Le Réveil d’Épiménide (Philippe POISSON)

Comédie en trois actes et un prologue, et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, par les Comédiens Français, le 7 janvier 1735.

 

Personnages du Prologue

 

MELPOMÈNE

THALIE

 

La Scène est au bas du Mont-Parnasse.

 

 

Personnages de la Comédie

 

ÉPIMÉNIDE, Philosophe

MISIS, Fille d’Épiménide

CHLOÉ, Fille de Misis

MÉLITE, Cousine de Chloé

LÉONIDE, Amant de Chloé

GNATON, Amoureux de Chloé

DAVE, Esclave de Léonide

STRATON, Vieux Esclave d’Épiménide

PLUSIEURS ESCLAVES de la suite de Gnaton

 

La Scène est aux Portes de Gnosse, Ville principale de l’Isle de Crète.

 

 

PROLOGUE

 

MELPOMÈNE, THALIE

 

THALIE.

Ah ! Ah ! par quel heureux hasard

Vous rencontrai-je ici, charmante Melpomène ?

MELPOMÈNE.

Au bas du sacré Mont qu’arrose l’Hippocrène,

Je venais rêver à l’écart :

Mais je dois préférer à cette rêverie

La conversation de l’aimable Thalie.

THALIE.

Hélas ! mon entretien est, depuis quelque temps ;

Des moins vifs, je l’avoué, et des moins amusants ;

Je ne suis plus cette Thalie,

Le soutien de la Comédie.

La plupart de mes favoris,

Qui me vouaient autrefois leurs écrits,

Ont préféré le genre satyrique

Aux traits brillants de la Scène Comique :

Et bien loin d’employer ce qu’ils ont de talents

À conduire au Théâtre une intrigue agréable,

Ou de produire une morale aimable,

Ils sont tous devenus lâches et mordicants ;

Et ces esprits fâcheux, nourris dans la satyre,

Aiment mieux offenser les gens,

Que chercher à les faire rire.

MELPOMÈNE.

Vous avez cependant aujourd’hui des Sujets,

Qui font de temps en temps les plaisirs de la Scène ;

Et dont les gens de goût ont été satisfaits.

THALIE.

Parlons plutôt, divine Melpomène,

De ceux, que dans votre art vous savez inspirer.

Vous animez si bien le beau feu de leur veine,

Que sur la Scène, en foule, on les vient admirer.

Surtout, il en est un, au printemps de son âge,

Qui fait déjà juger par ses essais,

Quels seront un jour ses progrès.

Ah ! que n’ai-je même avantage ?

MELPOMÈNE.

Chacun peut dans son genre acquérir du renom :

Il ne faut que trouver et du neuf et du bon.

THALIE.

Hé ! mais... c’est là le difficile...

Ce n’est pas tout encor que trouver du nouveau ;

Il faut de l’intérêt, du vif, du bon, du beau,

Du léger, du galant, du noble dans le style ;

Que chaque caractère ait son but, son mobile ;

Et que le tout enfin représente un Tableau,

Où rien ne paroisse inutile.

MELPOMÈNE.

Je croyais à la vérité,

Plus simple, plus aisé, votre genre d’écrire.

Je n’imaginais pas que pour faire un peu rire

Il fallut tant de soins, tant de difficulté ;

Et que pour une Comédie...

THALIE.

Faites-en une, je vous prie ;

Et laissant à l’écart ce Poignard effrayant,

Mettez sur votre nés mon masque, un seul moment :

Vous auriez, je crois, peine à vous tirer d’affaire ?

MELPOMÈNE.

Ne changeons point de caractère,

Nous y perdrions toutes deux.

THALIE.

Pourquoi ? la chose pourrait plaire :

Ce changement paraîtrait curieux ;

Et quoiqu’un tel projet soit des plus chimériques,

Il n’aurait rien de trop défectueux :

Si non qu’on pleurerait aux Ouvrages Comiques,

Et qu’on rirait aux sérieux.

Cela revient toujours au même, ce me semble ?

MELPOMÈNE.

Faisons mieux. Lions-nous ensemble ;

Et cherchons quelque nouveauté,

Quelque Sujet que l’on n’ait point traité.

Dans le dessein que je propose,

Je veux entrer de quelque chose,

Et travailler avec vous de concert.

Le Champ nous est également ouvert.

On ne voit pas toujours en fureur Melpomène ;

Et je ne prétends point ensanglanter la Scène.

Imaginons quelque Sujet heureux ;

À l’Histoire joignons la Fable...

Ah ! j’en trouve un merveilleux.

Offrons aux yeux de tous ce mortel admirable,

Ce Philosophe vertueux,

Qui, par l’ordre des Destinées,

Dormit pendant quarante années,

Et crut, à son réveil, n’avoir dormi qu’un jour.

THALIE.

Ce Sujet me plaît fort.

MELPOMÈNE.

Il sera pathétique.

THALIE.

J’aurai soin d’y mêler quelqu’intérêt d’Amour.

MELPOMÈNE.

Avec délicatesse, il faudra qu’il s’explique.

