Les Amours anonymes (Louis DE BOISSY)

Comédie en trois actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 5 décembre 1735.

 

Personnages

 

LA COMTESSE, Veuve

LUCINDE

AGATE

ORONTE, Amant anonyme d’Agate

DAMIS.

DORANTE, Époux anonyme de Lucinde

ARLEQUIN, Valet de Dorante

 

La scène est en Touraine, sur la Terrasse d’un Jardin.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

LUCINDE, seul

 

La beauté de ces lieux n’adoucit point ma peine ;

Dorante est à Paris, je m’ennuie en Touraine.

On me croit insensible et personne ne sait

Que nous sommes tous deux unis d’un nœud secret.

Qu’on souffre à déguiser les tourments de l’absence,

Sous les traits de la joie et de l’indifférence !

Ce qui rend mon esprit encore plus inquiet,

Je ne vois point venir Arlequin son muet ;

Il devait au plutôt m’écrire par ce Maure.

Quinze jours sont passés, et je l’attends encore !

Quoi ? Son amour déjà serait-il ralenti ?...

Non ; j’ai tort. Notre hymen est trop bien assorti ;

Il est, de plus, caché ; le mystère l’anime :

Et l’époux est amant, quand il est anonyme.

La Comtesse paraît, et tourne ici ses pas ;

Feignons, et que ses yeux ne nous pénètrent pas.

 

 

Scène II

 

LUCINDE, LA COMTESSE

 

LA COMTESSE.

D’où vous vient aujourd’hui cette humeur solitaire ?

LUCINDE.

Aux fadeurs de Damis j’ai voulu me soustraire :

Du grand monde qu’il cite, il a mal profité ;

Et je n’ai jamais vu d’homme plus apprêté.

Quand il ne vous dit mot, son air vous désobligé ;

Et, s’il vous entretient, son jargon vous afflige.

La bonne compagnie est son terme chéri,

Et, viser au grand bien, est son goût favori.

Tranchant du bel esprit et du Seigneur, sans l’être,

Il s’exprime en pédant, et pense en petit-maître.

LA COMTESSE.

Il est vrai, c’est un fat qui ne ressemble à rien.

Pour vous dédommager d’un pareil entretien,

Je vous dirai qu’Oronte incessamment arrive.

LUCINDE.

Le contraste est parfait ; ma joie en est très vive.

LA COMTESSE.

Ce qui rend à mes yeux son mérite plus grand,

C’est qu’il est né modeste autant que bienfaisant,

Et qu’il cache les dons de sa main libérale,

Avec le même soin qu’un autre les étale :

La Cour, où le grand art est souvent d’être faux,

A poli ses vertus, et non pas ses défauts.

LUCINDE.

Ajoutez à cela, que son esprit allie

La solide raison à l’aimable saillie.

Philosophe du monde, il est gai, complaisant,

Et sait l’art d’abuser, même en moralisant.

Sans en être la dupe, il se plie à l’usage,

Et, sous l’homme du siècle, il cache le vrai sage.

LA COMTESSE.

Cet éloge est complet ; et, si de votre cœur

Je pouvais ignorer l’invincible froideur,

Je vous croirais sensible au mérite d’Oronte.

LUCINDE.

À former des soupçons je ne suis pas moins prompte ;

Et j’en croirais autant de vous-même en ce jour,

Si je ne savais pas que les traits de l’amour

Ne font sur votre esprit qu’une atteinte légère,

Et qu’il n’est occupé que du désir de plaire.

LA COMTESSE.

Ma vanité médite un triomphe plus beau,

Et veut se signaler par un effort nouveau.

Forcer des cœurs communs à me rendre les armes,

Ne m’offre qu’une gloire au-dessous de mes charmes.

Parlez-moi de soumettre un homme indifférent,

Qui, mettant, comme vous, son bonheur le plus grand

À brayer de l’amour le pouvoir redoutable,

Hors la tranquillité ne trouve rien d’aimable.

Voilà l’ambition qui flatte mes attraits,

Et la seule conquête échappée à mes traits.

Si j’attache à mon char un amant de la sorte,

Il n’est point de beautés sur qui je ne l’emporte.

LUCINDE.

Quel est donc cet amant ?

LA COMTESSE.

Dorante.

LUCINDE, à part.

Mon époux !

À la Comtesse.

Oh ! Vous le soumettrez avec des yeux si doux.

LA COMTESSE.

Plaisanterie à part, j’ai tout lieu de le croire.

J’ai déjà, pour le moins, ébauché ma victoire.

Dans un long entretien qu’avec lui, par hasard

Je liai, quelques jours avant notre départ,

Il blâma poliment ma parure coquette,

Disant que l’art nuisait à la beauté parfaite.

Moi, je lui répondis que j’en avais besoin ;

Qu’à mes femmes pourtant j’épargnerais ce soin,

Si je croyais par là m’attirer son hommage.

LUCINDE.

Et que répliqua-t-il à ce tendre langage ?

LA COMTESSE.

Non, dit-il, en riant, gardez-vous de changer,

Et ne m’exposez pas à ce cruel danger.

Si vous faisiez sur vous un effort si pénible,

Je craindrais à mon tour de devenir sensible.

Je pars pour la campagne afin de l’essayer,

Répartis-je à l’instant ; j’ose vous défier.

Que Monsieur vienne armé de son indifférence,

Sa défaite sera le prix de ma confiance :

Et, pour venger l’honneur de mon sexe outragé,

Je vais dans-mon château l’attendre en négligé.

LUCINDE.

À ce défi galant-il souscrivit sans doute ?

LA COMTESSE.

Oui. Quelque grand que soit le péril qu’il redoute,

Dorante m’a promis de venir l’affronter ;

Et, pour l’assujettir, je saurai tout tenter.

LUCINDE, à part.

Ô situation et cruelle et gênante !

Je suis en même temps rivale et confidente :

Elle m’ouvre son cœur, je dois cacher le miens ;

Je brûle de parler, et ne puis dira rien.

LA COMTESSE.

Comme j’ai dans l’esprit qu’il viendra ce jour même,

J’ai fait dans ma parure une réforme extrême ;            

Et mon goût a voulu se conformer au sien.

Comment me trouvez-vous ?

LUCINDE, à part.

Elle s’adresse bien !

LA COMTESSE.

Ma coiffure, parlez, sied-elle à ma personne ?

LUCINDE, à part.

Que trop !

LA COMTESSE.

Est-elle, là, modestement friponne ?

Répondez franchement ; suis-je bien ?

LUCINDE.

À charmer.

LA COMTESSE.

Je puis donc me flatter de pouvoir l’enflammer ?

LUCINDE, à part.

Ah ! Si ma main osait toucher à sa coiffure,

Elle lui donnerait toute une autre tournure.

LA COMTESSE.

Un tel ajustement convient à mon état.

LUCINDE.

Oui, d’une jeune veuve il rehausse l’éclat,

Quand elle a, comme vous, le bonheur d’être belle ;

Et la simplicité semble faite pour elle.

LA COMTESSE.

À Dorante mes yeux ne feront nul quartier ;

Un négligé galant n’est que plus meurtrier.

Mais on vient. C’est Agate.

LUCINDE.

Un moment je vous laisse,

Pour achever d’écrire une lettre qui presse.

Elle se retire.

 

 

Scène III

 

LA COMTESSE, AGATE

 

LA COMTESSE.

Vous venez à propos, Agate, approchez-vous ;

Je dois vous découvrir un secret des plus doux.

D’un servile devoir désormais affranchie,

Vous n’êtes plus chez moi que sur le pied d’amie ;

De l’état de Suivante aujourd’hui vous sortez.

AGATE.

Moi, Madame !

LA COMTESSE.

Oui, vous-même, et vous le méritez.

À de nobles parents vous devez la naissance,

Vous n’aviez contre vous que la seule indigence,

Titre plus respectable auprès des gens de cœur,

Que la richesse acquise aux dépens de l’honneur.

C’était de la fortune un injuste caprice,

Elle répare tout par un retour propice ;

Et sa main, dans ce jour, prépare à vos beautés

Un sort même au-dessus du sang dont vous sortez :

Vous pouvez en jouir sans honte et sans bassesse ;

Et de vos sentiments on vous laisse maîtresse.

AGATE.

Un tel discours m’étonne avec juste raison.

Apprenez-moi, de grâce, à qui je dois ce don ?

LA COMTESSE.

Vous devez à vous-même un si grand avantage,

Et de votre mérite il est l’heureux ouvrage.

Puisqu’il faut découvrir ce mystère à vos yeux,

Un inconnu m’envoie un dépôt en ces lieux ;

Il joint à ce trésor un Billet anonyme,

Dans lequel il m’écrit qu’un amour plein d’estime,

Et qui n’a pour objet que le bien de vos jours,

L’oblige à me prier d’accepter ce secours,

Pour vous faire un état plus digne de vos charmes ;

Que vos malheurs, qu’il sait, ont fait couler ses larmes ;

Qu’ils augmentent pour vous son zèle et ses égards,

Et rendent vos attraits plus chers à ses regards.

Il viendra, poursuit-il, dans ce séjour champêtre,

Savoir vos sentiments, qu’il brûle de connaître.

Il laisse votre cœur libre parfaitement,

Et ne vous enrichit que pour vous seulement :

Il veut, selon le choix qu’il vous plaira de faire,

Devenir votre époux, où vous servir de père ;

Et ses feux sont si purs, qu’il le compte pour rien,

Et qu’à vous rendre heureuse il borne tout son bien.

AGATE.

Ce que j’apprends, Madame, est si peu vraisemblable,

Que mon esprit encore le prend pour une fable.

