Le Soldat et le perruquier (Ferdinand LALOUE - Antoine SIMONNIN)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Ambigu-Comique, le 27 juillet 1824.

 

Personnages

 

LATOUR, aubergiste

LANCETTI, chirurgien italien, pension chez Latour

MAURICE, perruquier

LATULIPE, militaire

CLAUDINE, fermière

GARÇONS et FILLES D’AUBERGE

 

La scène se passe à Blois, chez Latour, aubergiste.

 

Le théâtre représente une salle d’auberge. Dans le fond, une porte et deux grandes croisées donnant sur la campagne.

 

 

Scène première

 

LATOUR, LANCETTI

 

LATOUR.

Que diable me rabâchez-vous là... je vous demande de l’argent, et vous me répondez en me disant de lire la Gazette.

LANCETTI.

C’est que la Gazette vous apprendra l’état de mes affaires.

LATOUR.

La Gazette !

LANCETTI.

Écoutez bien... « Nouvelles de la Cour... Le Maréchal de Saxe, après avoir passé un quart d’heure dans le cabinet du Roi, a quitté Paris secrètement... » Secrètement hem... J’espère que la disgrâce il est complète.

LATOUR.

Qu’a de commun la disgrâce du Maréchal et le mémoire de votre dépense ?

LANCETTI.

Cela se tient !... le Maréchal il était mon protecteur mon espérance !... c’était sur lui que je comptais pour obtenir la récompense de mes services.

LATOUR.

Vous le connaissez donc ?

LANCETTI.

Si je le connais... le Maréchal de Saxe, mon ami, un guerrier... le Général de notre armée... allez, je lui ai raccommodé plus de bras et plus de jambes... et dire qu’il est disgracié au moment où j’allais recevoir... et vous aussi, car vous étiez porté en tête sur ma liste... enfin, mon cher, vous êtes disgracié aussi !

LATOUR.

Quel diable de contrecoup !...

LANCETTI.

Voilà comme les évènements les plus éloignés en apparence, nous touchent quelquefois de bien près.

Air : Vive la lithographie.

Maurice, en brouille à Versailles,
On ne va plus, il paraît,
Livrer autant de batailles
Que du temps qu’il commandait :
Par conséquent, ne pouvant
Plus se battre aussi souvent,
Eh donc vous devez penser,
Moins de blessés à panser.
Des réformes vont se faire
Parmi les chirurgiens,
De l’hôpital militaire
On exclut les plus anciens.
À cela je perds beaucoup,
Puisque, par le contrecoup,
Me voilà remercié,
Et vous n’êtes point payé.
Vous qui, le fait est notoire,
N’aimez rien perdre, dit-on,
Pour regagner mon mémoire,
Vous réformez un garçon.
Ce garçon, d’emploi privé,
Se trouvant sur le pavé,
Ne saura pas de sitôt
Que le coup part de si haut :
Cependant vous voyez comme
Du ciel c’est une leçon,
La disgrâce d’un grand homme
Fait celle d’un marmiton.

 

 

Scène II

 

LATOUR, LANCETTI, LATULIPE

 

LATULIPE.

Oh ! hé ! la maison ! y a-t-il quelqu’un ? oh !... garçon !...

Une fille paraît.

tiens, c’est une fille !... vite une bouteille à 10 sous et un verre !...

La fille sort et revient.

au pas redoublé !... J’ai encore un petit bout de chemin à faire avant que de me retrouver ici au passage du général...

LATOUR.

Un Général qui passe ici ?

LATULIPE.

Comme vous dites, mon ancien ! le fameux Maurice de Saxe ! rien que ça !

LANCETTI.

Vous voyez bien... le général il est en disgrâce !

LATULIPE.

Plaît-il, camarade ! le Maréchal en disgrâce ? qu’est-ce qui vous à fait ce conte-là ?

LANCETTI.

Air du vaudeville du Dîner de Garçons.

J’ai dû croire le fait certain,
Puisqu’on en trouve l’anecdote
Dans le journal de ce matin.

LATULIPE.

Mon vieux, votre journal radote.

LANCETTI.

Quoi ! le journal radoterait !

LATULIPE.

Il s’gên’rait pour faire un songe.

LANCETTI.

Mais quand un journal cite un fait ?

LATULIPE.

C’est précisément ce qui fait
Que la nouvelle est un mensonge.

LATOUR, à Lancetti.

Parbleu ! j’en suis content pour vous, et par suite... pour votre serviteur.

LATULIPE.

Le Maréchal est plus que jamais dans les papiers du Roi... il vient de lui signer une fameuse cartouche ! le château de Chambord... et ses dépendances.

LATOUR.

Tant mieux, morbleu !

LATULIPE.

Dans une heure ou deux, le Maréchal sera à Blois.

LATOUR et LANCETTI, ensemble.

Ici !

LATULIPE.

Il s’arrêtera, comme de juste, à la meilleure auberge. Quand on est Maréchal !

LATOUR.

Il descendra chez moi !

LATULIPE.

En ce cas, au revoir.

LANCETTI.

Eh ! un moment... voici une nouvelle qui m’a mis du baume dans le sang... Mon brave ; vous ne refuserez pas de boire à la santé du grand Maurice !... Père Latour, une volaille froide, deux couverts, trois verres et une bouteille de votre vin de Bordeaux !

On apporte.

LATULIPE.

Un morceau sur le pouce... faut que j’aille encore à une demi-lieue aux environs, revoir une ancienne.

LANCETTI.

Ah ! nous avons des intelligences avec le beau sexe.

LATULIPE.

Une jeune fermière... joli brin de fille ! sage et travaillante !... c’est une passion d’honneur et de vertu... si on la retrouve au poste, on marchera au pas de charge à l’autel matrimonial ! enrégimenté pour la vie... à vous, mes anciens !

TOUS.

Au Maréchal de Saxe !

LATULIPE.

C’est ça un homme !

Il mange très vite.

LATOUR.

Donnez-vous le temps, camarade, ne vous pressez pas tant.

LATULIPE.

Quand on est pressé, la charge en douze temps !

Il boit.

voilà qui est fini, en route.

LATOUR.

Air : Mon cœur à l’espoir s’abandonne.

