La Coquette (Michel BARON)

Sous-titre : la fausse prude

Comédie en cinq actes, en prose.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre-Français, le 28 décembre 1686.

 

Personnages

 

DAMIS, mari de Céphise

CÉPHISE, femme de Damis

CIDALISE, nièce de Damis

LUCILE, cousine de Cidalise

ÉRASTE, amant de Cidalise

M. DURCET, conseiller

LE COMTE, amant de Lucile

M. BASSET, financier

LE PETIT CHEVALIER, frère de Lucile

MARTON, femme de chambre de Cidalise

PASQUIN, valet d’Éraste

UN LAQUAIS de Cidalise

UN LAQUAIS d’avocat

 

La scène est à Paris, dans l’antichambre de Cidalise.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

DAMIS, CIDALISE, MARTON

 

DAMIS, à Cidalise.

Hé ! ventrebleu, madame, mariez-vous, mariez-vous, mariez-vous ; eh ! mariez-vous, pour la centième fois, et ne vivez point comme vous faites.

CIDALISE.

Que fais-je donc, monsieur, de grâce, qui mérite des réprimandes de la sorte ?

DAMIS.

Eh ! mariez-vous, vous dis-je, et ne me forcez point à m’expliquer mieux.

CIDALISE.

Vous êtes mon oncle, monsieur.

DAMIS.

Oui, têtebleu ! je le suis.

CIDALISE.

Je ne conseillerais pas à qui que ce fût, dans le royaume, de penser la moindre des choses que vous m’osez dire.

DAMIS.

Je ne connais aussi personne dans le royaume qui voulût penser la moindre des choses que vous faites.

CIDALISE.

En vérité, monsieur, vous m’en dites un peu trop.

DAMIS.

N’en faites pas tant, je vous en dirai moins.

MARTON, bas, à Cidalise.

Ne lui répondez point, madame.

CIDALISE.

Laisse-moi.

DAMIS.

Il n’est point de patience qu’on ne poussât à bout.

CIDALISE.

Expliquez-vous, de grâce.

DAMIS.

Eh ! madame...

CIDALISE.

Parlez, je vous prie.

DAMIS.

Eh ! madame...

CIDALISE.

Oh ! parlez, monsieur, s’il vous plaît, ou me laissez en repos. Votre silence m’outrage plus que tout ce que vous pourriez me dire.

DAMIS.

Par la morbleu ! si je le rencontre chez vous...

CIDALISE.

Encore ?

DAMIS.

Je veux être le dernier des hommes...

CIDALISE.

Eh bien ?

DAMIS.

Si je n’avertis votre père.

CIDALISE.

De quoi ?

DAMIS.

Des visites d’Éraste, à qui j’ai défendu de venir ici.

CIDALISE.

En vérité, monsieur, si vous n’étiez point mon oncle, je vous dirais des choses qui ne vous plairaient point du tout.

DAMIS.

Et moi, parce que vous êtes ma nièce, je vous dirai que vous êtes une extravagante ; et que, si vous n’y donnez ordre et promptement, vous vous repentirez de n’avoir pas mieux profité de mes conseils.

MARTON.

Oh ! par ma foi, je ne sais plus où j’en suis. Quoi ! toujours des emportements, des menaces ! Il semble, à vous entendre, que nous ayons mérité... que sais-je, moi ? Mais aussi, n’est-il pas vrai. Ne dirait-on pas que nous commettons tous les crimes imaginables ? car, enfin, qui parle à madame, parle à moi ; qui la querelle, m’offense. Je ne saurais m’accoutumer à tout ceci ; c’est tous les jours chose nouvelle ; et, quelque déraisonnable que vous soyez aujourd’hui, il ne tiendra qu’à vous de l’être demain davantage.

CIDALISE.

Vous voyez, monsieur, ce que vos manières vous attirent.

DAMIS.

Je vous avais déjà priée, madame, de vous défaire de mademoiselle Marton.

MARTON.

Eh bien ! monsieur, je sortirai, j’y consens, je ne la verrai plus quereller mal à propos, du moins.

DAMIS.

Souvenez-vous-en, madame, je vous prie.

MARTON.

Allez, allez, monsieur, laissez-moi ce soin. Quelque plaisir qu’on ait d’être à madame, que ne ferait-on point pour ne vous plus voir ?

DAMIS.

Faites-la taire, madame ; cela n’a point bon air du tout, croyez-moi.

CIDALISE.

Ce n’est pas elle, monsieur, que j’aurais le plus d’envie qui se tût.

MARTON.

Oh ! par ma foi, je veux jouer de mon reste, et si je sors, au moins ne sera-ce point sans vous avoir dit ce que j’ai sur le cœur. Je voudrais bien savoir de quel droit vous vous érigez ici en pédagogue éternel. Madame ne sait-elle pas tout ce qu’elle doit faire ? Ah ! oui, vraiment, vous m’empêcheriez de voir le monde !

DAMIS.

Mademoiselle Marton, parle-je à vous ?

MARTON.

Une femme veuve ne rend compte de ses actions à personne.

DAMIS.

Voici de belles maximes !

MARTON.

Je serai mariée quelque jour, peut-être...

DAMIS.

Madame, je vous prie...

MARTON.

Et je deviendrai veuve, s’il plaît à Dieu.

DAMIS.

Faites-la retirer, du moins.

MARTON.

Les oncles n’auront qu’à venir...

DAMIS.

Encore ?

MARTON.

Le premier oncle qui viendra contrôler ma conduite...

DAMIS.

Eh bien, madame ?

MARTON.

Je le traiterai de fou, de ridicule, d’extravagant, d’impertinent, de... Allez, allez, qu’il me vienne un oncle seulement, vous verrez ce que c’est qu’une nièce qui a de l’esprit. Adieu.

Elle sort.

 

 

Scène II

 

DAMIS, CIDALISE

 

DAMIS.

Vous avez beaucoup d’honneur de garder une telle insolente ! Mais laissons cela ; j’ai des choses plus importantes à vous faire savoir. Vous me pousserez à des extrémités dont je me repentirai peut-être.

CIDALISE.

Allez-vous recommencer ?

DAMIS.

Comment donc ! qu’est-ce à dire ceci ?

CIDALISE.

Je rappellerai Marton.

DAMIS.

Perdez-vous l’esprit ?

CIDALISE.

Si vous continuez, je ne doute point que cela n’arrive.

DAMIS.

Souhaitez que je continue. Il vous importe que je prenne intérêt à votre conduite ; lorsque je l’abandonnerai toute à votre discrétion, défiez-vous des suites, si elle ne répond à mes intentions.

CIDALISE.

Quel galimatias me faites-vous de ma conduite, des suites, de vos intentions ? Que voulez-vous dire ?

DAMIS.

Il n’y a point de galimatias, madame ; ce sont les sentiments de votre père et les miens, et vous entendez fort bien ce que je veux vous faire entendre. Vous savez, je vous l’ai répété plus d’une fois, que le grand monde m’incommode ; c’est ici le rendez-vous de tous les fainéants de la cour et de la ville : point de distinction, tout y est bien reçu, et ce serait un miracle de ne trouver pas tout à la fois, dans votre chambre, provinciaux, gens de robe, abbés, poètes, musiciens, et quelque fat de la cour ; car il faut qu’il le soit pour demeurer en si mauvaise compagnie. Il ne se dit point de sottise à Paris que l’on n’ait faite ou entendue chez vous. Vous croyez, par ce chaos, fermer les yeux à tout le monde : vous vous trompez ; on démêle tout. Le Comte, on le sait, ne vient vous voir que pour entretenir Julie, la Marquise pour le Chevalier, Angélique pour monsieur l’Abbé. On sait aussi qu’Éraste, monsieur le Conseiller, M. Basset le financier, n’y viennent que pour vous, et que vous les trompez tous trois. Eh ! mariez-vous, madame, mariez-vous : prenez l’époux qu’un père vous destine, et ne nous forcez point, à prendre des mesures qui vous chagrineraient.

CIDALISE.

Oh ! faites, monsieur, oh ! faites tout ce que vous voudrez et tout ce que vous pourrez, pourvu que je n’entende plus de semblables discours.

DAMIS.

Oh bien ! madame, c’est assez. Vous verrez si votre père... Vous verrez, vous dis-je... C’est assez.

Il sort.

 

 

Scène III

 

CIDALISE

 

Ah ! juste ciel ! que tout ceci commence à me lasser ! Serai-je toute ma vie en tutelle ? bon Dieu !... Marton !.. Il est impossible de résister à tout cela... Marton !... Quoi ! tous les jours la même chose !... Mar...

 

 

Scène IV

 

MARTON, CIDALISE

 

CIDALISE.

Ah ! te voilà.

MARTON.

Votre oncle est sorti, Dieu merci !

CIDALISE.

Je n’en puis plus.

MARTON.

Comment ! vous a-t-il dit encore quelque chose ?

CIDALISE.

Tu n’as rien entendu.

MARTON.

La maudite nation que les oncles !

CIDALISE.

Il y en avait pour mourir.

MARTON.

Pour moi, je suis à bout ; je ne le comprends point.

CIDALISE.

Ni moi non plus.

MARTON.

Qui peut l’irriter de la sorte ?

CIDALISE.

Je commence à le deviner.

MARTON.

Il ne faut qu’une bagatelle pour le mettre de mauvaise humeur.

CIDALISE.

Un rien suffit pour le mettre en colère.

MARTON.

Cela est vrai. Vous ne vous levâtes pas hier assez matin, et vous le fîtes attendre à dîner : il querella deux heures ; je ne vois pas, pour moi...

CIDALISE.

Dîne-t-on devant trois heures à Paris ?

MARTON.

C’est ce que je lui dis. Il se plaint aussi que vous voyez trop de monde, et que...

CIDALISE.

Veut-il que je ferme la porte à tous mes amis ?

MARTON.

Quelle apparence ? Vous allez, dit-il, souvent aux comédies, à l’opéra, au bal, et vous jouez gros jeu.

CIDALISE.

Le carnaval, peut-on faire autre chose ?

MARTON.

J’en demeure d’accord. L’été, vous aimez à vous promener et vous ne revenez pas de bonne heure, d’ordinaire.

CIDALISE.

N’est-ce pas une chose bien étrange de se promener l’été ?

MARTON.

Rien n’est plus naturel, sans doute. Vous avez des amants, et le nombre, peut-être, pourrait...

CIDALISE.

Est-ce un crime d’avoir des amants ?

MARTON.

Bon ! un crime. Voilà un plaisant crime, ma foi. C’est un crime bien plutôt de n’en avoir pas aujourd’hui. Allez, allez, madame, il se moque de nous. Ne vous contraignez point. Pourvu qu’on ait la conscience nette, qu’importe des discours ? Laissez quereller monsieur votre oncle, n’en faites pas moins tout ce que vous voudrez. La liberté est une belle chose ; vous en jouirez tous deux. Il se veut fâcher, il se fâchera. Vous voulez vivre à votre manière, vous y vivrez.

CIDALISE.

Depuis très peu de temps ma conduite le blesse, et j’en découvre les raisons.

MARTON.

Il faut effectivement qu’il y ait quelque chose à tout ceci, que je ne comprends point. Depuis deux ans que je suis avec vous, nous avons toujours vécu comme nous vivons, et votre oncle ne nous persécute que depuis trois mois.

CIDALISE.

Et tu ne pénètres point encore d’où cela vient ?

MARTON.

Non, ma foi.

CIDALISE.

Tu ne vois pas là l’esprit de ma tante à découvert ?

MARTON.

Non, vous dis-je.

CIDALISE.

Tu ne connais pas que c’est elle qui pousse mon oncle à me tourmenter ?

MARTON.

Et pourquoi ?

CIDALISE.

Par jalousie.

MARTON.

Et de qui ?

CIDALISE.

De moi.

MARTON.

Expliquez-vous.

CIDALISE.

Elle s’imagine que je suis le seul obstacle à l’amour qu’elle a sans doute pour Éraste.

MARTON.

Ah ! par ma foi, madame, vous avez raison. Je rappelle mille et mille choses qui me convainquent de ce que vous dites. En vérité, je suis bien sotte.

CIDALISE.

Ne remarques-tu pas, toutes les fois qu’Éraste me vient voir, que ma tante descend aussitôt ici ?

MARTON.

Justement.

CIDALISE.

Qu’elle me charge toujours de quelque affaire qui m’oblige à sortir, afin qu’elle demeure seule avec lui ? J’ai vingt fois eu la pensée d’en avertir mon oncle.

MARTON.

Cela n’aurait de rien servi, madame. Il la verrait dans les bras de trente hommes, qu’il n’en prendrait aucun soupçon. Ses dehors affectés, ses discours éternels de morale et de vertu, son déchaînement contre tous les plaisirs, dont elle sait goûter jusqu’aux moindres délicatesses, lui donnent un empire absolu sur l’esprit de monsieur votre oncle.

CIDALISE.

C’est aussi ce qui m’a empêchée de hasarder la chose.

MARTON.

Vous avez fort bien fait.

CIDALISE.

Mais enfin, ils auront beau me persécuter ; la jalousie de ma tante, le pouvoir de mon oncle, ni celui de mon père même, ne me forceront point à me remarier contre mon inclination.

MARTON.

Gardez-vous bien, madame, de rien précipiter là dessus. Vertu de ma vie ! ce ne sont point ici des bagatelles. Vous iriez prendre quelque brutal de provincial, peut-être, qui nous taillerait de la besogne. Eh ! ne vous mariez point, madame, sans avoir bien examiné celui que vous choisirez. Brutal pour brutal, j’aime mieux un oncle qu’un mari.

CIDALISE.

Il faudra que je sois bien assurée de la complaisance de celui qui me déterminera au mariage.

MARTON.

Vous parlez en femme de bon sens. Un choix bon ou mauvais est excusable, la première fois ; la curiosité peut faire faire bien des choses ; mais, la seconde, il faut d’autres raisons que la curiosité.

CIDALISE.

Ah ! je sais trop ce qu’il m’en a coûté pour avoir obéi aveuglément.

MARTON.

Dans les sentiments où je vous vois, M. Durcet est celui qu’il vous faut.

CIDALISE.

Et sur quoi juges-tu cela, Marton ?

MARTON.

Sur le grand attachement que vous avez pour la liberté.

CIDALISE.

M. Durcet est un fort honnête homme : mais, ma pauvre Marton, je n’aime point les gens de robe.

MARTON.

Je ne vous en parlais que pour cette liberté qui vous est si précieuse. S’il découvre vos sentiments, il se pendra, madame, assurément. Il est vrai que vous ne le traitez pas plus mal que les autres, à qui vous promettez la même chose.

CIDALISE.

Tant que mon procès durera, dont il est rapporteur, je me garderai bien de le désabuser.

MARTON.

J’ai ouï dire que c’était un homme admirable pour les procès désespérés. Mais, madame, M. Basset n’est point homme de robe ; c’est un de ceux que vous flattez aussi de la même espérance.

CIDALISE.

Il n’est pas gentilhomme seulement.

MARTON.

Comment, madame, vous moquez-vous ? Son père et lui ne sont-ils pas dans les affaires ?

CIDALISE.

Ce n’est pas une conséquence.

MARTON.

Mais n’est-ce pas dans les affaires que l’on s’enrichit ?

CIDALISE.

Ordinairement.

MARTON.

Allez, allez, madame, il sera bientôt noble. Le nom changé fait tout : au lieu de Basset, monsieur le marquis. Acheter une charge, répandre deux milliers de pistoles à prêter à propos ; il trouvera des amis et des parents à la cour même. Son père l’a fait riche ; il fera son père gentilhomme. La plume usurpe la noblesse aussi bien que l’épée.

CIDALISE.

Quoi qu’il en soit, Marton, je ne serai jamais la femme de M. Basset, sous quelque nom ni quelque qualité que ce soit.

MARTON.

Pourquoi le lui promettez-vous ? Ah ! vraiment, je l’avais oublié. Les mille pistoles qu’il vous envoya hier, devaient bien m’en faire souvenir.

CIDALISE.

En vérité, c’est l’homme le plus obligeant que je connaisse. Il fit cela de la meilleure grâce du monde ; et sans lui, en vérité, je ne sais ce que je ferais, tout mon bien étant saisi comme il est.

MARTON.

Enfin donc, madame, la roture de M. Basset et la robe de M. Durcet vous déterminent en faveur d’Éraste.

 

 

Scène V

 

CIDALISE, M. DURCET, MARTON

 

CIDALISE, bas, à Marton.

Tais-toi, voici M. Durcet.

Haut.

En vérité, M. Durcet, je vous ai des obligations infinies. Vous faites paraître, en tout ce qui me regarde, une exactitude charmante.

M. DURCET.

Vous voyez, madame, que je n’ai seulement pas voulu quitter ma robe pour en être plus tôt auprès de vous.

CIDALISE.

L’empressement des gens que l’on considère fait un extrême plaisir.

MARTON.

Monsieur ne serait pas de ces gens qui, au retour d’un voyage, vont descendre chez le baigneur, pour ne pas dégoûter leur maîtresse.

M. DURCET.

Non, je vous en réponds ; j’y viendrais tout botté.

MARTON.

Tout botté !

CIDALISE.

Marton, ne plaisante point : il y a bien autant de passion à l’un qu’à l’autre.

MARTON.

Moi, madame, je ne plaisante point.

CIDALISE.

Eh bien ! monsieur, comment va mon procès ?

M. DURCET.

Ah ! madame, le rapporteur se tiendrait fort heureux si vous aviez autant d’ardeur pour lui qu’il en a pour tout ce qui vous touche.

CIDALISE.

Dites-moi, je vous prie, en quel état est mon procès.

M. DURCET.

Madame, rien ne m’embarrasse sur votre affaire ; et, quand il y aurait plus de difficulté qu’il n’y en a, j’ai des amis qui voudront bien me servir en appuyant mes sentiments. Si l’appel de la sentence de liquidation de vos conventions matrimoniales eût été plus tôt conclu et reçu, il y a longtemps que vous seriez hors d’affaire ; et je n’aurais pas manqué de vous accorder tout ce qui aurait dépendu de mon ministère, et au-delà, avec une rude condamnation de tous dépens, dommages et intérêts.

CIDALISE.

