Le Séducteur et son élève (Charles DESNOYERS)

Drame en deux actes

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Ambigu-Comique, le 22 avril 1829.

 

Personnages

 

RÉMIVAL, négociant

ROGER, ouvrier en bijouterie, âgé de 36 à 40 ans

ALFRED, son pupille, âgé de 21 ans

MADAME DURAND, ouvrière

CAROLINE, ouvrière

UN CAPITAINE DE VAISSEAU

DOMINIQUE, vieux domestique de Rémival

DOMESTIQUES

 

La Scène se passe à Marseille.

 

 

ACTE I

 

Le Théâtre représente une chambre très simplement meublée. Au fond, la porte d’entrée. À la gauche, une fenêtre donnant sur la rue. À droite, une porte conduisant à une pièce voisine de celle où se passe l’action.

 

 

Scène première

 

MADAME DURAND, CAROLINE

 

Au lever du rideau, Madame Durand est assise, et travaille. Саroline s’est levée de sa chaise, et, tenant à la main son ouvrage ; regarde dans la rue, par la fenêtre.

MADAME DURAND.

Caroline ?

CAROLINE.

Ma bonne.

MADAME DURAND.

Que regardes-tu donc à la fenêtre ?

CAROLINE.

Rien... rien du tout.

MADAME DURAND.

Vraiment ?

CAROLINE.

Vraiment.

Elle va s’asseoir.

MADAME DURAND.

Au fait, ce n’est pas encore l’heure où il doit venir.

CAROLINE.

Qui donc, ma bonne ?

DURAND.

Lui.

CAROLINE.

M. Alfred ?

MADAME DURAND.

Eh ! oui, M. Alfred. Crois-tu donc que je sois aveugle ?

CAROLINE.

Ah ! je t’assure bien, par exemple...

MADAME DURAND.

Que tu ne penses jamais à lui ?

CAROLINE.

Ah ! jamais, c’est beaucoup dire.

MADAME DURAND.

Oui, ce serait trop... C’est un jeune homme si aimable !

CAROLINE.

N’est-ce pas ?

MADAME DURAND.

Il vaut bien la peine qu’on s’en occupe de temps en temps. Mais, dis-moi, Caroline : ne trouves-tu pas qu’avec toutes ses qualités, on dirait parfois qu’il n’a pas le sens commun ?

CAROLINE.

Ma bonne !...

MADAME DURAND.

Lorsqu’il vient nous voir avec M. Roger, son tuteur, et notre voisin comme lui, c’est toujours celui-ci qui entretient toute la conversation.

CAROLINE.

C’est vrai, parce qu’il est timide.

MADAME DURAND.

Timide avec nous ! Et pourquoi ? Avec de pauvres ouvrières !

CAROLINE.

Il n’est pas plus que nous ; car il passe à travailler presque toutes ses journées.

MADAME DURAND.

Raison de plus ; entre voisins, d’ailleurs...

CAROLINE.

Que veux-tu ? sa timidité ne me déplaît point à moi, parce que j’en ai deviné la cause.

MADAME DURAND.

En vérité !

CAROLINE.

Tu sais bien, quand il vient ici, pendant ses heures de repos, il se place toujours à côté de moi, par ici... tandis que M. Roger te parle, te conte des histoires, et t’en fait conter ; car il connaît ton caractère, et il s’y conforme pour te faire plaisir... Eh bien ! pendant ce temps-là, M. Alfred...

DURAND.

Que te dit-il ?

CAROLINE.

Rien, ou du moins si peu de chose, que cela ne vaut pas peine d’en parler. Par exemple, ses yeux sont toujours fixés sur les miens... De temps en temps, il a l’air de vouloir rompre le silence ; mais au moment de me parler, il s’arrête tout court, soupire, et me regarde encore ; mais d’un air si ému, si touchant ! qu’en vérité j’aime mieux ces regards-là que toutes les conversations du monde.

MADAME DURAND.

Ah ! ma pauvre enfant, je te plains !

CAROLINE.

Pourquoi ?

MADAME DURAND.

Je ne sais ; mais cet amour-là m’inquiète.

CAROLINE.

Que dis-tu, ma bonne ?

MADAME DURAND.

Enfin, où cela vous mènera-t-il, M. Alfred et toi ? vous n’êtes pas plus riche l’un que l’autre...

CAROLINE.

Qu’importe ?

MADAME DURAND.

Caroline, souviens-toi de ta mère !

CAROLINE.

De ma mère !

MADAME DURAND.

À ton âge, elle était comme toi, confiante, sans expérience : elle aima, elle se crut aimée, c’est à l’amour qu’elle a dû tous ses malheurs.

CAROLINE.

Grand dieu ! pourquoi me rappeler...

MADAME DURAND.

Allons, n’en parlons plus.

CAROLINE.

Non, n’en parlons plus.

MADAME DURAND.

Quelle date sommes-nous aujourd’hui ?

CAROLINE.

Le 25 juillet.

MADAME DURAND.

Tu en es sure ?... Alors c’est demain que doit échoir notre lettre-de-change.

CAROLINE.

Ah ! oui, celle que vous devez toucher chez M. Déricourt, le négociant.

MADAME DURAND.

Oui, mon enfant. Demain, de grand matin, nous irons en semble ; car nous avons besoin d’argent.

CAROLINE.

C’est pourtant vrai.

MADAME DURAND.

Pour en revenir à M. Alfred...

CAROLINE.

Eh bien ! ma bonne ?...

On frappe.

Ah ! c’est lui, peut-être ?

MADAME DURAND.

Oui, probablement.

CAROLINE.

Je vais ouvrir.

MADAME DURAND, pendant que Caroline ouvre la porte.

Pauvre enfant ! le bon, Dieu veuille qu’elle soit plus heureuse que sa mère !...

 

 

Scène II

 

MADAME DURAND, CAROLINE, ROGER, ALFRED

 

ROGER, entrant le premier, à Caroline.

Bonjour, ma petite voisine. Madame Durand, comment va la santé ?

MADAME DURAND.

Pas mal, pas mal, grâce à Dieu !

ROGER, à Alfred.

Eh bien ! parle donc, toi... Quand tu resteras là, planté comme une perche, et sans rien dire ?...

ALFRED.

Madame... Mademoiselle... j’ai l’honneur...

ROGER.

En vérité je ne sais pas ce qu’il a depuis quelque temps ; mais on dirait que le pauvre garçon a perdu la tête. Tant que la journée dure, il ne dit pas un mot : la nuit il ne dort pas... ça me fait de la peine, à moi, parole d’honneur ! Allons, ma petite voisine, tâchez donc de l’égayer un peu, de le faire jaser ; car, autrement, je ne sais pas ce que ça deviendrait. Voyons, asseyez-vous là sans façon ; il ne faut que notre arrivée vous dérange.

Caroline s’assied, Alfred se place à côté d’elle.

À la bonne heure... Ah ! ça, Madame Durand, je n’ai pas d’histoires à vous conter aujourd’hui.

MADAME DURAND.

C’est égal, j’en ai deux, moi.

ROGER.

Deux ! ah diable ! Tarit mieux ; mais auparavant voilà ce que je vous ai promis.

Il lui remet un journal.

MADAME DURAND.

Le journal !

ROGER.

Oui, dans notre atelier de bijouterie, nous nous sommes réunis trois ou quatre pour prendre un abonnement, et je vous l’apporterai tous les jours.

MADAME DURAND.

Bien obligé. Je vous conterai mes histoires après avoir lu.

ROGER.

Oh ! ne vous gênez pas, j’ai le temps d’attendre.

ALFRED, depuis qu’il est auprès de Caroline, il a semblé plusieurs fois vouloir lui adresser la parole ; il en prend de nouveau la résolution ; mais, au moment de lui parler, il hésite encore et tousse pour se donner une contenance.

Hum... hum...

Moment de silence.

Mademoiselle...

CAROLINE.

M. Alfred...

ALFRED, montrant la broderie à laquelle travaille Caroline.

Cet ouvrage est fort joli.

CAROLINE.

Trouvez-vous ?

ALFRED.

Qui, sans flatterie... Je trouve... hum... hum...

ROGER.

Tu es bien enrhumé, mon pauvre Alfred ?

MADAME DURAND.

C’est vrai ; je le remarquais tout à l’heure en lisant.

ALFRED.

Ce n’est rien, Madame... rien du tout.

ROGER, à Madame Durand, en lui montrant le journal.

C’est amusant, n’est-ce pas ?

MADAME DURAND.

Très amusant.

ROGER.

Je le crois bien, le Moniteur !

ALFRED, à demi-voix à Caroline.

Ah ! Mademoiselle...

CAROLINE, de même.

Eh bien ?

ALFRED.

Si vous saviez...

CAROLINE.

Quoi donc ?

ALFRED.

Non, non, vous ne le savez pas, vous ne pouvez le savoir... Moi seul... Ah ! je sais bien malheureux !

CAROLINE.

Vous, malheureux ! comment ?

ALFRED.

Caroline !

CAROLINE.

M. Alfred !

ALFRED.

Voulez-vous connaître mon secret ?

CAROLINE.

Votre secret ?

ALFRED.

Non, vous ne le voulez pas ?

À part.

Elle se tait ; elle refuse de m’entendre !

Il se lève, et parcourt le Théâtre en long et en large, d’un air de dépit ; puis il tire un billet de sa poche.

ROGER, à part, en regardant Alfred.

Un billet doux ! il ne m’en avait pas parlé.

