Les Comptes de tutelle (Jean-François BAYARD - MERVILLE)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de S.A.R. Madame, le 15 juin 1826.

 

Personnages

 

MONSIEUR VERDIER, tuteur de Cécile

ADOLPHE, son neveu

PAULIN, agent d’affaires

CÉCILE, pupille de monsieur Verdier

CONSTANCE, vieille gouvernante

 

La Scène se passe à Paris, dans la maison de monsieur Verdier.

 

Le Théâtre représente un salon ; porte au fond ; deux portes latérales ; à droite de l’acteur, une table et tout ce qui est nécessaire pour écrire.

 

 

Scène première

 

VERDIER, CÉCILE

 

VERDIER.

Non, mademoiselle, non, ce n’est pas bien, je suis très mécontent.

CÉCILE.

Là... je vous demande un peu, mon bon ami, d’où vient cette grande colère ?

VERDIER.

Vous vous faites un jeu de me tourmenter.

CÉCILE.

Se fâcher pour une plaisanterie, un enfantillage... Allons, soyez donc plus aimable, et je vais vous embrasser.

VERDIER.

La veille d’un mariage, se permettre de pareilles observations !

CÉCILE.

Parce que je dis que mon prétendu est un peu laid ?

VERDIER.

Taisez-vous.

CÉCILE.

Il sera mon mari... Mais, écoutez donc... ce n’est pas une raison pour que je le trouve beau.

VERDIER.

Il vous aime.

CÉCILE.

Vous croyez ?...

VERDIER.

Il est actif, bon, et surtout désintéressé.

CÉCILE.

C’est étonnant !... un agent d’affaires... ça doit aimer l’argent.

VERDIER.

Voilà justement ce que je craignais ; mais, crois-tu que moi, ton tuteur, ton bon ami, je veuille te sacrifier ?... Il y a longtemps que Dupuis, mon vieux camarade, m’a demandé ta main pour son fils... Paulin me paraissait égoïste, avide d’argent ; et malgré sa fortune... je refusai à peu près... Mais enfin, je pouvais me tromper : je me trompais... Ce qu’il aime en toi, c’est ta grâce, ta gentillesse, ton esprit... je ne dirai pas ton caractère : tu es méchante...

CÉCILE.

Ah ! de la rancune... ce n’est pas bien.

VERDIER.

« Mon ami, lui dis-je, Cécile est sans famille, sans fortune, sans dot... persistez-vous encore ? Oui, certes. – Alors, elle est à vous. » Cependant, toi, tu étais libre de refuser... je t’ai demandé ton consentement... tu l’as donné ; c’est une affaire finie !

CÉCILE.

Sans fortune : sans dot !

VERDIER.

Paulin est riche ; sa conduite te répond de son cœur... c’est un excellent parti... tu l’aimes...

CÉCILE.

Pas beaucoup... ça viendra peut-être.

VERDIER.

Songe que tu as promis... que j’ai donné ma parole, et que je ne puis ni ne veux la retirer.

CÉCILE.

Ah ! mon Dieu !... et moi aussi, je sais bien que les demoiselles ne doivent avoir qu’une parole... j’ai promis d’épouser, j’épouserai... n’en parlons plus... Mais, bon ami...

VERDIER.

Eh bien ?

CÉCILE.

Il faudra écrire à votre neveu pour qu’il se trouve à la noce.

VERDIER.

Adolphe !... à quoi bon ?

CÉCILE.

Oh ! je sais bien que vous ne l’aimez pas... Avant son départ, vous le trouviez mauvais sujet... je ne trouvais pas, moi... je suis sûre qu’il est charmant... il viendra... j’y tiens beaucoup... Un ami d’enfance !... Oh ! puisque je me marie, je veux qu’il soit là.

Air d’Aristippe.

Triste souvent, la jeune mariée,
Laisse tomber des pleurs sur son bouquet ;
Je prétends, moi, voir ma noce égayée
Par un grand bal, par un riant banquet.
Je veux qu’alors, comme en un jour de gloire,
Tous mes amis m’environnent... Enfin
À mon bonheur, ce jour-là, je veux croire,
Quitte à changer d’avis le lendemain.

 

 

Scène II

 

VERDIER, CÉCILE, CONSTANCE

 

CONSTANCE.

Mademoiselle ! mademoiselle !...

CÉCILE.

Eh bien ! Constance, que me voulez-vous ?

CONSTANCE.

Votre maîtresse de piano.

CÉCILE.

Oh ! je ne prendrai pas de leçon aujourd’hui.

CONSTANCE.

Mais, mademoiselle... nous ne ferons pas de progrès... nous ne serons jamais musicienne.

VERDIER.

Allons, va... il me semble que c’est un plaisir.

CÉCILE.

Oui... il y a quinze jours qu’elle me fait étudier l’ouverture d’Olympie... si vous trouvez cela amusant.

CONSTANCE.

Ah ! voilà monsieur Paulin.

CÉCILE.

Mon prétendu... En ce cas...

Elle va pour sortir.

 

 

Scène III

 

VERDIER, CÉCILE, CONSTANCE, PAULIN

 

PAULIN.

Eh ! bonjour, monsieur Verdier... vous voyez, je suis exact...

À Cécile qui sortait avec Constance.

Mademoiselle, vous sortez ?...

CÉCILE.

Monsieur, ma maîtresse de piano m’attend, et il faut absolument...

PAULIN.

Je ne vous retiens plus, mademoiselle ; je serais désespéré de vous retenir.

Cécile sort avec Constance.

La musique... une étude aussi agréable... et quel joli talent dans un ménage... En famille... le soir...

À part.

ça endort.

 

 

Scène IV

 

VERDIER, PAULIN

 

VERDIER.

Et savez-vous, mon cher Paulin, que Cécile est déjà forte sur le piano.

PAULIN.

Tant mieux !... c’est un superbe instrument... dans un salon surtout... un beau meuble !

VERDIER.

Elle vous jouera du Grétry, du Rossini... Pour lequel êtes-vous ?

PAULIN.

Oh ! moi, ça m’est égal... je ne me mêle pas de ces choses-là... Mon affaire, c’est la rente... il y a assez de dilettanti aux prises.

Air : Amis, ce simple dénouement.

Dans les rangs de nos amateurs
La Discorde a jeté sa pomme ;
Parmi nos grands compositeurs
Chaque parti choisit son homme.
Les jeunes attaquent les vieux,
Soutiens des doctrines caduques ;
Et si les partis furieux
Viennent à se prendre aux cheveux,
Malheur aux têtes à perruques !

VERDIER.

Ah ! vous êtes pour le moderne ?

PAULIN.

Moi ? je suis pour le cinq ; voilà tout... Mais, pardon... je cours chez mon agent de change, et je viens prendre votre lettre comme je vous l’avais promis.

VERDIER.

Je n’ai que deux mots à lui écrire... voulez-vous permettre...

Il s’assied auprès de la table, à droite, et écrit.

PAULIN.

Je vous en prie...

À part.

Ah çà ! maintenant il s’agit de la dot... J’ai eu beau prendre des renseignements, je n’en suis pas plus avancé... monsieur Verdier y met de la malice... mais moi aussi, je suis malin... un coulissier !