Quand tout cela sera fait, monsieur, aurai-je gagné mon procès ? car je ne comprends rien à ces choses.

M. DURCET.

Tout ira bien, madame, ne vous mettez point en peine.

MARTON.

Eh ! monsieur, comment pouvez-vous dormir avec tout ce tintamarre-là dans la tête ?

M. DURCET.

Ah ! Marton, si je n’avais autre chose qui m’empêchât de dormir...

CIDALISE.

Achevez, monsieur, que voulez-vous dire ?

M. DURCET.

Il vient des gens les soirs, qui me réveillent de bon matin, madame.

CIDALISE.

C’en est assez, je vous entends ; et je veux bien calmer vos inquiétudes. Les assiduités de M. Basset vous chagrinent ; croyez qu’elles me chagrinent autant que vous. C’est mon oncle qui l’oblige d’être sans cesse ici pour nous épier : je suis bien aise de vous en avertir, afin que vous évitiez de le rencontrer. Ces petits soins ne partent pas d’une âme tout à fait indifférente. Ah ! ne me croyez pas, je vous en dis trop. Je ne vous aime point au moins ; mais je ne veux pas que vous croyiez que j’en aime quelque autre.

M. DURCET.

Ah ! madame, souffrez, je vous prie...

CIDALISE.

Ah ! monsieur, c’en est assez. Après cela, je ne puis plus vous regarder.

M. DURCET.

Adieu, madame ; songez à moi quelquefois.

CIDALISE.

Adieu donc. Allez-vous-en ; ne me regardez pas.

MARTON, à M. Durcet.

Ah ! ne me regardez pas.

 

 

Scène VI

 

CIDALISE, MARTON

 

MARTON, rit.

Ah, ah, ah ! M. Durcet aurait grand besoin d’un bon verre de limonade. Mais n’appréhendez-vous point, madame, qu’Éraste, emporté fou comme il est...

CIDALISE.

À propos d’Éraste, nous sommes mal ensemble.

MARTON.

Ah ! vraiment ? je ne m’étonne donc plus que nous n’en ayons entendu parler d’aujourd’hui.

CIDALISE.

Il n’est point venu ici, dis-tu ?

MARTON.

Non, madame.

CIDALISE.

Il n’y a point envoyé ?

MARTON.

Personne n’est venu.

CIDALISE.

Cela ne se peut. Tandis que mon oncle nous parlait, peut-être...

MARTON.

Cela se peut fort bien, madame ; car j’ai descendu là bas tout exprès pour m’en informer.

CIDALISE.

Tu te trompes.

MARTON.

Je ne me trompe point.

CIDALISE.

Le portier dormait, sans doute.

MARTON.

Il ne dormait point.

CIDALISE.

Il y enverra donc. Attends ici. Voilà son portrait. Cette bague est de lui. Prends ce miroir encore. S’il vient lui-même, remets-lui tout cela entre les mains. Si Pasquin vient le premier, qu’il le reporte à son maître ; qu’il me rende mes lettres ; et que, surtout, il sache que je ne le veux plus voir.

MARTON.

Hé ! que ne me disiez-vous cela d’abord ? Je ne vous aurais pas tant questionnée, pour savoir qui des trois vous aimez davantage.

CIDALISE.

Fais ce que je te dis.

Elle sort.

 

 

Scène VII

 

MARTON

 

S’il ne tient qu’à dire à Éraste qu’on ne veut plus le voir, la chose n’est pas difficile ; ou, si le maître ne vient point, en instruire le valet, cela est fort aisé. À l’égard de ce qu’il faut remettre entre les mains de l’un ou de l’autre, il y a bien des choses à dire là dessus. Pour la bague, Éraste me la donnerait sans doute. Pour ce miroir, je n’aurais qu’à le lui demander. Je serais bien ingrate de ne pas garder le portrait d’un homme qui me veut tant de bien.

 

 

Scène VIII

 

PASQUIN, MARTON

 

PASQUIN.

Bonjour, Marton.

MARTON.

Bonjour.

PASQUIN.

Bonjour.

MARTON.

Eh bien ! bonjour, bonjour. N’as-tu que cela à me dire ? Te voilà bien effaré ?

PASQUIN.

Oui, vraiment, je le suis. Tu parles bien à ton aise. Vois-tu, quand on est amoureux...

MARTON.

Toi amoureux ?

PASQUIN.

Moi amoureux ? Non, je me donne au diable. Je ne veux point devenir fou comme mon maître ; je veux dormir, boire et manger : ces choses si utiles à la vie sont les choses dont on parle le moins chez nous. Au diantre soit l’amour ! Tiens, tiens, voilà une lettre pour ta maîtresse ; je crois qu’elle n’en sera pas aussi contente que des autres.

MARTON.

Cidalise ne veut entendre parler ni d’Éraste, ni de ses lettres.

PASQUIN.

Tant mieux. Je vais lui reporter celle-ci. N’as-tu rien à me dire autre chose ?

MARTON.

Tu lui diras que j’ai fait humainement pour lui tout ce que j’ai pu faire auprès de ma maîtresse ; et qu’elle est si fort irritée, qu’il m’a été impossible de l’adoucir.

PASQUIN.

Ah ! bien, bien, billes pareilles. Mon maître est dans une rage contre elle à n’en revenir jamais. Il avoue qu’on le trompe, et l’avoue pour la première fois de sa vie ; l’aventure d’hier l’a dégagé absolument.

MARTON.

Mais d’où donc est venu tout ce désordre ?

PASQUIN.

Tu ne le sais point ?

MARTON.

Non, ma foi.

PASQUIN.

Je vais te l’expliquer. Peste ! l’affaire est délicate, et l’on romprait à moins.

MARTON.

Point tant de digressions ; achève, je te prie.

PASQUIN.

Mon maître était à la Foire hier avec ta maîtresse.

MARTON.

Eh bien ? ton maître était à la Foire : après ?

PASQUIN.

Il passa un jeune homme que Cidalise trouva fort bien fait. Aussitôt Éraste regarde une jeune personne, qu’il trouva fort aimable. Cidalise redoubla ses louanges pour le cavalier ; Éraste exagéra les siennes pour la jeune personne. Ta maîtresse recommençait toujours, mon maître ne finissait point, et la fin de la conversation fut qu’ils se trouvèrent tous deux si laids, si laids, qu’ils se séparèrent avec des serments de ne se revoir de leur vie.

MARTON.

Tu n’as plus rien à me dire ? Adieu.

PASQUIN.

Demeure ici. J’entends Éraste, paie-le de son impatience ; aussi bien lui feras-tu mieux comprendre les choses.

 

 

Scène IX

 

PASQUIN, MARTON, ÉRASTE

 

ÉRASTE, à Pasquin.

As-tu parlé à Cidalise elle-même ?

MARTON.

Monsieur...

ÉRASTE.

Eh bien, Marton ?

PASQUIN.

Voici la lettre.

ÉRASTE.

Une réponse ? Elle me fait beaucoup d’honneur, vraiment !

MARTON.

Monsieur, je suis chargée...

ÉRASTE.

Attendez, Marton, je vous prie.

PASQUIN.

Monsieur, Marton n’a point voulu...

ÉRASTE, à Pasquin.

Tais-toi.

MARTON.

Monsieur, je suis fâchée...

ÉRASTE, à Marton.

Un moment, s’il vous plaît.

À Pasquin.

C’est ma lettre ?

PASQUIN.

Oui, monsieur.

ÉRASTE, à Marton.

Elle ne l’a point voulu recevoir ?

MARTON.

Non, monsieur.

ÉRASTE, à Pasquin.

Pourquoi donc demeurer si longtemps ?

PASQUIN.

J’instruisais Marton de votre démêlé.

MARTON.

Je le priais de vous dire qu’il n’aurait pas tenu à moi...

ÉRASTE.

C’est assez, Marton, voilà qui va le mieux du monde.

Il parle à l’oreille à Pasquin, et lui remet une clef.

PASQUIN.

Oui, monsieur.

ÉRASTE.

Pasquin, tu n’as point parlé à Cidalise ? Ah ! tu m’as déjà dit que non. Va-t’en. Pasquin. Je suis ici dans un moment.

Il sort.

 

 

Scène X

 

ÉRASTE, MARTON

 

ÉRASTE.

Eh bien donc, Marton, on ne me veut plus voir ?

MARTON.

Monsieur...

ÉRASTE.

J’en suis ravi, je vous jure. Elle m’a prévenu, comme vous voyez. Elle vous a entretenue de son procédé avec moi ?

MARTON.

Non, monsieur, je vous assure. J’ai su qu’elle ne voulait plus vous voir, sans en apprendre la cause.

ÉRASTE.

Que je sois le dernier des hommes, que tous les malheurs imaginables m’arrivent, si je lui parle de ma vie, si je ne romps avec elle pour jamais, si je ne l’oublie, ou si je m’en souviens que pour me venger de ses perfidies. Où est-elle ?

MARTON.

Elle est dans sa chambre, monsieur.

ÉRASTE.

Ah ! qu’elle y demeure ; je suis las d’essuyer ses caprices. Que fait-elle ?

MARTON.

Je crois qu’elle essaie une robe.

ÉRASTE.

Elle peut faire tout ce qui lui plaira ; mais je n’en serai plus la victime, sur ma parole. Elle n’est point sortie depuis qu’elle est levée ?

MARTON.

Non, monsieur.

ÉRASTE.

Qu’elle sorte, qu’elle ne sorte point ; qu’elle, aille au bout du monde, j’y prends peu d’intérêt. Que voulait ce laquais qui sortait quand je suis entré ?

MARTON.

Je n’ai vu de laquais ici que le vôtre.

ÉRASTE.

Ah ! mon enfant, je n’ai point de curiosité, je vous jure. Je croirai, si vous voulez, que personne ne l’est venu voir d’aujourd’hui.

MARTON.

Non, je vous en réponds.

ÉRASTE.

Eh ! que m’importe ? je ne veux rien apprendre de ce qui la regarde. Qu’elle soit tranquille comme je le suis, et comme elle l’est sans doute.

MARTON.

Je ne sais point lire dans les cœurs.

ÉRASTE.

Qu’elle me méprise.

MARTON.

Cela serait difficile.

ÉRASTE.

Qu’elle me haïsse.

MARTON.

Elle ne hait personne.

ÉRASTE.

Adieu, Marton.

Il va pour sortir, et revient sur ses pas.

Je vous demande en grâce qu’elle ne sache point que je suis venu ici.

MARTON.

Je ferai ce que vous voudrez.

ÉRASTE.

Je vous en prie, au moins.

MARTON.

Cela suffit.

ÉRASTE.

Vous vous en souviendrez ?

MARTON.

Je vous en réponds.

ÉRASTE va pour sortir, et revient sur ses pas.

Non, Marton... Je vous prie, dites-lui que vous m’avez vu.

MARTON.

Je le veux bien.

ÉRASTE.

Peignez-moi à ses yeux aussi indifférent que je vous le parais.

MARTON.

Je n’y manquerai pas.

ÉRASTE.

Dites-lui bien tout ce que je vous ai dit.

MARTON.

Je le ferai.

ÉRASTE.

Que je ne songe plus à elle.

MARTON.

C’est assez.

ÉRASTE.

Que je ne l’aime plus.

MARTON.

Je lui dirai.

ÉRASTE.

Que je ne la veux plus voir.

MARTON.

Je n’oublierai rien.

ÉRASTE.

Adieu, Marton.

MARTON.

Adieu, monsieur.

ÉRASTE va pour sortir, et revient sur ses pas.

Il faut qu’elle apprenne mes sentiments de ma propre bouche.

MARTON.

Oh ! pour cela, monsieur, je ne puis.

ÉRASTE.

Comment donc ?

MARTON.

Elle m’a défendu expressément de vous laisser entrer.

ÉRASTE.

Je ne veux lui dire qu’un mot.

MARTON.

Il m’est impossible.

ÉRASTE.

Ma pauvre Marton...

MARTON.

Non, monsieur, je n’en ferai rien.

 

 

Scène XI

 

PASQUIN, MARTON, ÉRASTE

 

PASQUIN.

Monsieur...

ÉRASTE, à Pasquin.

Attends un moment.

À Manon.

Ma pauvre Marton, fais-moi le plaisir, au moins, de lui dire que je suis ici.

MARTON.

Vous me ferez gronder.

ÉRASTE.

Oblige-moi, je t’en conjure.

MARTON.

Cela ne servira de rien.

ÉRASTE lui donne une bague.

Tiens, Marton ; va, je te prie.

MARTON, mettant la bague à son doigt.

On ne peut vous rien refuser.

Elle sort.

 

 

Scène XII

 

PASQUIN, ÉRASTE

 

ÉRASTE.

M’as-tu apporté tout ce que je demandais ?

PASQUIN.

Voilà, premièrement, la clef de votre cassette ; les lettres que vous me demandiez n’y étaient point.

ÉRASTE.

Elles étaient dans mon écritoire.

PASQUIN.

Je les y ai trouvées aussi.

ÉRASTE.

Les as-tu enfin ?

PASQUIN.

Oui, monsieur.

ÉRASTE.

Donne donc.

 

 

Scène XIII

 

MARTON, ÉRASTE, PASQUIN

 

ÉRASTE.

Eh bien, Marton ?

À Pasquin.

Attends.

MARTON.

Je vous l’avais bien dit, monsieur, que je serais querellée. Elle ne veut plus vous voir absolument. On m’appelle. Adieu, monsieur, j’en suis au désespoir.

 

 

Scène XIV

 

PASQUIN, ÉRASTE

 

ÉRASTE.

Où sont ces lettres ?

PASQUIN.

Les voici.

ÉRASTE.

Les tablettes ?

PASQUIN.

Les voilà.

ÉRASTE.

Le portrait ?

PASQUIN.

Je le tiens.

ÉRASTE.

Le cachet ?

PASQUIN.

Vous le voyez.

ÉRASTE.

Donne tout cela à Marton ; qu’elle le rende à sa maîtresse.

PASQUIN.

Je vais lui donner tout à l’heure.

Éraste s’en va.

 

 

Scène XV

 

PASQUIN

 

Oui dà ! oh ! quelque sot, ma foi. Donnants, donnant ; autrement, point d’affaire. J’ai bonne mémoire ; il nous revient un miroir, un portrait, aussi une bague. Si l’on rend, nous rendrons, et si l’on garde, nous garderons.

 

 

Scène XVI

 

PASQUIN, MARTON

 

MARTON.

Ton maître est sorti ?

PASQUIN.

Oui ; pourquoi ? Veut-on parler d’accommodement ? faut-il ménager quelque entrevue ? Parle ; je suis plénipotentiaire absolu : tu n’as qu’à dire.

MARTON.

Tu ne dis que des sottises ; tais-toi. J’ai oublié de lui demander les lettres de ma maîtresse.

PASQUIN.

Je suis ici resté pour te redemander celles de mon maître.

MARTON.

Je crois que j’ai les siennes ici.

PASQUIN.

Je pense avoir celles de ta maîtresse aussi.

Ils se remettent mutuellement un paquet de lettres.

MARTON.

N’as-tu plus rien à me dire ?

PASQUIN.

N’as-tu plus rien à me faire savoir ?

MARTON.

J’ai, ce me semble, encore quelque chose à te donner.

PASQUIN.

J’ai, si je ne me trompe, quelque chose encore à te rendre.

MARTON.

Non, je m’abuse. Mais rends-moi ce que tu veux dire.

PASQUIN.

Non, je revois, Marton ; je n’ai plus rien à te donner.

MARTON.

Que parles-tu là d’un cachet ?

PASQUIN.

Que murmures-tu d’une bague ?

MARTON.

Ah ! vraiment, je m’en ressouviens. Tiens, tiens, Pasquin, voici...

PASQUIN.

Ah ! je m’en ressouviens aussi. Tiens, tiens, Marton, voilà... 

MARTON.

On m’a chargé de remettre ceci entre tes mains.

Elle rend un porte-lettre.

PASQUIN.

J’ai ordre de remettre ceci entre les tiennes.

Il rend un bracelet de cheveux.

MARTON.

Ce n’est point là le cachet.

PASQUIN.

Ce n’est point là la bague.

MARTON.

Peste soit du fripon !

PASQUIN.

Friponne toi-même ! Que veux-tu dire ? Rends-moi le bracelet, je te rendrai le porte-lettre.

MARTON.

Je dirai tout cela à ton maître.

PASQUIN.

Et moi je le dirai à ta maîtresse. Tiens, vois-tu, sans tant barguigner, rends-moi la bague, et voilà le cachet.

MARTON.

La bague vaut mieux.

PASQUIN.

Tiens, voilà encore les tablettes par dessus : j’y perds, par ma foi.

MARTON.

Donne.

PASQUIN.

Au voleur.

MARTON.

Prends donc, maraud. Te tairas-tu ? Donne-moi le portrait de ma maîtresse, je te rendrai celui de ton maître.

PASQUIN.

Et le miroir ?

MARTON.

Le voilà.

PASQUIN.

Tiens. Mais je ne veux plus de commerce entre nous ; j’aime les gens de bonne foi.

MARTON.

Point de chagrin.

PASQUIN.

Va, va, je suis bon prince.

MARTON.

Sois discret, au moins.

PASQUIN.

Ne babille pas seulement.

MARTON.

Bouche close.

PASQUIN.

Chut.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

CIDALISE, MARTON

 

MARTON.

Vous avez mis Éraste au désespoir.

CIDALISE.

Ce n’est point cela à présent dont il est question. Que fait mon oncle ? que dit-il ?

MARTON.

Votre oncle est parti pour aller trouver votre père.

CIDALISE.

Pour aller trouver mon père ?

MARTON.

Rien n’est plus assuré.

CIDALISE.

Qui te l’a dit ?

MARTON.

Personne : mais il est sorti à six chevaux, il a pris sa petite calèche ; où voudriez-vous qu’il allât ?

CIDALISE.

Il y a bien de l’apparence à ce que tu dis. J’ai peur de quelque extravagance. C’est un homme dont je crains tout.

MARTON.

On appelle cela justement avoir peur de son ombre. Que vous peut-il faire ?

CIDALISE.

Il était ce matin dans une furieuse colère.

MARTON.

Il était, il y a huit jours, dans une rage effroyable.

CIDALISE.

Quand donc ? Je ne m’en souviens point.