Alfred, parés avoir hésité beaucoup, place son billet sous les yeux de Caroline, et, dans le moment même, la pendule, placée sur la cheminée, sonne deux heures. Madame Durand, endormie depuis un instant, se réveille en sursaut, et Alfred remet son billet dans sa poche.

MADAME DURAND.

Deux heures ! ah ! mon Dieu !

ALFRED, à part.

Là ! au moment où j’allais lui remettre...

MADAME DURAND, se levant.

Caroline, il faut que nous portions à l’instant même cet ouvrage... Mon voisin, c’est aujourd’hui dimanche, vous êtes libre le reste de la journée, et si j’osais vous demander un service...

ROGER.

Deux, si vous voulez, Madame Durand.

MADAME DURAND.

Caroline et moi nous avons à sortir ; mais, pour ma part, je reviens dans un instant... Comme il serait possible qu’on vînt me commander de l’ouvrage...

ROGER.

Eh bien ! nous garderons la maison.

MADAME DURAND.

Ça ne vous gêne pas ?

ROGER.

Comment donc ! entre voisins...

MADAME DURAND.

Bien obligé. Viens, Caroline.

CAROLINE.

Sans adieu, M. Alfred.

ALFRED.

Mademoiselle...

MADAME DURAND.

À propos, que je marque l’endroit où j’en suis resté, la troisième colonne.

ROGER.

Vous n’en avez plus que neuf à lire.

MADAME DURAND.

Je crois vraiment que le Moniteur commençait à m’endormir.

ROGER.

Eh bien ! ça ne m’étonne pas. Depuis que j’y suis abonné, je dors deux fois plus qu’auparavant. Au revoir, ma voisine.

MADAME DURAND, sur le seuil de la porte.

Au revoir.

ROGER, la regardant sortir.

Ah ! l’excellente femme !... Mais elle ne m’entend plus, changeons de personnage.

Pendant la scène suivante, son ton et ses manières ne sont plus les mêmes. Ce n’est plus Roger, ouvrier en bijouterie ; c’est Déricourt, homme du monde.

 

 

Scène III

 

DÉRICOURT, ALFRED

 

DÉRICOURT.

Eh bien ! mon ami ?

ALFRED.

Eh bien ?

DÉRICOURT.

Te souviens-tu de ce que tu me disais, il y a une heure, en bas de l’escalier : « Sois tranquille, mon cher Déricourt, cette fois, je suis sûr de moi. Tu vas voir comme je profiterai de tes leçons. » Je te félicite, mon ami, tu as tenu ta parole, et l’entrevue que nous venons d’avoir, a bien avancé tes amours.

ALFRED.

Que veux-tu ? Je n’ai pas encore été maître de moi ; mais sois assuré que la première fois...

DÉRICOURT.

La première fois ! Eh ! mon dieu ! tu n’en diras pas davantage !... Et qu’est-ce que c’est encore que billet que tu n’as pas osé lui présenter ?

ALFRED.

J’allais le faire, lorsque deux heures ont sonné.

DÉRICOURT.

Voyons, montre-moi cela.

Alfred le lui remet.

Je te ferai observer d’abord que tu as eu tort d’écrire sans me consulter. Je t’aurais empêché de faire une sottise.

ALFRED.

Comment ?

DÉRICOURT.

Oui, mon ami, une sottise. Que diable ! il faut marcher avec le siècle. On écrivait des billets doux avant la révolution, maintenant, rien de plus ridicule. Voyons un peu.

Il lit.

« Caroline !! »

S’arrêtant.

Caroline avec deux points d’exclamation, c’est charmant ! « Caroline !! je t’aime, et je suis bien à plaindre, si pour le savoir, tu as attendu jusqu’à présent... Je t’aime, ah ! ce mot ne suffit point encore pour peindre le sentiment que j’éprouve... ! » Pitoyable, absurde ! C’est le classique du billet doux. Je n’ai pas besoin d’en lire davantage.

Il le déchire.

ALFRED.

Comment ! tu déchires ?...

DÉRICOURT.

Je le dois pour ton honneur, et surtout pour le mien, puis que je me suis chargé de ton éducation.

ALFRERD.

Un billet qui m’avait coûté deux heures de travail !

DÉRIDOURT.

Raison de plus.

ALFRED.

Mais enfin...

DÉRICOURT.

Écoute-moi, et fais-moi le plaisir de ne pas m’interrompre.

ALFRED.

Je te le promets.

DÉRICOURT.

À la bonne heure. Il y a six semaines, mon ami, que tu es, amoureux, mais amoureux à en perdre la tête, et de qui ? d’une petite fille, sans fortune, sans famille, toi, le fils de M. de Rémival, l’un de nos premiers négociants ; toi, qui n’as qu’un mot à dire pour épouser Madame de Saint-Alban, le plus riche parti de Marseille.

ALFRED.

Mon ami...

DÉRICOURT.

Passons. La petite est fort jolie, et c’est assez à mes yeux pour excuser toutes les folies du monde. Moi, l’associé de ton, père, son ami, et surtout le tien, mon cher Alfred, je m’aperçois que tu n’es plus le même, que tu deviens triste, mélancolique. Je suis tes pas, et je te vois regarder attentivement une jeune personne qui entrait dans celle maison. Ce n’est pas tout, Je te vois rester en faction trois heures sous ses fenêtres, et t’en aller sans l’avoir vue, ou sans avoir osé lui parler... Je prends pitié de toi, et comme je puis me flatter d’avoir approfondi l’art de la séduction, je t’offre mes conseils, mes services, tu consens à te laisser conduire, et je fais pour toi ce qu’en pareil cas j’aurais fait autrefois pour moi-même. J’imagine un moyen de m’introduire chez la jeune personne : tous deux, sous ces habits, nous venons louer une petite chambre au dessus de la sienne. À titre de voisins, nous rendons une visite, deux, trois ; enfin nous nous habituons à passer ici deux ou trois heures par jour. Certes, c’était un coup de maître, et tu n’en as pas profité.

ALFRED.

Mais, mon ami, si tu savais...

DÉRICOURT.

Alfred, vous n’avez promis de ne pas m’interrompre... Je poursuis : Six semaines se sont écoulées, six semaines ! C’eût été très peu de chose du temps d’Amadis ; mais comme, depuis ce temps-là, la civilisation a fait des progrès extraordinaires, aujourd’hui, c’est dix fois plus qu’il n’en faut. Grâce à mon adresse, à ma patience, tu as eu cent occasions de lui dire : Je vous aime... Et tu as mieux aimé lui parler de la pluie et du beau temps. Que prétends-tu donc faire ? Crois-tu que je vais longtemps encore me condamner, pour ton bon plaisir, à faire la partie de Madame Durand, à écouter ses ennuyeuses histoires, pendant que tu soupireras auprès de ta belle, sans avancer à rien ? Non, Monsieur, non, le temps des épreuves est passé. Si aujourd’hui, aujourd’hui même, tu n’as pas mis à profit, au moins une partie de mes sages conseils, je le renonce pour élève, et je t’abandonne à ton malheureux sort. J’ai dit. Maintenant, répondez, Alfred, je vous accorde la parole.

ALFRED.

Mon ami, je reconnais mes torts.

DÉRICOURT.

Ah ! c’est bien heureux !

ALFRED.

Mais, comment veux-tu qu’aujourd’hui je puisse les réparer ?

DÉRICOURT.

Il le faut, et je me charge encore de t’en procurer les moyens. Dans un instant peut-être, c’est-à-dire, dès que la jeune personne sera de retour, je t’obtiens un tête-à-tête avec elle.

ALFRED.

Un tête-à-tête ?

DÉRICOURT.

Après cela, si tu ne réussis pas, tant pis pour toi.

ALFRED.

Mais comment t’y prendras-tu ?

DÉRICOURT.

Ne t’en inquiète pas, c’est mon affaire.

ALFRED.

Ah ! mon ami, que de reconnaissance ne te dois-je pas ? Un tête-à-tête avec elle ! avec Caroline ! quel bonheur !... Oui, mais dis-moi donc ?

DÉRICOURT.

Eh bien ?

ALFRED.

Que faudra-t-il que je lui dise ?

DÉRICOURT.

Ah ! parbleu, te voilà bien embarrassé ! vingt-un ans, majeur depuis trois mois, et pas encore les premiers principes. Cela fait pitié, parole d’honneur.

ALFRED.

Oui, tu as raison, moque-toi de moi, tu le peux, je le mérite.

DÉRICOURT.

Sans contredit.

ALFRED.

Où diable aussi me suis-je avisé de vouloir faire le séducteur ? Sortant à peine du collège, gauche, timide, sans expérience, j’ai cru, grâce à tes conseils, qu’il n’y avait rien de plus facile, j’ai cherché à t’imiter, et combien de fois dans ce monde brillant où tu me conduisais, parmi ces femmes à la mode auxquelles j’essayais de plaire, j’ai remarqué qu’on me montrait au doigt, qu’on s’amusait à mes dépens.

DÉRICOURT.

C’est vrai.

ALFRED.

Eh ! comment aurai-je pu réussir auprès d’elle, puisque je tremble avec Caroline, un enfant, une simple ouvrière, puisque j’ose à peine la regarder, lui adresser la parole ?

DÉRICOURT.

Pauvre garçon !

ALFRED.

Mon ami, mon cher Déricourt, prends pitié de mon amour, de ma folie ! Je m’abandonne à toi, obtiens-moi cette entrevue dont tu m’as parlé tout à l’heure. Je dirai à Caroline... je lui dirai... Tu m’expliqueras ce qu’il faudra lui dire... Mais enfin, que je la voie, que je sois seul un instant avec elle, et je te devrai plus que la vie.

DÉRICOURT.

