Le Deuil (HAUTEROCHE)

Comédie en un acte.

Représentée, pour la première fois, en 1672.

 

Personnages

 

PIRANTE, père de Timante

TIMANTE, son fils

JAQUEMIN, fermier et receveur de Pirante

BABET, fille de Jaquemin

PERRETTE, servante de Jaquemin

CRISPIN, valet de Timante

NICODÈME, serviteur de Jaquemin

MATHURIN, valet de ferme, personnage muet

  

La scène est à un village à deux lieues de Sens.

 

 

AU LECTEUR

 

On saura que j’ai tiré le sujet de cette comédie des Contes d’Eutrapel ; mais, quand on prendra la peine de les lire, on verra que je n’en ai pris que fort peu de chose, et qu’il y a beaucoup de mon invention. Je veux pourtant bien qu’on sache que ce livre m’en a fourni les premières idées, et que je me ferais un scrupule de n’en pas avertir le lecteur. J’aurais pu mettre cette pièce en trois actes, et il ne m’en aurait pas coûté cinquante vers ; mais j’ai mieux aimé presser un peu des incidents, et donner de la chaleur à l’action, que de la ralentir par le temps qu’il aurait fallu pour les entractes. Qui peut renfermer dans un seul acte un sujet avec tous ses arguments, n’est pas moins ingénieux que celui qui le fait en trois ou en cinq. Un petit tableau doit avoir ses beautés et les perfections, de même qu’un grand, et l’art doit être également observé en l’un et en l’autre. J’entends parler de ces tableaux dignes d’une approbation solide, et non pas de ceux qui surprennent à l’abord par quelque faux éclat. Ces manières de tableaux produisent souvent l’effet de ces monstres qui, par une nouveauté extraordinaire, arrêtent les yeux à leur premier aspect ; mais qui, étant considérés de plus près, causent du dégoût dans l’âme des personnes qui les regardent. Il en est de même des comédiens, et je tiens que l’art n’est pas moins nécessaire pour une petite pièce que pour une grande. Les pièces d’un acte ou de trois actes, un peu bien faites, doivent avoir, comme celles de cinq, l’exposition, le nœud, le dénouement, la vraisemblance, l’unité de lieu, de temps et d’action, la liaison des scènes, les sentiments suivant la condition des personnages, les expressions qui leur soient convenables, les bienséances et les caractères naturels, enfin toutes les parties utiles à la perfection de ces sortes d’ouvrages. Je ne saurais approuver l’obstination de ceux qui soutiennent que la connaissance des sciences et des arts ne sert à rien pour faire une pièce de théâtre : on voit bien, par leur raisonnement, qu’ils en ignorent l’excellence ; et j’ai peine à croire que, sans leur secours, on puisse tourner les choses dans ce bon goût qui satisfait les gens connaissants, comme ceux qui ne le sont pas. Si quelqu’un s’avise de dire qu’il semble que je veuille prendre ici le parti des petites comédies contre les grandes, j’ai à lui répondre que j’en sais bien faire la différence, et que j’en ai fait d’un acte, de trois actes et de cinq actes, qui ont été représentées avec assez de réussite.

 

 

Scène première

 

TIMANTE, CRISPIN, en grand deuil

 

CRISPIN.

Par ma foi, nous voilà plaisamment équipés,

Noirs du bas jusqu’en haut, et des mieux encrêpés.

Seriez-vous bien parent d’un... faut-il que j’achève ?

Là, d’un de ces messieurs que l’on rouait en Grève,

Le jour qu’il vous a plu de partir de Paris ?

TIMANTE.

Maraud !

CRISPIN.

À dire vrai, Monsieur, je suis surpris.

Votre père, votre oncle, enfin tout le lignage

Regorge de santé, rien ne meurt, dont j’enrage ;

Pas un neveu, pas même un arrière-cousin ;

Et le grand deuil vous plaît à porter ?

TIMANTE, riant.

Oui, Crispin.

CRISPIN.

Vous riez ? Cet habit peut donner de la joie,

Quand une tête à bas laisse force monnoie ;

Bon, pour lors : mais, à moins d’une mort de profit,

L’équipage est lugubre, et me choque l’esprit.

TIMANTE.

En d’autres cas encore il peut réjouir l’âme.

CRISPIN.

D’accord, quand un mari fait enterrer sa femme.

Comme, en se mariant, on se met en danger

D’avoir, pendant ce nœud, tout le temps d’enrager,

Je crois que pour guérir cette sorte de rage,

Il n’est rien de meilleur qu’un prompt et doux veuvage.

Mais sans moraliser, Monsieur, venons au point.

Nous arrivons à Sens, où vous n’arrêter point ;

Vous poussez jusqu’au lieu de votre métairie.

D’abord vous descendez dans une hôtellerie ;

Vous y prenez le deuil, vous m’en équipez, moi,

Qui ne pleure personne, et qui ne sais pourquoi.

Si j’ose demander à quoi tend ce mystère,

Vous riez, vous chantez, et vous me faites taire ;

Et, sans m’expliquer rien, toujours la joie au cœur,

Vous entrez dans la cour de votre Receveur.

Ce noir déguisement cache au moins quelque chose ;

Pour la dernière fois, j’en demande la cause.

Timante sourit.

Allez-vous rire encor ? Bonsoir, je n’en suis plus.

TIMANTE.

Cet habit me vaudra plus de deux mille écus.

CRISPIN.

Deux mille écus ?

TIMANTE.

Oui.

CRISPIN.

Peste ! Et combien en aurai-je ?

Équipé comme vous, j’ai même privilège ;

Et je ne prétends par porter le deuil gratis.

TIMANTE.

Ta part s’y trouvera.

CRISPIN.

Les merveilleux habits !

Mais, déguisés ainsi, dans le bois le plus proche,

N’auriez-vous point dessein de voler quelque coche ?

Qu’en est-il ?

TIMANTE.

Moi, voler ! C’est perdre la raison,

Que...

CRISPIN.

J’entends. Mais, Monsieur, je crains la pendaison.

Pour toucher cet argent, çà, que faut-il donc faire ?

TIMANTE.

Pleurer. Sais-tu pleurer ?

CRISPIN.

Moi ? non ; mais je sais braire :

Cela suffira-t-il ?

TIMANTE.

Tu feras de ton mieux ;

Et, quand je pleurerai...

CRISPIN.

J’ai de terribles yeux.

Commencez seulement ; pour venir à la charge,

Je vous réponds, Monsieur, d’une bouche aussi large.

Il ne faut qu’essayer, voyez : Hin, hin, hin...

TIMANTE.

Bon.

CRISPIN.

L’accord est musical ; est-ce là votre ton ?

TIMANTE.

Fort bien.

CRISPIN.

Mais de ces pleurs à quoi tend le mystère ?

TIMANTE.

À duper Jaquemin, Receveur de mon père,

À qui, par ce faux deuil appuyant mon rapport,

Je persuaderai que le bon homme est mort ;

Et que, depuis huit jours, surpris d’apoplexie,

Tout d’un coup, sans parler, il a fini sa vie.

J’en suis seul héritier ; et Jaquemin, je crois,

Prétendant n’avoir plus à compter qu’avec moi,

Ne refusera pas de me payer la somme

Que, pour le premier ordre, il tient prête au bon homme.