Il faut que cette passion

Éclate par gradation ;

Qu’un peu de jalousie ensuite l’assaisonne ;

Et que par des transports... ah ! quel plaisir de voir

Un Amant agité réduit au désespoir ;

Et que dans les fureurs, où son cœur s’abandonne,

Se plongeant une Épée...

THALIE.

Ah ! ne tuons personne.

Le feu qui vous emporte irait un peu trop loin ;

De ce tragique-là nous n’avons pas besoin.

MELPOMÈNE.

La passion m’entraîne un peu trop, je l’avoue.

THALIE.

Songez que le Comique est l’emploi que je joue :

Et vos fureurs, en vérité,

Iraient mal avec ma gaieté.

MELPOMÈNE.

Dissipez une crainte vaine.

Allons donc achever ce dessein concerté.

Ce ne peut être pour la Scène

Qu’une agréable nouveauté,

D’y voir d’un même accord Thalie et Melpomène.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

LÉONIDE, DAVE

 

LÉONIDE.

Qui pourrait supporter l’état où je me trouve ?

La mort n’est rien au prix du destin que j’éprouve.

Ciel ! quel revers ! Hé quoi ! passer en un moment,

De la plus vive joie au plus affreux tourment ;

Après un sort si doux trouver mille supplices ;

Se voir précipité du comble des délices !

Fortune, Amour, Destin, ne vous unissez-vous,

Que pour percer mon cœur des plus sensibles coups ?

DAVE.

Quel chagrin vous agite ? Et pourquoi donc, Seigneur,

Sortir de chez Misis avec tant de fureur ?

LÉONIDE.

Ah ! Dave, je suis mort.

DAVE.

Comment ?

LÉONIDE.

Qu’on est à plaindre,

Quand on brûle d’un feu que l’on ne peut éteindre ?

DAVE, à part.

Je prévois qu’à l’amour dont il est agité,

Il sera survenu quelque fatalité.

À Léonide.

Ne pourrait-on savoir ?...

LÉONIDE.

Apprends ma destinée :

Il faut fuir de ces lieux, et dès cette journée.

DAVE.

Et pourquoi donc ?

LÉONIDE.

Chloé vient de me déclarer,

Qu’à ne la plus revoir il faut me préparer :

Mais ce qui met le comble à mon malheur extrême...

(Ah ! plus j’y pense, et plus je suis hors de moi-même,)

C’est qu’en m’interdisant pour jamais ce séjour,

Elle m’apprend qu’elle est sensible à mon amour.

DAVE.

Quelle raison a-t-elle ?

LÉONIDE.

Elle veut me la taire ;

Et je ne puis percer ce funeste mystère.

DAVE.

Cette façon d’agir ne se peut concevoir,

Elle vous aime, et veut ne jamais vous revoir ;

Voilà qui me révolte, et qui me met contr’elle

Dans un courroux... ma foi, je quitterais la belle ;

Et je la quitterais, pour n’y jamais penser.

LÉONIDE.

Ne crois pas que mon cœur y puisse renoncer :

À travers les tourments qui déchirent mon âme,

Mon amour ne saurait lui donner aucun blâme.

J’admire de son cœur l’aimable pureté,

Qui ne la quitte point dans son adversité ;

Elle sent son état, connaît mon infortune,

Sait que notre misère, en un mot, est commune ;

Et d’être unis un jour ne voyant nul espoir,

Elle veut que l’amour obéisse au devoir.

DAVE.

Il est vrai que Chloé de biens est dépourvue ;

En l’aimant, c’est aimer la vertu toute nue :

Sa mère cependant était riche jadis ;

Mais par des envieux ses biens ont été pris.

Fille d’Épiménide, elle n’était pas née,

La pauvre Dame, hélas ! pour être infortunée,

S’il allait revenir au bout de quarante ans,

Il trouverait ici des changements bien grands,

L’oracle avait, dit-on, prédit que sa patrie

Pourrait bien quelque jour le revoir plein de vie ;

J’y vois peu d’apparence, à ne vous point mentir :

Mais, Seigneur Léonide, avant que de partir,

J’irais trouver Misis. C’est une brave mère,

Je lui découvrirais de Chloé le mystère ;

Je lui déclarerais que de sa fille épris

Depuis longtemps...

LÉONIDE.

Allons, le conseil en est pris.

DAVE.

Puisque vous approuvez le conseil que je donne,

Et que vous raisonnez ainsi que je raisonne,

À votre oncle Nicandre, aujourd’hui sans façon,

Je ne cacherais rien.

LÉONIDE.

Non.

DAVE.

Il est sage, et bon ;

Et quoi qu’ainsi que vous il soit dans la misère,

Dans la ville de Gnosse on l’aime, on le révère ;

Et ce vieux Magistrat...

LÉONIDE.

Il lui faut obéir.

DAVE.

Vous le verrez, ou non ; c’est à vous de choisir.

LÉONIDE, sortant de ses réflexions.

De qui me parles-tu ?

DAVE.

De votre oncle : et je gage...

LÉONIDE.

Qu’ont de commun ici mon oncle et mon voyage ?