D’ partir sitôt pourquoi vous mettre en peine ?
Restez encor, monsieur le brigadier ;
C’est le cas de reprendre haleine,
Lorsque l’on va se marier.

LATULIPE.

Je cours pour chercher une femme,
Comm’ si j’allais à l’ennemi, morbleu !
Lorsque l’on va voir l’objet de sa flamme,
N’est-ce donc pas aller au feu ?

ENSEMBLE.

D’ partir sitôt, etc.

Il sort.

 

 

Scène III

 

LATOUR, LANCETTI

 

LATOUR.

Mon cher Lancetti, vous voilà dans une belle passe.

LANCETTI.

Il va encore me parler de ce maudit mémoire.

LATOUR.

Fi donc, c’est une bagatelle ; écoutez le Maréchal de Saxe est votre ami...

LANCETTI, à part.

Je ne l’ai jamais vu !...

LATOUR.

Arrangez-vous avec son intendant pour le décider à s’arrêter dans mon hôtel, et crac ! votre mémoire est payé.

LANCETTI.

C’est que, voyez-vous, le vainqueur de Fontenoy est fort difficile, on ne traite pas un homme comme celui-là comme un simple particulier.

LATOUR.

L’auberge est bonne.

LANCETTI.

Pour des petites gens comme vous et moi, mais pour le grand Maurice, c’est une autre affaire, et puis mon influence ne va pas jusqu’à la cuisine.

LATOUR.

Essayez, essayez.

LANCETTI.

On essaiera, on essaiera.

À part.

Le diable m’emporte si je sais ce que je ferai, par exemple, je n’ai jamais vu le Maréchal.

LATOUR.

Air du vaudeville des Blouses.

Cher Lancetti, daignez m’être propice !
Parlez pour moi, je vous en saurai gré,
À l’intendant de l’illustre Maurice.

LANCETTI.

Soit, j’y consens, je vous protégerai.

LATOUR.

Dit’s que je suis un des plus grands artistes.

LANCETTI.

J’ dirai qu’en vous l’on voit avec plaisir
Le moins fripon de tous les aubergistes...
Quand on demande, il faut savoir mentir.

Ensemble.

LATOUR.

Cher Lancetti, daignez m’être propice !
Parlez pour moi, je vous en saurai gré,
À l’intendant de l’illustre Maurice,
Et vous verrez comm’ je le traiterai.

LANCETTI.

Allons, c’est bon, je vous serai propice ;
Et si dans peu tout s’arrange mon gré,
Si je parviens près del signor Maurice,
Avec plaisir je vous protégerai.

Lancetti sort.

 

 

Scène IV

 

LATOUR, seul

 

Il réussira ! c’est un garçon si aimable que ce Lancetti, si intelligent !... quoi que ça, je ne voudrais pas de lui pour mon chirurgien.

 

 

Scène V

 

LATOUR, CLAUDINE

 

LATOUR, avant que Claudine ne paraisse.

Eh ! c’est notre jolie fermière ! il paraît qu’elle était pressée de sortir ce matin, car elle a encore ses papillotes.

À Claudine qui entre.

Ma foi, Claudine, vous arrivez bien à propos.

CLAUDINE.

Bonjour, père Latour, quoi qu’il y a ?

LATOUR.

Avons-nous de la volaille fraîche ?

CLAUDINE.

Des pigeons gros comme vous et moi ; des chapons qui mériterions d’être servis sur la table d’un prince.

LATOUR.

Voilà ce qu’il me faut.

CLAUDINE.

Quant aux fruits, aux légumes, le Roi n’en mangerait pas de meilleurs.

LATOUR.

À merveille !

CLAUDINE.

Est-ce que vous avez une noce, un baptême ?

LATOUR.

Mieux que ça, le Maréchal de Saxe passe par Blois pour aller à Chambord, et un de ses amis vient de m’avertir qu’il s’arrêterait chez moi.

CLAUDINE.

Ce bon Maréchal ?

LATOUR.

Ah çà, est-ce que vous êtes aussi de sa connaissance ?

CLAUDINE.

Est-ce que mon pauvre frère n’a pas servi sous ses ordres, est-ce qu’il n’est pas mort à Raucoux.

LATOUR.

Hélas ! oui, ma pauvre Claudine.

CLAUDINE.

Un brave jeune homme, bon frère, officier de mérite à 29 ans ; ah ! je ne me consolerai jamais de l’avoir perdu.

LATOUR.

Que voulez-vous, puisqu’il est mort ! nous sommes tous sujets à ça, un peu plus tôt un peu plus tard, et à l’armée ça va encore plus vite, mais c’est honorable.

CLAUDINE.

Si j’avais été là, peut-être que mes soins...

LATOUR.

Bah ! est-ce que vous pouviez être là, vous ?

CLAUDINE.

Pourquoi pas, et depuis quand qu’une femme ne suit pas son mari.

LATOUR.

Mais vous n’êtes pas mariée ?

CLAUDINE.

Si mon frère l’avait ben voulu, dans le temps que le régi ment était de garnison dans ces parages, il y avait un brigadier, ah le bel homme ! bon militaire, je lui fournissais de quoi alimenter son escouade, ça faisait aller la ferme.

LATOUR.

Et les amours.

CLAUDINE.

Eh ! ben oui.

Air du vaudeville de Frosine.

Nous lui fournissions à bon prix
De quoi nourrir toute sa troupe ;
Des herb’s, des légumes, des fruits,
Et des racines pour la soupe :
Chaqu’ soldat en particulier
Venait manger une salade,
Enfin j’aimais le brigadier
À caus’ de la brigade.

LATOUR.

Qu’est-ce qu’il est devenu ?

CLAUDINE.

Ma foi, c’est pas moi qui vous en donnerai des nouvelles, v’là plus de deux ans que j’en ai reçues, et c’pendant j’y pense encore, Dieu sait.

LATOUR.

Et ça nous empêche de nous établir ?

CLAUDINE.

Faudra voir... au bout du compte...

Air : Il me faudra quitter l’empire.

