice de Lorenzo retomberait sur les siens, et l’évasion du condamné avait été favorisée par celui-là même qui le réclame aujourd’hui. D’où vient cette inconstance dans la faveur du pape ? Il fut un temps où les caustiques saillies de Lorenzino étaient applaudies au Vatican, comme les sottises d’un enfant gâté. Quand on vit qu’il abusait de cette faiblesse, on le condamna à être pendu, et maintenant qu’on lui a pardonné, on se rétracte ? C’est de l’inconséquence.

VALORI.

On pensait que les mesures sévères prises contre lui le tiendraient en respect, en quelque lieu de l’Italie qu’il se fût réfugié. Mais à peine a-t-il pris racine dans votre Cour qu’il recommence ses licencieuses moqueries contre les choses saintes et les personnes consacrées à Dieu. Le pape a sujet d’être blessé de l’affection que Votre Altesse a conçue pour le contempteur de la religion.

LE DUC.

Le pape est d’autant plus zélé, en cette occurrence, à venger la religion outragée, que son amour-propre blessé y trouve un peu son compte. Mais parlons sérieusement. Excellence, la haine du Saint-Père a lieu d’être assouvie, car il n’est pas de condition plus abjecte que celle de Lorenzo à la Cour de Florence. Cette feinte amitié, que je lui montre, ne trompe peut-être ici que vous et lui. Oh ! des affronts comme ceux que j’ai reçus de lui, autrefois, ne se pardonnent jamais, sachez-le bien ! Mais la véritable vengeance, ce n’est pas le délire d’un instant, c’est la jouissance de toute une vie. Tuer son ennemi, c’est s’en défaire et non s’en venger ; c’est une justice de maître, une mesure de sûreté. Mais le faire souffrir longtemps, le fouler aux pieds, l’avilir, c’est une conquête de vainqueur, c’est un plaisir de prince !

VALORI.

Mais Lorenzo lève devant toute la Cour un front toujours altier. Son langage est toujours acerbe et insolent. S’il est insensible au mépris qu’il inspire, où est son châtiment ?

LE DUC.

Cette philosophie stoïque est affectée. Au fond de son cœur, il souffre, je le sais bien. Peut-il être sourd aux clameurs de la haine publique, à l’indignation de sa famille, qui avait mis en lui de si hautes espérances, et qui le voit rouler si bas ? Ah ! si vous aviez vu comme, dans son enfance, l’adulation des siens avait enflé ce cœur superbe ! comme ses progrès dans les lettres l’avaient rendu fanfaron ! comme il croyait s’élever au-dessus de moi par son pédantisme et son outrecuidance et comme, en toute occasion, son orgueilleuse mère cherchait à dénigrer mon goût pour les armes, disant que son Lorenzo était plus fait que moi pour régner ! Aussi, maintenant, quelle rage dévore ces vaniteux Soderini à la vue de Lorenzo, perdu de débauches, criblé de dettes, n’ayant d’autres secours que le denier que ma pitié lui jette, pliant un genou souple devant moi, son maître, et livrant à ma vengeance ses anciens partisans ! C’est moi qu’ils appelaient un soldat grossier, c’est moi qui l’ai plongé dans le bourbier et qui ai mis mon pied sur sa tête. Mon or l’a corrompu comme tant d’autres. Ma haine l’a fait descendre plus bas qu’aucun d’eux.

Lorenzo paraît au fond de la galerie ; il s’avance lentement et comme plongé dans un affaissement mélancolique.

Voyez-le, abattu, terne, usé ; voyez ses traits amaigris et plombés, son corps débile, que ronge incessamment la fièvre de l’orgie, son regard éteint et stupide[6] ! Est-ce là cet esprit ardent et incisif que le pape ne dédaigne pas de redouter ? Ses parents rougissent de lui, sa mère le pleure, et Florence dit en le voyant passer : « Voilà l’infâme Lorenzaccio, l’espion et le ruffian du maître. »

VALORI.

Prince, la vengeance est juste. Mais ne craignez-vous pas de tomber dans le piège avec votre proie ? Ces débauches où vous précipitez le vil Lorenzo, le public vous accuse d’y prendre un intérêt plus personnel. Pardonnez, mais le Saint-Père.

LE DUC.

En vérité ? C’est au nom du Saint-Père que Votre Excellence prêche la chasteté ?

VALORI.

Moins haut, de grâce, Altesse. Le pape ne doit jamais avoir de faiblesse aux yeux des petits.

LE DUC.

Ces gens-là ont trop connu Jules de Médicis pour ne pas savoir qu’il a hérité d’un des vices radicaux de sa lignée, savoir l’impureté. Mais tranquillisez-vous, Excellence ; si le pape n’en est pas plus respecté, il n’en est pas moins craint. Un souverain ne doit pas en demander davantage. Bonjour à toi, Lorenzino.

LORENZO.

Je baise humblement les mains de Votre Altesse.

LE DUC.

Oh ! Point tant d’humilité ! Soyons cousins, une fois pour toutes. Voici l’envoyé de la Cour de Rome qui nous parlait de la superbe harangue débitée contre toi par Messere Francesco Molza à l’Académie romaine[7].

LORENZO.

J’ai entendu dire que cette harangue, digne des plus beaux jours de Cicéron, avait été déclamée et écoutée avec toute la gravité convenable à l’importance du sujet. Le romain et le toscan n’ont pas eu d’expressions assez fleurissantes pour le mutilateur des statues de l’antique Rome. C’est en latin que l’académicien a foudroyé le vandale et, peut-être, en cette occasion, l’un doit-il à l’autre des remerciements pour l’avoir maudit et diffamé dans celle de toutes les langues que l’on comprend le moins à l’Académie.

VALORI.

C’est sans doute pour remédier à cet inconvénient que deux édits en très bon toscan ont été publiés, l’un par les Caparions, qui enjoignait au mutilateur de sortir au plus tôt de la ville des Césars, l’autre par le Sénat, qui promettait une récompense à quiconque en purgerait l’Italie.

LORENZO.

Mesures d’étalage et de luxe, car l’ennui qu’on respire à Rome et la roideur hypocrite de ses grands suffisent pour éloigner tout homme qui n’y est pas dupe.

LE DUC, bas à Lorenzo.

Bien, Lorenzino, venge-moi de cet importun censeur.

Bas à Valori.

Vous le voyez insolent et bas !

VALORI, à Lorenzo.

Un homme tel que vous doit avoir le bras aussi fort que l’esprit. C’est pourquoi je m’étonne qu’avec un langage si acerbe à la bouche, vous n’ayez point une épée au côté.

LORENZO.

Ce n’est pas ma coutume.

VALORI.

Alors votre coutume devrait être de parler peu, car l’homme qui ne sait pas se défendre ne doit pas attaquer.

LE DUC, bas à Valori.

Ferme ! Poussez-le à bout. Vous verrez sa lâcheté.

LORENZO.

Je ne suis point un soldat, mais un pauvre amant de la science. Je laisse le vain appareil des armes à ceux qui n’ont pas assez d’esprit pour se défendre autrement.

LE DUC, bas à Lorenzo.

Courage, Lorenzino. Humilie ce pédant !

VALORI.

Vous avez trop d’esprit vous-même pour qu’on engage un combat à armes égales. Chacun fait usage des siennes.

Il tire son épée[8].

LE DUC, riant.

Voyons, Lorenzino, si ton esprit fera une cuirasse de ton pourpoint.

LORENZO.

Qu’on me donne une épée !

À part.

Imprudent ! J’ai failli me trahir !

Il prend l’épée avec embarras et affecte d’hésiter.

LE DUC.

Bravo ! C’est ta première affaire d’honneur, Lorenzino. Je veux te servir de témoin.

LORENZO, à part.

C’est une épreuve. Jouons le rôle.

Il se laisse tomber.

VALORI.

Misérable ! Ta couardise ne te sauvera pas !

LE DUC.

Halte-là, Excellence. Voulez-vous tuer un homme déjà mort de peur ?

TOUS LES COURTISANS.

C’est une honte et une infamie.

LE DUC.

Une infamie, non ! C’est un malheur. Le pauvre jouvencet est né avec cette infirmité. La seule vue d’une arme nue l’a toujours fait tomber en faiblesse. Qu’on emporte ce pauvret chez sa mère[9] et qu’on rassure la bonne femme en lui disant que l’acier n’a pas même effleuré le pourpoint de l’enfant.

Se retournant vers les courtisans.

Messieurs, c’est une maladie étrange, et s’il n’avait été battu mainte fois par les valets de maint mari jaloux, l’on pourrait croire.

Le reste de sa phrase se perd dans l’éloignement. Avant de sortir, il élève la voix pour appeler Valori resté en arrière.