Eh bien... je vais t’apprendre comment je m’y prenais il y a dix-sept ans : j’en avais vingt alors, un de moins que toi, mon pauvre Alfred, et déjà j’aurais pu servir de maître à tous les amoureux de ta façon. Je voyageais alors en Italie : en passant par Florence, je fais la rencontre de la plus jolie personne : seize à dix-sept ars tout au plus, un ange enfin !...

ALFRED.

Comme Caroline, n’est-ce pas ?

DÉRICOURT.

Soit, comme Caroline... Je ne te dirai pas comment je m’y pris pour parvenir jusqu’à elle, pour faire sa connaissance, pour la préparer à l’aveu de mon amour ; ce n’est pas là ton affaire, puisqu’avec moi tu n’as pas eu besoin de t’en inquiéter... J’arrive à notre premier tête-à-tête : je l’obtins au bout de quinze jours, et je l’obtins d’elle-même ; ce que tu ne feras point encore : c’est toujours moi qui m’en charge. À peine Éléonore se trouve-t-elle auprès de moi (ceci te regarde à présent), que sans faire de phrases, sans lui donner le temps de respirer (c’est ainsi qu’il faudra t’y prendre), je me jette à ses genoux, et je lui dis... Que sais-je ? tout ce qui me passe par la tête ; je vous aime, je vous adore, je meurs si vous ne partagez mon amour... Enfin tous ces lieux communs, absurdes dans une lettre, mais immanquables dans un aveu de vive voix.

ALFRED.

Après ?

DÉRICOURT.

Éléonore, émue déjà comme toutes les femmes le sont en pareille occasion, veut s’éloigner de moi ; je me précipite sur son passage, elle m’ordonne de sortir, je saisis mon épée, et je la menace de m’en percer à ses yeux... Tu n’as pas d’épée, mais tu pourras au besoin menacer Caroline de te jeter par la fenêtre ; cela ne manque jamais son effet.

ALFRED.

Et dis-moi, cette Éléonore, qu’est-elle devenue ?

DÉRICOURT.

Je l’ignore.

ALFRED.

Comment ! tu as pu l’abandonner ?

DÉRICOURT.

Ma foi, je t’avouerai, mon ami, qu’alors, quoique bien plus avancé que toi, j’ai senti quelques chagrins, des remords même en m’éloignant d’Éléonore. Peut-être même aurais-je fait la folie de l’épouser, sans sa famille : son frère, le plus méchant, le plus vindicatif des Italiens, me menaça de m’y contraindre... Voilà seulement ce qui m’a déterminé.

ALFRED.

Et depuis, tu n’en as point entendu parler ?

DÉRICOURT.

Jamais !... Quelques-uns de mes fidèles amis m’ont dit, qu’après mon départ, le Florentin avait fait quelques démarches pour me retrouver pour, se venger de moi. (Et Dieu sait comment on se venge à Florence).

ALFRED.

Ah ! oui, je l’ai entendu dire : les spadassins, les poignards, le poison...

DÉRICOURT.

Oui, mon cher, c’est la mode en Italie ; mais comme j’avais en soin de déguiser mon nom, les recherches de Laurenzo, c’est le nom du frère en question, ont toujours été inutiles. Eh bien, malgré le temps, malgré la fermeté de mes principes, je regrette toujours Éléonore. Il est des fois où en pensant à elle, je me surprends à verser une larme... Tiens maintenant encore... Allons, n’en parlons plus ; c’est de toi qu’il s’agit. Je vais te procurer l’entrevue que je l’ai promise, et puis, tu suivras mon exemple.

ALFRED.

Mais quel moyen ?...

DÉRICOURT.

J’en ai mille ! Attends, si j’écrivais... Oui, c’est cela, délicieux !

Il s’assied près d’une table, sur un des côtés de la scène, et écrit.

ALFRED.

Que fais-tu donc ?

DÉRICOURT.

Tu le vois, j’écris.

ALFRED.

À qui ?

DÉRICOURT.

À Madame Durand.

ALFRED.

Madame Durand !

DÉRICOURT.

Ah ! dis-moi, comment s’appelle donc ce notaire, qui loge à l’autre bout de Marseille ? Tu sais bien.

ALFRED.

M. Morin ?

DÉRICOURT.

Précisément, maître Morin...

Se levant après avoir écrit.

Va, mon ami, tout mon plan est dans ma tête, et je suis sûr de réussir. Je sors. J’envoie le premier commissionnaire porter cette lettre en bas chez le portier... Madame Durand qui doit revenir la première, va la trouver à son retour, et tout est assuré.

ALFRED.

Mais comment ?... m’expliqueras-tu ?...

DÉRICOURT.

Eh morbleu ! laisse-toi conduire... Que diable ! tu sais que je m’y connais... Je descends, je vole, et je suis à toi dans cinq minutes.

Il sort en courant.

 

 

Scène IV

 

ALFRED, seul

 

Que va-t-il faire ?... Ah ! je tremble d’avance, mais, si je l’en crois, je vais voir Caroline, je serai seul avec elle... quel bonheur ! et cependant j’éprouve encore un embarras, une crainte involontaire, quand je songe que tout à l’heure... Allons, allons, du courage ! Non, maintenant je ne redoute plus la présence de celle que j’aime ; je suis sûr de moi... Désormais, je ne veux plus être timide, je veux... Ciel ! j’entends quelqu’un... C’est elle peut-être... Non, c’est Déricourt qui revient.

 

 

Scène V

 

ALFRED, DÉRICOURT

 

DÉRICOURT.

Oui, c’est moi-même. J’ai fait remettre le billet chez le portier, et, comme je l’avais présumé, la bonne femme vient d’arriver un instant après. Je l’ai aperçue de loin, et je suis remonté sur-le-champ pour t’aider à la recevoir. Tiens, la voici.

 

 

Scène VI

 

ALFRED, DÉRICOURT, MADAME DURAND

 

Elle tient un billet à la main.

DÉRICOURT.

Ah ! vous voilà de retour, ma chère Madame Durand.

MADAME DURAND.

Oui, j’ai été plus longtemps en course que je n’aurais voulu, et je me vois obligée de repartir à l’instant même.

DÉRICOURT.

Comment ! et pourquoi ?

MADAME DURAND.

Cette lettre que je viens de recevoir... Oh ! vous pouvez la lire

DÉRICOURT.

Bien obligé.

Il lit.

« Maître Morin, notaire à Marseille, a l’honneur de prier Madame veuve Durand de passer sur le-champ à son étude, pour une affaire qui l’intéresse.

ALFRED, bas.

Comment ! tu as osé !...

DÉRICOURT, continuant de lire.

« Il faudra qu’elle se munisse de son acte de naissance de son contrat de mariage, et de l’extrait mortuaire de son mari. 

« Signé, DUFOUR, premier Clerc. »

MADAME DURAND.

Je ne sais ce que cela veut dire... 

DÉRICOURT.

Allez toujours, c’est peut-être un héritage.

ALFRED.

Ah ! mon ami, c’est affreux !

DÉRICOURT, bas à Alfred.

Laisse-moi donc tranquille.

Madame Durand.

Vous n’avez pas un instant à perdre.

MADAME DURAND, rassemblant des papiers qu’elle prend dans un tiroir de la table.

Mais n’est-ce pas abuser de votre complaisance ?...

DÉRICOURT.

Du tout, cela nous fait plaisir. Allons, dépêchez-vous.

MADAME DURAND.

Je vous remercie encore une fois, mon cher M. Roger.

DÉRICOURT.

Il n’y a pas de quoi, ma chère Madame Durand.

Elle sort.

 

 

Scène VII

 

DÉRICOURT, ALFRED

 

DÉRICOURT, fermant la porte.

Bon voyage ! Maintenant nous avons le champ libre pour une ou deux heures... Eh bien ! qu’as-tu donc ? te voilà tout consterné ?

ALFRED.

C’est qu’en vérité je rougis du moyen que tu viens d’employer.

DÉRICOURT.

Vraiment ! tu y penses encore ?

ALFRED.

Se jouer à ce point de la crédulité de cette pauvre femme !

DÉRICOURT.

Mon cher ami, sans la crédulité des pères, des mères, des gouvernantes et des maris, on ne réussirait jamais en amour. Aussi arrive-t-il rarement, dans le monde, qu’on se fasse un scrupule de s’amuser à leurs dépens.

Regardant par la fenêtre.

La bonne femme est déjà bien loin, car je ne l’aperçois plus. À merveille ! voici la jeune personne...

ALFRED.

Caroline !

DÉRICOURT.

Oui, Caroline... elle rentre dans la maison... elle monte l’escalier... Heureux mortel ! Je te laisse avec elle, et je remonte dans notre pied-à-terre.

ALFRED.

Déricourt !

DÉRICOURT.

Maintenant, profite de mes leçons ; sinon n’attends plus rien de moi... Adieu !

Il sort.

 

 

Scène VIII

 

ALFRED, CAROLINE

 

ALFRED, sur le seuil de la porte.

Déricourt, mon ami ! il ne m’écoute pas, il est déjà loin ! Et Caroline... elle approche... Ah ! comme le cœur me bat... La voici !...

CAROLINE, entrant.

M. Alfred... Vous êtes seul ici ?

ALFRED.

Oui, Mademoiselle... Madame Durand vient de repartir à l’instant.

CAROLINE.

Et M. Roger ?

ALFRED.

Roger... Roger... est absent comme elle.

CAROLINE.

Je le vois bien.

ALFRED.

Peut-être cela vous déplaît-il ?

CAROLINE.

Quoi donc ?

ALFRED.