Je sentons ben qu’il s’rait nécessaire
Que je songeasse à l’oublier ;
Avec ça que j’avons su plaire
À n’un certain particulier,
Qui me demande à s’ marier.
On a beau dire : c’est difficile
D’oublier un amant chéri !
Il me serait peut-être plus facile
De l’oublier s’il était mon mari !

LATOUR.

Allons, je vois que nous irons bientôt à la noce.

CLAUDINE.

Je n’dis pas non, je cours sur mes vingt ans, c’est l’âge d’attraper un époux.

LATOUR.

En attendant, ma chère amie, déposez vos provisions à la cuisine, je prends tout, entendez vous.

CLAUDINE.

Vous êtes un brave homme, et le Maréchal a bien raison de descendre chez vous ; je vais joliment garnir votre garde-manger.

Elle sort.

 

 

Scène VI

 

LATOUR, seul

 

Nous voilà en mesure, voyons maintenant le personnel des fourneaux.

Il appelle.

Georges, Madeleine, Antoine.

Ils arrivent tous.

 

 

Scène VII

 

LATOUR, CUISINIERS, GARÇONS et FILLES

 

TOUS.

Nous v’là, bourgeois.

LATOUR.

Allons, qu’on se distingue aujourd’hui par l’activité, le zèle, le... je traite monseigneur le Maréchal de Saxe.

TOUS.

Le Maréchal de Saxe !

LATOUR.

Il m’a fait dire qu’il descendrait chez moi, ça va joliment relever ma maison.

Air du Château de mon oncle.

Allons, filles et garçons,
Cuisiniers et marmitons,
Dépêchons,
Dépêchons,
Plumons
Pigeons et dindons !
Il faut avoir du gibier,
Du poisson dans le vivier ;
Pour le rôt,
Un gigot,
Des perdreaux,
Des aloyaux.

TOUS.

Allons, filles et garçons, etc.

Les domestiques sortent.

 

 

Scène VIII

 

LATOUR

 

Oh ! la bonne aubaine !
Il faut cett’ semaine
Qu’ mon enseigne du Croissant
Soit changée entièrement.
À présent v’là comme
Faut qu’ ma maison s’ nomme,
En l’honneur
De c’ bonheur :
L’auberge du Grand-Vainqueur !
Pour moi quels heureux destins !
Les aubergist’s, mes voisins,
D’ jalousie et d’ dépit,
Vont en perdre au moins l’esprit.
Quel triomphe, voyez donc !
Chacun nomm’ra ma maison,
En l’honneur
De c’ bonheur,
L’auberge du Grand-Vainqueur !

 

 

Scène IX

 

LATOUR, MAURICE

 

MAURICE entre en se disputant, il a une valise.

Êtes-vous de la suite ?... êtes-vous de la suite ? je ne suis personne, puisque je marche tout seul ; où est le maître, la maîtresse de la maison ?

LATOUR.

Les voici, Monsieur.

MAURICE.

Une chambre.

LATOUR.

Impossible, Monsieur, mes chambres sont toutes retenues depuis hier, il n’y a plus de place.

MAURICE.

Air de Julie.

Votre maison devrait être assez grande
Pour y loger plus de monde au besoin.

LATOUR.

Vous répétez en vain votre demande,
Nous n’avons pas seulement un p’tit coin.

MAURICE.

Il paraîtrait, votre air me le dévoile,
Que l’on s’expose assez souvent,
Quand on vient loger au Croissant,
À coucher à la belle étoile.

LATOUR.

Cependant on pourrait à la rigueur... Monsieur est seul ?

MAURICE.

Oui, Monsieur, pour le moment.

LATOUR, lui désignant un cabinet.

Voilà une petite pièce, c’est une chambre d’ami, on y est un peu gêné.

MAURICE.

Ma foi, à la guerre comme à la guerre ! je prends la chambre d’ami, et si j’ai besoin d’y voir clair pour écrire...

LATOUR.

Vous avez cette salle.

MAURICE.

À merveille vous avez sans doute quelque chose pour déjeuner ?

LATOUR.

Mon auberge est fournie de tout ce qu’on peut désirer : gibier, volaille, poisson, légumes...

MAURICE.

Faites-moi servir la moindre des choses.

LATOUR.

Impossible pour le quart-d’heure.

Air : Rendez-moi mon écuelle de bois.

Bœuf, volaille, et gibier, et poisson,
Tout est en abondance ;
Mais c’est pour la table, vous dit-on,
D’un homme d’importance
Oui, mon cher, tout est préparé
Pour monseigneur, je vous l’atteste.

MAURICE.

C’est fort bien ! Alors je dînerai
Après lui, s’il en reste.

 

 

Scène X

 

MAURICE, seul

 

Il est charmant, celui-là. Ah ! si ce n’était pas la seule auberge... Enfin, me voilà débarrassé du maréchal !... il ne voulait pas se séparer de moi... Mon cher Maurice, me disait-il quand je lui tenais la tête, tu m’accommodes parfaitement, et si tu veux venir faire la prochaine campagne avec moi... Grand merci ! mon général, je prends ma retraite... je veux me reposer, jouir de ma petite fortune... Au fait, avec mes douze cents francs de pension, la défroque du maréchal, qui est impayable et que je vendrai toujours bien une centaine de pistoles, j’épouserai ma petite fermière... C’est singulier, comme je lui ai donné dans l’œil... elle avait un commencement d’inclination dans le cœur. Un soldat... un hussard de Lauzun à qui j’ai fait donner son congé !... rien ne s’oppose plus à notre mariage !... Sera-t-elle heureuse de me revoir... elle me croit encore à la suite du général ; mais j’en ai assez, je l’ai assez suivi ; celui que je quitte, je l’ai assez suivi...

 

 

Scène XI

 

MAURICE, LANCETTI

 

MAURICE.

Voilà dix ans que je suis le maréchal de Saxe à la cour...

LANCETTI.

Le maréchal... l’ai-je bien entendu ?

MAURICE.

Je le suis à l’armée... ici, du moins, je ne le suis plus.

LANCETTI.

Soyez tranquille, personne ne s’en doute.

MAURICE.

Hem !

LANCETTI.

Personne ne se doute qu’on ait reçu dans cette auberge un aussi grand personnage...

MAURICE.

Monsieur, je ne mérite pas...

LANCETTI.