Comment croire un tel fait ? Il n’est pas dans nos mœurs,

Car le bel air consiste à réduire nos cœurs.

Dans un tel procède je méconnais les hommes ;

Les présents qu’ils nous font, dans le siècle où nous sommes,

Sont moins un don pour nous, qu’un prix honteux et bas,

Que leur propre intérêt attache à nos appas.

On les voit pour eux seuls donner à leurs maîtresses,

Et payer leurs vertus moins cher que leurs faiblesses.

LA COMTESSE.

Plus vous avez de peine à concevoir ce trait,

Plus vous devez d’estime à celui qui l’a fait :

Vous ne pouvez avoir trop de reconnaissance ;

Votre cœur peut lui peut être sa récompense.

AGATE.

Je sens, comme je dois, la générosité,

Et me conforme en tout à votre volonté :

Je ne puis m’égarer en vous ayant pour guide

Mon âme, cependant, délicate et timide,

Sent de la répugnance à recevoir ses dons,

Et d’un pareil bienfait le rougis dans le fonds.

De refuser tout homme, on nous fait un précepte ;

Il en est un.

LA COMTESSE.

Son cœur mérite qu’on l’excepte.

Envers vous l’inconnu se conduit de façon

Qu’il ferme sagement tout chemin au soupçon,

Pour n’être point suspect, c’est à moi qu’il s’adresse :

Tel est même l’excès de sa délicatesse,

Qu’il rend votre destin indépendant du sien,

Et vous laisse à vous-même, en vous comblant de bien ;

AGATE.

Madame, vos raisons dissipent mon scrupule ;

Je bannis ma frayeur, puisqu’elle est ridicule.

LA COMTESSE.

Toute injuste qu’elle est, j’aime à l’apercevoir ;

Elle montre un esprit jaloux de son devoir.

Votre vertu me plaît, votre bonheur m’enchante ;

Et je ne vous vois plus que comme une parente.

Allez, dans ma maison, je prétends déformais

Que chacun vous distingue autant que je le fais.

AGATE.

Ah ! C’est trop de bontés. Ma fortune, Madame

En changeant mon état, ne change point mon âme.

Non, Agate jamais ne se méconnaîtra ;

De ce qu’elle vous doit, elle se souviendra.

Plus vous aurez pour moi d’égard et d’indulgence,

Madame, plus j’aurai pour vous d’obéissance ;

Et ce bien qu’on accorde à mon peu de beauté,

Augmentera mon zèle, et non ma vanité. ;

Elle sort.

 

 

Scène IV

 

LA COMTESSE, seule

 

Elle est digne, en effet, d’un sort si favorable ;

Elle a tout ce qui peut rendre une fille aimable,

À l’exacte sagesse elle unit l’agrément,

Et joint beaucoup d’esprit a plus de sentiment.

Mais à mes yeux surpris quel objet te présente ?

N’est-ce pis Arlequin, le muet de Dorante ?

C’est lui-même. Je suis dans le rapidement !

Et son maître, sans doute, arrive en ce moment.

 

 

Scène V

 

LA COMTESSE, ARLEQUIN

 

LA COMTESSE.

Dorante te fuit-il ?

Il fait signe que non.

Non. Il doit donc m’écrire ?

Tu ne fais aucun signe, et se ne sais que dire.

Mais je vois un billet que veut cacher ta main.

Cesse de badiner, donnes donc, Arlequin.

Pourquoi tant de façons ? C’est à moi qu’il s’adresse :

Tu dois me reconnaître, et je suis la Comtesse.

Pour l’obliger plus vite à rendre, ce papier,

Du chemin qu’il a fait il faut le défrayer.

Arlequin tend les deux mains pour recevoir l’argent de la Comtesse, et laisse tomber le billet. Elle ramasse le billet et lit.

« Las de faire en public le rôle d’insensible,

« Je suivrai de près ce billet,

« Pour faire près de vous celui d’amant parfait :

« Ce personnage-là me sera moins pénible,

« Quoique je n’ose encore le remplir qu’en secret.

« Sous ce titre, à vos yeux, je veux toujours paraître

« Et je jure au fond de mon cœur,

« D’en conserver toujours l’ardeur,

« Et de ne vivre que pour l’être. »

Après avoir lu.

Mes désirs sont remplis ! Dorante est amoureux ;

Et je suis en secret l’objet de tous ses vœux !

Ce billet me répond de sa vive tendresse.

C’est par discrétion qu’il n’a pas mis d’adresse,

J’aurais tort d’en douter, c’est à moi qu’il l’écrit ;

Il a trop de rapport à tout ce qu’il m’a dit.

Arlequin, je n’ai plus besoin de ta présence ;

De tout ce jeu badin cesse l’extravagance.

Va, je veux être seule. Obéi, laisses-moi ;

C’est trop me fatiguer. Vite, retires-toi.

Arlequin se retire avec peine, après avoir fait plusieurs lazzis qui marquent l’embarras et le chagrin où il est de voir, entre les mains de la Comtesse, le billet qui est pour Lucinde, et qu’il n’ose redemander, de peur de découvrir l’anonyme que Dorante lui a recommandé de garder.

 

 

Scène VI

 

LA COMTESSE, seule

 

J’attends, j’attends Lucinde avec impatience ;

Je veux de mes transports lui faire confidence.

Dans le sein d’une amie il est doux d’épancher

Un bonheur qu’à tout autre on a soin de cacher :

Quand on le communique, il flatte davantage ;

Et l’on sent doublement un bien qui se partage.

 

 

Scène VII

 

LA COMTESSE, LUCINDE

 

LUCINDE, sans voir la Comtesse.

Pour chercher Arlequin je reviens sur mes pas ;

Je le croyais ici, mais je ne le vois pas.

LA COMTESSE, apercevant Lucinde.

Ah ! Lucinde, approchez pour partager ma joie,

Et lisez ce billet que Dorante m’envoie,

Vous y verrez ma gloire, et dans tout son éclat.

LUCINDE, à part, ayant jeté les yeux sur le billet.

Voilà son caractère.

Après avoir lu.

Ah ! Qu’ai-je lu ? L’ingrat !

À d’autre qu’à moi-même aurait-il dû récrire ?

Mais cachons à ses yeux le trouble qu’il m’inspire.

LA COMTESSE.

Hé bien, vous le voyez, mon triomphe est parfait ;

Mais prenez-y donc part.

LUCINDE.

J’y prends part en effet

Plus que vous ne pensez ; et j’y suis si sensible,

Que de vous l’exprimer il ne m’est pas possible !

LA COMTESSE.

C’est pour moi que Dorante arrive dans ces lieux,

Et je puis m’applaudir du pouvoir de mes yeux.

Quelle gloire d’avoir vaincu ce cœur rebelle !

Pouvais-je remporter de victoire plus belle ?

C’en est fait, dans mes fers pour toujours je le tiens ;

Un esclave pareil ne rompt point ses liens :

L’amour prend, à le vaincre, une peine infinie ;

Mais, quand il est soumis, c’est pour toute la vie ;

Et son âme entraînée avec rapidité,

Passe de la froideur à la fidélité.

LUCINDE, à part.

Ah ! Je fais du contraire une épreuve cruelle.

Il était insensible, il devient infidèle.

LA COMTESSE.

Lucinde, en ce moment, pour sentir mon bonheur,

Je voudrais que l’amour eût touché votre cœur :

Ce cœur pourrait alors connaître par lui-même

Quel est l’enchantement de plaire à ce qu’on aime.

Non, tous les autres biens n’ont qu’un goût imparfait.

Pour les amants heureux, le vrai plaisir est fait.

LUCINDE, à part.

Et la vive douleur, pour l’épouse trahie.

J’ai peine à contenir ma juste jalousie !

LA COMTESSE.

Je vois que vous sentez mon discours faiblement.

LUCINDE.

Non, non, vous vous trompez, je le sens vivement,

Mais Damis vient. Adieu. Son aspect m’importune.

À part en s’en allant.

Allons seule en secret, pleurer mon infortune.

LA COMTESSE.

Oui, c’est le beau Damis : qu’il a l’air radieux !

Allons, préparons-nous à converser au mieux.

 

 

Scène VIII

 

LA COMTESSE, DAMIS

 

DAMIS.

Madame, vous voyez un homme dans l’ivresse.

LA COMTESSE.

Si matin ?

DAMIS.

C’est d’esprit, d’esprit, belle Comtesse.

Je ne me lasse pas d’admirer ce château ;

Il est beau, beau, très beau, du vrai beau, du grand beau :

La tournure en est neuve ; oui, neuve, intéressante :

Sa beauté me surprend, sa beauté m’épouvante,

Vrai, d’honneur, en honneur, et sur mon grand honneur.

LA COMTESSE.

Oh, ma foi, sur, ma foi, ce discours me fait peur.

DAMIS.

J’aime à voir ce jet d’eau s’élançant par boutade,

Pousser en grand son onde, et jouer la cascade ;

Et ce bassin, du jour répétant la splendeur,

Badiner le soleil, le rendre en douceur.

Ce jardin décoré de berceaux, de terrasses,

Est planté par le goût, façonné par les grâces ;

Et ces bosquets touffus semblent formés exprès

Pour les plaisirs furtifs, pour tes amours secrets ;

Et les tendres faveurs d’une jeune bergère,

Que l’ombre doit cacher, et le mystère taire.

Quoique jeune et badin, je suis vraiment discret ;

Je traite l’anonyme au plus fin, au parfait,

Et je file au plus doux le sentiment, le tendre.

Moins légère aujourd’hui, si vous vouliez m’entendre,

Nos cœurs pourraient porter le roman au plus haut,

Soupirer au plus fort, et brûler au plus chaud.