Plairait-il à Votre Seigneurie apostolique de voir donner la question à ces factieux ?

VALORI.

De grand cœur.

Ils sortent. Lorenzo reste évanoui au milieu des pages.

ANGIOLINO.

Le porterons-nous à sa mère ?

BIONDINO.

Portons-le plutôt dans l’Arno. La fraîcheur du bain le ranimera.

STEFANO.

S’évanouir à la vue d’une épée ! Ignominie !

ANGIOLINO.

On dit que son esprit n’est pas bien sain.

STEFANO.

Ce sont les suites de la débauche.

ANGIOLINO.

Portons-le chez sa mère. Elle le soignera si elle veut.

BIONDINO.

Si je souille ma main réprouvé, je veux qu’on m’appelle Lorenzaccio.

STEFANO.

Il a fait un mouvement. La couleur lui revient ! Laissons-le se traîner hors d’ici, comme il pourra.

BIONDINO.

Les murailles sont accoutumées à le soutenir.

Ils sortent.

LORENZO, seul. Il est sur ses genoux et regarde autour de lui avec précaution.

Oui, Lorenzaccio, Castrataccio, c’est cela !

Il se relève et secoue la poussière de son vêtement.

De la poussière ? c’est de la boue ? Jetez-en sur moi à pleines mains, c’est bien !

 

 

Scène II

 

MADONNA MARIA SODERINI travaille, CATTERINA tient un livre, LORENZO rêve, assis sur une fenêtre

 

La maison des Médicis Soderini. Deux heures.

Catterina pose son livre et va embrasser sa mère.

MADONNA MARIA.

Tu as les yeux humides, mignonne ?

CATTERINA.

Oh ! c’est l’histoire de Virginia viens de lire en latin dans Titus-Livius.

MADONNA MARIA.

Chère enfant ! Ce n’est pas le sort de Virginia que je plains, mais bien celui de sa mère.

CATTERINA s’assied aux pieds de sa mère d’un air caressant.

J’admire le courage de Virginius. Mais, dis-moi, mère, crois-tu que s’il n’y avait pas eu d’autres bras que celui de cette Romaine pour frapper sa fille, elle eût pu s’y résoudre ?

MARIA quitte son ouvrage et prend les mains de sa fille dans les siennes.

Ma Cattina, si nous nous trouvions dans de si déplorables circonstances, je sens bien que la force me manquerait pour verser ton sang. Mais j’aurais peut-être celle de mettre le poignard dans ta main et de te dire : « Choisis, ma fille, entre la mort et l’infamie ». Oh ! j’en suis sûre, Catterina, ton choix déchirerait mes entrailles ; mais il ne me ferait pas rougir de t’avoir donné la vie.

CATTERINA.

Ma bonne mère ! Tu dis vrai, car je suis la fille des Soderini et notre famille est sans tache. Mais tu as aussi les yeux humides, Madonna. Lorenzino, viens donc embrasser notre mère. Vois, comme elle est triste !

Elle le tire par le bras.

LORENZO.

Ah ! tu m’éveilles, méchante.

CATTERINA.

Toujours ces rêveries, ces extases ! Cherches-tu la pierre philosophale, comme le vieux moine qui m’enseigne le latin ? Pourquoi donc êtes-vous tous si tristes ? Jusqu’à toi, mon Lorenzino, qui me faisais tant jouer et si bien rire, quand j’étais une toute petite fille, et qui maintenant m’adresses à peine un mot ? Cruels que vous êtes ! Vous n’êtes pas heureux ? Vous ne voulez donc pas que je le sois ? Viens auprès de nous, frère. Assieds-toi là, tout à côté de Madonna. Tu vois bien qu’elle s’ennuie, parce que tu ne lui parles pas. – Voulez-vous que je vous lise une histoire des temps anciens ? la mort de Lucretia ? ou recommencerai-je pour vous celle de Virginia ?

LORENZO.

Plutôt Virginia, car Lucretia, j’en doute toujours, et, comme dit le poète, elle a voulu avoir tout ensemble, le plaisir du péché et la gloire du trépas. On peut répondre davantage de Virginia, quoique son père ne l’ait pas consultée, peut-être, avant de la tuer.

MADONNA MARIA.

Vous méprisez les femmes, Lorenzo, nous le savons. Pourquoi affecter de les rabaisser devant votre mère et votre sœur ?

LORENZO.

Madonna, je vous respecte, et Catterina sait si je l’aime. Mais, après vous deux, le reste du monde me fait horreur et pitié[10].

MADONNA MARIA.

C’est le fait d’une âme vaine et irréligieuse.

LORENZO.

Irréligieuse ? soit. Je suis content de ne pas croire en Dieu. Je n’ai pas la peine de le haïr, et c’est un de moins !

CATTERINA.

Oh ! mon frère ! ne blasphème pas !

LORENZO.

Que crains-tu ? Que ton Dieu te punisse de ma faute ? Tu vois bien que tu doutes de lui.

CATTERINA.

Renzo, tu fais de la peine à Madonna.

LORENZO, à sa mère.

Pourquoi pleurer sur moi, signora ? Je n’en vaux pas la peine assurément. Ne suis-je pas maudit, excommunié ? Si vous faisiez votre devoir de bonne chrétienne, vous ne donneriez pas asile à l’ennemi de l’Église. Ne savez-vous point que le pape a vendu à l’encan la tête de votre fils ? Espérez-vous gagner le ciel, vous qui dérobez une victime à la vengeance d’un pontife ?

CATTERINA.

Qu’il y a d’amertume dans toutes tes paroles !

LORENZO.

D’ailleurs, Madonna, je suis déshonoré. Le peuple me montre au doigt. Le rejeton d’une si noble souche a pourri dans sa racine. Comment pourriez-vous encore m’appeler votre fils ? La gloire fut toujours plus chère que la vie aux illustres Soderini, et leurs enfants, moins précieux que leur honneur, servirent souvent d’holocauste sur l’autel du préjugé.

MARIA.

Assez, Lorenzo, assez ! Votre cœur est bien malade !

LORENZO.

Vous avez raison, mère. Si je pouvais l’arracher de ma poitrine, je l’écraserais sous mes pieds. Cattina, lis-moi l’histoire de Brutus.

CATTERINA.

Oh ! c’est une histoire de sang[11] !

LORENZO.

J’aime cette histoire.

On frappe. Catterina ouvre la porte [à] Bindo Altoviti et Giulio Capponi.

CATTERINA.

Mon oncle !

Bindo l’embrasse. Maria vient à sa rencontre.

BINDO, bas.

Je viens tenter un nouvel effort sur lui.

MADONNA MARIA.

Hélas puisse-t-il n’être pas inutile ! Je vous laisse ensemble.

Elle sort avec Catterina.

BINDO.

Renzo, je viens vous prier de démentir la ridicule anecdote qui circule sur votre compte ce matin.

LORENZO, à part.

Bon parent ! Nous y voilà !

Haut.

Et quelle est la chronique ? Fait-elle un peu plus d’honneur à l’esprit de son auteur, que toutes celles dont jusqu’ici j’ai été le héros ?

BINDO.

On assure que vous avez supporte les insultes de ce valet de la Cour de Rome, ce Valori. On dit même que la seule vue de son épée dirigée contre vous.

LORENZO.

Il suffit, mon oncle, l’histoire est assez exacte[12].

BINDO.

Et tu en conviens sans rougir, Lorenzo ?

LORENZO.

Sans rougir le moins du monde. En quoi donc suis-je coupable de ne pouvoir surmonter une répugnance toute physique, indépendante du raisonnement et de la volonté ?

BINDO.

Tout cela est une feinte odieuse, une lâche adulation. Nous t’avons vu ardent aux idées de gloire, impatient jusqu’à la fureur devant l’ombre d’un affront. Nous t’avons vu même manier le fer avec adresse. Dans ce temps-là, le désir de devenir célèbre était la seule passion qui dévorât ton âme inquiète, et sauvage. Notre grand Strozzi nous prédisait que ton nom vivrait parmi ceux des héros de la liberté. Mais ce séjour à Rome t’a perdu, Lorenzo, et, tu es devenu pire qu’une femme. Tu t’es courbé jusque dans la fange devant le tyran...

LORENZO.

Le tyran ! Ce peut être le vôtre. Quant à moi, si je le sers avec soumission, du moins je ne le maudis pas derrière l’abri des murailles. Si j’étais son ennemi, je m’en débarrasserais, sans faire tant de réflexions. Mais pourquoi le haïrais-je ? Il paie mes dettes et rit de mes écarts, au lieu de les poursuivre en pédagogue et de me laisser mourir de faim. Sur mon âme ! J’ai trouvé plus d’indulgence dans le cœur de Tibère que dans celui de tous mes parents.