VERDIER, écrivant.

Dites-moi, avez-vous vu le notaire ?

PAULIN.

Oui, ce matin. 

À part.

Faisons-le causer...

Haut.

Il s’occupait du contrat... vous lui ayez promis un projet.

VERDIER.

Il sera prêt.

PAULIN.

Il est singulier, ce notaire... Il m’a demandé pour la dixième fois... à combien pouvait s’élever...

VERDIER.

Quoi donc ?

PAULIN.

La dot.

VERDIER.

Et vous avez répondu ?...

PAULIN.

Que je ne m’occupais pas de cela... que je n’y tenais pas du tout.

À part.

C’est-à-dire...

VERDIER.

La dot... la dot... c’est de la grâce, de la candeur, de l’esprit.

PAULIN.

Voilà précisément ce que j’ai répondu... de la candeur, de la† de l’esprit...

À part.

Avec ça, faites donc des affaires à la Bourse !

VERDIER.

Air de la Robe et les Bottes.

Fi d’un amant qui, tout bas à sa noce,
D’un riche hymen calculant le produit,
Joue en espoir à la baisse, à la hausse,
La dot, qui seule l’a séduit !
L’argent s’en va, bientôt l’amour le suit.
Mais la bonté, la vertu, la tendresse,
Portent toujours les mêmes intérêts.

PAULIN.

Bien raisonné...

À part.

Son calcul est mauvais ;
Car les vertus sont quelquefois en baisse,
Et ces fonds-là ne remontent jamais.

VERDIER.

Oh ! j’ai le plus grand mépris pour tous ces mariages de spéculation.

PAULIN.

Et moi, donc !... Certainement, vous me connaissez... vous savez enfin si je suis franc, désintéressé... Mais ce notaire... il est unique, unique...

VERDIER.

Comment donc ?

PAULIN.

Il prétend que tout cela n’est que pour m’éprouver... que Cécile est riche... et qu’au moment de signer le contrat, vous vous expliquerez.

VERDIER.

Ah !...

PAULIN.

Moi, je prétends que je n’attendrai pas jusque là... c’est-à-dire qu’elle n’a rien, que je n’attends rien.

VERDIER.

Ah !...

PAULIN, à part.

Ah ! ah ! ah !... comme c’est clair !

VERDIER, se levant.

Tenez, mon cher Paulin... vous viendrez chercher mon projet de contrat... Je compte sur vous.

PAULIN.

Attendons le projet.

 

 

Scène V

 

VERDIER, PAULIN, CONSTANCE, ensuite CÉCILE et ADOLPHE

 

CONSTANCE.

Ah ! monsieur ! monsieur !...

VERDIER.

Qu’est-ce ? voyons.

CONSTANCE.

Là !... je suis toute suffoquée.

Air du Carnaval.

C’est lui, monsieur, le ciel nous le renvoie.

PAULIN.

Expliquez-vous ?

CONSTANCE.

Oh ! tenez, le voici.

VERDIER.

Mon neveu !

PAULIN.

Ciel ! Adolphe !

CÉCILE.

Quelle joie !
Auprès de moi j’aurai donc un ami.

ADOLPHE.

Mon oncle ! enfin, je revois ce que j’aime ;
C’est un bonheur dont mon cœur a besoin.

CÉCILE.

Tiens ! je parlais de toi, ce matin même ;
Je sentais là que tu n’étais pas loin...

Ensemble.

ADOLPHE.

Après trois ans, au ministre on m’envoie ;
Mais c’est d’abord, en revoyant Paris,
Auprès de vous que j’accours avec joie ;
J’avais besoin de revoir mes amis.

CÉCILE.

Fort à propos c’est le ciel qui t’envoie,
De tous mes vœux je t’appelais ici ;
Mais te voilà, quel bonheur ! quelle joie !
Auprès de moi j’aurai donc un ami.

VERDIER.

Fort à propos c’est le ciel qui l’envoie,
De tous mes vœux je l’appelais ici ;
Ah ! de bon cœur je partage sa joie ;
C’est un neveu, c’est encore un ami.

PAULIN.

Fort à propos c’est le ciel qui l’envoie,
De tous mes vœux je l’appelais ici ;
Ah ! de bon cœur, je partage sa joie ;
C’est un témoin, c’est peut-être un ami.

CONSTANCE.

Fort à propos c’est le ciel qui l’envoie,
De tous mes vœux je l’appelais aussi ;
Le pauvre enfant ! quel bonheur ! quelle joie !
Pour le grand jour il manquait un ami.

PAULIN.

Ah ! ce cher Adolphe !... ce vieil ami !... Comment te portes-tu ?

ADOLPHE.

Monsieur... pardon... je ne...

PAULIN.

Il ne me reconnaît pas !... Dupuis... Paulin...

ADOLPHE.

Ah ! Paulin ! ce grand imb... ce bon enfant.

PAULIN.

C’est cela... il me reconnaît... Il faut que je sorte... mais nous nous reverrons tout à l’heure.

Revenant à Verdier.

Dites donc, comme ça se trouve... le voilà... il sera de la cérémonie.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

VERDIER, CÉCILE, ADOLPHE, CONSTANCE

 

ADOLPHE.

La cérémonie !...

CONSTANCE.

Oui, certainement... il nous manquait... nous voilà tout-à-fait en famille.

VERDIER.

Ma foi, mon ami, si j’attendais quelqu’un...

ADOLPHE.

Monsieur de Gersay, notre receveur, a voulu m’envoyer à Paris... et j’ai accepté avec empressement.

CÉCILE.

Et tu as bien fait... mais, voyez donc, comme il est changé !... c’est singulier... en le voyant, j’étais toute confuse, toute troublée.

ADOLPHE.

Et moi, à peine si j’ai osé t’embrasser.

CÉCILE, à Verdier.

Dites donc, bon ami... je crois même qu’il m’a dit vous.

ADOLPHE.

Oui, cela se peut... Que veux-tu, quand je t’ai quittée, tu n’étais qu’une petite fille, et maintenant...

CÉCILE.

Maintenant, je suis une grande demoiselle, n’est-ce pas ?... et toi aussi, tu es grand... te voilà un homme à présent... tu es un peu pâlot ; mais tu resteras ici : nous aurons bien soin de toi ; tu seras heureux, et tes couleurs reviendront.

CONSTANCE.

Il a un petit air raisonnable à présent... ce cher enfant !... Moi qui craignais qu’il ne fût pas ici pour la noce.

ADOLPHE.

La noce !...

CÉCILE.

Oh ! tu le sauras... Dites-lui donc, mon bon ami... moi, je n’ose pas.

VERDIER.

Oui, oui, nous causerons.

ADOLPHE.

Certainement, mon oncle, et j’ai un entretien à vous demander... il faut que je vous parle, et le plus tôt sera le mieux.

VERDIER.

Volontiers...

À Constance.

Constance !...

CONSTANCE.

Oui, monsieur, oui, je retourne à mon dîner... 

À part.

Il y aura de l’extraordinaire à son intention.

Elle sort.

ADOLPHE.