MARTON.

Vous avez bientôt perdu la mémoire. Quoi ! vous avez oublié cette charmante nuit où tous les éléments se déchaînèrent pour nous faire enrager ; cette nuit où le vent, l’eau et le vin nous causèrent tant de désordre ; point de flambeaux, plus de laquais, le cocher ivre-mort, ses chevaux et nous au milieu d’un bourbier ?

CIDALISE.

Ce jour que nous revînmes à huit heures au matin ?

MARTON.

Celui-là même. Ne vous sou vient-il point non plus que monsieur votre oncle nous attendait dans la cour ; qu’il se promenait en long, en large ; qu’il prenait le ciel à témoin, qu’il tempêtait, qu’il menaçait ?

CIDALISE.

Oh ! pour ce jour là, je t’avoue que j’en eus pitié.

MARTON.

Madame votre tante ne vous fit-elle point de pitié aussi, qui le contrefaisait en tout, et l’adoucissait d’une manière à l’irriter mille fois davantage ?

CIDALISE.

Je crois qu’elle s’évanouit aussi.

MARTON.

Elle en fit semblant du moins : mais je lui jetai une aiguiérée d’eau par le nez, qui lui fit bientôt changer de résolution. Mort de ma vie ! je n’aime point les hypocrites ; elle n’était fâchée que de n’avoir pas été avec nous.

CIDALISE.

Il n’en faut point douter.

MARTON.

Oh çà donc, croyez-moi, ne vous allez point mettre de fariboles dans la tête, qui ne sont bonnes à rien. Que monsieur votre oncle se fâche ou ne se fâche point, tout cela est la même chose à votre égard.

CIDALISE.

Tu as raison.

MARTON.

Voyons donc pour Éraste.

 

 

Scène II

 

CIDALISE, MARTON, UN LAQUAIS

 

UN LAQUAIS.

M. Basset, madame.

CIDALISE, à Marton.

Faites monter.

Marton et le Laquais sortent.

 

 

Scène III

 

CIDALISE

 

La visite de cet homme m’embarrasse. On n’aime point à voir les gens à qui l’on a de certaines obligations.

 

 

Scène IV

 

CIDALISE, M. BASSET

 

CIDALISE.

Eh ! bonjour, M. Basset : j’ai bien des remerciements à vous faire.

M. BASSET.

Je suis ravi, madame, d’avoir eu une occasion en ma vie de vous faire un petit plaisir.

CIDALISE.

Il est certain que peu de gens aiment aussi délicatement que vous. La plupart ne vous disent que des sottises : ils croient avoir bien rencontré de vous dire qu’ils vous adorent, et qu’ils vont mourir pour vous, si vous ne les aimez ; que, si vous leur faites cette grâce, ils vous serviront toute leur vie ; comme si l’on avait bien à faire de leurs services ! et, dans les choses essentielles, ils demeurent tout court.

M. BASSET.

Pour moi, madame, je ne m’amuse point à la bagatelle : vous me trouverez toujours mon coffre-fort ouvert.

CIDALISE.

Je ne crois pas, monsieur, que je vous mette souvent à de pareilles épreuves. Vous êtes bien persuadé qu’aussitôt que mes affaires seront terminées...

M. BASSET.

Ne parlons plus de cela, madame, je vous prie ; ce sont des bagatelles, vous dis-je, qui ne méritent pas qu’on s’en souvienne.

CIDALISE.

Vous avez l’âme belle, monsieur.

M. BASSET.

Point du tout, madame, cela ne me coûte rien : mes droits de présence me valent cela en une année.

CIDALISE.

En vérité, monsieur, je ne saurais assez vous témoigner...

M. BASSET.

Si vous aviez autant d’envie de reconnaître la tendresse que j’ai pour vous, qui mériterait bien mieux d’être récompensée...

CIDALISE.

Oh ! M. Basset, je vous prié, laissez-moi terminer mes affaires. Je n’ai plus qu’une année à passer pour être absolument maîtresse de mes volontés ; donnez-vous patience jusque là, s’il vous plaît : alors je vous permets de vous plaindre, si vous n’avez pas lieu d’être content de moi.

M. BASSET.

Vous me faites une belle promesse, madame ; vous me permettez de me plaindre.

CIDALISE.

Oh ! M. Basset, que vous donnez un mauvais sens aux choses qu’on vous dit !

M. BASSET.

Eh bien ! madame, je prendrai patience, pourvu que vous ne voyiez plus M. Durcet.

CIDALISE.

Ah ! vraiment, j’oubliais bien de vous en parler. C’est un homme qui me désespère. Il est ici presque tous les jours ; j’ai découvert ce qui l’amène. Mon oncle l’a prié d’observer ceux qui viennent ici : et, dans la pensée que mon père et lui ont de me faire épouser un gentilhomme de leur province, ils veulent m’ôter la liberté de voir qui que ce soit. Ils vous redoutent plus qu’un autre ; c’est pourquoi je vous prie bien fort d’éviter, autant que vous pourrez, la présence de M. Durcet.

M. BASSET.

En vérité, madame, vous me rendez la vie.

 

 

Scène V

 

CIDALISE, M. BASSET, MARTON

 

MARTON.

Lucile, votre jeune cousine, voudrait vous parler un moment.

CIDALISE.

Hélas ! la pauvre petite personne ! je serai bien aise de la voir. Adieu, M. Basset, que rien ne vous inquiète.

M. BASSET.

Quand on aime comme je fais...

CIDALISE.

Adieu, M. Basset.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

CIDALISE, LUCILE, MARTON

 

CIDALISE.

Eh bien ! ma chère enfant, il y avait longtemps que je ne vous avais embrassée. Vous ne me dites mot ?

LUCILE.

Ma cousine, au moins je vous prie bien fort de ne point dire à ma mère que je suis venue ici.

CIDALISE.

Pourquoi donc cette précaution ? Est-ce qu’il y a du mal à me venir voir ?

LUCILE.

Eh ! mon Dieu, ne savez-vous pas son humeur ? Elle ne me croit jamais bien qu’avec elle, et, pour surcroît encore, Céphise, votre tante, l’achève de gâter. Ma mère m’a envoyée chez elle ; mais j’ai pris ce temps là pour vous prier de me faire une grâce.

CIDALISE.

J’apprends tous les jours des choses nouvelles de ma chère tante. Marton, Céphise n’a pas manqué de parler de moi, chez la mère de ma cousine, dans ses termes ordinaires.

MARTON.

Sans mentir, voilà un méchant esprit.

LUCILE.

Ne lui en témoignez rien, je vous prie.

CIDALISE.

N’ayez aucune peur. Mais que dit-elle de moi à votre mère ?

LUCILE.

Oh ! ma cousine, je n’oserais vous le dire.

MARTON.

Allez, allez, ne craignez rien ; nous sommes accoutumées à son langage ; car je crois qu’elle ne m’épargne pas plus que les autres.

LUCILE.

Ah ! vraiment non ; elle commence toujours par vous.

MARTON.

Eh bien ?

LUCILE.

Eh bien ! elle dit que vous êtes la plus méchante fille du monde ; que c’est vous qui entraînez ma cousine dans le libertinage où elle vit ; que c’est vous qui l’empêchez de se remarier, parce que tous ses amants vous font des présents ; que vous avez intérêt de faire durer ce manège autant de temps que vous le pourrez, puisqu’un mariage ferait bientôt cesser ce commerce. Que sais-je, moi ? je n’aurais jamais fait, si je vous disais tout ce qu’elle dit.

MARTON.

Par ma foi, madame, avec tout le respect que je vous dois, voilà une impudente carogne !

CIDALISE.

Ne vous contraignez point, Marton ; je vous avoue de tout. Et de moi, ma cousine, que dit-elle ?

LUCILE.

Mais elle dit que vous ne la voulez point croire ; que vous ne faites rien qu’à votre tête ; qu’elle s’est bannie de chez vous, parce que vous vous moquiez de ses corrections ; que cependant elle avait pour vous toutes sortes de complaisances ; que vous la traîniez dans tous les plaisirs, qu’elle prenait comme autant de mortifications.

MARTON.

La scélérate !

CIDALISE.

Après, ma cousine ?

LUCILE.

Mais après, elle dit que vous donnerez la mort à son mari ; qu’il y a huit jours que vous ne revîntes qu’à huit heures du matin ; et que cela, joint avec d’autres choses qu’elle ne dit point, suffiront pour avoir des moyens de vous punir.

CIDALISE.

Oh ! je la mets au pis. Si l’on approfondissait son cœur et le mien, malgré cette vertu dont elle fait tant de bruit, on y trouverait de terribles différences. Mais, poursuivez, je vous prie.

LUCILE.

Mais, elle me fait sans cesse de grands sermons qui durent deux heures, de ne jamais parler à pas un homme ; que ce sont tous des trompeurs.

MARTON.

Eh ! d’où diantre le sait-elle ? Quelqu’un l’a-t-il jamais voulu tromper ?

LUCILE.

Ah ! vraiment, vous n’auriez qu’à lui dire cela !

CIDALISE.

Ensuite, ma cousine ?

LUCILE.

Mais ensuite, je m’endors ; et ma mère me donne un soufflet pour me réveiller.

CIDALISE.

Mais, ma chère cousine, je vous en prie, tâchez de vous ressouvenir de toutes les faussetés dont elle me noircit.

LUCILE.

Oh ! dame, ma cousine, je ne suis pas venue ici pour cela. Chacun songe à ses affaires, voyez-vous !

CIDALISE.

Eh ! mon enfant, quelles affaires avez-vous ?

LUCILE.

J’aurai bien de la peine à vous le dire.

CIDALISE.

Je ne puis pas non plus le deviner.

LUCILE.

Mais, ma cousine, vous n’en parlerez donc à personne au moins ?

MARTON.

Voulez-vous que je m’en aille ?

LUCILE.

Bien au contraire, puisque vous êtes si habile, vous m’aiderez, s’il vous plaît.

CIDALISE.

Dites donc vite ; car il pourrait venir quelqu’un.

LUCILE.

Tenez, Marton sait bien ce que c’est ; car elle me regarde.

MARTON.

Je parie qu’elle aime quelqu’un.

LUCILE.

Eh bien ! oui, puisque vous voulez le savoir.

CIDALISE.

Eh bien ! ma cousine, ce n’est pas un grand crime.

LUCILE.

Ah ! vraiment, si vous entendiez et ma mère et Céphise, il n’y a point assez de tourments pour punir une fille qui aime.

CIDALISE.

Mais c’est selon, ma cousine : il y a des amours criminels, dont je ne vous crois point capable.

LUCILE.

Mais quel crime peut-il y avoir d’aimer bien tendrement, de souhaiter d’être incessamment avec la personne qu’on aime, et d’être au désespoir de ne le pouvoir pas ?...

CIDALISE.

Est-ce un homme de qualité ?

LUCILE.

Assurément. On l’appelle monsieur le Comte ; mais si vous le voyiez, ma cousine, vous l’aimeriez. Il est petit, mais il a le meilleur air du monde, les yeux si beaux ! il chante comme un ange ; il danse on ne peut pas mieux.

CIDALISE.

Vous lui avez donc parlé ?

LUCILE.

Fort souvent, ma cousine. Il passait le soir par dessus la muraille du jardin d’un de ses amis ; ce jardin donnait dans le nôtre ; une demoiselle de ma mère, qu’on a chassée pour cela, le faisait monter dans sa chambre, et nous causions tous trois toute la nuit.

MARTON.

Ces pauvres enfants !

LUCILE.

Oh ! Marton, vous ne savez pas tout ; il a été une fois trois jours au logis à ne vivre que de confitures.

MARTON.

Et il n’en est point mort ?

LUCILE.

J’en serais bien fâchée.

CIDALISE.

Mais enfin, de quoi s’agit-il ?

LUCILE.

Il va venir ici, ma cousine, si vous le trouvez bon. Comme nous ne pouvons plus nous voir chez nous, j’ai cru que vous voudriez bien me faire le plaisir de souffrir qu’il vînt ici quelquefois. Je demanderai congé pour aller voir Céphise ; je n’y demeurerai qu’un moment, et je viendrai passer quelques heures avec vous et avec lui.

MARTON.

La pauvre petite innocente !

CIDALISE.

Très volontiers, ma cousine ; et même je vous réponds, si c’est un parti qui vous convienne, d’en faire parler à votre mère par des gens qu’elle aura peine à refuser.

LUCILE.

Hélas ! ma cousine, que je vous aurai d’obligation !

 

 

Scène VII

 

CIDALISE, PASQUIN, MARTON, LUCILE

 

CIDALISE.

Eh, bon Dieu ! Pasquin, que veut dire ceci ? que signifie cet équipage ?

PASQUIN.

Il ne signifie rien de bon.

MARTON.

Explique-toi.

PASQUIN.

Hélas ! j’ai le cœur si serré !

CIDALISE.

Eh ! de quoi ?

PASQUIN.

Ah ! madame...

MARTON.

Eh bien ! parleras-tu ?

PASQUIN.

Adieu parents, amis, patrie ; adieu Paris ; adieu Saint-Cloud, Boulogne et Vincennes. Peut-on quitter de si braves gens sans étouffer de douleur !

CIDALISE.

Et pourquoi les quitter ?

PASQUIN.

Pour ne vous plus voir, madame. Nous allons chercher, mon maître et moi, un pays où l’on ne trompe point.

MARTON.

Et où le trouveras-tu ce pays ?

PASQUIN.

Partout où il n’y aura point de femmes.

MARTON.

Mais tu trouveras des femmes partout.

PASQUIN.

Elles ne seront peut-être pas comme ici.

MARTON.

Elles seront partout de même.

CIDALISE.

Oh ! finis, je t’en prie. Que demandes-tu ? que veux-tu ?

PASQUIN.

Mon maître m’a chargé, madame, de venir vous faire ses adieux.

CIDALISE.

Où va-t-il ?

PASQUIN.

Il ne me l’a point dit, madame.

CIDALISE.

Mais qui le fait partir si promptement ?

PASQUIN.

Le désespoir où vous l’avez mis ce matin. Franchement, madame, vous en avez usé un peu cavalièrement avec nous. Enfin, rebuté de vos mépris, il s’est jeté dans son carrosse, à ce qu’on m’a dit ; car, si j’y avais été, je l’eusse bien empêché d’en rompre les glaces, soit dit par parenthèse. Il est entré chez lui ; il a donné mille coups de bâton à tous ses gens.

MARTON.

Y étais-tu pour lors, Pasquin ?

PASQUIN.

Non, Marton, heureusement : quand je suis arrivé, l’expédition était faite. Il est ensuite monté dans sa chambre ; j’y étais pour lors. Ah ! que je suis misérable, a-t-il dit, de m’attacher à la plus franche coquette de Paris ! Je ne redis pas fidèlement les paroles, mais c’est le sens toujours. Allons, allons, a-t-il poursuivi, méprisons ceux qui nous méprisent, c’est trop longtemps passer pour une dupe. Je ne vous dis point qu’il assaisonnait chaque parole de coups de pied contre les fauteuils, d’égratignures au visage ; cela s’en va sans dire. Enfin, madame, lassé de faire le possédé, il est demeuré immobile ; la nature a cédé à des efforts si violents, il s’est traîné contre son lit, ses genoux se sont dérobés sous lui, sa tête est tombée sur ses bras.

MARTON.

Il s’est évanoui ?

PASQUIN.

Non, Marton.

CIDALISE.

Est-il mort ?

PASQUIN.

Non, madame, il s’est endormi.

MARTON.

Peste soit du maraud !

PASQUIN.

Après trois bonnes heures, il s’est réveillé en sursaut. Mon cher Pasquin, m’a-t-il dit, allons, partons, courons au bout du monde. Que le même soleil n’éclaire plus deux personnes que leurs inclinations ont si fort séparées. Elle ne jouira plus de mes peines : si je suis assez lâche pour en soupirer, elle n’en triomphera pas du moins, l’ingrate ! la perfide ! et cent autres belles épithètes qui convenaient parfaitement au sujet.

CIDALISE.

Achève, je t’en prie.

PASQUIN.

Enfin, madame, comme je me préparais à remplir sa valise, il m’a rappelé d’un ton à fendre le cœur le plus dur. Je veux lui écrire, a-t-il repris, avant que de la quitter. Pasquin, apporte-moi mon écritoire. Vous ne pleurez point, madame ?... Apporte-moi de la bougie.

À Marton.

Tu ne pleures point, vilaine ?

CIDALISE.

Finiras-tu ?

PASQUIN.

Tout est fini, madame. Il a écrit une lettre, qu’il m’a dit de vous apporter.

MARTON.

Pourquoi ces bottes ?

PASQUIN.

Pour rendre la chose plus touchante.

CIDALISE lit la lettre d’Éraste.

« Puisque vous aimer et vous estimer sont deux choses incompatibles, je renonce à vous pour jamais. Je pars pour aller en Flandre, et je fuirai désormais tous les lieux où vous serez. Je ne demeurais ici que pour vous. Un peu de mérite, et toute la passion imaginable, n’ont pu vous rendre fidèle ; rien ne me retient plus. Je ne vous parle point de l’état où vous m’avez mis : si vous étiez sensible, vous ne pourriez le concevoir sans mourir de douleur ; mais la dureté de votre cœur y a mis bon ordre, et celle qui a fait tout le malheur de ma vie pourrait apprendre ma mort sans répandre une larme. »

PASQUIN.

Peut-on écrire plus tendrement ? Puisque vous estimer et partir pour la Flandre sont deux choses incompatibles, je suivrai désormais toute la passion imaginable pour ne vous plus aimer. Je ne demeurais ici que pour la dureté de votre cœur, et je pourrais apprendre votre mort sans répandre une larme.

CIDALISE.

Tais-toi donc, Pasquin.

PASQUIN.

Rien ne me retient plus... Quoi ! vous riez encore !

MARTON.

Le moyen de s’en empêcher ?

PASQUIN.

Allez, cela n’est pas bien du tout. Vous devriez mourir de honte. Le ciel vous punira toutes deux.

CIDALISE.

Mais que veux-tu ?

PASQUIN.

Non, madame, encore une fois, cela n’est pas bien. Je vais tout à l’heure dire à mon maître la manière dont on reçoit ses adieux. Il est au coin de la rue, le pauvre cher homme ! tout vis à vis un fourbisseur. Adieu, adieu ; nous allons en Flandre.