D’être seule avec moi ?

CAROLINE.

Je ne vois pas... pour quelle raison...

ALFRED.

Et moi... moi... je bénis le hasard qui me procure l’occasion... Caroline, vous ne m’écoutez pas ?

CAROLINE.

Pardon... Je ne perds pas un mot de ce que vous me dites.

ALFRED, s’approchant d’elle.

Ah ! Caroline !

CAROLINE.

Alfred !

ALFRED.

Je t’aime !

CAROLINE.

Je le savais...

ALFRED.

Vraiment ?... mais peut-être vous vous offensiez de mon amour ?

CAROLINE.

Non.

ALFRED.

Non ! tu partageais ma tendresse ?

CAROLINE.

Oui.

ALFRED.

Ah ! je suis trop heureux !... je suis aimé, et moi qui craignais jusqu’à présent de te faire cet aveu ; moi qui, pendant six semaines, ai gardé le silence... Insensé que j’étais ! tu m’aimes, Caroline ! tu m’aimes, je n’en puis plus douter, tu me las dit... Ah ! j’en mourrai, je crois, de joie et de bonheur !

CAROLINE.

Cher Alfred !

ALFRED.

Chère Caroline !... Dis-moi, nous continuerons de nous voir tous les jours ?

CAROLINE.

Oui, tous les jours.

ALFRED.

Et maintenant j’oserai t’adresser la parole ; je ne tremblerai plus : Je suis aimé !... Tu me répondras, n’est-il pas vrai ?

CAROLINE.

Mais comment y parvenir ? entourés de témoins...

ALFRED.

N’importe... N’est-il pas toujours un moyen de s’entendre ?

CAROLINE.

Oui, puisque depuis longtemps j’avais deviné votre secret.

ALFRED.

Mais ce n’est pas tout : de temps en temps il faudra te soustraire à ces témoins importuns.

CAROLINE.

Que dites-vous ?

ALFRED, lui prenant la main.

Caroline... cette entrevue... elle est délicieuse... sera-t-elle la dernière ?

CAROLINE.

Non. Je l’espère du moins. Le hasard...

ALFRED.

Le hasard ? il n’y faut pas compter... mais lorsqu’on est d’accord, on peut se rejoindre.

CAROLINE.

Alfred... ce serait mal.

ALFRED.

Non, non, tu ne le crois pas... notre amour ne peut être coupable... Tu me le promets, n’est-ce pas, tu te confieras à moi, et quelquefois... Lorsque l’on s’aime, la présence d’un tiers est si pénible, si fatigante... Nous voir tous les jours, et craindre à chaque instant qu’on ne lise notre secret dans nos yeux, n’oser nous parler que de choses indifférentes !... Ah ! ce supplice est affreux, insupportable... Caroline, ou tu ne m’aimes pas, ou tu ne pourras me refuser.

CAROLINE.

Hélas !

ALFRED.

Ta consentiras, n’est-il pas vrai ?

CAROLINE.

Je le crains.

ALFRED, lui baisant la main.

Mon amie !

CAROLINE, se reculant avec frayeur.

Alfred !

ALFRED.

Eh bien ! qu’as-tu ?

CAROLINE.

Je tremble.

ALFRED, l’embrassant.

Chère Caroline !

CAROLINE.

Que faites-vous ? ô ciel !

On frappe à la porte.

ALFRED.

Qu’entends-je ?

CAROLINE.

Ah ! nous avons eu tort.

MADAME DURAND, en dehors.

Eh bien ! ouvrez-moi donc, M. Roger.

ALFRED.

Madame Durand !

CAROLINE, bas.

Alfred... par pitié... Si vous étiez là je ne pourrais soutenir sa présence.

ALFRED, à demi-voix.

Oui, oui, je te comprends.

Il ouvre une porte conduisant à une pièce voisine.

Je saurai trouver un instant pour m’échapper... Je suis aimé !

Il entre dans la chambre.

CAROLINE, allant ouvrir la porte du fond.

Grand dieu !

 

 

Scène IX

 

MADAME DURAND, CAROLINE

 

MADAME DURAND.

Comment c’est toi, Caroline ? Tu es seule ici ? Ils sont donc partis ?

CAROLINE.

Oui, depuis un instant.

MADAME DURAND.

Ah ! ma pauvre enfant, si tu savais ce qui vient de m’arriver, le tour affreux qu’on m’a joué ! Tiens, lis ce billet que j’ai trouvé chez le portier, il y a une heure à-peu-près.

CAROLINE, lisant les premiers mots du billet.

« Maître Morin, notaire... »

MADAME DURAND.

Non, je n’en reviendrai de ma vie !

CAROLINE, après avoir lu tout bas.

Eh bien ! quel était le motif ?

MADAME DURAND.

Rien du tout. J’arrive chez ce notaire, je demande à lui parler ; on me dit qu’il était depuis huit jours à la campagne. « C’est impossible ! j’ai rendez-vous avec lui. Je suis Madame Durand. – Madame Durand ? répond un de ceux qui m’entouraient, je n’ai pas l’avantage... Connaissez-vous Madame Durand, dit-il à son voisin ? – Non, et vous ? – Ni moi non plus. – Ni moi. – Ni moi. – Ni moi. » Enfin personne dans l’étude ne semblait s’attendre à ma visite. « – Au moins pourrai-je parler à M. Dufour ? – Qu’est-ce que c’est que M. Dufour ?... – Votre premier clerc. – Vous vous trompez, Madame, reprend le plus âgé de ces Messieurs, c’est moi qui suis le premier clerc, et ce n’est pas là mon nom. – Mais enfin, Monsieur, cette lettre que j’ai reçue ?... » Je la lui remets, il la parcourt et sourit. Bientôt elle passe de main en main ; on se parle bas, on me regarde d’un air moqueur, et chacun d’eux, jusqu’au saute-ruisseau de l’étude, se retient pour ne pas éclater de rire. Enfin, le premier clerc me remet poliment cette maudite lettre, en me disant : « C’est une mystification. » Dis-moi, Caroline, conçois-tu rien à tout cela ?

CAROLINE.

Non, ma bonne.

MADAME DURAND.

Moi, j’ai beau me creuser la tête...

En disant ces mots, elle a ôté son châle, et va pour entrer dans la chambre où est caché Alfred.

CAROLINE, l’arrêtant.

Ma bonne !

MADAME DURAND.

Eh bien ! qu’as-tu donc ?

CAROLINE.

Rien, rien, c’est que...

MADAME DURAND, marchant toujours vers la chambre voisine.

Attends, attends, je suis à toi.

CAROLINE, se laissant tomber sur un fauteuil.

Ô ciel ! je suis perdue !

Madame Durand est au moment d’ouvrir la porte, lorsqu’on frappe à celle du fond.

MADAME DURAND.

Hein ! qu’est-ce que c’est ?

Elle pose son châle sur une chaise, et va ouvrir.

 

 

Scène X

 

MADAME DURAND, CAROLINE, RÉMIVAL

 

MADAME DURAND, à part.

Quel est ce Monsieur ?

RÉMIVAL, saluant.

N’est-ce pas à Madame Durand que j’ai l’honneur de m’adresser ?

MADAME DURAND.

C’est moi-même, Monsieur.

RÉMIVAL.

Cette jeune personne n’est pas votre fille ?

MADAME DURAND.

Monsieur, depuis un an, je lui sers de mère. Mais cette question...

RÉMIVAL.

Mille pardons, Madame, vous me rappelez en effet que je n’ai pas le droit de la faire. Je reviens à l’objet qui m’amène. Je me nomme Rémival.

MADAME DURAND.

Eh bien ! Monsieur ?...

RÉMIVAL.

Vous devinez sans doute le motif de ma visite ?

MADAME DURAND.

Non, Monsieur.

RÉMIVAL.

Et vous, Mademoiselle ?

CAROLINE.

Ni moi non plus.

RÉMIVAL.

Comment, vous ne comprenez pas ? Je vais donc m’expliquer, je viens demander mon fils.

MADAME DURAND.

Votre fils ?

CAROLINE.

Comment ?

RÉMIVAL.

Il est inutile de feindre avec moi. J’ai fait observer ses démarches, ses pas, je sais qu’il vient ici tous les jours, et je crois même qu’il doit y être à présent.

CAROLINE.

Monsieur, je ne puis vous comprendre.

RÉMIVAL.

Vous l’aimez sans doute, Mademoiselle, et je le crois, vous méritez bien qu’il vous aime ; mais il faut avant tout que je songe à son avenir. Il faut, dussé-je vous affliger tous les deux, que je vous sépare l’un de l’autre. Le mariage fils est arrêté avec Madame de Saint-Alban, et demain...

Ici Alfred sort de la chambre où il était caché.

 

 

Scène XI

 

MADAME DURAND, CAROLINE, RÉMIVAL, ALFRED

 

ALFRED.

Comment ! que signifie ?... Mon mariage !... Madame de Saint-Alban ?... Jamais ! jamais !...

CAROLINE.

Ô ciel ! Alfred, vous m’avez trompée !

ALFRED.

Non, Caroline, tu es la seule que j’aime : jamais une autre ne sera mon épouse !

RÉMIVAL.

Venez, Alfred...

ALFRED.

Non, non, aucune puissance humaine ne m’arrachera de ces lieux.

 

 

Scène XII

 

MADAME DURAND, CAROLINE, RÉMIVAL, ALFRED, DÉRICOURT

 

DÉRICOURT, paraissant du fond du théâtre.

Ciel ! que vois-je ?

RÉMIVAL.

Ah ! vous voilà, Monsieur ? J’étais bien sûr de vous trouver ici.