BINDO.

Oh ! Lorenzo ! quelle indulgence ne lasserais-tu point ?

LORENZO.

Je crois bien ! Je n’ai plus personne qui me soutienne. Les amis, c’est comme les pierres d’un mur. La première qui se détache entraîne toutes les autres. Que votre honneur reçoive une brèche, chacun y met la main pour l’élargir, et d’une égratignure, ils nous font une plaie. La haine se forme de trois choses l’envie, la calomnie, le mépris. L’abandon couronne l’œuvre. Aussi l’homme sage se passe d’amis ; parce qu’il sait que ce sont des aveugles, qui saluent l’habit tant qu’il est neuf. S’il se déchire, adieu l’homme qui est dessous n’est plus rien pour eux et ne doit pas espérer qu’un ami le couvre du coin de son manteau. Allez, vous m’avez appris ce que vaut votre attachement, et vous m’avez par là affranchi de tout devoir envers vous. Vous n’avez donc plus le droit de me demander compte d’une vie que je consacre tout entière au plaisir, le seul traître assez aimable pour se faire pardonner tous ses torts.

BINDO.

Il y a une rudesse bien amère dans toutes ces métaphores. Mais je n’y ferai pas attention, parce qu’on sait que ta fantaisie est de tout dénigrer et de tout nier. Je suis venu avec la résolution de ne me décourager d’aucune de tes injustes préventions. Il faut que tu ? nous donnes aujourd’hui une réponse décisive. Tu sais de quoi il est question. Les crimes d’Alexandre ont lassé la patience du peuple. Le complot est près d’éclater. Il ne lui manque qu’un chef, qui convienne à la fois au peuple et aux grands. Voici le représentant de ce brave peuple, qui vient te proposer de sauver la patrie avec nous.

LORENZO, à Capponi.

Et c’est pour cela que Sa populaire Seigneurie a daigné visiter la maison abandonnée du solitaire Lorenzo ?

CAPPONI.

De grâce, Messere, laissez aux gens de cour cette feinte humilité et ce faux respect. Je ne suis point un marquis napolitain, mais seulement un bourgeois de Florence. Nous autres, voyez-vous, nous en usons sans tant de façons. Nous laissons aux Espagnols ces grands airs et ces grands titres, qu’ils nous ont apportés avec leur joug odieux. C’est à eux qu’il convient de dégainer la rapière à chaque coin de rue, pour un salut trop léger, ou pour un vous au lieu d’un Monseigneur. La simplicité convient à nos mœurs républicaines, et c’est une suite de la dépravation des Cours que tout cet étalage de sentiments trompeurs et d’embrassades perfides !

LORENZO.

Admirable ! Sublime ! Vous avez eu là, Monsieur le représentant du peuple, un très beau mouvement oratoire. Vous êtes républicain dans l’âme, par saint Laurent ! j’aurais dû le deviner à la couleur de votre pourpoint et au peu d’ampleur de votre manteau[13].

CAPPONI, à Bindo.

Je crois qu’il raille.

BINDO.

C’est sa manière accoutumée. N’y faites pas attention et lui exposez votre mission.

CAPPONI.

Messere Lorenzo de Médicis, nous aurons tous confiance en votre parole, si vous voulez enfin nous la donner. Il est vrai que votre assiduité auprès du tyran nous avait fait concevoir quelques doutes sur votre dévouement à la cause publique. Mais Messire Altoviti, votre oncle, nous a rassurés, en nous disant que vous n’observez le Duc de si près que pour vous rendre maître de tous ses projets et les déjouer. C’est un but noble et généreux, qui vous rend toute notre confiance. Nous savons bien que vous ne démentirez pas l’illustre sang des Soderini, dont vous sortez, et celui de cette branche des Médicis, qui eut pour souche le grand Cosme et que le peuple, dans son affection, a surnommé Popolani...

LORENZO, bâillant.

Ah ! Laissez ma généalogie, Monsieur de la République. Plus patriote que vous, je ne fais aucun cas du préjugé de la naissance, et je vous trouve fort imprudent de venir confier vos projets au favori d’Alexandre, sur la seule garantie que ce favori est le fils de son père, garantie dont, au reste, l’homme sage devrait toujours se méfier.

BINDO.

Votre scepticisme impie me fait rougir de vous, Lorenzo. Ce n’est pas sur ce ton caustique et frivole que vous devriez répondre à des offres aussi sérieuses. Depuis longtemps vous nous laissez dans un doute pénible sur vos véritables sentiments à l’égard d’Alexandre. Songez que, si vous ne prenez enfin un parti, nous vous soupçonnerons d’avoir favorisé le complot, afin de nous trahir, en nous caressant. Songez aussi qu’une nouvelle carrière s’ouvre devant vous et qu’au lieu d’être le courtisan d’un monstre détesté, vous pouvez devenir le chef d’une république puissante.

LORENZO.

Le chef d’une république, moi ? Oh ! il y a ici un imbroglio très compliqué. Plaît-il à Vos Seigneuries que je l’éclaircisse pour l’avantage des deux parties ? – Primo, à vous, Seigneur Altoviti, je dirai que vous aimeriez à placer un homme de votre choix à la tête du gouvernement, que peut-être cette cour opulente et licencieuse choquerait moins vos principes d’économie et d’austérité, si vous y occupiez un rang digne de votre naissance et de votre ambition, Mais vous comptez sur l’appui de la famille Capponi et sur l’assentiment des familles bourgeoises de Florence ; et vous tombez dans une grave erreur, car voici le frère de Niccolo Capponi, dernier gonfalonier de la république, et vous auriez dû comprendre que lui et les siens ne s’accommoderont jamais du rétablissement de la principauté, puisqu’ils doivent travailler à rétablir une charge à laquelle la popularité de leur nom et d’anciens services leur donnent le droit de prétendre. – Secondo, à vous, Messire Capponi, je dirai que vous aimeriez le rétablissement du gouvernement populaire, parce que vous en seriez le plus important personnage, et qu’il est doux de sortir d’une obscurité aussi haïe que vantée, parce que, aussi, la vengeance est saine et bienfaisante, et que  tout le sang florentin que ceux-ci font répandre, vous autres en laveriez la trace, sur les pavés de notre ville, avec des flots de sang espagnol. Tout cela est fort sagement conçu et très philosophiquement pensé. Mais vous commettez une notable imprudence en comptant sur l’appui des familles patriciennes, qui ne trouveront jamais leur compte à la république, et surtout à la vôtre, car vous voyez ici le Seigneur Altoviti, qui ne me met en avant que pour écarter les prétentions de son autre neveu, Cosme de Médicis. Ce rival éloigné, l’exclusion de l’insensé Lorenzaccio serait bientôt votée, et je ne vois personne qui s’accommoderait mieux du sceptre ducal que le Seigneur Altoviti lui-même. – Et à vous deux, tertio, je donnerai un conseil de prudence et de raison : c’est de ne point trop compter sur le peuple, et de vous rappeler la conjuration des Pazzi, qui, pour prix de la mort des Tyrans, furent portés pièce à pièce au bout des piques, tandis que ce grand peuple, dont ils avaient voulu consommer la délivrance, couvrait de boue leurs lambeaux palpitants. Croyez-moi, mettez un frein à cette inquiète ambition qui vous tourmente et ne la couvrez point tant du manteau de la philanthropie. Car, à voir les hommes comme ils sont, personne ne peut vous croire. Telles sont les humbles représentations de votre serviteur qui vous baise les mains.

BINDO.

Arrête ; nous sommes venus t’offrir un parti avantageux, et tu réponds par l’outrage. Tu nous feras amende honorable ou tu nous rendras raison.

LORENZO.

Point, mon oncle, je ne suis pas né spadassin. Prenez-vous en à Dieu, qui ne m’a pas fait brave. Je conçois qu’il vous serait avantageux, maintenant que votre secret est dans mes mains et que vous avez peur, de vous débarrasser de moi. Mais calmez-vous, et profitez du conseil qu’un fou peut donner.

CAPPONI.

Vous m’avez insulté personnellement. Mais j’ai pitié de votre pusillanimité. Seulement, souvenez-vous bien que si vous trahissez...

LORENZO.

Point de menace. Vous froissez mon pourpoint et ne m’effrayez guère. Faites pour le peuple ce qu’il vous plaira. Je ne ferai rien. Je hais les hommes, et plus ils sont grossiers, plus je les méprise. Je n’ai pas d’intérêt à les caresser, parce que je ne veux rien d’eux. En refusant la popularité, je suis plus franc et plus brave que vous. Allez, pour faire une conspiration, il ne faut que deux choses : un homme et un poignard. Laissez mon pourpoint, vous dis-je. C’est de l’étoffé de vos magasins, peut-être, et vous voulez me forcer d’en acheter un neuf. Il me paraît que vous vous entendez mieux aux affaires de votre boutique qu’à celles de l’État. Vous êtes bien imprudent d’impatienter de la sorte un homme que vous craignez.