CRISPIN.

Vous êtes fils unique ; et votre Receveur,

S’il plaisait à la mort de vous faire l’honneur

De saisir au collet votre avare de père,

Aurait avecque vous quelques comptes à faire.

Mais sur quoi s’assurer qu’il doit deux mille écus ?

TIMANTE.

Six cents louis, Crispin, tous paiements rabattus.

De mon père pour lui j’ai surpris cette lettre ;

Écoute, et tu verras ce qu’on peut s’en promettre.

Il lit.

« Monsieur Jaquemin, votre compte est bon. Les diverses sommes que vous m’avez fait toucher ici, et dont vous n’avez point de quittance, montent à huit cents écus ; ainsi, reste dû six mille six cent livres. Ne vous embarrassez pas à chercher une voie sûre pour me les faire tenir ; j’irai moi-même les recevoir, sur les lieux, dans quinze jours ou trois semaines, et nous aviserons ensemble à régler les clauses du nouveau bail que vous demandez. Je ne vous écrirai point davantage là-dessus. Ne me faites point de réponse. Votre meilleur ami,

Pirante. »

En prenant les devants, comme il est bon payeur...

CRISPIN.

J’entends : plus fin que vous n’êtes pas bête, Monsieur ;

Et, pour un nouveau bail, sans trop songer aux clauses,

Je vous crois déjà voir accommoder les choses.

Pour bien faire, il faudrait que Monsieur Jaquemin,

Obtenant du rabais, grossît le pot-de-vin :

Il en demandera, signez tout.

TIMANTE.

Moi ?

CRISPIN.

Qu’importe ?

La pièce en vaudra mieux, plus elle sera forte.

Votre père a bon dos.

TIMANTE.

Il n’entend pas raison.

Quel père ! Il faut aller joindre ma garnison ;

Je pars ; et, pour tout fruit à mes belles paroles,

Ayant à m’équiper, j’emporte vingt pistoles :

Me voilà bien !

CRISPIN.

Aussi, pour vous en consoler,

Sans façon, en bon fils, vous venez le voler.

Mais, quoiqu’en ce dessein, Monsieur, je vous admire,

Si votre père, enfin, s’est avisé d’écrire,

Sa lettre et vos discours n’auront aucun rapport ;

Et nous serons tondus, sur cette feinte mort.

TIMANTE.

Au commerce d’écrire avec joie il renonce ;

Il plaint, trois mois entiers, le port d’une réponse :

Tu vois que, par sa lettre, il mande à Jaquemin

De ne lui point récrire. Outre cela, Crispin,

J’ai su... Mais taisons-nous, quelqu’un vient.

 

 

Scène II

 

PERRETTE, BABET, TIMANTE, CRISPIN

 

CRISPIN, à Timante.

C’est Perrette.

Et madame Babet.

Bas.

La friponne est bien faite,

Monsieur, et vaudrait bien, soit dit, sans faire tort...

TIMANTE, bas, à Crispin.

Songe à l’apoplexie, et que mon père est mort.

PERRETTE, à Babet, regardant Timante.

Je ne me trompe point, c’est notre jeune Maître.

BABET.

Dans un pareil habit, j’ai pu le méconnaître.

Quoi ! Timante, c’est vous ? D’où vient donc ce grand deuil ?

TIMANTE, pleurant.

Ah, Babet !

BABET.

Crispin ?

CRISPIN, pleurant.

Ah !

BABET.

Tous deux la larme à l’œil.

TIMANTE, pleurant.

Quel malheur !

PERRETTE, à Crispin.

Apprends-nous quelle perte il a faite.

CRISPIN, pleurant, à Perrette.

Son père...

PERRETTE.

Eh bien ! son père ?

CRISPIN, pleurant.

Il est gîté, Perrette.

Le Pauvre homme ! Il m’aimait, comme si.... Mais, enfin,

Dieu veuille avoir son âme.

PERRETTE.

Il est mort !

BABET.

Quoi ! Crispin,

Pirante est mort !

CRISPIN, pleurant, à Babet.

Malgré tout ce qu’on a pu faire,

Il est... Ah !

BABET.

Je l’aimais comme mon propre père.

À Perrette.

Soutiens-moi.

Elle s’appuie sur elle.

PERRETTE, à Babet.

Ce malheur est touchant ; mais...

BABET.

Hélas !

CRISPIN, bas, à Timante.

Que ne la prenez-vous, Monsieur, entre vos bras ?

Ses ennuis passeraient plus tôt.

TIMANTE, bas, à Crispin.

Ils m’embarrassent.

CRISPIN.

Voilà que c’est d’avoir des pères qui trépassent !

PERRETTE.

Là, revenez à vous : puisque le mort est mort,

Quel remède ? et pourquoi s’en affliger si fort ?

CRISPIN, à Babet.

Perrette le prend bien : point de mélancolie.

Les morts ne vivent plus ; les pleurer, c’est folie.

BABET, en pleurant.

Il était mon parrain ; et j’aurais peu de cœur...

TIMANTE, larmoyant.

Suffit, Babet ; c’est trop partager ma douleur.

BABET, larmoyant.

Si mes larmes...

PERRETTE.

Par-là qu’est-ce que l’on avance ?

Voyez Monsieur ; il prend son mal en patience.

CRISPIN.

C’est qu’il sait vivre, diable !...

TIMANTE.

Et Monsieur Jaquemin,

Que fait-il ?

PERRETTE.

Tout à l’heure il était au jardin :

Je m’en vais le chercher ; consolez-vous ensemble. 

 

 

Scène III

 

TIMANTE, BABET, CRISPIN

 

TIMANTE, riant.

Hé bien, Babet ?

BABET.

Hé quoi ! vous riez !

TIMANTE.

Que t’en semble ?

Le deuil me sied-il bien ?

BABET.

Je ne sais où j’en suis.

Oubliez-vous déjà... ?

TIMANTE.

Babet, trêve d’ennuis ;

Mon père n’est pas mort.

BABET.

Ah ! j’ai lieu de me plaindre ;

Vous me trompez ?

TIMANTE.

Il m’est important de le feindre ;

Ayant besoin d’argent, je n’imagine rien

De plus propre à duper et ton père et le mien.

BABET.

Mais comment pensez-vous... ?

TIMANTE.

Ne t’en mets point en peine :

Avec moi seulement souffre que je t’emmène ;

Si tu veux éclater, il faut prendre ce temps.

BABET.

Je pars à l’heure même, et vais coucher à Sens.

TIMANTE.

Seule ?

BABET.

Seule ; et je dois, par l’ordre de mon père,

Avec certain parent terminer quelque affaire :

Rendez-vous y ; j’y couche ; et là, nous résoudrons,

Touchant votre dessein, quel parti nous prendrons.

TIMANTE.

Deux heures de chemin, sans que l’on t’accompagne !

Je crains...

BABET.

Tout est rempli de gens dans la campagne ;

Il est jour de marché. Je vous quitte. À tantôt.

TIMANTE.

Je ferai mon pouvoir, pour te joindre au plutôt.

BABET.

Je vais partir, avant que mon père survienne. 