DÉRICOURT.

Mon ami...

RÉMIVAL.

Moi, votre ami ? jamais !

DÉRICOURT, à Alfred.

Mon cher Alfred...

ALFRED.

Laisse-moi ; tiens, voilà ton ouvrage !

DÉRICOURT.

Mon ouvrage ?

MADAME DURAND, à Déricourt, en lui montrant Caroline.

C’est à vous qu’elle devra tous ses malheurs !

DÉRICOURT.

À moi, Madame ?

RÉMÍVAL.

Allez, Monsieur, votre conduite est infâme !

DÉRICOURT.

Ma conduite ! Mademoiselle !... mon ami... Madame !... mon cher Alfred !... C’est vrai, je suis un fou, un misérable !... J’ai eu tort, très grand tort !... Ah ! maudite tête !... combien, je me repens !

RÉMIVAL, lui montrant Alfred qui est à genoux près de Caroline.

Monsieur, il est trop tard !

 

 

ACTE II

 

La scène se passe dans la maison de commerce de Rémival et Déricourt, et dans le corps de logis habité par ce dernier. Le Théâtre représente un jardin très élégant. À la gauche des acteurs, deux ou trois marches conduisant aux appartements de Rémival. À droite, l’entrée d’un petit pavillon. Au fond, la grille du jardin.

 

 

Scène première

 

DOMINIQUE, seul

 

À la cantonade.

Allons, allons, mes amis, da zèle, de l’activité. Dans une heure, au plus tard, la société sera réunie.

Descendant la scène.

La société... elle va s’amuser... plus que nous, plus que M. Rémival et son fils. Le pauvre jeune homme n’a pas l’air trop disposé à épouser Madame de Saint-Alban... Ah ! mon dieu ! mon dieu ! comme tout va dans cette maison depuis six semaines !... D’abord, tant que la journée dure, on ne voit plus M. Déricourt ; personne dans ce corps de logis qu’il avait choisi pour son domicile. Ayez donc un associé comme celui-là, cela fait bien aller un commerce !... Et pour nous achever, au milieu de tout ce désordre-là, un mariage !... ah ! c’est à en perdre la tête.

Déricourt paraît à la grille.

 

 

Scène II

 

DÉRICOURT, DOMINIQUE

 

DÉRICOURT.

Ouvre-moi donc, c’est moi, mon cher Dominique.

DOMINIQUE.

Ah ! parbleu, ce n’est pas malheureux ! après six semaines d’absence.

DÉRICOURT.

Il n’est venu personne ?

DOMINIQUE.

Pour la maison ?

DÉRICOURT.

Non, pour moi.

DOMINIQUE.

Il ya trois jours, une lettre de la Guadeloupe.

DÉRICOURT.

De la Guadeloupe !

DOMINIQUE.

Attendez donc... mais je ne l’ai pas sur moi. Je vais vous la chercher. Ah ! j’oubliais. Une femme d’un certain âge est venue ce matin pour toucher le montant d’une lettre-de-change souscrite par vous, et qui échoit aujourd’hui. La caisse n’était pas ouverte, je l’ai priée de repasser dans une heure d’ici.

DÉRICOURT.

Une lettre-de-change ! Diable m’emporte, si je me rappelle ! mais j’en ai tant fait dans ma vie... Va, Dominique, va me chercher l’épître en question.

DOMINIQUE.

Oui, Monsieur.

 

 

Scène III

 

DÉRICOURT, seul

 

De la Guadeloupe !... Ah ! ah ! c’est encore ce riche colon, ce M. Dorsini, qui me fait quelque nouvelle proposition... Je voudrais bien savoir quel plaisir il trouve à faire des affaires avec moi, sans me connaître, sans m’avoir jamais vu !... C’est que j’ai gagné déjà beaucoup d’argent avec lui... Je me souviens de la première fois qu’il s’est adressé à moi par l’entremise de son correspondant : il me connaissait de réputation, m’écrivait-il... De réputation !... C’est un peu fort, celui-là ! moi qui ne me mêle de commerce que depuis cinq ou six mois, et qui m’en mêle, dieu sait comment !... Enfin, sachons toujours ce qu’il me veut.

 

 

Scène IV

 

DÉRICOURT, DOMINIQUE

 

DÉRICOURT, lisant.

« Mon cher M. Déricourt. » Hum !... hum !... « Vous le savez, j’ai d’immenses propriétés en Amérique : il me manque un homme capable de des régir. J’ose croire que vous consentirez à me rendre ce service, 200 000 francs comptant, sans préjudice de l’avenir, voilà ce que je puis vous offrir. Si vous consentez, vous le direz au capitaine Darlemont qui viendra savoir votre réponse, et qui vous remettra sur-le-champ les 200 000 francs, dont il est dépositaire. Je suis. » Et cætera... Singulière proposition !...

DOMINIQUE, qui était resté au fond du théâtre, se rapproche.

On doit venir aujourd’hui à deux heures vous demander une réponse décisive.

DÉRICOURT.

Je sais ce que c’est, il suffit.

À lui-même.

J’en suis bien fâché, mon cher M. Dorsini ; mais je ne partirai pas. Moi, j’irais m’enterrer tout vivant parmi des nègres et des créoles ! Grand merci, je ne vends pas ma liberté pour 200 000 francs.

DOMINIQUE.

Et dites-moi, Monsieur, quand cette bonne femme va venir avec sa lettre-de-change, que faudra-t-il lui dire ?

DÉRICOURT.

Rien. Je reste ici toute la journée ; je la recevrai.

DOMINIQUE.

Vous-même ?

DÉRICOURT.

Sans doute, moi-même... Il faut bien songer un peu à mes affaires, et réparer le temps perdu.

DOMINIQUE.

À la bonne heure, Monsieur, voilà de très bons principes... Mais on vient ; c’est M. Alfred.

DÉRICOURT.

Alfred ! Laisse-nous.

Dominique sort. Alfred entre d’un autre côté. Le plus grand désordre règne dans sa physionomie et ses vêtements. Il vient s’asseoir dans un bosquet, sur le devant de la scène, sans apercevoir Déricourt.

 

 

Scène V

 

DÉRICOURT, ALFRED

 

DÉRICOURT, à part.

Pauvre garçon ! Il me fait de la peine.

Haut.

Alfred ! Alfred !

ALFRED.

Ah !... c’est toi ?

DÉRICOURT.

Oui... Bonjour.

ALFRED.

Bonjour.

DÉRICOURT.

Eh bien ! Est-ce que tu m’en veux encore ?

ALFRED.

T’en vouloir ? non... mais je souffre beaucoup.

DÉRICOURT.

Oui, je le crois. La petite est gentille. 

ALFRED.

Ah ! charmante !

DÉRICOURT.

Elle mérite d’être regrettée.

ALFRED.

Pauvre Caroline !

DÉRICOURT.

Mais quand les regrets sont inutiles.

À part.

Tâchons de lui faire entendre raison, de lui parler morale...

Haut.

Tu dois sentir, mon pauvre Alfred, que désormais il faut renoncer à ton amour.

ALFRED.

Y renoncer ! Ah ! mon ami, un tel sacrifice est impossible ; hier... j’aurais pu m’y résoudre encore, mais aujourd’hui...

Il se lève.

Songes-y donc : je suis aimé !

DÉRICOURT.

Ah ! tu en es sûr à présent ? Et dis-moi, tu as donc été moins timide, tu as osé lui dire... À la bonne heure, c’est charmant, c’est délicieux...

À part.

Eh bien ! qu’est-ce que je dis donc là ? c’est bien le moment, ma foi !

Haut.

Cela n’empêche pas, mon cher Alfred, que je dois te conseiller...

ALFRED.

D’abandonner Caroline ?

DÉRICOURT.

Non, pas précisément ; mais il faut que tu t’habitues à songer à elle le moins possible... jusqu’à nouvel ordre.

ALFRED.

Comment ! que veux-tu dire ?

DÉRICOURT.

Eh ! sans doute, ton hymen est arrêté avec Madame de Saint Alban ; c’est aujourd’hui, aujourd’hui même, qu’on doit signer le contrat.

ALFRED.

Je ne signerai pas.

DÉRICOURT.

Mon ami, tu signeras.

ALFRED.

Du tout.

DÉRICOURT.

Si fait ; tu ne feras pas la folie de refuser cent mille livres de rente.

ALFRED.

Eh ! que m’importe la richesse ! c’est le bonheur qu’il me faut : je ne le trouverai point avec Madame de Saint-Alban.

DÉRICOURT.

Pourquoi ? c’est une femme charmante !

ALFRED.

Oui, charmante ! ce n’est pas mon avis d’abord.

DÉRICOURT.

Pourtant, il y a deux mois tu me disais...

ALFRED.

Eh ! sans doute, il y a deux mois... Alors, je n’avais pas vu Caroline.

DÉRICOURT.

Caroline !... Ah ! nous y voilà... Allons, écoute-moi, Alfred ; mais écoute-moi de sang-froid, si tu le peux encore. Que diable ! tu sais que je ne suis pas souvent de l’avis des pères de famille : il fallait une occasion comme celle-ci pour me rendre infidèle à mes principes. Oui, Rémival a raison, je l’approuve, et ton obstination n’a pas le sens commun.

ALFRED.

Quoi ! tu prétends !...

DÉRICOURT.

À quoi te mènerait ton amour pour la petite ? à rien ; mais sois l’époux de Madame de Saint-Alban, et tu es appelé à la plus brillante destinée. Riche, considéré, les plaisirs vont t’assiéger en foule ; et, crois-moi, tu finiras par oublier Caroline.