Une cérémonie !... une noce !...

CÉCILE.

Écoute, Adolphe, j’ai peur que cela te fasse de la peine... et pourtant, avant de te revoir, je n’y avais pas encore pensé... Mais non... cela doit t’être égal.

ADOLPHE.

Cécile !...

VERDIER, à Adolphe.

Tu as quelque chose à me demander... tu voulais un entretien... nous sommes seuls...

ADOLPHE, regardant Cécile.

Un entretien secret.

VERDIER, à Cécile.

Cécile, si tu allais à ton piano ?

CÉCILE.

Secret... c’est-à-dire moi aussi... je ne serai donc plus de tous les secrets comme autrefois... C’était au contraire bon ami qui n’en était pas... et aujourd’hui...

ADOLPHE.

Je t’en prie.

CÉCILE.

Allons... pourtant...

ADOLPHE.

Si je voulais parler de toi ?

CÉCILE.

De moi ?...

VERDIER.

Ah ! Cécile, laisse-nous.

CÉCILE.

De moi !... oui... oui... je vous laisse... De moi !...

Elle entre dans la chambre à droite.

 

 

Scène VII

 

VERDIER, ADOLPHE

 

VERDIER.

Eh bien ! voyons... qu’as-tu à me dire ?

ADOLPHE.

Mon oncle... Jeune encore, vous le savez, j’avais une mauvaise tête... j’étais léger, étourdi... et vous prétendiez que si jamais je me mariais, je rendrais ma femme malheureuse.

VERDIER.

C’est vrai.

ADOLPHE.

Orphelin, sans fortune, à vous en croire, je ne pouvais rien faire.

VERDIER.

C’est encore vrai.

ADOLPHE.

Lorsque je me décidai à suivre le receveur général, monsieur de Gersay, vous ne vîtes dans mon départ qu’un coup de tête, une folie... peut-être une sottise.

VERDIER.

Pas précisément.

ADOLPHE.

À peu près... Je vous cachai la cause de cette résolution... aujourd’hui, je puis, je dois vous la révéler... Élevé avec Cécile, je l’aimais d’amitié comme une sœur... mais mon cousin Charles se maria... vous vous en souvenez.

VERDIER.

Fort bien... mais je ne vois pas...

ADOLPHE.

J’allai à la noce... À la vue de son bonheur, de sa joie, je sentis battre mon cœur plus vivement... je regardais sa femme, et mes yeux se reportaient involontairement sur Cécile.

VERDIER.

Monsieur...

ADOLPHE.

Air : J’en guette un petit de mon âge.

Enfin, il emmena sa femme,
Vous, Cécile... il était minuit :
Seul et jaloux au fond de l’âme,
Je gagnai mon triste réduit.
Mais là ; le sommeil put à peine
Effacer Charles de mes yeux ;
Par sa noce il était heureux,
Et moi je rêvais à la mienne.

VERDIER, à part.

Eh bien ! envoyez donc les jeunes gens à la noce.

ADOLPHE.

Tous vos reproches me revinrent à l’esprit... « Cécile, me disais-je, est douce, aimable, charmante ; et moi, je suis un franc étourdi... Elle est riche, sans doute, et moi je n’ai rien... mais pourquoi ne deviendrais-je pas meilleur ? pourquoi ne ferais-je pas fortune comme tant d’autres ?... Allons, il faut prendre un parti ; je veux être digne de l’amitié de mon oncle, de l’amour de Cécile... je veux être un jour aussi heureux que mon cousin Charles... » Monsieur de Gersay, le vieil ami de mon père, fut nommé... je m’attachai à lui : il m’emmena... Ah ! qu’il m’en couta pour vous quitter, vous...

VERDIER.

C’est-à-dire Cécile.

ADOLPHE.

Mais j’emportais des souvenirs, des espérances, et je n’étais pas tout-à-fait malheureux... Arrivé là-bas, je travaillai, mon oncle, j’avançai rapidement. Dans mes moments de loisir, j’étudiais... je parvins à changer mon caractère, et j’ai si bien fait que, maintenant, ma tête est aussi bonne que mon cœur... Distingué par ma conduite, par mon travail, que vous dirai-je ? je fus assez heureux pour rendre quelques services... monsieur de Gersay me prit en amitié ; il sollicita une place pour moi ; et je suis à Paris pour l’obtenir.

VERDIER.

Mon ami, c’est bien, c’est très bien... je t’en fais mon compliment.

ADOLPHE.

Mais, que m’importe une place... une fortune... si je ne puis les offrir à celle pour qui je les ai méritées !... j’ose tout espérer de Cécile ; mais il me faut votre consentement.

VERDIER.

Mon ami...

À part.

Ce pauvre garçon !... 

Haut.

Écoute... je suis ému... touché de ce que tu m’apprends ; mais il est trop tard... Cécile n’est plus libre.

ADOLPHE.

Comment ? que dites-vous... Cécile...

VERDIER.

Est engagée... Dupuis, mon vieux camarade, me l’avait demandée il y a longtemps pour son fils... enfin, elle a donné sa parole... et demain, nous signons le contrat.

ADOLPHE.

Ô ciel !... Dupuis !... ce Paulin !... ce grand imbécile !...

VERDIER.

Adolphe !...

ADOLPHE.

Non, non, je n’y consens pas, moi... Ah ! Paulin... je suis le premier en date... il y a cinq ans que j’aime Cécile... j’aurai une explication avec lui.

VERDIER.

Voilà une tête bien corrigée !

ADOLPHE.

Non, mon oncle, non, c’est impossible.

VERDIER.

Paulin est un bon, un excellent garçon... j’avais des préventions ; mais il gagne à être connu... d’ailleurs, il a une fortune indépendante... il l’offre à Cécile... Et si elle en avait besoin ?... si elle était sans dot, sans espérance ?...

ADOLPHE.

Ô ciel !

VERDIER.

Réfléchis un peu... tu n’as pas même la place que tu sollicites.

ADOLPHE.

Mais si je l’avais ?

VERDIER.

Tu ne l’as pas... J’exige de toi que tu ne parles de rien à Cécile... tes confidences ne pourraient que l’affliger ; car son mariage est fixé irrévocablement.

Air : Un jeune page aimait Adèle.

Un amant que l’honneur enflamme,
Quand l’espoir a fui sans retour,
Sait, pour le bonheur d’une femme,
Immoler jusqu’à son amour.
Mais affliger celle qu’on aime...
De ses beaux jours troubler la paix...
N’est-ce pas avouer soi-même
Qu’on ne la mérita jamais.

ADOLPHE.

Oh ! non, non... Si tout est fini, j’aime mieux repartir sur-le-champ.

VERDIER.

Reste un jour... deux jours avec nous... mais de la discrétion, du courage.

ADOLPHE.

Ah ! c’est bien facile à dire... du courage.

 

 

Scène VIII

 

VERDIER, ADOLPHE, PAULIN, ensuite CONSTANCE

 

PAULIN.

Ah ! me voilà...

À monsieur Verdier.

J’ai vu votre agent de change ; il vendra.

À Adolphe.

Bonjour, Adolphe.

À monsieur Verdier.