BINDO.

C’en est trop, lâche, fanfaron, chien de Cour !

UN PAGE, annonçant.

Le Duc.

CAPPONI et BINDO, atterrés.

Nous sommes trahis !

LORENZO les contemple avec ironie, puis s’avance à la rencontre d’Alexandre.

D’où me vient une faveur si grande que mon maître daigne venir visiter son serviteur[14] ?

LE DUC.

Tu t’es trouvé malade, ce matin, au Palais, et j’étais pressé, Lorenzino, de m’assurer que cet événement n’avait pas eu de suites.

LORENZO.

C’est trop de bontés ! La gracieuse visite de Votre Altesse m’est d’autant plus favorable qu’elle me fournit l’occasion de lui présenter deux citoyens de cette ville, également empressés de lui offrir leurs humbles hommages. L’un est mon oncle, Bindo Altoviti, qui regrette que son long séjour à Naples ne lui ait pas permis plus tôt de se prosterner devant Votre Altesse. L’autre est Messire Giulio Capponi[15], qui venait me prier de l’introduire devant Elle, afin qu’il pût mettre à ses pieds les protestations de dévouement et de fidélité de sa bonne ville de Florence.

LE DUC.

En vérité ? Cet hommage de deux sujets, que j’avais soupçonnés de favoriser tacitement la rébellion, me serait agréable, s’il était bien sincère.

LORENZO.

Que Votre Altesse n’en doute point. Ces deux fidèles sujets voulaient, aujourd’hui même, lui être présentés, afin de désavouer toute participation à la sédition qui a éclaté ce matin et dont ils ont vu avec joie le juste châtiment.

À Bindo et à Capponi.

Que la présence inattendue d’un si grand prince dans cette humble maison ne vous frappe point ainsi de crainte et d’émotion[16]. Dites-lui que j’ai été le fidèle interprète de vos sentiments intimes.

BINDO, troublé.

En effet, Votre Altesse doit croire que mon neveu.

LE DUC.

Fort bien. Nous sommes contents de voir un allié de notre maison faire les premiers pas vers nous, et nous le prions d’accepter la direction de notre prochaine mission à notre royal beau-père, l’empereur Charles V.

BINDO, s’incline profondément.

C’est un honneur dont je sens tout le prix et Votre Altesse peut compter sur ma fidélité.

LE DUC.

Il suffit. Quant à vous, Messere Capponi, nous savons que votre influence est grande. Nous vous engageons à la faire servir à notre profit. Ce sera aussi le vôtre. Car nous vous offrons, si vous y parvenez, l’exemption de toute contribution présente et future, pour vous et toute votre famille.

[CAPPONI.[17]]

Ah ! Messire prince, c’est trop de bontés ! Vous êtes... Votre Seigneurie est un grand prince.

LE DUC.

Tous ceux que j’ai enrichis me l’ont dit. Que ma présence ici ne vous retienne pas plus longtemps.

CAPPONI.

Oh ! nous resterons avec plaisir.

LORENZO, à Capponi.

Cela signifie qu’il est temps de vous retirer.

Bindo entraîne Capponi et le force à s’incliner à plusieurs reprises, ce dont il s’acquitte fort gauchement.

LE DUC, à ses écuyers qui gardent les issues.

Laissez passer ces deux personnes[18].

Lorenzo le suit des yeux avec préoccupation.

LE DUC.

Voyez ce marchand grossier et ce noble perfide, l’un cupide, l’autre vain ! Quelle odeur de trahison, quelle puanteur de peuple ils ont laissées ici ! Ouvre les fenêtres, Renzo ; je crois toujours sentir ce plébéien m’envoyer son haleine à la figure, tout en me jetant sur vous à la tête !

LORENZO.

Votre Altesse veut-elle voir les lettres que j’ai reçues du dehors ?

LE DUC.

Volontiers. Dis-moi, cet infernal Strozzi ?

LORENZO.

Toujours à Venise. Mais, sur mon invitation, il doit rentrer ici mystérieusement et y travailler au prétendu complot que j’ourdis contre Votre Altesse.

LE DUC, prend la lettre et lit.

En vérité, il viendra !

LORENZO.

Aussitôt qu’il sera caché dans cette maison, je le livre à la vengeance de mon maître.

LE DUC.

Bon Lorenzino ! Oh ! me défaire de cet ennemi acharné ! – Et ce Benedetto Varchi ?

LORENZO.

Voici sa réponse.

LE DUC, lisant la lettre.

« Alexandre, chargé d’iniquités, tombera sous la vengeance publique. Il n’est pas besoin de mon concours. Par état, je répands l’encre et non le sang. » Est-ce qu’il se méfierait de toi ?

LORENZO.

Je ne le pense pas. Quand cela serait, il ne tombera pas moins dans mes filets.

LE DUC.

Et ce Giovanni della Casa, qui répand, dit-on, dans Florence, des hymnes à la liberté ?

LORENZO.

Un exalté, un jeune fou, mais point dangereux, et amant du plaisir avant tout.

LE DUC.

Faisons-lui grâce, s’il est libertin, car nous le sommes aussi. Tu le sais, Lorenzino ?

Il regarde autour de l’appartement.

Mais pourquoi ai-je trouvé cette maison vide de femmes ? Il y en a quelquefois aux fenêtres et leur regard enchaîne longtemps celui qui passe dans la rue.

LORENZO.

En effet, ma mère fut renommée pour sa beauté. Mais Votre Altesse l’a vue de loin, et la bonne dame ne l’est aujourd’hui que pour sa vertu.

LE DUC.

Par saint Cosme ! Il s’agit bien de ta mère ! Elle n’est pas seule ici. Dis-moi, où est ta sœur ?

LORENZO.

Ma petite sœur ?

LE DUC.

Pourquoi la faire si petite ? Elle a bien quinze ans. Ce n’est pas mon œil exercé qui s’y tromperait.

LORENZO.

En vérité, c’est un enfant.

LE DUC.

C’est un enfant qui allume des passions d’homme. Tiens, Lorenzo, il faut que tu saches le vrai motif de ma visite : j’espérais la voir.

LORENZO.

Par quel art cette petite fille a-t-elle su inspirer tant de curiosité à votre Altesse ?

LE DUC.

De la curiosité ? Dis donc de l’amour, mais l’amour le plus violent, la passion la plus effrénée que j’ai ressentis de ma vie. Oh ! depuis plusieurs jours je m’enivre à la contempler, tantôt là, penchée vers cette fenêtre et livrant à la brise ses longs cheveux noirs, tantôt à l’Église, les yeux baissés sous son voile entr’ouvert, plus belle, plus naïve que les Vierges que notre vieux Michel-Ange rêvait aux beaux jours de sa jeunesse. Et puis, quand elle se lève et que, d’un pas léger, elle effleure les dalles du temple, la pétulante gaieté de son âge encore contenue par le recueillement de la prière, on dirait une hirondelle vive et flexible qui va s’élancer du portique dans les airs ! Oh ! va la chercher, Lorenzino, que je touche sa taille élastique, que je fasse de mes deux mains une ceinture étroite à sa taille déliée, que je respire le parfum de ses cheveux brillants ! Va la chercher ! Je n’aime plus aucune des femmes que tu m’as livrées, et je te tiens quitte, à l’avenir, de m’en trouver de nouvelles, si dès aujourd’hui tu peux me procurer un rendez-vous avec cet ange.

LORENZINO.

Dès aujourd’hui ? C’est difficile. La petite est farouche et vous aurez toute une éducation à faire. En outre sa mère est d’une vigilance austère et nous aurons de la peine à décider l’une et à éloigner l’autre. Donnez-moi quelques jours.

LE DUC.

Ne me parle pas de retards. J’ai déjà trop souffert et trop attendu. Songe qu’il ne s’agit plus d’une de ces fantaisies d’un jour qui réveillaient à peine mon sang engourdi. Songe que si tu te mêles d’avoir des scrupules – la chose du monde qui te siérait le moins – ta sœur ne tombera pas moins à mon pouvoir. L’amour ne connaît pas d’obstacles et le mien surtout. Songe enfin, que si tu abrèges ma cruelle angoisse, tu obtiendras tout ce que tu demanderas, fût-ce la première charge de l’État, ou la fortune de Cosme au mépris des lois, ou la tête de ton ennemi. Essaye.

LORENZO.