À goûter le piquant d’une flamme anonyme ;

Tout ce qu’on voit ici vous porte, vous anime :

Ce beau désert, ce Ciel aussi calme que pur,

Le silence prudent de ce bois sombre, obscur,

Cette grotte isolée, et ce ruisseau que j’aime,

Dont le murmure est doux, et secret à l’extrême ;

L’exemple familier de ces petits moineaux,

Moineaux que vous voyez cachés sous ces berceaux ;

Ces oiseaux écartés que forme la tendresse,

Retiennent leur gosier pour taire leur caresse.

Suivons de ces derniers l’instinct sur et charmant ;

Ils s’aiment tendrement, fortement, sagement :

Et voilà de l’amour, voilà le vrai système.

Pour le traiter au mieux, dans le sublime même,

Entrons, Madame, entrons dans un de ces bosquets,

Dont les feuillages sont épais, frais et discrets.

LA COMTESSE.

Non, non, je suis l’amour, l’amour et le mystère ;

Monsieur, ma liberté, liberté m’est trop chère ;

Ce qui fait, aujourd’hui que votre amour secret

Me surprend au plus fort, et me choque au parfait,

J’eus toujours pour le tendre une haine invincible,

Et des bosquets épais l’ombrage m’est nuisible.

Si des oiseaux par moi l’exemple est imité,

C’est dans leur badinage et leur légèreté.

Voyez là-bas, voyez cette linotte alerte,

Linotte sautillant sur cette branche verte ;

Un étourneau s’approche, et voudrait l’attendrir :

Zeste ! Elle prend l’essor quand il croit la tenir.

Dès qu’on veut, près de moi, le prendre pour modèle,

Comme elle je m’échappe, et vole à tire d’aile.

Tire d’aile.

Elle fuit.

 

 

Scène IX

 

DAMIS, seul

 

L’Adieu me paraît singulier ;

Il est particulier, mais très particulier !

Tout bien examiné ! sa fuite est impolie.

Elle a bien fait, parbleu, d’être femme et jolie :

Je veux, pour la punir, je veux la subjuguer,

Et je lui montrerai qu’on doit me distinguer ;

Que partout où je vais, je prends d’une manière

Qui ne lui permet pas de me rompre en visière ;

Que je suis transcendant en commerce réglé,

Et que, dès qu’il me voit, le beau sexe est comblé.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

DAMIS

 

Je veux, pour un moment, oublier la Comtesse,

Et vais près de Lucinde essayer ma tendresse,

Par son air sérieux, loin d’être rebuté,

Mon cœur le lent pique par la difficulté.

Pour vaincre, je neveux qu’un simple tête-à-tête.

Mais, bon, l’amour déjà m’amène ma conquête !

Lucinde rêve ! Ô Ciel ! Quel changement flatteur !

Elle pousse un soupir, soupir qui part du cœur !

Sa personne respire un trille qui m’enchante.

Aurais-je triomphé de sa froideur glaçante ?

Elle parle ; écoutons pour en être éclairci.

 

 

Scène II

 

DAMIS, LUCINDE

 

LUCINDE, sans voir Damis.

Voyage malheureux ! Pourquoi venais-je ici ?

L’amour m’y préparait le coup le plus à craindre !

DAMIS, à part.

Hem ! Qu’avais-je dit ?

LUCINDE.

J’aime, et sans oser m’en plaindre,

Un ingrat un volage.

DAMIS, à part.

Un volage, un ingrat ;

Voilà mes qualités ; c’est moi, sans être fat.

LUCINDE.

La Comtesse lui plaît ; il me quitte pour elle !

DAMIS, à part.

Oui, je lui rends des soins : autre preuve nouvelle.

Bon, j’ai déjà soumis la plus fière des trois.

Parlons-lui, j’ai pitié du trouble où je la vois.

LUCINDE.

Aurait-il du tromper la flamme la plus pure ?

DAMIS, haut.

Il ne la trompe pas, c’est lui qui vous l’assure,

LUCINDE.

Qui me parle ?

DAMIS.

Damis, qui partage vos maux.

LUCINDE, à part.

Ah, Ciel !

DAMIS.

Consolez-vous, vous n’aimez pas à faux.

LUCINDE, à part.

Je suis au désespoir ! M’aurait-il entendue ?

DAMIS.

Ne dissimulez plus ; votre ardeur m’est connue.

LUCINDE.

Mon ardeur ?

DAMIS.

Oui, l’ardeur que vous avez pour moi.

LUCINDE, à part.

Quel est mon embarras !

DAMIS.

Madame, sur ma foi,

Si vos feux font parfaits, mon amour est sublime ;

Et père du respect, il est fils de l’estime.

LUCINDE.

Ce discours n’est, Monsieur, qu’un galimatias.

DAMIS.

Mais vous m’aimez.

LUCINDE.

Qui ? Moi ? Je ne vous aime pas.

DAMIS.

Mais j’ai tout entendu ; c’est feindre à pure perte :

J’entre dans la douleur que vous avez soufferte ;

Votre état, en honneur, m’attendrit tout-à-fait.

Je vous parais volage, et sans l’être en effet.

Vrai, ma Lucinde, au vrai, mes soins pour la Comtesse

Sont pur amusement, et simple politesse.

LUCINDE.

Pour tenir ce propos, il faut, en vérité,

Il faut être, Monsieur, bien plein de vanité.

DAMIS.

Mais, quand d’amour pour moi je vous crois possédée,

Ma vanité, Madame, est tout au mieux fondée.

Je vous surprends ici vous plaignant d’un Amant

Qui vous y fait souffrir le plus cruel tourment :

Cet Amant ne peut être un autre que moi-même,

Car, je vous fais ma cour avec un soin extrême ;

Vous n’y voyez, d’ailleurs d’homme aimable que moi :

Allons, convenez-en, soyez de bonne foi.

LUCINDE.

Je ne saurais tenir contre une telle audace ;

Et je prends le parti d’abandonner la place.

DAMIS.

C’est moi qui me retire ; et, par discrétion,

Je dois vous laisser seule en cette occasion :

C’est le dernier combat d’une fierté mourante,

Qui fuit de son Vainqueur la vue embarrassante.

Adieu. Je choisirai, pour revenir vers vous.

Un temps où mon aspect vous semblera plus doux,

Plus doux.

Il se retire.

 

 

Scène III

 

LUCINDE, seule

 

Vit-on jamais orgueil plus méprisable :

Son excès, après tout, me devient favorable,

Puisqu’il ferme les yeux mérite d’autrui,

Et ne laisse courrier ses regards que sur lui.

Mais qui vois-je paraître ? Ah ! C’est mon infidèle !

Et sa présence ajoute à ma peine mortelle !

 

 

Scène IV

 

DORANTE, LUCINDE

 

DORANTE.

Je revois ma Lucinde. Ah ! Quel ravissement !

Embrassez votre Époux, ou plutôt votre Amant,

Que ses feux empressés vous ramènent plus tendre.

Mon transport est si vif, qu’il ne peut se comprendre !

Quoi ! Vous vous refusez à ce transport si doux ?

Lucinde, est-ce l’accueil que j’attendais de vous ?

LUCINDE.

Perfide ! c’est celui que vous doit une femme,

Dont vous avez trahi la trop crédule flamme.

DORANTE.

J’ai trahi votre flamme ! Ah ! Qu’est-ce que j’entends ?

Je demeure muet à ces mots insultants.

LUCINDE.

Ne vous contraignez plus : allez à la Comtesse,

Allez porter l’ardeur promise à ma tendresse ;

Courez vous applaudir de l’infidélité,

Et faire, de ma peine, hommage à sa beauté :

Mais elle vous prévient. Ma présence vous gêne.

DORANTE.

Vous m’offensez, Lucinde ; et c’est plutôt la sienne.

 

 

Scène V

 

DORANTE, LUCINDE, LA COMTESSE

 

LA COMTESSE.

Ah ! Dorante, c’est vous ! Nos vœux sont satisfaits !

Et vous avez suivi votre Billet de près :

C’est être ponctuel à tenir sa promesse.

DORANTE, bas à Lucinde.

Quoi ! Vous avez montré ma lettre à la Comtesse ?

LUCINDE, bas à Dorante.

Ah ! Le tour est fort bon ! C’est elle, ce matin !

Traître ! qui m’a fait voir un Billet de ta main.

DORANTE, à part.

Qu’entends-je ?...

LA COMTESSE, à Dorante.

Mon discours paraît vous interdire.

DORANTE, à part.

Arlequin s’est mépris, et je ne sais que dire.

LA COMTESSE.

L’Amour vous rend timide. Allez, rassurez-vous,

L’aveu de votre ardeur, je l’ai lu sans courroux.

DORANTE, d’un air embarrassé.

Je suis...

LA COMTESSE.

Lucinde sait votre flamme secrète,

Vous pouvez tout me dire ; elle est sage et discrète.

DORANTE.

Je voudrais... m’expliquer... mais... à ne rien celer,

En présence d’un tiers... je ne saurais parler.

LUCINDE, bas à Dorante.

Perfide ! tu voudrais que je me retirasse !

DORANTE, à la Comtesse.

Je dois fuir tout témoin ; et sur cette terrasse.

LA COMTESSE.

Oui, l’on est trop en vue, et vous avez raison ;

Nous serons beaucoup mieux, Monsieur, dans mon Salon :

Pour tromper les regards, je vais seule m’y rendre :

Vous y viendrez ensuite, et je vais vous attendre.

Elle rentre.

 

 

Scène VI

 

DORANTE, LUCINDE

 

LUCINDE.

