La Fille capitaine (MONTFLEURY)

Comédie en cinq actes, et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en 1669.

 

Personnages

 

MONSIEUR LE BLANC

MADAME LE BLANC, sa femme

LUCINDE.

ANGÉLIQUE, cousine de Lucinde

DAMON, amant de Lucinde

L’ESPÉRANCE, sergent d’une compagnie au Régiment du Roi

CATOS, suivante de Lucinde

LA BRIE, laquais de Damon

 

La scène est à Paris.

 

 

À SON ALTESSE MONSEIGNEUR LE PRINCE EUGÈNE DE SAVOIE

Comte de Soissons, Duc de Carignan en Luxembourg, Gouverneur et Lieutenant-Général pour le Roi en ses Provinces de Champagne et Brie, Colonel-Général des Suisses et Grisons

 

Monseigneur,

 

Il y a longtemps que je devrais vous avoir donné des marques de mon respect et de ma reconnaissance ; et je n’aurais pas tant différé, si je m m’étais mis en tête, qu’avant que de dédier  une de mes pièces à Votre Altesse, je devais attendre que le temps et mes soins  m’eussent rendu capable d’en mettre quelqu’une au jour qui méritât l’honneur de vous être offerte : mais, quand j’ai fait réflexion sur ce beau dessein, je l’ai trouvé plus conforme à mon zèle qu’à mes forces ; et l’empressement d’offrir cette comédie à V. A. m’a semblé plus raisonnable, que l’espérance de lui faire jamais un présent digne d’elle. Je vous présente donc un Capitaine qui ne craint ni la paix, ni la réforme. Il est si fier de l’honneur qu’il a eu de vous divertir et de vous plaire, qu’il n’a plus d’ambition que celle de se voir honoré d’une protection aussi glorieuse que celle de V. A. Il sait que vous sortez d’un sang si fertile en héros, qu’il ne s’étonne point de voir en vous tant de valeur jointe à tant de prudence, tant de grandeur jointe à tant de vertu, ni tant de belles lumières jointes à toutes les qualités avantageuses qui peuvent rendre un Prince accompli. Il sait que le mérite que toute la France admire en V. A. est pas renfermé dans des bornes ordinaires ; qu’elle connaît parfaitement tout ce que les Muses ont de grâce et de délicatesse, et qu’elle fait des jugements très judicieux de toutes sortes d’ouvrages ; mais il est persuadé que vous êtes aussi généreux qu’éclairé, et que V. A. n’a pas moins d’indulgence pour en excuser les défauts, que de facilité à les connaître. C’est, Monseigneur, ce qui me fait espérer que, si V. A. condamne la faiblesse de mon génie, elle aura peut-être la bonté d’approuver mon zèle, et quelle regardera ce que je lui offre moins comme une production d’esprit, que comme une preuve de la passion respectueuse avec laquelle je suis,

 

Monseigneur,

            De Votre Altesse,

Le très humble et très obéissant Serviteur.

 

DE MONTFLEURY.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

ANGÉLIQUE, LUCINDE

 

ANGÉLIQUE.

Je suis libre à présent, et maîtresse de moi,

Cousine, et je m’en vais passer huit jours chez toi.

LUCINDE.

C’est un honneur pour moi qui passe mon attente.

ANGÉLIQUE.

Laissons-là ces honneurs ; de parente à parente,

Doit-on toujours avoir le compliment en main ?

Mon père est, ce matin, parti pour Saint-Germain.

Comme il entre en quartier dans deux jours, son absence

Me permet de répondre à mon impatience.

LUCINDE.

Et moi, j’attends mon frère ici de jour en jour.

ANGÉLIQUE.

Il faut nous divertir jusques à leur retour :

Nous pourrons, jusqu’au jour qu’il faut que je te quitte,

Ou voir la comédie, ou bien faire visite,

Avoir les violons, masquer à petit bruit,

Passer le jour au jeu, courir le bal la nuit ;

La saison le permet, et je veux bien te dire

Que jamais je ne fus tant en humeur de rire.

Mais si ton frère arrive ici, lorsqu’à souhait...

LUCINDE.

Il n’est pas incommode, il est jeune et bien fait,

Sa présence bientôt nous en rendra certaines :

Le Régiment du Roi n’a point de Capitaines

Qui soient plus estimés, ni plus galants que lui.

ANGÉLIQUE.

Pour nous divertir donc, il faudrait qu’aujourd’hui

Ce frère si galant vînt par lettre de change ;

Car enfin les plaisirs demandent du mélange.

Et nous n’aurons Damon qu’assez malaisément ;

Les dés et le grand jeu l’occupent tellement,

Qu’il n’est, hors ce plaisir, rien qui le divertisse,

Et les jours sont trop courts...

LUCINDE.

C’est lui faire injustice.

Non ; cet empressement n’est point si violent ;

Damon aime le jeu ; mais Damon est galant :

Outre que la beauté dont le ciel t’a pourvue,

Le rendra plus sensible au plaisir de ta vue.

ANGÉLIQUE.

Ne fais point avec moi la fine à contretemps,

Ce chevalier t’en veut, je me connais en gens ;

Sur ce que j’en ai vu, je gagerais qu’il t’aime ;

Du moins c’est mon avis ; et je crois qu’au tien même,

Pour rendre ton bonheur à son amour égal,

Le nom de ton époux ne lui siérait pas mal.

LUCINDE.

Cousine, j’aurais tort de t’en faire un mystère.

Je veux bien t’avouer que Damon m’a su plaire,

Que mon frère revient, et qu’avec tant d’amour,

Damon, pour m’obtenir, n’attend que son retour :

Mais, quoiqu’enfin sur tout ton humeur cherche à rire,

Je le crois à couvert des traits de ta satyre ;

Il est jeune, bien fait, galant, riche, et je crois

Qu’on ne peut me blâmer d’avoir fait un tel choix.

ANGÉLIQUE.

Il est bien malaisé qu’un tel galant ne plaise :

Ce moderne Adonis ne te vient voir qu’en chaise,

Du nom de chevalier soutient sa vanité,

Contrefait à ravir l’homme de qualité ;

Il ne tient presque rien de son peu de naissance,

Il aime les plaisirs, et la grande dépense,

Dans son ajustement ne veut rien de commun,

Il joue à tous les jeux, et ne gagne à pas un,

De faire le coquet ne fait aucun mystère,

Et c’est pour un époux un fort bon caractère.

LUCINDE.

C’est sur de tels sujets que ton esprit s’étend ;

Sur le premier venu ta bile se répand ;

Tu te plais à railler, sans épargner personne ;

Tu peux continuer, sans que je m’en étonne ;

Ton temps n’est pas venu, peut-être quelque jour

Tu pourras ressentir les effets de l’amour.

Plût au ciel qu’un hymen à tes yeux plein de charmes,

Pour me venger de toi, pût te coûter des larmes !

Pour lors la raillerie agirait faiblement.

ANGÉLIQUE.

Tu n’auras ce plaisir qu’assez malaisément.

LUCINDE.

Quoi ! tu prétends toujours être railleuse et fière ?

ANGÉLIQUE.

Je veux vivre toujours, cousine, à ma manière ;

Et mon cœur ne sera pour l’hymen attendri.

Que quand on se pourra défaire d’un mari,

Comme on fait d’un habit qui n’est plus à la mode.

Des manières d’agir, j’aime la plus commode ;

Sous un joug que je crains, mon esprit languirait ;

Je me fais des plaisirs que l’hymen troublerait ;

On ne sait ce qu’on fait souvent, quand on se donne ;

Pour n’aimer qu’un mari, j’aime trop ma personne ;

J’aime le jeu, le bal, la danse, l’entretien ;

J’aime à troubler des cœurs, sans engager le mien ;

À tourner d’un amant l’ardeur en ridicule,

À vivre sans attache, et railler sans scrupule,

À flatter vingt galants de l’espoir de ma main,

Et même quelquefois à dauber le prochain :

Si bien qu’à ces plaisirs donnant mon âme en proie,

Des sottises d’autrui je me fais une joie ;

Et ne veux point troquer, par de semblables nœuds,

Tant de plaisirs certains, contre un plaisir douteux.

LUCINDE.

Ce portrait est galant ; et, si rien ne t’engage...

ANGÉLIQUE.

Celui que j’aperçois te plaira davantage.

Voici ton chevalier ; et je lis dans ses yeux.

Que, si ton frère était comme nous dans ces lieux,

Au plaisir de te voir il serait plus sensible.

 

 

Scène II

 

DAMON, ANGÉLIQUE, LUCINDE

 

LUCINDE.

Est-ce ce qui vous trouble ? Et serait-il possible !...

DAMON.

Oui, Madame, il est vrai, ce long retardement

Mettrait au désespoir le moins sensible amant.

Votre frère, qui doit régler notre hyménée,

M’en semble pour jamais éloigner la journée :

Depuis près de deux mois j’attends, de jour en jour,

Que quelqu’heureux moment m’annonce son retour ;

Mon cœur, plein d’un amour combattu par la crainte,

N’a pour le soulager, que l’espoir et la plainte,

Et me force à compter, dans l’ennui que je sens,

Le nombre de mes maux par celui des moments.

LUCINDE.

Damon, ainsi que vous, vous m’en voyez surprise,

Et sa dernière lettre était assez précise.

ANGÉLIQUE.

Quelque accident peut-être altère sa santé.

LUCINDE.

Ou quelque ordre imprévu l’a sans doute arrêté.

Mon frère, si le sort seconde son envie,

Doit à sa garnison laisser sa compagnie,

Et venir à Paris passer le carnaval,

Et du moins en ce temps...

ANGÉLIQUE.

Nous aurons donc le bal ?

DAMON.

Pourvu que le succès mette fin à mes craintes,

La joie et les plaisirs succéderont aux plaintes ;

Mais, s’il faut voir enfin mes feux sacrifiés...

ANGÉLIQUE.

Eh, mon Dieu ! vous serez assez tôt mariés :

Quand au nom de galant celui d’époux succède,

L’hymen pour ces ardeurs devient un grand remède,

Et, quel que soit l’amour dont vous brûliez tous deux,

Un an de mariage apaise bien des feux.

DAMON.

Ah ! pour diminuer, mes flammes sont trop belles.

 

 

Scène III

 

ANGÉLIQUE, LUCINDE, DAMON, CATOS

 

CATOS.

Ah ! que pour votre amour j’ai de bonnes nouvelles !

Nous irons à la noce ; et, l’hymen achevé...

DAMON.

Madame, votre frère est sans doute arrivé ?

LUCINDE.

Mon frère est-il venu ? Le bonheur où j’aspire...

CATOS.

Non ; ce n’est pas cela que je voulais vous dire.

DAMON.

Sais-tu quand il revient ? Et peux-tu là-dessus

Nous apprendre... ?

CATOS.

Moi ? Non ; je n’en sais rien non plus.

ANGÉLIQUE.

Que viens-tu donc nous dire ? Elle est bonne, ou je meure !

CATOS.

Que l’Espérance vient d’arriver tout à l’heure.

DAMON.

Qu’est-ce que l’Espérance ? As-tu perdu le sens ?

LUCINDE.

Un valet que mon frère avait depuis longtemps,

Et qu’il a fait sergent dedans sa compagnie.

DAMON.

Puisqu’il revient sans lui, je crains bien qu’il n’oublie...

LUCINDE.

 

Sachons ce qui l’amène, et puisqu’il est ainsi,

Rentrons dans le logis.

CATOS.

Madame le voici.

 

 

Scène IV

 

LUCINDE, DAMON, ANGÉLIQUE, CATOS, L’ESPÉRANCE

 

L’ESPÉRANCE.

Madame, serviteur à votre compagnie,

Fussiez-vous trente.

ANGÉLIQUE.

Bon, j’aime cette saillie.

L’ESPÉRANCE, donnant un billet à Lucinde.

Votre frère est gaillard, et ce billet contient...

ANGÉLIQUE.

Il se porte fort bien ?

L’ESPÉRANCE.

Mieux qu’à lui n’appartient.

Suivant l’ordre que j’ai d’avoir soin du bagage,

Je suis venu devant avec son équipage.

Jarnidié, quels chemins ! allez, notre mulet

A dansé sur la route un diable de ballet.

Ah ! le maudit pays, en hiver, que la Flandre !

Mon capitaine vient, qui pourra vous l’apprendre.

LUCINDE.

J’appréhendais pour lui quelque incommodité.

L’ESPÉRANCE.

Bon ! il but l’autre jour tant à votre santé,

Que, douze heures après, il était encore ivre.

DAMON.

Fort bien. Enfin il vient.

LUCINDE.

Sa lettre me délivre

De la peine où j’étais. L’attendras-tu ?

L’ESPÉRANCE.

Moi ? Non ;

Il faut que je retourne à notre garnison.

LUCINDE.

Quoi ! sitôt ?

L’ESPÉRANCE.

J’en enrage, ou la peste me tue.

LUCINDE.

Mais, quoi faire ?

L’ESPÉRANCE.

Mordié, mener une recrue :

Mais avant que quitter les faubourgs de Paris,

Ma foi, je prétends boire avec mes bons amis.

Je veux renouveler certaine connaissance...

Bonjour, Catos.

CATOS.

Bonjour, Monsieur de l’Espérance.

ANGÉLIQUE.

Ainsi l’hymen dans peu va flatter votre amour.

LUCINDE.

Il me mande qu’il vient, sans en marquer le jour.

Quand pourrons-nous jouir du plaisir de sa vue ?

L’ESPÉRANCE.

Dès que le commissaire aura fait la revue.

On l’attendait. Sitôt qu’il sera délogé,

Ils sont vingt officiers qui prendront leur congé.

Allez, assurez-vous qu’il ne tardera guère.

LUCINDE.

J’aurai bien du plaisir à voir ici mon frère :

Mais votre oncle a-t-il su de vous que votre amour.

Pour se donner à moi, n’attend que ce retour ?

Car vous savez combien son avec nous importe.

DAMON.

Non ; mais enfin pour moi sa tendresse est trop forte,

Pour ne pas approuver l’éclat d’un si beau feu :

Cependant, comme il faut en ménager l’aveu,

Je vais, pour l’obtenir, me rendre à sa demeure.

Je vous quitte à regret, et reviens dans une heure.

 

 

Scène V

 

LUCINDE, ANGÉLIQUE, L’ESPÈRANCE, CATOS

 

L’ESPÉRANCE.

Elles vont toutes deux jaser jusqu’à demain ;

Et je meurs de soif.

CATOS.

Viens dans le logis.

 

 

Scène VI

 

ANGÉLIQUE, LUCINDE

 

ANGÉLIQUE.

En vain

Ton amour s’alarmait, et toute autre en ta place...

LUCINDE.

Il est vrai ; mais L’aveu de l’oncle m’embarrasse ;

Je crains qu’il ne L’obtienne assez malaisément,

Et qu’il ne soit surpris d’un pareil compliment.

ANGÉLIQUE.

Parce qu’il a du bien, tu crains qu’il ne s’oppose ?...

LUCINDE.

Ma crainte cesserait, si c’en était la cause :

Cet oncle m’est suspect, tu veux savoir pourquoi ?

ANGÉLIQUE.

Oui.

LUCINDE.