MARTON.

Quoi ! Pasquin...

PASQUIN.

Laisse-moi, tigresse. Le ciel vous a faites toutes deux pour faire damner le genre humain.

Il sort.

MARTON.

Peste soit du fou !

 

 

Scène VIII

 

CIDALISE, MARTON, LUCILE

 

CIDALISE.

Je crains bien qu’Éraste ne soit pas content de la réponse, et qu’il ne vienne ici nous chagriner.

MARTON.

Je le crains bien aussi.

LUCILE.

Ma cousine, cet homme-là est donc à votre amant ?

CIDALISE.

Oui, ma cousine.

LUCILE.

Vraiment, je l’aime bien, d’être si affectionné pour son maître. Mais il me semble que vous ne prenez pas grand’peine à l’apaiser.

MARTON.

Oh ! c’est une méthode qui passe les jeunes filles comme vous.

LUCILE.

Je ne veux point l’apprendre ; monsieur le Comte n’aimerait pas cela.

MARTON.

En enrageant, il vous en aimerait davantage.

 

 

Scène IX

 

CIDALISE, LUCILE, MARTON, UN LAQUAIS

 

LE LAQUAIS.

Un jeune monsieur, que je n’ai jamais vu ici, demande s’il ne vous incommodera point, madame.

LUCILE.

Ma cousine, c’est monsieur le Comte.

CIDALISE, au laquais.

Faites monter.

Le Laquais sort.

 

 

Scène X

 

CIDALISE, LUCILE, MARTON

 

MARTON.

Que vous allez être bien aise !

LUCILE.

Assurément.

CIDALISE.

Mais, ma cousine, il faut un peu se contenir : il est bon quelquefois de ne pas laisser voir tant d’empressement.

LUCILE.

Oh ! ma cousine, je ne suis pas si savante que vous.

 

 

Scène XI

 

CIDALISE, LUCILE, LE COMTE, MARTON

 

LUCILE.

Eh ! vous voilà, monsieur le Comte. Il y a plus d’une heure que je suis ici.

LE COMTE, à Cidalise.

Le dessein que j’ai, madame, vous fera excuser la liberté que je prends.

LUCILE, au Comte.

J’ai dit tout cela à ma cousine : on vous pardonne. Parlez-moi donc.

CIDALISE, à part.

Voilà le petit homme, Marton, que je vis à la foire, qui m’a brouillée avec Éraste.

LUCILE, au Comte.

Vous ne répondez rien ?

LE COMTE, à Cidalise.

Madame, encore une fois, je vous prie de n’imputer qu’à ma tendresse...

CIDALISE.

Dans la pensée que vous ayez, monsieur, ne doutez point que je ne sois la première à favoriser vos desseins.

À part, à Marton.

Qu’il est bien fait !

MARTON, bas, à Cidalise.

Il est trop petit.

LE COMTE, à Lucile.

Pour vous, mademoiselle, vous voulez bien à présent que je vous témoigne...

LUCILE.

Laissez-moi là.

LE COMTE.

Que voulez-vous dire ?

LUCILE.

Laissez-moi.

CIDALISE.

Eh, fi ! ma cousine ! que vous faites l’enfant !

MARTON.

Ah ! vraiment, voici bien une autre chanson ; j’entends nos fous qui reviennent.

 

 

Scène XII

 

CIDALISE, ÉRASTE, MARTON, PASQUIN, LE COMTE, LUCILE

 

LE COMTE.

Qui donc, madame ?

CIDALISE.

Ce n’est rien.

ÉRASTE, à Cidalise.

Enfin donc, madame, vous voulez me voir mourir. Vous n’avez point de pitié d’un homme qui vous a ‘si tendrement aimée. Il faut vous contenter, madame, il faut cesser de vivre, il faut vous quitter.

CIDALISE.

Vous n’êtes pas sage, Éraste ; vous ne songez pas qu’il y a des gens ici...

ÉRASTE.

Eh ! madame, toute la terre sait que je vous aime depuis si longtemps ! que je n’ai jamais laissé passer un moment sans le penser, sans vous l’écrire, ou sans vous le dire ; et toute la terre sait que vous ne m’avez jamais aimé, que vous ne l’avez jamais pensé, que vous mentiez quand vous me l’avez écrit, et que vous m’avez toujours trompé.

CIDALISE.

Je vous prie de vous taire, encore une fois.

Au Comte.

C’est un extravagant, monsieur ; il ne faut pas prendre garde...

ÉRASTE.

Ah ! je suis donc un extravagant ? j’en suis bien aise.

Apercevant le Comte.

Mais que vois-je ?

À Cidalise.

Ah ! volage ! N’est-ce pas, perfide !... Je ne me trompe point, âme sans foi ! c’est lui-même. Vous avez bientôt fait connaissance. Hier à la foire, aujourd’hui dans votre chambre ; c’est faire bien du chemin en peu de temps, et cela demeurerait impuni ! non. Que tous les foudres du ciel me tombent sur la tête...

CIDALISE, à Éraste.

Mais écoutez.

ÉRASTE.

Laissez-moi là.

MARTON, à Éraste.

Ce n’est point...

ÉRASTE.

Ôte-toi, malheureuse !

CIDALISE, à Éraste.

Vous ne voulez pas...

ÉRASTE.

Je ne veux rien.

Au Comte.

Pour vous, mon petit monsieur, nous nous verrons ailleurs.

LE COMTE.

Prenez garde à ce que vous dites, monsieur.

LUCILE, effrayée.

Monsieur le Comte, passez là-dedans, s’il vous plaît.

LE COMTE.

Je ne veux point...

MARTON, au Comte.

Oh ! passez donc, puisqu’on vous le dit.

Le Comte et Lucile sortent.

 

 

Scène XIII

 

CIDALISE, MARTON, ÉRASTE, PASQUIN

 

MARTON, à Éraste.

Oh çà, monsieur, présentement, voulez-vous qu’on vous dise...

ÉRASTE, à Marton.

Ne te présente jamais devant mes yeux.

CIDALISE, à Éraste.

Quoi ! votre opiniâtreté...

ÉRASTE, à Cidalise.

Retirez-vous, vous dis-je, je ne veux plus vous voir, je vous méprise, je vous abhorre, je vous déteste ; je maudis tous les moments de ma vie que j’ai perdus pour vous. Puisse le ciel un jour vous punir comme vous le méritez ! La mort la plus affreuse n’aura rien d’horrible pour moi, puisqu’elle me séparera de vous.

CIDALISE.

Marton, laisse-le là ; suis-moi.

Elles sortent.

 

 

Scène XIV

 

ÉRASTE, PASQUIN

 

ÉRASTE.

Allons, Pasquin, partons.

PASQUIN.

Allons, monsieur.

ÉRASTE.

Quittons cet enfer.

PASQUIN.

Quittons ces diables.

ÉRASTE.

Non, cela ne se peut concevoir.

PASQUIN.

Cela ne se peut imaginer.

ÉRASTE.

Tant de soins !

PASQUIN.

Cela est vrai.

ÉRASTE.

Tant de soupirs !

PASQUIN.

Vous avez raison.

ÉRASTE.

Me traiter ainsi !

PASQUIN.

Cela est horrible.

ÉRASTE.

Allons, abandonnons tous les lieux où elle sera ; ils ne me peuvent être que funestes.

PASQUIN.

Allons, monsieur. Pour moi, je vous serai toujours fidèle.

 

 

Scène XV

 

MARTON, ÉRASTE, PASQUIN

 

MARTON.

En vérité, monsieur, vous devriez un peu songer où vous êtes. On n’en use point ainsi chez une femme de qualité. Allez ailleurs, si vous voulez faire un bruit de la sorte.

ÉRASTE.

Va, je veux bien t’obéir, puisqu’il ne faut que le quitter.

Il sort.

 

 

Scène XVI

 

MARTON, PASQUIN

 

MARTON.

En voilà déjà un de parti.

PASQUIN.

Ô temps ! ô mœurs ! ô déloyauté sans exemple ! Non, j’aimerais mieux être en galère toute ma vie ; j’aimerais mieux ne point boire de vin... si souvent ; j’aimerais mieux... Que diantre sais-je ?

MARTON.

Oh çà, Pasquin, veux-tu bien te taire ?

PASQUIN.

Non ; non, je ne veux pas me taire ; je ne veux pas me taire, te dis-je.

MARTON.

Nous allons voir.

PASQUIN.

Je veux parler, moi. Il ne sera pas dit que je vois un pauvre homme trompé, et que je demeure comme une souche. C’est une chose qui crie vengeance au ciel, et nos neveux un jour... Foin des neveux ! Non, non, je disais fort bien : nos neveux ne pourront croire...

MARTON, lui donnant un soufflet.

Tiens, va porter cela à tes neveux.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

PASQUIN, MARTON

 

PASQUIN.

Ah ! malheureuse !

MARTON.

Qu’y a-t-il ? Tu es éternellement comme un possédé.

PASQUIN.

Tu m’as, vraiment, bien accommodé !

MARTON.

Pourquoi faisais-tu tant de bruit ?

PASQUIN.

Quel bruit ?

MARTON.

Je suis fâchée...

PASQUIN.

De quoi ?

MARTON.

D’avoir été obligée de te battre, pour te faire taire.

PASQUIN.

Ah ! ce n’est point cela dont il est question : les malheurs que l’on craint, font perdre le souvenir de ceux qui sont passés.

MARTON.

Parle plus intelligiblement.

PASQUIN.

Eh bien ! Marton, je te pardonne les vieux soufflets, si tu peux m’empêcher d’en avoir de tout neufs. Cela est-il clair ?

MARTON.

Pourquoi des soufflets ?

PASQUIN.

Mon maître plus fou, plus enragé, et pourtant plus amoureux que jamais, m’envoie ici pour redemander son portrait, cette bague, enfin toutes ces choses que tu as eu tant de peine à me rendre ce matin.

MARTON.

Eh bien ! que feras-tu ?

PASQUIN.

Je ne sais.

MARTON.

Comment donc, tu ne sais ?

PASQUIN.

Non, ma foi. Mon âme est suspendue entre le désir de garder les bijoux, et la crainte d’avoir des coups de bâton.

MARTON.

Poltron ! tu peux balancer là dessus ?

PASQUIN.

Oui, vraiment.

MARTON.

Des coups de bâton d’un côté, des bijoux de l’autre ; et l’on ne prend pas d’abord son parti ?

PASQUIN.

Mais, Marton, tu ne comprends pas bien la chose.

MARTON.

Misérable !

PASQUIN.

Ce n’est pas comme cela, te dis-je.

MARTON.

Va, tu ne mérites pas de vivre.

PASQUIN.

Que tu es étrange ! Mais, Marton, écoute donc, mon enfant, on ne me donne point à choisir. Pour avoir les bijoux, il faut recevoir les coups de bâton.

MARTON.

Eh bien ! quand cela serait ?

PASQUIN.

Mais il ne faut point dire, quand cela serait ; car cela sera.

MARTON.

Si j’étais à ta place...

PASQUIN.

Eh bien ?

MARTON.

Je recevrais vingt nasardes.

PASQUIN.

La peste !

MARTON.

Autant de soufflets.

PASQUIN.

Tudieu !

MARTON.

Cent coups de pieds au cul.

PASQUIN.

Comme vous y allez !

MARTON.

Mille coups d’étrivières.

PASQUIN.

Vous n’y songez pas.

MARTON.

Cent mille coups de bâton, plutôt que de rendre la moindre bagatelle.

PASQUIN.

La belle âme !

MARTON.

Tiens, vois-tu, quand j’ai une fois résolu une chose, je me ferais hacher, plutôt que d’en démordre.

PASQUIN.

Vingt nasardes, autant de soufflets, cent coups de pied au cul, mille coups d’étrivières, cent mille coups de bâton : voilà des bijoux qui marchent en bien mauvaise compagnie. Mais, dis-moi, ne saurait-on trouver quelque accommodement à la chose ? Gardons les bijoux, je veux bien y consentir, à ton exemple ; mais détournons ces orages de maux, dont les noms seuls me font trembler.

MARTON.

Cela ne se peut.

PASQUIN.

Comment donc, cela ne se peut ?

MARTON.

Non, te dis-je.

PASQUIN.

Je rendrai les bijoux.

MARTON.

Tu n’en auras pas moins des coups de bâton.

PASQUIN.

Et pourquoi ?

MARTON.

Pour avoir eu intention de garder les bijoux.

PASQUIN.

On ne punit pas les intentions, Marton.

MARTON.

Cela ne devrait pas être, Pasquin ; mais cela sera.

PASQUIN.

De sorte donc, que je garde les bijoux, que je ne les garde point, j’aurai toujours des coups de bâton.

MARTON.

Indubitablement.

PASQUIN.

Il faut tout garder. Battu pour battu, j’aime mieux l’être avec les bijoux.

MARTON.

Te voilà dans le beau chemin. Sors vite, j’entends madame.

Il sort.

 

 

Scène II

 

MARTON

 

Ce maraud-là n’a pas le sens commun.

 

 

Scène III

 

MARTON, CIDALISE

 

CIDALISE.

Ah ! ma pauvre Marton, que je suis inquiète !

MARTON.

Je ne vois rien encore qui vous doive alarmer.

CIDALISE.

Mon oncle arrive de chez mon père.

MARTON.

Que fait cela ?

CIDALISE.

Il n’aura pas manqué de se plaindre de moi.

MARTON.

Qu’en arrivera-t-il ?

CIDALISE.

Mon père m’ordonnera de l’aller trouver.

MARTON.

Eh bien ! nous irons.

CIDALISE.

Et nous y demeurerons, Marton.

MARTON.

Ah ! voilà le diable.

CIDALISE.

Nous avons poussé mon oncle un peu trop fort.

MARTON.

Il ne faut jamais songer au passé. Ce qui est fait est fait : pour moi, je ne m’en repens point. Si je pouvais, avant que de partir, laver un peu la tête à madame votre tante, j’en serais plus légère de moitié. Par ma foi, si j’étais à votre place, je sais bien ce que je ferais.

CIDALISE.

Que ferais-tu ?

MARTON.

J’épouserais Éraste dès aujourd’hui.

CIDALISE.

Je ne le puis sans le consentement de mon père.

MARTON.

Vous moquez-vous ? N’êtes-vous pas veuve ?

CIDALISE.

Cela ne suffit pas, il faut avoir vingt-cinq ans.

MARTON.

Je dirais que j’en ai soixante.

CIDALISE.

Le mariage ne serait pas bon.

MARTON.

Au bout de l’année, vous vous remarieriez encore.

CIDALISE.

Mon père me déshériterait.

MARTON.

La méchante masque que madame votre tante ! Il en faut bien revenir là.

CIDALISE.

Je t’avoue que, si je pouvais me venger d’elle avant que de partir, je ne serais point si fâchée.

MARTON.

Comment faudrait-il faire ?

CIDALISE.

Mais, bien plutôt, si nous songions à l’adoucir ?

MARTON.

Eh ! comment ?

CIDALISE.

Il faudrait qu’Éraste l’aimât.

MARTON.

Ou qu’il le feignît, voulez-vous dire.

CIDALISE.

Qu’il le feignît ou qu’il l’aimât, tout me serait égal.

MARTON.

Vous ne l’aimez donc plus, lui ?

CIDALISE.

Je ne sais.

MARTON.

Aimeriez-vous déjà ce petit Comte ?

CIDALISE.

Je ne sais, te dis-je. Laissons cela. Songeons au plus pressé.

MARTON.

Eh bien ! il faudrait, dites-vous, qu’Éraste feignît de l’amour pour votre tante ; car, pour l’aimer, cela n’est pas permis. Après ?

CIDALISE.

Tâcher adroitement de me mettre de la confidence.

MARTON.

Ensuite ?

CIDALISE.

Ensuite, elle aurait intérêt de me ménager, et nous n’irions point dans ce vilain château de mon père.

MARTON.

Je vais trouver Éraste.

CIDALISE.

Mais comment feras-tu ? Nous sommes horriblement mal ensemble.

MARTON.

Bon, bon, vous ayez raison ; avec deux mots de votre part, je le rendrai plus souple qu’un gant : et ce serait une étrange chose, si nous ne nous servions pas de l’unique fois où vous avez eu raison avec lui.

CIDALISE.

Fais tout comme tu l’entendras.

MARTON.

Je suis ici dans un moment.

 

 

Scène IV

 

CIDALISE, MARTON, UN LAQUAIS

 

LE LAQUAIS.

Madame, votre tante demande à vous parler.

CIDALISE.

Elle vient fort à propos. Je vais tâcher de disposer les choses ; dépêche-toi.

MARTON.

Je vous amène Éraste tout à l’heure.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

CÉPHISE, CIDALISE

 

CÉPHISE.

Enfin, ma nièce, il faut nous séparer. Vous partirez demain, s’il vous plaît, pour aller trouver votre père : j’ai bien voulu me charger du soin de vous l’apprendre, de crainte que mon mari ne vous le dît avec plus d’aigreur.

CIDALISE.

Je reçois, tous les jours de ma vie, madame, de nouvelles marques de vos bontés. Mais, madame, voudriez-vous bien joindre une grâce à toutes les obligations que je vous ai ?

CÉPHISE.

Si c’est quelque chose qui dépende de moi, ma nièce ?

CIDALISE.

La chose vous sera facile, madame.

CÉPHISE.

Ne me priez point, surtout, de parler à mon mari pour vous.

CIDALISE.

Non, madame.

CÉPHISE.

Cela serait inutile.

CIDALISE.

J’en suis persuadée, madame.

CÉPHISE.

Il ne veut point souffrir que vous soyez davantage chez lui.

CIDALISE.

Je ne veux point y demeurer malgré lui, ni malgré vous, madame.

CÉPHISE.

Que voulez-vous donc que je fasse ?

CIDALISE.

Permettre que je puisse parler à mon oncle avant que de le quitter.

CÉPHISE.

Non, ma nièce, je ne vous le conseille pas ; il est dans un trop grand emportement contre vous.

CIDALISE.

Mais, au moins, ne puis-je savoir les crimes dont on m’accuse ?

CÉPHISE.