Je n’ai pas besoin de toutes ces promesses. Vous savez bien que, si la chose est humainement possible, Lorenzo vous servira.

LE DUC.

Cours donc, ami. Dis-lui que le duc de Florence se meurt d’amour pour elle. Dis-lui qu’il couvrira de perles et de pierreries sa noire chevelure et son sein naissant et ses bras moelleux. Dis-lui qu’il lui donnera le plus beau cheval que Naples ait jamais fait courir dans ses fêtes, la plus belle haquenée de toutes les Espagnes, des étoffes d’or et des voiles brodés de Constantinople. Tu rêves et ne me réponds point ?

LORENZO.

Je cherche un moyen. Si je pouvais l’éloigner un instant de sa mère, la femme est toujours femme, et la vertu s’amollit devant les richesses comme la cire devant le feu.

LE DUC, détachant sa bourse de sa ceinture.

Tiens, prends cet or pour commencer et dis-lui de demander la fortune de vingt familles. Mais hâte-toi !

LORENZO.

J’obéis ! Mais il faut que Votre Altesse évite les yeux clairvoyants de ma mère. Si elle concevait le moindre soupçon, la petite serait jetée dans un couvent ou envoyée aux Strozzi. Dans deux heures, je serai au Palais et j’espère porter à Votre Altesse une réponse favorable.

LE DUC.

Je compte sur toi ! Compte sur la récompense.

LORENZO, seul.

Oui, compte sur moi ! Je jure par le ciel et par l’enfer, par le sein de ma mère et par la damnation éternelle que tu me trouveras aujourd’hui. Toi-même as marqué ton heure. Ô mon bien-aimé maître, je te remercie !

 

 

Scène III

SCORONCONCOLO, LORENZO

 

Quatre heures. La chambre de Lorenzo.

SCORONCONCOLO.

Maître, as-tu assez du jeu ?

LORENZO.

Non ! Je veux qu’on nous entende longtemps aujourd’hui. Crie plus fort.

SCORONCONCOLO.

Au secours ! Trahison ! Lorenzo du diable !

LORENZO.

Ferme, allons ! Frappe du pied ! Tiens, fais comme moi !

Il trépigne avec violence et crie d’une voix étouffée.

Traître ! meurtrier ! Tu m’as assassiné ! Je meurs !

SCORONCONCOLO, fait un vacarme effroyable, renverse les meubles, et bondit d’un bout de la chambre à l’autre.

À moi, mes braves archers ! À mon aide ! On me tue ! On me coupe la gorge[19] !

LORENZO.

Courage donc ! on dirait que tu as peur d’enfoncer ! – Es-tu sûr que les voisins nous entendent ?

SCORONCONCOLO.

Satan, du fond de l’enfer, nous entendrait.

Il s’essuie le front.

Par mon âme de damné ! C’est un rude jeu que tu as inventé, maître. Mais dis-moi donc enfin pourquoi tu me fais crier et blasphémer ainsi tous les jours dans cette chambre ?

LORENZO.

Je te l’ai dit vingt fois. J’aime à épouvanter les voisins[20]. Lorsqu’ils nous entendirent faire ce bruit, le premier jour, et qu’ils s’assemblèrent pour cerner la maison, était-il rien de plus risible que leurs faces effarées, leur empressement à chercher, dans tous les coins, l’homme que nous égorgions, et leur colère quand ils virent que c’était un jeu pour les railler ? Ah ! je leur ai ri au nez de bon cœur, il m’en souvient. Maintenant qu’ils ne se dérangent plus, ils me donnent encore bien de la joie, en se plaignant du sabbat infernal dont retentit cette maison, et je parie que, pour faire la sieste, ils descendent dans les caves. Ces bons voisins qui disent tant de mal de moi, ah ! je les entends d’ici : « Ce réprouvé de Lorenzo est devenu fou, le diable habite sous son toit, et quelque jour, on les verra tous deux traverser les airs. »

SCORONCONCOLO.

Tu as beau dire, maître, jamais on n’a pris tant de peine pour être incommode à ses voisins. Il y a autre chose que tu me caches. Mais j’ai trop couru le pays des aventures pour ne pas soupçonner quelque mystère. Tu as des projets, maître, et tu ne veux pas me les dire. C’est mal.

LORENZO.

Eh bien ! Ce que tu soupçonnes, dis-le ; et si tu devines la moitié, je te dirai le tout.

SCORONCONCOLO.

D’abord, maître, tu as un ennemi. Quel est l’homme grand ou misérable qui peut s’en passer ? Moi, j’en ai un, c’est le bourreau, et si je peux lui mettre au cou la corde dont ta bonté m’a sauvé, maître, je jure par la croix de Jésus que je ne le manquerai pas ! Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Tu as un ennemi. Tu me l’as dit maintes fois. Je t’ai vu souvent, au retour du Palais, frapper la terre du pied et maudire le jour où tu es né[21], dévorant ta colère et déchirant ta poitrine avec les ongles, et je te l’ai dit : il y a toujours, sur deux existences d’hommes, une qui doit céder la place à l’autre. Pourquoi donc te laisser fouler aux pieds comme un ver de terre ? Tiens, maître, débarrasse-toi de celui qui te gêne, car tu maigris et tu deviens triste. Je me suis senti comme cela quatre ou cinq fois pour mon compte, et voici le médecin qui m’a purgé de cette bile.

Il tire sa dague du fourreau.

La dernière fois, ce fut à Padoue, à propos d’une...

LORENZO.

Fais-moi voir ta dague. Que signifie : « Sirvo à mi Señor, soy viva » ?

SCORONCONCOLO.

C’est de l’espagnol : J’obéis à mon maître, et je suis prompte.

LORENZO, la brandissant d’un air sombre.

Par la messe, c’est une bonne lame, si elle dit vrai.

SCORONCONCOLO.

Essaie-la seulement, et tu verras.

LORENZO.

Ami, tu as deviné mon mal.

SCORONCONCOLO.

Eh bien ! je veux t’en guérir sur l’heure. Quel est son nom ?

LORENZO.

Qu’importe son nom[22] ?

SCORONCONCOLO.

Fût-ce le pape ! Pour toi, je remettrais le Christ en croix !

LORENZO.

Réjouis-toi, c’est un homme puissant, un favori du Grand-Duc.

SCORONCONCOLO.

Quand ce serait le diable ! Quand ce serait le Duc lui-même !

LORENZO.

Aujourd’hui ?

SCORONCONCOLO.

Tout de suite.

LORENZO.

Eh bien ! dans une heure ! Prends cette bourse de sequins. C’est lui-même qui te paye ton salaire.

SCORONCONCOLO, ouvre la bourse et regarde.

C’est bien payé ! Je le servirai en conscience.

LORENZO.

Écoute. Je te défends, sur ta vie, de le toucher, si je l’étends du premier coup. Si j’étais robuste comme toi, je ne me ferais pas aider. Mais le sanglier se défendra. Si je le manque, il m’écrasera dans sa main, moi, débile et maladif[23]. Ma vie, c’est ce dont je me soucie le moins. Mais la sienne ! Oh ! s’il s’échappait !... Jure-moi qu’entré dans cette chambre, il n’en sortira pas vivant.

SCORONCONCOLO.

Je te le jure par l’Eucharistie, par saint Pluton et par la gueule de l’enfer !

LORENZO.

Je vais le chercher et l’amener là. C’est là qu’il tombera.

SCORONCONCOLO.

C’est là, vive Dieu ! Et voici la lame qui trouvera son cœur. Où t’attendrai-je, maître ?

LORENZO.

Dans la galerie.

SCORONCONCOLO.

Mais si Madonna Maria m’aperçoit, elle me chassera, car elle ne m’aime pas.

LORENZO.

Ne crains rien ; les femmes sont sorties et, quand elles rentreront, tout sera fini.

SCORONCONCOLO.

Amen !

 

 

Scène IV

ALEXANDRE, LORENZO

Cinq heures. La chambre du Grand-Duc.

ALEXANDRE.

Dieu du Ciel ! Elle a consenti ?

LORENZO.

De la colère d’abord, et puis de l’indignation, puis des larmes, quelques soupirs, beaucoup de réflexions, un long embarras, et enfin un aveu prononcé bien bas, avec la rougeur au front et l’orgueil dans le cœur.

ALEXANDRE.

Et c’est ce soir ?

LORENZO.

À l’instant même. Profitons du temps que sa mère va passer à l’église pour se préparer par la veille et par la prière au saint jour de l’Épiphanie. Il faut que vous me suiviez seul et avec précaution. Je vous ferai entrer dans la maison et je vous cacherai dans ma propre chambre.

LE DUC.

Cher Lorenzino ! Hâtons-nous donc. Holà ! Un pourpoint, un manteau ! Je vais sortir.