C’est que ce parent est amoureux de moi ;

Il m’aime, à ce qu’il dit, d’une ardeur peu commune ;

Il me suit en tous lieux, partout il m’importune,

S’obstine à m’en parler : voyant que sur ce point...

ANGÉLIQUE.

Quel est donc ce parent ? Ne le connais-je point ?

LUCINDE.

Le bon sens avec lui paraît incompatible ;

Son abord est choquant, et la mine risible ;

Son air, quoique bourgeois, est fort particulier,

Son entretien plaisant, et même familier.

ANGÉLIQUE.

Ne me diras-tu point aussi comme on le nomme ?

LUCINDE.

Monsieur le Blanc.

ANGÉLIQUE.

Ce doit être un fort plaisant homme ;

Je ne le connais point ; mais dessus ton récit...

LUCINDE.

Son corps fait cependant honneur à son esprit ;

Il m’a, par ses discours divertie et surprise ;

Il ne dit pas deux mots, sans dire une sottise :

Il choque, en se montrant, beaucoup moins qu’en parlant,

Et je crois...

ANGÉLIQUE.

Ah, grands dieux ! le douloureux galant !

Cousine, ordonne-lui quelques grains d’ellébore.

LUCINDE.

Ce n’est pas encor tout.

ANGÉLIQUE.

Aurait-il pis encore ?

LUCINDE.

Oui, sans doute, et ce fou devrait être lié.

ANGÉLIQUE.

Que peut-il donc avoir ?

LUCINDE.

C’est qu’il est marié.

ANGÉLIQUE.

Ce magot ?

LUCINDE.

Il a même une femme bien faite ;

Il m’en fait un mystère, et me conte fleurette,

Comme s’il aspirait à me donner sa foi.

ANGÉLIQUE.

Et, lorsqu’impunément il se moque de toi,

Je gage que tu fais la sotte, la honteuse.

LUCINDE.

Oui, certaines raisons me rendent scrupuleuse.

ANGÉLIQUE.

Ah ! si j’en étais crue, avant qu’il fût demain,

Ce Monsieur le galant verrait bien du chemin,

Et je le bernerais de la belle manière.

LUCINDE.

À suivre cet avis je serais la première ;

Mais il est de Damon et l’oncle et le tuteur,

Et tu vois...

ANGÉLIQUE.

Je vois bien ce qui te tient au cœur ;

Tu crains apparemment que, vengeant cet outrage,

Ce parent irrité ne nuise au mariage.

LUCINDE.

Il doit le ménager ; outre qu’il a son bien,

Tu sauras que Damon doit hériter du sien :

Comme il n’a point d’enfants, tout ce bien le regarde ;

Damon assurément, le perd, s’il le hasarde ;

Et je ne prétends pas qu’il se prive pour moi...

ANGÉLIQUE.

Sait-il bien que son oncle est amoureux de toi ?

LUCINDE.

De peur de les brouiller, j’en ai fait un mystère ;

Outre que c’est un feu que j’ai cru devoir taire.

Le temps...

ANGÉLIQUE.

Si ce parent refuse son aveu,

Crois-moi, laide-moi faire, et nous verrons beau jeu :

Je me charge du soin de le rendre traitable ;

Je sais, pour le berner, un moyen admirable.

LUCINDE.

Quel ?

ANGÉLIQUE.

Je te le dirai.

LUCINDE.

S’il n’y veut consentir,

Il faudra l’éprouver, et nous en divertir ;

Voilà Monsieur le Blanc.

ANGÉLIQUE.

Ah ! la bonne figure !

Tu voudrais l’épargner ? Ah ! c’est malice pure.

Que j’aurai de plaisir à rire à ses dépens !

LUCINDE.

Évitons-le, il pourrait m’aborder.

ANGÉLIQUE.

J’y consens.

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR LE BLANC, MADAME LE BLANC

 

MADAME LE BLANC.

Où voulez-vous aller ? Je ne sais point d’affaire...

M. LE BLANC.

Ma divine moitié, vous n’en avez que faire :

Si vous voulez me plaire, il faut changer de ton.

MADAME LE BLANC.

Il fera bientôt nuit.

M. LE BLANC.

Eh ! m’enlèvera-t-on ?

MADAME LE BLANC.

Si vous revenez tard ?

M. LE BLANC.

On m’ouvrira la porte.

MADAME LE BLANC.

On tua l’autre nuit un homme.

M. LE BLANC.

Que m’importe ?

MADAME LE BLANC.

À vingt pas du logis, hier on en vola deux,

Jusques à leurs habits.

M. LE BLANC.

Hé bien ! tant-pis pour eux.

MADAME LE BLANC.

Ne vaudrait-il pas mieux... ?

M. LE BLANC.

Il vaudrait mieux vous taire.

MADAME LE BLANC.

Quand on aime un mari...

M. LE BLANC.

L’on fait ce qu’on doit faire.

MADAME LE BLANC.

Si l’on vous attaquait ?

M. LE BLANC.

Il faudrait financer.

MADAME LE BLANC.

Et si l’on vous blessait ?

M. LE BLANC.

Je me ferais panser.

MADAME LE BLANC.

Cependant...

M. LE BLANC.

Cependant, en un mot, comme en mille,

De vos Si mal placés la fuite est inutile :

D’un soin tout différent nous voulons nous piquer,

Vous, de me contredire ; et moi, de m’en moquer.

MADAME LE BLANC.

Les moments, loin de vous, me semblent des années.

Faut-il que, sans vous voir, je passe des journées ?

Et que, loin d’un époux chéri comme le mien...

M. LE BLANC.

Pénélope fut bien dix ans sans voir le sien.

MADAME LE BLANC.

Quel chagrin croyez-vous que ce mépris me donne,

À moi qui ne sors point, et qui ne vois personne.

Qui toujours renfermée, et seule, ne consens...

M. LE BLANC.

Ouvrez votre fenêtre, et voyez les passants ;

Je ne l’empêche pas.

MADAME LE BLANC.

De l’humeur dont vous êtes,

Il vous fallait pour femme une de ces coquettes,

Qui près d’elle toujours eût quelque favori

Tout prêt à réparer l’absence d’un mari ;

Qui se fît, vous montrant une tendresse feinte,

Un sujet de plaisir du sujet de ma plainte,

Et pour qui votre cœur faiblement convaincu...

M. LE BLANC.

Je vous entends, j’ai tort de n’être pas cocu ;

Je dois m’y préparer, ma chère, et c’est dommage

Qu’une moitié semblable ait été mon partage :

Votre honneur désormais ne me répond de rien,

Et vous vous repentez d’être femme de bien.

MADAME LE BLANC.

Mais enfin ?

M. LE BLANC.

Mais enfin, voilà votre morale,

Voilà le but où tend votre mercuriale.

MADAME LE BLANC.

Vous prenez mal la chose, et ce jaloux transport

Explique à contre-sens...

M. LE BLANC.

Il est vrai, j’ai grand tort ;

Par ce raisonnement vous me faites connaître

(Que je ne le suis pas, mais que je devrais l’être,

Et que votre devoir consiste désormais

À me faire porter...

MADAME LE BLANC.

Mais je dis...

M. LE BLANC.

Point de mais :

Pour faire des galants, le prétexte est honnête.

MADAME LE BLANC.

Vous savez...

M. LE BLANC.

Laissez-moi, vous me rompez la tête ;

Vous me feriez encor quelqu’autre sot discours.

MADAME LE BLANC.

Si...

M. LE BLANC.

Morbleu ! laissez-moi, vous raisonnez toujours.

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR LE BLANC, seul

 

De pareils animaux, la moitié d’une paire,

Si l’on n’y tient la main, donne plus d’une affaire.

Où diable a-t-elle pris ce beau raisonnement ?

Veut-elle, concluant ainsi directement,

Insinuer en moi, par ses raisons obliques,

Le tranquille sang-froid des maris pacifiques ?

Ou si quelque soupçon de mon nouvel amour

La fait, pour m’imiter, servir de ce détour ?

Mais voici mon neveu, je pense qu’il murmure.

 

 

Scène IX

 

MONSIEUR LE BLANC, DAMON

 

M. LE BLANC.

Qu’avez-vous, Chevalier de la triste figure ?

Quelque sept-et-le-va vous a-t-il maltraité ?

(Quelque coup de cornet aurait-il transplanté,

Par un nouvel effet d’un malheur sans ressource,

Dans un corps étranger, l’âme de votre bourse ?

DAMON.

Non.

M. LE BLANC.

D’un pic et capot le désordre outrageant

Vous aurait-il laissé sans joie et sans argent ?

DAMON.

Non.

M. LE BLANC.

Sur un trente-et-un, quelqu’indiscret quarante

Ne vous a-t-il point fait visite trop fréquente ?

Ou bien si c’est d’ailleurs quelque nouveau malheur

Qui fait faire une éclipse à votre belle humeur ?

DAMON.

D’une autre passion mon âme sent l’atteinte ;

Le jeu n’a point de part au sujet de ma plainte ;

Et je serais enfin heureux jusqu’à ce jour,

Si le jeu dans mon cœur n’eût fait place à l’amour.

M. LE BLANC.

Voilà du fruit nouveau ! Doncques, pour quelque Belle,

Mon doucereux neveu, vous en avez dans l’aile ?

DAMON.

Oui, je cède, mon oncle, à des charmes puissants ;

L’hymen est le seul but du beau feu que je sens :

Jamais tant de vertu jointe à tant de mérites.

N’a fait voir...

M. LE BLANC.

J’en crois plus encor que vous n’en dites,

Et je crois que l’on doit voir devant ses appas,

Les roses et les lys mettre pavillon bas.

Mais vous trouverez bon, mon cadet, qu’on vous dise

Qu’il est toujours trop tôt pour faire une sottise,

Et que, quoi que l’amour vous promette de doux,

Le nombre des maris n’est que trop grand sans vous ;

Qu’il faut, quand l’hymen tient notre cœur en balance,

Ensevelir l’amour dans un drap de prudence,

Que j’ai, pour en juger, suffisamment vécu,

Et que dans la famille il suffit d’un cocu.

DAMON.

Votre femme est trop sage, et fait assez connaître...

M. LE BLANC.

Si je ne le suis pas, je suis en train de l’être.

DAMON.

Loin que d’un tel soupçon mon feu soit altéré,

Mon oncle, la vertu m’est un gage assuré :

Je veux bien vous ouvrir mon âme avec franchise.

Étant votre neveu, c’est par votre entremise

Que je dois ménager...

M. LE BLANC.

Je vois tout le secret :

Étant votre tuteur à votre grand regret,

Vous voulez que je parle au père de la Belle.

DAMON.

C’est un frère qu’elle a, qui doit disposer d’elle ;

Il arrive à Paris dans peu pour voir sa sœur.

Dès qu’il sera venu, pour faire mon bonheur,

Parlez-lui ; l’intérêt d’une ardeur peu commune

Joint à ceux de l’amour celui de ma fortune :

Cette Belle a du bien ; ma vie et mon repos

Dépendent du succès...

M. LE BLANC.

C’est-à-dire, en deux mots,

Que ses biens à l’hymen vous feront condescendre,

Et que sur votre front vous mettez : Place à vendre.

Hé bien ! j’en suis d’accord ; mais saurons-nous son nom ?

DAMON.

C’est Lucinde.

M. LE BLANC.

Comment ? Parler-vous tout de bon ?

C’est...

DAMON.

Lucinde.

M. LE BLANC, à part.

Morbleu ! je meurs d’amour pour elle.

DAMON.

Vous la pouvez connaître, elle est et jeune et belle.

M. LE BLANC.

Cette Belle ferait bien lasse de sa peau,

Et vous êtes pour elle un plaisant étourneau !

DAMON.

Pourquoi ne faut-il pas que ma flamme y prétende ?

Si son mérite est grand, la gloire en est plus grande.

M. LE BLANC.

Il est vrai ; mais enfin ce ferait la tromper,

Et dans un tel dessein je ne veux point tremper :

Car, puisque vous voulez qu’enfin on vous le die,

De quel air passez-vous et le temps et la vie ?

Quoique vous ne soyez que le fils d’un banquier,

Vous vous faites nommer monsieur le Chevalier,

Et vous êtes de ceux dont la chevalerie

N’eut jamais à Paris d’Ordre que l’industrie :

De ces gueux fainéants, de qui l’air est coquet,

Dont le sort est écrit sur les os d’un cornet,

Dont les Commandeurs ,ont les Carmes et les Sannes ;

Et qui font chez Fredoc[1] toutes leurs caravanes.

Il faut que vous ayez toujours dans vos festins

Des escrocs qu’on ne voit que chez les libertins ;

Des gosiers toujours secs, puisqu’il faut qu’on s’explique ;

Des diseurs de bons mots, des brailleurs en musique,

De ces chanteurs oisifs, dont l’ardeur d’entonner,

Sur les charmes d’un air, hypothèque un dîner,

Et qui payent chez vous, se trouvant dans leur centre,

Aux dépens de leur voix, le tribut à leur ventre.

Vous voulez faire en tout l’homme de qualité.

Tantôt, à la faveur d’un carrosse emprunté,

Bigarré du fatras de vingt modes nouvelles,

Vous allez, au grand trot, du berlan chez les Belles ;

Et l’on vous voit au cours, sur le déclin du jour,

Aussi fier qu’un bourgeois qui porte un deuil de cour.

DAMON.

Songez que mon amour...

M. LE BLANC.

Il n’est amour qui tienne,

Votre façon d’agir quadre mal à la sienne ;

Vos parolis fréquents, et souvent mal placés,

Lui feraient bientôt voir ses louis éclipsés ;

Et vous pourriez porter, vivant à votre guise,

Un bois de cerf pour timbre, et J’en tiens, pour devise.

C’est un petit malheur dont je veux vous parer.

DAMON.

Voulez-vous me réduire à ne rien espérer ?

À l’amour que je sens devenez moins contraire.

M. LE BLANC.

Mais il n’en fera rien, et je n’en veux rien faire :

Taisez-vous.

DAMON.

Si mon cœur à l’aimer destiné...

M. LE BLANC.

Taisez-vous, vous dit-on, pupille suranné.

DAMON.

Je me tais, et de peur de vous mettre en colère,

Je m’éloigne de vous.

M. LE BLANC.

Vous ne sauriez mieux faire.

 

 

Scène X

 

MONSIEUR LE BLANC, seul

 

Ceci n’est pas mon compte, et ce jeune coquet

A pu charmer Lucinde avecque son caquet ;

Puisqu’il l’aime à ce point, on peut l’aimer de même.

Cependant je l’adore, et, depuis que je l’aime,

Je n’ai point de repos, je maigris tous les jours,

L’amour a mis chez moi la raison en décours.

Je la suis en tous lieux ; mais quoi que l’on en die,

Je veux absolument rompre cette partie.

Le dessein que je fais est un peu dangereux :

Mais il faut hasarder, si l’on veut être heureux.

Je l’aime, elle le sait, mes soins l’ont fait connaître ;

Voyons-la. Que sait-on ? Je lui plairai peut-être.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

LUCINDE, CATOS

 

CATOS.

Quoi ! ce Monsieur le Blanc fait l’amoureux de vous,

Comme s’il espérait devenir votre époux ?

Et, quoique marié, ce magot vous fait croire,

Qu’à se donner à vous il met toute sa gloire,

Qu’il veut vous épouser ? Le fourbe !

LUCINDE.