 

 

Scène IV

 

TIMANTE, CRISPIN

 

CRISPIN, montrant du doigt l’endroit où Babet est rentrée.

Monsieur, hem ?

TIMANTE.

Qu’est-ce ?

CRISPIN.

Il n’est qu’en dira-t-on qui tienne ;

La Babet est traitable, et se rend sans façon.

TIMANTE.

Son honneur, avec moi, ne court point hasard.

CRISPIN.

Bon !

Le moyen !

TIMANTE.

Elle peut...

CRISPIN.

J’entends ; dans le voyage,

La belle, en tout honneur, aura soin du bagage.

Quand vous en serez las, pour le moins...

TIMANTE.

Maître sot !

CRISPIN.

Souffrez-moi la Servante, et je ne dirai mot ;

À ces conditions, c’est une affaire faite :

Vous emmenez Babet, j’emmènerai Perrette.

TIMANTE.

Ah ! ce n’est pas de même.

CRISPIN.

Et pourquoi non ? je crois

Qu’en esprit, beaux discours, vous l’emportez sur moi ;

Mais, où l’esprit n’et pas tout-à-fait nécessaire,

Monsieur, sans vanité, je suis assez bon frère ;

Et...

TIMANTE.

Pour faire cesser tes sots raisonnements,

Apprends qu’à tort tu fais de mauvais jugements,

Et qu’au sort de Babet les nœuds de l’hyménée,

Au déçu de mon père, ont joint ma destinée.

CRISPIN.

Vous l’avez épousée ?

TIMANTE.

Oui.

CRISPIN.

Vous êtes mari ?

TIMANTE.

Depuis plus de six mois.

CRISPIN.

Et vous n’êtes point marri ?

TIMANTE.

Moi ? point du tout.

CRISPIN.

Miracle ! Il ne s’en trouve guères

De si contents que vous de ces sortes d’affaires :

Aussi n’êtes-vous pas encor bien marié.

TIMANTE.

Pour bien faire la chose, on n’a rien oublié :

J’ai pour Babet...

CRISPIN.

D’accord : ne pouvant voir la Belle

Qu’en secret rendez-vous, vous n’aimez rien tant qu’elle ;

Mais Babet, aujourd’hui vos plus chères amours,

Ne sera plus Babet quand vous l’aurez toujours.

TIMANTE.

Il faut incessamment que ta langue s’égaie.

CRISPIN.

Hasard : gageons, Monsieur ; et si je perds, je paie.

Mais son père sait-il que... ?

TIMANTE.

Non, il n’en sait rien ;

Car, comme en avarice il surpasse le mien,

Et qu’un sou déboursé lui semble arracher l’âme,

Sans doute il eût tout fait pour traverser ma flamme :

Mais, l’hymen déclaré, tout lui parlant pour moi,

Il faudra bien qu’il chante, ou qu’il dise pourquoi.

CRISPIN.

Mais, Monsieur, étant Noble, et de bonne famille,

D’un simple Receveur vous épousez la fille !

Que dira votre père ?

TIMANTE.

Il s’estomaquera,

Fera le difficile, et puis s’apaisera.

Après tout, Jaquemin, quoiqu’il soit sans naissance,

À l’avarice près, est homme d’importance :

Il est le coq u bourg, connu pour un Crésus,

Et possède du moins cinquante mille écus ;

Cela répare assez le défaut du rang.

CRISPIN.

Peste !

Puisqu’il a tant de bien, il est Noble de reste.

Combien de soi-disant Chevaliers et Marquis

Se targuent sottement de Noblesse à Paris,

Dont, en s’emmarquisant, la plus haute Noblesse

A seulement pour titre une grande richesse !

Sans cela, leur naissance est basse et sans éclat,

Et leur bien, en un mot, fait tout leur Marquisat.

Ces gens, au temps qui court, ont beaucoup de confrères :

Mais la chère Babet, elle n’a sœurs ni frères.

TIMANTE.

Babet est fille unique ; et bien d’autres que moi...

CRISPIN.

Bien d’autres ? Quantité tiennent leur quant-à-soi,

Qui, loin de refuser une affaire semblable,

Moyennant force écus, épouseraient le diable.

Le diable, cependant, doit être roturier ;

Qu’en croyez-vous ?

TIMANTE.

Badin !

CRISPIN.

Je ne suis pas sorcier ;

Ce que j’en dis, Monsieur, n’est que par conjecture ;

Mais être grand trompeur, sent beaucoup la roture ;

On dit que c’est du diable une perfection.

Timante sourit.

D’ailleurs, comme le monde est plein d’ambition ;

Et suivant que chacun par l’argent se gouverne,

Si le diable en ces lieux venait tenir taverne,

Qu’il voulût enrichir ceux qui boiraient chez lui,

La foule serait grande.

TIMANTE.

Il est vrai qu’aujourd’hui,

Passât-on en vertu les vieux héros de Rome,

Si l’on n’a de l’argent, on n’est pas honnête homme ;

Il en faut pour paraître.

CRISPIN.

Aussi, pour en avoir,

Il n’est ressort honteux qu’on ne fasse mouvoir :

Lois, justice, équité, pudeur, vertu sévère,

Partout, au plus offrant, on n’attend que l’enchère ;

Et je ne sache point d’honneur si bien placé,

Dont on ne vienne à bout, dès qu’on a financé.

 

 

Scène V

 

JAQUEMIN, PERRETTE, TIMANTE, CRISPIN

 

TIMANTE, continuant, à Crispin.

Tu crois donc...

CRISPIN, montrant Jaquemin.

St.

TIMANTE, bas, à Crispin.

J’entends ce que tu veux me dire.

CRISPIN, bas à Timante.

Songeons à larmoyer ; il n’est plus temps de rire.

JAQUEMIN, à Timante.

Monsieur, que m’apprend-on ?

TIMANTE, pleurant.

Ah ! Monsieur Jaquemin...

JAQUEMIN, pleurant.

Mon pauvre Maître ! ah ! ah !

TIMANTE, pleurant.

Ah !

CRISPIN, pleurant.

Hon, hon.

PERRETTE, pleurant.

Hin, hin, hin.

CRISPIN, à Timante.

Hé ! Monsieur, un esprit de la trempe du vôtre...

TIMANTE.

J’ai tout perdu, Crispin ; tu le sais mieux qu’un autre.

CRISPIN.

Oui, vous perdez beaucoup ; mais dans un tel malheur,

On doit patiemment supporter sa douleur ;

Le ciel le veut ainsi : lui faire résistance,

C’est l’offenser, Monsieur, et c’est lui faire offense.

Il est vrai, votre père aurait couru hasard

De vivre plus longtemps, s’il était mort plus tard ;

Mais quand, par la rigueur... des ordres qu’il faut suivre,

On est mort tout-à-fait... on ne saurait plus vivre.

Considérez, d’ailleurs... que le temps vous fait voir

Que la raison...

Arrachant le mouchoir que Timante tient à ses yeux.

Monsieur, prêtez-moi ce mouchoir ;

Je n’y pense point, sans...

JAQUEMIN, pleurant.

Crispin me perce l’âme.

CRISPIN, à Jaquemin.