Eh ! mon Dieu, ma nièce, rendez-vous un peu de justice. Pour moi, je vous crois la plus innocente personne du monde ; mais, en vérité, les apparences sont terriblement contre vous.

CIDALISE.

Il est aisé d’empoisonner les choses les plus innocentes. Mais, cependant...

CÉPHISE.

Mais, ma nièce, je vous prie de me dire quel bon tour vous voulez que nous donnions au refus que vous faites d’un gentilhomme que votre père et mon mari souhaitent que vous épousiez. Quelles bonnes couleurs trouverez-vous aux fréquentes visites d’Éraste, que votre oncle vous a défendu de voir, et à mille autres choses que j’aurais honte de répéter ?

CIDALISE.

Pour le gentilhomme dont vous me parlez, je n’ai point d’autre raison à vous donner que le peu d’inclination que j’ai pour lui ; mais pour Éraste, madame, mon oncle serait bien plus en colère qu’il n’est contre lui, s’il savait la véritable cause de ses visites.

CÉPHISE.

Je crois qu’il n’en a d’autre que la passion qu’il a pour vous.

CIDALISE.

Pour moi, madame ?

CÉPHISE.

Oui, pour vous.

CIDALISE.

Vous vous trompez, madame.

CÉPHISE.

Je vous avouerai franchement que je ne conçois pas bien l’aversion de mon mari pour Éraste ; car, en vérité, je le trouve assez sage.

CIDALISE.

Vous changeriez bientôt de sentiments, madame, si vous saviez comme moi jusqu’où va sa témérité.

CÉPHISE.

Il me semble pourtant que l’on en dit assez de bien.

CIDALISE.

Vous n’en penseriez pas, vous dis-je, si vous pénétriez ce qui se passe dans son cœur.

CÉPHISE.

Expliquez-vous, ma nièce.

CIDALISE.

Eh ! de quel front, madame, pourrais-je vous dire ?... Ah ! je frémis seulement d’y penser.

CÉPHISE.

Poursuivez, je vous prie.

CIDALISE.

Quoi ! j’oserais vous faire entendre qu’il sent pour vous...

CÉPHISE.

Continuez, de grâce.

CIDALISE.

Je ne puis.

CÉPHISE.

Il sent pour moi ?... Achevez.

CIDALISE.

La passion la plus violente : il se meurt pour vous ; il ne venait ici que pour vous y trouver.

CÉPHISE.

Je ne me suis point aperçue de ce que vous me dites.

CIDALISE.

Le respect lui fait étouffer ses soupirs ; il mourra, dit-il, mille fois, plutôt que de découvrir sa tendresse.

CÉPHISE.

Vous voyez qu’il est bien plus sage que vous ne me disiez.

CIDALISE.

Appelez-vous sagesse, madame, d’oser aimer une personne comme vous ? Avant que de partir, je prétends en avertir mon oncle.

CÉPHISE.

Ah ! ma nièce, gardez-vous-en bien. Je sais à présent ce que je dois faire.

 

 

Scène VI

 

CÉPHISE, CIDALISE, MARTON

 

MARTON, à Cidalise.

Éraste, madame ; le fera-t-on entrer ?

CIDALISE, à Céphise.

Voyez, madame ; que voulez-vous qu’on dise ?

CÉPHISE.

Mais, ma nièce, je crois qu’il serait à propos...

CIDALISE.

De le renvoyer ? je vous entends. Marton, dites qu’il n’y a personne ici : allez.

CÉPHISE.

Attendez, Marton. Ma nièce, il aura vu vos gens, votre carrosse ; et d’ailleurs...

CIDALISE.

Vous avez raison, madame.

À Marton.

Dites-lui que je suis malade ; dépêchez.

CÉPHISE.

Arrêtez, Marton.

À Cidalise.

Il peut savoir que vous ne l’êtes point.

CIDALISE, à Marton.

Dites-lui donc que je le prie de m’excuser.

À Céphise.

Je vous remercie, madame, cela sera bien mieux.

À Marton.

Et que je suis ici pour des affaires. Ne m’entendez-vous pas ? Marchez.

CÉPHISE.

Demeurez là, Marton. Ma nièce, il faut aller plus doucement ; il pourrait croire, parce que je suis ici...

CIDALISE.

Eh quoi ! madame, après son insolence, voudriez-vous...

CÉPHISE.

La chanté, ma nièce, m’oblige de le voir et de lui parler ; et je ne veux pas qu’on puisse me reprocher de n’avoir pas employé mes efforts pour lui arracher du cœur cette pensée criminelle.

CIDALISE.

Vous poussez la charité bien loin, madame. Marton, faites monter.

Marton sort.

 

 

Scène VII

 

CIDALISE, CÉPHISE

 

CIDALISE.

On a besoin d’une vertu comme la vôtre, pour se forcer à tant de violence.

 

 

Scène VIII

 

ÉRASTE, CÉPHISE, CIDALISE, MARTON

 

ÉRASTE, à part, à Marton.

Que diable veux-tu que je lui dise ?

MARTON, à part, à Éraste.

Eh bien ! ne dites mot ; faites de grands soupirs, cela suffira.

CÉPHISE, à Éraste.

On vient de m’apprendre des choses étranges, monsieur. Là, là, remettez-vous ; ce n’est point par des paroles fâcheuses que je prétends faire éclater ma vertu.

MARTON, à part.

Comme elle se radoucit !

CÉPHISE.

Ma nièce, vous pourriez à présent aller trouver votre oncle.

CIDALISE.

Mais, madame, si sa colère est au point où vous me l’avez dit...

MARTON, à part, à Cidalise.

Faites ce que madame vous conseille : d’un moment à l’autre les choses changent.

CÉPHISE.

Que dites-vous, Marton ?

MARTON.

Je dis, madame, que la colère des gens prompts ne dure pas.

CÉPHISE.

Elle a raison.

À Cidalise.

Essayez par des honnêtetés à le ramener.

CIDALISE.

Mais, vous-même, si vous vouliez lui parler ?

CÉPHISE.

Parlez-lui la première ; je ferai ensuite tout ce qu’il faudra.

CIDALISE.

J’y vais, madame, puisque vous me l’ordonnez.

Elle sort.

ÉRASTE, bas à Marton.

Je n’en puis plus.

MARTON, bas.

Courage !

 

 

Scène IX

 

ÉRASTE, CÉPHISE

 

ÉRASTE, à part.

J’enrage.

CÉPHISE.

Eh bien ! cette étourdie, je pense, en vérité, qu’elle nous laisse seuls ici.

ÉRASTE.

Il est vrai, madame ; et je vais l’appeler, s’il vous plaît.

CÉPHISE.

Je ne dis pas cela, monsieur. Mais vous savez qu’aujourd’hui on juge sur les apparences : et comme deux personnes seules peuvent faire tout ce qu’il leur plaît, on peut d’elles aussi dire tout ce qu’on veut.

ÉRASTE.

Les personnes comme vous, d’une vertu confirmée, peuvent tout hasarder, sans craindre qu’on en juge mal.

CÉPHISE.

Je ne dis pas cela, monsieur ; mais on ne saurait assez se mettre en garde contre la médisance d’aujourd’hui.

ÉRASTE.

Lorsque la médisance n’est appuyée sur aucun fondement, elle est aisée à détruire ; et ceux qui pourraient s’imaginer que je fusse assez téméraire pour vous aimer, n’ignorent pas que vous êtes trop vertueuse pour m’écouter. Mais, pour vous obéir, j’appellerai Marton, si vous voulez.

CÉPHISE.

Non, non, monsieur, demeurez. Que parlez-vous d’aimer ? Achevez, je vous prie.

ÉRASTE, à part.

Je suis au désespoir.

CÉPHISE.

Qu’avez-vous ? Vous me semblez fâché.

ÉRASTE.

Et qu’aurais-je, madame ?

CÉPHISE.

Je ne sais ; mais vous me paraissez tout à fait embarrassé.

ÉRASTE.

Il est vrai, madame, je vous l’avoue, je le suis autant qu’on le peut être ; et je ne me suis jamais trouvé dans l’état où je me vois.

CÉPHISE.

Ma nièce m’a dit que vous m’aimiez ; est-il vrai ?

ÉRASTE.

Ah ! madame.

CÉPHISE.

Non, non, parlez-moi franchement.

ÉRASTE.

Ah ! madame.

CÉPHISE.

Parlez-moi sincèrement, vous dis-je ; les paroles ne me font pas de peur ; mes scrupules ne vont point jusque là. Est-il donc vrai ce qu’on m’a dit ? Répondez-moi.

ÉRASTE.

Que vous a-t-on dit, madame ?

CÉPHISE.

Que vous aviez de l’amour pour moi. Vous ne me parlez point.

ÉRASTE.

Eh bien ! oui, madame.

À part.

Je suis mort.

CÉPHISE.

Le puis-je croire ?

ÉRASTE.

Non, madame.

CÉPHISE.

Que dites-vous ?

ÉRASTE.

Eh ! madame, je ne sais ce que je dis, ni ce que je fais ; je suis tellement troublé...

 

 

Scène X

 

CIDALISE, CÉPHISE, ÉRASTE, MARTON

 

CIDALISE, à Céphise.

J’ai profité de vos conseils, madame ; j’ai parlé à mon oncle : un mot de votre bouche achèvera le reste.

CÉPHISE.

Quoi ! ma nièce, il consent que vous continuiez de demeurer avec nous ?

CIDALISE.

Il ne s’en éloigne pas, madame.

CÉPHISE.

Il ne vous a point dit qu’il prétendait absolument que vous allassiez demain trouver votre père ?

CIDALISE.

Il me l’a dit d’abord, madame, mais ensuite...

CÉPHISE.

Eh bien ! ensuite ?

CIDALISE.

Il m’a fait voir beaucoup moins de rigueur.

CÉPHISE.

Vous vous trompez, ma nièce.

CIDALISE.

Non, madame, je ne me trompe point ; et je suis sûre que vous le trouverez entièrement disposé à ce que je souhaite, si vous avez la bonté de lui parler en ma faveur.

CÉPHISE.

Je le ferai tout à l’heure même.

CIDALISE.

Le voilà qui descend, madame.

CÉPHISE.

Il ne faut pas qu’il trouve Éraste ici.

CIDALISE.

Faites-le sortir par le petit escalier.

MARTON, à Éraste.

Allons, monsieur.

ÉRASTE, bas, à Marton.

Je n’ai jamais tant souffert.

Il sort.

 

 

Scène XI

 

CIDALISE, CÉPHISE, MARTON

 

CIDALISE, à Céphise.

Madame, j’entends mon oncle ; il ne tiendra qu’à vous...

CÉPHISE.

Laissez-moi seule avec lui ; j’en viendrai mieux à bout.

CIDALISE.

Et pourquoi, madame, ne voulez-vous pas...

CÉPHISE.

Avez-vous quelque défiance ? Je ne m’en mêle plus.

CIDALISE.

Moi, madame ? Je me retire.

MARTON, à Céphise.

Madame, ne m’oubliez pas non plus ; il n’est pas mal fâché contre moi.

CÉPHISE.

J’aurai soin de tout.

MARTON, à part.

On appelle cela justement se mettre entre les mains des larrons.

Elle sort avec Cidalise.

 

 

Scène XII

 

CÉPHISE, DAMIS

 

DAMIS.

Eh bien ! madame, que ferons-nous ?

CÉPHISE.

Ah ! ne me parlez plus.

DAMIS.

Qu’est-ce donc ?

CÉPHISE.

Vous devriez mourir de honte.

DAMIS.

Que voulez-vous dire ?

CÉPHISE.

Eh fi ! monsieur.

DAMIS.

Je ne vous comprends point du tout.

CÉPHISE.

Je vous comprends bien, moi, je vous assure. Ah ! que votre nièce a bien raison de se moquer de vous, comme elle fait ! c’est vous qui la perdez. Eh ! que son père un jour, toute sa famille, elle-même, auront bien des grâces à vous rendre !

DAMIS.

Expliquez-vous.

CÉPHISE.

Vous devriez rougir de votre faiblesse.

DAMIS.

Qu’ai-je donc fait ?

CÉPHISE.

Vous promettez à votre nièce de la souffrir chez vous, pour y vivre sans doute dans ses libertés accoutumées ?

DAMIS.

Non ; elle m’a promis qu’elle changerait de conduite.

CÉPHISE.

Oh bien ! monsieur, laissez-vous tromper comme elle vous a trompé toute sa vie ; mais, pour moi, vous me permettrez de me retirer, s’il vous plaît. Je ne veux plus entendre les reproches que des gens d’honneur me font continuellement. Je vous laisserai ici avec votre nièce, et je ne serai point coupable de son dérèglement.

DAMIS.

Comment donc ? Qu’est-ce à dire ceci ? Qu’elle s’en aille. Est-ce que je vous ai jamais mise en compromis avec elle ? Qu’elle s’en aille, vous dis-je. Mais elle m’a voit, ce me semble, fait entendre que vous étiez portée à lui pardonner.

CÉPHISE.

Eh ! comment voulez-vous que je fasse ? M’attirerai-je sans cesse la haine de tout le monde ? Il est vrai, je lui ai promis que je ne serais point contre elle, parce que je croyais que vous seriez assez raisonnable pour persister dans vos résolutions.

DAMIS.

Mais je ne me suis rendu qu’à cela, et aux promesses qu’elle m’a faites de vivre plus régulièrement.

CÉPHISE.

Dans le temps qu’elle vous le promettait...

DAMIS.

Eh bien ?

CÉPHISE.

Non ; je ne veux rien dire. Puisqu’on veut être trompé, qu’on le soit.

DAMIS.

Expliquez-moi ce mystère.

CÉPHISE.

Je suis bien folle de me tant tourmenter !

DAMIS.

Je veux savoir ce que vous voulez me dire.

CÉPHISE.

Pour aller en instruire votre nièce aussitôt ?

DAMIS.

Non, je ne lui en parlerai point.

CÉPHISE.

Me le promettez-vous ?

DAMIS.

Oui, je vous le promets.

CÉPHISE.

Assurément ?

DAMIS.

Je vous en donne ma parole.

CÉPHISE.

Oh bien ! sachez Vous le tiendrez secret, au moins ?

DAMIS.

Ah ! que de discours !

CÉPHISE.

Que je viens de la surprendre avec Éraste tout à l’heure.

DAMIS.

Comment ! dans le temps qu’elle me promettait de ne le plus voir !

CÉPHISE.

Ce n’est pas tout. Elle a eu l’effronterie de me dire que c’était de moi qu’il était amoureux.

DAMIS.

Ah ! quel monstre !

CÉPHISE.

Jugez un peu si cela se pardonne.

DAMIS.

La misérable !

CÉPHISE.

Je suis à présent fâchée de vous l’avoir dit.

DAMIS.

Non, cela ne se peut concevoir.

CÉPHISE.

Si ma conscience ne m’avait engagée à vous le découvrir...

DAMIS.

J’étouffe.

CÉPHISE.

Je serais morte plutôt que de le révéler.

DAMIS.

Elle partira.

CÉPHISE.

On ouvre cette porte, je me retire. Point d’éclaircissement surtout. Qu’elle parte demain, cela suffit.

DAMIS.

C’est assez : elle partira, elle partira.

CÉPHISE.

Songez à ce que vous m’avez promis.

Elle sort.

DAMIS.

Elle partira, elle partira, elle partira.

 

 

Scène XIII

 

CIDALISE, DAMIS, MARTON

 

CIDALISE.

Eh bien ! mon oncle, n’avez-vous pas trouvé ma tante tout à fait bien intentionnée ?

DAMIS.

Oui, ma nièce, fort bien.

CIDALISE.

Hélas ! mon oncle, que je vous suis obligée ! vous verrez désormais...

DAMIS, à part.

Je crève.

CIDALISE.

Qu’avez-vous ?

DAMIS.

Moi ? rien : je suis fatigué.

CIDALISE.

Allez vous reposer.

DAMIS.

Adieu.

Il sort.

 

 

Scène XIV

 

CIDALISE, MARTON

 

CIDALISE.

Ah ! Marton...

MARTON.

Eh bien, madame ?

CIDALISE.

Tout va le mieux du monde.

MARTON.

La vieille a donné dans le panneau ?

CIDALISE.

Tu l’as dit.

MARTON.

Vous avez bien de l’obligation à ce pauvre Éraste.

CIDALISE.

Cela est vrai. Mais écoute-moi : si le petit Comte vient pour me voir, fais-le monter ; m’entends-tu bien ?

MARTON.

Oui, oui, cela est assez clair ; je vous entends. Mais Éraste, à qui...

CIDALISE.

Ne raisonne pas, et fais ce que l’on te dit.

MARTON.

Madame, madame, tromper Éraste, M. Basset, M. Durcet, votre oncle, votre tante, votre cousine, et toute la ville ; voici bien de la besogne, au moins.

CIDALISE.

Ah ! que de discours !

 

 

Scène XV

 

ÉRASTE, CIDALISE, MARTON

 

ÉRASTE.

Sont-ils sortis ?

MARTON.

Oui, oui, entrez ; nous parlions de vous.

ÉRASTE.

Eh bien ! madame, partirez-vous ?

CIDALISE.

Non, Éraste ; et je me souviendrai toute ma vie du plaisir que vous m’avez fait.

ÉRASTE.

Quelque indigne qu’il m’ait paru de vous rendre un pareil service, je n’ai rien consulté que mon attachement pour vous. Mais enfin, madame, à votre tour, il faut faire aussi quelque chose pour moi : quelle sera la fin de cette aventure ?

MARTON.

La fin de toutes les comédies ; un mariage, quand elle aura vingt-cinq ans.

ÉRASTE.

Vous ne répondez rien, madame ?

CIDALISE.

Marton ne vous en dit-elle pas assez ?

ÉRASTE.

Ne me tromperez-vous point ?

CIDALISE.

Vous êtes toujours dans de perpétuelles défiances.

ÉRASTE.

Que ne m’en guérissez-vous ?

CIDALISE.

Que faut-il faire ?

ÉRASTE.

Prenez au moins Pasquin auprès de vous.

CIDALISE.

J’y consens.

MARTON.

Et ne faudra-t-il point aussi que je demeure avec vous ? Par ma foi, vous donneriez des démangeaisons de vous tromper à qui n’en aurait nulle envie. L’affaire du petit Comte et de Lucile ne devrait-elle pas vous avoir rendu sage ?