Giomo le Hongrois apporte un pourpoint.

LORENZO.

En vérité, maître, ce haubert à mailles de Venise et ces gantelets de buffle vont vous donner l’air d’un guerrier tudesque plutôt que d’un amoureux florentin.

LE DUC.

Par saint Cosme ! Tu dis vrai. Qu’on me donne un pourpoint de satin doublé de zibeline, à la napolitaine, et des gants parfumés[24].

LORENZO.

Partons-nous ?

LE DUC.

Capitaine Cesena, Giomo le Hongrois, Fernand l’Andalou, suivez-moi.

 

 

Scène V

 

LORENZO, LE DUC, CESENA, GIOMO, FERNANDO

 

La place Saint-Marc.

LE DUC.

La soirée est froide. Les étoiles sont brillantes.

LORENZO.

C’est bon signe pour demain.

LE DUC.

Cesena, Fernando, laissez-nous.

CESENA.

Seul avec le seigneur Lorenzo ?

LE DUC.

Giomo le Hongrois nous suivra ! Allez !

Ils s’éloignent. Le Duc à Giomo.

Toi, reste ici, devant la maison des Sostegni. Aie les yeux sur cette porte, que tu vois vis-à-vis. Quelque personne qui entre ou sorte, garde-toi de faire un geste ou de dire un mot.

À Lorenzo.

Il fait vraiment froid. J’ai le frisson[25].

LORENZO.

Marchons plus vite.

Ils s’éloignent.

GIOMO LE HONGROIS, seul.

Je comprends C’est une affaire d’amour. Par le froid qu’il fait, j’aimerais mieux un verre d’hypocras que toutes les femmes du monde.

Il se promène.

À quoi bon regarder cette porte, si je ne dois pas la garder ? Que fais-je ici ? Je gèle. Et puis, que peut risquer le prince avec Lorenzaccio le couard qui ne porte pas d’épée, parce que la sienne propre lui ferait peur ? Allons ! Je vais me chauffer dans la chambre du Duc en l’attendant.

Il s’en va.

 

 

 

 

Scène VI

LE DUC, LORENZO, puis SCORONCONCOLO, puis CATTERINA

 

La chambre de Lorenzo.

Le Duc entre et jette son épée sur le lit. Il s’approche de la cheminée, et, pendant ce temps, Lorenzo prend l’épée et attache le ceinturon à la poignée pour la rendre impossible à dégainer.

LE DUC.

Que fais-tu donc ?

LORENZO.

Je cache votre épée sous votre chevet. Il est bon d’être toujours prêt à se défendre dans ces sortes d’aventures[26]. Mais il ne faut pas que la femme, pour qui l’on s’expose, se doute qu’on a pu distraire d’elle une seule pensée pour sa propre sécurité.

LE DUC.

Crois-tu donc qu’il y ait quelque chose à craindre ici ?

LORENZO.

D’ici à quelques heures, je ne vois dans la maison que moi qui pourrais troubler votre repos.

LE DUC.

En ce cas, tu me permettras d’être tranquille. Je connais ta valeur. – Ah ! ce bon feu m’a ranimé. J’étais transi de froid.

Il se débarrasse de son manteau.

Ah ! çà, dis-moi, tu sais que je n’aime pas à lutter de sémillants propos avec les femmes. On dit que la Catterina est belle parleuse et versée dans les lettres. Moi, la poussière des bouquins me prend à la gorge, et je ne sais pas faire l’amour avec des métaphores. Préviens-la, je te prie, qu’elle ne s’attende pas à des fadeurs et qu’elle me fasse grâce de cette feinte résistance, dont je ne puis pas être dupe, moi qui connais toutes les ruses d’usage.

LORENZO.

Catterina sait qu’elle ne doit pas s’attendre à être humblement implorée, comme si elle avait affaire à un page ou à un poète. Je crois que ce que Votre Altesse a de mieux à faire, c’est de se mettre au lit[27]. La première personne qui entrera...

LE DUC.

C’est bien ! Cours.

LORENZO.

Je ne vous demande qu’une grâce nouvelle. C’est d’éteindre un peu la flamme du foyer. L’obscurité enhardira ses pas timides.

LE DUC.

L’obscurité, c’est l’impunité pour les femmes. Fais ce que tu voudras.

Le Duc seul, détachant les rubans de son pourpoint.

Faire la cour à la française, avec un genou dans la poussière et les mots de reine et de déesse à la bouche, ce n’est pas mon fait, surtout après le souper, quand ce délectable vin d’Espagne a brouillé mes idées et appesanti ma langue[28]. Et puis, une femme ! c’est un ange tant qu’on la désire ; dès qu’on la tient ce n’est plus qu’une femme. On la fâcherait bien d’ailleurs si on la prenait au mot chaque fois qu’elle dit : non. Que Lorenzo fasse la cour en mon nom ! Il est fait pour cela ! C’est lui qui me présente la coupe du plaisir et c’est moi qui la vide. Sa sœur ! Il ne manquait que cela à son ignominie ! Demain toute la Cour en rira et Messire Valori, tout le premier.

Six heures sonnent.

Heure d’amour et de plaisir, je te salue ! Sois la plus belle de ma vie !

Il s’enveloppe d’un couvre-pied d’hermine et se jette sur le lit.

LORENZO, bas à Scoronconcolo, à l’entrée de la chambre.

Le moment est venu. Tu n’hésites pas ?

SCORONCONCOLO, bas.

Tête-Dieu ! En avant !

LORENZO.

Le cœur me bondit avec tant de violence que je ne puis marcher.

SCORONCONCOLO.

Si c’est de peur, laisse moi passer le premier.

LORENZO, l’arrêtant.

Eh ! non ! C’est de joie.

Il marche l’épée à la main vers le lit et entr’ouvre le rideau.

Seigneur, dormez-vous ?

Il lui passe son épée au travers du corps.

C’est fait[29].

Le Duc roule par terre en rugissant. Scoronconcolo lui enlève une joue d’un coup de dague. Le Duc ensanglanté se relève et court dans la chambre avec égarement.

LORENZO.

Maladroit, tu frappes au visage ! C’est au cœur ! au cœur !

Au Duc.

Holà, seigneur, point tant de bruit ! Acceptez ce bâillon !

Il lui met les doigts dans la bouche.

SCORONCONCOLO.

Le damné bondit comme une panthère. Où es-tu donc, maître ? Je n’y vois plus.

LORENZO.

Je le tiens, là, sous moi !

Il jette le Duc sur le lit.

Maudit ! Tu mords comme un chien enragé. Mais c’est égal ! Tu mourras de la main de Lorenzaccio.

SCORONCONCOLO.

Ôte-toi de là, maître, que je le frappe !

LORENZO.

Je ne puis. Ce chien furieux tient mon pouce entre ses dents. Il me le broie. Ah ! le cœur me manque. Je souffre ! Dépêche-toi de le tuer !

Scoronconcolo enfonce sa dague.

LORENZO.

Tu éventres le matelas ! Il me coupera le doigt.

SCORONCONCOLO, tire un couteau de sa poche.

Eh bien saignons-le comme un pourceau ! Lâche-t-il prise ?

LORENZO.

Enfonce le couteau plus avant dans la gorge. Bien. Ses dents s’écartent un peu. Ah ! sa tête retombe, ses muscles se détendent. Il meurt. Regarde, il est hideux à voir.

SCORONCONCOLO.

Encore quatre à cinq coups dans la poitrine. J’aime mieux le voir bien mort.

LORENZO descend du lit.

Enfin !

Il regarde sa main sanglante.

Ce doigt sera mutilé pour toujours. Tant mieux ! C’est une glorieuse blessure et j’aurai toujours ce souvenir sous les yeux.

SCORONCONCOLO.

Maître ! Que ferons-nous de ce cadavre ? Sa dernière convulsion l’a fait bondir comme un crapaud. Le voilà encore par terre. Par Monseigneur Satan, il tenait à sa vie presque autant que nous à sa mort.

LORENZO.

Aide-moi à le ramasser.

Le foyer qui, pendant celle scène hideuse, a jeté quelques lueurs par intervalles, s’allume et répand une vive clarté dans la chambre.

SCORONCONCOLO.

Entrailles du Christ ! C’est le Duc lui-même[30] !

LORENZO.

Oui, c’est lui, c’est bien lui ! Ô joie du ciel ! Le voir ainsi !

SCORONCONCOLO.

Maître ! qu’avons-nous fait ? C’est une affaire plus sérieuse que je me pensais.

LORENZO.

Aide-moi à le coucher ! Jette-lui ce couvre-pied et rendons à son sommeil cet oreiller dont le vaillant s’était fait un écu.