Monsieur... ah !

TIMANTE.

Ah !

PERRETTE.

Hin, hin.

JAQUEMIN, pleurant.

Quand je perdis ma femme,

Il m’en souvient encor...

CRISPIN.

Hé ! Monsieur Jaquemin,

Laissez-là votre femme ; elle est bien morte.

JAQUEMIN, pleurant.

Enfin,

Il nous faut tous mourir. Je suis vieux ; et peut-être...

CRISPIN.

Voulez-vous, par vos pleurs, désespérer mon Maître ?

Comme il sanglote ! Au lieu de ragaillardir,

Vous augmentez son mal.

TIMANTE.

Il ne peut s’agrandir.

PERRETTE.

Crispin a raison, et...

JAQUEMIN.

Je le sais ; mais, Perrette,

Quand je sentirais moins la perte que j’ai faite,

Il faudrait, quand d’un Maître on apprend le trépas,

N’avoir guère d’honneur, pour ne s’affliger pas...

Monsieur Pirante était un ami...

CRISPIN.

Laissez faire ;

Monsieur est honnête homme, et vaudra bien son père :

Vous verrez.

JAQUEMIN.

Dieu le veuille !

PERRETTE, bas, à Jaquemin.

Hé ! là donc, parlez-lui.

JAQUEMIN, à Timante.

Nous avons, tous les deux, un grand sujet d’ennui,

Et, tous deux, nous perdons, sans y pouvoir que faire,

Moi, Monsieur, un bon Maître, et vous, un brave père :

Mais, pour m’en consoler, j’espère en ce malheur,

Que vous vous souviendrez de votre serviteur.

J’ai soixante et deux ans ; et, dès mon plus bas âge,

J’étais de la maison.

TIMANTE.

Il faut prendre courage.

Je perds un père, à qui vous rendiez bien des soins ;

Il était votre ami, je ne le suis pas moins.

JAQUEMIN.

Il est mort ! quelle perte ! à tous moments j’y pense,

Et, tant que je vivrai, j’en aurai souvenance.

Voyant qu’en l’autre monde il lui fallait aller,

Ne vous a-t-il pas dit ?

TIMANTE.

Il est mort sans parler.

JAQUEMIN.

Sans parler !

TIMANTE.

Le moyen ! quand il eût eu cent vies...

CRISPIN.

Il avait la valeur de quatre apoplexies.

JAQUEMIN, redoublant sa tristesse.

Ah !

TIMANTE.

Quel nouveau chagrin vous rend si consterné ?

JAQUEMIN, se désespérant.

Ah, Ciel !

TIMANTE.

Qu’avez-vous donc ?

JAQUEMIN.

Me voilà ruiné.

TIMANTE.

Comment ?

JAQUEMIN.

C’est qu’en trois fois, Monsieur, j’ai, par avance,

Donné...

CRISPIN.

Vous avez fait des paiements sans quittance ?

JAQUEMIN.

Hélas ! oui.

CRISPIN.

Ces paiements nous ont bien fait souffrir.

JAQUEMIN.

Est-ce que... ?

CRISPIN.

De frayeur j’en ai pensé mourir.

Allez, ne craignez rien ; on vous en tiendra compte.

JAQUEMIN.

On sait donc... ?

CRISPIN.

Je prenais les esprits pour un conte ;

Mais je suis détrompé ; car, pour vos intérêts,

Le pauvre mort nous est apparu tout exprès.

JAQUEMIN.

Apparu !

CRISPIN, montrant son Maître.

Demandez.

TIMANTE.

Sans doute.

JAQUEMIN.

Est-il croyable ?

CRISPIN.

Il nous a lutinés six jours, comme le diable,

Tantôt en pigeon blanc, tantôt en chien barbet ;

Tant enfin, qu’ennuyé de s’être contrefait,

Sous sa propre figure il s’est fait reconnaître,

Et me serrant le bras : « Crispin, connais ton Maître,

(M’a-t-il dit) « vous, mon fils, n’ayez aucune peur,

(A-t-il continué, s’adressant à Monsieur.)

« Du seigneur Jaquemin je viens vous dire comme

« J’ai reçu, sans quittance, en plusieurs fois la somme. »

JAQUEMIN.

Combien ? n’a-t-il pas dit, Monsieur, hit cent écus ?

TIMANTE.

Autant.

JAQUEMIN, à Timante.

J’ai fait tenir quelque chose de plus ;

Mais n’importe. Il faut donc, s’il vous plaît me déduire...

TIMANTE, à Jaquemin.

Il suffit que le mort soit venu m’en instruire ;

Cela vaut fait.

JAQUEMIN.

Voyez ! avec les gens de bien,

On a beau hasarder, on ne perd jamais rien.

CRISPIN.

Le défunt, quoiqu’avare, avait l’âme aussi ronde...

JAQUEMIN.

Le pauvre homme ! être exprès venu de l’autre monde !

Quelle peine !

CRISPIN, à Jaquemin.

Pour vous, s’il eût été besoin,

Il serait encor bien revenu de plus loin.

Possible, s’il voyait, s’agissant de finance,

Que mon Maître n’eût pas fort bonne conscience,

Il pourrait, pour ôter tout sujet d’embarras,

Venir jusque chez vous.

JAQUEMIN.

Ah ! qu’il n’y vienne pas.

CRISPIN.

Il vous apporterait un acquit.

JAQUEMIN.

Je l’en quitte.

PERRETTE.

Il est assez de morts à qui rendre visite ;

Qu’il les voie ; et pour nous, qu’il nous laisse en repos.

TIMANTE.

Non, il n’y viendra pas : mais changeons de propos.

Vos paiements sans acquit n’ont rien que je conteste.

JAQUEMIN.

Cela déduit, je dois six cents louis de reste :

Il vous faut les compter. Mais, Monsieur, tous les ans,

Je paie, à jour nommé, jusqu’à neuf mille francs ;

C’est trop : le bail finit, il en faudrait rabattre.

TIMANTE.

Vous vous raillez.

JAQUEMIN.

Monsieur, depuis soixante-quatre,

C’est misère, et les grains n’ont nulle valeur.

CRISPIN, à Timante.

L’avarice ne peut que vous porter malheur ;

Il faut que chacun vive, et...

JAQUEMIN, bas, à Crispin.

Parle, et je te donne...

CRISPIN, à Timante, haut.

Monsieur le Receveur ne veut tromper personne ;

S’il y trouvait son compte, il ne le dirait pas.

JAQUEMIN, à Timante.

Si vous saviez, Monsieur, comme on fait peu de cas...

TIMANTE.

On ne refuse guère une première grâce.

CRISPIN.

Rabattez mille francs.

TIMANTE.

Non : pour la moitié, passe ;

Je l’accorde.

CRISPIN.

À donner, mon cœur va le galop.

JAQUEMIN.

Monsieur, les mille francs n’auraient point été trop ;

Mais, si j’y perds encore, ayant un si bon Maître,

J’espère...

TIMANTE.

Avec le temps, je me ferai connaître ;

Mais je veux cent Louis de pot-de-vin.

JAQUEMIN.

Comment !

Cent Louis !

TIMANTE.

Vous peut-on traiter plus doucement ?