ÉRASTE.

Tout autre que moi n’eût-il pas...

CIDALISE.

Ne parlons plus de cela.

 

 

Scène XVI

 

CIDALISE, ÉRASTE, MARTON, PASQUIN

 

CIDALISE.

Que veut Pasquin ?

ÉRASTE.

Je ne sais.

À Pasquin.

Que ne demeures-tu là dedans.

CIDALISE.

Laissez-le là.

ÉRASTE.

Enfin, madame, vous me promettez...

PASQUIN appelle de loin Éraste.

Hem, hem !

CIDALISE.

Il veut vous parler, assurément.

ÉRASTE, à Pasquin.

As-tu quelque chose à me dire ?

PASQUIN.

Moi ? Non, monsieur.

Il appelle.

Hem !

Bas.

Le brutal !...

ÉRASTE, à Cidalise.

Si j’étais assez malheureux pour être séparé de vous...

PASQUIN appelle de loin Éraste.

Hem, hem !

MARTON, à Pasquin.

Crache, vilain, et ne tousse point tant.

PASQUIN.

J’ai une toux sèche, Marton.

Il appelle.

Hem, hem !

Bas.

Le cheval !

CIDALISE, à Éraste.

Je vous réponds qu’il a quelque chose à vous dire.

ÉRASTE, à Pasquin.

Viens ici.

PASQUIN s’approche à côté de son maître, lui parle entre les dents, tourne derrière lui dos à dos, et se trouve devant Cidalise.

Monsieur, un homme, une femme, une lettre. On veut vous parler... Madame, je vous donne le bonjour.

CIDALISE.

Que murmures-tu là, Pasquin ?

ÉRASTE.

Je n’y comprends rien.

PASQUIN tourne de même, et se trouve devant Marton.

Un homme, une lettre, une femme, vous dis-je. On vous veut parler... Bonjour, Marton.

ÉRASTE.

Ce maraud là me ferait perdre patience.

PASQUIN.

Une femme...

ÉRASTE.

Une femme... Parleras-tu ? Je te donnerai mille coups de bâton.

PASQUIN.

Oh bien ! puisque vous voulez qu’on le dise tout liant, il y a un homme au logis qui veut vous rendre une lettre.

ÉRASTE.

Pourquoi tout ce mystère ? Et de quelle part ?

PASQUIN.

Oh ! de quelle part ? il vous le dira.

CIDALISE.

Allez, monsieur ; voyez ce qu’on vous veut.

ÉRASTE.

Hélas ! madame, que pourrait-ce être, qui pût me tenir lieu du plaisir que je perds ?

CIDALISE.

Allez, vous dis-je.

ÉRASTE.

J’y vais, madame. Mais, auparavant, je-vous prie de me rendre votre portrait : je ne puis vivre sans vous, ou sans quelque chose qui vous ressemble.

CIDALISE.

Vous rêvez, je pense. Ne l’avez-vous pas, mon portrait ? Mais je vois bien que vous voulez me rendre le vôtre, que je vous ai renvoyé ce matin.

ÉRASTE.

Je n’ai point reçu le mien, madame ; et je vous ai renvoyé le vôtre.

CIDALISE.

Je vous ai renvoyé le vôtre, monsieur ; et je n’ai point reçu le mien.

ÉRASTE.

Vous l’avez, madame, assurément. Pasquin !

CIDALISE.

Je n’ai ni le mien ni le vôtre, monsieur, assurément. Marton !

MARTON, bas, à Éraste.

Monsieur.

PASQUIN, bas, à Cidalise.

Madame.

ÉRASTE, bas, à Marton.

Que voulez-vous ?

CIDALISE, bas, à Pasquin.

Qu’y a-t-il ?

MARTON, bas, à Éraste.

J’ai oublié de rendre à madame ce que Pasquin m’avait remis.

PASQUIN, bas, à Cidalise.

Je n’ai pas songé à donner à mon maître les bijoux que j’ai reçus de votre part.

MARTON, bas, à Éraste.

Vous me ferez gronder, monsieur, si vous en parlez davantage.

PASQUIN, bas, à Cidalise.

Vous me ferez donner mille coups de bâton, madame, si vous en dites encore une parole.

ÉRASTE.

Que vous dit là Pasquin, madame ?

PASQUIN, bas, à Cidalise.

Courage, madame.

CIDALISE, à Éraste.

Ce n’est rien. Mais que je sache un peu de quoi vous entretenait Marton.

MARTON, bas, à Éraste.

Ne dites mot, je vous prie.

ÉRASTE, à Cidalise.

D’une bagatelle qui ne vaut pas la peine d’en parler. Mais je ne comprends pas ce que Pasquin peut avoir avec vous à démêler.

CIDALISE.

Ce n’est rien, vous dis-je. Mais je comprends bien moins quel secret il peut y avoir entre Marton et vous.

ÉRASTE.

Moins que rien, croyez-moi.

CIDALISE.

Je veux le savoir, ou je romps avec vous.

ÉRASTE.

Vous me direz ce que Pasquin vous a dit, ou je ne vous verrai jamais.

PASQUIN, à part.

Tout ceci ne sent rien de bon pour moi.

CIDALISE.

Monsieur...

ÉRASTE.

Madame...

CIDALISE.

Vous plaît-il de m’éclaircir ce mystère ?

ÉRASTE.

Promettez-moi de ne point quereller Marton.

CIDALISE.

Je vous le promets.

ÉRASTE.

Et que vous me direz ce que vous a dit Pasquin.

CIDALISE.

J’y consens, aux mêmes conditions.

ÉRASTE.

Je le veux bien.

Bas, à Marton.

Ma pauvre Marton !

CIDALISE, bas, à Pasquin.

Mon pauvre Pasquin !

PASQUIN, bas à Cidalise.

Il est traître, madame : ne vous y fiez pas.

CIDALISE, à Éraste.

Eh bien ?

ÉRASTE, à Cidalise.

Elle n’a pas songé à vous rendre ce que Pasquin lui avait mis entre les mains.

CIDALISE, à Marton.

Vous êtes bien insolente !

ÉRASTE.

Ah ! madame...

CIDALISE, à Éraste.

Non ; Voilà qui est fait.

ÉRASTE.

Et Pasquin ?

CIDALISE.

Il a oublié de vous donner les choses qui lui avoient été rendues de ma part.

ÉRASTE, à Pasquin.

Comment, coquin !

CIDALISE.

Éraste !...

ÉRASTE.

Madame, je vous demande pardon. Marton, rendez-moi le portrait seulement, ceci vous sera plus utile.

Il donne sa bourse.

CIDALISE.

Pasquin, cela vous fera plus de plaisir que ce portrait que je vous redemande.

Elle donne sa bourse.

MARTON.

Tenez, monsieur.

PASQUIN.

Tenez, madame.

CIDALISE, à Éraste.

Allez au plus vite chez vous. Pasquin, prends chez Franc-cœur ce que j’y ai laissé ce matin.

ÉRASTE, à Pasquin.

Suis-moi.

PASQUIN, à Éraste.

Sans rancune ?

ÉRASTE, à Pasquin.

Remercie madame.

MARTON.

Madame !

CIDALISE, à Marton.

Je n’y songe plus.

PASQUIN, à part, à Marton.

Nous en sommes quittes à bon marché.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

M. DURCET, UN LAQUAIS

 

M. DURCET, au laquais.

Mon enfant, puis-je voir madame ?

LE LAQUAIS.

Non, monsieur : elle m’a dit de dire à tout le monde qu’elle dormait.

M. DURCET.

Elle t’a dit de dire qu’elle dormait ?

LE LAQUAIS.

Oui, en vérité.

M. DURCET.

Tu veux bien que j’attende ici ?

LE LAQUAIS.

Vous ferez ce qu’il vous plaira.

Il sort.

 

 

Scène II

 

M. DURCET

 

Quel plaisir n’aurai-je point de lui annoncer le premier une si bonne nouvelle !

 

 

Scène III

 

M. BASSET, M. DURCET

 

M. BASSET, à part.

Que j’ai d’impatience de revoir Cidalise !

M. DURCET, à part.

Non, je ne voudrais...

Apercevant M. Basset.

Mais que vois-je ?

M. BASSET, à part.

Je mourrais, si j’étais un jour...

Apercevant M. Durcet.

N’est-ce pas là ?...

M. DURCET, à part.

Ah ! juste ciel !

M. BASSET, à part.

Ah, ventrebleu !

M. DURCET, à part.

Je suis perdu !

M. BASSET, à part.

C’est fait de moi !

M. DURCET, à part.

L’aborderai-je ?

M. BASSET, à part.

Irai-je lui parler ?

M. DURCET, à part.

Oui.

M. BASSET, à part.

Allons.

M. DURCET, à part.

Que je suis embarrassé !

M. BASSET, à part.

Je ne sais par où commencer.

M. DURCET, à part.

Il faut le prévenir.

M. BASSET, à part.

Offrons lui de l’argent.

M. DURCET, haut.

Monsieur...

M. BASSET, haut.

Monsieur...

M. DURCET.

Si mes prières...

M. BASSET.

Si deux cents pistoles...

M. DURCET.

Pouvaient vous obliger...

M. BASSET.

Pouvaient vous empêcher...

 

 

Scène IV

 

MARTON, M. BASSET, M. DURCET

 

MARTON, bas.

Ah ! vraiment, voici bien autre chose !

Haut.

Que faites-vous donc ici, messieurs ?

M. DURCET, bas, à Marton.

Il m’a vu.

MARTON, bas, à M. Durcet.

Oui, de par le diantre, il vous a vu.

M. DURCET, bas, à Marton.

J’en suis bien fâché.

MARTON, bas, à M. Basset.

Eh ! mort de ma vie ! vous êtes bien indiscret.

M. BASSET, bas, à Marton.

Je ne croyais pas que M. Durcet fût ici.

M. DURCET, bas, à Marton.

Que vous dit-il ?

MARTON, bas, à M. Durcet.

Il dit qu’il avertira l’oncle de Cidalise que vous venez la voir.

M. DURCET, bas, à Marton.

Voilà un méchant homme !

M. BASSET, bas, à Marton.

De quoi vous parle-t-il ?

MARTON, bas, à M. Basset.

D’apprendre à Damis que vous venez voir ma maîtresse.

M. BASSET, bas, à Marton.

Voilà un pauvre esprit !

MARTON, bas, à M. Durcet.

Je tâche de l’adoucir.

Bas à M. Basset.

Je tâche de le rendre traitable.

Bas, à M. Durcet.

Allez-vous-en sans lui parler.

Bas, à M. Basset.

Sortez d’ici sans lui rien dire.

M. DURCET, haut.

Ah Dieu ! M. Basset, quel personnage vous faites ici !

MARTON, bas, à M. Durcet.

Que faites-vous ?

M. BASSET, haut.

Je serais bien fâché, M. Durcet, d’en faire un aussi méchant que vous.

MARTON, bas, à M. Basset.

Eh ! monsieur.

M. DURCET.

Savez-vous, M. Basset, sur quel pied vous êtes ici ?

MARTON, bas, à M. Durcet.

Encore !

M. BASSET.

Et vous, M. Durcet, puisqu’il faut tout vous dire, croyez-vous qu’on ne voie pas clair ? Sans la robe que vous portez...

MARTON, bas, à M. Basset.

Eh ! taisez-vous.

M. DURCET.

Vraiment ! mon petit ami, c’est bien à vous à faire comparaison avec un homme comme moi !

MARTON, bas, à M. Durcet.

Ah ! monsieur...

M. BASSET.

Je serai, quand je voudrai, ce que vous êtes, et vous ne serez jamais ce que je suis.

MARTON, bas, à M. Basset.

Taisez-vous donc.

M. DURCET.

Vous seriez un illustre suppôt de Thémis.

MARTON.

Oh ! querellez-vous bien fort, je vais vous écouter.

M. BASSET.

Thémis, Thémis ! il ne faut point parler latin pour me dire des injures : parlez, parlez français seulement, et vous verrez que je vous répondrai fort juste.

M. DURCET.

Le peu de soin que l’on a pris de votre éducation nous marque bien le lieu d’où vous sortez.

M. BASSET.

Vous n’êtes guère obligé aux soins que l’on a pris pour vous ; car je vous jure qu’il n’y paraît point du tout.

M. DURCET.

Ma charge dément ce que vous dites.

M. BASSET.

Vous fûtes bien servi, M. Durcet ; un perroquet en aurait fait autant, si on l’avait interrogé comme vous.

M. DURCET.

Vous en savez beaucoup pour un financier ! vous avez envie d’être de la robe ?

M. BASSET.

Assez d’habiles gens la portent sans moi.

M. DURCET.

Vous faites bien de mépriser ce que vous ne sauriez prétendre.

M. BASSET.

Avec de l’argent on fait tout. Si l’on y regardait de si près, croyez-moi, vous ne seriez pas officier.

M. DURCET.

Adieu, M. Basset. Vous aurez quelque jour besoin de nous.

M. BASSET.

Adieu, M. Durcet. Quand j’en aurai besoin, ceux qui méritent de porter le nom que vous usurpez me rendront justice ; et je sais comme il faut gagner tous ceux qui vous ressemblent.

M. DURCET.

Adieu, adieu, M. Basset.

M. BASSET.

Adieu, adieu, M. Durcet.

 

 

Scène V

 

MARTON

 

Par ma foi, j’ai la tête remplie de Bassets et de Durcets. Je croyais qu’ils n’auraient jamais fait.

 

 

Scène VI

 

MARTON, CIDALISE

 

MARTON.

Ah ! vous avez bien opéré, vraiment ! M. Basset et M. Durcet se sont dit mille injures ; chacun se prenait pour l’espion de l’autre. J’ai peur qu’ils n’éclaircissent tout : ils sont sortis ensemble.

CIDALISE.

Je les entendais de ma chambre.

MARTON.

Cela n’était-il pas bien divertissant ?

CIDALISE.

J’en ai pensé mourir de rire.

MARTON.

Et si Éraste était venu là dessus ?

CIDALISE.

Il en aurait ri comme moi.

MARTON.

Je ne sais ; c’est un mauvais plaisant sur certaines choses.

CIDALISE.

Oh ! tais-toi : j’ai d’autres choses dans la tête. Le Comte ne vient point.

MARTON.

Eh ! que diantre en voulez-vous faire ? Il n’est pas plus haut que ma jambe.

CIDALISE.

Je suis piquée, je te l’avoue.

MARTON.

Et de quoi ?

CIDALISE.

De son indifférence.

MARTON.

L’aimez-vous ?

CIDALISE.

Moi ? non ; mais je ne serais point fâchée qu’il m’aimât à présent.

MARTON.

Et pourquoi ?

CIDALISE.

Pour le punir de ne m’avoir pas aimée d’abord.

MARTON.

Vous raffinez sur les plus habiles coquettes.

 

 

Scène VII

 

CIDALISE, MARTON, UN LAQUAIS

 

LE LAQUAIS.

Madame, votre avocat m’envoie ici vous dire que votre procès est gagné.

CIDALISE.

Mon procès est gagné ? Tiens.

Elle lui donne de l’argent.

Et dis-lui que j’aurai soin de le remercier.

Le Laquais s’en va.

 

 

Scène VIII

 

CIDALISE, MARTON

 

MARTON.

Eh bien ! madame, nous n’avons plus besoin du Conseiller ?

CIDALISE.

Je vais me délivrer de deux ennuyeux personnages.

MARTON.

Pour le Conseiller, j’y consens ; mais, madame, messieurs Basset ne sont pas gens à dédaigner.

CIDALISE.

Je les laisse de bon cœur à ceux qui en auront besoin ; et je romprais à l’heure même avec eux, si je n’appréhendais de faire crier toute la terre contre moi.

MARTON.

Il faut du moins les chasser de bonne grâce.

CIDALISE.

Il faut, premièrement, rendre à M. Basset les mille pistoles qu’il m’a prêtées.

MARTON.

Quand vous voudrez les rendre, donnez-les-moi à reporter.

CIDALISE.

Non, Marton : je n’ai pas oublié les bijoux.

MARTON.

C’est Éraste, madame.

 

 

Scène IX

 

CIDALISE, ÉRASTE, MARTON

 

CIDALISE.

Eh bien ! Éraste, avez-vous su ce qu’on vous voulait ?

ÉRASTE.

Non, madame, je n’ai rien appris. Cet homme, trop impatient, s’est lassé de m’attendre ; il doit, dit-on, revenir à neuf heures.

CIDALISE.

Mais, quoi ! vous n’avez pu démêler ?...

ÉRASTE.

Eh ! madame, de quoi nous embarrassons-nous ? Ne perdons plus, de grâce, des moments si précieux ; et que notre amour ne soit pas toujours la dernière chose dont vous me parliez.

CIDALISE.

Oh ! Éraste, que vous me fatiguez ! vous me dites toujours la même chose ; cela ennuie à la fin, voyez-vous ! Que ne m’entretenez-vous de quelque aventure qui me réjouisse ?

ÉRASTE.

Hélas ! madame, je suis si occupé de la mienne...

CIDALISE.

Encore une fois, brisons là. J’aimerais autant lire Clélie que de vous entendre.

 

 

Scène X

 

LUCILE, CIDALISE, MARTON, ÉRASTE

 

LUCILE.

Ah ! ma cousine, vous ne savez pas ; je passerai tout le soir avec vous ; ma mère ne revient que demain.

CIDALISE.

Vous coucherez aussi avec moi, si vous voulez.

LUCILE.

J’ai ordre de coucher chez ma tante ; mais n’importe, c’est à faire à être un peu grondée.

À Éraste.

Ah ! vous voilà, monsieur : vraiment, vous avez querellé tantôt monsieur le Comte bien mal à propos.

ÉRASTE.

Mademoiselle, je suis prêt à lui faire toutes les satisfactions que vous m’ordonnerez.

LUCILE.

Écoutez ; sans moi, je vous réponds qu’il n’aurait pas souffert ce que vous lui avez dit : monsieur le Comte a du courage, au moins.

ÉRASTE.

Puisque vous l’aimez, je lui crois tout le mérite qu’un gentilhomme peut avoir.

LUCILE.

Ma cousine, il est là.

CIDALISE.