As-tu perdu l’esprit ?

DAVE.

À ce que je prévois,

De mes conseils donnés...

LÉONIDE.

Hé ! malheureux, tais-toi :

Je n’ai point prétendu t’avoir à mon service,

Pour prendre tes conseils.

DAVE.

Quel étrange caprice !

LÉONIDE.

Je ne balance plus, il faut partir d’ici.

DAVE.

Eh ! bien, Seigneur, partons ; je suis tout prêt aussi ;

Gagnons le Port prochain ; allons mettre à la voile,

Cela fera changer peut-être notre étoile ;

Voguons ; cherchons ailleurs de plus heureux climats :

Partout où vous irez ; j’accompagne vos pas.

L’amour ne cause ici que troubles, que traverses :

Allons servir à Sparte ; allons contre les Perses ;

Que notre désespoir leur devienne fatal...

Les Perses, cependant, ne nous font point de mal.

LÉONIDE.

Chloé m’aime, et je pars, pour jamais je la quitte !

Cet ordre rigoureux rend mon âme interdite ;

Quoi, ne la plus revoir ! Que plutôt le trépas !...

Je ne partirai point...

DAVE.

Et bien, ne partons pas.

LÉONIDE.

Mais en me déclarant aujourd’hui sa tendresse,

Elle m’a fait jurer de tenir ma promesse,

De régler mes désirs sur tous ses sentiments,

D’obéir en aveugle à ses commandements :

Si je ne les remplis a je deviens un parjure ;

Ne m’y pas conformer, c’est lui faire une injure ;

Aux arrêts de son cœur le mien doit consentir ;

Que faut-il faite ? Ô ciel !

DAVE.

Allons, il faut partir.

LÉONIDE.

Ôtes-toi de mes yeux, si tu n’as à me dire

Autre chose.

DAVE.

Tout doux, Seigneur ; je me retire

À part.

Il ne veut point partir ; il veut partir après ;

Il ne partira point ; et je le parierais.

 

 

Scène II

 

ÉPIMÉNIDE, LÉONIDE, DAVE

 

ÉPIMÉNIDE, à Dave.

Faites-moi le plaisir de m’enseigner la route de Gnosse.

DAVE.

Apparemment que vous ne voyez goute

ÉPIMÉNIDE, à Léonide.

Souffrez qu’un étranger jusqu’alors incertain

De la route de Gnosse...

LÉONIDE.

En voici le chemin ;

Et vous voyez la Ville.

ÉPIMÉNIDE.

Ô Ciel ! c’est Gnosse ? Où suis-je ?

Que d’objets inconnus !... tout me semble un Prodige.

LÉONIDE, à part.

Oui, quoiqu’elle m’impose une si dure Loi.

À Dave.

Je remplirai ses vœux. Allons, Dave, suis-moi.

 

 

Scène III

 

ÉPIMÉNIDE, seul

 

Revois-je bien le jour qui m’éclaire et me guide ?

Dormais-je encor ? Veillai-je ? Et suis-je Épiménide ?

Dans le sommeil ici mes sens étaient plongés.

Comment depuis hier ces lieux sont-ils changés ?

Je n’y reconnais rien que la Caverne obscure

Où j’ai pris le repos. Quelle est cette aventure ?

Jupiter, des Crétois Souverain Protecteur,

Daigne ôter le bandeau qui cause mon erreur.

Je vois venir ici, du fond de ces Chaumières,

Deux femmes, qu’aux habits je dois croire étrangères.

Il faut, pour me conduire, emprunter leur secours.

Mais avant de les joindre, écoutons leurs discours,

Ils pourront m’éclaircir ce mystère, peut être.

J’hésite, dans mon trouble, à me faire connaître.

 

 

Scène IV

 

CHLOÉ, MÉLITE

 

MÉLITE.

Oui, votre noir chagrin m’ôte mon enjouement.

CHLOÉ.

Ah ! Mélite, sortons du logis un moment ;

Je n’y saurais rester ; tout y blesse ma vue,

Et ne fait qu’augmenter la douleur qui me tue.

MÉLITE.

Quel serait le sujet du trouble où je vous vois ?

Ah ! ma chère Chloé, confiez-vous à moi.

Nous sommes par le sang et l’amitié liées ;

Dans nos peines aussi soyons associées.

Il est certains soucis de filles, entre-nous,

Dont l’aveu quelquefois est d’un secours bien doux.

À votre affliction je ne puis rien comprendre.

À de nouveaux malheurs devons nous nous attendre ?

De grâce, expliquez-vous.

CHLOÉ.

Non ; ce n’est que mon cœur

Qui doit s’abandonner à toute sa douleur.

Je suis la seule à plaindre ; et le Destin barbare

Contre moi seulement aujourd’hui se déclare.

MÉLITE.

Que veut dire ceci ? Par ce premier aveu

Je pourrais pénétrer... Oui je pénètre un peu...

Vous allez soupirer ?

CHLOÉ.

Hélas !

MÉLITE.

La chose est claire.

Je suis présentement au fait de votre affaire.