JAQUEMIN.

Mais...

CRISPIN, à Jaquemin.

Monsieur Jaquemin, là...

JAQUEMIN, à Crispin.

Quoi ?

CRISPIN.

Point de querelle.

Voulez-vous disputer pour une bagatelle ?

Monsieur est raisonnable ; il vous aime ; en neuf ans,

Songez qu’il vous remet près de cinq mille francs :

Tant pour sa garnison, que pour d’autres affaires,

Il a besoin d’argent.

JAQUEMIN.

Voyez donc les notaires.

À Timante.

Monsieur, vous voulez bien que nous allions à Sens ?

TIMANTE.

Quoi ! pour renouveler votre bail ? J’y consens :

Mais la mort de mon père à tant de soins m’engage,

Que, ne pouvant tarder ici de ce voyage,

Je vous vais seulement signer que je promets

De vous faire, par an, cinq cents francs de rabais :

Il ne faut qu’au vieux bail ajouter cette clause.

JAQUEMIN.

Je vais querir l’argent ; entrez.

TIMANTE.

Non, et pour cause ;

Nous sommes, pour cela, fort bien dans cette cour,

Du défunt autrefois ces lieux étaient l’amour ;

Et, dans l’accablement où sa perte me plonge,

Je n’y saurais entrer, sans...

JAQUEMIN, s’affligeant.

Monsieur, quand j’y songe...

CRISPIN.

Que c’était un brave homme !

JAQUEMIN.

Oui, sans doute, Crispin.

CRISPIN, montrant son Maître.

Ne pleurez plus ; songez...

JAQUEMIN, s’en allant.

J’entends. Oh ! Mathurin !

Perrette, promptement qu’il apporte une table.

Perrette entre dans la maison.

 

 

Scène VI

 

TIMANTE, JAQUEMIN, CRISPIN

 

CRISPIN, allant après Jaquemin.

Monsieur le Receveur, je suis un pauvre diable ;

Souvenez-vous de moi ; j’ai parlé comme il faut.

 

 

Scène VII

 

TIMANTE, CRISPIN

 

CRISPIN.

Tout va bien, Monsieur.

TIMANTE.

Oui : délogeons au plutôt.

Cours à l’hôtellerie ; et, pour partir sur l’heure,

Fais brider nos chevaux.

CRISPIN.

Mais, si je ne demeure,

Ma part du pot-de-vin...

TIMANTE.

Tu reviendras après. 

 

 

Scène VIII

 

PERETTE, MATHURIN, TIMANTE, CRISPIN

 

Mathurin apporte une table, un siège, du papier, une écritoire, et rentre dans la maison. 

 

 

Scène IX

 

PERRETTE, TIMANTE, CRISPIN

 

PERRETTE, à Timante.

Je m’en vais avoir peur de tous les chiens barbets :

Je viens d’en voir un, là, plus grand qu’à l’ordinaire,

Que je croyais qui fût l’âme de votre père ;

Le sang m’a remué jusqu’au fin bout des doigts.

Vous est-il apparu de jour ?

TIMANTE.

Cinq ou six fois.

PERRETTE.

De quel poil ?

CRISPIN.

Il était roux-gris.

PERRETTE.

C’est lui peut-être.

Va voir si tu pourras, Crispin, le reconnaître ;

Il est dans la cuisine.

CRISPIN.

A-t-il le nez camus ?

PERRETTE.

Hé... ?

TIMANTE, à Crispin.

Cours où je t’envoie, et ne raisonne plus.

Crispin sort.

 

 

Scène X

 

TIMANTE, PERRETTE

 

TIMANTE.

Babet est donc partie ?

PERRETTE.

Oui, Monsieur ; et son père

Lui fait faire un voyage assez peu nécessaire :

Je crois qu’elle en enrage.

TIMANTE.

Et d’où vient ?

PERRETTE.

Entre nous,

Il faut qu’elle ait, Monsieur, quelque chose pour vous.

Elle me dit souvent que vous êtes si sage,

Si rempli de bonté, si discret, que je gage... 

 

 

Scène XI

 

JAQUEMIN, PERRETTE, TIMANTE

 

JAQUEMIN, une bourse à la main, à Timante.

Cette bourse a, Monsieur, de quoi vous contenter.

Sept cent Louis... Voyons si...

TIMANTE, à Jaquemin.

Je prends sans compter.

JAQUEMIN.

Ils sont en petits lots, roulés tous par cinquante ;

Hors ceux du pot-de-vin, qui, contre mon attente,

Vont, en vous les donnant, me réduire à l’emprunt :

Je les tenais tout prêts pour le pauvre défunt.

TIMANTE.

Eh ! vous n’en manquez pas.

JAQUEMIN.

Chacun sait ses affaires.

Monsieur, au temps qu’il est, on n’en amasse guères.

Voici le bail.

TIMANTE.

Donnez. Quatre lignes au bas,

Attendant mon retour, vaudront mille contrats.

Il va écrire sur la table.

JAQUEMIN.

Perrette, que je perds à la mort de Pirante !

Être mort, sans le voir !

PERRETTE.

Oui, la chose est touchante.

Mais, Monsieur, je crains bien qu’il revienne céans :

Un certain grand barbet que j’ai vu là-dedans...

TIMANTE, achevant d’écrire.

« Fait ce... 1673. Timante. »

Il remet le bail à Jaquemin.

JAQUEMIN lit haut la clause.

« Je soussigné confesse avoir reçu de Monsieur Jaquemin la somme de six mille six cents livres, qui, jointe à deux mille quatre cents livres qu’il avait payées à feu mon père sans quittance, l’acquitte de l’année échue à Pâques dernier. Plus, j’ai reçu cent Louis d’or, pour le pot-de-vin du nouveau bail, que je m’oblige de lui passer devant les Notaires toutes fois et quantes, aux mêmes clauses et conditions de celui-ci, à la réserve du prix, qui ne sera à l’avenir que de huit mille cinq cents livres. Fait ce... mil six cent soixante et treize. Timante. »

TIMANTE, à Jaquemin.

En est-ce assez ?

JAQUEMIN.

C’est plus qu’il n’était nécessaire.

Chacun, ainsi que vous, n’est pas fils de son père.

De l’air dont sur-le-champ vous dressez un acquit,

On voit bien qu’il vous a fait part de son esprit.

J’ai peine à croire encor qu’il soit mort.

TIMANTE.

Je vous quitte :

Plus je suis avec vous, plus ma douleur s’irrite.

Adieu : vous me verrez avant qu’il soit un mois.

Toi, Perrette, viens çà. Songe à moi quelquefois.

Lui donnant deux pistoles.

Tiens ; et, si Nicodème un jour te prend pour femme,

Crois...

PERRETTE, à Timante.

Vous aurez, Monsieur, tout pouvoir.

JAQUEMIN.

La bonne âme !

Au moins, ne partez pas, sans m’envoyer Crispin.

TIMANTE.

Il viendra vous trouver.

JAQUEMIN.

Qu’il vienne ; car, enfin,

Il est bon que chacun soit content.

 

 

Scène XII

 

PERRETTE, JAQUEMIN

 

PERRETTE.