Faites-le entrer, Marton.

Marton sort.

 

 

Scène XI

 

CIDALISE, LUCILE, ÉRASTE

 

LUCILE.

Monsieur, faites-lui bien des honnêtetés, je vous prie.

ÉRASTE.

Il sera coûtent, je vous en réponds.

 

 

Scène XII

 

CIDALISE, LUCILE, ÉRASTE, LE COMTE

 

LUCILE.

Vous arrivez toujours le dernier, monsieur le Comte ; hem ! patience.

ÉRASTE, au Comte.

Je crois, monsieur, que vous voudrez bien me pardonner, si tantôt...

LE COMTE.

Vous n’êtes pas excusable, monsieur, d’avoir pu croire qu’on me préférât à vous.

CIDALISE.

Oh ! demeurons-en là, s’il vous plaît. Ces messieurs, si l’on voulait les laisser faire, passeraient bien plus de temps à se louer qu’ils n’en ont mis à se quereller. Pasquin n’est point revenu ?

ÉRASTE.

Où l’avez-vous envoyé ?

CIDALISE.

Il est allé chercher des truffes.

LUCILE.

Des truffes ?

CIDALISE.

Oui, ma cousine.

LUCILE.

Vraiment, j’en suis bien aise ; car je les aime bien.

LE COMTE, à Cidalise.

Lucile m’a dit, madame, que vous feriez parler à madame sa mère de la chose du monde que je souhaite le plus.

CIDALISE.

Nous parlerons de cela dans un autre temps.

 

 

Scène XIII

 

CIDALISE, LUCILE, ÉRASTE, LE COMTE, PASQUIN

 

CIDALISE.

Eh ! voilà Pasquin.

PASQUIN.

Oui, vraiment, me voilà ; et j’ai bien vu l’heure que vous ne me voyiez d’aujourd’hui.

ÉRASTE.

Comment ?

PASQUIN.

J’ai pris querelle à votre porte.

CIDALISE.

Avec qui ?

PASQUIN.

Avec messieurs du guet. Ces messieurs-là se connaissent fort mal en gens. Si je n’avais point été embarrassé, comme je l’étais...

LE COMTE.

Qu’aurais-tu fait ?

PASQUIN.

J’aurais couru comme un diable, et je me serais, bien moqué d’eux.

 

 

Scène XIV

 

CIDALISE, LUCILE, ÉRASTE, LE COMTE, PASQUIN, MARTON

 

MARTON.

Bonsoir, Pasquin.

PASQUIN.

Bonsoir, Marton. Ils me prenaient pour un voleur, à ce qu’ils disaient ; mais je crois, par ma foi, qu’ils me voulaient voler eux-mêmes. La peste ! qu’ils ont le nez fin ! Ils m’ont suivi plus de trois rues : ces truffes que je portais les guidaient merveilleusement. Enfin, je suis arrivé à la petite porte ; j’ai voulu l’ouvrir avec la clef qu’Éraste m’a laissée ; au diablezot, j’ai trouvé, je pense, plus de quarante mille trous de serrure sans trouver le véritable. Ces messieurs se sont arrêtés ; ma crainte a redoublé, et leurs soupçons aussi.

Avec trois sons de voix différons.

Il veut crocheter cette porte, disait l’un. C’est un voleur, disait l’autre... Il faut le mener au Châtelet... Enfin, j’ai vu l’heure que nous allions capituler ; et je me trouvais déjà fort heureux de me retirer sain et sauf, sans armes ni bagages, c’est à dire, sans truffes, ratafia, ni vin de Champagne.

ÉRASTE.

Tu as donc ouvert la porte, à la fin ?

PASQUIN.

Ah ! ma foi, il était temps. Oh çà, que ferai-je de tout ceci ?

CIDALISE.

Marton, aidez-lui. Suis-la, Pasquin.

 

 

Scène XV

 

CIDALISE, LUCILE, LE COMTE, ÉRASTE

 

CIDALISE.

Allons, divertissons-nous bien ce soir. Je vous prie, Éraste : serez-vous de bonne humeur aujourd’hui ? ne vous passera-t-il rien par la tête ?

ÉRASTE.

Non, madame, de ma vie. Si vous continuez de répondre à ma tendresse, vous me trouverez toujours l’homme du monde le plus reconnaissant.

CIDALISE.

Et plus de jalousie, surtout ?

ÉRASTE.

Je ferai un effort pour n’en plus avoir. Mais, vous, de votre côté, essayez autant que vous pourrez, d’éviter les occasions qui pourraient m’en donner.

CIDALISE.

Je vous le promets.

LE COMTE, à Lucile.

Et vous, Mademoiselle, que me promettez-vous ?

LUCILE.

D’être toujours comme je suis.

 

 

Scène XVI

 

CIDALISE, LUCILE, ÉRASTE, LE COMTE, MARTON

 

MARTON, parle à l’oreille de Cidalise.

Madame.

ÉRASTE, à Cidalise.

Que vous dit-elle ?

CIDALISE, à Éraste.

Ne vous voilà-t-il pas d’abord en campagne ?

À Marton.

Dites que je suis empêchée.

MARTON.

Mais, Madame...

ÉRASTE.

Oh ! pour cela, Madame, je ne puis y tenir, je ne sais pas ce que je n’aimerais point mieux, que de voir parler à l’oreille. Ne me faites pas souffrir davantage, je vous prie.

LUCILE, à Cidalise.

Eh ! ma cousine...

LE COMTE, à Cidalise.

Eh ! madame...

CIDALISE.

Non, il ne le saura pas.

À Marton.

Je vais leur parler.

Marton sort.

 

 

Scène XVII

 

CIDALISE, LUCILE, ÉRASTE, LE COMTE

 

ÉRASTE.

Je veux pénétrer ce mystère.

CIDALISE, à Éraste.

Monsieur...

ÉRASTE.

Madame...

CIDALISE.

Vous me fâchez bien fort.

ÉRASTE.

Dites-moi donc ce que c’est.

CIDALISE.

Je vous le dirai ; mais je romps avec vous...

ÉRASTE.

Voilà qui est fait, je ne vous le demande plus ; mais j’en mourrai.

CIDALISE.

À présent que vous êtes raisonnable, je veux bien vous le dire ; mais, quand vous l’aurez su, ne cessez pas de l’être.

ÉRASTE.

Non, je vous le proteste.

CIDALISE.

Ce sont deux hommes que vous ne connaissez point, qui viennent d’éclaircir que depuis longtemps je me moquais d’eux. Ils voulaient m’épouser l’un et l’autre. Ne vous alarmez point, j’avais intérêt de les ménager ; l’un était mon rapporteur, l’autre me prêtait de l’argent : mon procès est gagné, je n’ai plus besoin d’eux ; dictez-moi la réponse, je la leur ferai, ou parlez-leur vous-même.

LE COMTE.

Il paraît de la bonne foi dans le procédé de madame.

CIDALISE.

Tout cela ne le satisfait point encore.

À Éraste.

À quoi rêvez-vous ?

ÉRASTE.

À rien, madame.

 

 

Scène XVIII

 

CIDALISE, ÉRASTE, LUCILE, LE COMTE, PASQUIN, M. DURCET, M. BASSET

 

CIDALISE.

Qu’entends-je là ?

PASQUIN, à M. Durcet.

Non, vous n’entrerez pas.

M. DURCET.

Retire-toi, mon ami.

PASQUIN.

Il n’y a ami qui tienne ; vous n’entrerez pas.

M. BASSET, à Pasquin.

Ôte-toi de là, mon enfant.

PASQUIN.

Voilà un méchant père.

Il sort.

 

 

Scène XIX

 

CIDALISE, LUCILE, ÉRASTE, LE COMTE, M. DURCET, M. BASSET

 

M. DURCET, à Cidalise.

Les soins que j’ai pris pour vous, madame, méritaient une autre récompense.

M. BASSET, à Cidalise.

Je suis honteux d’avoir été si longtemps votre dupe.

M. DURCET.

Je suis ravi d’être désabusé.

M. BASSET.

M. Durcet me fuyait, et je fuyais M. Durcet, quand nous n’avions que vous à fuir.

CIDALISE.

Qu’y a-t-il donc, messieurs ?

M. DURCET.

Nous ne sommes pas ici en lieu, madame, de nous expliquer davantage.

M. BASSET.

Et moi je voudrais que tout Paris fût ici, pour lui donner plus de confusion.

ÉRASTE, à M. Basset.

Tout beau, tout beau, Monsieur, je ne sais qui vous êtes ; mais apprenez à parler plus civilement à des dames.

M. BASSET.

Ah vraiment ! il y a longtemps que l’on ne m’apprend rien ; c’est moi qui montre aux autres.

ÉRASTE, à Cidalise.

Qui est cet homme-là, madame ?

CIDALISE, à Éraste.

Laissez-le en repos, je vous en prie.

M. BASSET.

Je m’appelle Moniteur Basset, entendez-vous ?

ÉRASTE.

Eh bien ! monsieur Basset, n’était la considération que j’ai pour ces dames, je vous jetterais par les fenêtres.

M. BASSET.

Tout cela s’appelle des façons de parler.

ÉRASTE.

Mon petit drôle...

CIDALISE, à Éraste.

Eh ! taisez-vous.

À M. Basset.

Mon pauvre M. Basset, il ne faut point vous abuser davantage ; je ne vous ai jamais aimé. Vous m’avez fait plaisir, et je l’ai reconnu, en vous pardonnant l’audace que vous avez eue de vouloir m’épouser. Pour les mille pistoles que je vous dois, je vous les rendrai au premier jour.

M. BASSET.

Vous ferez fort bien, madame, vous ferez fort bien.

Il sort.

 

 

Scène XX

 

CIDALISE, LUCILE, ÉRASTE, LE COMTE, M. DURCET

 

CIDALISE, à M. Durcet.

Pour vous, monsieur, dans la nécessité de mes affaires, il m’était important de gagner les bonnes grâces de mon rapporteur : vous m’avez persuadée que j’y avais réussi par les soins que vous avez eus de mon procès ; je vous en remercie, et croyez que j’aurais reçu autrement l’honneur que vous me faisiez de vouloir m’épouser, si je n’avais été engagée depuis longtemps avec monsieur.

M. DURCET.

Messieurs, mesdames, toute la compagnie, je vous donne le bonsoir.

Il sort.

 

 

Scène XXI

 

CIDALISE, LUCILE, ÉRASTE, LE COMTE

 

ÉRASTE.

Ce M. Basset là a les épaules bien larges.

LE COMTE.

En vérité, monsieur, vous devriez être content ; vous lui en avez assez dit, et trop même.

ÉRASTE.

Oui ; mais j’en ai trop peu fait.

CIDALISE, à Éraste.

Ne deviendrez-vous jamais sage ?

ÉRASTE.

Eh ! madame... Je m’en vais.

Il sort.

 

 

Scène XXII

 

CIDALISE, LUCILE, LE COMTE

 

LUCILE.

Où va-t-il donc ?

CIDALISE.

Que sait-il ? C’est un fou ; je ne prends pas garde à ce qu’il fait.

 

 

Scène XXIII

 

CIDALISE, LUCILE, LE PETIT CHEVALIER, LE COMTE

 

CIDALISE.

Eh ! ma cousine, voilà votre petit frère.

Au petit chevalier.

Eh ! bonsoir, le petit bonhomme.

LE PETIT CHEVALIER.

Oui, oui, bonsoir. Ah ! ah ! ma sœur, vous dites que vous allez chez ma tante, et je vous trouve ici ?

LUCILE.

Et vous, monsieur, qui vous a permis d’y venir à l’heure qu’il est ?

LE PETIT CHEVALIER.

C’est ma mère, qui est revenue, et qui m’envoie vous chercher. Eh ! là, là, vous ne serez pas mal grondée.

Apercevant le Comte.

Et voilà aussi mon gourmand, qui mangeait toutes les confitures sans m’en donner.

LUCILE.

Ah ! ma cousine, il dira tout à ma mère.

CIDALISE.

Laissez-moi faire. Oh çà, mon cher petit cousin, voudrais-tu nous faire un plaisir ?

LE PETIT CHEVALIER.

C’est selon. Vous ne me tromperez pas. Premièrement, ma mère m’a envoyé ici pour voir ce que ma sœur y faisait, et je m’en vais le lui dire.

CIDALISE.

En vérité, vous êtes un franc petit sot.

LE PETIT CHEVALIER.

Sot tant qu’il vous plaira ; mais je le ferai comme je vous le dis.

CIDALISE.

Quoi ! mon cousin, si, par exemple, on vous donnait des confitures tout plein vos poches, et un louis d’or pour aller jouer à la paume, pour dire seulement que vous avez trouvé votre sœur couchée et endormie chez ma tante, vous ne le feriez pas ?

LE PETIT CHEVALIER.

Il faudrait voir. Il est bien aisé déjà de prendre un louis et des confitures ; mais pour mentir à ma mère, cela n’est pas si aisé que vous croyez.

CIDALISE.

Pour ne nous point embrouiller, débarrassons-nous des choses aisées. Tiens, voilà le louis ; et je te vais donner des confitures.

LE PETIT CHEVALIER.

Voyez-vous ! il faut me recommencer les choses plus d’une fois, à moi ; d’abord j’ai de la peine à les comprendre.

LUCILE.

Mais, mon frère, il ne faut que dire à ma mère que je suis chez ma tante, et que je suis couchée.

LE PETIT CHEVALIER.

Taisez-vous, vous ne savez ce que vous dites ; ma cousine se fait bien mieux entendre que vous.

CIDALISE.

Mais, point, mon cousin ; elle vous dit la chose comme il faut.

LE PETIT CHEVALIER.

Pardonnez-moi, elle n’a point parlé de confitures.

CIDALISE.

Eh bien ! en voilà ; nous entendez-vous mieux ?

LE PETIT CHEVALIER.

Oh ! je vous entends à présent. Que faut-il faire ? Dire à ma mère que ma sœur est chez ma tante ?

CIDALISE.

Oui.

LE PETIT CHEVALIER.

Qu’elle est couchée ?

CIDALISE.

Oui.

LE PETIT CHEVALIER.

Ne trouvez-vous point encore quelque petite difficulté ?

LUCILE.

Oh ! faites ce qu’on vous dit, ou rendez l’argent et les confitures.

LE PETIT CHEVALIER.

Allez, allez, je me moquais de vous. Ma mère n’est point revenue ; mais je me suis bien douté que ma sœur était ici avec monsieur le Comte.

CIDALISE.

Peste soit du petit fripon ! Voyons ce que fait Éraste ; et que l’on mette le couvert.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

MARTON, PASQUIN

 

MARTON.

Allons donc, Pasquin, remuez-vous un peu, puisque vous êtes de la maison ; mettez le couvert.

PASQUIN.

Et où est-il ce couvert ?

MARTON.

Approche cette table. Où vas-tu ? Non, tiens, le voilà : tu es étourdi comme un hanneton.

PASQUIN.

Écoute, mon enfant, il faut de l’habitude à tout. On ne parlait non plus de table chez feu mon maître que si c’eût été un meuble tout à fait inutile. Dieu garde de mal celui qui a passé deux jours et deux nuits sans manger.

MARTON.

Et de quoi vivais-tu ?

PASQUIN.

Nous vivions de pleurs, de soupirs.

MARTON.

La mauvaise nourriture !

PASQUIN.

Elle est un peu amère franchement ; et je te réponds que moi, qui ne prends pas les choses autrement à cœur, je sens une certaine douleur, un étouffement qui me répond entre les deux épaules.

MARTON.

Tais-toi. Va prendre le couvert dans cette armoire.

PASQUIN.

Combien apporterai-je de couverts ?

MARTON.

Cinq. Te dépêcheras-tu ?

PASQUIN.

Oh ! donne-toi patience, ou viens les quérir toi-même.

MARTON.

Je pense que j’aurai plus tôt fait.

PASQUIN.

Que tu es bouillante !

MARTON.

Oui, vraiment, je le suis.

PASQUIN.

Je m’en souviens fort bien ; le soufflet de tantôt...

MARTON.

N’est-ce point de là que t’est resté ton étouffement, entre les deux épaules ?

PASQUIN.

Va, va, je n’oublie rien, et si jamais je suis ton mari...

MARTON.

Va, va, si je suis ta femme, je te donnerai tant d’affaires que tu ne songeras pas à celle-là.

PASQUIN.

Belle espérance.

MARTON.

Tais-toi, voici madame.

 

 

Scène II

 

CIDALISE, MARTON

 

CIDALISE.

Ah ! juste ciel ! Qui a jamais ouï parler d’une semblable perfidie ?

MARTON.

Madame...

CIDALISE.

J’étais près d’entrer dans la chambre de mon oncle, pour lui donner le bonsoir...

MARTON.

Eh bien ?

CIDALISE.

Ma tante était auprès de lui ; j’ai eu la curiosité d’écouter ce qu’ils disaient...

MARTON.

Que disaient-ils ?

CIDALISE.

Ils prenaient leurs mesures pour me faire partir demain. Je suis au désespoir.

MARTON.

Allons, allons, madame, ne vous affligez point. Contre fortune, bon cœur. Quand on a de l’esprit, on se divertit partout.

CIDALISE.

Que ferons-nous dans ce vilain château ?

MARTON.

Nous médirons de madame votre tante ; il y aura là de quoi nous occuper six mois.

CIDALISE.

On ne peut pas toujours médire.

MARTON.

Nous trouverons mille amusements.

CIDALISE.

Eh ! quoi encore ?

MARTON.

Mais que sais-je, moi ? Casser les vitres, les miroirs ; rompre, briser les meubles ; mettre le feu à la maison ; il y a cent petites choses récréatives comme cela.

 

 

Scène III

 

CIDALISE, ÉRASTE, MARTON, PASQUIN, LE COMTE, LUCILE, LE PETIT CHEVALIER

 

CIDALISE.

Ah ! Éraste, je vais vous dire adieu.

ÉRASTE.

Que dites-vous ?

CIDALISE.

Oui, je vous dis adieu ; et c’est vous qui en êtes la cause.

ÉRASTE.

Moi ?

CIDALISE.

Oui, vous. Les honnêtetés que vous fîtes à ma tante, les premiers jours que vous vîntes ici, et qu’elle prit pour les commencements d’une grande passion, l’ont déterminée à ce que vous voyez aujourd’hui.