Oh ! je sais tout le respect que je dois à un homme de votre mérite et de votre réputation.

Il le salue.

MAURICE.

Monsieur !

LANCETTI.

Air du vaudeville de maître André.

De votre excellente tactique
Vous savez qu’on parle partout.

MAURICE.

Tout ça dépend de la pratique,
Et, j’en conviens, j’en ai beaucoup.

LANCETTI.

Chacun vous admire à la ronde,
Votre grand talent est connu :
Pendant la guerre on vous a vu
Faire la barbe
(bis) à bien du monde.

MAURICE.

Tout ça est vrai ; mais je ne me soucie pas qu’on sache dans cette auberge...

LANCETTI.

Qui vous êtes ? je respecterai votre incognito.

MAURICE.

Oh ! oui, je vous en prie.

À part.

Je ne voudrais pas que le général sût que je m’amuse ici, et si je me faisais connaître, tout le monde lui dirait à son passage : nous avons vu votre perruquier, c’est un grand, etc.

Haut.

Il me serait agréable qu’on ne sût pas, dans cette auberge, que je tiens à la cour... Entre nous, c’est une petite affaire d’amour qui me retient à Blois.

LANCETTI.

Comptez sur moi pour tout ce qui pourra vous servir... comment vous nommerai-je ?

MAURICE.

Oh ! appelez-moi Maurice tout bonnement...

LANCETTI.

À ce costume, on n’aurait pas deviné...

MAURICE.

Oui, c’est mon habit de campagne.

LANCETTI.

Votre habit de campagne ? il doit sentir la poudre, celui-là !

MAURICE.

C’est vrai.

À part.

Il sent peut-être bien aussi la pommade.

LANCETTI.

On dit que vous avez peigné les Autrichiens de manière à ce qu’ils s’en souviennent.

MAURICE.

J’ai donné une perruque solide au prince Joseph ; il en a pour toute sa vie.

LANCETTI.

Oh ! je m’en rapporte parfaitement à vous ; je me retire, je ne veux pas abuser plus longtemps de vos moments... ainsi le plus sévère incognito.

Il sort en faisant des révérences à Maurice.

 

 

Scène XII

 

MAURICE, seul

 

Allons, en finira-t-il, avec ses révérences. Ah çà ! mais qu’est-ce qu’il ferait donc au maréchal lui-même, s’il traite comme ça son coiffeur ?

Air de Marianne.

Dans ce monde, la politesse
Est un moyen de parvenir ;
Par des saluts de toute espèce
On doit finir
Par s’enrichir.
L’homme s’incline
Quand il décline
Un nom qu’il croit devoir tout obtenir.
Bien se courber,
Mais sans tomber,
Des intrigants
Tels sont les grands talents.
Pour des gens de ce caractère,
Marcher droit n’est pas ce qu’il faut,
Ils pensent arriver plutôt
En allant ventre à terre.

 

 

Scène XIII

 

MAURICE, CLAUDINE

 

CLAUDINE, comptant ses écus.

À Vingt-sept, vingt-huit livres dix sous... si le père Latour me donne du bon argent, il peut se vanter d’avoir de la belle marchandise. Ah ! mon Dieu ! j’ai oublié... Georges ! Georges !

MAURICE, à part.

C’est elle ; c’est ma charmante fermière !

CLAUDINE, appelant toujours.

Eh bien ! Georges !... ils sont sourds, dans cette maison.

MAURICE.

Il y en a qui ne sont pas sourds à la voix d’un objet.

CLAUDINE.

Ah ! Maurice, vous voilà !

MAURICE, cherchant à l’embrasser.

C’est moi-même, et pour vous le prouver...

Il veut l’embrasser.

CLAUDINE.

Dites-moi d’abord pourquoi vous êtes arrivé si tard ?

MAURICE.

Voilà, voilà les femmes !

CLAUDINE.

Moi, je crois que lorsqu’on est amoureux...

MAURICE.

On a beau être amoureux, la diligence n’en va pas plus vite... croyez-vous pas que les postillons viennent demander : Messieurs, y a-t-il un amoureux dans la voiture ? faut il fouetter les chevaux ? faut-il relayer en deux minutes ? du tout, les amoureux ont les relais tout comme les autres... Ainsi...

Il veut l’embrasser.

CLAUDINE.

Doucement ! Monsieur ! doucement !

MAURICE.

Air : On n’offense pas une belle.

Pour récompenser ma tendresse,
Qu’un seul baiser me serait doux !

CLAUDINE.

Un baiser !... mon cher, rien ne presse,
Vous n’êt’s pas encor mon époux.

MAURICE.

Allons, cessez de vous défendre,
À mes désirs daignez vous rendre.

CLAUDINE.

C’est vot’ bien que j’épargne ainsi :
La rigueur d’un objet chéri
Doit plaire à l’amant le plus tendre,
Quand l’amant doit êtr’ le mari.

MAURICE.

Quand l’amant et le mari se rencontrent dans le même individu.

CLAUDINE.

Dites donc, individu, c’est donc comme ça que vous êtes de parole ? vous deviez m’écrire d’Étampes.

MAURICE.

C’est vrai, je l’ai oublié ; la lettre d’Étampes m’est sortie de la tête... D’ailleurs, que vous avais-je promis ? de vous instruire de mon arrivée ? il me semble que de cette façon c’est encore plus officiel.

CLAUDINE.

Eh bien ! c’te pension ?

MAURICE.

Obtenue... on a les douze cents livres ; ce qui est assez conséquent... avec votre ferme et mon revenu, j’espère que nous allons mener un train dans le village.

CLAUDINE.

Vous m’aimez donc encore ?

MAURICE.

Si je vous aime, est-ce que vous n’avez pas reçu toutes mes lettres ?

Il regarde la tête de Claudine.

Eh ! mais, je ne me trompe pas, c’est de mon écriture, ce sont mes lettres.

CLAUDINE.

C’est des anciennes... je les sais par cœur.

MAURICE.

Voici, par exemple, une papillote qui m’est étrangère.

CLAUDINE.

C’est de ce pauvre Latulipe !

MAURICE.

Le ci-devant.

CLAUDINE.

Vous et lui ne me sortez pas de la tête.