Notre Maître,

Le brave jeune homme ! Ah ! quand je l’ai vu paraître,

J’ai bien cru qu’il avait pour nous un bon dessein.

JAQUEMIN.

C’est son père tout à fait.

PERRETTE.

Fi ! c’était un vilain,

Un ladre.

JAQUEMIN.

Il ne faut pas appeler vilenie

Ce que les gens sensés nomment économie :

La différence est grande ; et quiconque dira

Que Pirante...

PERRETTE.

Il était tout ce qu’il vous plaira ;

Mais il ne m’a jamais donné la moindre chose.

À propos de donner, (car il faut que je cause,

Et qu’au moins une fois je décharge mon cœur ;)

Quand il faut desserrer, vous avez belle peur.

Depuis six ans entiers que votre femme est morte,

Le faix est lourd, et c’est Perrette qui le porte :

Aux champs, comme à la ville, ai-je quelque repos ?

Je ne recule à rien ; tout tombe sur mon dos :

Quels biens m’avez-vous faits ?

JAQUEMIN.

Perrette, patience ;

Tout vient avec le temps : j’ai de la conscience ;

Et, dans mon testament, tu verras...

PERRETTE.

Justement !

Me voilà bien chanceuse, avec son testament !

Des avaricieux c’est l’excuse ordinaire ;

Ils donnent tout leur bien, quand ils n’en ont que faire.

Vos écus, dont l’amas vous est encor si doux,

Voulez-vous point les faire enterrer avec vous ?

Franchement, je m’en lasse ; et pour toutes mes peines,

Je mériterais bien qu’aux foires, aux étrennes,

Vous ouvrissiez la bourse. Un homme veuf, à Sens,

Me fait, pour le servir, presser depuis longtemps :

Si je vous veux quitter, il m’offre de bons gages.

JAQUEMIN.

Tais-toi ; je t’aurais fait de plus grands avantages,

Si je n’avais pas craint de faire babiller :

Mais Babet au plus tôt se doit faire habiller ;

En achetant pour elle, il faut qu’elle te donne...

Car, vois-tu ! j’aime mieux, de peur qu’on me soupçonne...

PERRETTE.

Que soupçonnerait-on, à soixante et cinq ans ?

JAQUEMIN.

Il s’en faut quelque chose ; et...

PERRETTE.

Chacun a son temps ;

Le vôtre est fait. Pour elle, un mari, ce me semble,

Lui viendrait bien à point ; ils vivraient bien ensemble.

JAQUEMIN.

À son âge, un mari !

PERRETTE.

Quoi ! vous vous effrayez ?

JAQUEMIN.

Elle n’a que vingt ans ; c’est un enfant.

PERRETTE.

Voyez

Qu’il en meurt tous les jours, faute d’âge !

JAQUEMIN.

Es-tu folle ?

La marier ! 

 

 

Scène XIII

 

PERRETTE, JAQUEMIN, PIRANTE

 

PERRETTE, apercevant Pirante, et tirant Jaquemin par le bras, voulant fuir.

Monsieur ! Ah ! je perds la parole.

Miséricorde !

JAQUEMIN.

Qu’est-ce ? où vas-tu ?

PERRETTE.

Le lutin.

En s’enfuyant.

Ah ! 

 

 

Scène XIV

 

PIRANTE, JAQUEMIN

 

JAQUEMIN, revenant sur le bord du théâtre.

Que veut-elle dire ?

PIRANTE, frappant sur l’épaule de Jaquemin.

Ho ! Monsieur Jaquemin !

JAQUEMIN, s’enfuyant avec précipitation.

À l’aide ! 

 

 

Scène XV

 

PIRANTE

 

En me voyant, s’écrier de la sorte !

Fuir, sans vouloir m’entendre, et me fermer la porte !

Suis-je pestiféré ? Que veut dire ceci ?

Mais quelqu’un de ses gens m’en peut rendre éclairci ;

L’un d’eux vient à propos. 

 

 

Scène XVI

 

PIRANTE, NICODÈME

 

NICODÈME, venant avec une grande fourche de bois sur son épaule, et chantant cette chanson, sur le chant :

Une et deux et trois et quatre et cinq et six,

Sept et huit et neuf et dix,

Onze et douze et treize,

Quatorze et quinze et seize.

Blaise, en revenant des champs,

Tout dandinant,

Il trouvit la femme à Jean,

Et puis il s’en furent

Dans une masure.

 

Un vigneron, près de là,

Voyant cela,

Leur dit : Que faites-vous là?

À quoi répond Blaise :

Je nous fons bien aise.

PIRANTE, abordant Nicodème.

Dieu te gard’, Nicodème.

NICODÈME.

Bonjour, monsieu Pirante. Ah ! c’est donc vous ?

PIRANTE.

Moi-même.

NICODÈME.

Vous me voyez joyeux, toujours bon appétit.

PIRANTE.

L’appétit et la joie entretiennent l’esprit.

NICODÈME.

J’aime à rire, à chanter, à me bailler carrière,

Et j’ai toujours été bâti de la magnière.

Vous êtes bien gaillard ?

PIRANTE.

Oui, je me porte bien.

NICODÈME.

Quand j’avons la santé, je ne manquons de rien :

Morgué ! c’est un grand point.

PIRANTE.

Il est vrai. Mais ton Maître,

Comment est-il ?

NICODÈME.

Comment ? Il est comme il doit être,

Toujours bien essoufflé, quand il marche.

PIRANTE.

A-t-il eu

Quelque mal violent ?

NICODÈME.

Pourquoi ?

PIRANTE.

Quand il m’a vu,

Il s’est mis à crier d’un ton épouvantable,

Et n’aurait pas mieux fui, s’il avait vu le diable.

Est-il devenu fou ?

NICODÈME.

Peste ! il n’est pas si sot :

Tout vieux barbon qu’il est, il dit encore le mot :

C’est un brave homme.

PIRANTE.

Mais par quelle extravagance,

Criant tout haut à l’aide, a-t-il fui ma présence ?

Il est donc possédé ?

NICODÈME.

Vous vous gaussez de nous.

Bon ! s’enfuir ! hier encore il nous parlait de vous,

But à votre santé, jusqu’à perdre d’haleine,

Nous dit qu’vous viendriez possible dans quinzaine.

PIRANTE.

Oui ; je l’avais écrit.

NICODÈME.

Hé bien donc !

PIRANTE.

Mais depuis,

J’ai changé de dessein.

NICODÈME.

Je vais faire ouvrir l’huis ;

Et, quand il vous varra...

PIRANTE.

Je te dis, Nicodème,

Qu’il m’a vu, reconnu.

NICODÈME.

C’est queuque stratagème ;

Car il n’était pas fou, quand j’avons déjeuné.

Lui-même dans ces champs il m’a là-bas mené :

Depuis, je ne dis pas, mais j’allons voir.

Frappant à la porte.

Parrette ! 

 

 

Scène XVII

 

PERRETTE, PIRANTE, NICODÈME

 

PERRETTE, en dedans.

Qui frappe ?

NICODÈME.

Nicodème. Ouvre.

PERRETTE, 
ouvrant la porte, et voyant Pirante, la referme en disant.

Ah ! 