Chaque jour

Il me suit, il m’aborde, il me parle d’amour :

Et même à notre hymen Damon dit qu’il s’oppose ;

Je m’en étais doutée, et j’en savais la cause.

CATOS.

Mais enfin ce chagrin n’est pas fort de saison ;

Votre cousine va vous en faire raison :

Le piège qu’on lui tend, flatte votre espérance ;

Je le trouve plaisant, et j’en ris par avance.

Le hasard semble exprès, pour cet amant transi,

Envoyer les habits de votre frère ici :

La cousine en met un, en attendant qu’il vienne :

Vous la verrez tantôt faire le capitaine :

Elle est d’un enjouement qu’on ne peut exprimer ;

Dans ce nouvel habit elle vous va charmer ;

Et si Monsieur le Blanc est homme de parole,

Vous m’allez voir jouer un assez plaisant rôle.

Sait-il... ?

LUCINDE.

Oui, je lui dis à la porte hier au soir,

Qu’à quelqu’heure aujourd’hui je prétendais le voir.

Je feignis de l’aimer, je lui fis bonne mine,

Et je suivis en tout l’ordre de ma cousine.

CATOS.

Dieu sait s’il va venir au rendez-vous en feu,

De l’humeur dont il est, après un tel aveu !

Ce singe, vous croyant folle de sa figure,

Voudra venir au fait, avant que de conclure,

Et croira que céans dès la première fois,

Il n’aura qu’à souffler et remuer les doigts.

Que nous pourrons donner, après cette aventure,

Aux hommes trop coquets, de bonne tablature !

C’est bien à des maris à faire les galants !

On leur garde, ma foi, des filles de quinze ans !

Encor si ce magot était un homme à plaire...

LUCINDE.

Hé bien ?...

CATOS.

Eh !... L’on verrait ce que l’on pourrait faire.

LUCINDE.

Sa femme doit servir au stratagème aussi,

Et Damon s’est chargé de l’amener ici ;

Et comme dans la chose elle est intéressée,

Elle y contribuera ; du moins c’est ma pensée.

CATOS.

Reposez-vous sur nous du succès de vos feux.

Nous allons le berner, en vous servant tous deux.

Prenez-vous en à moi, si vous n’êtes contente.

Mais Damon vient, je pense, avecque sa parente.

 

 

Scène II

 

LUCINDE, MADAME LE BLANC, DAMON, CATOS

 

DAMON.

Voilà ce qui se passe, et ce que l’on résout ;

En nous divertissant, nous en viendrons à bout ;

J’en fus, en l’apprenant, surpris comme vous l’êtes.

LUCINDE, allant saluer madame le Blanc.

Il faut la recevoir. L’honneur que vous me faites

Me reproche en secret une civilité,

Dont mon respect pour vous devrait s’être acquitté ;

Et les soins du mari n’ont plus rien qui m’irrite,

Puisqu’à son amour seul je dois cette visite.

MADAME LE BLANC.

Je ne m’étonne plus de voir dans mon époux,

Pour moi tant de froideur, et tant d’amour pour vous :

Votre beauté, Madame, à qui tout est possible,

Peut forcer à se rendre une âme moins sensible :

Vos appas font si grands, et leur éclat est tel...

LUCINDE.

Ce qu’on en voit en vous, le rend plus criminel.

DAMON.

Ces discours obligeants font voir, de part et d’autre,

Des soins que votre sexe usurpe sur le nôtre.

Je pourrais, pour l’entendre, être assez complaisant :

Mais comme un autre soin nous occupe à présent,

Allons voir si tantôt votre aimable cousine

Exécutera bien tout ce qu’elle imagine,

Et si son enjouement pourra bien soutenir...

LUCINDE.

Il n’en est pas besoin, car je la vois venir.

MADAME LE BLANC.

On ne peut être mieux, et j’aurais de la peine...

 

 

Scène III

 

LUCINDE, ANGÉLIQUE, vêtue en Capitaine du Régiment du Roi, DAMON, CATOS, L’ESPÉRANCE, MADAME LE BLANC

 

ANGÉLIQUE.

L’Espérance ? Mes gens ?

L’ESPÉRANCE.

Plaît-il, mon Capitaine ?

ANGÉLIQUE.

Bon cela. Souviens-toi...

L’ESPÉRANCE.

Je sais bien.

ANGÉLIQUE.

Chevalier,

Dites-moi, sentons-nous un peu notre Officier ?

À Lucinde.

Que dites-vous de nous ? Ce port, cette manière,

À votre avis, ma chère, est-elle cavalière ?

Avons-nous le bon air ? Croyez-vous que le Roi

Ait bien des Officiers qui soient faits comme moi ?

LUCINDE.

Qu’elle est bien !

L’ESPÉRANCE.

Elle a l’air, dedans cet équipage,

De ces petits fripons qu’on fait sortir de page,

Pour envoyer à Malte apprendre leur métier.

ANGÉLIQUE.

Monsieur le Blanc, de moi, n’aura pas grand quartier.

Apparemment, voilà votre belle parente ?

Je suis son serviteur, et même sa servante :

Pour peu que vous vouliez seconder nos desseins,

Votre époux va tomber en d’assez bonnes mains ;

Et ce tour doit vous faire admirer notre zèle,

Puisque c’est un moyen de le rendre fidèle.

MADAME LE BLANC.

J’ai promis à Damon de suivre vos avis.

 

 

Scène IV

 

ANGÉLIQUE, LUCINDE, CATOS, MADAME LE BLANC, DAMON, L’ESPÉRANCE, LA BRIE

 

LUCINDE.

Qu’est-ce ?

LA BRIE.

Monsieur le Blanc est proche du logis.

On m’avait commandé de voir par la fenêtre,

Et, sitôt qu’il viendrait, d’en avertir mon maître.

ANGÉLIQUE.

Fort bien. Catos, c’est toi qui dois le recevoir.

CATOS.

Je sais bien ma leçon, je ferai mon devoir.

MADAME LE BLANC.

Mais si par mon mari vous êtes reconnue... ?

ANGÉLIQUE.

Comment me reconnaître ? il ne m’a jamais vue,

Ni mon cousin non plus. Que craindrait-on de lui ?

Tout est bien concerté, je prétends aujourd’hui

Vous donner un plaisir qui n’ait rien qui l’égale.

Mais je les vois venir, entrons dans cette salle.

 

 

Scène V

 

M. LE BLANC, CATOS

 

M. LE BLANC.

Oui, Madame Catos, vous m’en voyez charmé ;

Et je viens, de plaisir et de joie affamé,

Voir, si par un bonheur qui passe mon mérite,

Je puis faire céans une heureuse visite.

CATOS.

Vous savez que Lucinde a souhaité vous voir,

Et qu’elle vous le dit elle-même hier au soir.

M. LE BLANC.

Oui, ma chère ; dis-moi, penses-tu qu’elle m’aime ?

CATOS.

Ah ! Monsieur !...

M. LE BLANC.

Quoi ? Poursuis.

CATOS.

Cent fois plus qu’elle-même.

M. LE BLANC.

Mon air lui plaît ?

CATOS.

Hélas ! il lui semble si doux... !

M. LE BLANC.

Elle m’aime ?

CATOS.

Elle meurt, Monsieur, d’amour pour vous.

M. LE BLANC.

La friponne ! Instruis-moi de toute sa tendresse.

CATOS.

Elle parle de vous, et soupire sans cesse :

Elle passe les nuits à vous faire pitié ;

Moi-même, de ses maux je souffre la moitié :

Elle se plaint si fort, que, la nuit toute entière,

Je l’entends, et ne puis en clore la paupière.

M. LE BLANC.

Va, va, si le succès peut seconder mes vœux,

Je vous ferai bientôt mieux dormir toutes deux :

Je veux que par mes soins vous soyez soulagées,

Et que...

CATOS.

Nous vous serons, Monsieur, bien obligées.

M. LE BLANC.

Avec un peu de temps je veux pourvoir à tout :

Mais puisqu’à me souffrir Lucinde se résout,

Ne la verrai-je pas ?

CATOS.

Dans la chambre prochaine

Je croîs qu’elle entretient Monsieur le Capitaine.

M. LE BLANC.

Un Capitaine ! D’où ?

CATOS.

Du régiment du Roi ;

Son frère : il est ici pour quelque temps, je croi ;

Il vint, pour nos péchés, hier au soir.

M. LE BLANC.

Quel homme est-ce ?

CATOS.

Un petit enragé, qui ferraille sans cesse :

Jamais homme ne fut de si mauvaise humeur,

Car il est étourdi, mutin, fier, querelleur,

Brave comme un César, mais brutal, et capable...

M. LE BLANC.

Ces pestes d’officiers sont querelleurs en diable.

CATOS.

Quand sa fougue le prend, Monsieur, pour moins d’un rien,

Comme on tue un poulet, il tuerait un chrétien :

Mais aussi quelque jour il jouera de son reste ;

Il en a tué dix depuis six mois.

M. LE BLANC.

La peste !

Avec de tels bretteurs il faut filer bien doux.

S’il me voyait céans ?...

CATOS.

Ce serait fait de vous,

Monsieur ; il vous tuerait ; et toute notre adresse...

M. LE BLANC.

Je m’en vais faire un tour ; et verrai ta maîtresse ;

Quand il n’y sera plus.

CATOS.

Quoi ! sortir sans la voir !

Ah ! ce serait, Monsieur, la mettre au désespoir.

Pourquoi vous éloigner ?

M. LE BLANC.

Ne t’en mets point en peine.

CATOS.

Mais si Lucinde sait... ?

M. LE BLANC.

Mais si le capitaine

Vient à voir ma figure, et se tient insulté,

Je me garantis mort à perpétuité.

CATOS.

Si ce n’est que cela, vous la pouvez attendre ;

Je me garderai bien de vous laisser surprendre :

Au pis-aller, Monsieur, il faudra vous cacher.

Allez, rassurez-vous, je m’en vais la chercher ;

Si son frère paraît, cachez-vous, je vous prie.

M. LE BLANC.

Hé bien ! va.

 

 

Scène VI

 

MONSIEUR LE BLANC, seul

 

Tout ceci passe la raillerie ;

Je crains dans mon calcul de m’être mécompté.

Ah ! que mal-à-propos le diable m’a tenté !

Si je m’y connais bien, ce maudit capitaine

Ne ferait pas façon d’ensanglanter la scène.

Ouf, je tremble de peur, dès que j’entends du bruit ;

Le cœur me bat, je crois que c’est lui qui me suit.

Que c’est bien employé ! N’ai-je pas une femme,

Honnête, s’il en est ; qui m’adore dans l’âme ;

Belle, et dont la vertu ne se peut contester ?

Quelle démangeaison me prend de coqueter,

Et de venir chercher, par une sotte envie,

Un moment d’entretien aux dépens de ma vie !

Ah ! dessus ce sujet que j’ai mal raisonné !

Mais si l’on m’y retient, je veux être berné ;

Car j’en aurai la fièvre au moins une semaine.

Ah, morbleu ! je suis mort, voici le capitaine.

Il cherche à se cacher et tombe.

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR LE BLANC, LUCINDE, CATOS

 

LUCINDE.

Ô Dieux ! Monsieur le Blanc, vous êtes-vous bleffé ?

M. LE BLANC, se relevant.

Je dansais la bourrée, et le pied m’a glissé.

Ce n’est rien... Mais que fait Monsieur le capitaine ?

LUCINDE.

Je pense qu’il écrit.

À Catos.

Prends garde qu’il ne vienne.

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR LE BLANC, LUCINDE

 

LUCINDE.

Vous voyez jusqu’où va ma tendresse pour vous,

Et combien le plaisir de vous revoir m’est doux,

Votre mérite est tel, que quelques réprimandes...

M. LE BLANC.

Mon mérite est petit ; mais vos bontés sont grandes.

LUCINDE.

Verrai-je tant d’amour secondé par vos soins ?

Vous ne répondez rien !

M. LE BLANC.

Je n’en pense pas moins ;

Mais je crains qu’on ne trouble un bonheur dont je doute,

Et la peur quelquefois met la joie en déroute.

LUCINDE.

Douter de mon amour ? Lorsque le vôtre obtient...

 

 

Scène IX

 

LUCINDE, MONSIEUR LE BLANC, CATOS

 

CATOS.

Ah ! Monsieur, cachez-vous, le capitaine vient.

M. LE BLANC.

Le fâcheux contretemps !

CATOS.

Sur peine de la vie ;

Gardez de vous montrer.

M. LE BLANC.

Je n’en ai pont d’envie.

LUCINDE.

Je vous quitte à regret.

M. LE BLANC.

Trêve de compliment :

Où faut-il me cacher ?

CATOS.

Dans cet appartement.

M. LE BLANC, à part, en sortant.

Je me fie à Catos, qui me trahit peut-être.

Écoutons-les sans bruit, je pourrai le connaître.

 

 

Scène X

 

ANGÉLIQUE, M. LE BLANC, caché, CATOS

 

ANGÉLIQUE.

Catos, je te cherchais, et, depuis mon retour

À peine ai-je eu le temps de te dire bon jour.

Il ne me souvient point de t’avoir embrassée.

Bas.

Il n’est pas sorti ?

Elle l’embrasse.

CATOS.

Non.

ANGÉLIQUE.

J’ai l’âme embarrassée,

Et je me sens réduit à te dire en deux mots.

À propos.

CATOS.

D’où vient donc, Monsieur, cet À propos.

ANGÉLIQUE.

Avant que de porter plus loin la confidence,

Je veux savoir de toi si, pendant mon absence,

Ma sœur sortait souvent, ou bien si quelqu’amant

Ne la visitait point un peu trop fréquemment ?

M. LE BLANC, caché dans un coin du théâtre.

Je tremble.

CATOS.

Non, Monsieur.

ANGÉLIQUE.

Une fille, à cet âge,

Est ordinairement plus coquette que sage.

CATOS.

Elle était toujours seule, et jamais ne sortait,

À moins que...

ANGÉLIQUE.

Par la mort ! si quelqu’un s’y frottait,

Je lui ferais passer un fort méchant quart d’heure.

CATOS.

On n’a garde, Monsieur.

ANGÉLIQUE.

On fait bien, ou je meure.

CATOS.

Elle est trop vertueuse, et l’on le sait trop bien.

ANGÉLIQUE.

Changeons donc de discours. Dis-moi, par ton moyen,

Ne saurais-je revoir cette jeune bourgeoise...

CATOS.

Je vous entends, Monsieur : Pourquoi non ?

M. LE BLANC, à part.

La matoise

Est de plus d’un métier.

ANGÉLIQUE.

Catos, depuis deux ans

J’ai songé mille fois à tous les doux moments

Que j’ai passes près d’elle, et de toutes les Belles...

CATOS.

Elle m’a demandé vingt fois de vos nouvelles.

ANGÉLIQUE.

M’aimerait-elle encore ?

CATOS.

En doutez-vous ?

ANGÉLIQUE.

Hélas !

La verrai-je ?

CATOS.

Pourquoi ne la verriez-vous pas ?

Cette Belle, ma foi, serait bien dégoûtée,

Si vous ne lui plaisiez : car pour moi...

M. LE BLANC, bas.

L’effrontée !

ANGÉLIQUE.

Mais puis-je en espérer... ?

CATOS.