MAURICE.

C’est ce que je vois, j’espère pourtant qu’c’est fini pour le camarade !

CLAUDINE.

Il le faut bien !

MAURICE.

Votre Latulipe est mort.

CLAUDINE.

Il est mort ?

MAURICE.

Est-ce que je ne l’ai pas tué dans votre esprit ?... Écoutez, Claudine, belle Claudine, car, ma foi, les quinze mois que j’ai passés loin de vous vous ont encore embellie, parole d’honneur, il n’y a plus à revenir, je vous conviens.

CLAUDINE.

Je n’dis pas non, d’abord vous êtes d’un caractère farce, c’est c’qui faut dans une maison ; une femme a toujours besoin d’un mari qui l’égaie, et je suis bien sûre avec vous...

MAURICE.

Avec moi, toujours le petit mot pour rire.

CLAUDINE.

Ça a bien son agrément dans un ménage.

MAURICE.

Eh bien ! qui nous empêche de passer un petit bout de contrat, pendant que nous sommes ici ?... hem ! vous et moi sommes d’accord... Donation mutuelle, communauté de biens... Je vous reconnais-là, ferme ! tout ça va comme sur des roulettes. Allons, allons, ma petite Claudine, votre frère lui-même, s’il était encore de ce monde, me prêterait la main pour vous épouser.

Air : Vaudeville du secret de Madame.

CLAUDINE.

Allons, puisqu’il le faut, ma fine,
Touchez donc là... c’est marché fait.

MAURICE.

Et vous n’aurez pas, j’imagine,
Le temps d’en avoir du regret.
Quand vous serez ma ménagère,
Je charmerai tous vos instants ;
Je serai bon époux, bon père...
À moins qu’ nous n’ayons pas d’enfants.

ENSEMBLE.

Allons, puisqu’il faut, etc.

 

 

Scène XIV

 

CLAUDINE, seule

 

Eh bien ! oui, il a raison ; il a du bien, un état qu’est honorable, et malgré tout ça, j’éprouve un certain je ne sais quoi... Oh ! que le militaire m’aurait bien mieux convenu !

Air : J’ai perdu mon couteau.

J’aimais mieux le soldat,
C’est un plus bel état !
Le soldat,
(bis) je l’ sens là,
M’allait mieux qu’ celui-là !
Comm’ mon cœur se troubla
Quand la guerr’ l’appella !
Adieu, m’ dit-il comm’ ça,
Et puis il m’embrassa.
Là-d’ssus il s’en alla
À l’armée, et puis voilà !
Je l’ons pas vu d’puis c’ temps-là.
Encor, si j’avais d’ ses nouvelles,
Pour calmer mes peines cruelles !
Mais il ne m’écrit rien.
Y n’ m’aime plus, je l’ vois bien !
J’ n’ai donc plus d’aut’ moyen,
Pour pouvoir l’oublier,
Qu’ dépouser l’ perruquier !...

Au fait, ce bon Maurice est un brave homme... et puis c’n’est pas un perruquier vulgaire !... l’coiffeur d’un grand seigneur, d’un général est un parti assez honorable pour une fermière...

Soupirant.

Eh ben ! oui, mais ça ne me convient pas, il y a là

Touchant son cœur.

queuqu’chose qui m’dit que...

J’aimerais mieux le soldat, etc.

Comme je l’aurais aimé, le brigadier ! dieux ! c’est peut être un bonheur que je ne l’aie pas épousé, parce que c’t’ homme-là m’aurait fait faire des sottises, j’en étais trop ébouriffée... Allons, allons, il faut n’y plus penser, à ce pauvre Latulipe.

 

 

Scène XV

 

CLAUDINE, LATULIPE

 

LATULIPE.

Qu’est-ce qui parle de Latulipe ? que vois-je ? Claudine !...

CLAUDINE.

Air : Me voilà. (de la Clochette).

Ah ! grand Dieu ! (bis)
Rencontre singulière !

LATULIPE.

Oui, morbleu ! (bis)
C’est moi, belle fermière !

CLAUDINE.

C’est bien lui !

LATULIPE.

Vraiment, oui !

Moi-même... présent à l’appel !

CLAUDINE.

C’est joli, rester comme ça deux ans sans donner de vos nouvelles.

LATULIPE.

Écoutez donc, petite mère ! en temps de guerre, le service est une rude chose, au moins, et quand on vit en pays ennemi, on n’a pas toutes ses aises... et puis une blessure au bras.

CLAUDINE.

Vous avez été blessé ?

LATULIPE.

Un peu... six mois prisonnier.

CLAUDINE.

Vous avez été prisonnier ?

LATULIPE.

Tout ça gêne un homme ; mais n’allez pas vous mettre dans l’idée que je vous ai oubliée.

CLAUDINE, inquiète.

Quoi ! vous ne m’avez pas oubliée, M. Latulipe ?

LATULIPE.

L’amour et le service, mon colonel et Claudine, voilà mes chefs de file.

CLAUDINE, soupirant.

Tant pis !

LATULIPE.

Comment, tant pis !... est-ce que par hasard vous auriez fait un autre recrue ?

CLAUDINE.

Vous sentez bien que... Tenez, M. Latulipe, quand on aime une femme, on ne l’expose pas...

LATULIPE.

Qu’est-ce que vous dites donc ?... est-ce que vous croyez que je n’ai pas été exposé aussi ? moi... et les Allemandes, et les Lilloises, et les Alsaciennes, les Prussiennes, les Autrichiennes... Mais je me disais halte-là, M. Latulipe.

Air : Ah ! si Madame me voyait !

Eh ! n’avez-vous pas dû songer
Qu’éloigné de cell’ que j’adore,
Ct’ amour que je lui porte encore
Pouvait courir quelque danger :
Les Polonaises sont charmantes,
Les Prussienn’s ont l’esprit rusé,
Les Françaises sont agaçantes,
Ah ! comme j’étais exposé !

Mais quand j’étais près de succomber à la tentation, voilà ce que je me disais en moi-même : dites donc, camarade, que je me disais, vous avez avec mademoiselle Claudine Guillemain un engagement qui n’est pas rompu, et un soldat français doit être fidèle à sa maîtresse comme à son roi.