Avouons tout, pendant que nous sommes en train

Rien ne soulage plus qu’un secret hors du sein.

Pour éviter de prendre un détour inutile,

L’amour, de tout ceci n’est-il pas le mobile ?

Le cœur, sans biaiser, entre nous doit agir.

Ah ! Chloé, vous aimez !

CHLOÉ.

Je n’en dois point rougir.

Celui pour qui mon âme en secret s’intéresse,

Joint au sang dont il sort, la vertu, la sagesse.

Sensible à nos malheurs, soumis, respectueux,

Son cœur, pour s’expliquer, n’emprunta que ses yeux.

Les miens ont évité d’être d’intelligence ;

Sur tous mes sentiments j’ai gardé le silence :

Et pour que tout vous soit franchement révélé,

Ce n’est que d’aujourd’hui que mon cœur a parlé.

MÉLITE.

Le nom de cet Amant, si vertueux, si tendre,

Sans doute est Léonide ? On ne peut s’y méprendre.

J’en avais un soupçon ; je ne vous cache rien :

Mais jusques à présent tout ceci va fort bien,

Et je ne trouve encor rien là qui soit funeste.

CHLOÉ.

Hélas ! ce n’est pas tout.

MÉLITE.

Venons donc vite au reste.

CHLOÉ.

Ma mère, lasse enfin de nos communs malheurs,

Dont vous-même avec nous partagez les rigueurs,

N’ayant d’autres désirs que de me voir contente,

Et sachant de Gnaton la fortune éclatante,

Vient de m’apprendre... Ô Ciel ! qu’il demande ma main,

Et que je me dispose à l’épouser demain.

MÉLITE.

Ah ! ah ! ceci commence à devenir tragique.

La nouvelle m’accable, et me rend léthargiques

Et que va devenir ce malheureux Amant ?

CHLOÉ.

Je ne le verrai plus : il est parti.

MÉLITE.

Comment ?

Il est parti ?

CHLOÉ.

Tantôt dans ma douleur extrême,

À s’éloigner d’ici je l’ai porté moi-même,

Sans lui rien découvrir des motifs trop cruels

Qui causaient en ce jour nos adieux éternels,

De crainte qu’emporté par quelque violence,

Il ne vînt à donner de nos feux connaissance :

Et pendant que mes pleurs obscurcissaient mes yeux,

Pénétré de douleur, il a quitté ces lieux.

MÉLITE.

Chloé, votre conduite est un peu trop sévère.

Hé quoi ? ne pouviez-vous engager votre mère,

Observant le respect que vous devez avoir,

D’attendre quelque temps encore à vous pourvoir ?

Sans manquer aux égards, aux droits, aux bienséances,

Vous pouviez faire alors vos humbles remontrances.

On tâche au moins d’avoir quelques jours devant soi.

À quoi songiez-vous donc ? À votre place, moi.

Quoique je ne sois pas plus habile qu’un autre,

Mon amour aurait eu plus d’esprit que le vôtre

CHLOÉ.

Accablée et saisie, en cette occasion,

Hélas ! je n’ai songé qu’à la soumission.

MÉLITE.

Ne perdons point courage. Employons la journée

À rompre ou différer ce fâcheux hyménée.

Votre sort m’intéresse ; et ma tendre amitié,

De votre triste état me fait avoir pitié.

Il faudrait cependant rappeler Léonide.

CHLOÉ.

Le rappeler !

MÉLITE.

Eh oui. Que vous êtes timide !

CHLOÉ.

Où le trouver ? Ô Ciel !

MÉLITE.

Je ne puis vous nier

Que votre promptitude à le congédier.

Ne saurait se comprendre... !

CHLOÉ.

Ah ! ma chère Mélite,

Hélas ! je ne suis pas à regretter sa fuite.

MÉLITE.

Pour épouser Gnaton, il est riche, en effet ;

Mais, ma chère Chloé, quel homme ! et qu’il est laid !

Point de vice d’ailleurs ; aisément il s’enflamme.

Et n’a-t-il pas voulu me prendre aussi pour femme ?

Il m’a rendu des soins ; mais ils durèrent peu :

Et j’ai toujours traité ces soins là comme un jeu.

Mais laissons ce sujet. Ce que je puis vous dire,

C’est qu’un secret espoir ici vient me séduire.

Peut-être de Gnaton fléchirons nous le cœur ;

Tâchons d’en obtenir un délai par douceur.

Le parti qu’on doit prendre avec lui, c’est de feindre :

Il est riche, puissant, et l’on en peut tout craindre.

Ainsi que fit son père, il se fait redouter ;

Et le peu qui nous reste, il pourrait nous l’ôter.

CHLOÉ.

Dans les troubles de Gnosse il est vrai que son père

Fut un de ces Tyrans qui font notre misère.

MÉLITE.

Dans ces réflexions n’allons point nous plonger ;

Elles ne serviraient qu’à nous plus affliger.

CHLOÉ.

Oui, vous avez raison.

MÉLITE.

Ce qui vous reste à faire,

C’est de vous expliquer tantôt à votre mère :

Elle n’est point injuste, et vous écoutera.