Je vous réponds, Monsieur,

Qu’elle vous recevra du meilleur de son cœur.

ANGÉLIQUE.

Catos, va, s’il se peut, savoir de cette Belle,

Si je la pourrai voir ou céans ou chez elle.

CATOS.

Pour chez elle, Monsieur, néant.

ANGÉLIQUE.

Et pourquoi non ?

CATOS.

C’est que je ne sais point son logis, ni son nom ;

Comme elle est mariée, elle craint le scandale.

ANGÉLIQUE.

Comment faisais-tu donc, lorsque, par intervalle ;

Tu l’amenais céans ?

CATOS.

La veuve d’un bourgeois

Chez qui j’allais apprendre à coiffer autrefois,

Quand je lui veux parler, va chercher cette Belle ;

Tandis que je l’attends, et pour raison, dit-elle,

Tait son nom. Vous savez que, par honnêteté,

Il faut garder en tout de la fidélité.

Ce que je sais le mieux de cette belle Brune,

C’est qu’elle a pour époux un chercheur de fortune ;

Un pied-plat qui la suit ; et qu’on dit, pour la voir,

Qu’on va pour la coiffer.

ANGÉLIQUE.

Que j’en conçois d’espoir !

Ne perds donc point de temps ; et, si ton soin m’oblige,

Sois sûre...

CATOS.

Vous aurez contentement, vous dis-je :

Cela ne se pourra, si je n’en viens à bout.

J’y cours, et je vous viens rendre raison de tout.

M. LE BLANC, à part.

L’obligeante Catos lui va chercher la Belle.

Morbleu ! fût-il déjà dans sa chambre avec elle.

ANGÉLIQUE.

L’Espérance ?

 

 

Scène XI

 

ANGÉLIQUE, M. LE BLANC, caché, L’ESPÉRANCE

 

L’ESPÉRANCE.

Monsieur ?

M. LE BLANC, bas.

Il ne sort point d’ici.

ANGÉLIQUE.

Viens-çà.

M. LE BLANC, bas.

Le grand fripon que paraît celui-ci !

ANGÉLIQUE.

As-tu vu mon cousin ? A-t-il fait ma recrue ?

L’ESPÉRANCE.

Oui, je vous en réponds.

ANGÉLIQUE.

Mais enfin l’as-tu vue ?

M’a-t-il fait vingt soldats comme il m’avait promis ?

L’ESPÉRANCE.

Il n’en a que dix-neuf, mais ils sont bien choisis ;

Il ne faut point, Monsieur, après eux, qu’on en cherche :

Ils sont, mordié ! tretous aussi grands qu’une perche.

Je les ai fait toiser moi-même dans sa cour ;

Ils ont six pieds de haut, et trois grands pieds de tour,

Et des barbes, morbleu ! qui les rendent plus graves...

ANGÉLIQUE.

Sont-ils braves à voir ?

L’ESPÉRANCE, riant.

Morgué, s’ils n’étaient braves,

Les voudrais-je emmener ?

ANGÉLIQUE.

C’est parler de bon sens ;

Mais à la garnison il faut mener ces gens :

Comme tu ne m’es plus à Paris nécessaire,

Tu partiras...

L’ESPÉRANCE.

Demain, et j’en fais mon affaire

Préparez de l’argent.

ANGÉLIQUE.

C’est fort bien raisonné.

L’ESPÉRANCE.

Votre œil est aujourd’hui bien émerillonné !

Vous avez votre compte ?

ANGÉLIQUE.

Oui, j’ai l’âme contente ;

Catos me fait revoir, pour flatter mon attente,

Cette jeune Beauté que tu vis une fois...

L’ESPÉRANCE.

Je sais bien, je sais bien ; la femme d’un bourgeois,

Qui venait quelquefois vous tenir compagnie ?

ANGÉLIQUE.

Elle-même, et je dois...

L’ESPÉRANCE.

Peste, qu’elle est jolie !

Dieu sait si le mari... Plaît-il, Monsieur ?

ANGÉLIQUE.

Tais-toi,

Quelqu’un vient, laisse-nous, c’est elle que je voi.

 

 

Scène XII

 

ANGÉLIQUE, MADAME LE BLANC, M. LE BLANC, caché, CATOS

 

CATOS.

À vingt pas du logis, j’ai rencontré Madame.

ANGÉLIQUE, la saluant.

Que mon bonheur est grand !

M. LE BLANC, à part.

La peste ! c’est ma femme !

ANGÉLIQUE.

Depuis que j’eus l’honneur de vous voir en ce lieu,

Rien ne m’a tant touché que ce funeste adieu ;

L’absence a fait sentir à mon âme amoureuse

Tout ce qu’elle a de rude.

MADAME LE BLANC.

Est-il bien vrai ?

M. LE BLANC.

La gueuse !

ANGÉLIQUE.

Mais puisque mon bonheur me fait vous retrouver,

C’est en vous embrassant que je le veux prouver :

Je veux, puisque pour moi votre ardeur s’intéresse,

Que mon empressement seconde ma tendresse.

CATOS.

Là donc ! comme elle fait la prude auprès de lui !

Quand vous ne vous seriez jamais vus qu’aujourd’hui !

M. LE BLANC.

La coquine !

ANGÉLIQUE.

Je crois en deviner la cause ;

L’amour pour votre époux à mon bonheur s’oppose ?

MADAME LE BLANC.

Hélas ! quelque charmant que puisse être un époux,

Que ne souffre-t-on point d’un homme comme vous ?

Ah ! si jamais le fort secondait mon envie...

ANGÉLIQUE.

Hé bien ?

MADAME LE BLANC.

Je vous verrais tous les jours de ma vie.

M. LE BLANC.

Fort bien !

ANGÉLIQUE.

Pour un amant qui meurt pour vous d’amour,

C’est et trop de bontés et de joie en un jour.

J’ai pour vous une ardeur qui n’a rien qui l’égale.

Mais, comme tout le monde abonde en cette salle,

Ce lieu n’est pas fort propre à vous bien recevoir,

Et pour vous y souffrir, je sais trop mon devoir.

MADAME LE BLANC.

Entrons, puisque le sort permet que je vous voie.

ANGÉLIQUE, rentrant.

Catos ?

CATOS, rentrant aussi.

Monsieur ?

 

 

Scène XIII

 

MONSIEUR LE BLANC, seul

 

Voilà la marchande de joie.

L’affront que l’on me fait, ne m’est que trop connu,

Et l’aveu qu’on en fait, n’est que trop ingénu.

Voilà de ces serpents, de ces pestes publiques,

Qui trafiquent d’honneur par de sourdes pratiques,

Et dont l’art, secondant les soins d’un favori,

Feint de coiffer la femme, et coiffe le mari.

Et vous, notre moitié, qui devenez commune,

Vous avez donc des gens qui vous cherchent fortune ?

Pour le premier venu vous vous laissez tenter,

Et souffrez sans façon qu’on vous vienne emprunter ?

Ah ! parbleu, vous irez entre quatre murailles,

De vos folles amours faire les funérailles,

Et vous irez apprendre en une autre maison

À mettre de niveau l’amour et la raison.

Peut-être qu’au moment que je tiens ce langage,

Monsieur le capitaine et ma femme... Ah, j’enrage !

Ne nous contraignons plus, faisons du bruit ; je veux

Et les chercher... et leur... chanter pouille à tous deux.

Mais s’il m’allait tuer ? Non, perdons cette envie,

Il est plus d’une femme, et l’on n’a qu’une vie :

Il est mutin en diable, et Catos me l’a dit.

Taisons-nous, attendons qu’elle... J’entends du bruit.

 

 

Scène XIV

 

MONSIEUR LE BLANC, CATOS

 

CATOS.

Il faut faire sortir notre amoureux.

M. LE BLANC.

C’est elle :

Sortons, assez longtemps c’est être en sentinelle.

CATOS.

Il s’est fallu, Monsieur, contraindre jusqu’au bout :

Mais vous vous êtes bien ennuyé ?

M. LE BLANC.

Point du tout.

Le moyen, quand on voit des intrigues si drôles ?

CATOS.

Avec des jeunes gens on fait d’étranges rôles.

M. LE BLANC.

Oui, sans doute, et cela ne se peut autrement.

CATOS.

N’en faites point, Monsieur, de mauvais jugement.

J’ai, sur le point d’honneur, trop de délicatesse :

Mais vous savez que, quand on sert de la Jeunesse,

Et qu’on y fait son compte, il vaut mieux consentir...

M. LE BLANC.

Bon ! ne sais-je pas bien qu’il faut se divertir ?

Monsieur le capitaine aime fort cette Belle ?

CATOS.

Cela n’est pas croyable.

M. LE BLANC.

Et cette damoiselle

L’aime fort ?

CATOS.

Oui, Monsieur.

M. LE BLANC.

Présentement... Je crois...

CATOS.

Ils se sont embrassés déjà plus de cent fois.

M. LE BLANC.

Ta maîtresse saura, si tu lui veux apprendre,

Que je suis son valet.

CATOS.

Mais, Monsieur, où vous prendre ?

Si l’on vous veut parler ? Ou logez-vous ?

M. LE BLANC.

Trop loin.

CATOS.

Je vous irais chercher.

M. LE BLANC.

Il n’en n’est pas besoin.

CATOS.

Dites votre logis : ma maîtresse est capable,

L’ignorant...

M. LE BLANC, à part.

On le sait trop bien, de par le diable !

Haut.

Que l’on me laisse aller, je la verrai dans peu.

CATOS.

Puisque vous le voulez, adieu, Monsieur.

M. LE BLANC.

Adieu.

 

 

Scène XV

 

CATOS, seule

 

Il meurt de jalousie et de colère ensemble.

J’ai bien joué mon rôle : et voilà, ce me semble,

Pour un commencement assez bien débuté.

Allons songer au reste, et rire en liberté.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

ANGÉLIQUE, LUCINDE

 

LUCINDE.

Catos ?

ANGÉLIQUE.

Que lui veux-tu ?

LUCINDE.

Qu’est-elle devenue ?

ANGÉLIQUE.

Tu rappelles en vain.

LUCINDE.

L’aurait-on retenue ?

ANGÉLIQUE.

Je ne crois pas.

LUCINDE.

Comment ! nous suivrait-elle ?

ANGÉLIQUE.

Non.

LUCINDE.

Elle était avec nous chez la sœur de Damon.

ANGÉLIQUE.

Il est vrai ; mais je viens de l’envoyer en ville,

Et le loin que tu prends, cousine, est inutile.

LUCINDE.

Et quoi faire ?

ANGÉLIQUE.

Chercher monsieur le Blanc.

LUCINDE.

Pourquoi ?

ANGÉLIQUE.

Pour lui rendre un poulet de ta part.

LUCINDE.

Mais, dis-moi,

Que contient-il ?

ANGÉLIQUE.

Il est fort galant et fort tendre.

LUCINDE.

Ton enjouement, cousine, a de quoi me surprendre.

ANGÉLIQUE.

Écoute, laisse-moi ménager ton amour ;

Je veux me divertir tout le reste du jour ;

J’en sais bien le moyen. Toi, sans me contredire,

Ne t’informe de rien, et ne songe qu’à rire.

LUCINDE.

On peut sur ton début croire qu’avec le temps...

ANGÉLIQUE.

Notre monsieur le Blanc a bien donné dedans :

Il croit de bonne-foi sa femme...

LUCINDE.

Je t’avoue

Que ton air goguenard mérite qu’on te loue :

Il serait malaisé de mieux faire l’amant,

Et tu devrais être homme avec tant d’enjouement.

ANGÉLIQUE.

Si le ciel m’avait fait homme, comme il le pense,

Ma foi, j’aurais été coquet à toute outrance :

J aurais su, pour vanter ma peine et mon ardeur,

Mentir en courtisan, et jurer en joueur ;

J’aurais, pour me pouvoir rendre maître d’une âme,

Appelle les cadeaux au secours de ma flamme ;

J’aurais vu fréquemment les Belles sans témoins ;

J’aurais été flatteur, j’aurais rendu des soins,

Et pressé de si près les blondes et les brunes,

Que j’aurais eu ma part des meilleures fortunes.

LUCINDE.

Tu pourrais te tromper.

ANGÉLIQUE.

Je ne sais, mais enfin

Un cœur, pour m’échapper, m’aurait semblé bien fin.

LUCINDE.

Mais, puisque tu prétends porter plus loin la chose

Avec monsieur le Blanc, et que l’on s’y dispose,

Il fallait retenir sa femme.

ANGÉLIQUE.

Point du tout ;

Pour juger du dessein, attends jusques au bout.

LUCINDE.

Outre qu’elle pouvoir nous être nécessaire,

Son mari pourrait bien chez lui, dans sa colère,

Prenant ce qu’il a vu pour une vérité,

En venir avec elle à quelque extrémité.

ANGÉLIQUE.

Damon prendra ce soin, il la mène, et se flatte,

En la justifiant, d’empêcher qu’il n’éclate :

Il n’est pas violent, il connait son humeur,

Outre que leur défaite est prête.

LUCINDE.

J’aurais peur...

ANGÉLIQUE.

Tais-toi, je l’aperçois, évitons-le ; et, pour cause,

Allons dans le logis préparer chaque chose.

 

 

Scène II

 

M. LE BLANC, seul

 

Ma femme ne vient point, elle se trouve bien,

Et son honneur, je crois, fait bon marché du mien :

Mon affront est certain, je sais trop qu’on m’offense ;

Mais je ne sais comment j’en dois tirer vengeance.

Si je fais de l’éclat, tout Paris le saura,

Et d’un doigt, pour le moins, chacun me montrera.

Si je feins d’ignorer son amour et ma honte,

Demain, sur nouveaux frais, j’en aurai pour mon compte.

Si je la fais raser de mon autorité,

Elle se pourvoira contre ma cruauté :

Les juges là-dessus sont sans miséricorde.

Si je la fais mourir, il y va de la corde.

Comment diable punir un semblable animal ?

Le remède partout est pire que le mal.

Chacun vit des effets dont on souffre les causes ;

Car si, comme on devrait, on mettait ordre aux choses,

Pour le bien du public, n’établirait-on pas

Des cocus consultants, comme des avocats ?

Leur conseil au besoin... Mais j’aperçois la Belle,

Et monsieur l’officier n’a plus que faire d’elle :

Mon neveu l’accompagne. Il faut dissimuler.

 

 

Scène III

 

M. LE BLANC, MADAME LE BLANC, DAMON

 

M. LE BLANC, à Damon qui lui fait la révérence.

Serviteur.

À sa femme.

Venez-vous de vous faire enrôler ?

MADAME LE BLANC.

Comment donc ?

M. LE BLANC.

Venez-vous de voir faire revue ?

Les Belles du marais, font elles leur recrue ?

Avez-vous mis en vain ces mouches et ce point ?

Et la coiffeuse enfin... ?

MADAME LE BLANC.

Je ne vous entends point.

M. LE BLANC.

Taisez-vous, effrontée.

DAMON.

Eh ! mon oncle, de grâce...

M. LE BLANC.

Mon Dieu ! mon cher neveu, ce mystère vous passe.

Vous parlez sans savoir. Taisez-vous, vous ferez,

Quand vous serez cocu, comme vous l’entendrez.

MADAME LE BLANC.

À de pareils discours je ne puis rien comprendre.

DAMON.