 

 

Scène XVIII

 

PIRANTE, NICODÈME

 

NICODÈME.

Comme on nous traite !

Alle a le diable au corps.

PIRANTE.

Tu vois si j’ai raison.

NICODÈME.

Oh ! pargué ! j’entrons pourtant dans la maison.

Il frappe.

Ouvre.

PIRANTE.

Le mal du Maître a gagné la Servante. 

 

 

Scène XIX

 

PERRETTE, dans la maison, PIRANTE, NICODÈME

 

PERRETTE, en dedans.

Qui heurte ?

NICODÈME, à Perrette.

Nicodème, avec Monsieur Pirante ;

Il vient voir notre Maître.

PERRETTE, en dedans.

Hélas ! c’est fait de toi,

Nicodème, s’il faut qu’il te touche.

NICODÈME.

Et pourquoi ?

PERRETTE, en dedans.

Monsieur Pirante est mort, on en a la nouvelle ;

Ce n’est que son esprit qui revient.

PIRANTE.

Que dit-elle ?

NICODÈME, à Pirante.

Al dit qu’ous êtes mort, et que c’est votre esprit

Qui me parle : pourquoi ne me l’avoir pas dit ?

Vous avez tort.

PIRANTE.

Jamais fut-il rien de semblable ?

Quoi ! Nicodème, on veut...

NICODÈME.

Vous êtes mort ; au diable !

PIRANTE.

Mais, si...

NICODÈME, lui présentant sa fourche.

N’approchez pas ; palsangué ! voyez-vous !

Je vous enfourcherions par le chignon du cou.

Adieu.

PIRANTE.

Tu ne vois pas la pièce qui t’est faite.

Je serais mort !

NICODÈME.

Oui, vous. N’est-il pas vrai, Perrette,

Que tu dis qu’il est mort ?

PERRETTE, en dedans.

Il l’est plus de six fois :

Ce n’est que son fantôme à présent que tu vois.

Garde qu’il ne t’approche, et qu’il ne te secoue :

Le moindre de ses doigts... 

 

 

Scène XX

 

PIRANTE, NICODÈME

 

NICODÈME, lui montrant sa fourche.

Ah ! margué ! qu’il s’y joue ;

Il varra...

PIRANTE.

Nicodème ?

NICODÈME.

Oh ! je ne voulons point

Être avec les fantoms : on sait, s’il vient à point,

Comme il traitons les gens, quand ils trouveront leur belle.

Tatigué ! queus malins !

PIRANTE.

La folie est nouvelle.

NICODÈME.

Je ne charchons point ; laissez-nous en repos.

PIRANTE.

Laisse-moi seulement te dire quatre mots ;

C’est peu de chose.

NICODÈME.

Hé bien ! si votre âme est en peine,

Parlez ; j’irons, pour vous, courir la pretentaine :

Mais morgué ! sans façon, n’approchez que de loin.

PIRANTE.

Le jugement peut-il te manquer au besoin ?

Je n’ai rien de changé ; tu le vois, Nicodème.

Je parle, marche, agis : les morts font-ils de même ?

Jamais...

NICODÈME.

Oh ! palsangué ! vous m’en contez bien là !

Avons-je été morts, nous, pour savoir tout cela ?

C’est bien philosophé !

PIRANTE.

Du moins fais que ton Maître,

Pour m’entendre un moment, se mette à la fenêtre ;

Je serai satisfait.

NICODÈME.

Il y verra fort bien ;

Pourquoi non ? Quand on a du cœur, on ne craint rien.

Parrette !

 

 

Scène XXI

 

PERRETTE, dans la maison, PIRANTE, NICODÈME

 

PERRETTE, en dedans.

Est-il parti, Nicodème ?

NICODÈME, à Perrette.

Lui ? voire,

Je lui dis qu’il est mort ; mais il n’en veut rien croire,

Et je ne li saurais faire entendre raison.

Notre Maître est-il là ? Morgué ! je tiendrai bon :

Qu’il vienne à la fenêtre ; avec ma fourche seule,

Si l’esprit fait un pas, je li sangle la gueule. 

 

 

Scène XXII

 

PIRANTE, NICODÈME

 

PIRANTE.

Mais tu me crois donc mort ?

NICODÈME.

Oui, pargué ! je le crois.

PIRANTE.

Tu peux t’en éclaircir ; approche, touche-moi.

NICODÈME.

Tatigué ! je n’ai garde ; on voit, à votre face,

Que d’un homme entarré vous avez la grimace. 

 

 

Scène XXIII

 

JAQUEMIN, PIRANTE, NICODÈME

 

JAQUEMIN, à la fenêtre.

Il faut me hasarder.

À Pirante.

On me l’avait bien dit,

Que vous pourriez venir m’apporter un acquit :

Mais des huit cents écus je ne suis plus en peine ;

On m’en a tenu compte, et votre crainte est vaine,

Allez ; puisse votre âme avoir un plein repos.

PIRANTE.

De quoi me parlez-vous ? Je suis de chair et d’os ;

Voyez-moi bien ; je vis. Qui vous rend si crédule,

Que de vous entêter d’un conte ridicule ?

À votre âge, êtes-vous de si légère foi,

Et voit-on bien des morts qui parlent comme moi ?

JAQUEMIN.

On dirait, en effet, que vous êtes en vie.

Seriez-vous échappé de votre apoplexie ?

Ou si, quand on est mort, on peut ressusciter ?

Car Monsieur votre fils, que je viens de quitter,

Et qui porte un grand deuil, lui-même a pris la peine

De venir m’annoncer...

PIRANTE, s’avançant.

Quoi ! mon fils...

NICODÈME, présentant sa fourche à Pirante.

Ah ! morguenne !

N’avancez point.

JAQUEMIN.

Tout beau, Nicodème ! j’entends

Qu’on respecte Monsieur.

NICODÈME, à Jaquemin.

Morgué ! c’est perdre temps,

Descendez, sans rien craindre, ou bien qu’il se retire.

Son fantôme n’est pas si diable qu’on veut dire ;

Je ne vois rien en lui qu’on ne voie à chacun :

S’il fait trop le méchant, je serons deux contre un.

PIRANTE.

Nicodème a raison, pourquoi tant de faiblesse ?

JAQUEMIN.

Enfin j’ouvre les yeux, et vois qu’on m’a fait pièce.

Je descends.

 

 

Scène XXIV

 

PIRANTE, NICODÈME

 

NICODÈME, à Pirante.

Vous voyez qu’ous êtes satisfait.

Mais point de trahison ; car, franchement, tout net,

Fussiez-vous un Satan...

PIRANTE.

Ne crains rien, Nicodème. 

 

 

Scène XXV

 

JAQUEMIN, PIRANTE, NICODÈME

 

JAQUEMIN, tremblant, à Pirante.

Ah ! Monsieur...

NICODÈME, à Jaquemin.

Point de peur, et ne soyez point blême.

JAQUEMIN, à Pirante.

Votre fils par son deuil a trop su me duper,

Et n’a feint votre mort qu’afin de m’attraper.

Comme à votre héritier, après ce coup funeste,

Trouvant que je devais six cents Louis de reste,

Je viens présentement de les compter...

PIRANTE, à Jaquemin.