Vous brûlez d’être seul je vois votre embarras ;

Mais non j’aurai l’honneur d’accompagner vos pas.

DORANTE.

Au contraire, je suis charmé qu’elle nous quitte ;

Et vous me soupçonnés sans que je mérite.

LUCINDE.

Par ton propre Billet n’es-tu pas convaincu !

Tu l’as écrit.

DORANTE.

Pour vous.

LUCINDE.

Quand elle l’a reçu.

DORANTE.

C’est à vous qu’Arlequin devait ici le rendre :

Et je ne sais comment il a pu s’y méprendre.

LUCINDE.

Quoi ! Vous m’auriez écrit ce Billet dans ce jour ?

DORANTE.

Pouvez-vous en douter, puisqu’il est plein d’amour ?

Vos yeux, qui m’ont fait seuls connaître la tendresse,

Ont-ils pu s’y tromper, quoiqu’il sûr sans adresse ?

Je veux, pour vous convaincre, et chasser tout soupçon,

Parler devant vous-même à la Comtesse.

LUCINDE.

Non ;

Pardonnez au dépit qui vous a fait outrage,

Et d’un excès d’amour songés qu’il est l’ouvrage.

DORANTE.

Pour payer cet amour comme il l’a mérité,

Apprenez que je touche au moment souhaité,

Où ma bouche pourra déclarer l’hyménée

Qui tient mes jours liés à votre destinée.

La Charge que le viens d’obtenir par Cléon,

Assure ma fortune, et sert notre union.

Lui-même s’est chargé de l’apprendre à mon Père ;

J’attends son agrément. Mais nous fut-il contraire ?

Ma flamme dans vos droits saura vous maintenir,

Et le trépas, lui seul, pourra nous désunir.

LUCINDE.

De joie, à ce discours, votre Épouse est comblée !

Mais à cette douceur une crainte est mêlée.

La froideur suit souvent un Hymen déclaré ;

Et le mari l’est trop, dès qu’il est avéré.

DORANTE.

Je dois être excepté de la règle commune ;

C’est pour votre bonheur que j’aime ma fortune.

Vous ne verrez jamais mon cœur se démentir ;

Et l’amour d’un Époux ne peut se ralentir

Quand il a la beauté pour objet légitime,

Pour guide, le devoir, et pour base, l’estime.

LUCINDE.

Je me sens rassurer par des mots si flatteurs.

Nous devons cependant contraindre nos ardeurs ;

Et nous avons, surtout, à craindre la Comtesse ;

Votre esprit, dans l’erreur, doit laisser sa tendresse.

DORANTE.

Un procédé pareil tient de la fausseté.

LUCINDE.

D’une Coquette on peut tromper la vanité

Sans blesser la franchise et choquer la droiture :

Par la feinte, après tout, c’est punir l’imposture.

On vient. Séparons-nous de peur d’être surpris.

DORANTE.

Je maudis la contrainte.

LUCINDE.

Et moi, je la chéris !

Nous devons nos plaisirs, Dorante, à cette gêne ;

Et, si nous nous quittons l’un et l’autre avec peine,

À nous retrouver seuls nous mettrons nos efforts,

Et nous nous reverrons avec plus de transports.

L’obstacle à la tendresse est souvent nécessaire ;

C’est-là ce qui nourrit le désir de nous plaire :

L’hymen, par ce secours, devient un nœud charmant,

Et d’un commerce tendre il a tout l’agrément.

 

 

Scène VII

 

AGATE, seule

 

Ô Ciel ! inspires-moi ce qu’il faut que je fasse !

Autant qu’il me surprend, mon bonheur m’embarrasse :

Je voudrais m’acquitter par le don de mon cœur,

Mais, par malheur, un autre en est le possesseur.

On vient. C’est Arlequin.

 

 

Scène VIII

 

AGATE, ARLEQUIN

 

AGATE.

Que veut-il faire entendre ?

À tous ces signes-là je ne puis rien comprendre.

Arlequin fait plusieurs signes à Agate, pour lui faire entendre qu’il est amoureux d’elle.

Comment donc ? L’insolent ! Il veut baiser ma main !

Ne nous exposons point avec un tel coquin.

Fuyons, dérobons-nous aux transports de ce maure.

ARLEQUIN, retenant Agate.

Belle Agate, arrêtez, Arlequin vous adore.

AGATE.

Ô Ciel ! Ce muet parle ! Un tel événement

Redouble ma frayeur et mon étonnement !

ARLEQUIN.

Ne craignez rien, ma Reine, et demeurez, vous dis-je ;

Ma tendresse, aujourd’hui, fait seule ce prodige ;

Et je suis Arlequin muet par amour.

AGATE.

Vous ?

ARLEQUIN.

Oui, ma langue est très libre ; et ce n’est, entre nous,

Que pour pouvoir ici vous rendre mon hommage,

Que j’ai feint d’en avoir perdu l’entier usage.

AGATE.

Pourquoi donc employer cet étrange moyen ?

ARLEQUIN.

Je n’en avais point d’autre ; et, pour ne cacher rien,

N’ayant aucun accès près de votre Maîtresse,

Et sachant que Dorante, ami de la Comtesse,

Voulait prendre un muet pour en être servi,

J’en ai joué le rôle, et suis entré chez lui,

Dans l’espoir qu’en ces lieux il ferait un voyage,

Et que je vous verrais sous ce faux personnage.

Heureusement pour moi mon piège a réussi ;

Je vous vois, je vous parle, et vous déclare ici

L’amour prompt et subtil que j’ai pris dans la rue,

Un jour que le hasard vous offrit à ma vue.

Pour vous voir, par ce trait jugés de mon ardeur ;

J’ai feint d’être muet, moi qui suis grand parleur.

J’attends à vos genoux, j’attends la récompense

D’un si parfait amour, et d’un si dur silence.

Prononcés, belle Agate, arbitre de mes jours,

Un mot va terminer ou prolonger leurs cours.

AGATE.

La déclaration est touchante et flatteuse,

La conquête brillante, et la journée heureuse,

Mais, Monsieur, l’attitude est gênante pour vous,

Et vous serez levé, beaucoup mieux qu’à genoux.

Mon âme sent le prix d’un cœur comme le vôtre ;

Mais nous ne sommes pas, Monsieur, faits l’un pour l’autre.

ARLEQUIN.

Mon destin est pourtant conforme à votre sort,

Et nos personnes, même, ont beaucoup de rapport.

Vous servez la Comtesse, et moi, je sers Dorante ;

Je suis valet de chambre, et vous êtes suivante,

Vous êtes brune, enfin, et je ne suis pas blond :

Je puis vous épouser sans vous faire d’affront.

AGATE.

Oui ; mais vous êtes, vous, toujours dans le service ;

Et de suivante, moi, je ne fais plus l’office.

Vous êtes né valet, et fait pour obéir,

Moi je suis Demoiselle, et l’on doit me servir.

ARLEQUIN.

Demoiselle ? Tant mieux ! Je vous en félicite ;

Mais la naissance, au fond, ne fait pas le mérite.

AGATE.

Songez, quoi qu’il en soit, à respecter mon sang.

ARLEQUIN.

Eh ! Madame, l’amour ne connaît point de rang.

Vous me la donnez belle avec votre noblesse !

Le plus noble est celui qui sent plus de tendresse ;

Et par-là, plus qu’aucun, je dois l’être pour vous.

Prenez, en ma faveur, des sentiments plus doux.

Pourquoi vous offenser de mes ardeurs parfaites ?

Nos Seigneurs, tous les jours, préfèrent des grisettes.

AGATE.

Vous vous moquez de moi ! Le cas est différent ;

Un homme peut fort bien descendre en soupirant :

Dès qu’une fille est belle, elle a droit de lui plaire ;

Et la beauté, Monsieur, n’est jamais roturière.

ARLEQUIN.

Je ne dispute pas, Madame, là dessus ;

Par-là même, pour moi, je combats vos refus.

Puisqu’un Grand peut aimer une grisette aimable,

Une Dame, à son tour, d’un Bourgeois estimable

Peut écouter les vœux.

AGATE.

Non pas sans se trahir :

L’amour doit l’élever, et jamais l’avilir.

ARLEQUIN.

Ah ! Vous me faites voir une fierté que j’aime.

Sachez donc que je puis vous élever moi-même.

AGATE.

Comment ?

ARLEQUIN.

Vous m’avez dit votre état dans ce jour,

Je dois vous dévoiler ma naissance, à mon tour.

Bien loin d’être au-dessous de votre dessinée,

Apprenez que je suis fils d’un Roi de Guinée.

Je cache un nom fameux sous celui d’Arlequin ;

Et vous voyez en moi le Prince Morachin.

AGATE.

Eh ! Qui vous a réduit, Seigneur, dans l’esclavage ?

ARLEQUIN.

Les injustes fureurs d’une Reine sauvage :

Sa haine m’a contraint d’errer dans l’Univers ;

Et, du sein des grandeurs, j’ai passé dans les fers.

AGATE.

Je vais de votre rang instruire la Comtesse,

Afin qu’en ce château l’on rende à votre Altesse,

Prince, tous les honneurs qu’elle peut mériter.

ARLEQUIN.

Tout beau ! Gardez-vous bien de rien faire éclater ;

Pour tout autre que vous, je suis Prince anonyme.

AGATE.

C’est trop de modestie ; et l’ardeur qui m’anime,

M’oblige malgré vous...

ARLEQUIN.

Non, belle Agate, non,

Je dois tenir cachés mon dessin et mon nom :

Mes jours sont en danger, si ce secret transpire.

De grâce, en même-temps, gardez-vous de détruire

La croyance où l’on est que je suis né muet.