Mais, si votre dessein est de vous faire entendre,

Expliquez...

M. LE BLANC.

Je commence enfin à m’échauffer.

Une femme chez qui l’on apprend à coiffer,

Ne vous ménage pas les lieux où l’on vous mène ?

Vous ne sortez jamais, et certain Capitaine,

Vous embrassant d’abord, bras dessus, bras dessous,

N’a pas tantôt chez lui... ? Plaît-il ? M’entendez-vous ?

MADAME LE BLANC.

Pour flatter son amour, j’aurais trahi le vôtre ?

DAMON.

Qui peut vous avoir fait de tels discours ?

M. LE BLANC.

À l’autre !

Vous plait-il de vous taire ? Enfin, jusques au bout

Vous pensez-vous tirer d’affaire en niant tout ?

Vous croyez que quelqu’un, pour se faire de fête,

M’a fait récit du bois dont on charge ma tête ;

Et que j’en fais grand bruit, quand je le crois le moins :

Mais voilà la partie, et voilà les témoins.

Montrant son front et ses yeux.

J’ai vu de ces deux yeux leur abord et ma honte :

C’est par moi que je sais que j’en ai pour mon compte.

Elle faisait la belle, il s’en disait charmé ;

Et la friponne enfin l’a si bien empaumé,

Que ce beau capitaine a, sans cérémonie,

Commandé, moi présent, chez lui, ma compagnie.

D’un endroit où j’avais pris soin de me placer,

Je les ai vu tous deux se parler, s’embrasser,

Et, cherchant à se voir une secrète voie,

Faire de cent baisers un prologue à leur joie.

DAMON.

Cela n’est pas possible ! un projet si hardi

Aurait pu s’être fait... ?

M. LE BLANC.

Peste de l’étourdi !

Cette tête à l’évent me prend pour quelque grue.

Hé bien ! qu’en dites-vous ?

MADAME LE BLANC.

Que, si vous m’avez vue,

Sans venir faire ici cet éclaircissement,

Vous pouviez me confondre allez facilement :

Qu’il fallait vous montrer, cette voie était sûre.

Que ne paraissiez-vous ?

M. LE BLANC.

Ah ! voilà l’enclouure !

DAMON.

Il est vrai, vous deviez vous montrer, et tout haut

Lui dire...

M. LE BLANC.

Malepeste ! il y faisait trop chaud ;

Quand on risque sa vie, il n’est femme qui tienne,

Et j’avais ma raison, comme elle avait la sienne.

MADAME LE BLANC.

Il l’a rêvé sans doute, et ne se souvient plus

Que c’est l’effet d’un songe.

M. LE BLANC.

À d’autres là-dessus !

Je ne sais que trop bien ce qu’il faut que j’en pense.

Rentrez, morbleu ! rentrez, et craignez ma vengeance ;

Je suis de vos amours un assez bon témoin.

DAMON.

Mon oncle... !

M. LE BLANC.

Mon neveu, vous prenez trop de soin.

 

 

Scène IV

 

M. LE BLANC, DAMON

 

DAMON.

On doit pour une femme avoir quelque scrupule.

M. LE BLANC.

Il est vrai, je devrais avaler la pilule,

Et dire galamment, sans me rendre importun,

Que le mal n’est plus mal, quand il est si commun ;

Me rendre sur ce point traitable comme un autre.

C’est votre sentiment, mais ce n’est pas le nôtre ;

De ces conseils bénins l’usage est bel et bon :

Cependant...

DAMON.

Cependant sur un simple soupçon

Vous...

M. LE BLANC.

Vous êtes un fat, et votre esprit s’érige...

DAMON.

Mais...

M. LE BLANC.

Vous êtes un sot avant terme, vous dis-je.

On vous dit qu’on a vu...

DAMON.

Sur la foi de ses yeux,

Croit-on que ce qu’on voit, soit ce qu’on sait le mieux ?

Il faut, pour avérer une semblable offense,

D’avec la vérité détacher l’apparence,

Ne pas croire toujours des sentiments si bas.

M. LE BLANC.

Et que croirai-je donc ? ce que je ne vois pas ?

Parbleu ! votre morale est d’un admirable homme !

Lorsque je parle à vous, faut-il vous croire à Rome ?

Ou gager sottement, sur votre beau discours,

Que vous êtes muet, quand vous jasez toujours ?

J’ai tout vu : mon offense est-elle assez prouvée ?

DAMON.

L’étrange opinion ! où l’aurais-je trouvée,

Pour lui donner la main, et la conduire ici ?

M. LE BLANC.

En quelque lieu d’honneur où vous étiez aussi ;

Ce n’est pas pour tous deux une choie nouvelle.

DAMON.

Je sors de chez ma sœur, où j’étais avec elle ;

Elle n’a vu que nous depuis qu’elle est dehors.

M. LE BLANC.

Et vous en répondez ?

DAMON.

J’en réponds.

M. LE BLANC.

Corps pour corps ?

DAMON.

Elle a trop de pudeur, et trop de retenue,

Pour souffrir...

M. LE BLANC.

Comment diable ! aurais-je eu la berlue ?

DAMON.

Outre que j’en réponds, elle sait son devoir :

Vos yeux se sont trompés, vous avez cru la voir ;

Vous avez, sans sujet, blessée son innocence,

Sans doute ; et c’est l’effet de quelque ressemblance.

Non, que si cet affront était bien avéré,

Ce courroux, à mon sens, ne fût trop modéré :

Mais quand on blâme à tort des femmes vertueuses,

De semblables éclats ont des suites fâcheuses.

Des exemples du temps, faites-vous des leçons :

Les soupçons mal fondés sont toujours des soupçons.

Ces doutes indiscrets dont l’âme est obsédée,

De l’affront qu’on se fait laissent toujours l’idée.

Il n’est dans les esprits jamais bien effacé ;

Ce bruit fait son effet, quand on le croit cessé ;

Sur la foi d’un mari, le monde s’abandonne

À taxer la pudeur de celle qu’il soupçonne,

Et ne peut présumer, s’il a trop éclaté,

Qu’elle ait de la vertu, puisqu’il en a douté.

M. LE BLANC.

Comme vous dites.

DAMON.

Si depuis peu sa conduite

D’un amour apparent vous fait craindre la suite,

Éclaircissez-vous en sans vous mettre en courroux ;

Tâchez de la convaincre, et pour lors vengez-vous.

M. LE BLANC.

Il a presque raison.

DAMON.

De peur de vous détruire.

Ne faites jusques-là rien qui puisse vous nuire ;

D’un repentir sans fruit épargnez-vous l’ennui.

M. LE BLANC.

L’avis n’est point mauvais, et je puis aujourd’hui

La convaincre de tout avec un peu d’adresse,

Et je sais un moyen... Serviteur.

DAMON.

Je vous laisse.

 

 

Scène V

 

MONSIEUR LE BLANC, seul

 

Il raisonne assez bien, je puis m’être trompé,

Et la peur peut enfin m’avoir préoccupé :

La voyant de côté, la moindre ressemblance

A pu de mes soupçons causer la violence :

Je n’ai pu la bien voir ; mais je saurai bientôt

Si l’amour conjugal est chez elle en défaut.

Quelque précaution qu’elle mette en pratique,

J’ai trouvé le secret de la voir sans réplique ;

J’imagine le tour qu’elle prévoit le moins.

Tâchons de voir Catos, j’ai besoin de les soins ;

L’éclat de mes louis la tentera sans doute.

Et je veux m’éclaircir enfin, quoi qu’il m’en coûte.

Cherchons-la, je prétends, en sortant de ces lieux,

Que... Mais tout-à-propos elle s’offre à mes yeux.

 

 

Scène VI

 

M. LE BLANC, CATOS

 

CATOS.

Je vous ai tant cherché, que j’en suis hors d’haleine.

Ma foi, depuis une heure, et plus, je me promène,

Monsieur ; et grâce à votre opiniâtreté,

J’ai bien été grondée, et j’ai bien arpenté.

M. LE BLANC.

Pourquoi ?

CATOS.

Pour n’avoir pu dire votre demeure,

Lucinde s’est d’abord emportée, et sur l’heure

M’a donné ce billet, et m’a bien défendu

De rentrer au logis, qu’il n’ait été rendu.

Quoique, pour l’apaiser, je ne fusse où vous prendre,

La peur de l’irriter m’a fait tout entreprendre,

Et m’a fait regarder, d’ici jusques chez nous,

Vingt courtauds fous le nez que je prenais pour vous.

Ce billet vous dira si sa peine est cruelle,

Et si l’on doit...

M. LE BLANC.

Voyons du style de la Belle,

Depuis votre départ je suis au désespoir,

Et d’un ennui si grand votre absence est suivie,

Que j’aime autant perdre la vie,

Que l’espérance de vous voir,

Venez me rassurer, si ma perte vous touche,

Rétablir mon repos d’un mot de votre bouche ;

Et vous ressouvenez, pour ne m’alarmer plus,

Et me faire régler mon amour sur le vôtre,

Que les moments qu’on passe éloignés l’un de l’autre,

Sont autant de moments perdus.

LUCINDE.

Le billet est pressant, et la sœur tient du frère ;

Tous deux aiment l’intrigue, et tous deux, sans mystère,

Cherchent secrètement à ménager leurs feux,

Et la bonne Catos sert d’agente à tous deux.

Bien loin de s’en fâcher, elle n’en fait que rire.

CATOS.

Il serait à présent trop tard pour s’en dédire ;

Ils m’ont prise chez eux, Monsieur, pour être à tout,

Mais ne viendrez-vous pas ?

M. LE BLANC.

Il faut voir jusqu’au bout.

À part.

Oui, oui, j’irai. Ma femme y reviendra peut-être ;

Haut.

Et nous verrons beau jeu. Mais prends garde à ton maître,

Il m’a tantôt pensé faire mourir de peur.

CATOS.

Ne craignez rien de lui. Jusqu’au revoir, Monsieur.

M. LE BLANC.

Viens-çà, viens-çà : j’ai bien autre chose à te dire.

Comme tu fais plaisir à quiconque aime à rire,

Et que tu sais enfin, en faveur des galants,

Ce que chaque quartier a d’honneurs chancelants,

Serais-ru bien d’humeur à chercher une voie

De ménager pour nous un quart d’heure de joie ?

CATOS.

Que veut dire cela ?

M. LE BLANC.

C’est-à-dire, en deux mots,

Que la coiffeuse peut beaucoup pour mon repos :

Que pour elle et pour toi je ferai sans réserve,

Si vous voulez... Enfin il n’est qu’un mot qui serve ;

Voici la question. J’aime autant qu’on le peut

Cette belle bourgeoise à qui ton maître en veut :

Oui, sa beauté tantôt m’a charmé, je l’adore,

Et je meurs du désir de la revoir encore.

Si tu veux établir ton bonheur et le sien,

Fais que j’aye avec elle une heure d’entretien ;

Tu peux, pour me servir, employer ta compagne :

Ma chère, mets pour moi la coiffeuse en campagne.

CATOS.

Quoi ! vous aimez Lucinde, et voulez en conter ?

Si, comme tout se sait, elle se peut douter

De votre amour nouveau, que pourra-t-elle dire ?

M. LE BLANC.

Rien, ma pauvre Catos. Va, ce n’est que pour rire.

Je ne veux lui parler qu’un moment.

CATOS.

Je ne puis.

Cette femme n’est pas...

M. LE BLANC.

Je donne dix louis,

Et ma bague.

CATOS.

On verra ce que l’on pourra faire.

M. LE BLANC.

Que tu fais de façons pour conclure une affaire !

Songe à bien ménager...

CATOS.

Vous serez satisfait.

M. LE BLANC.

Dis-moi : quand ce projet aura-t-il son effet ?

Le plutôt vaut le mieux. Quand verrai-je la Belle ?

Penses-tu que pour nous elle soit fort cruelle ?

CATOS.

Je ne crois pas, Monsieur ; et, si vous lui parlez...

M. LE BLANC.

Où la verrai-je enfin ?

CATOS.

Chez vous, si vous voulez.

M. LE BLANC, à part.

Elle n’y viendrait pas.

Haut.

Non, non ; chez la coiffeuse ;

Je ferai mieux l’aveu de ma flamme amoureuse.

CATOS.

Je le veux.

M. LE BLANC, à part.

Je prévois sa honte à mon aspect,

Quand je verrai ma femme en quelque lieu suspect.

Je vois plus d’un mari rire tête levée,

À qui même aventure est peut-être arrivée.

Haut.

Catos, cela vaut fait.

CATOS.

Je vous réponds de tout.

M. LE BLANC.

J’irai tantôt chez toi.

Seul.

Feignons jusques au bout ;

Je vais revoir ma femme, et veux, à l’amiable,

À son honneur douteux faire amende-honorable,

Et feindre, d’un discours, et d’un air composé,

Pour la mieux abuser, d’être désabusé.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

L’ESPÉRANCE

 

À la fin, Dieu merci, j’ons tout ce qu’il nous faut,

Et je pourrons partir, si je voulons, bientôt :

J’ons mousquets, baudriers, épées, bandouilleres,

Habits, chapeaux, souliers, avec dix-neuf bons frères,

Qui ne cherchent qu’à rire ; et j’espère demain,

Quand j’aurons bû tretous six coups de chaque main,

Prendre joyeusement le chemin de la Flandre.

Mon capitaine, ici, m’avait dit de l’attendre

Un jour ou deux ; mais zeste, il viendra justement

Comme je danse. Il fait en quelqu’endroit l’amant,

Il cajole par tout et petites et grandes :

Dieu sait ce qui s’enfuit. Par ma foi, ces Flamandes

Sont de bonne amitié. Quand je les visitons,

Leurs maris font, morgué ! plus doux que des moutons ;

Il n’est point d’officiers qui ne trouvent fortune ;

Et jusqu’à leurs valets, chacun a sa chacune.

Le bon pays que c’est pour une garnison !

Mais ce raisonnement n’est pas fort de saison ;

Allons tout préparer, et faisons diligence.

 

 

Scène II

 

L’ESPÉRANCE, CATOS

 

L’ESPÉRANCE.

Ah ! Catos, ton valet.

CATOS.

Ah ! bonjour, l’Espérance.

On te cherche partout, et tu dois nous aider...

L’ESPÉRANCE.

Que veut-on ? Me voilà.

CATOS.

Faut-il le demander ?

C’est pour monsieur le Blanc. Angélique elle-même

Prépare, à le berner, un nouveau stratagème :

Pour en venir à bout, elle a besoin de toi.

L’ESPÉRANCE.

Je suis prêt à bien faire, et tu verras...

CATOS.

Dis-moi,

N’a-t-elle pas joué bien plaisamment son rôle

Avec notre galant ?

L’ESPÉRANCE.

Elle est, morgué ! trop drôle :

Elle m’a bien fait rire ; et le pauvre lourdaud...

CATOS.

Tais-toi, nous parlerons de tout cela tantôt.

L’ESPÉRANCE.

Je le veux ; aussi-bien il faut que je t’en conte.

CATOS.

C’est pour une autre fois ; ils font tous là-haut : monte

Pour voir ce qu’on te veut.

L’ESPÉRANCE.

Je te l’ai déjà dit,

Mon amour est bien las de te faire crédit :

Depuis plus de dix ans, tu sais bien que je t’aime,

Pour un baiser au deux, veux-tu...