À lui ?

JAQUEMIN.

À lui-même : voyez son acquit d’aujourd’hui.

PIRANTE.

Nous fourber l’un et l’autre avec tant d’impudence !

Peut-être il n’est pas loin ; vite, allons...

JAQUEMIN.

Patience ;

Nous en aurons raison. J’attends ici Crispin ;

Entrez, pour un moment, là-dedans.

PIRANTE.

Le coquin ! 

 

 

Scène XXVI

 

PIRANTE, JAQUEMIN, PERRETTE, NICODÈME

 

PERRETTE, à Pirante.

Vous n’êtes donc pas mort, Monsieur ?

PIRANTE.

L’effronterie !

Prendre le deuil !

Pirante entre dans la maison.

 

 

Scène XXVII

 

JAQUEMIN, PERRETTE, NICODÈME

 

NICODÈME.

Voyez, avec leur polexie !

PERRETTE.

Ils ne se doutaient pas qu’il en fût revenu. 

 

 

Scène XXVIII

 

PERRETTE, NICODÈME, CRISPIN, JAQUEMIN

 

NICODÈME, à Crispin, allant au-devant de lui.

Morgué ! comm’te vlà fait ! Qui t’airet reconnu ?

Queul habit !

CRISPIN, à Nicodème.

Tout un an, il faut être de même ;

Notre vieux Maître est mort, mon pauvre Nicodème.

NICODÈME.

Hé ! ne devait-il pas s’empêcher de mourir ?

En sa place, morgué ! je m’aurais fait guarir.

CRISPIN.

Mais tu sais qu’à la mort il n’est point de remède.

NICODÈME.

Morgué ! j’appellerais vingt sorciers à mon aide,

Plutôt que de mourir.

CRISPIN.

Fort bien ; mais il est mort.

NICODÈME.

Tant pis pour lui.

JAQUEMIN.

Crispin, viens çà : je craignais fort

Qu’on ne te fît partir sans que je te revisse.

CRISPIN, à Jaquemin.

Ah ! je suis, pour cela, trop à votre service.

JAQUEMIN.

C’est à toi que je dois le rabais qu’on m’a fait ;

Il était juste aussi de m’en faire.

CRISPIN.

En effet,

Payer neuf mille francs, c’était trop.

JAQUEMIN.

Ton salaire

Est tout prêt.

CRISPIN.

Oh ! Monsieur...

JAQUEMIN.

Mais si tu pouvais faire

Que, de huit mille francs, toujours prêts à compter,

Ton Maître, à l’avenir, voulût se contenter ;

Je donnerais encor cent Louis tout à l’heure.

CRISPIN.

Il faut lui proposer : attendez-moi.

Il va pour s’en aller.

JAQUEMIN, le retenant.

Demeure :

Puisqu’il n’est pas parti, je veux t’accompagner.

CRISPIN.

Venez ; avecque lui vous pouvez tout gagner. 

 

 

Scène XXIX

 

JAQUEMIN, CRISPIN, PERRETTE, NICODÈME, PIRANTE, écoutant derrière

 

CRISPIN, continuant.

Il ne ressemble point à son vilain de père ;

C’était un franc avare, un vrai prône misère ;

Et, s’il ne se fût point avisé de mourir,

Sa lésinante humeur nous eût bien fait souffrir.

JAQUEMIN.

Tu le pleurais pourtant tout à l’heure.

CRISPIN.

Sans doute :

Il fallait bien pleurer ; qu’est-ce que cela coûte ?

Quoique, pour notre joie, il soit mort un peu tard,

C’est toujours être mort.

PIRANTE, à Crispin, le prenant au collet.

Ah ! je te tiens, pendard !

CRISPIN, feignant d’avoir peur.

Au secours !

PIRANTE.

Tu me crains ; je suis donc mort ?

PERRETTE, à Crispin.

Courage ;

Dis que c’est son esprit qui revient.

CRISPIN.

Ah ! j’enrage.

NICODÈME, à Crispin.

As-tu peur du fantôme, et n’oses-ru parler ?

PIRANTE.

Tu me fais donc mourir, afin de me voler,

Scélérat ?

NICODÈME.

Là, réponds.

PIRANTE.

Ah ! je te ferai pendre.

CRISPIN.

Monsieur, n’en faites rien ; je vais vous tout apprendre.

Pour tirer votre argent de Monsieur Jaquemin,

Votre fils avec lui m’a fait jouer au fin ;

Mais j’ai plus à vous dire. Il s’est, à la sourdine,

Marié depuis peu.

PIRANTE.

Le traître me ruine.

Quelque gueuse l’aura fait prendre sur le fait !

Qu’a-t-il donc épousé ? qui ?

CRISPIN.

Madame Babet.

JAQUEMIN, à Crispin.

Ma fille ?

CRISPIN, à Jaquemin.

Votre fille.

JAQUEMIN.

Au déçu de son père ?

L’effrontée !

PERRETTE, à Jaquemin.

Il l’aimait, il l’épouse ; que faire ?

JAQUEMIN, à Perrette.

Tu l’as donc su ?

PERRETTE.

Moi ? non ; mais, enfin quand les gens...

PIRANTE.

Qu’on la fasse venir.

CRISPIN, à Pirante.

Elle est allée à Sens :

Mon Maître l’y doit joindre ; et, de là, ce me semble,

Ils se sont dit le mot, pour s’en aller ensemble.

JAQUEMIN, à Pirante.

Monsieur, je suis fâché...

PIRANTE.

Non, Monsieur Jaquemin ;

Ce peut être une fourbe, il en faut voir la fin.

À Crispin.

Mon fils t’attend ?

CRISPIN.

Monsieur, il est au Mouton-Rouge ;

Je m’en vais l’avertir, si vous voulez.

PIRANTE.

Ne bouge.

À Jaquemin.

Il faut l’aller surprendre ; et, s’il est marié,

Babet et ma filleule ; il est justifié :

Elle mérite assez d’entrer dans ma famille.

Allons.

JAQUEMIN.

Ah ! c’est, Monsieur, trop d’honneur pour ma fille.

NICODÈME, à Jaquemin.

Comme vous êtes riche, il faut...

JAQUEMIN.

Moi, riche ? abus ;

Je n’ai rien.

NICODÈME.

Eh ! morgué ! dégainez vos écus ;

A-vous peur, sous vos pieds, que la tarre vous faille ?

JAQUEMIN.

Il me faut laissez vivre ; après, vaille que vaille.

Si j’ai quelque pistole, on me la trouvera.

PIRANTE.

Hé ! Monsieur Jaquemin, on s’accommodera.

Je voudrais seulement que Babet elle-même...

PERRETTE.

Elle vient de partir : cours après, Nicodème ;

Tu la rattraperas.

NICODÈME.

Je vais prendre un cheval ;

Laisse-moi faire.

CRISPIN.

Enfin cela ne va pas mal.

PERRETTE, à Crispin.

Tu fais donc trépasser les gens, sans qu’ils le sachent ?

PIRANTE.

Souvent dans leurs desseins les jeunes gens se cachent.

Allons tout éclaircir ; et, si l’hymen est fait,

Je pardonne à mon fils ; pardonnez à Babet. 

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