S’il était détrompé, Dorante me tuerait.

AGATE.

Soit ; je veux jusques-là porter ma complaisance,

Mais à condition, qu’en un profond silence,

Vous tiendrez renfermé votre amour indiscret.

Si vous dites un mot, adieu votre secret.

ARLEQUIN.

Souffrez...

AGATE.

Ne parlez plus sur ce point qui me touche.

ARLEQUIN.

Mais...

AGATE.

Prince Morachin, je vous ferme la bouche.

Quelqu’un vient. C’est Oronte. Allez, retirez-vous.

 

 

Scène IX

 

AGATE, ORONTE, ARLEQUIN

 

ORONTE.

Bonjour, charmante Agate.

À Arlequin.

Un moment laissez nous ;

Je veux lui parler seul.

ARLEQUIN, bas en s’en allant.

Malheureux : Je suffoque.

De nous et de nos feux, la cruelle se moque.

 

 

Scène X

 

ORONTE, AGATE

 

ORONTE.

L’éclat de vos beautés augmente tous les ans,

Celui de vos vertus s’accroît en même temps ;

Et je sens, belle Agate, un plaisir véritable

D’apprendre, en arrivant, que le sort favorable

Récompense des dons si rares et si doux,

Et vous donne un état moins indigne de vous.

Mon cœur, vous le savez, vous a toujours chérie ;

Lui seul vous parle ici ; ce n’est point flatterie :

Je suis sincère et vrai dans tout ce que je dis ;

L’Inconnu, plus que moi, n’est pas de vos amis.

AGATE.

Monsieur, de votre estime Agate est trop flattée,

Son heureuse fortune en paraît augmentée.

L’Anonyme a surpris et surpassé mes vœux

Je ne mérite pas ses bienfaits généreux.

ORONTE.

Ah ! Que dites-vous là ? De tant de grâce ornée,

Vous ne sauriez jamais être assez fortunée :

Votre mérite est tel, qu’il les efface tous :

Quelques biens qu’on vous sage, ils seront au-dessous.

AGATE.

Non, je n’en suis pas digne, et je me rends justice ; 

Le sort devoir, pour moi, se montrer moins propice.

Je ne puis m’acquitter envers mon bienfaiteur.

ORONTE.

Il sera trop payé, s’il obtient votre cœur.

Mais, quoi ! Vous soupirez ? Le bien qu’on vous envoie

Cause votre tristesse, et non pas votre joie ?

D’un juste étonnement mon esprit est frappé.

D’où peut naître aujourd’hui ce soupir échappé ?

Excusez ; mais mon zèle et mon expérience,

De vous parler ainsi, m’ont acquis la licence.

J’ai pris, dans tous les temps, part à vos intérêts

Et vous m’avez toujours confié vos secrets.

Qui peut causer en vous ce trouble, belle Agate ?

AGATE.

Ma fierté, qui se joint à la peur d’être ingrate ;

L’une et l’autre à mon cœur livre un fâcheux combat ;

Sur l’a reconnaissance il est si délicat,

Que l’excès d’un tel bien l’embarrasse et l’étonne :

Il craint de trop devoir à celui qui lui donne.

Ce cœur en même temps, aussi fier qu’ingénu,

Gémit de recevoir l’es dons d’un inconnu :

Quoique sans intérêt sa bonté les lui fasse,

Ce secours qu’il accepte est toujours une grâce

Dont le ressouvenir l’avilit en secret ;

Et, s’il bénit la main, il rougit du bienfait.

ORONTE.

Qu’entends-je ? Pouvez-vous rougir d’une largesse

Qu’on fait à vos beautés moins qu’à votre sagesse ?

Songer, qu’à la rigueur, ces présents vous sont dus ;

C’est un tribut qu’on rend Agate, à vos vertus.

Ils changent votre sort, sans blesser votre gloire.

Montrez-vous donc plus gaie, où vous me feriez croire

Qu’un soin tout différent vous agite aujourd’hui.

AGATE.

Monsieur... Mais Damis vient : je vous laisse avec lui.

Agate s’en va.

 

 

Scène XI

 

ORONTE, DAMIS

 

DAMIS.

En croirai-je ma vue ? Est-ce Oronte ?

ORONTE.

Oui, lui-même.

DAMIS.

Ton retour me ravit, me transporte au suprême.

Après un si longtemps j’embrasse, quel bonheur !

Un homme que j’estime et que j’aime de cœur.

Loin de toi, les plaisirs semblent tous s’interrompre,

On s’ennuie à périr, et l’on baille à tout rompre.

Isolé de ta vue, on ne tient plus à rien,

Et, sitôt qu’on te voit, on est du dernier bien.

ORONTE.

Quel langage est-ce-là ? Mais c’est un idiome

Que tu parles, je crois, toi seul dans le Royaume ?

DAMIS.

C’est celui du grand-monde et des cercles polis.

ORONTE.

C’est donc depuis un an que j’ai quitté Paris :

Je te jure qu’alors cet étrange langage,

À la Ville, à la Cour, n’était point en usage.

DAMIS.

Ton goût est devenu bourgeois, des plus bourgeois.

Les mots dont je me sers, sont tous termes de choix,

Je m’exprime au plus pur ; et c’est la langue unie.

Que parle couramment la bonne compagnie :

Oui, la bonne, te dis-je, où l’on épure tout.

ORONTE.

La mauvaise, plutôt. Tu me pousses à bout.

La bonne compagnie a des clartés plus sûres ;

Tu ne la connais pas, ou tu la défigures :

Et je te dirai, moi, qui ne déguise rien,

Qui l’ai plus fréquenté, et qui suis ton doyen,

 Que celle que tu viens de citer avec faste,

Est sa fausse copie, ou plutôt son contraste.

DAMIS.

Quelle erreur !

ORONTE.

Je dis vrai. La tienne gauche en tout,

Adopte les faux airs, et suit le mauvais goût ;

Son ton est précieux, sa démarche affectée,

Et ton expression est toujours apprêtée :

C’est elle qui fait voir à nos yeux, si souvent,

Le faux Seigneur ante sur le demi-savant :

Son sein, du ridicule est la source fertile,

Et de mots hasardés elle sème la Ville ;

Elle produit, par-là, des sots toujours nouveaux,

Et peuple, tous les ans, Paris d’originaux.

La bonne compagnie, et digne de ce titre,

Du véritable esprit le modèle et l’arbitre,

Différente en tout point, n’affecte aucun jargon ;

Son guide est le bon goût ; sa règle est la raison ;

Élégant sans recherche, et simple sans bassesse,

Son discours réunit l’aisance et la noblesse :

De la mode qu’on outre, elle arrête l’excès,

Et du beau seul qu’elle aime, elle fait le succès :

Son commerce poli, son vernis agréable,

Font le vrai connaisseur, et forment l’homme aimable,

Qui, sans l’étudier, possède l’agrément,

Dans le monde qu’il orne, évite également

Le ton de bel-esprit et l’air de petit-maître,

Et juge bien du tout, sans vouloir s’y connaître.

Reconnais le mérite, à des traits si marqués,

Et limites plutôt que des esprits manqués.

DAMIS.

Ton coloris, mon cher, est mince, du plus mince ;

Et tu t’es enrouillé l’esprit dans la Province :

Tu peins le vieux mérite, et l’homme trivial,

J’en recherche un plus neuf, qui soit original,

Et qui, du singulier se montrant le modèle,

De mots, comme d’habits, sans cesse renouvelle.

La variété charme, et fait que nous brillons :

Caméléons le jour, et le soir papillons,

Nous changeons de couleur, et voltigeons sans cesse.

ORONTE.

Pour aller de travers. Oh ! la plaisante espèce

Qui vole en étourdie, et tombe à tous les bonds !

Des papillons pareils, font de vrais hannetons.

Peut-être un peu trop fort je ris de ta méprise,

Mais, à railler ainsi, la raison m’autorise.

DAMIS.

Je pourrais m’en fâcher à la Ville, à Paris,

Où, dans le sérieux, le moindre terme est pris ;

Mais, aux Champs, en Touraine, où l’on peut tout se dire,

Je me prête à la chose, et je n’en fais que rire.

Brisons-là. J’ai besoin d’un sage confident,

Et je te choisis.

ORONTE.

Moi !

DAMIS.

Je te connais prudent

Ami, j’ai sur les bras une terrible affaire :

À trois beautés ici j’ai le dessein de plaire ;

Je compte y réussit et me faire un grand nom.

Je veux, tout à la fois, façonner un tendron,

Fixer une coquette, et vaincre une insensible.

ORONTE.

L’entreprise est hardie !

DAMIS.

Elle l’est au possible.

ORONTE.

Qui sont donc les objets de cette triple ardeur ?

DAMIS.

La Comtesse et Lucinde ont part à cet honneur ;

Mais un troisième objet qu’avec feu je pourchasse,

Les combat dans mon cœur, et souvent les en chasse.

ORONTE.

Tu n’as pas peu de soins !

DAMIS.

Son pouvoir singulier

M’oblige de brûler d’un amour roturier.

La Comtesse est aimable, adorable, charmante ;

Mais je donne la pomme à sa belle Suivante :

Agate (c’est son nom) porte un de ces minois

Qui captivent un cœur dès la première fois.

ORONTE.

Mais, sais-tu bien qu’Agate est bonne Demoiselle ?

Sur le pied de Suivante, elle n’est plus chez elle ;

Sa conduite, d’ailleurs, égale ses appas,

Et dans la bagatelle elle ne donne pas.

DAMIS.

Oh ! Je sais comme il faut attaquer cette brune ;

Et je joue à jeu sûr l’homme à bonne fortune.