Embrassez ses genoux, elle s’attendrira.

Et moi, sans qu’il paroisse aucune intelligence,

J’irai vous seconder de toute ma puissance.

 

 

Scène V

 

ÉPIMÉNIDE, CHLOÉ, MÉLITE

 

ÉPIMÉNIDE, à part.

Je suis, je l’avouerai, touché pour toutes deux :

Elles mériteraient d’avoir un sort heureux.

MÉLITE.

Un homme vient à nous. Sa mine est remarquable ;

Et son grave maintien...

CHLOÉ.

Il a l’air respectable.

ÉPIMÉNIDE.

Ô Ciel !

MÉLITE.

Il porte ici les yeux de toutes parts,

Et semble ne savoir où fixer ses regards.

ÉPIMÉNIDE.

Ma démarche vers vous est peut-être incivile ?

Mais, je vous prie, avant que j’entre dans la Ville...

MÉLITE.

Vous êtes Étranger, à ce qu’il me paraît ?

ÉPIMÉNIDE, surprit.

Étranger ? Oui.

MÉLITE.

Je crois qu’il ne sait ce qu’il est,

ÉPIMÉNIDE.

Où demeure Ariston ? Me le pourriez-vous dire ?

C’est un des principaux de Gnosse.

MÉLITE.

Il prétend rire.

ÉPIMÉNIDE.

Je dois mettre en ses mains des lettres de crédit...

MÉLITE.

Bon, il est mort.

ÉPIMÉNIDE.

Comment ? c’est donc de cette nuit ?

MÉLITE.

À peu-près. C’est depuis vingt-cinq ou trente années,

L’une et l’autre en ce temps n’étions pas encor nées.

ÉPIMÉNIDE.

Ceci confond mes sens, et troublé ma raison.

Et Nicandre ? est-il mort ?

MÉLITE.

Oh ! pour celui-là, non :

Mais il est si vieux...

ÉPIMÉNIDE.

Vieux !

MÉLITE.

Mais il semble à l’entendre,

Que tout ce qu’on lui dit ait lieu de le surprendre,

On connaît aisément à vos étonnements,

Que vous n’êtes ici venu de fort longtemps.

ÉPIMÉNIDE.

Ciel ! je vous avouerai que tout ceci m’étonne,

Hier, en cet endroit je n’aperçus personne,

Ces lieux me paraissaient n’être point fréquentés,

Par quel enchantement les trouvai-je habités ?

MÉLITE.

Que penser, dites-moi, d’un semblable langage ?

Vous et moi, nous rêvons ; ou bien il n’est pas sage.

ÉPIMÉNIDE.

Quand je fus en ce lieu par le sommeil pressé,

Aucun chemin alors ne se voyait tracé,

Un fleuve assez rapide arrosait la prairie,

La source, en une nuit en est-elle tarie ?

Il ne s’offre à mes yeux que des objets nouveaux ;

Tous ces chênes, hier, étaient des arbrisseaux :

Ô spectacle étonnant ! Merveille singulière !

MÉLITE.

Vous verrez qu’ils seront crus de la nuit dernière.

ÉPIMÉNIDE.

Leur surprise, la mienne, et tout ce que je vois,

Accable ma raison, et m’interdit la voix ;

Ciel ! que dois-je penser de mon erreur extrême,

S’il faut que je m’informe aujourd’hui de moi-même ?

Non, implorons plutôt la puissance des Dieux,

J’ai moi-même établi leur culte dans ces lieux,

Ce doit m’être un garant de leur bonté divine.

MÉLITE.

Mais ne peut-on savoir quelle est votre origine ?

D’où vous venez ?

ÉPIMÉNIDE.

Hélas ! daignez m’en dispenser.

Mon trouble... mon erreur... je ne puis prononcer.

MÉLITE.

Oh ! oh ! cet Étranger se trouve mal, sans doute !

À Épiménide.

Avant que vous preniez de la Ville la route,

Allez vous reposer à ce prochain logis.

Renommez-vous de nous, et demandez Misis.

ÉPIMÉNIDE.

Quoi ? la jeune Misis ?

MÉLITE.

Jeune ? Qu’allez-vous dire ?

Ce serait vous moquer.

ÉPIMÉNIDE.

J’y vais, et me retire,

 

 

Scène VI

 

GNATON, CHLOÉ, MÉLITE, ESCLAVES

 

GNATON, à ses Esclaves.

Retournez à la Ville, et recommandez bien,

Que pour presser la Fête, on ne néglige rien.

Les Esclaves s’en vont.

CHLOÉ.

Ah ! Ciel, voilà Gnaton.

MÉLITE,

Il est vrai ; c’est lui-même,

GNATON.

Ah ! bonjour. Vous voyez à quel point je vous aime.

Je hâte les apprêts du conjugal lien.

Vous allez posséder et mon cœur et mon bien.

J’avais passé chez-vous, pour conter à la mère

De notre Hymen futur l’appareil nécessaire :

Mais on m’a dit qu’au Temple elle est dès ce matin,

Elle y rend grâce au Ciel de son heureux destin ;

Tout ceci vous surprend, parlons avec franchise.