CATOS.

Veux-tu toi-même

Me laisser en repos ?

ANGÉLIQUE, dans la maison.

L’Espérance ?

L’ESPÉRANCE.

Monsieur ?

CATOS.

Va.

L’ESPÉRANCE, la baisant.

Tu n’en es pas quitte... On y va... Serviteur.

 

 

Scène III

 

CATOS, seule

 

Peste du gros lourdaud ! voyez qu’il prend de peine !

Tu n’as qu’à revenir. M’en voilà hors d’haleine.

Qu’il me tarde de voir notre galant ici !

Sa femme, m’a-t-on dit, devait s’y rendre aussi.

Cependant l’heure approche, et je ne vois personne ;

Il nous payera bien la peine qu’il nous donne.

Le tour qu’on lui prépare est plaisant, sur ma foi !

Sa femme devrait bien venir... Mais je la voi.

 

 

Scène IV

 

MADAME LE BLANC, CATOS

 

CATOS.

Je craignais bien qu’ici vous ne pussiez vous rendre.

MADAME LE BLANC.

À quoi passe le temps Lucinde ?

CATOS.

À vous attendre.

Et moi j’attends aussi que monsieur votre époux

Vienne, comme il a dit, tantôt au rendez-vous.

Angélique et Damon joindront leurs soins aux vôtres.

MADAME LE BLANC.

Que son humeur me plaît !

CATOS.

Elle plaît à bien d’autres.

MADAME LE BLANC.

Je brûle de les voir, pour savoir quelle peur

On lui veut faire encor.

CATOS, l’arrêtant.

Si vous étiez d’humeur

À garder un secret...

MADAME LE BLANC.

Parle, je sais me taire.

CATOS.

Je puis vous confier une assez bonne affaire ;

L’occasion vous rit, et je sais un moyen,

Si vous me promettez que vous n’en direz rien,

De ménager pour vous...

MADAME LE BLANC.

Ah ! ce doute m’offense.

CATOS.

Vous saurez donc...

MADAME LE BLANC.

Hé bien ?

CATOS.

Qu’un galant d’importance

Est amoureux de vous, et que, pour vous gagner,

Il est dans le dessein de ne rien épargner.

Outre ce que pour vous il aura de tendresse,

Il des tas d’écus dont il vous fait maîtresse ;

Et son cœur et son bien sont à vous aujourd’hui,

Si vous voulez palier une heure avecque lui.

Je me suis engagée à vous porter parole,

Et cru vous obliger.

MADAME LE BLANC.

Depuis quand es-tu folle ?

Veux-tu qu’en profitant de tes bonnes leçons

Je donne rendez-vous...

CATOS.

Mon Dieu, que de façons !

Pourquoi non ?

MADAME LE BLANC.

Tu prétends que son argent m’oblige,

Malgré ce que je dois...

CATOS.

Oui, ce galant, vous dis-je,

Verra par des faveurs récompenser son choix,

Et ce ne fera pas pour la première fois.

MADAME LE BLANC.

Pour la première fois ! Tu peux !...

CATOS.

Il me le semble !

Et vous avez passe de bons moments ensemble.

MADAME LE BLANC.

Je commence à trouver ce discours ennuyeux.

C’est porter un peu loin l’insolence à mes yeux ;

Mais tu peux t’assurer que devant que je parte...

CATOS.

Nous ne jurons de rien ; mais nous savons là carte.

Cependant le galant, pour vous voir, doit venir ;

J’ai donné ma parole, et prétends la tenir ;

Il m’a fort bien payée, et m’a donné l’a bague,

Et des louis fort bons. Voyez si j’extravague.

MADAME LE BLANC.

Montre. Je la connais... Je crois...

CATOS.

Cela se peut.

MADAME LE BLANC.

Qu’elle est à mon mari.

CATOS.

C’est lui qui vous en veut.

Depuis qu’il vous a vue en ce lieu si docile,

Il croit que vous allez chercher fortune en ville,

Qu’à faire des galants vous avez du penchant,

Que c’est par mon moyen que vous trouvez marchand.

Et prétend, pour régler ion amour sur le vôtre,

Être pour son argent bien venu comme un autre.

Hé bien ? le verrez-vous tantôt ?

MADAME LE BLANC.

Hélas ! je crains

Qu’il n ait contre mes jours fait d’étranges desseins,

Et que l’on n’ait trop loin poussé la raillerie.

CATOS.

On va, pour l’apaiser, changer de batterie :

Ne vous alarmez point. Dans une heure d’ici

Vous en verrez l’effet. Mais quelqu’un vient ici,

Rentrez ; c’est votre époux. Dites à ma maîtresse

Qu’elle songe à son rôle.

MADAME LE BLANC.

 

 

Scène V

 

MONSIEUR LE BLANC, CATOS

 

M. LE BLANC.

Comment va notre affaire ?

CATOS.

Eh ! tout ira fort bien.

M. LE BLANC.

Bon. Et le capitaine ?

CATOS.

Allez, n’en craignez rien.

M. LE BLANC.

Ce n’est pas sans sujet que ma peur est extrême ;

Et tu sais que tantôt...

CATOS.

Oh ! ce n’est pas de même.

Il est hors du logis, et, pour tout aujourd’hui,

Il est avec un tas de vauriens comme lui,

Pour faire la débauche, et Dieu nous en délivre.

Il faudra que tantôt il crève, ou qu’il s’enivre ;

Et je crois, comme enfin il n’en fait pas façon,

Que, quand nous le verrons, il sera beau garçon.

M. LE BLANC.

Mais comme de Bacchus Vénus aime l’approche,

As-tu pour son retour quelque mignonne en poche ?

De l’humeur dont il est, tu dois prendre ce soin.

CATOS.

Ma foi, je ne crois pas qu’il en ait grand besoin :

C’est pour vous que je veux employer mon adresse.

M. LE BLANC.

C’est bien fait. Mais, dis-moi, verrai-je ta maîtresse ?

Pourrai-je lui parler, et veux-tu t’employer ?

CATOS.

Oui, Monsieur ; attendez, je vais vous l’envoyer.

 

 

Scène VI

 

MONSIEUR LE BLANC, seul

 

Pour finir l’embarras d’un amour qui me gêne,

Je veux tout hasarder, pour soulager ma peine :

Aussi bien, tôt ou tard, Lucinde peut savoir

Que c’est pour la tromper, que je cherche à la voir ;

Et si le capitaine en apprend quelque chose,

Je suis un homme mort. Ainsi je me propose

De voir si, sur l’espoir d’être ma femme un jour,

Lucinde me voudrait prêter un peu d’amour ;

Tâcher de l’engager, voir si par ma morale

Sa sagesse pourrait avoir quelque intervalle ;

Essayer si de nous rien ne la peut tenter,

Et, selon le succès, la suivre ou la quitter.

Lucinde est fille et jeune, innocente, ingénue :

Peu de chose souvent leur donne dans la vue,

Et quand on se prévaut de leur simplicité,

On peut... Mais reprenons un peu de gravité,

La voici.

 

 

Scène VII

 

M. LE BLANC, LUCINDE

 

M. LE BLANC.

Revenu d’une frayeur mortelle,

Je ramène à vos pieds un protestant fidèle,

Passablement poltron : mais nous autres bourgeois,

Qui faisons volontiers l’amour en tapinois,

Nous n’aimons pas le bruit, et, pour sauver sa vie...

LUCINDE.

La vôtre assurément vous eût été ravie ;

Mon frère est si brutal, que je bénis le sort

D’avoir par ce moyen empêché votre mort,

Et je ne puis assez louer votre conduite ;

Mais comme ce malheur peut avoir quelque suite

Qui ferait de l’éclat, empêchons-en le cours ;

Faites, sans différer, l’aveu de nos amours :

De grâce, proposez notre hymen à mon frère.

M. LE BLANC.

S’il s’oppose...

LUCINDE.

Et pourquoi nous serait-il contraire ?

Vous êtes riche ?

M. LE BLANC.

Un peu.

LUCINDE.

Bien fait.

M. LE BLANC.

Sans vanité.

Nous avons le bon air. Pour de la qualité...

LUCINDE.

Ah ! je regarde en vous votre seule personne.

Lui proposerez-vous... Dites donc ?

M. LE BLANC.

Oui, mignonne.

LUCINDE.

S’il y veut consentir, si rien ne le retient,

Quand épouserons-nous ?

M. LE BLANC.

La semaine qui vient.

LUCINDE.

C’est l’unique bonheur ou mon amour aspire.

Quoi ! je ferais à vous ?

M. LE BLANC.

Cela s’en va sans dire.

Si par quelque accident qu’on ne peut pas prévoir,

Cet hymen se devait ou remettre, ou surseoir,

Nous pourrons établir entre nous, sous silence,

Un commerce galant d’hymen de conscience,

Différer pour un temps les bancs et le festin,

Payer au dieu d’hymen un tribut clandestin,

En faveur de nos feux nous rendre un peu crédules,

Brûler de bonne-foi d’un amour sans scrupules,

Faire moins un présent qu’un troc de notre cœur,

Laisser tranquillement mûrir notre bonheur ;

Et, par quelques douceurs ou nous puissions prétendre,

Nous consoler souvent du déplaisir d’attendre.

C’est un expédient qui peut nous rendre heureux.

LUCINDE.

Il est vrai, c’en est un ; mais il est dangereux :

Un pareil mariage...

M. LE BLANC.

Ah ! c’est le plus commode,

Le moins embarrassant, et le plus à la mode.

Quand d’un hymen en forme on avance l’effet,

Le jour qu’on se marie, on ne sait ce qu’on fait.

Dedans l’ardeur que cause un feu qui vient de naître,

On s’engage à l’hymen, sans le savoir connaître ;

Et le bonheur enfin s’y trouve rarement,

Quand le caprice agit sans le discernement :

Autant que l’on le peut, on doit, quoi qu’il arrive,

En matière d’hymen, faire une tentative.

Devant tous les humains, je soutiens qu’il est vrai

Que qui tend à l’hymen en doit faire l’essai ;

Que la joie à ce dieu doit servir d’entremise,

Et que faire autrement, c’est faire une sottise.

LUCINDE.

Que vous raisonnez juste !

M. LE BLANC.

Oh, oh ! cela posé,

Nous pourrons contracter un mariage aisé ;

Sans rien précipiter, nous pourrons, quoi qu’on die,

Ordonner à loisir de la cérémonie,

Du cadeau, des habits. Quant à vos intérêts,

Vous en déciderez ainsi que des apprêts.

LUCINDE.

Rien n’est plus obligeant.

M. LE BLANC.

Si vous êtes contente

D’un époux possédant deux mille écus de rente,

Je suis votre homme, et puis vous en faire présent

Quand je voudrai, demain, ou bien en épousant ;

Et pour vous faire voir à quel point je vous aime,

Vous ferez le contrat, si vous voulez, vous-même ;

Et vous pourrez de plus y mettre, à votre choix,

Si vous le souhaitez la clause des six mois.

LUCINDE.

À vous dire le vrai, j’entends peu les affaires :

Mais comme je vous crois enfin des plus sincères,

À suivre vos avis mon amour se résout.

M. LE BLANC.

Comment !... Vous consentez ?...

LUCINDE.

Oui, je consens à tout.

Dès ce même moment vous avez une femme.

M. LE BLANC, bas.

Elle a raison.

Haut.

Que c’est de gloire pour ma flamme !

LUCINDE.

Vous voyez que pour vous je fais un grand effort ;

Mais, pour m’en dispenser, mon amour est trop fort.

Votre discrétion, jointe à votre tendresse,

Seront, si vous m’aimez, le prix de ma faiblesse.

M. LE BLANC.

Oui, je proteste ici de n’aimer rien que vous,

Et que, pour mériter des sentiments si doux,

Je serai moins sans vous que le corps n’est sans ombre.

Angélique paraît et l’observe.

Je veux, pour le prouver, par des baisers sans nombre,

Dévorer à genoux, et ces mains et ces bras.

Il se met à genoux, en lui baisant la main.

 

 

Scène VIII

 

ANGÉLIQUE, M. LE BLANC, LUCINDE

 

ANGÉLIQUE, lui prenant le bras.

Halte-là, vieux magot ! vous vous baissez trop bas.

M. LE BLANC.

Morbleu ! je suis perdu !

ANGÉLIQUE.

Comment ! en ma présence

Vous lui baisez la main, faquin ! Votre insolence,

À mon insu, céans, attente à mon honneur,

Et vous venez chez moi pour suborner ma sœur !

Et ma honte, et ta mort également certaine,

Feront voir...

Elle tire l’épée, et fait semblant de le vouloir frapper.

M. LE BLANC, baissant la tête.

Ah ! tout doux, monsieur le capitaine.

LUCINDE, la retenant.

Mon frère...

M. LE BLANC.

Je croyais avoir la tête bas.

LUCINDE.

Avant que m’écouter, ne vous emportez pas.

ANGÉLIQUE.

Que faut-il écouter, coquette que vous êtes ?

Vous prêtez donc ainsi l’oreille à les sornettes !

Vous aimez ce vieux singe ! Il vous baise la main !

Par la mort !... Vous saurez...

Elle fait feinte de lui donner de l’épée.

LUCINDE.

Je le nierais en vain.

ANGÉLIQUE.

On me l’avait bien dit, que, contre ma défense,

Vous voyiez un pied-plat céans en mon absence,

Et que de vos amours on murmurait tout bas.

LUCINDE.

Oui, mon frère, il est vrai, je ne m’en défends pas :

De grâce, à cet amour soyez plus favorable,

Il m’a rendu des soins, il m’a trouvée aimable,

Il m’adore, je l’aime, et vous pouvez savoir

Ce que c’est que l’amour, et quel est son pouvoir.

ANGÉLIQUE.

L’amour dont il s’agit apprend-il qu’une fille

Et de nobles parents, et d’illustre famille,

Doit faire un tel affront à toute une maison ?

LUCINDE.

L’amour prend-il toujours avis de la raison ?

ANGÉLIQUE.

Ah ! pour vous en punir, je prendrai peu des vôtres :

Ce galant servira d’exemple à tous les autres.

Elle le menace de l’épée.

M. LE BLANC.

Hélas !

ANGÉLIQUE.

Vous apprendrez à respecter en moi

Un capitaine en pied du régiment du Roi.

Dieu me damne ! Et pour vous, je vous tiendrai bien fine,

Si vous faites jamais l’amour à la sourdine.

LUCINDE.

Non, non ; j’attends de vous une plus douce loi :

J’espère que le sang vous parlera pour moi ;

Que, malgré ce courroux, vos bontés que j’implore,

Donneront à mes pleurs un amant que j’adore.

Non ; je ne puis penser que vous blâmiez ce choix,

Surtout quand vous saurez que c’est un bon bourgeois,

Qui m’aime d’une ardeur et sincère et confiante,

Qui m’offre, avec son cœur, deux mille écus de rente,

Qui prétend m’épouser, et me donner la main,

Si vous y consentez, mon frère, et dès demain.

ANGÉLIQUE.

Monsieur a, dites-vous, deux mille écus de rente,

Et veut vous épouser ?

LUCINDE.

Oui.

ANGÉLIQUE.

Vous êtes contente

De l’avoir pour époux ?

LUCINDE.

Mon amour affermi...