Maintenant je viens prendre le contrat pour le notaire.

VERDIER.

Eh bien ! venez.

PAULIN, à Adolphe.

Vous savez...

À Verdier.

Il sait, n’est-ce pas ?... Nous dressons le contrat... Vous serez de la noce ?

ADOLPHE.

Non, monsieur.

À part.

Quelle tournure !

VERDIER.

Son administration... vous comprenez... Il faut qu’il retourne à son poste.

PAULIN.

Ah ! oui, c’est juste, une place... Que c’est ennuyeux, une place... Il n’a pas l’air content, non... Eh bien ! s’il veut, je le lancerai dans des affaires plus agréables et plus solides... à la Bourse !

ADOLPHE.

À la Bourse ?

PAULIN.

Oui, à la Bourse... Il ne faut pas en parler comme ça... On y gagne beaucoup d’argent... du reste, un ton excellent... des gens comme il faut, et même des gens d’esprit.

ADOLPHE.

Et des sots.

PAULIN.

Oui, ceux qui perdent.

ADOLPHE.

Quelquefois ceux qui gagnent.

PAULIN.

Oui, quelquefois.

Air du vaudeville du Charlatanisme.

Monsieur, chaque chose a son prix,
C’est selon l’état qu’on embrasse ;
Je connais force beaux esprits
Qui seraient des sots sur la place.

ADOLPHE.

Mais au lieu d’or et de papier
Qu’à la bourse on trouve bien vite,
En esprit s’il fallait payer...
Je connais plus d’un financier
Qui serait toujours en faillite.

PAULIN.

C’est possible...

À part.

Mais qu’est-ce qu’il a donc à me regarder ?

CONSTANCE, remettant une lettre à Adolphe.

Monsieur Adolphe ! une lettre pour vous.

ADOLPHE.

Pour moi ?

Constance sort.

VERDIER.

Venez, mon cher Paulin...

À Adolphe.

Tu as besoin d’un peu de distraction, je crois...

À Paulin.

Je vais vous remettre ce projet de contrat.

PAULIN.

Adolphe, nous nous reverrons.

ADOLPHE.

Cela se pourrait bien.

VERDIER, à Paulin.

Allons, je vous attends.

PAULIN.

Me voici... Dites donc, il a l’air un peu maussade, le neveu...

Il sort avec Verdier.

 

 

Scène IX

 

ADOLPHE, CÉCILE

 

ADOLPHE.

Le fat !... j’aurais du plaisir à lui chercher querelle... Mais cette lettre !... Ciel ! déjà ma place obtenue !

À Cécile qui sort de la chambre à droite.

Ah ! Cécile !... mademoiselle !... que vois-je !... vous pleurez ?...

CÉCILE.

Moi, non... Je ne crois pas.

ADOLPHE.

Vous avez du chagrin ?

CÉCILE.

Oh ! oui... je suis bien en colère.

ADOLPHE.

Et contre qui ?

CÉCILE.

Contre toi, Adolphe.

ADOLPHE.

Contre moi ?... qu’ai-je donc fait ?... comment se peut-il ?…

CÉCILE.

Ah ! monsieur, c’est bien mal à vous... avoir des secrets pour moi !... pour une sœur... pour une amie d’enfance !... ne pas m’ouvrir votre cœur, et m’exposer à en épouser un autre, lorsque vous m’aimez.

ADOLPHE.

Cécile !...

CÉCILE.

Allez... je ne vous pardonnerai jamais.

ADOLPHE.

Quoi ! tu étais là ?

CÉCILE.

Oui, chez moi.

ADOLPHE.

Tu as entendu ?

CÉCILE.

Tout, monsieur.

ADOLPHE.

Eh bien ! tant mieux !... je puis parler... tu sais mon secret.

CÉCILE.

Oui... et je m’en doutais.

ADOLPHE,

Comment ?

CÉCILE.

Air de Céline.

Tiens, je n’avais pu me défendre
D’être troublée à ton retour ;
Et je crois qu’avant de t’entendre,
J’avais deviné ton amour.

ADOLPHE.

Ah ! du moins, cet amour extrême
Est-il partagé ?

CÉCILE.

Mais hélas !
Crois-tu qu’on devine de même
L’amour qu’on ne partage pas.

ADOLPHE.

Quoi ! Cécile... il se pourrait !... et ce Paulin...

CÉCILE.

D’abord, je ne l’aimais pas... à présent, je le déteste.

ADOLPHE.

Et c’est moi... moi !... Là, peut-on être plus malheureux !... Obtenir un pareil aveu... et la place que je sollicitais !

CÉCILE.

Ta place !

ADOLPHE.

Tiens, vois... elle m’est accordée... et il faut que j’y renonce... Il faut que je parte.

CÉCILE.

Et pourquoi donc, monsieur !... Je veux que vous restiez... et près de moi entendez-vous ?... Et cette place, il faut la prendre... du moins on ne dira plus comme tout à l’heure que tu n’as rien.

ADOLPHE.

Impossible... On me demande un cautionnement de 50 000 francs, et dans les vingt-quatre heures... Où les trouver !... D’abord je ne les demanderai pas à mon oncle.

CÉCILE.

Eh bien ! donne... je m’en charge... il faudra bien qu’il le fasse... On vient... monsieur Paulin.

ADOLPHE.

Ah ! je suis tenté de le voir, de m’expliquer avec lui.

CÉCILE.

Non... c’est encore moi... Je vais lui parler.

ADOLPHE.

Toi, Cécile ?

CÉCILE.

Oui, laisse-nous, je t’en prie... j’ai une idée...

ADOLPHE.

Air nouveau de monsieur Heudier, ou Je regardais Madelinette.

Non, non, laisse agir ma colère.

CÉCILE.

Adolphe... sortez, je le veux ;
Un peu de malice, j’espère,
Près de lui nous servira mieux.

 

De toi tu ne serais plus maître ;
Cet amour que j’ai deviné
T’a fait perdre l’esprit peut-être ;
Mais je crois qu’il m’en a donné.

Ensemble.

CÉCILE.

Sors, obéis, plus de colère,
Je vais l’amener où je veux ;
Un peu de malice, j’espère,
Près de lui nous servira mieux.

ADOLPHE.

Allons, je retiens ma colère,
Et je sors, puisque tu le veux ;
Un peu de malice, j’espère,
Près de lui nous servira mieux.

Il sort.

 

 

Scène X

 

PAULIN, CÉCILE

 

PAULIN, à part, sans voir Cécile.

Ah ! c’est trop fort !... la dot en blanc !...

Il voit Cécile qu’il salue.

Ah ! mademoiselle !...

À part.

C’est une mystification !...

CÉCILE.

Monsieur...

À part.

Que je le trouve laid, à présent !

PAULIN.

Mademoiselle... au moment de contracter un engagement sacré... car c’est un engagement sacré, mademoiselle... je ne saurais trop m’assurer de vos sentiments...

CÉCILE, d’un air ingénu, en l’observant.

Monsieur, je dois obéir.

PAULIN.

Obéir... c’est fort bien... mais encore faut-il qu’un peu d’amour...

À part.

Elle va m’adorer... je suis malheureux pour ça, moi.