ALFRED.

L’oublier ! jamais !

DÉRICOURT.

Jamais ! Laisse-moi donc tranquille ; j’en ai oublié bien d’autres.

ALFRED.

C’est que tu n’aimais pas autant que moi.

DÉRICOURT.

D’accord, mais c’est égal : malgré tout l’amour du monde, on finit toujours...

ALFRED.

Pauvre Caroline ! elle en mourrait de douleur.

DÉRICOURT.

Non.

ALFRED.

Elle en mourrait, te dis-je !

DÉRICOURT.

Du tout, on n’en meurt jamais.

ALFRED.

Enfin, je me suis trop longtemps soumis en aveugle à tes conseils ; c’est à eux que je dois mon malheur, celui de Caroline : je les brave maintenant. Non, je ne trahirai pas celle que j’aime, celle que j’ai séduite : malgré mon père, malgré toi, malgré tout le monde, je serai son époux...

DÉRICOURT.

Son époux !

ALFRED.

Et quant à Madame de Saint-Alban, elle m’est odieuse, je ne puis la souffrir ; et jamais, non, jamais je ne consentirai...

Pendant cette dernière phrase, Rémival est entré par le fond et s’est approché d’eux ; Alfred l’aperçoit en se retournant.

Mon père !

 

 

Scène VI

 

DÉRICOURT, ALFRED, RÉMIVAL

 

RÉMIVAL.

Vous ici, M. Déricourt ?

DÉRICOURT.

Moi-même.

RÉMIVAL.

Ah ! je suis enchanté de vous voir : je n’ai pas eu le temps hier de vous faire tous les remerciements que je vous dois.

DÉRICOURT.

Monsieur...

RÉMIVAL.

Vous charger si généreusement de l’éducation de mon fils ! vous avez bien réussi... Morbleu ! que maudit soit le jour où je vous pris pour associé !

DÉRICOURT.

Qui vous y forçait ?

RÉMIVAL.

Un brouillon, une tête sans cervelle !

DÉRICOURT.

C’est vrai !

RÉMIVAL.

Un homme qui n’entend rien au commerce...

DÉRICOURT.

C’est encore vrai... Mais n’êtes-vous pas là ? J’ai placé mes fonds chez vous : c’est à vous de les faire valoir.

RÉMIVAL.

Grand merci ! je me dispenserais bien...

DÉRICOURT.

Mais, Monsieur, si cela vous déplaît si fort, qui vous oblige.

RÉMIVAL.

Ah ! si c’était à refaire !...

DÉRICOURT.

Eh bien ! Monsieur ?

RÉMIVAL.

Eh bien ! je n’hésiterais pas à refuser.

DÉRICOURT.

Mais vous pouvez encore vous satisfaire : rompons ensemble.

RÉMIVAL.

Rompre !

DÉRICOURT.

Sans doute.

RÉMIVAL.

Je le voudrais, mais cela est impossible !

DÉRICOURT.

La raison ?

RÉMIVAL.

La raison ? tenez, je vais vous la dire... Alfred, ceci vous regarde autant que lui. Déricourt, il y a six mois, vous êtes venu placer des fonds dans ma maison... Pour me séparer de vous, il faudrait vous les rendre, et maintenant, aujourd’hui du moins, je ne le pourrais pas.

DÉRICOURT.

Qu’importe ?

RÉMIVAL.

Ce n’est pas tout : en vous prenant pour associé, je croyais trouver en vous un homme capable de me seconder dans mon commerce : je ne suis plus jeune, et j’ai besoin de repos... Mais vous aviez d’autres occupations... Chargé seul encore du fardeau des affaires, je n’ai pu, comme autrefois, en sou tenir le poids. Depuis un an, j’ai fait des pertes considérables, enfin une faillite...

DÉRICOURT et ALFRED.

Une faillite !

RÉMIVAL.

Aujourd’hui même : elle serait déclaré, si Madame de Saint-Alban n’était venue généreusement à mon secours.

DÉRICOURT.

Madame de Saint-Alban !

ALFRED.

Qu’entends-je ?

RÉMIVAL.

Oui, cette femme que tu refuses d’épouser, je lui dois tout, je lui dois l’honneur enfin. Elle m’a fait l’avance de cent mille francs... Jugez s’il m’est possible de rompre ce mariage !

DÉRICOURT.

Non, vous avez raison ; cela ne se peut pas.

ALFRED.

Grand dieu ! mon père ! que m’avez-vous appris !

RÉMIVAL.

Alfred, tu ne refuseras point, n’est-il pas vrai ? tu ne voudras point le déshonneur, la mort de ton vieux père... car, je te le dis, si tu étais assez cruel pour refuser... Ah ! je le sens, j’en mourrais.

ALFRED.

Mon père ! n’achevez pas, vous serez obéi...

RÉMIVAL.

Mon fils !

DÉRICOURT.

Bien, Alfred !

 

 

Scène VII

 

DÉRICOURT, ALFRED, RÉMIVAL, DOMINIQUE

 

DOMINIQUE.

Madame de Saint-Alban, son notaire, et toute la société vous attendent dans le salon voisin.

ALFRED.

Ciel ! déjà !

RÉMIVAL.

Du courage !

DÉRICOURT.

Oui, du courage !

ALFRED, à part.

Caroline ! non, jamais, jamais !

RÉMIVAL, bas.

Alfred, songe à ton père.

ALFERD, bas.

Mon père !

À part.

Je lui dois la vie, qu’il en dispose.

Haut.

Je suis prêt.

DÉRICOURT.

Mais quel désordre dans ta toilette ! attends un peu.

Il lui remet sa cravate.

Ne t’inquiète de rien ; sois aimable, si c’est possible... Je te soufflerai, ou plutôt, je parlerai pour toi. Allons, allons, c’est une belle journée que celle-ci.

À part.

Si je sais comment elle finira, je veux bien que le diable m’emporte.

Il suit Rémival et Alfred dans le pavillon, à la gauche des acteurs.

 

 

Scène VIII

 

DOMINIQUE, seul

 

C’est égal, le prétendu n’est pas trop gai. Voyons an peu comment tout cela va se passer.

Il regarde par la porte, qui est restée ouverte.

On s’assied, tout le monde se tait, à l’exception de M. Déricourt ; le notaire présente la plume à Madame de Saint-Alban ; M. Déricourt parle bas à M. Alfred, le jeune homme hésite... M. Déricourt lui pousse le bras ; il a signé... Tout est fini.

Madame Durand paraît à la grille avec Caroline, et sonne.

DOMINIQUE.

Hein ! qu’est-ce que c’est ?

 

 

Scène IX

 

DOMINIQUE, MADAME DURAND, CAROLINE

 

DOMINIQUE.

Ah ! c’est vous, Madame, pour cette lettre-de-change, n’est il pas vrai ?

MADAME DURAND.

Oui, Monsieur.

DOMINIQUE.

Je vais prévenir M. Déricourt... Peut-être aurai-je de la peine à le faire venir : nous célébrons une fête, un mariage, et ma foi...

MADAME DURAND.

Monsieur, il faut absolument que nous touchions cet argent aujourd’hui ; car demain, vous quittons Marseille.

CAROLINE.

Oui, pour toujours.

DOMINIQUE.

Ah !... Cela suffit, Mademoiselle.

À part.

Voilà une jolie personne.

Haut.

Je vais vous amener M. Déricourt.

 

 

Scène X

 

MADAME DURAND, CAROLINE, puis DOMINIQUE, DÉRICOURT

 

MADAME DURAND.

Allons, mon enfant, du courage, console-toi.

CAROLINE.

Me consoler ! jamais.

MADAME DURAND.

Du moins, quand nous ne sommes pas seules, tâche de retenir tes larmes ; il ne faut pas que des étrangers...

CAROLINE.

Oui, vous avez raison... Devant le monde je ne pleurerai pas.

DÉRICOURT, dans la coulisse.

À la santé de Madame de Saint-Alban et de son prétendu !

MADAME DURAND.

Madame de Saint-Alban !

CAROLINE.

Qu’entends-je ?

DÉRICOURT, dans la coulisse.

Lorsque le champagne
Fait en s’échappant
Pan, pan,
Ce doux bruit me gagne
L’âme et le tympan.

CAROLINE.

Ô ciel ! où sommes-nous, ma bonne ?

MADAME DURAND.

Chez M, Déricourt, négociant.

CAROLINE.

Et pourtant cette voix... Madame de Saint-Alban... son prétendu...

Déricourt est arrivé presqu’en haut des degrés qui conduisent au salon, il dit à la cantonade.

DÉRICOURT.

Mille pardons, Madame, mon ami, mon cher Alfred, je suis à vous dans un instant.

DOMIMIQUE.

Voici M. Déricourt.

Déricourt descend les degrés, tenant à la main un verre de champagne. Il marche vers Madame Durand et Caroline qui le reconnaissent.

CAROLINE et MADAME DURAND.

M. Roger !

DÉRICOURT.

Ciel ! que vois-je ?

Il remet son verre à Dominique.

DOMINIQUE.

Tiens, ils ont l’air de se reconnaître.

DÉRICOURT.

Ah ! c’est vous, Madame...

CAROLINE.

Viens, viens, sortons, ma bonne.

MADAME DURAND.

Dans un instant... M. Roger... non, M. Déricourt, cette lettre-de-change...

DÉRICOURT, prenant son portefeuille.

Il suffit, Madame, je vais vous satisfaire. Dominique, va-t’en, laisse-nous.

DOMINIQUE.

Oui, Monsieur.

À part

Décidément, ils se connaissent... c’est fort extraordinaire.