ANGÉLIQUE. Elle l’embrasse.

En ce cas, je rengaine, et je suis son ami.

Excusez le transport qu’une douleur mortelle

A causé contre vous.

M. LE BLANC.

C’est une bagatelle.

À part.

Nos affaires vont mieux.

ANGÉLIQUE.

Vous aimez donc sa sœur ?

M. LE BLANC, bas.

Feignons.

Haut.

Terriblement.

ANGÉLIQUE.

Et nous faites l’honneur

De la vouloir choisir pour être votre femme ?

M. LE BLANC.

Ah ! l’honneur m’en demeure.

Bas.

Il est bon sur mon âme.

ANGÉLIQUE.

Vous avez amassé de grands biens par vos soins ?

M. LE BLANC.

Deux fois vingt-mille écus parisis, pour le moins ;

Et, pour les augmenter, tous les jours je m’occupe.

À part.

Le drôle croit avoir déjà trouvé sa dupe.

ANGÉLIQUE.

Bien loin de m’opposer à des feux si constants,

Je veux contribuer à vous rendre contents :

J’aime à voir tant d’amour, et déjà par avance

Je vous aime en beau-frère.

Elle lui touche dans la main.

M. LE BLANC.

Ah ! trop d’honneur.

ANGÉLIQUE.

Je pense

Que pour l’hymen mes soins ne vous déplairont pas.

M. LE BLANC.

Tant s’en faut.

ANGÉLIQUE.

Je vais tout disposer de ce pas ;

Et, pour vous faire voir combien je veux vous plaire ;

L’Espérance ?

 

 

Scène IX

 

L’ESPÉRANCE, ANGÉLIQUE, M. LE BLANC, LUCINDE

 

L’ESPÉRANCE.

Monsieur ?

ANGÉLIQUE.

Va quérir un notaire,

Je vous fais marier dans ce même moment.

M. LE BLANC.

Me marier, Monsieur l’Espérance ?

ANGÉLIQUE.

Comment !

M. LE BLANC.

Ne précipitons rien, s’il vous plaît.

ANGÉLIQUE.

Cette voie,

En nous comblant d’honneur, assure votre joie,

Et quand l’amour est fort, il est hors de saison...

M. LE BLANC.

N’importe, différons de grâce, et pour raison.

ANGÉLIQUE.

Et pourquoi différer ? Va, dépêche, et l’amène.

 

 

Scène X

 

ANGÉLIQUE, LUCINDE, M. LE BLANC

 

M. LE BLANC, bas.

Ah ! me voilà gâté !

Haut.

N’en prenez pas la peine.

Demeurez. Attendez. Ah, morbleu ! que d’ennuis !

ANGÉLIQUE.

Quelle est votre raison ?

M. LE BLANC.

Monsieur...

ANGÉLIQUE.

Hé bien ?

M. LE BLANC.

Je suis

Un homme... qui...

ANGÉLIQUE.

Comment ? Quelles mines vous faites !

M. LE BLANC.

Je vous dis que je suis...

ANGÉLIQUE.

Ma sœur dit que vous êtes

Un honnête bourgeois, et m’assure, de plus,

Que votre revenu monte à deux mille écus.

M. LE BLANC.

Il est vrai...

ANGÉLIQUE.

Je n’en veux pas savoir davantage.

M. LE BLANC.

Mais, Monsieur... Vous saurez...

ANGÉLIQUE.

Cela suffit.

M. LE BLANC, à part.

J’enrage.

ANGÉLIQUE.

Mais pour être assuré de ma sœur et de vous,

Je prétends qu’à l’instant vous soyez son époux :

C’est vous parler Français ; si votre amour m’oblige,

Ces détours à la fin...

M. LE BLANC.

Monsieur, je suis, vous dis-je...

J’ai pour certaine affaire... un certain embarras...

Attendons à demain.

ANGÉLIQUE.

Cela ne se peut pas ;

Demain je prends la porte, et je retourne en Flandre.

Ma sœur, ainsi que moi, se lasserait d’attendre,

Et je veux aujourd’hui vous la voir épouser.

M. LE BLANC.

Ah ! je vois bien qu’en vain je veux temporiser.

Hé bien ? si vous voulez en savoir davantage,

Je suis...

ANGÉLIQUE.

Quoi ?

M. LE BLANC.

Marié, Monsieur, et j’en enrage.

ANGÉLIQUE.

Vous avez une femme, et subornez ma sœur !

Ah, ventre ! vous mourrez.

Elle tire l’épée.

Ah ! la vie.

 

 

Scène XI

 

ANGÉLIQUE, LUCINDE, M. LE BLANC, L’ESPÉRANCE

 

L’ESPÉRANCE, retenant Angélique.

Eh, Monsieur !

Quartier.

ANGÉLIQUE.

Moi, l’épargner ? Non, non ; il faut qu’il meure.

M. LE BLANC.

Miséricorde, hélas !

L’ESPÉRANCE.

Comme ce vieux fou pleure !

ANGÉLIQUE.

Il mourra de ma main.

L’ESPÉRANCE.

Eh ! ne le tuez pas :

Morgue, vous savez bien qu’il nous faut vingt soldats,

Je n’en ons que dix-neuf, qu’il fasse le vingtième.

Il portera fort bien un mousquet.

M. LE BLANC.

Moi ?

L’ESPÉRANCE, à part, à M. le Blanc.

Vous-même.

M. LE BLANC.

Je suis trop pacifique, et c’est mon grand défaut.

ANGÉLIQUE.

Hé bien ! j’en suis d’accord : qu’on l’enrôle au plutôt ;

Et le conduis demain, avecque la recrue,

À notre garnison.

M. LE BLANC.

Ah ! cet ordre me tue.

Me mener à la guerre ! Ah ! j’aime autant périr,

J’y mourrai tous les jours de la peur de mourir.

Monsieur, de bonne-foi, je suis poltron en diable.

Ayez pitié de moi, je suis inconsolable.

ANGÉLIQUE, à l’Espérance.

Tu répondras de lui.

M. LE BLANC.

J’aime autant le trépas,

Que d’aller à la guerre.

ANGÉLIQUE.

Hé bien ! tu n’iras pas,

Tu seras satisfait ; et je te vais, infâme,

Faire, à travers ton corps, un passage à ton âme.

Mettant la main à son épée.

M. LE BLANC.

J’irai, Monsieur, j’irai, quoique poltron et vieux ;

Et mourir pour mourir, le plus tard vaut le mieux.

LUCINDE.

Vous avez une femme ?

ANGÉLIQUE, à Lucinde.

Évitez ma présence,

Coquette, et redoutez l’éclat de ma vengeance.

 

 

Scène XII

 

ANGÉLIQUE, M. LE BLANC, L’ESPÉRANCE

 

ANGÉLIQUE, à M. le Blanc.

Tu prends le bon parti.

À l’Espérance.

Qu’on le fasse sans bruit

Partir devant le jour, ou même cette nuit.

Fais-le équiper de tout.

L’ESPÉRANCE, bas, à Angélique.

J’aurai soin de l’aubade,

Reposez-vous sur moi. Suivez-moi, camarade.

M. LE BLANC.

Camarade ! Le gueux ! ce goujat, sans façon,

Vit avec moi déjà de pair et compagnon.

L’ESPÉRANCE.

Je suis, parbleu ! ravi que vous soyez des nôtres.

M. LE BLANC.

Fort bien. Avec le temps nous en verrons bien d’autres.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

LUCINDE, DAMON

 

DAMON.

Est-il bien vrai, Madame ?

LUCINDE.

Oui, je viens de savoir

Que mon frère, au plus tard, arrivera ce soir.

DAMON.

Mon malheur désormais n’a plus rien qui m’étonne ;

Et charmé de l’espoir que ce retour me donne,

Je me flatte de voir que mon cœur et mes soins,

Après un tel aveu, ne vous plairont pas moins ;

Qu’en faveur d’un amour que vous avez fait naître.

Vous voudrez bien permettre au vôtre de paraître,

Et souffrir que j’ajoute, en me donnant à vous,

Au nom de votre amant, celui de votre époux.

LUCINDE.

Si je sais jusqu’où va pour moi votre tendresse,

Vous connaissez pour vous combien je m’intéresse ;

Je ne puis jusques-là vous rien dire de plus :

Mais, sans perdre de temps en discours superflus,

Voyons par quel moyen nous pourrons faire en sorte

D’avoir pour cet hymen l’aveu qui nous importe.

Ma cousine est là-haut, et, sans sortir d’ici,

Nous en pourrons savoir...

DAMON.

Madame, la voici.

 

 

Scène II

 

LUCINDE, ANGÉLIQUE, DAMON, MADAME LE BLANC

 

ANGÉLIQUE.

Vous craignez ?

MADAME LE BLANC.

Oui, je crains, quand vous serez connue...

ANGÉLIQUE.

Ne vous alarmez point, je réponds de l’issue.

DAMON.

Votre cousine sent son petit libertin.

ANGÉLIQUE.

Hé bien ! ai-je bon air à faire le mutin ?

DAMON.

Oui sans doute. Que fait monsieur le Blanc ? Je pense...

ANGÉLIQUE.

Il est entre les bras du brave l’Espérance :

Il est, quoique grossier, assez dépaysé ;

Il en rendra bon compte.

DAMON.

Il sera donc aisé...

ANGÉLIQUE.

Je vous ai tantôt dit ce que vous devez faire.

DAMON.

Il m’en souvient, Madame, et j’en fais mon affaire.

ANGÉLIQUE.

Catos secondera vos soins. Quant à l’effet...

L’Espérance paraît, sachons ce qu’il a fait.

 

 

Scène III

 

LUCINDE, ANGÉLIQUE, DAMON, MADAME LE BLANC, L’ESPÉRANCE

 

L’ESPÉRANCE, en riant.

Ce que j’ons fait ? Morgué ! j’avons fait des merveilles :

Si quelqu’un l’entend mieux, je donne mes oreilles.

Votre monsieur le Blanc est un drôle de corps !

Il voudrait, pour un bras, pouvoir être dehors ;

Je viens de l’enrôler, et d’orner sa figure,

En me divertissant, d’un bon habit de bure ;

De l’équiper de tout : mais le régal était

De voir, en l’habillant, comme il se tourmentait ;

Pour en venir à bout, il fallait des machines ;

Et c’était le plaisir, car il faisait des mines

Et des contorsions qui vous auraient fait peur :

J’en ai ri tout mon saoul. Je voudrais de bon cœur

Que vous l’eussiez pu voir : la peste me renie !

Cela valait, morgué ! mieux qu’une comédie.

Il tâche à se résoudre, et croit que de ce pas...

ANGÉLIQUE.

Mais où l’as-tu laissé ?

L’ESPÉRANCE.

Je l’ai laissé là-bas

Avec ces aigrefins que je mène à l’armée ;

Qui lui soufflent au nez du tabac en fumée ;

Plus ils faisont les fous, plus il est sérieux.

ANGÉLIQUE.

Il est bien étonné de se voir avec eux ?

L’ESPÉRANCE.

Oui, ma foi ; car ce sont d’assez bonnes figures.

ANGÉLIQUE.

Ah ! que pour mon dessein j’ai mal pris mes mesures !

Avecque son épée il blessera quelqu’un.

L’ESPÉRANCE.

Bon ! son épée, et rien, Madame, c’est tout un.

Vous verrez là-dessus son attente trompée ;

J’ai tantôt fait river le bout de son épée.

ANGÉLIQUE.

Le brave l’Espérance entend à demi-mot.

L’ESPÉRANCE.

Je ne nous mouchons pas de la patte d’un sot,

Madame ; et Dieu merci j’y mettons bien la nôtre.

ANGÉLIQUE.

Il faut que ce discours fasse place à quelqu’autre.

Commençons.

L’ESPÉRANCE.

Je l’entends, il a fait bande à part.

Si vous voulez bien rire, écoutez-le à l’écart.

Ils se retirent tous dans un des coins du théâtre.

 

 

Scène IV

 

M. LE BLANC, seul, avec son habit de soldat

 

Quel équipage ! hélas ! ma peine est sans seconde,

Il faut aller en Flandre ou bien en l’autre monde ;

Me voir en garnison, pour me sauver de pis,

Et quitter pour jamais la vie, ou mon pays.

C’en est fait, me voilà, malgré ma résistance,

Soldat de la façon de monsieur l’Espérance ;

Ce fripon m’a donné deux écus malgré moi,

M’a fait boire sans soif à la santé du Roi,

A paré vingt pieds-plats de semblables jaquettes,

A mis, en marmottant, mon nom sur ses tablettes ;

A troqué de son chef, sans consulter mon choix,

En habit de goujat, mon habit de bourgeois ;

S’est moqué du malheur où mon amour m’expose,

Et s’est fait mon parrain ; pour m’appeler la Rose.

Si, pour me consoler, et pour servir le Roi,

Tous les cocus venaient en Flandre avecque moi,

Je pourrais me vanter, malgré la raillerie,

D’aller en garnison en bonne compagnie.

Si je trouvais moyen de sortir de céans...

Mais j’aperçois Catos, prenons mieux notre temps.

 

 

Scène V

 

M. LE BLANC, CATOS

 

M. LE BLANC.

Elle pleure, je crois. Qu’as-tu, ma chère ? Écoute.

CATOS, faisant la pleureuse.

Vous avez mis céans, Monsieur, tout en déroute.

Et notre maître...

M. LE BLANC.

Hé bien ?

CATOS.

Il est pis qu’enragé :

Là-haut, en vous quittant, il a tout ravagé ;

Lucinde aurait sans nous essuyé sa colère ;

Il la voulait tuer. Voyez la belle affaire !

M. LE BLANC.

Il n’en a rien fait ?

CATOS.

Non, mais, devant qu’il soit nuit,

Il la veut du logis faire emmener sans bruit.

Et veut que... La douleur m’empêche la parole.

M. LE BLANC.

Hé bien ! dis : que veut-il ?

L’ESPÉRANCE, dans le fond du théâtre.

Elle fait bien son rôle.

CATOS.

Qu’elle aille, pour pleurer ses funestes amours,

Passer dans un couvent le reste de ses jours.

M. LE BLANC.

Quel malheur ! je croyais que tu m’allais apprendre

Qu’il l’eût fait enrôler, pour l’envoyer en Flandre.

CATOS.

Où voyez-vous qu’un homme à qui l’on s’est fié,

Cherche à tromper les gens, quand il est marié ?

M. LE BLANC.

Mais où diable vois-tu, toi qui me fais la mine,

Qu’on enrôle les gens pour aimer leur voisine ?

CATOS.

Sans vous flatter, Monsieur, vous le méritez bien.

Vous êtes bienheureux...

M. LE BLANC.

Quittons cet entretien,

Et me dis (aussi bien le souvenir m’en blesse)

S’il n’est aucun moyen de tenir ta promesse

Touchant cette Beauté qui venait visiter...

CATOS.

Elle est là-haut, Monsieur ; elle y vient de monter.

M. LE BLANC.

Elle vient visiter monsieur le capitaine ?

CATOS.

Voyant qu’à l’adoucir notre adresse était vaine,

Ne sachant plus que faire, ou de quoi m’aviser,

Je la viens d’amener, afin de l’apaiser.

M. LE BLANC.

Si tu veux voir mes maux mêlés de quelque joie,

Catos, fais, s’il se peut, qu’un moment je la voie.