CÉCILE, de même.

De l’amour ?

PAULIN.

En avez-vous un peu ?

CÉCILE.

Je... ne crois pas.

PAULIN.

Ah ! vous ne...

À part.

Comme ça se rencontre !... elle ne m’aime pas...

Haut.

Ainsi vous n’éprouvez aucun sentiment ?

CÉCILE.

Oh ! mon Dieu ! non... Moi, je n’aime personne... excepté mon tuteur et son neveu.

PAULIN.

Son neveu !... permettez, monsieur Adolphe ?

CÉCILE.

Oui... Nous avons été élevés ensemble : c’est bien naturel, n’est-ce pas ?

PAULIN.

Certainement.

À part.

Au fait, c’est naïf.

CÉCILE.

Air : Vaudeville de Partie carrée.

Amis d’enfance et de même famille,
Nous nous aimions, je vous en fais l’aveu ;
Monsieur Verdier m’aime comme sa fille ;
Comme un cousin, moi j’aime son neveu.

PAULIN, à part.

C’est bien cela... l’époux souvent, je pense,
Ne trouve pas de dot... mais les amours,
Mais les cousins... mais les amis d’enfance...
On en trouve toujours.

Ainsi, mademoiselle, c’est monsieur Adolphe ?... Je ne m’étonne plus qu’il eût un petit air mutin... Mais à présent que je sais votre secret...

CÉCILE.

Quel secret, monsieur ?... Je n’ai rien dit... je n’ai point de secret.

PAULIN.

Si fait, si fait... Vous aimez monsieur Adolphe ?

CÉCILE.

Oui.

PAULIN.

Monsieur Adolphe vous aime ?

CÉCILE.

Oui.

PAULIN.

Vous ne m’aimez pas, moi ?

CÉCILE.

Oui.

PAULIN, à part.

Et s’entendre dire ces choses-là en face !... c’est drôle...

Haut.

Ainsi, ce mariage ferait trois malheureux.

CÉCILE.

Vous croyez ?

PAULIN.

Et si je voyais monsieur Adolphe ?

CÉCILE, vivement.

Je vais lui dire de venir.

 

 

Scène XI

 

PAULIN, CÉCILE, CONSTANCE

 

CONSTANCE.

Eh bien ! Cécile, vous n’entendez pas que votre tuteur vous appelle ?

CÉCILE.

Ah ! c’est bien... Il faut que je lui parle pour ce... cautionnement ; mais, d’abord, je vais envoyer Adolphe.

À part.

Il prend cela mieux que je ne le croyais.

Haut.

J’y vais, ma bonne... Adieu, monsieur Paulin, adieu.

Elle sort.

 

 

Scène XII

 

PAULIN, CONSTANCE

 

PAULIN, à part.

Ma foi, excellent prétexte !... Mais, est-ce bavard, une petite fille ?... Il est vrai que j’y ai mis de la finesse.

CONSTANCE.

Eh bien ! monsieur, je vous fais mon compliment... vous allez avoir une femme charmante.

PAULIN.

Charmante ! oui, oui, au physique...

À part.

Mais au moral... pas le sou !

CONSTANCE.

De la beauté, de l’esprit, de la fortune, de la vertu.

PAULIN.

Hein ?... comment !... qu’est-ce que vous dites ?... de la...

CONSTANCE.

De la vertu.

PAULIN.

Oh ! ça c’est de rigueur... Mais vous venez de me parler de fortune.

CONSTANCE.

Eh bien ?

PAULIN.

Eh bien ?

CONSTANCE.

Oui, je dis que votre future réunit toutes les qualités... la modestie, la bonté, la fortune.

PAULIN.

La fortune... vous voyez bien... Qu’est-ce que vous en savez ?

CONSTANCE.

Oh ! monsieur, rien, si vous voulez... C’est la première fois que je me permets d’en parler... à cause du compliment ; voilà tout.

PAULIN.

Constance, restez... Vous dites que la fortune... Oh ! ce n’est pas que j’y tienne, au moins... Nous autres jeunes gens riches, généreux, aimables, qui faisons des affaires... nous aimons mieux les qualités de l’âme, les sentiments, les... Ah çà ! vous, la vieille confidente de la maison, vous savez tout... comme moi... et même mieux... vous avez connu le père de Cécile ?

CONSTANCE.

Fort peu... Il venait consulter monsieur... Vous savez, il avait gagné beaucoup d’argent, et puis il vint de la... baisse... de la... hausse... que sais-je ?

Air : Traitant l’amour sans pitié.

Malheureux, découragé,
Il ne put souffrir, sans doute,
L’aspect d’une banqueroute.
Il mourut...

PAULIN.

Quel préjugé !
Aujourd’hui l’expérience
Forme nos gens de finance ;
Loin qu’une faillite en France
Soit un coup de mort pour eux.
Toujours honorés, quand même !...
Ils vont jusqu’à leur troisième,
Et ne s’en portent que mieux.

CONSTANCE.

Cependant, il y avait encore de l’espoir... car madame de Vermont a laissé, je crois, une jolie fortune.

PAULIN, à part.

Diable !...

Haut.

Cette bonne Constance !... comme elle aime ses maîtres !... Je lui veux du bien, beaucoup de bien... Dites-moi, comment avez-vous pu savoir que madame de Vermont...

CONSTANCE.

Elle vint demeurer dans la même maison que nous... Ah ! monsieur, j’étais dans sa chambre quand elle fit appeler monsieur Verdier... Il me semble la voir encore... cette bonne madame de Vermont...

PAULIN, tirant son mouchoir.

Ah !... Ensuite.

CONSTANCE.

On lui apporta une cassette.

PAULIN.

Une cassette !

CONSTANCE.

Oui... Elle la présenta à mes maîtres... « Mes amis, leur dit-elle, vous élèverez ma fille, ma chère Cécile ; vous me l’avez promis... c’est à vous que je lègue le soin de la rendre heureuse... et plus tard, lorsque vous croirez le moment arrivé, vous lui remettrez cette cassette... Vous savez ce qu’elle contient... c’est sa dot, c’est l’héritage de sa mère... » La pauvre femme ! rien que d’y penser, ça me fend le cœur.

PAULIN.

Oui, c’est touchant... Ah !... Était-elle grande, cette cassette ?

CONSTANCE.

Non ; petite... en acajou... Mais vous saurez...

PAULIN.

Oui, oui... parbleu !...

À part.

Ah ! monsieur Verdier, je vous tiens...

Haut.

Et vous dites en acajou ?

CONSTANCE.

Chut !... on vient... C’est pour le coup qu’on me traiterait de bavarde !... et Dieu sait... monsieur Adolphe !... silence.

Elle sort lentement pendant le commencement de la scène suivante.

 

 

Scène XIII

 

ADOLPHE, PAULIN

 

ADOLPHE.

Ah ! mon cher monsieur Paulin !

PAULIN.

Monsieur...

À part.

Que peut-elle contenir ?

ADOLPHE.

Eh bien ! Cécile m’a tout dit... Loin de vous irriter de notre amour, vous l’approuvez.

PAULIN.

Plaît-il ?

ADOLPHE.