MÉLITE.

On ne peut exprimer jusqu’où va sa surprise.

GNATON.

Tant mieux. Je vous dirai que dans Gnosse je veux

Que pour ce grand Hymen, tout soit leste et pompeux.

Dès ce soir, tout sera préparé pour la Fête.

MÉLITE, à part.

Hors Chloé, qui pourrait n’être pas sitôt prête.

GNATON.

Mille feux éclatants le long de nos remparts,

De tous nos habitants, surprendront les regards ;

Cent chiffres lumineux sur chaque balustrade,

De mon riche Palais orneront la façade.

MÉLITE.

Mais pour de tels apprêts, il vous faut plus d’un mois ?

GNATON.

Il ne me faut qu’une heure en remuant les doigts.

À l’égard du festin, d’avance je déclare,

Que tout ce que l’on peut s’imaginer de rare

Y sera mis sur table avec profusion.

Ne vous attendez pas à la description,

Vous aurez le plaisir entier de la surprise ;

Il suffit seulement ici que je vous dise,

Que j’ai fait dépêcher des courriers différents,

Pour des ramiers en Chypre, et pour des ortolans ;

Jusqu’au Pactole, enfin, pour des carpes dorées ;

Et jusques à Paphos, pour des truffes marbrées.

MÉLITE.

Puisque les raretés ont pour vous tant d’appas,

Que ne preniez-vous femmes aux plus lointains climats ?

Seriez-vous le premier, qui d’une âme empressée,

Aurait fait de bien loin venir sa fiancée ?

GNATON.

J’avais assez de bien pour en faire les frais ;

Mais pourquoi chercher loin ce que l’on a si près ?

D’où vient donc que Chloé montre de la tristesse

Dans un jour qui devrait la remplir d’allégresse ?

Je l’entends qui gémit, et soupire tout bas.

MÉLITE.

Oh ! tous ces soupirs-là ne vous regardent pas.

GNATON.

Allons, de la gaieté, de la réjouissance.

CHLOÉ.

Monsieur, contentez-vous de mon obéissance.

GNATON.

Ce compliment est froid, à parler franchement.

MÉLITE.

Hé ! Comment se peut-il qu’elle parle autrement ?

Dans sa façon d’agir je la trouve excusable :

Et je vous répondrais comme elle, en cas semblable.

Sa mère vous reçoit pour être son époux,

Sans savoir fi son cœur a du penchant pour vous.

GNATON.

Comment ? Chloé serait à mes feux insensible ?

Point de penchant pour moi ? cela n’est pas possible.

MÉLITE.

Son inclination, il est vrai, peut venir.

Mais ne deviez-vous pas, avant de vous unir,

Lui rendre quelques soins ? la tendresse l’exige.

Le véritable amour ne veut pas qu’on néglige

Le moindre des devoirs et des attentions,

Que demandent toujours les belles passions.

Avant que d’éclater, on met tout en usage.

Si la bouche se tait, les yeux ont leur langage :

On donne quelquefois l’essor à des soupirs ;

On s’étudie à plaire ; on prévient les désirs ;

On s’applique aux égards ; on a des complaisances.

Ainsi de jour en jour croissent les espérances ;

Et l’on arrive enfin au moment fortuné

Où l’on voit par l’Hymen son amour couronné.

N’est-il pas fort plaisant que j’apprenne moi-même,

Qui n’ai jamais aimé, comme il faut que l’on aime ?

GNATON.

Aime ainsi qui voudra : Ce n’est point-là mon fait,

Étant riche, doit-on filer l’amour parfait ?

Une fille qui plaît, et qui n’est pas pourvue,

Est ainsi qu’un Billet qu’on doit payer à vue.

Des soupirs, des égards, des respects, de l’amour

Tout cela, selon moi, se doit faire en un jour.

Et je soutiens, malgré l’excès de votre zèle,

Que la galanterie en est cent fois plus belle.

Je vous vois prévenue un peu contre mes feux ;

Et j’en sais la raison. Vous en jugez par ceux

Que j’ai sentis pour vous, qui n’étaient, à vrai dire,

Qu’un feu follet, qu’un feu qui n’était que pour rire.

Enfin, ce n’était pas amour...

MÉLITE.

De Courtisan.

GNATON.

Pas tout-à-fait. C’était...

MÉLITE.

Amour de Partisan.

GNATON.

Tout comme il vous plaira. Ce que je puis connaître,

C’est qu’on ne peut jurer de son cœur être maître.

Chloé, de me fixer, a trouvé le moyen.

Qu’elle en est la raison ? Ma foi, je n’en sais rien.

MÉLITE.

Voulez-vous lui plaire ?

GNATON.

Oui.

MÉLITE.

Faites, de l’Hyménée

Pour quelque temps encor reculer la journée.

GNATON.

Bon ! Pourquoi reculer ?

MÉLITE.

Pourquoi ? Pour son honneur.

Tenez ; des nœuds si prompts font toute sa douleur.