Tu m’as fait espérer...

CATOS.

Comment faire, Monsieur ?

M. LE BLANC.

Que fait le capitaine ?

CATOS.

Il est avec sa sœur.

M. LE BLANC.

Profitons de ce temps, Catos.

CATOS.

Comment s’y prendre ?

M. LE BLANC.

Comment ? Va de sa part la prier de descendre ;

Dis-lui qu’il est ici.

CATOS.

Ne verra-t-elle pas ?...

M. LE BLANC.

J’éteindrai la chandelle, et lui parlerai bas,

Je n’attends, pour partir, dedans cette occurrence,

Que la commodité de monsieur l’Espérance ;

Il est nuit ; à mes feux cesse de t’opposer,

Va...

CATOS.

Je n’ai pas le cœur de vous rien refuser,

Je risque tout pour vous. Je vais quérir la Belle ;

Quand vous nous entendrez, éteignez la chandelle.

 

 

Scène VI

 

M. LE BLANC, seul

 

Mieux que je n’espérais, mes soins ont réussi,

Et j’aurai le plaisir de partir éclairci.

Il vaut mieux, à mon sens, quelque soin qu’il en coûte,

Être sur une fois, qu’être toujours en doute ;

Cet éclaircissement peut-être produira...

 

 

Scène VII

 

L’ESPÉRANCE, M. LE BLANC

 

L’ESPÉRANCE.

Hé, la Rose ?

M. LE BLANC.

Plaît-il ?

L’ESPÉRANCE.

Que diable fais-tu là ?

M. LE BLANC.

Ah ! j’enrage ; mon corps va changer de demeure.

L’ESPÉRANCE.

Je nous en vons partir.

M. LE BLANC.

Quand partir ?

L’ESPÉRANCE.

Tout à l’heure ;

As-tu ce qu’il te faut dedans ton havresac ?

T’es-tu fait acheter des pipes, du tabac ?

M. LE BLANC.

Non, et n’ai point mangé depuis que l’on me traite...

L’ESPÉRANCE.

Va, je boirons un coup tantôt à la Villette ;

Marche à moi.

Il fait semblant de marcher.

M. LE BLANC.

Comment donc ! partir si promptement !

Différons, s’il se peut, d’une heure seulement.

L’ESPÉRANCE.

Il est, morgué ! plaisant : veux-tu que, pour te plaire,

Avec mon commandant je me fasse une affaire ?

Marche.

M. LE BLANC.

Mais...

L’ESPÉRANCE, le tirant par le bras.

Marche donc, ou tu seras traité...

M. LE BLANC.

Prenez ces trois louis pour boire à ma santé,

Et ne me forcez point...

L’ESPÉRANCE, ôtant son chapeau, et lui faisant la révérence.

Ah ! Monsieur de la Rose,

Deux heures, plus ou moins, ne font rien à la chose ;

Je partirons tantôt, puisque vous le voulez ;

Je m’en vais boire un coup en attendant.

M. LE BLANC.

Allez.

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR LE BLANC, seul

 

Sans argent, mille coups relançaient ma prière.

J’entends venir quelqu’un, éteignons la lumière.

 

 

Scène IX

 

CATOS, MONSIEUR LE BLANC, MADAME LE BLANC

 

CATOS.

Monsieur, voilà Madame.

M. LE BLANC.

Il suffit, laisse-nous.

 

 

Scène X

 

M. LE BLANC, MADAME LE BLANC

 

M. LE BLANC.

Écoutons.

MADAME LE BLANC.

Vous voyez ce que je fais pour vous ;

Je fais tous mes plaisirs du bonheur de vous plaire.

M. LE BLANC, à part.

C’est elle, c’est sa voix ; Dieu me damne !

Haut.

Ma chère,

Je brûlais de vous voir, et ce dernier aveu

Va porter à l’excès ce que je sens de feu ;

Vos bontés me font voir qu’il n’a rien qui vous blesse.

MADAME LE BLANC.

Non ; vous ne savez point jusqu’où va ma tendresse,

Combien de vous aimer je me fais une loi,

Ni combien votre amour a de charmes pour moi.

Jamais...

M. LE BLANC.

Pour le bonheur que votre amour m’annonce,

Souffrez que ce baiser me serve de réponse.

À part.

L’effrontée ! elle croit être avec son amant,

Et reçoit ces baisers fort amiablement.

MADAME LE BLANC.

M’aimerez-vous toujours ? Hélas ! que j’appréhende...

M. LE BLANC.

Si je vous aimerai ? La plaisante demande !

On dit que vous avez un singe de mari :

N’auriez-vous point pour lui le cœur trop attendri ?

Sur quelque empressement que mon espoir se fonde,

C’est votre époux.

MADAME LE BLANC.

Hors vous, tous les hommes du monde,

Quelque soin que l’on prit à me prouver leurs feux,

Ne peuvent rien avoir de charmant à mes yeux :

Enfin vous êtes seul le maître de mon âme ;

Mon cœur ne sent d’amour que pour vous.

M. LE BLANC, bas.

Ah, l’infâme !

Haut.

Vous passerez la nuit céans ; et votre époux...

MADAME LE BLANC.

Je le veux bien, pourvu que ce soit avec vous.

M. LE BLANC, bas.

C’est parler sans énigme, et j’en ai pour mon compte.

Il veut tirer son épée et ne peut.

Ton sang, âme sans foi, va réparer ma honte ;

Je suis suffisamment instruit de tes amours.

Le voilà cet époux.

MADAME LE BLANC, s’enfuyant.

Au secours !

 

 

Scène XI

 

M. LE BLANC, CATOS

 

CATOS.

Au secours !

À l’aide ! Ces transports vous sont-ils ordinaires ?

Êtes-vous fou, Monsieur ?

M. LE BLANC.

Chacun sait ses affaires.

 

 

Scène XII

 

MONSIEUR LE BLANC, CATOS, DAMON

 

DAMON.

Qui cause un tel désordre en ce logis ?

CATOS.

Monsieur.

DAMON.

Mon onde ?

M. LE BLANC.

Vous saurez...

DAMON.

En un tel équipage !

Vous, aller à la guerre !

M. LE BLANC.

On m’a fait...

DAMON.

À votre âge !

Un notable bourgeois, un homme de bon sens,

Quitter à notre insu, maison, femme, parents !

M. LE BLANC.

C’est un tour...

DAMON.

Auriez-vous quelque méchante affaire ?

Quel désespoir vous chasse avec tant de mystère ?

M. LE BLANC.

C’est un affront, vous dis-je...

DAMON.

Ah ! non ; vous n’irez point.

M. LE BLANC.

Peste du babillard !

DAMON.

Je suis ferme en ce point.

M. LE BLANC.

Je n’ai pu m’en dédire, on m’a pris...

DAMON.

Il n’importe :

Vous ne sauriez avoir de raison assez forte.

M. LE BLANC.

Je prétends me venger...

DAMON.

Vengez-vous autrement.

M. LE BLANC.

Ah, le maudit causeur !

DAMON.

Et songez seulement

Que vous devez...

M. LE BLANC.

Je sais tout ce que je dois faire,

Avant que vous fussiez le fils de votre père,

Pédagogue importun, dont le zèle indiscret

Me fait, malgré mes dents, gardien d’un secret.

On vous dit que céans on me fait violence,

Qu’on ma fait enrôler malgré ma résistance,

Qu’avec une recrue un certain grand pendard

M’allait mener en Flandre un quart d’heure plus tard.

DAMON.

Qui l’a fait enrôler ?

CATOS.

Monsieur le capitaine.

DAMON.

Je m’en vais lui parler.

CATOS.

N’en prenez pas la peine,

Je le vais avertir.

 

 

Scène XIII

 

MONSIEUR LE BLANC, DAMON

 

DAMON.

L’auriez-vous insulté ?

M. LE BLANC.

Jamais. Mais vous saurez que ce jeune éventé...

Le voici, vous allez en savoir davantage.

 

 

Scène XIV

 

DAMON, MONSIEUR LE BLANC, ANGÉLIQUE, CATOS

 

ANGÉLIQUE.

Je suis fâché, voulant me venger d’un outrage,

Que le sort soit tombé sur un de vos parents ;

Mais je vous en viens faire excuse, et vous le rends :

Malgré ce qu’il a fait, je vous en fais le maître,

Et l’aurais épargné, s’il se fût fait connaître.

DAMON.

Qu’a-t-il fait ? Quel outrage ? Et sur quoi cette peur ?

ANGÉLIQUE.

Comment ! venir céans pour suborner ma sœur !

Chez moi, morbleu ! chez moi, la sœur d’un capitaine !

Par la mort !... Mais enfin je consens qu’on l’emmène

Ou chez vous, ou chez lui, prêt à nous allier ;

En faveur du parent, je veux tout oublier ;

Je l’aime, sans savoir même comme on le nomme.

Sa figure me plaît, je le trouve brave homme :

Au rang de ses amis je me mets aujourd’hui,

Et veux, morbleu ! casser un verre avecque lui.

À l’hymen de ma sœur puisqu’il n’est plus contraire,

Qu’on la fasse venir.

M. LE BLANC.

Il n’est pas nécessaire.

ANGÉLIQUE.

Ne consentez-vous pas qu’une telle union ?...

M. LE BLANC.

Il est vrai, j’y consens, mais à condition...

DAMON.

Faites que promptement...

ANGÉLIQUE.

Dites-nous, quelle est-elle ?

Quelque difficulté ?...

M. LE BLANC.

C’est une bagatelle ;

Mais jamais mon neveu ne sera son époux,

Qu’il ne se soit coupé la gorge avecque vous.

C’est la condition que je mets à la chose.

DAMON.

D’un tel emportement, qui peut être la cause ?

Mon oncle, voulez-vous me mettre au désespoir ?

M. LE BLANC.

J’ai mis la Belle à prix, et c’est à vous à voir...

DAMON.

À vouloir son trépas, quel motif vous engage ?

En avez-vous reçu quelque sensible outrage ?

M. LE BLANC.

Oui.

DAMON.

J’ai, pour vous venger, le cœur assez hardi ;

Mais je prétends savoir...

M. LE BLANC.

C’est que cet étourdi,

Qui fait le goguenard, qui rit, et qui se cache,

Me fait...

DAMON.

Hé bien ?

M. LE BLANC.

Cocu, puisqu’il faut qu’on le sache.

DAMON.

Lui ? Votre femme a pu...

ANGÉLIQUE.

Je réponds de sa foi.

Tant qu’elle n’aura point d’autre galant que moi.

M. LE BLANC.

Cependant je le suis, et Monsieur la gouverne...

ANGÉLIQUE.

Si c’est de ma façon, je veux que l’on me berne ;

Vous le mériteriez... mais un certain défaut...

M. LE BLANC.

Fort bien. Vous n’avez pas une Belle là-haut,

Qui vous vient visiter, qui souffre vos caresses ?

ANGÉLIQUE.

Nous autres officiers manquons-nous de maîtresses ?

Il est vrai, j’en conviens : mais...

DAMON.

Mais enfin sachons...

ANGÉLIQUE.

Elle n’est point sa femme, et je vous en réponds.

M. LE BLANC.

Non ; car elle est la vôtre.

DAMON.

Il faut la voir, et prendre...

ANGÉLIQUE.

Je le veux bien. Catos, qu’on la fasse descendre.

 

 

Scène XV

 

ANGÉLIQUE, M. LE BLANC, DAMON

 

M. LE BLANC.

Si de la Belle en fait je me trouve l’époux,

Hem ?

ANGÉLIQUE.

Vous l’emmènerez tout doucement chez vous.

M. LE BLANC.

Je serais assez sot !...

ANGÉLIQUE.

Calmez cette colère :

Je veux vous faire voir combien j’ai su lui plaire ;

Vous montrer jusqu’où vont les transports des amants ;

Que vos yeux soient témoins de nos embrassements ;

Lui donner devant vous des marques de ma flamme,

En avoir des faveurs. Et, il c’est votre femme,

Lorsque quelqu’autre objet aura su me charmer,

Que las de ses faveurs, ou cessant de l’aimer,

Pour m’en débarrasser, je voudrai vous la rendre,

Vous serez trop heureux encor de la reprendre.

M. LE BLANC.

Hé bien ! vous l’entendez ?

DAMON.

C’est un jeune emporté ;

Mais nous lui rabattrons tantôt sa vanité :

Quand nous aurons de tout une entière assurance.

Vous verrez cruelle part je prends dans cette offense.

ANGÉLIQUE.

Je l’entends, vous serez à l’instant satisfait.

M. LE BLANC.

Qu’en dites-vous ?

DAMON.

Je crois que c’est elle en effet.

 

 

Scène XVI

 

ANGÉLIQUE, DAMON, M. LE BLANC, MADAME LE BLANC, CATOS

 

ANGÉLIQUE.

Permettez qu’à leurs yeux, quelque soin qui les touche,

Je prenne deux baisers sur cette belle bouche.

M. LE BLANC.

La baiser à mes yeux ! Ventre !

Il met le pied sur la garde de son épée pour la tirer, et ne peut.

DAMON.

Dans sa maison !

M. LE BLANC.

Oui, je veux tout tuer.

DAMON.

Vous n’avez pas raison.

M. LE BLANC.

Qu’importe ? Âme sans foi, peste de ta famille !

MADAME LE BLANC.

Pouvez-vous me blâmer de baiser une fille ?

DAMON.

Une fille !

ANGÉLIQUE.

Oui, ma foi, c’est à mon grand regret ;

Aussi bien est-il temps d’éventer ce secret.

M. LE BLANC.

Quoi ! c’est une fille ?

DAMON.

Oui, la chose est assurée.

M. LE BLANC.

Ah ! si je l’avais su, que je l’eusse bourrée !

Mais pourquoi, s’il vous plaît, ce beau déguisement ?

ANGÉLIQUE.

Pourquoi ? Pour vous montrer à faire le galant,

Et vous apprendre, ayant une femme bien faite,

À n’aller point ailleurs débiter la sornette,

À vous tenir content du nom de son époux,

Sans chercher à tromper des gens plus fins que vous.

M. LE BLANC.

Elle a parbleu raison, et l’aventure est drôle ;

Elle a, pour l’en blâmer, trop bien joué son rôle :

Mais puis-je m’assurer, parent, que cet aveu

Ne soit point un moyen de mieux couvrir leur jeu ?

DAMON.

Non ; vous pouvez l’en croire, après cette assurance.

M. LE BLANC.

Il serait bon de voir ; la chose est d’importance.

ANGÉLIQUE.

Il n’en est pas besoin : voilà votre garant.

M. LE BLANC.

Songeons à son repos, pour celui qu’il me rend.

 

 

Scène XVII

 

M. LE BLANC, MADAME LE BLANC, DAMON, LUCINDE, ANGÉLIQUE

 

LUCINDE.

Mon frère est arrivé, nous voilà hors de peine.

ANGÉLIQUE.

Comment ! le capitaine ?

MADAME LE BLANC.

Encore un capitaine !

Je pense qu’il en pleut. Votre hymen le fera,

Mais ce sera demain, ou quand il vous plaira ;

J’y consens. Cependant je vais reprendre haleine,

Et salue humblement la Fille Capitaine.

 


[1] Fameuse Académie de jeu.

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