Je viens vous exprimer ma reconnaissance.

PAULIN.

De quoi ?

ADOLPHE.

Comment, monsieur... mon amour...

PAULIN.

Votre amour... savez-vous que ce n’est pas bien... je pourrais même dire que c’est très mal... Aimer ma prétendue !... une jeune personne charmante que j’adore... car je l’adore.

ADOLPHE.

Eh ! quoi ?... ne venez-vous pas de dire à Cécile, ici, à l’instant même...

PAULIN.

Ah ! oui... je suis un bon enfant... j’ai plaisanté.

ADOLPHE.

Ah ! c’était une plaisanterie !

PAULIN.

Une petite plaisanterie.

ADOLPHE.

Eh bien ! monsieur, moi, je ne plaisante pas... vous pouvez faire mon malheur, m’enlever Cécile... mais je ne vous servirai pas de jouet... votre plaisanterie est de très mauvais goût, et je vous en demande raison.

PAULIN.

Hein !... qu’est-ce que vous dites-là...

À part.

Mais c’est un cerveau brûlé que ce jeune homme...

ADOLPHE.

Oui, monsieur... je vous en demande raison... vous vous battrez.

PAULIN.

Je me battrai, moi !

ADOLPHE.

Êtes-vous homme d’honneur ?

PAULIN.

Homme d’honneur ?... Peut-on faire cette question à quelqu’un qui fait régulièrement trois à quatre cent mille francs d’affaires tous les mois ?

ADOLPHE.

Ah ! ce n’est pas de cet honneur-là que je m’informe ici... je vous demande si vous avez du cœur ?

PAULIN.

Si j’ai du cœur ?...

ADOLPHE.

Nous sommes rivaux... je suis aimé... on vous déteste.

PAULIN.

Laissez donc... on me déteste... on ne m’a jamais détesté, moi...

ADOLPHE.

Air : Connaissez mieux le Grand Eugène.

Pour disputer une femme qu’on aime,
Il faut avoir du courage.

PAULIN.

J’en ai.
J’ai des leçons de Lepage lui-même :
Pendant cinq mois je fus son abonné.

ADOLPHE.

Vous placez là votre argent... c’est dommage ;
Car sur la rente on spécule assez bien.
Mais lorsqu’on veut acheter du courage,
C’est de l’argent qui ne rapporte rien.

PAULIN.

Rien ! rien !... quand on abat à vingt pas.

ADOLPHE.

Je n’ai pas de si grands avantages... mais si le courage et l’amour peuvent en tenir lieu, je vous tuerai.

PAULIN.

Vous me... il me... la plaisanterie est bonne.

ADOLPHE.

Chacun son genre... nous verrons.

PAULIN, élevant la voix.

Eh bien ! oui... oui, nous verrons.

ADOLPHE.

Ne criez pas si haut, je vous prie.

PAULIN.

Et moi, je veux crier.

ADOLPHE.

Acceptez-vous ce que je vous propose ?

PAULIN, très haut.

Ah çà, décidément, c’est un duel.

 

 

Scène XIV

 

ADOLPHE, PAULIN, VERDIER, CÉCILE

 

VERDIER.

Un duel !... qu’est-ce donc, messieurs ?

CÉCILE.

Adolphe !

PAULIN.

Oh ! ce n’est rien, presque rien... un duel !...

VERDIER.

Je comprends... J’espère, mon cher Paulin, que vous ne compromettrez personne ?

ADOLPHE.

Oh ! il n’y a pas de danger.

PAULIN.

Peut-être, monsieur, peut-être...

À Cécile.

Rassurez-vous, mademoiselle... je suis sûr de moi.

À Adolphe.

Peut-être.

VERDIER.

Cécile ! Adolphe !... je suis très mécontent.

ADOLPHE.

Mon oncle, il a trompé Cécile... il approuvait notre amour.

PAULIN.

J’approuvais... j’approuvais...

VERDIER.

Que dites-vous...

À Adolphe.

Vous m’aviez promis de ne pas révéler...

CÉCILE.

Il a tenu sa promesse... Mais j’étais là...

PAULIN.

Elle était là !

À part.

Qu’est-ce que cela signifie ?

VERDIER, à Adolphe.

Dès-lors vous ne pouvez rester...

À Cécile.

Et vous, mademoiselle, rentrez.

ADOLPHE.

Comment ! vous exigez ?... Ah ! c’est affreux !...

CÉCILE.

C’est de la tyrannie, du despotisme !

PAULIN, riant, à part.

Oh ! du despotisme !

VERDIER.

Vous êtes des ingrats.

CÉCILE.

Vous disiez qu’il n’avait rien... il a une place, maintenant.

ADOLPHE.

Oui, mon oncle... Vous ferez mon cautionnement ?

CÉCILE.

Ah ! vous l’avez promis.

VERDIER.

N’espérez rien... Me manquer de la sorte !... et vous comptez encore sur ma faiblesse !... Non, monsieur, non, j’aurai de la fermeté... et vous allez sortir de chez moi sur-le-champ.

PAULIN, à part.

Un beau caractère, monsieur Verdier.

CÉCILE.

Et moi, je ne resterai pas... Ah ! vous êtes méchant... vous êtes avare... vous refusez 50 000 francs à, votre neveu qui est si bon !...

PAULIN, à part.

Oui... si bon.

CÉCILE.

Eh bien ! Adolphe, cherche ailleurs.., vois tes amis.

ADOLPHE.

Oui, j’y cours... Mais si tu consens...

CÉCILE.

Non, non, je ne consens pas... je ne consentirai pas... Eh ! j’ai une tête aussi, moi.

ADOLPHE.

C’est bien... À présent, je suis sûr d’être heureux.

Il sort.

PAULIN, à Verdier.

Voyez-vous, elle a dit : « J’ai une tête... j’ai une tête aussi... » Eh bien ! j’aime ça.

CÉCILE.

Comment vous ne ferez pas ce cautionnement ?

VERDIER.

Laissez-moi, Cécile ; vous outragez le vieil ami de votre famille... votre seul ami.

Il sort.

 

 

Scène XV

 

CÉCILE, PAULIN

 

CÉCILE.

Mon ami !... Non, je n’en ai plus qu’un maintenant... c’est Adolphe.,

PAULIN, à part.

Il faut pourtant que je sache... Depuis l’histoire de la cassette, je la trouve encore plus jolie.

CÉCILE.

C’est une belle chose que d’avoir brouillé Adolphe avec monsieur Verdier.

PAULIN.

Il a manqué à son oncle... et un oncle, c’est quelque chose... que diable !... la nature... mais je m’en charge... Oh ! je n’ai pas de rancune quand je suis heureux... Oui, mademoiselle, vos désirs seront toujours les miens... Je parlerai pour lui, je ferai la paix.

CÉCILE.

Vous ?...

PAULIN.

Quant au cautionnement...

CÉCILE.

Oh ! que je voudrais qu’il trouvât la somme... Si je l’avais, moi... mais je n’ai rien, pas même 50 000 francs.

PAULIN.

Le cautionnement !... vous désirez qu’on le fasse... Eh bien ! soyez tranquille, on le fera... j’aurai les fonds.