CLAUDINE.

Eh bien ! oui, je ne dis pas, mais tenez, M. Latulipe, il n’y a plus d’possibilité, le consentement est donné.

LATULIPE.

Et le mariage consommé ?

CLAUDINE.

On est allé chercher le notaire.

LATULIPE.

Alors, rien de fait.

CLAUDINE.

Comment, rien de fait ?

LATULIPE.

Eh ! non, mille bombes, croyez-vous que Latulipe soit homme à vous laisser enrégimenter à sa barbe sans avoir un bout d’entretien avec le particulier ?

CLAUDINE, se fâchant.

Le particulier me plaît, il m’aime, il m’offre une fortune à partager, il me rendra heureuse.

LATULIPE.

Heureuse comme un soldat à la salle de police, Quoi ! Claudine, moi qui reviens au pas de charge, est-il possible que vous ayez la chose de me consigner à la porte de votre cœur, quand le mien lui a servi de garnison !

Air du Pas redoublé.

Je ne me plaindrais pas, je crois,
De votre perfidie,
Si, quand vous trahissez ma foi,
Vous étiez moins jolie :
Mais loin d’la Tulipe emporter
Ces attraits, c’doux corsage,
J’ vous l’ dis tout net, c’est déserter
Avec armes et bagage.

 

 

Scène XVI

 

CLAUDINE, LATULIPE, MAURICE

 

MAURICE, très étonné.

Qu’est-ce que vois donc là ?

CLAUDINE, troublée.

Ah ! mon Dieu !

LATULIPE.

Dites donc, ma belle fermière, vous n’avez pas besoin de vous trouver mal pour ça.

CLAUDINE.

Moi, M. Latulipe ! je ne me trouve pas mal.

LATULIPE.

Non, mais vous tremblez comme l’ennemi devant notre général.

CLAUDINE.

Ah ! c’est que...

MAURICE.

C’est qu’elle a peut-être froid.

LATULIPE.

Allons, voyons, en avant les pourparlers, et après cela on verra : Nous disions donc tout à l’heure que ce Latulipe auquel vous avez juré un amour éternel, est tout-à-fait rayé de votre catalogue ?

MAURICE.

Comment, pour un malin, vous ne savez pas encore ce que c’est qu’un amour éternel ? on en a toujours deux ou trois par garnison.

LATULIPE.

Tu n’es pas encore de la conversation.

À Claudine.

Répondez, jeunesse.

CLAUDINE.

Je ne sais que vous dire.

LATULIPE.

Alors on ne jure pas d’aimer un homme toute la vie, on lui dit je vous aime de tout mon cœur pour quinze jours ou trois semaines.

MAURICE.

Un mois, un mois et demi, plus ou moins.

LATULIPE.

Au surplus, on voit bien de quoi il retourne et pourquoi le sentiment a fait un quart de conversion : le camarade est un freluquet, un conteur de gaudrioles. Moi, je suis un soldat tout franc, tout rond, je n’ai que mon épée... il a des sonnettes.

MAURICE.

Camarade, la comparaison cloche.

LATULIPE.

Quand on fait l’appel, chacun doit répondre à son tour, et le tien n’est pas arrivé.

MAURICE.

Nous ne tenons pas à ça dans notre compagnie.

LATULIPE, à Claudine.

Une femme qui quitte son amour et un soldat qui abandonne son drapeau, sont deux individus coupables, chacun dans son genre, les déserteurs sont fusillés, les femmes infidèles ne le sont pas.

MAURICE.

Parce que ça userait trop de poudre à canon.

LATULIPE.

Ah çà ! mais, camarade, tu t’émancipes.

MAURICE.

Il y a longtemps que je suis majeur.

LATULIPE.

Est-ce que tu ne vois pas que je suis en entretien particulier avec...

MAURICE.

Et c’est pour ça que je reste. Je suis bien aise de savoir ce que vous contez à ma femme.

LATULIPE.

Votre femme ?

CLAUDINE.

Oui, c’est M. Maurice mon prétendu.

LATULIPE.

Et voilà le cadet pour lequel vous m’abandonnez ?

MAURICE.

Dans le régiment des maris, on met les aînés à la réforme.

LATULIPE.

Oui dà !... mademoiselle Claudine, je vous fais compliment de la recrue ; si c’lui-là attrape jamais un chevron à votre service... Enfin, suffit, je m’entends. Vous m’avez cassé, les inclinations sont libres et volontaires... seule ment, avant de partir, je ne serai pas fâché de vous remettre un objet qui me fut confié par votre frère, pour vous...

MAURICE, très étonné.

Votre dot !

MAURICE et CLAUDINE, chacun à part.

Air : Ah ! c’ cadet-là !

Quel grand secret !
Se peut-il qu’il ait
Une dot pour Claudine ?
Aurait-il fait
Fortune en effet ?...
Vraiment cela se devine.

LATULIPE, à part.

Devine ! (bis.)
Ils sont loin de se douter
Comment je vais doter
Cette cruelle amie !

CLAUDINE, à part.

À ceci je n’entends rien.

MAURICE, à part.

Abondance de bien
Ne nuit pas dans la vie.
Au fait,
Si le mariage est
Une chaîne fleurie,
De ce lien rempli d’attrait
La dot est le bouquet.

ENSEMBLE.

Quel grand secret, etc.

Claudine sort.

 

 

Scène XVII

 

MAURICE, LATULIPE

 

LATULIPE.

À présent, à nous deux, camarades.

MAURICE.

Il me semble que c’est assez dialoguer comme ça, et que nous n’avons plus rien à démêler ensemble.

LATULIPE.

C’est vous qui triomphez !

MAURICE, commençant l’air de la belle Arsène.

Oui, je triomphe de son cœur, c’est juste, que voulez-vous, puisqu’il fallait qu’un de nous triomphât... j’aime autant que ce soit tombé sur moi, vu surtout que la jeune fermière est fort bien, et que je lui parais également...

LATULIPE.

C’est possible, cependant si je vous coupais les deux oreilles, je doute que vous fussiez encore de son goût.

MAURICE.

Oui que cela, avec deux oreilles de moins, il est certain détruit l’ensemble de la physionomie.

LATULIPE.