Elle craint de donner prise à la médisance.

S’il vous faut là-dessus dire ce que je pense,

Un Hymen qui se fait si précipitamment,

A moins l’air d’un Hymen que d’un enlèvement.

GNATON.

Mais d’un pareil délai que penserait sa Mère ?

Et d’un autre côté, s’il faut que je diffère,

Mon ardeur s’éteindra peut-être ; et vous verrez

Que pour un autre objet...

CHLOÉ.

Hé ! Monsieur, différez :

Vous me ferez plaisir.

MÉLITE.

Vous l’entendez vous-même.

Sa façon de prier vous fait bien voir qu’elle aime.

Ce ne sont que les bruits qu’elle craint.

GNATON.

Soit. Hé bien,

Marions nous ce soir, sans qu’on en sache rien,

Incognito, Plaît-il ?

CHLOÉ.

Ciel ! que viens-je d’entendre ?

MÉLITE.

À cet expédient je n’aurais pu m’attendre.

GNATON, voyant Dave.

Ainsi nous préviendrons... Quel est ce curieux ?

 

 

Scène VII

 

GNATON, CHLOÉ, MÉLITE, DAVE

 

GNATON.

À qui donc, je te prie, en veux-tu dans ces lieux ?

MÉLITE, à Chloé.

Ah ! c’est Dave qui vient de la part de son Maître ;

Il n’en faut point douter.

DAVE, tenant une lettre, et la resserrant.

Dans ce séjour champêtre

Je venais prendre l’air.

GNATON.

Va le prendre autre part.

MÉLITE, à Chloé.

Allez avec Gnaton ; emmenez-le à l’écart,

Pour qu’en secret je parle à Dave.

CHLOÉ.

Quelle peine !

GNATON.

Quoi ! Je te trouve encor ?

DAVE.

Parbleu, je me promène.

GNATON.

Ce drôle me paraît être bien résolu.

DAVE.

Voilà, je puis le dire, un homme assez bourru.

MÉLITE, à Chloé.

Je voudrais lui parler, et ne sais comment faire.

GNATON.

Mais ici que fais-tu ?

DAVE.

Ce n’est point votre affaire,

J’y suis dans mon poste...

GNATON.

Ouais !

CHLOÉ.

Ah ! Mélite je crains...

DAVE.

Je suis ici payé pour garder les chemins.

GNATON.

Pour garder les chemins ? ceci paraît comique.

Et par l’ordre de qui ?

DAVE.

Mais... de la République.

MÉLITE.

Laissons cet importun : aussi bien à présent

Est-il temps de rentrer ; et Misis nous attend.

GNATON, prenant le bras de Chloé.

Venez, que je vous jure un feu toujours durable :

Par là, je vous rendrai le chemin agréable.

 

 

Scène VIII

 

MÉLITE, DAVE

 

DAVE.

La voilà qui s’en va. Quel diable d’embarras !

Quel signe me fait-elle ? il faut suivre ses pas.

MÉLITE.

Arrête. Donne-moi la lettre de ton Maître.

DAVE.

Excusez-moi. J’ai bien l’honneur de vous connaître :

Mais ce n’est qu’à Chloé que je dois la porter.

C’est l’ordre de mon Maître ; il faut l’exécuter.

MÉLITE.

Arrête ; écoute donc. Ne saurais-tu comprendre

Que Chloé te faisait signe de me la rendre ?

DAVE.

Mais je dois lui parler, lui faire le récit.

De l’état déplorable où l’amour le réduit.

MÉLITE.

Va, va, je lui ferai ce récit à ta place.

DAVE.

Ce récit, dans ma bouche aurait meilleure grâce.

Par moi-même on verrait la douleur qu’il ressent...

MÉLITE.

Un valet pitoyable est impatientant.

Donne-moi cette lettre, et va trouver ton Maître ;

Dis-lui que son destin pourra changer, peut-être ;

Qu’au lieu de s’affliger, il prenne quelque espoir ;

Qu’il ne s’en aille point ; que Chloé veut le voir ;

Et qu’il vienne au plus vite.

DAVE.

Oh ! oh ! c’est autre chose :

En lui ceci va faire une métamorphose.

MÉLITE.

En quel endroit est-il ?

DAVE.

À deux milles d’ici.

Il allait s’embarquer, je m’embarquais aussi...

Et...

MÉLITE.

Je n’ai pas besoin d’en savoir davantage

Qu’il revienne ; et va-t’en.

 

 

Scène IX

 

DAVE, seul

 

Volons vers le Rivage.

Quel retour pour mon Maître ! et quel ravissement !

Tantôt il attaquait dans son emportement

Sans cesse les Destins, l’Amour, et la Fortune.

Des amants maltraités c’est la plainte commune.

Je vais crier, courant au-devant de ses pas,

Destin, Fortune, Amour, nous ne partirons pas.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

ÉPIMÉNIDE, STRATON

 

STRATON.

Voilà donc ce retour qu’avait prédit l’Oracle ?

Ah ! Seigneur, quel sommeil ! ou plutôt, quel miracle !