CÉCILE

Non ; je veux qu’il les tienne d’un autre.

PAULIN.

C’est facile... On trouve de l’argent, pas trop cher... à sept... à six... à cinq... Non, vous ne voulez pas...

CÉCILE.

Ah ! qu’on est heureux d’être riche !

PAULIN.

Mais oui... c’est assez agréable...

À part.

Nous y voilà.

CÉCILE.

Il y a des gens qui en profitent si mal... Si je l’étais !

PAULIN.

Si vous l’étiez !... vous savez bien que vous l’êtes.

CÉCILE.

Moi !

PAULIN.

Sans doute... Oh ! c’est la chose du monde dont je m’inquiète le moins... Je gagne de l’argent... beaucoup d’argent... et j’aimerais à vous enrichir... Dieu ! quel bonheur d’enrichir ce que l’on aime !...

À part.

C’est cela... du pathétique, ça ne fait pas de mal...

Haut.

Mais puisque vous refusez la main d’un ami... votre tuteur vous doit des comptes... il vous les rendra.

CÉCILE.

À moi ?... c’est étonnant... Je n’y avais pas pensé.

PAULIN.

D’ailleurs, vous pouvez vous en assurer... lui demander aujourd’hui... à l’instant même...

CÉCILE.

Quoi donc ?

PAULIN.

Ce que votre mère a laissé pour vous... quand ce ne serait que certaine cassette.

À part.

Voilà le mot lâché.

CÉCILE.

Une cassette !... Des bijoux... de l’argent, peut-être.

PAULIN.

Oui... une dot, un héritage.

CÉCILE.

Ah ! que je suis heureuse !... Voyez un peu... on ne m’en parlait pas.

PAULIN.

Vraiment...vous pouvez savoir tout de suite ce que cela peut être.

À part.

Et moi aussi...

Haut.

Et s’il faut négocier... faire un placement... je suis à vos ordres... Vous me direz tout... je serai là... vous me direz tout.

CÉCILE.

Oui... oui... Ah ! c’est lui...

PAULIN.

Air du Vaudeville de la Haine d’une femme.

J’ai trahi pour vous cette affaire ;
Mais que mon nom soit un secret.

CÉCILE.

Du tuteur craignant la colère,
Vous ne m’obligez qu’à regret.

PAULIN.

De ce côté, je suis tranquille,
Je crains cent fois plus, j’en conviens,
De perdre le cœur de Cécile.

CÉCILE.

Ne craignez rien.
Allez, monsieur, me craignez rien.

PAULIN.

Ne dites rien,
Je saurai tout, ne dites rien.

Il sort.

 

 

Scène XVI

 

VERDIER, CÉCILE

 

CÉCILE.

Il me rend service ; mais c’est égal... je ne l’aime pas.

VERDIER, à la cantonade.

Oui... oui, Adolphe... S’il revient, je ne veux plus le voir.

CÉCILE, à part.

Le méchant !

Haut.

C’est vous, monsieur ; je vous attendais.

VERDIER.

Mademoiselle...

CÉCILE.

Vous ordonnez à votre neveu de partir.

VERDIER.

Vous m’y forcez.

CÉCILE.

Vous refusez de faire son cautionnement.

VERDIER.

Encore...

CÉCILE.

Eh bien ! monsieur... c’est moi qui le ferai.

VERDIER.

Eh bien ! mademoiselle... faites-le.

CÉCILE.

Certainement... Je n’ai pas l’âme dure, insensible comme vous... je viens au secours de ce pauvre Adolphe... C’est pour moi qu’il s’est perdu... c’est moi qui veux tout réparer... Ainsi, vous m’entendez, je lui prêterai les 50 000 fr.

VERDIER.

50 000 francs... vous les avez apparemment.

CÉCILE.

Vous le savez bien.

VERDIER.

Je le sais ?... en voilà bien d’une autre à présent !

CÉCILE.

Sans doute : vous êtes mon tuteur ; vous avez ma fortune entre vos mains... vous devez m’en rendre compte ; c’est tout ce que je vous demande.

VERDIER.

Votre fortune... Voilà une petite tête bien montée !

CÉCILE.

Je n’ai pas l’âge, peut-être... mais vous voulez me marier... Je suis assez raisonnable pour recevoir mes comptes, puisque je le suis assez pour prendre un mari.

VERDIER.

Oh ! quant à cela on l’est toujours assez.

CÉCILE.

D’ailleurs, après votre conduite avec votre neveu, mon ami d’enfance, je ne puis plus rester ici avec vous... je m’en irai.

VERDIER.

Bien... je vois que vous vous émancipez.

CÉCILE.

Oui, je m’émancipe... je n’épouserai pas votre protégé... je serai libre, heureuse... Vous me donnerez...

VERDIER.

Quoi ?

CÉCILE.

Mais au moins la cassette que ma mère vous remit pour moi.

VERDIER.

La cassette !... Ô ciel ! qui peut vous avoir dit ?...

CÉCILE.

Eh ! qu’importe ?... vous voyez bien que je sais tout.

VERDIER.

C’est Adolphe... mais comment lui-même...

CÉCILE.

Oh ! ce n’est point Adolphe... c’est une personne qui est sans doute au fait... C’est votre ami, votre confident, votre protégé.

VERDIER.

Paulin !... il saurait...

CÉCILE.

Ainsi vous me donnerez ce qui me revient.

VERDIER.

Oui, oui, on t’a dit vrai... je te dois des comptes ; c’est juste... je te les rendrai... Alors tu pourras me quitter... tu me quitteras... et moi, je resterai seul... je tâcherai d’oublier une ingrate.

CÉCILE.

Mon bon ami !

 

 

Scène XVII

 

VERDIER, CÉCILE, ADOLPHE

 

ADOLPHE.

Ah ! j’ai enfin trouvé !... Ciel ! mon oncle !...

VERDIER.

Rassurez-vous, monsieur, approchez... Vous paraissez heureux ; c’est bien... il faut que tout le monde le soit ici... Attendez-moi, Cécile, attendez-moi... je vais vous apporter votre fortune...

Il sort.

 

 

Scène XVIII

 

ADOLPHE, CÉCILE

 

ADOLPHE.

Comment ! que dit-il ?... ta fortune.

CÉCILE.

Si tu savais... je suis encore tremblante... Qu’il m’a fallu de courage !... Oh ! ce n’est pas pour moi... je n’y pensais pas... mais toi... tu n’as rien trouvé.

ADOLPHE.

Au contraire... Un jeune banquier Précourt, mon camarade de collège, vient de me promettre...

CÉCILE.

Oh ! tant pis !

ADOLPHE.

Pourquoi ?

Air : Depuis longtemps j’aimais Adèle.

Oh ! maintenant je suis presque affligée
Qu’à ton secours se présente un ami ;
De tes chagrins mon âme est soulagée,
Car je suis riche, et toi tu l’es aussi.
Oui, que ma dot entre nous soit commune ;
Et désormais, heureuse près de toi,
Je ne veux plus qu’en plaisirs, en fortune
Tu sois heureux par un autre que moi.