Il lui soulève la tête pour le regarder.

Maintenant, Grand Duc de Florence, bâtard du pape, gendre de Charles V, tyran, despote, infâme, fanfaron, impudique Alexandre de Médicis, bonsoir pour la dernière fois. Lorenzo ne te ramènera plus de l’orgie et ne te mettra plus au lit accablé de débauches et de crimes. Dors bien !

Il laisse retomber la tête du cadavre et va s’asseoir sur la fenêtre, qu’il entr’ouvre.

Ah ! que je suis fatigué ! Ce taureau sauvage a soutenu un rude assaut. Je suis baigné de sueur et de sang.

SCORONCONCOLO.

Maître ! Partons, crois-moi. On peut avoir entendu.

LORENZO.

Oh ! que non ! Il a perdu son temps à me manger la main. As-tu peur, maintenant ?

SCORONCONCOLO.

C’est un coup trop hardi. Fuyons[31].

LORENZO.

Fuis si tu veux. Pour moi, je puis mourir maintenant. Je suis assez content d’avoir vécu ce jour tout entier.

SCORONCONCOLO.

Maître, par pitié, viens !

LORENZO.

Laisse-moi, te dis-je. Laisse-moi savourer cet ineffable instant de ma vie. Que la nuit est fraîche et parfumée ! Que le ciel est pur ! Les étoiles ont toutes un sourire au front. En voilà une qui file. C’est celle du Duc de Florence qui s’éteint. Ah ! je me sens bien, maintenant, ma poitrine s’élargit, mon âme se dilate[32] ! Souillures, infamie, disparaissez ! Ce sang vous a lavées ! Lorenzaccio n’est plus ! Lève-toi, Laurent de Médicis !

CATTERINA, avec un flambeau.

Mon frère, je viens te trouver. Madonna m’a renvoyée de l’Église, disant que j’avais assez prié. Mais je suis en bas avec Léonora et j’ai peur. Nous avons cru entendre des bruits sinistres, des trépignements, des voix étouffées. Il y a dans l’air comme un râle d’agonie.

Elle pousse un cri.

Grand Dieu ! Qu’est-ce là par terre ? Du sang ! et sur toi, sur cet homme, partout du sang !

SCORONCONCOLO.

Ce n’est rien, Monna Cattina, rassure-toi. En jouant avec mon maître, il m’a pris un saignement de nez.

CATTERINA.

Toujours cet homme avec toi, Lorenzo ! Il m’enraye. Renvoie-le ! Il tutoie tout le monde. Je ne suis pas sa sœur pour qu’il me tutoie.

SCORONCONCOLO.

Ne te fâche pas, Monna Cattina. C’est la coutume encore pour tout franc soldat sicilien, qui a une lame au côté et qui se moque des modes espagnoles.

CATTERINA.

Frère, parle-moi, j’ai peur ! J’ai peur de ce sang, de cet homme ! J’ai peur de toi aussi !

LORENZO.

Viens m’embrasser, enfant, et rassure-toi, car voici le bras qui, sait défendre et punir, le bras de Lorenzo le vengeur !

CATTERINA.

Mon Lorenzino, de qui veux-tu te venger ?

LORENZO.

De personne désormais. Je n’ai plus d’ennemis, et mon cœur est toute miséricorde.

CATTERINA.

Moi aussi. Je ne hais qu’un seul homme.

LORENZO.

Nomme-le.

CATTERINA.

Ton Duc barbare et grossier ! Croirais-tu qu’hier, en passant sous ma fenêtre, il a eu l’audace de m’envoyer un baiser ?

LORENZO.

Il ne le fera plus. Viens voir.

CATTERINA.

Voir quoi ?

LORENZO, l’entraînant vers le lit.

Viens, te dis-je.

CATTERINA.

Cette chambre est un lac de sang ! Tu en fais jaillir sur ma robe à chaque pas. Cela est horrible ! Laisse-moi m’en aller ! J’ai encore plus peur ici.

SCORONCONCOLO.

Madonna, ne l’écoute pas. Sa tête s’est égarée !

LORENZO.

Non, Catterina ! J’ai toute ma raison. Je veux te montrer, sur ce lit, notre ennemi, cet homme terrible, ce tyran qui dévorait les citoyens, un cadavre maintenant.

CATTERINA.

Laisse-moi ! Grand Dieu ! Tu me fais peur. Ma mère ! Ô ma mère !

LORENZO, avec un rire infernal.

Regarde-le, te dis-je.

Il ouvre le rideau.

Je ne t’ai pas menti. Le voilà bien ! C’est moi, moi, qui l’ai tué !

CATTERINA, criant.

Horreur ! Un assassinat ! Un cadavre ! Quel rêve affreux !

Elle se jette dans le sein de Lorenzo et cache son visage dans ses mains.

LORENZO.

Écoute, Catterina. Cet homme, que tous maudissaient, aucun n’a osé le frapper, et c’est Lorenzo, qu’ils appelaient Lorenzaccio, qui seul a sauvé la patrie. Comme Brutus, il a su feindre. Il a tendu le piège où cet infâme est venu se briser.

CATTERINA.

Laisse-moi fuir. Je me meurs. C’est un assassinat !

LORENZO.

Écoute encore, Catterina. Cet homme t’avait achetée pour une poignée de sequins. C’est moi qui t’ai vendue, et si tu le vois, sur ce lit, c’est qu’il t’y attendait, c’est qu’il a cru que, comme une courtisane, tu viendrais te jeter dans ses bras pour son argent.

CATTERINA, se redressant.

Il a cru cela ?

LORENZO.

Ai-je mal fait de le tuer ?

CATTERINA.

L’as-tu bien tué ? Ne respire-t-il pas encore ? Écarte cette couverture et donne-moi le flambeau, que je le regarde en face ! Donne, je n’ai plus peur. Tu vois bien que ma main ne tremble pas. Hideux cadavre de réprouvé, sois maudit ! Celle que tu croyais damner avec toi te déteste et te crache au visage.

LORENZO.

Ma sœur, c’est bien ! Embrasse celui qui t’a vengée !

CATTERINA, se jette dans ses bras.

Ô mon frère, je l’avais toujours dit, que tu te relèverais !

À Scoronconcolo.

Toi, coupe cette tête et porte-la au peuple. Dans sa reconnaissance, il proclamera Laurent duc de Médicis.

LORENZO.

Non, ma sœur, non ! Je n’ai pas tué cet homme pour mettre sa couronne ducale sur ma tête. Je l’ai tué pour ses forfanteries, pour les affronts que j’en ai reçus, pour venger ton honneur et le mien. Je l’ai tué parce que je le haïssais mortellement et qu’il avait voulu m’avilir, parce que c’était la pensée unique de tous mes jours, le rêve caressé de toutes mes nuits, le besoin qui dévorait mon âme, le but de ma destinée. Je l’ai tué pour assouvir ma soif, pour guérir mes blessures profondes, pour retrouver le sommeil, le bonheur et le calme ! À présent, je ne désire plus rien. J’ai ma propre estime.

CATTERINA.

Mais la patrie, Lorenzo ?

LORENZO.

La patrie, hélas ! C’est une des chimères que le sceptique Lorenzo ne caresse plus. Vois-tu, ma sœur, j’ai soumis les hommes à une trop rude épreuve pour les estimer jamais, et ils ont trop grossièrement mordu à l’hameçon, ils ont trop abusé de ma patience pour que je puisse croire à la véracité de leur retour. Je serais un mauvais souverain. Je ferais le bien sans plaisir et peut-être le mal sans remords.

CATTERINA.

Alors il faut fuir. Chaque instant peut te perdre. La faveur du peuple sera au premier qui voudra l’exploiter. Si tu ne profites pas de ton ouvrage, tu tomberas victime de l’ingratitude. Fuis, mon frère, fuis ; je te le demande à genoux !

SCORONCONCOLO.

Moi aussi, maître, je te le demande à genoux !

LORENZO.

Fuir comme un coupable ! Eh bien ! soit. Jamais Lorenzo n’a travaillé pour les hommes ; et dans ceci moins que jamais. Partons. Échappons à cette bête féroce qu’on appelle le peuple et qui a dévoré les Pazzi. Maintenant, la vie m’est douce et je veux vivre longtemps pour me rappeler tous les jours que mon bras a terrassé Goliath. Adieu, ma douce Catterina. Adieu, ma sœur, toi, la seule qui ne m’ait jamais condamné !

CATTERINA, l’embrassant.

Ah ! tant d’émotions me tuent !

Elle s’évanouit.

LORENZO, la prend dans ses bras.

Portons-la à sa mère. Et toi, prends la clef de cette chambre. Je veux la porter à Venise à notre Strozzi. Je veux la garder toute ma vie, suspendue comme une relique à ma chaîne d’or.