Je sais l’art... Il suffit ; je ne m’en explique point :

Mais je les réduirai toutes trois à leur point.

ORONTE.

As-tu fait du progrès, déjà, près de ces belles ?

DAMIS.

Un progrès infini.

ORONTE.

Comment es-tu près d’elles ?

Ne me déguise rien : là, parles franchement.

DAMIS.

Plaisante question ! J’y suis excellemment ;

Car Agate me fuit, Se Lucinde m’évite,

Et, dès que j’ai parlé, la Comtesse me quitte.

ORONTE.

Grande preuve d’amour !

DAMIS.

Oui, pour l’œil connaisseur.

ORONTE.

La vanité voit tout par le côté flatteur.

Mais c’est trop m’occuper de tes frivoles flammes.

Adieu J’entre au château pour rejoindre ces Dames.

Je te laisse vaquer au soin de tes amours :

Va, tu n’as pas de temps à perdre en vain discours.

Qui poursuit trois beautés, doit emprunter des ailes.

DAMIS.

J’ai les jambes, mon cher, aussi bonnes que belles.

ORONTE.

Qui court plus d’une proie, est un mauvais chasseur.

DAMIS.

On ne manque jamais, quand on est fin tireur.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LA COMTESSE, LUCINDE

 

LA COMTESSE.

Lucinde, je ne sais que penser de Dorante,

Et de son froid accueil je ne suis pas contente.

Ah ! Que son entretien est bien loin de l’ardeur

Que la, lettre flatteuse annonçait à mon cœur !

LUCINDE.

Mais ne vous a-t-il pas confirmé qu’il vous aime ?

LA COMTESSE.

Il me l’a dit d’un ton à me glacer moi-même :

Ses yeux indifférents, qu’il détournait toujours,

Et son maintien forcé, démentaient son discours.

 

 

Scène II

 

LA COMTESSE, LUCINDE, DORANTE

 

LA COMTESSE, à Dorante.

Ah ! Monsieur, vous voilà ! Je parlais de vous même.

Je n’ai rien de caché pour Lucinde que j’aime ;

Et je lui témoignais que j’avais, en ces lieux,

Trouvé votre billet plus tendre que vos yeux ;

Ils rendent faiblement ce qu’il semblait promettre.

DORANTE.

Non, leur expression enchérit sur ma lettre ;

À Lucinde.

Ils doivent assurer celle à qui je l’écris,

Que plus je la regarde, et plus j’en suis épris ;

Et pour en être ici pleinement convaincue,

Qu’elle fixe les siens un moment sur ma vue ;

Ils y liront un feu si vif et si flatteur,

Qu’aucun terme ne peut en exprimer l’ardeur.

Je vois, avec transport, qu’elle vient de m’entendre ;

Et j’en ai pour garant le coup d’œil le plus rendre !

Nos regards sont d’accord ; et, dans ce doux moment,

Mon cœur, de leur concert, sent tout l’enchantement.

LA COMTESSE.

Vous voilà tel enfin que désirait mon âme ;

Et dans vos yeux, les miens trouvent toute la flamme

Qu’ils attendaient, Dorante, et méritaient de vous :

Leur pouvoir est flatté d’un triomphe si doux.

LUCINDE, à part.

Ce triomphe est pour moi. La coquette est déçue,

Et mon amour obtient ce qu’elle s’attribue.

Après tous les tourments qu’elle m’a fait souffrir,

Je vois sa vanité trompée, avec plaisir.

LA COMTESSE.

Rien ne peut égaler l’éclat de ma victoire !

Soyez toujours, soyez le même pour ma gloire.

DORANT E.

Je le serai toujours, et j’en fais le serment.

Oui, le Ciel m’a formé pour aimer constamment ;

Et, loin de s’altérer, ma tendresse fidèle

Va recevoir du temps une force nouvelle.

L’objet démon ardeur gagne par l’examen :

Il est fait pour braver les tiédeurs de l’hymen.

Je vais trop loin, peut-être, en cette circonstance :

Ma bouche ferait mieux de garder le silence :

Mais je commande à peine à mon trouble confus ;

Et ; s’il m’était permis, j’en dirais encore plus.

LA COMTESSE.

Dorante, mon amour vous permet de tout dire.

DORANTE.

Cet excès de bonté ne peut que m’interdire.

 

 

Scène III

 

LA COMTESSE, LUCINDE, DORANTE, AGATE

 

AGATE, à la Comtesse.

Plusieurs danseurs, Madame, et nombre de chanteurs

Viennent pour vous offrit leurs talents séducteurs.

LA COMTESSE.

Je vais les arrêter, et ma joie en est grande.

AGATE, à Dorante.

Monsieur, en même temps, un courrier vous demande.

DORANTE, à part.

Le Ciel l’envoie exprès pour m’ôter d’embarras !

À la Comtesse.

Je vous quitte ; pardon.

Il sort.

LA COMTESSE.

Nous marchons sur vos pas.

Elle s’en avec Lucinde.

 

 

Scène IV

 

DAMIS, AGATE

 

DAMIS.

Je vous trouve isolée, et je m’en félicite,

Engageons le discours mon aimable petite ;

Hem ? Comment va le cœur ? Que dit-il de nouveau ?

AGATE.

Mais il dit aujourd’hui... que le jour est fort beau.

DAMIS, d’un air mystérieux.

Il est vrai. Savez-vous encore une nouvelle ?

AGATE.

Non, Monsieur.

DAMIS.

Le mien dit que vous êtes plus belle,

Oui, plus belle, en effet, que ce jour radieux.

AGATE.

Monsieur...

DAMIS.

Rien n’est égal au brillant de ses yeux :

Elle a l’air distingué, distingué, pleine de grâce ;

Il promet de l’esprit du plus fin qui se fasse :

Cela fait, de tout point, le plus joli sujet ;

Et trois de mes leçons vont le rendre parfait.

AGATE.

De vos leçons !

DAMIS.

Leçons de bonne compagnie,

Qui vont faire de vous une fille accomplie,

Et vous distingueront des gens de votre état.

AGATE, à part.

Avec son air pincé, l’insupportable fat !

DAMIS.

Je veux présentement vous donner la première,

Seyez-vous avec moi, ma brillante écolière ;

Seyez-vous, le fauteuil arrange l’entretien,

Et l’on converge, assis, singulièrement bien.

AGATE, à part.

De m’asseoir un moment ayons la complaisance,

Pour voir de son esprit toute l’extravagance.

DAMIS.

Comme de mes leçons il faut ne perdre rien,

Approchez un peu plus votre siège du mien.

AGATE.

Je suis fort bien ainsi ; laissez-moi, je vous prie.

DAMIS.

Mais apprenez qu’il faut se prêter dans la vie.

AGATE.

J’aime à prendre de loin de pareilles leçons.

DAMIS.

Du brusque dans l’humeur ! Corrigez ces façons ;

Elles visent au dur, ce ne sont pas les bonnes :

Il faut plus de liant dans les jeunes personnes ;

Et la vertu de mode, est la docilité.

Vous avez, en partage, esprit, grâce, beauté ;

Mais, pour les secourir, et les mettre en lumière,

Il vous faut...

AGATE.

Quoi, Monsieur ?

DAMIS.

Apprêt, jargon, manière.

AGATE.

Mais, l’apprêt, le jargon...

DAMIS.

Mais c’est le goût courant.

Les grâces sans apprêt, sont d’un uni trop grand ;

La beauté sans manière, offre un éclat baroque,

Et l’esprit sans jargon, est d’un bourgeois qui choque.

AGATE.

Moi, j’avais crû, Monsieur, jusques à cet instant,

Le jargon ridicule, et l’apprêt révoltant.

DAMIS.

Vieille erreur !

AGATE.

Daignez donc m’expliquer chaque terme,

Je brûle d’être au fait du vrai sens qu’il renferme,

DAMIS.

Je vais vous satisfaite, et ce discours me plaît.

AGATE

Qu’entendez-vous d’abord par le terme d’apprêt ?

DAMIS.

L’apprêt : écoutez bien, le vrai, celui de France,

Autrement appelé l’apprêt par excellence,

Est ce vernis flatteur qui, déguisant le faux,

Exagère la grâce, et soustrait les défauts ;

Décore le beau sexe, et préside aux toilettes ;

Donne à l’ajustement des tournures parfaites ;

Renferme l’art profond d’arranger un cheveu,

De bien meure une épingle, et de bien faire un nœud :

Communique du vif à la blonde mourante,

Et répand certain doux sur la brune piquante ;

Aux charmes naturels rend l’agrément acquis,

Et des grâces du temps forme le coloris :

Sans lui, dans ses projets une belle s’égare,

L’agrément ne prend plus, si l’on ne le prépare.

AGATE.

Mais on m’a dit toujours que l’art le détruisait.

DAMIS.

Votre grande maman jadis vous le disait.

Le jargon, je vous prie, attention profonde,

L’art de bien converser, le précis du beau monde,

Se trouvent renfermés dans ce terme important :

Le jargon qu’il emploie, et que lui seul entend,

Est singulièrement l’art incompréhensible

De s’exprimer au mieux, et de dire au possible ;

Et, comme ce jargon renouvelle chaque an,

Tout mot fraîchement fait est un vrai talisman :

Celui du jour, surtout, pour peu qu’on le répète,

D’enchanter pleinement a la vertu secrète ;

Il sait mettre en crédit les discours brillantés,

Et donner de la vogue à des frivolités.

De ce jargon divin la force est infinie,

Et, du grand monde, on peut l’appeler la magie.

AGATE.

Il en est le grimoire incontestablement,

Et vous le possédez très singulièrement.