 

 

Scène XIX

 

VERDIER, ADOLPHE, PAULIN, CÉCILE, ensuite CONSTANCE

 

VERDIER, tenant une petite cassette.

À Paulin qui entre en même temps que lui du côté opposé.

Venez, mon cher Paulin ; je suis enchanté de vous voir ici...

À Adolphe.

Restez... Je vais rendre mes comptes... vous y êtes intéressés tous les deux... Tenez, mademoiselle, on vous a bien instruite... Voici cette cassette qui contient la dot... l’héritage que votre mère vous a laissés.

Il la dépose sur la table, et, présentant la clé à Cécile, il continue.

Ouvrez... ouvrez, vous dis-je... Vous voulez être libre, vous l’êtes... Vous trouverez là-dedans ce qu’il vous faut pour vous passer de moi... Ouvrez.

CÉCILE.

Ma mère... Ah ! j’ai le cœur serré !... je me soutiens à peine...

Elle ouvre la cassette.

Que vois-je ! une lettre !... une lettre de ma mère !

VERDIER.

Lisez.

CÉCILE, lisant.

« Ma fille... »

S’interrompant.

Ma fille !... Ah ! c’est la première fois...

Lisant.

« Ma fille, je te laisse sous la garde d’un homme vertueux... du seul ami qui nous soit resté dans nos malheurs. »

À Verdier.

Vous !... grand Dieu !...

VERDIER.

Cécile, Cécile... continuez.

CÉCILE, lisant.

« Dans nos malheurs... je n’ai dû qu’à mon travail et à l’amitié de Verdier de ne pas mourir de désespoir... »

PAULIN, à part.

Il paraît qu’elle avait peu de fortune.

CÉCILE, lisant.

« Ce qui m’a soutenue après la perte d’une brillante maison, tu le trouveras dans cette cassette. »

PAULIN, jetant les yeux sur la cassette.

Des aiguilles... un dé !...

CÉCILE, lisant.

« Voilà tout ce que je puis te laisser... Travaille... le Ciel fera le reste. »

PAULIN, à part.

Eh ! mais c’est l’héritage d’une couturière.

CÉCILE, lisant.

« Et n’oublie jamais ce que tu dois, ce qu’a dû ta pauvre mère au bon, au généreux Verdier.

« HENRIETTE DE VERMONT. »

Ah ! monsieur !... mon ami !... Et c’est vous dont les soins, la bonté... Vous me cachiez mes malheurs, et moi, moi !...

VERDIER.

Ma chère enfant...

CÉCILE.

Oui, oui, je travaillerai... la fortune de ma mère me suffira... mais pardonnez-moi... Ah ! dites que vous me pardonnez.

VERDIER.

Cécile...

PAULIN.

Ah ! quelle opération je faisais là !

VERDIER, à Adolphe.

Et vous, monsieur, qui comptiez sur sa mutinerie... peut-être sur ce trésor...

ADOLPHE.

Que dites-vous ?... Moi !... oui, j’aime Cécile ; mais le Ciel m’est témoin que je n’ai jamais pensé à la fortune qu’elle pouvait avoir... Mon oncle, un banquier mon ami, mon camarade, me fait le cautionnement que vous m’avez refusé... J’ai une place... eh bien ! en ce moment encore je vous demande Cécile pauvre, sans appui, sans espérance... c’est moi qui la soutiendrai, qui l’enrichirai... mon oncle, j’achèverai ce que vous avez si généreusement commencé.

VERDIER, lui tendant la main.

Mon ami, c’est bien, c’est très bien... mais tu le sais, Dupuis...

PAULIN.

Ah ! monsieur Verdier, quelle idée avez-vous de moi !...

Air des Scythes.

Il est aimé de la beauté qu’il aime ;
À ce tableau qui nous attendrit tous,
Ô mes amis ! croyez-vous que moi-même
Je sois ici moins généreux que vous ?
Faire le bien est un plaisir si doux.
Qu’il soit heureux... je cède à sa tendresse,
Avec l’hymen que j’avais recherché ;
Je cède amour, grâce, beauté, richesse,

À part.

Et puis la dot par-dessus le marché.

CÉCILE, regardant Paulin.

Eh bien ! monsieur, le voilà ce dépôt mystérieux... ce trésor...

ADOLPHE.

Quoi ! tant de générosité...

VERDIER, les observant.

Oui, je comprends, c’est de la générosité... Je vous rends bien justice, mon cher Paulin, et j’en suis d’autant plus touché, que Cécile avait pour dot la moitié de ma fortune... l’autre moitié était pour Adolphe... puisque vous les mariez, il n’y aura point de partage.

PAULIN.

En vérité ?... eh bien ! ma parole d’honneur, j’en suis très content... Quant à votre bien, je vous jure que je n’y pensais pas du tout...

À part.

Suis-je bête !

CÉCILE.

Mais, moi, je ne puis accepter... je ne le dois pas.

ADOLPHE.

Cécile !

VERDIER.

Eh bien !... tout sera pour lui... Tu lui offrais ta fortune... c’est lui maintenant qui t’offre la sienne... tu ne peux refuser.

CÉCILE.

À la bonne heure, comme cela.

VERDIER.

Pour moi, je vous demande une place auprès de vous... Vous ne penserez plus à me quitter, n’est-ce pas ?... Et toi, Cécile, si tu as une fille, parle-lui quelquefois de l’héritage de ta mère.

Vaudeville.

Air nouveau de monsieur Heudier.

VERDIER.

La fille qui n’a recueilli
Que des bijoux et des caprices,
À la sienne transmet aussi
Moins de biens, souvent plus de vices.
Mais celle à qui sa mère, un jour,
Légua des vertus, du courage,
Pour former sa fille à son tour
Ne fait qu’augmenter l’héritage.

CONSTANCE.

Les ans nous donnent au printemps
Plus de grâces et plus d’aisance ;
Puis plus de sagesse à trente ans,
Enfin la vieillesse commence.
Dès-lors, chaque année à ses sœurs
Transmet des rides... Quel dommage !
Qu’on n’ait pas le droit comme ailleurs
De renoncer à l’héritage.

ADOLPHE.

Oui, les arts plus doux et plus beaux
Chez nous ont fixé leur empire ;
De GÉRARD je vois les pinceaux
De BOÏELDIEU j’entends la lyre.
Si des trésors par nos aïeux
Nous furent transmis d’âge en âge,
Notre siècle pour nos neveux
Ajoute encore à l’héritage.

PAULIN.

Deux gros banquiers secrètement
S’en vont prendre l’air en Belgique ;
Les voilà morts civilement
Suivant un arrêt juridique.
Tous leurs créanciers, en tremblant,
Viennent réclamer le partage ;
Mais les deux morts en s’en allant
Ont emporté leur héritage.

CÉCILE, au Public.

Messieurs, l’ouvrage qui vous plaît
Fait languir tous ceux qu’il précède ;
Mais s’il meurt... un autre est tout prêt
Qui trop tôt, hélas ! lui succède...
Pour le nouveau, grâce aujourd’hui ;
Ah ! daignez, par votre suffrage,
À ceux qui viennent après lui,
Faire attendre un peu l’héritage.

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