ÉRASTE.

À quoi donc, madame ?

CIDALISE.

À m’éloigner, pour ne plus trouver d’obstacles à sa tendresse.

ÉRASTE.

Ah ! si elle se flatte par là de me rendre sensible...

CIDALISE.

N’en parlons plus, me voilà résolue à tout.

ÉRASTE.

À quoi donc, madame ?

CIDALISE.

À partir demain.

ÉRASTE.

Quoi ! madame, je ne vous verrai plus ?

CIDALISE.

Je suis la plus à plaindre, Éraste. On trouve ici de quoi dissiper ses chagrins ; mille plaisirs, qu’on ne peut éviter, consolent de n’être pas auprès de ce qu’on aime, et bien souvent une conquête nouvelle ne vous en laisse pas le moindre souvenir : mais moi qui vais passer une année entière à la campagne, que la plus belle saison ne pourrait me rendre agréable, qui, pour objets les plus plaisants... Ah ! je vous prie, laissez-moi m’étourdir là dessus ; les réflexions me tuent. J’ai encore une nuit à demeurer ici, je veux en employer tous les moments à désespérer mon oncle et ma tante.

MARTON.

Bon cela.

ÉRASTE.

Eh ! madame, ne ferions-nous pas mieux de prendre des mesures ?...

CIDALISE.

Je veux passer toute la nuit à danser.

MARTON.

Fort bien.

CIDALISE.

Commençons par faire médianoche. Quelle heure est-il ?

MARTON.

Il n’est que dix heures.

PASQUIN.

Si vous voulez, madame, je ferai sonner minuit à la pendule.

ÉRASTE.

Eh ! de grâce, madame, parlez-moi.

CIDALISE.

Tout à l’heure. Je veux avoir des violons ce soir.

MARTON.

Ne voulez-vous pas aussi des tambours et des trompettes, pour réveiller toute la maison ?

CIDALISE.

Je ne raille point ; je veux donner le bal.

ÉRASTE.

Eh ! madame, vous les animerez d’une manière...

CIDALISE.

Je n’ai plus rien à ménager.

ÉRASTE.

Mais, croyez-moi...

CIDALISE.

Ah ! je vous prie, laissez-moi en repos.

ÉRASTE.

En vérité, madame, vous avez bien peu de considération pour moi. Quoi ! dans le temps qu’il faut nous séparer, tout ce que vous pensez n’a pas le moindre rapport à ma tendresse ?

CIDALISE.

Ah ! Éraste, que vous me fatiguez ! Que voulez-vous que je vous dise ?

ÉRASTE.

Ce que je veux que vous me disiez !

CIDALISE.

Marton, songez à notre soupé.

MARTON.

C’est assez.

ÉRASTE.

M’écrirez-vous ?

CIDALISE, à Éraste.

Oui.

À Marton.

Faites mettre des bougies partout.

MARTON.

Il y en aura.

ÉRASTE.

Eh ! madame, de grâce, écoutez-moi...

CIDALISE.

Je vous écoute... je vous écoute, vous dis-je. Mais, à propos, que voulait cet homme de tantôt ? L’avez-vous vu ?

ÉRASTE.

Oui, madame.

CIDALISE.

Que voulait-il ?

ÉRASTE.

Me rendre une lettre.

CIDALISE.

De qui ?

ÉRASTE.

De quelqu’un qui voulait se divertir apparemment.

CIDALISE.

Est-ce l’écriture d’une femme ?

ÉRASTE.

Je ne sais.

CIDALISE.

Montrez-la moi.

ÉRASTE.

Je vais vous la donner.

Il cherche la lettre dans ses poches.

CIDALISE.

Dépêchez-vous.

ÉRASTE.

Un moment, s’il vous plaît.

CIDALISE.

L’avez-vous ?

ÉRASTE.

Pas encore.

CIDALISE.

Vous me faites mourir.

ÉRASTE.

La voici.

CIDALISE.

Ah ! je respire.

ÉRASTE.

Non, ce n’est pas elle.

CIDALISE.

Est-elle perdue ?

ÉRASTE.

La voilà.

CIDALISE.

Je la veux lire.

Elle lit.

« Je ne veux point vous laisser acheter par des soins une tendresse que rien ne saurait payer, que la vôtre. Si vous m’aimez, comme on me l’a voulu faire croire, je suis contente ; mais cessez d’en faire confidence à d’autres qu’à moi : cachez même, si vous pouvez, à celui qui vous rendra ma lettre, le plaisir qu’elle doit vous donner ; et trouvez les moyens de me faire tenir une réponse où je trouve dans chaque ligne que vous m’aimerez éternellement. »

Marton, c’est une lettre de ma tante.

MARTON.

Ah ! madame.

ÉRASTE.

Que voulez-vous dire ?

CIDALISE, à Éraste.

Vous le saurez. Je ne sortirai point de Paris, Éraste.

ÉRASTE.

Vous n’en sortirez point ?

CIDALISE.

Non, vous dis-je. Que ferons-nous ? N’irons-nous pas au bal ?

ÉRASTE.

Vous savez que je fais tout ce qu’on veut.

LUCILE.

Monsieur le Comte, le voulez-vous bien ? Nous souperons après, ma cousine.

LE COMTE, à Lucile.

Vous n’avez qu’à commander, mademoiselle.

CIDALISE.

Avez-vous là votre carrosse ?

ÉRASTE.

J’ai le mien au bout de la rue.

LE COMTE.

Le mien y est aussi.

CIDALISE.

Voilà qui est bien. Comment nous déguiserons-nous ? Pour moi, je ne veux qu’un masque.

LUCILE.

Et moi, ma cousine ?

MARTON.

Prenez-en un aussi.

LE PETIT CHEVALIER.

Et moi ?

LUCILE.

Et vous, vous irez vous coucher.

LE PETIT CHEVALIER.

Non pas, s’il vous plaît.

MARTON.

Tenez, voilà tout l’attirail.

Céphise frappe à la porte.

CIDALISE.

Ne heurte-t-on pas ?

LE COMTE.

On heurte assurément, madame.

LUCILE.

Ah ! ma cousine, c’est peut-être ma tante.

CIDALISE.

Eh bien ! Quand ce serait elle, faut-il tant s’étonner ? Laissez-moi parler. Passez dans ma chambre, Éraste.

LE COMTE.

Et moi, madame ?

CIDALISE.

Et vous aussi.

Le Comte sort, ainsi qu’Éraste, Pasquin, et le petit Chevalier.

 

 

Scène IV

 

CÉPHISE, CIDALISE, LUCILE, MARTON

 

CIDALISE va à la porte.

Qui est là ?

CÉPHISE, de dehors.

Ouvrez.

CIDALISE.

Qui est là ?

CÉPHISE.

Ouvrez, vous dis-je.

CIDALISE, ayant ouvert la porte.

Ah ! ah ! c’est ma tante.

CÉPHISE, entrant.

Oui, ma nièce, c’est moi.

CIDALISE.

Eh ! qui vous fait venir ici à l’heure qu’il est ?

CÉPHISE.

M. Durcet a pris la peine de m’avertir qu’on se préparait ici à passer une bonne nuit.

CIDALISE.

Madame, je me trouvais mal.

CÉPHISE.

Vous trouvez là de bons remèdes.

MARTON.

Le médecin lui a ordonné de faire médianoche.

CIDALISE.

J’ai voulu attendre minuit pour manger gras.

CÉPHISE.

Et vous, Lucile, que faites-vous ici ?

CIDALISE.

J’ai cru que vous ne trouveriez pas mauvais si je la tenais à coucher avec moi.

CÉPHISE, à Lucile.

Vous usez bien des permissions qu’on vous donne ! Laissez-moi faire, on trouvera les moyens de vous mettre à la raison.

CIDALISE, à Céphise.

Oh ! madame, je vous prie, faites-nous bonne mine.

À Lucile.

Ma cousine, ne vous chagrinez point ; elle est bonne personne, je la connais ; un quart d’heure d’entretien tête à tête nous la rendra favorable.

CÉPHISE.

Nous verrons à la fin qui plaisantera le plus longtemps.

CIDALISE.

En vérité, madame, si vous êtes si farouche, je vous ferai prier par des gens pour qui vous ne serez pas si cruelle.

CÉPHISE.

Que voulez-vous donc dire ? expliquez-vous.

CIDALISE.

J’ai bien de la peine à me faire entendre.

Elle appelle.

 

 

Scène V

 

CIDALISE, CÉPHISE, ÉRASTE, LUCILE, MARTON

 

CIDALISE.

Éraste ! Priez madame de ne nous point être si contraire.

CÉPHISE, à part.

Je suis trahie.

 

 

Scène VI

 

CIDALISE, CÉPHISE, LUCILE, ÉRASTE, LE COMTE, LE PETIT CHEVALIER, PASQUIN, MARTON

 

LE PETIT CHEVALIER.

Eh ! bonsoir, ma tante ; voulez-vous venir au bal ?

CIDALISE.

Oui dà, elle y viendra : pourquoi non ?

CÉPHISE.

Vous voulez bien que je me retire.

CIDALISE.

Nous avons le plus joli souper du monde ; vous en serez, s’il vous plaît.

Éraste, par un regard de tendresse affectée, invite Céphise à rester.

CÉPHISE, amoureusement.

Je ferai tout ce que vous voudrez.

CIDALISE, à Éraste.

Ne vous avais-je pas bien dit que c’était la meilleure personne du monde ? Elle entend les choses à demi-mot.

LUCILE.

On frappe à la porte.

MARTON, à Cidalise.

Madame, c’est votre oncle.

CIDALISE, à Céphise.

Madame, voyez, c’est à présent votre affaire : empêchez-le d’entrer, si vous pouvez.

CÉPHISE. Elle met les bougies sous la table.

Ne remuez point, tous ; ne faites point de bruit ; cachez les flambeaux.

Allant à la porte.

Qui est là ?

 

 

Scène VII

 

DAMIS, CIDALISE, CÉPHISE, LUCILE, MARTON, ÉRASTE, LE COMTE, LE PETIT CHEVALIER, PASQUIN

 

Damis frappe à la porte.

DAMIS, de dehors.

Est-ce vous, ma femme ?

CÉPHISE.

Est-ce vous, monsieur ?

DAMIS, de dehors.

C’est moi-même, ouvrez.

CÉPHISE.

Avez-vous là de la lumière ?

DAMIS, de dehors.

Oui.

CÉPHISE.

Éteignez-la.

DAMIS, de dehors.

Eh ! pourquoi ?

CÉPHISE.

Éteignez-la, vous dis-je.

DAMIS, de dehors.

Elle est éteinte.

CÉPHISE.

Donnez-moi la main. Que venez-vous faire ici ?

DAMIS.

Qu’y venez-vous faire vous-même ?

CÉPHISE.

M. Durcet me vient d’envoyer dire qu’on se préparait à faire médianoche ici, et qu’Éraste, et d’autres encore, devaient s’y trouver.

DAMIS.

M. Basset m’a fait dire la même chose.

CÉPHISE.

Cela n’est pas vrai cependant : il y a près d’une demi-heure que je suis ici, je n’entends rien.

DAMIS.

Hé comment y êtes-vous entrée ?

CÉPHISE.

N’ai-je pas une clef de cet appartement ? Allez, retirez-vous. Prenez garde de tomber sur la montée. Je veux examiner ceci. À moins qu’ils ne soient dans la chambre où elle couche... Laissez-moi faire ; s’il me paraît la moindre chose, j’irai vous avertir.

DAMIS, s’en allant.

Bonsoir, madame.

CÉPHISE.

Bonsoir, monsieur.

Pasquin veut reprendre les bougies. À Pasquin.

Attendez.

DAMIS.

Que dites-vous ?

CÉPHISE, à Damis.

Je dis que vous n’alliez pas si vite, de peur de vous blesser.

Après que Damis est sorti, et que Céphise a fermé la porte, Pasquin met les bougies sur la table.

 

 

Scène VIII

 

ÉRASTE, LE COMTE, LE PETIT CHEVALIER, CIDALISE, CÉPHISE, LUCILE, MARTON, PASQUIN

 

ÉRASTE.

Le voilà parti.

CÉPHISE.

Vous voyez, ma nièce, que je ne suis pas si mauvaise qu’on s’imagine.

CIDALISE.

Moi, ma tante ? Vous êtes la meilleure personne du monde quand vous voulez. Oh çà, voyons donc ; n’irons-nous pas au bal ?

CÉPHISE.

Je vous prie de m’en dispenser.

CIDALISE.

Oh ! ma tante, vous y viendrez.

LE PETIT CHEVALIER.

Ma tante danse à merveille.

CÉPHISE.

Ce n’est point parce que je danse mal que je n’y veux point aller.

MARTON, à part.

La vieille folle !

CIDALISE.

Dépêchons-nous, allons vite, ma tante.

CÉPHISE.

Non, ma nièce...

MARTON.

Oh ! par ma foi vous y viendrez.

CIDALISE.

Sommes-nous prêts ? Allons-nous-en, nous souperons après.

CÉPHISE, à part.

Où me suis-je fourrée !

LUCILE.

Marton ne vient-elle pas ?

MARTON.

Pourquoi non ?

CIDALISE.

Il faut que Pasquin reste ici pour nous ouvrir la porte.

ÉRASTE.

Parle donc, hé !

PASQUIN.

Monsieur ?

ÉRASTE.

Ne t’endors pas, au moins, quand il faudra nous ouvrir.

MARTON.

Je ne m’y fie pas : je vais prendre la clef.

Ils sortent tous, excepté Pasquin.

 

 

Scène IX

 

PASQUIN

 

Bonne petite vie, par ma foi ! Si l’oncle revenait, cela serait tout à fait drôle. Ce sont leurs affaires ; la mienne est à présent de voir s’il n’y a point quelqu’une de ces bouteilles de trop. Voilà justement ce qu’il me faut. À vous, M. Pasquin Monsieur, je vous suis fort obligé... Allons donc, point de façon... Je suis votre serviteur... Il faut que vous me fassiez raison de la santé que je viens de vous porter... Ah ! de tout mon cœur Buvez donc. Voilà un brave homme... Ta, ta, ta, lera. Je suis un peu rond, franchement ; il ne faut pourtant point se rebuter... À vos inclinations, M. Pasquin... Ah ! il ne sera pas dit que M. Pasquin demeure court.

 

 

Scène X

 

DAMIS, PASQUIN

 

PASQUIN.

Qui est-là ?

DAMIS.

Ouvrez.

PASQUIN.

Je ne saurais.

DAMIS.

Eh ! faut-il tant de façon ? Qui peut ouvrir le jardin à l’heure qu’il est ? Que fais-tu là ?

PASQUIN.

Vous voyez, je tâche d’adoucir les misères de la vie.

DAMIS.

Où est Cidalise ?

PASQUIN.

Où elle est ?

DAMIS.

Oui.

PASQUIN.

Je ne sais. Tenez, M. Damis, voulez-vous boire un coup ?

DAMIS.

À qui parles-tu, coquin ?

PASQUIN.

Il est de Champagne, M. Damis.

DAMIS.

Allez dire à ma femme qu’elle descende ici.

PASQUIN.

Madame Damis est allée au bal, M. Damis.

DAMIS.

Ma femme au bal ?

PASQUIN.

Oui dà, au bal : elle danse fort bien.

DAMIS.

Je suis bien fou de m’arrêter à ce que me dit un ivrogne. Mais qu’entends-je ?

PASQUIN.

C’est madame Damis.

 

 

Scène XI

 

DAMIS, CIDALISE, LUCILE, LE COMTE, PASQUIN, MARTON

 

LUCILE.

En vérité, ma cousine, je suis bien malheureuse.

LE COMTE.

Le carrosse d’Éraste s’est rompu bien mal à propos.

LUCILE.

Comment reviendront-ils ?

LE COMTE.

Le mien est allé les reprendre.

DAMIS.

Ah ! malheureuse ! c’est donc là l’effet de vos promesses ! Vous ne deviez plus voir Éraste ; vous ne gardez plus aucune mesure. Ce n’était point assez de perdre votre réputation, il faut jeter toute votre famille dans le même désordre ! Ah ! Lucile, Lucile ! votre mère vous punira, je vous en réponds. Et vous, madame, nous trouverons, votre père et moi, d’assez bons amis pour vous faire repentir de votre conduite.

CIDALISE.

Voudriez-vous, monsieur, m’écouter un moment ?

DAMIS.

Que pouvez-vous me dire ?

CIDALISE.

On a pris soin, monsieur, d’empoisonner ma manière de vie ; quand vous voudrez l’examiner, vous ne la trouverez point criminelle. J’aime Éraste, il est vrai, et je tâcherai, par toutes sortes de moyens honnêtes, de n’en épouser jamais d’autre. Vous et mon père y auriez déjà consenti, sans les artifices de ma tante : elle ne veut point me souffrir chez vous, non point tant pour m’empêcher de voir Éraste, qu’afin de le voir, elle, sans obstacle.

DAMIS.

Ah ! misérable ! qu’oses-tu dire ?

CIDALISE.

Ce qu’elle ne peut démentir.

Elle lui montre la lettre de Céphise.

DAMIS.

Que vois-je ?

CIDALISE.

Je sais que cela est sensible ; mais je ne pouvais, qu’aux dépens de mon propre honneur, vous épargner de semblables chagrins.

 

 

Scène XII

 

DAMIS, CÉPHISE, CIDALISE, LUCILE, LE COMTE, ÉRASTE, PASQUIN, MARTON

 

CÉPHISE.

Ah ! ma nièce, j’ai le bras bien blessé.

DAMIS.

Fusses-tu morte, malheureuse ! puisque cette lettre est de toi.

CÉPHISE. Elle s’évanouit dans les bras de Pasquin.

Je suis perdue.

PASQUIN.

Madame, voulez-vous un peu de vin de Champagne ?

CIDALISE.

Portez-la dans ma chambre. Éraste, ne perdons point de temps : mon père doit venir aujourd’hui, employons toute la terre pour le faire consentir à notre mariage. Pour vous, ma cousine, je sais des gens, je vous l’ai déjà dit, que votre mère ne pourra refuser.

PASQUIN.

Et moi, Marton ?

MARTON.

Ôte-toi de là, ivrogne.

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