DAMIS.

Oui, singulièrement ; vous saisissez le terme ;

Et, du goût pour le vrai, je vois en vous le germe :

Mais ce n’est pas allez de savoir le garçon,

Il faut, pour le bien rendre, il faut encore un don.

AGATE.

Et quel don, s’il vous plaît ?

DAMIS.

C’est le ton, belle Agate ;

Ce ton supérieur qui subjugue et qui flatte ;

Ce ton maître de tout, arbitre des succès

À la Cour, à la Ville, au Théâtre, au Palais ;

Qui soutient la parole et lui donne la vie,

Et fait passer l’esprit dans les sons qu’il varie :

Par lui le trivial du neuf prend la couleur,

Et, sans lui, le brillant perd toute sa lueur.

Vous employez en vain une phrase d’élite,

Si le ton distingué n’en rend tout le mérite ;

À l’image du mot il doit être ajusté.

La conversation est un livre noté ;

Il faut prendre le ton pour y faire harmonie,

Autrement, l’entretien devient monotonie.

Tout le feu renfermé dans une expression,

Qui nous le fait sentir ? C’est... c’est l’inflexion.

Que je dise uniment : Agate a ma tendresse ;

Sa beauté me ravit, sa taille m’intéresse,

Ses yeux ont, pour charmer, un jargon singulier.

Son maître d’agrément devient son écolier.

Ce discours dénué du ton vif, pathétique,

Perd la grâce intrinsèque et sa force énergique ;

Mais qu’à ces mots flatteurs je joigne l’action,

Et que j’en rende ainsi toute la passion,

En me tournant vers vous : Agate a ma tendresse ;

Sa beauté me ravit, sa taille m’intéresse,

Ses yeux ont, pour charmer, un jargon singulier,

Son maître d’agrément devient son écolier.

Hem ? Ne sentez-vous pas que le ton qui l’enflamme

Rend la chose au plus tendre, et lui prête de l’âme,

Du jargon singulier, ce ton original,

Au langage des yeux donne un prix sans égal.

Sa taille m’intéresse : inflexion mourante,

Qui peint le doux pouvoir d’une taille touchante.

AGATE, se levant avec dépit.

À ce dernier discours je me sens émouvoir.

DAMIS

Ah ! De l’inflexion vous sentez le pouvoir !

Je suis... je suis comblé Vous avez l’âme tendre ;

Vous donnez de l’amour, et vous devez en prendre.

Cet aveu détourné que je fais en ce jour,

Entre nous, part du cœur, et mérite un retour :

Je l’attends.

AGATE.

C’est à tort, et votre âme est déçue :

C’est d’un juste dépit que je parais émue.

Je ne ressens pour vous que beaucoup de froideur,

Monsieur ; et ce discours, entre nous, part du cœur.

DAMIS.

Mais vous devez m’aimer ; et ce propos m’étonne.

Mon esprit, mes façons, mon air et ma personne,

Tout vous invite...

AGATE.

À fuir.

DAMIS.

Non, non, vous m’aimerez ;

Tout gît dans la manière : et lorsque vous saurez...

AGATE.

Je ne veux rien savoir sur pareille matière ;

Le ton m’a dégoûté, Monsieur, de la manière.

DAMIS.

À ce que vous ferez, prenez garde à présent.

Je vous offre à la fois l’utile et l’amusant :

Je prétends et je puis faire votre fortune.

AGATE.

Ma fortune, Monsieur !

DAMIS.

Qui sera peu commune ?

Et je veux vous donner un état, qui plus est ;

Il unit le plaisir, la gloire et l’intérêt.

Des amours près de vous assemblant le cortège,

Il vous fera jouir de l’heureux privilège

D’en goûter les douceurs même avec dignité,

Et de vous enrichir de votre volupté.

Vous verrez à vos pieds la jeunesse de France

Et vous saccagerez le corps de la Finance ;

Et, pour mettre le comble à vos contentements,

Vous aurez du Public les applaudissements.

AGATE.

Quel est donc cet état si brillant ?

DAMIS.

Le Théâtre,

Où vos appas rendront tout Paris idolâtre.

AGATE.

Monsieur, en vérité, m’honore infiniment.

DAMIS.

Le préjugé, sur vous, agit en ce moment.

Vous craignez le mépris que l’erreur adoptée.

AGATE.

Non ; par vous ma surprise est mal interprétée.

Une Actrice qui joint la sagesse aux talents,

Mérite, selon moi, les égards les plus grands ;

Elle est, par sa vertu, d’autant plus élevée,

Que par l’occasion elle est plus éprouvée.

Je n’en crois pas, Monsieur, les esprits prévenus.

J’estime le Théâtre, et j’en blâme l’abus ;

Son art est en lui-même un art très estimable ;

C’est le défaut de mœurs qui le rend méprisable.

Le vice fait lui seul, quoiqu’il soit protégé,

La honte d’un État, et non le préjugé.

DAMIS.

Morale hors d’usage, et qui n’est que sensée.

La sagesse au Théâtre est gauche et déplacée ;

Tous les gens du bel air sont de ce sentiment.

AGATE.

Je fais gloire, Monsieur, de penser autrement.

Vous vous êtes mépris dans votre fausse attente,

Et je suis de vos feux la très humble servante.

DAMIS.

Puisque vous le prenez sur ce ton de hauteur ;

C’est moi de vos mépris qui suis le serviteur.

À votre mauvais goût Damis vous abandonne,

Et je vous brusque en plein, ma petite personne.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

AGATE, seule

 

Que dans un autre temps je l’aurais badiné !

Mais vers d’autres objets mon cœur est entraîné,

Que ne puis-je étouffer l’ardeur qui me surmonte,

Et rendre à l’Inconnu !... Mais j’aperçois Oronte.

 

 

Scène VII

 

ORONTE, AGATE

 

ORONTE.

Agate, je vous cherche avec empressement ;

Nous voilà seuls, je puis vous parler librement.

C’est de la part...

AGATE.

De qui, Monsieur ?

ORONTE.

De l’anonyme.

AGATE.

Quoi ! Vous le connaissez ?

ORONTE.

Oui ; je suis son intime.

Comme nos intérêts furent toujours liés,

Qu’il sait, d’ailleurs, en moi que vous vous confiez,

Et que je vous connais dès l’âge le plus tendre,

Dans un Billet qu’on vient à l’instant de me rendre,

Il se découvre à moi sous le sceau du secret,

Et m’écrit qu’il attend de mon zèle parfait,

Que je vous parlerai sur un point qui le touche.

Il espère par moi savoir de votre bouche

Quels sont vos sentiments qui régleront les siens :

C’est son propre discours ici que je vous tiens :

Dans toute leur franchise il prétend les connaître,

Et décider par eux s’il doit enfin paraître.

Si votre cœur est libre, et peut être obtenu,

À vos pieds, au plutôt, vous verrez l’inconnu ;

Il sera trop heureux d’unir son sort au vôtre :

Mais, si ce même cœur sent du goût pour un autre,

Il est si délicat, Agate, sur ce point,

Qu’il restera caché pour n’y prétendre point ;

Et n’appréhendés pas qu’un tel aveu l’offense :

Non, il redoublera plutôt sa bienveillance ;

Et, pour récompenser cet effort vertueux,

Il hâtera, sous main, le bonheur de vos feux.

Je demande pour lui que vous soyez sincère,

Son amitié de vous ne veut que ce salaire :

Ouvrez-mot donc votre âme, et longés qu’aujourd’hui

Son repos en dépend et le vôtre avec lui.

AGATE.

Ce discours me surprend, et je reste interdire.

ORONTE.

Ce trouble accompagné d’une rougeur subite,

Étonne mes esprits, et m’arrête à mon tour !

Serait-il en l’effet l’ouvrage de l’amour ?

Belle Agate, parlés, la chose est importante.

Vous ne répondez rien, et votre trouble augmente

Ah ! Je le vois, un autre a surpris votre cœur,

Et j’en ai pour garant ce surcroît de rougeur.

AGATE.

À quelle extrémité, réduisez-vous Agate ?

Malgré moi, ma faiblesse en cet instant éclate.

Je voudrais, mais en vain, vous déguiser mon feu ;

Votre ascendant sur moi m’en arrache l’aveu.

ORONTE.

Ce coup, pour mon ami, m’afflige au fond de l’âme.

Mais, quoiqu’un tel aveu soit contraire à sa flamme,

Il vous en tiendra compte et son bien l’exigeait.

AGATE.

C’est d’un prix bien cruel payer ce qu’il a fait !

ORONTE.

Celui que vous aimez est sans doute estimable.

AGATE.

Oui ; par ses qualités il est recommandable.

Du seul discernement mon amour est le fruit :

Mon cœur, dans un tel choix, n’a pas été séduit

Par l’éclat passager d’une vaine jeunesse ;

Au mérite éprouvé j’ai donné ma tendresse.

Je me crois d’autant plus excusable aujourd’hui,

Que le feu qu’il m’inspire a la raison pour lui.

Ce qui me flatte seul, dans ma fortune insigne,

C’est que d’un tel Amant elle me rend plus digne,

Qu’elle donne du lustre à mes faibles appas,

Et, pour lier nos cœurs, rapproche nos États.

Mais où va m’égarer l’espoir vain qui me flatte ?

Je ne saurais former ces vœux sans être ingrate ;

Et l’Auteur généreux d’un changement si doux,

M’en défend la pensée, et doit les fixer tous.

ORONTE.

Non, quoiqu’en son amour l’inconnu soit à plaindre,

Il doit combler vos vœux, et non pas les contraindre.

AGATE.