J’ai bien envie d’essayer.

MAURICE.

Je ne te le conseille pas.

LATULIPE.

On dirait que tu yeux prendre un ton.

MAURICE.

C’est que je sais la musique, et sur tel ton que vous voudrez, je vous chanterai votre gamme, entendez-vous, camarade !

LATULIPE.

Touchez-là, je vous estime...

MAURICE, à part.

J’étais bien sûr que ça se raccommoderait.

LATULIPE.

Nous allons nous couper la gorge.

MAURICE.

Ah ! çà, entendons-nous ! tout à l’heure, c’était les oreilles, à présent c’est la gorge !

LATULIPE.

Vous avez bien dû penser que je ne vous laisserais pas épouser tranquillement une femme que j’aime...

MAURICE.

Laissez donc on connaît ces amours militaires, une passion tous les trimestres !

LATULIPE.

Non, monsieur, mon amour est sérieux.

MAURICE.

Ça n’est pas amusant pour une femme... Le mien est gai, ça les intéresse.

LATULIPE.

Mon bonheur était dans l’amour de Claudine.

MAURICE.

Et il vous fait banqueroute ! il faut le placer ailleurs, la maison sera peut-être plus solide.

LATULIPE.

Non, je suis au poste, et je dis que tu n’épouseras la particulière, qu’après m’avoir mis hors de combat.

MAURICE.

C’est donc nécessaire... hé bien, on vous rendra ce service-là...mon bonhomme !

LATULIPE.

Tout de suite.

MAURICE.

Ad libitum.

LATULIPE.

Je te laisse le choix des armes.

MAURICE.

Les miennes sont ordinairement... les ciseaux et le ra soir, mais pour se donner un coup de peigne !

LATULIPE.

Qu’aimes-tu mieux du pistolet ou de l’épée ?

MAURICE.

Je les aime assez tous les deux.

LATULIPE.

Va pour tous les deux.

MAURICE.

Dans une heure, soit.

LATULIPE.

Parce qu’il faut que je retourne à Chambord.

MAURICE.

Je vous conseille de ne pas retenir votre place d’avance, ça s’rait peut-être de l’argent perdu.

LATULIPE.

Air : Un homme pour faire un tableau.

Tu plaisantes !

MAURICE.

Je vous dis vrai.

LATULIPE.

Songe que j’ai dix ans de salle.

MAURICE.

Quant à moi, c’est mon coup d’essai.

LATULIPE.

Dis bon soir à la capitale.

MAURICE.

Mon ancien, j’ crois à vot’ valeur ;
Mais quittez cette humeur moqueuse,
Car j’aurais assez de bonheur
Pour avoir la main malheureuse !

LATULIPE.

C’est ce qu’on verra.

MAURICE.

Dans une heure moins dix minutes, on vous procurera cette satisfaction...

 

 

Scène XVIII

 

MAURICE, seul

 

Il y tient, l’ancien, et je crois que de son côté, l’ancienne aussi, et je ferais peut-être bien... mais je dis un instant il faut d’abord savoir comment le camarade sortira de mes mains... voyons un peu... j’ai là dans cette malle une paire de pistolets, à côté de ma boîte à poudre.

Il les prend.

Les voici ces armes, qui jusqu’à présent n’ont fait de mal à personne... il me semble qu’elles ont besoin d’un petit fion.

Il met son habit bas et se met en devoir de nettoyer les pistolets.

 

 

Scène XIX

 

LATOUR, LANCETTI, MAURICE

 

LATOUR, entre les deux battants de la porte.

Monsieur Lancetti, monsieur Lancetti !

LANCETTI, allant à lui.

Qu’est-ce que vous me voulez, vous voyez que je suis avec le maréchal.

LATOUR, bas.

Tout votre monde est arrivé pour la petite fête que vous voulez lui donner.

LANCETTI, mystérieusement.

Chût ! doucement donc... vous voyez bien que monseigneur est là !

LATOUR.

Vos musiciens aussi, ils sont là, ils demandent s’il faut commencer l’aubade ?

LANCETTI.

Je vais y aller... mais sur votre tête ne dites pas que c’est moi qui ai commandé tout cela, j’ai promis le secret.

LATOUR.

Soyez tranquille, laissez-moi donc avancer que je voie le maréchal, car je ne l’ai pas regardé tantôt... Tiens, c’est pas un fort homme.

LANCETTI.

Allons, nous pouvons sortir sans qu’il s’en aperçoive... Ces grands génies, ça a toujours la tête occupée...

Lancetti et Latour sortent mystérieusement.

 

 

Scène XX

 

LATULIPE, MAURICE

 

LATULIPE.

Je suis exact au rendez-vous, monsieur Maurice, êtes vous prêt.

MAURICE.

Oui, je suis prêt.

LATULIPE.

Partons !

MAURICE.

Ce n’est pas la peine, nous sommes fort bien ici.

LATULIPE.

Allons donc, une salle d’auberge n’est pas une salle d’armes.

MAURICE.

N’ai-je pas loué l’appartement pour y faire tout ce que je voudrai.

LATULIPE.

Allons, puisque vous y tenez, restons ici, et en garde.

Il présente une épée à Maurice.

MAURICE, la prenant.

En garde... allons, mon brave homme.

Latulipe la porte une botte.

Non pas... non pas ! nous avons le contre de quarte pour ces petits coups-là...

Latulipe passe un autre dégagement.

Celui-là ne peut pas passer, nous avons l’opposition de tierce. Ah ! ah, ah ! j’aurais touché, mais je veux faire les honneurs de chez moi !

LATULIPE.

Ah ! çà, dites-donc, l’ami, faites donc pas tant...

MAURICE.

Oui da, hé bien, à mon tour !...

Maurice porte plusieurs bottes à Latulipe qui le charge ensuite. Latulipe a la main haute, et va frapper Maurice, quand on entend sous la fenêtre un bruit de trompettes, de tambours et de cymbales.

C’est une aubade.

MAURICE.

C’est égal, frappez, je monterai là haut sur cet air-là.

 

 

Scène XXI

 

LATULIPE, MAURICE, LATOUR, LANCETTI, GARÇONS et FILLES de l’auberge, FOULE de peuple

 

Tout le monde saluant Maurice.