Il sort.

 

 

Scène XI

 

MADAME DURAND, CAROLINE, DÉRICOURT

 

CAROLINE, marchant vers Déricourt.

Monsieur, un mot, un seul mot.

Elle montre le salon.

Il n’est plus d’espérance, n’est-il pas vrai ? tout est fini.

DÉRICOURT.

Mademoiselle, le contrat est signé.

CAROLINE.

Signé !... Je n’ai plus qu’à mourir.

DÉRICOURT.

À mourir ?... Allons, ils ont tous le même langage !... Mademoiselle, par pitié...

CAROLINE.

Laissez-moi, Monsieur, laissez-moi ; votre vue m’est odieuse, insupportable. Sans vous, je n’aurais jamais connu M. Alfred, sans vous, je serais heureuse.

DÉRICOURT.

Au nom du ciel, silence, Mademoiselle !

CAROLINE.

Sortons, sortons !

DÉRICOURT, regardant la lettre-de-change de Madame Durand.

Voilà qui est singulier. Madame, mille pardons, si dans un moment pareil, je vous adresse cette question ; mais comment cette lettre-de-change est-elle arrivée jusqu’à vous ?

MADAME DURAND.

Eh ! que vous importe, Monsieur ?... Nous la tenons d’un négociant italien, de M. Laurenzo.

DÉRICOURT.

Hein ! que dites-vous ? Laurenzo...

MADAME DURAND.

Oui, Monsieur.

DÉRICOURT.

Un Italien ?

MADAME DURAND.

Oui, Monsieur.

DÉRICOURT.

De Florence ?

MADAME DURAND.

Oui, Monsieur.

DÉRICOURT, à part.

Mon plus mortel ennemi !

MADAME DURAND.

Il y a dix-huit mois, j’allais implorer sa protection pour cette jeune fille, de la part d’une personne qui devait lui être bien chère... il m’a remis dédaigneusement ce billet, en me disant : Vous toucherez cela chez M. Déricourt ; c’est bien le moins qu’il puisse faire pour celle qui vient m’implorer aujourd’hui.

DÉRICOURT.

Comment ! qu’ai-je entendu ?... Madame... je ne puis comprendre... de grâce, achevez... Laurenzo vous a dit cela ?

À part.

Il sait donc qui je suis ?... Il a donc découvert mon véritable nom ?

Haut.

Et quelle était cette personne qui vous adressait à lui ?

MADAME DURAND.

Monsieur, c’est notre secret.

DÉRICOURT.

Madame, Mademoiselle... je vous en prie, je vous en conjure, répondez-moi !...

MADAME DURAND.

Eh bien ! cette personne...

DÉRICOURT.

Parlez, parlez donc !

MADAME DURAND.

C’était la sœur de Laurenzo.

DÉRICOURT.

Sa sœur !

Montrant Caroline.

Et cette jeune fille ?

MADAME DURAND.

C’est sa nièce.

DÉRICOURT.

Sa nièce !... Ah ! maintenant tout est clair pour moi... Éléonore ! où est-elle, où est-elle ? Il faut que je la voie !

CAROLINE.

Elle n’est plus !...

DÉRICOURT.

Grand Dieu !

MADAME DURAND.

Oui, Monsieur, poursuivie par la haine de sa famille, forcée de fuir de sa patrie, il y a un an, elle est morte entre mes bras de douleur et de misère.

DÉRICOURT.

Morte ! morte !... Et c’est moi... moi...

CAROLINE.

Monsieur, vous pleurez.

DÉRICOURT.

Eh ! oui, je pleure sur vous, sur toi, sur ta pauvre mère... malheureuse Éléonore !... C’est moi qui ai causé ta mort, et je viens de consommer aujourd’hui le malheur de ma fille !

CAROLINE.

Moi, votre fille ?

MADAME DURAND.

Qu’entends-je ?

DÉRICOURT.

Eh ! oui, ce perfide, cet infâme séducteur que ta mère, sans doute, accusait à ses derniers moments, c’est moi... moi !

CAROLINE.

Vous, mon père !

DÉRICOURT.

Ma fille ! ma Caroline ! viens, viens sur mon cœur, et par donne à ton père tous les tourments qu’il te cause !

Elle se jette dans ses bras.

CAROLINE.

Ah ! je le sens, au milieu de mes chagrins, il est encore quelque bonheur pour moi ! J’ai retrouvé mon père !

DÉRICOURT.

Ma chère Caroline !

Ils s’embrassent encore. On entend exécuter dans le salon voisin la valse de Robin des Bois, qui se prolonge en sourdine jusqu’à la fin de la scène.

CAROLINE.

Ô ciel ! encore cette fête.

DÉRICOURT.

Que je suis malheureux ! Comment réparer tous mes torts ? Ah ! je le sens, aujourd’hui pour la première fois, ils sont affreux ! Mais j’en suis cruellement puni... N’importe, à quelque prix que ce soit, il faut rompre cet hymen !... Non, non, quand j’en devrais mourir, il ne s’accomplira pas !

CAROLINE.

Mon père, vous me rendez l’espoir !

DÉRICOURT.

Caroline, il faut t’éloigner un instant, et vous aussi, Madame.

Il lui serre la main.

Plus tard, je vous remercierai de votre tendresse pour ma fille... Maintenant, il faut... Tenez, entrez avec elle dans ce pavillon, je vous rappellerai dans un instant. Caroline, tu ne seras point malheureuse, je t’en donne ma parole ; tu épouseras Alfred.

MADAME DURAND.

Comment ?

CAROLINE.

Que dites-vous ?

DÉRICOURT.

Oui, je ne sais pas encore comment je m’y prendrai... mais c’est égal, tu l’épouseras ; il faut que tu l’épouses... Ma fille, dis-moi que tu ne m’en veux pas, que tu m’as pardonné !

CAROLINE.

Mon père !

DÉRICOURT.

Caroline !... ah ! j’ai de la peine à m’arracher de tes bras !

Elles entrent toutes deux dans le pavillon à la droite des acteurs.

 

 

Scène XII

 

DÉRICOURT, seul

 

Oui, elle sera son épouse, je l’ai promis ; et... comment y parvenir ?

On entend les dernières mesures la valse.

Cette maudite musique ne finira jamais, morbleu !

Il se promène avec colère d’un bout à l’autre du jardin. la musique cesse tout-à-fait.

Ah ! c’est bien heureux... Que faire ?... Que résoudre ?... Ah ! il est facile d’être séducteur, d’abuser une jeune fille innocente, sans expérience ; mais lorsqu’on a lâchement abandonné sa victime, lorsqu’on a fait le malheur de sa vie, lorsqu’on l’a conduite au tombeau... C’est alors qu’il est difficile, impossible de réparer sa faute... Et dire que je suis venu jusqu’à trente-sept ans, sans songer à tout cela !... Parbleu ! je suis un grand misérable !... À qui m’en prendre ? sur qui me venger de tout ce qui m’arrive ?

 

 

Scène XIII

 

DÉRICOURT, ALFRED

 

DÉRICOURT, à Alfred qui sort du salon voisin.

Ah ! vous voilà, Monsieur ?

ALFRED.

Oui, mon ami, je suis au désespoir.

DÉRICOURT.

Et moi donc ? Croyez-vous que je sois de bonne humeur après tout ce qui s’est passé ? Allez, Monsieur, votre conduite est affreuse !

ALFRED.

Ma conduite !... Que signifie ?

DÉRICOURT.

Séduire une jeune personne honnête, vertueuse...

ALFRED.

Mais c’est vous qui m’avez conseillé...

DÉRICOURT.

Moi !... Et sans doute, c’est moi... Mais fallait-il m’en croire ?... Ne saviez-vous pas que j’étais un insensé, un mauvais sujet, un misérable ? Et ce n’est pas tout encore. Après avoir séduit la malheureuse Caroline, aller, le lendemain même, signer un contrat de mariage avec une autre femme !

ALFRED.

Mais, Monsieur, c’est vous !

DÉRICOURT.

C’est moi ! c’est moi !... Quand vous me répéterez toujours le même refrain ?... C’est vrai, c’est moi ; mais vous, vous avez cent fois plus tort !

ALFRED.

Ah ! par exemple, Monsieur, un tel langage...

DÉRICOURT.

Est juste, et, s’il vous offense...

ALFRED.

Oui, sans doute... il m’offense... et beaucoup.

DÉRICOURT.

Eh bien ! parlez, Monsieur, on vous rendra raison.

ALFRED.

Raison !

DÉRICOURT.

Oui, nous nous battrons.

ALFRED.

Soit, nous nous battrons... Mais, dites-moi, pour quel motif nous battrons-nous ?

DÉRICOURT.

Parce que vous abandonnez la malheureuse Caroline ; parce que vous épousez Madame de Saint-Alban.

ALFRED.

Et si je l’épouse, est-ce de bon cœur ? Ah ! que ne puis-je encore ?

DÉRICOURT.

Achevez !

ALFRED.

Oui, le ciel m’en est témoin, si je ne trouve un moyen de rompre ce fatal mariage...

DÉRICOURT.

Eh bien ! mon ami ?

ALFRED.

Eh bien ! mon ami, j’en mourrai !

DÉRICOURT.

Vous en mourrez ?... tu en mourras, vraiment ?

ALFRED.

Vraiment !

DÉRICOURT.

Embrasse-moi !

ALFRED.

Mais...

DÉRICOURT.

Embrasse-moi, te dis-je, mon ami, mon cher Alfred !

ALFRED.

Mon cher Déricourt !

Ils s’embrassent.

DÉRICOURT.