 


[1] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. IV :

LE DUC, à Valori.

Votre Éminence a-t-elle reçu ce matin des nouvelles de la Cour de Rome ?

VALORI.

Paul III envoie mille bénédictions à Votre Altesse, et fait les vœux les plus ardents pour sa prospérité.

LE DUC.

Rien que des vœux, Valori ?

VALORI.

Sa Sainteté craint que le Duc ne se crée de nouveaux dangers par trop d’indulgence...

LE DUC.

Ainsi, Monsieur le Commissaire apostolique, il y a encore quelques mauvaises branches à élaguer ?

[2] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. IV :

SIRE MAURICE.

...C’est Lorenzo de Médicis que le pape réclame comme transfuge de sa justice.

LE DUC.

...Paix ! tu oublies que Lorenzo de Médicis est cousin d’Alexandre.

[3] La terminaison en ino exprime la familiarité. C’est un diminutif. La terminaison en accio exprime le mépris. C’est une injure. (Note de George Sand.)

[4] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. IV :

LE DUC.

...Regardez-moi... ces mains fluettes et maladives, à peine assez fermes pour soutenir un éventail...

[5] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. IV :

LE DUC.

Je n’entends rien au respect du pape pour ces statues, qu’il excommunierait demain, si elles étaient en chair et en os.

[6] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. IV :

LE DUC.

...Regardez-moi ce petit corps maigre, ce lendemain d’orgie ambulant. Regardez-moi ces yeux plombés, ces mains... ce visage morne...

[7] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. IV :

LE CARDINAL.

Messire Francesco Molza vient de débiter à l’Académie romaine une harangue en latin contre le mutilateur de l’arc de Constantin.

[8] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. IV :

SIRE MAURICE.

Celui qui se croit le droit de plaisanter doit savoir se défendre. À votre place, je prendrais une épée.

LORENZO.

Si l’on vous a dit que j’étais un soldat, c’est une erreur ; je suis un pauvre amant de la science.

SIRE MAURICE.

Votre esprit est une épée acérée, mais flexible, c’est une arme trop vile ; chacun fait usage des siennes.

Il tire son épée.

[9] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. IV : 

LE DUC.

...La seule vue d’une épée le fait trouver mal. Allons, chère Lorenzetta, fais toi emporter chez ta mère...

[10] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte II, sc. IV :

LORENZO.

Elle [Lucrèce] s’est donné le plaisir du péché et la gloire du trépas...

MARIE.

Si vous méprisez les femmes, pourquoi affectez-vous de les rabaisser devant votre mère et votre sœur ?

LORENZO.

Je vous estime, vous et elle. Hors de là, le monde me fait horreur...

[11] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte II, sc. IV :

LORENZO.

Catherine, Catherine, lis-moi l’histoire de Brutus !...

CATHERINE.

Ah ! c’est une histoire de sang.

[12] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte II, sc. IV :

On frappe.

CATHERINE.

C’est mon oncle Bindo et Baptista Venturi.

Entrent Bindo et Venturi.

BINDO, bas à Marie.

Je viens tenter un dernier effort.

 

MARIE.

Nous vous laissons ; puissiez-vous réussir !

Elle sort avec Catherine.

BINDO.

Lorenzo, pourquoi ne démens-tu pas l’histoire scandaleuse qui court sur ton compte ?

LORENZO.

Quelle histoire ?

BINDO.

On dit que tu t’es évanoui à la vue d’une épée ?...

LORENZO.

L’histoire est vraie, je me suis évanoui.

[13] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte II, sc. IV :

LORENZO.

Qu’en dites-vous, seigneur Venturi ? Parlez, parlez ! Voilà mon oncle qui reprend haleine... Pas un mot ? Pas un beau petit mot bien sonore ? Vous ne connaissez pas la véritable éloquence. On tourne une grande période...

Ne voyez-vous pas à ma coiffure que je suis républicain dans l’âme ? Regardez comme ma barbe est coupée. N’en doutez pas un seul instant ; l’amour de la patrie respire dans mes vêtements les plus cachés.

[14] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte II, sc. IV :

UN PAGE, en entrant.

Le Duc !

...

LORENZO.

Quel excès de faveur, mon prince ! Vous daignez visiter un pauvre serviteur en personne ?

[15] Cf. Musset, Lorenzaccio, ibid.

LORENZO.

J’ai l’honneur de présenter à Votre Altesse mon oncle Bindo Altoviti, qui regrette qu’un long séjour à Naples ne lui ait pas permis de se jeter plus tôt à vos pieds. Cet autre seigneur est l’illustre Baptista Venturi...

[16] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte II, sc. IV :

LORENZO.

...Que la présence inattendue d’un si grand prince dans cette humble maison ne vous trouble pas...

[17] George Sand a par erreur attribué cette réplique à Bindo.

[18] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte II, sc. IV :  

LE DUC, à ses gardes.

Qu’on laisse passer ces deux personnes.

[19] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte III, sc. I :

SCORONCONCOLO.

Maître, as-tu assez du jeu ?

LORENZO.

Non. Crie plus fort...

SCORONCONCOLO.

À l’assassin ! On me tue ! on me coupe la gorge !... À moi, mes archers ! Au secours ! On me tue ! Lorenzo de l’enfer !...

[20] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte III, sc. I : 

SCORONCONCOLO s’essuyant le front.

Tu as inventé un rude jeu, maître. Maître, tu as un ennemi...

LORENZO.

...Je te dis que mon seul plaisir est de faire peur à mes voisins.

[21] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte III, sc. I :

SCORONCONCOLO.

Tu as un ennemi, maître. Ne t’ai-je pas vu frapper du pied la terre et maudire le jour de ta naissance ?

[22] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte III, sc. I :

SCORONCONCOLO.

...Tiens, maître, crois-moi, tu maigris... Ton médecin est dans ma gaine ; laisse-moi te guérir.

Il tire son épée.

LORENZO.

Ce médecin-là t’a-t-il jamais guéri, toi ?

 

SCORONCONCOLO.

Quatre ou cinq fois. Il y avait une fois à Padoue une petite demoiselle qui médisait.

LORENZO.

Montre-moi cette épée. Ah ! garçon, c’est une brave lame.

SCORONCONCOLO.

Essaye-la et tu verras.

LORENZO.

Tu as deviné mon mal...

SCORONCONCOLO.

Quel est le nom de l’homme ?

LORENZO.

Qu’importe ?

[23] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte, III, ss. I :

LORENZO.

...Si je l’abats du premier coup, ne t’avise pas de le toucher. Mais je ne suis pas plus gros qu’une puce et c’est un sanglier...

[24] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. X :

LE DUC.

Qu’on me donne mon pourpoint de zibeline !... Quels gants faut-il prendre ? Ceux de guerre ou ceux d’amour ?

LORENZO.

Ceux d’amour, Altesse.

[25] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. XI :

LE DUC.

Je suis transi, – il fait vraiment froid.

[26] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. XI :

LE DUC, ôte son épée.

Eh ! bien, mignon, qu’est-ce que tu fais donc ?

LORENZO.

Je roule votre baudrier autour de votre épée et je la mets sous votre chevet. Il est bon d’avoir toujours une arme sous la main.

Il entortille le baudrier de manière à empêcher l’épée de sortir du fourreau.

[27] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. XI :

LE DUC.

Tu sais que je n’aime pas les bavardes, et il m’est revenu que la Catherine était une belle parleuse. Pour éviter les conversations, je vais me mettre au lit...

[28] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. XI :

LE DUC.

Faire la cour à une femme... cela m’a toujours paru très sot, et tout à fait digne d’un Français. Aujourd’hui surtout que j’ai soupé comme trois moines, je serais incapable de dire seulement : « Mon cœur » ou « mes chères entrailles ».

[29] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. XI :

Il [le Duc] se couche. Lorenzo rentre, l’épée à la main.

LORENZO.

Dormez-vous, seigneur ?

Il le frappe.

SCORONCONCOLO.

Est-ce fait ?...

[30] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. XI :

SCORONCONCOLO.

Ah ! mon Dieu, c’est le Duc de Florence !

[31] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. XI :

SCORONCONCOLO.

Viens, maître, nous en avons trop fait, sauvons-nous.

[32] Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. XI :

LORENZO.

Que la nuit est belle ! que l’air du ciel est pur ! Respire, respire, cœur navré de joie !

Que le vent du soir est doux et embaumé ! Comme les fleurs des prairies s’entr’ouvrent ! Ô nature magnifique, ô éternel repos !... Ah ! dieu de bonté quel moment !

SCORONCONCOLO.

Son âme se dilate singulièrement...

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