CHŒUR GÉNÉRAL.

S’apercevant qu’il se bat à l’épée.

Air d’Aline.

Ô ciel se battre de la sorte !
Messieurs, quelle ardeur vous transporte ?
Finissez ce combat cruel !

MAURICE et LATULIPE.

Laissez-nous donc, c’est un duel !

TOUS.

Finissez ce combat cruel !

LANCETTI.

C’est assez garder le silence ;
Voyez un maréchal de France !

TOUS, étonnés.

Que dites-vous ? que dites-vous ?

LANCETTI.

Oui, de Fontenoy, de Raucoux,
C’est le vainqueur, saluez tous !

Ensemble.

TOUS.

Saluons tous !

MAURICE.

Que faites-vous ?

LANCETTI.

Nous saluons le maréchal de Saxe.

MAURICE.

Où est-il ? où est-il, le maréchal ?

LANCETTI.

Monseigneur, il n’est plus temps de garder l’incognito.

MAURICE.

Vous extravaguez !

LATULIPE.

Eh ! oui, mille canons ! vous extravaguez !... Monsieur est le perruquier du Maréchal.

TOUS, riant.

Ah ! ah ! le perruquier !

MAURICE.

Prêt à vous accommoder, si j’en étais...

LANCETTI.

Qu’est-ce à dire ! Un perruquier !

 

 

Scène XXII

 

LES MÊMES, CLAUDINE

 

CLAUDINE.

Eh ! oui ; est-ce que ça vous défrise ?

LANCETTI.

Comment ! il est de la connaissance de la fermière... Cela nous explique le duel.

CLAUDINE.

Ah ! mon Dieu, un duel... Vous avez blessé ce pauvre Latulipe ?

MAURICE, à part.

Pauvre Latulipe, ahie ! ahie !

LATULIPE.

Non, morbleu... et sans ces enragés qui sont venus troubler la partie... Allons, mademoiselle Claudine, avancez à l’ordre... regardez moi...fixe !

CLAUDINE.

Que je vous regarde...

LATULIPE.

Ah ! soyez tranquille, ce n’est pas pour vous montrer ma figure, c’est pour mieux voir la vôtre.

Il contemple les traits de Claudine.

MAURICE.

Ah ! çà mais... comme elle le regarde...

LATULIPE.

Comme vos traits me rappellent celui qui... Pauvre Guillemain ! brave garçon, mauvaise tête, et un bon officier... Il m’a sauvé la vie au siège de Prague, et moi je n’ai pu lui rendre le même service à Fontenoy : il est tombé à mes côtés. Là, je voulus panser sa blessure ... Non, me dit-il, mon faire est faite... cette balle-là vient de me signer un congé définitif ; heureusement... il y en a d’autres qui vengeront ma mort... Mais quant à toi, Latulipe... Plaît-y, mon lieutenant ? – Écoute :

Air de la Robe et des Bottes.

Après la guerre, ami fidèle,
Tâche de consoler ma sœur ;
Dis-lui qu’ ma mort est assez belle
Pour n’être pas un grand malheur :
Tu l’ vois, mes blessures sont trop graves,
Je meurs, mais je meurs comme il faut ;
Puisqu’il est un dieu pour les braves,
Je verrai du monde là-haut !

CLAUDINE, pleurant.

Ce bon frère !

MAURICE, pleurant.

Ce diable de hussard !

LATULIPE.

Là-dessus il me prend la main... tu aimes Claudine, me dit-il... Si je l’aime...

CLAUDINE.

Ah oui, vous m’aimiez bien dans ce temps-là !

LATULIPE.

Ma sœur t’aime...

CLAUDINE.

Ah !

MAURICE.

Dans ce temps-là...

LATULIPE.

Charge-toi de son bonheur, et puis portant la main à sa poitrine et détachant cette croix de Saint-Louis...

CLAUDINE.

La croix de mon frère !

TOUS.

La croix d’un lieutenant...

LATULIPE.

Air de Julie.

Porte à ma sœur ce noble gage,
Et qu’elle dise un jour à mes neveux :
De mon frère c’est l’héritage !
Vous pouvez bien parler aussi d’aïeux.
Oui, c’est un nom qu’à sa famille il laisse,
Car cette croix qu’il porta sur son cœur
Prouve qu’il a, sur le champ d’honneur,
Reçu son titre de noblesse.

MAURICE, tout attendri.

Claudine... Latulipe... mes enfants... je vois qu’il y en a un de nous trois qui doit... Malgré tout j’ai démêlé vos sentiments... ces yeux tout rouges, cet air embarrassé...

Tirant de sa poche les deux papillotes de sa première scène avec Claudine et les regardant avec réflexion.

Ces papillotes... de ce matin... Claudine, vous aimez encore le hussard...

CLAUDINE.

Vous croyez...

MAURICE.

Je vous en donne ma parole d’honneur ; aussi je crois prudent...

LATULIPE.

Vous renoncez à elle ?

CLAUDINE.

Vous renoncez à moi ?

MAURICE.

C’est-à-dire, pour l’instant.

CLAUDINE.

Ce bon monsieur Maurice !

MAURICE.

Mes chers enfants, unissez-vous... vous serez heureux, je l’espère... et

On entend l’aubade, laquelle se compose d’une musique guerrière qui doit s’exécuter dans une coulisse.

Ah mon Dieu ! j’entends les tambours, la musique... je vous achèverai ça une autre fois : allons vite au-devant du maréchal de Saxe...

TOUS, en chœur.

Air du vaudeville des Épaulettes de grenadier.

Allons fêter le chef de notre armée !
Puissent nos vœux et nos refrains guerriers
Faire chorus avec sa renommée,
Et nos bouquets s’unir à ses lauriers !

CLAUDINE, au public.

Air du vaudeville de l’Actrice.

Lorsque du maréchal de Saxe
Le grand nom par nous est cité,
Nous craignons bien qu’on ne nous taxe
D’un peu trop de témérité...
Ah ! malgré maint défaut énorme,
Je viens, Messieurs, vous supplier
De ne point mettre à la réforme
Son soldat et son perruquier !

TOUS.

Allons fêter, etc.

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