C’est que tu ne sais pas ?... Cette Caroline, cette fille si intéressante...

ALFRED.

Eh bien ?

DÉRICOURT.

Eh bien ! c’est mon sang ! c’est ma fille ! la fille d’Éléonore !

ALFRED.

Il se pourrait ?... Ah ! que je suis heureux !

DÉRICOURT.

Et moi donc !... c’est qu’elle est charmante, ma Caroline !

ALFRED.

Adorable.

DÉRICOURT.

Tu l’épouseras.

ALFRED.

Sans doute.

DÉRICOURT.

Aujourd’hui.

ALFRED.

Tout à l’heure.

DÉRICOURT.

Mon cher gendre !

ALFRED.

Mon cher beau-père !

Il saute de joie.

DÉRICOURT.

Mais, que dis-je ?... Insensé que je suis !... Et cet autre mariage ! ce contrat que tu viens de signer...

ALFRED.

Il faut le rompre.

DÉRICOURT.

Comment ?

ALFRED.

Je n’en sais rien ; mais il faut le rompre.

DÉRICOURT.

Tu as raison, il le faut... Et parbleu ! rien de plus facile, de plus simple. Il s’agit de rendre 100 000 francs à Madame de Saint-Alban.

ALFRED.

Oui.

DÉRICOURT.

Pour le moment, je n’ai pas mille écus.

ALFRED.

Alors, comment faire ?

DÉRICOURT.

Mais dans une heure, j’aurai le double de ce qu’il faut... 200 000 francs !

ALFRED.

200 000 francs !

DÉRICOURT.

Tiens, vois-tu cette lettre ?... M. Dorsini, cet honnête négociant... Je pars pour la Guadeloupe.

ALFRED, après avoir lu.

Quoi ! tu peux consentir...

DÉRICOURT.

C’est un pays charmant que la Guadeloupe ! Des habitations magnifiques, un ciel superbe, et des mœurs pures, patriarcales... Oui, c’en est fait, je partirai !

ALFRED.

Ainsi, tu nous quitterais, mon ami ?

DÉRICOURT.

Eh ! oui, il le faut bien, et ce sera bien cruel le jour même, où j’ai retrouvé mon enfant... mais il le faut, je le dois, et, si quelquefois, en pensant à vous, je verse quelques larmes, je songerai que vous êtes heureux, et je serai consolé !

ALFRED.

Mais enfin, Déricourt !...

DÉRICOURT, allant vers le pavillon.

Viens, Caroline, viens ma fille ! 

 

 

Scène XIV

 

DÉRICOURT, ALFRED, CAROLINE, MADAME DURAND

 

DÉRICOURT, joignant la main de Caroline à celle d’Alfred.

Voilà ton époux, mes enfants ; je vous unis !

 

 

Scène XV

 

DÉRICOURT, ALFRED, CAROLINE, MADAME DURAND, DOMINIQUE, UN CAPITAINE DE VAISSEAU

 

DOMINIQUE, annonçant.

Le capitaine d’Arlemont !

DÉRICOURT.

Ah ! déjà.

Au Capitaine, qui entre suivi de quelques marins.

Monsieur, quand partez-vous ?

LE CAPITAINE.

Dans une heure, Monsieur ; le vaisseau est prêt à mettre à la voile. Deux coups de canon doivent donner le signal du départ.

DÉRICOURT.

Eh bien, je vous suivrai.

MADAME DURAND et CAROLINE.

Comment ?

LE CAPITAINE.

Vous consentez ?

DÉRICOURT.

Oui, Monsieur, je consens.

LE CAPITAINE.

Je vais donc vous remettre...

DÉRICOURT, il prend le portefeuille.

Donnez.

À lui-même.

Chère enfant ! en un instant, te reconnaître, t’embrasser et partir !... Ce destin est affreux, insupportable ; mais je le subirai, j’en aurai le courage.

À part.

Voilà pourtant où m’ont conduit mes principes de séduction.

Alfred a parlé bas à Caroline, et Madame Durand.

CAROLINE.

Que dites-vous, Alfred ?

DÉRICOURT.

Soyez donc mauvais sujet !

ALFRED.

Oui, ce portefeuille est le prix de son exil.

CAROLINE.

Non, jamais ! jamais !

DÉRICOURT.

Caroline... nous nous reverrons... oui, j’en ai l’assurance. Ma fille... mon ami... Vous aussi Madame Durand, vous à qui je dois tant de reconnaissance !... Si malgré tous mes torts, vous avez toujours pour moi quelque tendresse, si vous conservez le souvenir du pauvre Déricourt, eh bien ! dans un an, dans deux, enfin quand vous pourrez, vous viendrez me rejoindre.

ALFRED.

Oui, je te le promets.

DÉRICOURT.

J’y compte... Et je le sens, cet espoir va embellir mon exil, va doubler mon courage. Oui, je travaillerai avec ardeur, avec persévérance ; je me dirai : ils viendront, c’est pour eux que je travaille, tous ces trésors que j’amasse, je pourrai les leur prodiguer... et je verrai mes petits enfants, je les élèverai... c’est-à-dire, non, je ne les élèverai pas ; je m’entends trop mal à faire une éducation... Mais ma fille, Alfred, venez le plus tôt possible ; venez, je vous attends.

CAROLINE.

Mon père !

ALFRED.

Mon ami, mon cher Déricourt !

DÉRICOURT.

Eh bien, vous le voyez, mes amis, j’aurais tort de m’affliger ; avant deux ans, je serai le plus heureux des hommes !

 

 

Scène XVI

 

DÉRICOURT, ALFRED, CAROLINE, MADAME DURAND, DOMINIQUE, LE CAPITAINE

 

DOMINIQUE, bas à Déricourt, s’approchant de lui.

Monsieur, une autre lettre de la Guadeloupe.

DÉRICOURT, bas.

Une lettre !

DOMINIQUE, bas.

C’est un passager qui me la remise à l’instant, en me recommandant le plus grand secret auprès du Capitaine.

DÉRICOURT, à part.

C’est une écriture de femme !

Il lit bas.

« Monsieur, gardez-vous de vous laisser tenter à l’appât de l’or qu’on vous présente. Le Négociant qui vous fait des offres si séduisantes, mon époux enfin, n’est autre que Laurenzo, le frère de l’infortunée Éléonore. » Grand dieu !

CAROLINE.

Qu’avez-vous, mon père ?

DÉRICOURT.

Rien, rien.

Il continue de lire à voix basse.

« Longtemps il a fait des démarches pour vous découvrir ; enfin, un de ses amis vous a reconnu... Après avoir fait avec vous, pour vous séduire, quelques affaires de commerce qui vous ont été avantageuses, Laurenzo veut aujourd’hui consommer son ouvrage : il vous envoie 200 000 francs... Refusez-les, Monsieur, la vengeance la plus horrible vous attend sur ces bords où l’on s’efforce de vous attirer. » Qu’ai-je lu ? se pourrait-il ?... Ah ! malheureux !

CAROLINE.

Mon père ! cette lettre...

DÉRICOURT.

Ce n’est rien, vous dis-je, absolument rien.

À part.

N’importe, après avoir causé le trépas d’Éléonore, je ne sacrifierai point sa fille.

RÉMIVAL, dans la coulisse.

Alfred ! Alfred !

ALFRED.

Ciel ! mon père !

CAROLINE.

Je tremble !

 

 

Scène XVII

 

DÉRICOURT, ALFRED, CAROLINE, MADAME DURAND, DOMINIQUE, LE CAPITAINE, RÉMIVAL

 

RÉMIVAL, entrant.

Eh bien, où est-il donc ?... Que vois-je !

DÉRICOURT.

Ah ! vous voilà, Rémival, écoutez-moi... Mon ami, tu as en à te plaindre de moi ; avant de nous séparer, tu me par donneras.

RÉMIVAL.

Nous séparer !

DÉRICOURT.

Tiens, vois ce portefeuille : il renferme 200 000 francs ; tu en dois 100 000 à Madame de Saint-Alban ; aujourd’hui même, à l’instant, il faut les lui rendre.

RÉMIVAL.

Lui rendre !... Que voulez-vous dire ?

DÉRICOURT.

Il le faut. L’autre moitié servira de dot à ma fille.

RÉMIVAL.

Votre fille !

DÉRICOURT.

La voilà... Elle aime Alfred, elle en est aimée, les séparer l’an de l’autre, ce serait leur donner la mort !

RÉMIVAL.

Expliquez-moi ?...

DÉRICOURT.

Eh bien ! apprends donc...

On entend tirer deux coups de canon.

Rien... rien... J’entends le signal... Grand dieu !... Caroline, Alfred te conteront tout cela... Et moi, je ne puis que vous embrasser pour la dernière fois !

CAROLINE et ALFRED,

Pour la dernière fois !

DÉRICOURT.

Adieu, Rémival ; mes enfants, mes amis... Capitaine, je sais prêt à vous suivre.

CAROLINE.

Mon père !... Non, non, tu ne partiras pas, je ne pais accepter cet affreux sacrifice !

DÉRICOURT.

Ma fille ! Caroline !... Ah ! Capitaine, je vous en conjure, ordonnez à vos gens de se saisir de moi, de m’entraîner hors de ces murs ; car, je le sens, je n’aurais pas le courage de résister à ma fille !

RÉMIVAL.

Mon ami !

MADAME DURAND.

M. Déricourt !

ALFRED, CAROLINE.

Mon père !

DÉRICOURT, s’arrachant de leurs bras.

Laissez-moi... Adieu ! adieu ! pour toujours !

Il s’éloigne précipitamment vers le Capitaine.

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