Ah ! C’est à moi plutôt d’éteindre mon ardeur ;

Le temps et mon devoir dégageront mon cœur ;

Il doit de ses bienfaits être la récompense,

Et j’immolerai tour à la reconnaissance :

J’espère y réussir d’autant plus aisément,

Que l’objet de mes feux ignore en ce moment

Le triomphe secret qu’il obtient sur mon âme :

Et lui-même est bien loin de répondre à ma flamme !

Dressés donc l’inconnu de venir en ces lieux :

Que pour m’aider à vaincre il paroisse à mes yeux ?

Son aspect désiré hâtera ma victoire.

ORONTE.

Je suis, pour l’en presser, trop jaloux de sa gloire.

Je le prierai plutôt de ne pas se montrer.

AGATE.

Vous avez tort, Monsieur ; vous pouvez l’assurer...

ORONTE.

Non, Agate, il n’est plus, dans la saison de plaire ;

Sa présence ferait un effet tout contraire.

AGATE.

Mais quel âge a-t-il donc ?

ORONTE.

Le mien exactement ;

Et nous nous ressemblons en tout parfaitement.

Je vois qu’à ce portrait vous gardez le silence :

L’inconnu vous déplaît sur cette ressemblance ;

Et je vais lui marquer qu’il est enfin haï.

AGATE.

Arrêtez ! N’allez pas abuser votre ami.

ORONTE.

Quoi ! Ses traits vous plairont ?

AGATE.

N’en doutez plus vous-même,

Puisqu’ils ressembleront, Monsieur, à ceux que j’aime.

ORONTE.

Qu’entends-je ?

AGATE.

Qu’ai je dit dans mon égarement !

ORONTE.

Mes traits sont-ils pareils à ceux de votre Amant ?

Que je serais heureux, dans ce jour qui m’alarme,

Si moi-même j’étais cet Amant qui vous charme !

AGATE.

Il est trop vrai. Je dois rougir de mes transports.

ORONTE.

Sortez d’erreur, Agate, et calmés vos remords ;

Vous pouvez vous livrer à votre amour sans honte :

Voyez, à vos genoux, l’Inconnu dans Oronte.

AGATE.

Oh, bonheur surprenant ! Il remplit mes souhaits ;

Et j’ai donné mon cœur à qui je le devais.

Je trouve mon Amant dans mon bienfaiteur même :

Ma fortune s’accroît, faite par ce que j’aime ;

Et la reconnaissance est un tribut bien doux,

Quand l’amour l’a fait naître et l’exige de nous !

ORONTE.

Non, non, Ce n’est plus vous qui m’êtes redevable ;

Votre main est un bien d’un prix inestimable :

J’ai voulu, pour l’avoir, consulter votre goût ;

Et, puisque vous m’aimez, c’est moi qui vous dois tout.

 

 

Scène VIII

 

AGATE, ORONTE, LA COMTESSE, DAMIS

 

LA COMTESSE.

Ciel ! Quelle est ma surprise ! Oronte aux pieds d’Agate !

DAMIS.

À juger pat son air, cet hommage la flatte.

AGATE, à Oronte.

La Comtesse et Damis tournent ici leurs pas,

Oronte, levez-vous.

DAMIS.

Ne vous dérangez pas ;

Je vois qu’à ses leçons vous êtes plus docile.

AGATE.

J’y trouve l’agréable, et l’honnête, et l’utile ;

Les vôtres ne tendaient qu’à séduire mon cœur,

Et les siennes ne vont qu’à faite mon bonheur.

Madame, pardonnés, à cet aveu ! sincère ;

Mais vos progrès conseils m’enseignent à le faire.

Monsieur est l’inconnu qui m’a comblé de bien,

Son amour généreux mérite tout le mien.

LA COMTESSE.

Que m’apprend-on, Monsieur ? Vous êtes l’anonyme !

Un si beau trait pour vous redouble mon estime.

ORONTE, à la Comtesse.

Je mets toute ma gloire à me voir son époux :

J’attends votre agrément pour un lien si doux.

LA COMTESSE.

J’y consens avec joie, et je la félicite :

Son destin est heureux, mais elle le mérite.

DAMIS, à part.

Lucinde me console, et j’en suis adoré.

 

 

Scène IX

 

AGATE, ORONTE, LA COMTESSE, DAMIS, LUCINDE, DORANTE

 

DORANTE, à Lucinde, au fond du Théâtre.

Mon Père approuve enfin notre hymen ignore ;

Cléon, par un Courier, m’apprend cette nouvelle.

LA COMTESSE.

Lucinde vient ici ; Dorante est avec elle !

D’où naît l’enchantement qui paraît dans leurs yeux ?

DAMIS.

Ils se parlent de près.

LA COMTESSE.

Que vois-je ? Justes Cieux !

Il lui baise la main !

DAMIS.

Elle le laisse faire !

DORANTE, à Lucinde.

De ma félicité ne faisons plus mystère,

Je puis la publier au gré de mon amour.

LUCINDE.

Je dois faire éclater ma tendresse à mon tour ;

Le plaisir le plus vif a pénétré mon âme.

LA COMTESSE.

Je ne puis retenir le dépit qui m’enflamme.

À Lucinde.

Courage, poursuivez cet amoureux transport.

Vraiment, de vos froideurs vous vous corrigez fort.

LUCINDE.

Oui, Dorante sur moi remporte la victoire.

LA COMTESSE.

Vous n’en rougissez pas ?

LUCINDE.

Non, j’en fais plutôt gloire,

Je puis marquer pour lui tout l’amour que je sens,

En dépit des jaloux, en tous lieux, en tout temps.

Dans l’éclat du grand jour, dans l’ombre du silence,

Sans blesser la vertu, sans choquer la décence ;

Et même l’embrasser en présence de tous,

Puisque ma flamme est juste, et qu’il est mon époux.

DAMIS.

Ah ! C’est un guet-à-pan !

LA COMTESSE.

Ciel ! Que viens-je d’entendre !

LUCINDE, à la Comtesse.

Je vous frappe à regret par l’endroit le plus tendre :

Mais, puisqu’il faut trancher les discours superflus,

Des motifs importants qui ne subsistent plus,

Me forçant à tenir notre union cachée,

De vous désabuser m’ont tantôt empêchée.

DAMIS, à Lucinde.

Mais l’ingrat dont tantôt vous vous plaigniez si fort ?...

LUCINDE.

C’est mon mari, Monsieur, que j’accusais à tort.

DAMIS.

Ce coup, pour tous les deux, est assommant, Comtesse.

LA COMTESSE.

Il cause ma surprise, et non pas ma tristesse.

Je vois cette union d’un regard de pitié ;

Et Dorante est puni, puisqu’il est marié.

Pour m’en dédommager, j’ai plus d’une conquête.

J’ai fait dans ce château préparer une fête ;

Je veux, pour faire voir que je ris de ces nœuds,

Je veux qu’à l’instant même elle serve pour eux :

Je prétends, qui plus est, y danser la première.

DAMIS.

Je vous imiterai ; c’est la grande manière.

ORONTE, à Damis.

Hé bien, l’événement a trompé ton espoir.

Dorante à la Comtesse a plu sans le vouloir :

Il possède Lucinde, et j’épouse ta brune.

De trois belles, mon cher, te voilà sans aucune.

DAMIS.

Va, je ne me tiens pas encore pour battu ;

Mes charmes prévaudront sur toute leur vertu.

À la Comtesse.

L’affront nous est commun, et ma cause est la vôtre.

LA COMTESSE.

Oui, pour venger nos droits, liguons-nous l’un et l’autre.

DAMIS.

Nous sommes beaux tous deux ; employons nos attraits

Pour ôter à l’hymen les vols qu’il nous a faits.

Forçons-les tous les quatre à brûler d’autres flammes :

Ayez soin des maris je me charge des femmes.

 

 

Scène X

 

LE CHANTEUR, LES DANSEURS, LES DANSEUSES

 

Divertissement.

LE CHANTEUR.

Jeunes Beautés, tendres Amants.
Dont l’âme est, en secret, éprise,
Venez à petit bruit dans ces Jardins charmants :
Venez, la nuit vous favorise :
Sous un masque emprunté profitez des moments.
Ne craignez point les feux dont brillent ces retraites ;
Leurs, clartés, bien loin d’être faites
Pour éclairer les yeux jaloux,
Ne jettent un éclat si doux,
Que pour guider les pas des Bergères discrètes.

Jeunes Beautés, tendres Amants,
Dont l’âme est, en secret, éprise,
Venez à petit bruit dans ces Jardins charmants ;
Venez, la nuit vous favorise :
Sous un masque emprunté profitez des moments.

Vaudeville.

LE CHANTEUR.

I

Par aventure qu’un Époux
Trouve sa femme en rendez-vous
Avec un Abbé qu’elle, estime ;
S’il est un sot, il fait du bruit ;
S’il a du monde et de l’esprit,
Il garde l’anonyme.

II

Que sur un ouvrage goûté
Un rimeur soit félicité,
À l’avouer l’orgueil l’anime ;
Mais, Auteur d’un couplet mordant,
S’il en reçoit un prix cuisant,
Il garde l’anonyme.

III

Qu’un Gascon parvienne aujourd’hui
Par le beau sexe son appui,
Son discours bruyant nous l’exprime ;
Mais au jeu, par un art heureux,
S’il corrige le fort fâcheux,
Il garde l’anonyme.

Au parterre.

Si, par bonheur, la Pièce a pris,
Messieurs, par un aimable, (bis.)
Que votre bouche nous l’exprime ;
Si l’ouvrage ne vous plaît pas,
Arlequin vous prie, en ce cas,
De garder l’anonyme.

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