Vos traits n’ont point vieilli. Quoi ? pendant quarante ans

Ils ont été sauvés des outrages du temps ?

Mon cœur, plus que mes yeux, a su vous reconnaître.

Épiménide ! ô Ciel ! Quoi, je revois mon Maître ?

Je ne puis me lasser d’embrasser vos genoux.

Il se jette à ses pieds.

Souffrez que je me livre à des transports si doux.

ÉPIMÉNIDE.

Charmé de retrouver un serviteur fidèle,

Je vois avec plaisir les marques de ton zèle ;

Mais avant que quelqu’un paroisse dans ces lieux,

Et que j’aille m’offrir encore à tous les yeux,

Apprends-moi, cher Straton, le sort de ma famille.

STRATON.

Hélas ! vous n’avez plus que Misis votre fille,

Elle avait épousé Miltiade ; et la mort

Depuis près de vingt ans a terminé son sort.

Du fruit de cet Hymen une fille est restée,

Dont Misis est chérie autant que respectée :

Elle adoucit ses maux et son affliction :

C’est de sa mère, enfin, la consolation.

ÉPIMÉNIDE.

Ah !’ma chère Misis ! J’allais entrer chez elle,

Quand je t’ai rencontré.

STRATON.

Pleine d’un pieux zèle

C’est à prier les Dieux qu’elle passe ses jours.

ÉPIMÉNIDE.

Puissent-ils adoucir le reste de leur cours !

Je n’ose l’espérer. Quand le Ciel me conserve,

J’ignore à quel destin son pouvoir me réserve ;

Je ne puis revenir de mon étonnement.

Quarante ans de sommeil ! Ciel ! quel événement !

Qu’il fait naître en mon cœur de troubles et d’alarmes !

Je ne revois le jour que pour verser des larmes.

Et quoique la clarté soit rendue à mes yeux,

Je ne sais si je dois en rendre grâce aux Dieux.

Où vais-je ? En une Ville, où, depuis mon absence,

Tout, hélas ! a changé de face et d’existence.

Que puis-je y retrouver ? que quelques habitants,

Qui, la plupart alors, étaient encore enfants ;

Qui, sans doute, suivant des maximes contraires,

N’auront pas hérité des vertus de leurs pères ?

Ils ne seront pour moi que de tristes objets.

Gnosse ne peut m’offrir que douleurs et regrets ;

Mes amis ne sont plus ! ô ma chère Patrie !

Que vous causez de maux à mon âme attendrie !

Et vous, grands Dieux ! témoins de mon état cruel,

Que ne me laissiez-vous un sommeil éternel !

STRATON.

Vous ne vous trompez point, Gnosse n’est plus la même.

Votre absence a causé ce changement extrême.

Pour éviter les maux qui nous ont fait gémir,

Tout ce temps avec vous nous aurions du dormir ;

Où le sort vous tirant d’une obscure demeure,

Devait vous réveiller un peu de meilleure heure.

Il montre la caverne.

ÉPIMÉNIDE.

Mais n’est-ce pas toujours même gouvernement ?

Et n’observe-t-on pas mêmes lois ?...

STRATON.

Nullement.

Tous ceux qui de vos lois auraient suivi la trace,

Ont successivement été mis hors de place ;

Et chaque nouveau Chef, par le gain excité,

N’a fait agir ses droits et son autorité,

Que pour nous rendre tous malheureuses victimes,

Et pour s’approprier des biens illégitimes.

ÉPIMÉNIDE.

Quoi ? ne vivent-ils plus dans la crainte des Dieux ?

Et pour eux le respect...

STRATON.

Il ne va guère mieux,

Et l’on songe plutôt, gâté par les exemples,

Au faste des Palais, qu’à la gloire des Temples.

ÉPIMÉNIDE.

Quels changements ! ô Ciel ! et quels dérèglements ;

Ne reste-t-il aucun des sages de mon temps ?

Il en était beaucoup, dignes par leurs maximes,

De remplir tôt ou tard les rangs les plus sublimes.

STRATON.

Il en reste, il est vrai, quelques-uns parmi nous ;

Mais ils ont beau parler, ils sont traités de fous.

ÉPIMÉNIDE.

Par qui ?

STRATON.

Par la plupart des Grands et du vulgaire ;

Et par le sexe aussi qui ne se contraint guère.

ÉPIMÉNIDE.

Les femmes autrefois pensaient différemment,

Se modéraient en tout, agissaient prudemment ;

Dans leur devoir, enfin, chacune maintenue,

N’avait que la vertu, que la sagesse en vue ;

Et leur fidélité surtout faisait...

STRATO N.

Croyez.

Que tout a bien changé pendant que vous dormiez.

ÉPIMÉNIDE.

Je n’ai donc plus dans Gnosse aucune connaissance ?

STRATON.

Vous en trouverez peu, selon toute apparence,

Ceux qui vivent encor, sont de vieux citoyens,

Depuis longtemps aussi dépouillés de leurs biens ;

Comme Argis, Cléomène, Aronce, Périandre ;

Voilà tout à peu-près : et le pauvre Nicandre.

ÉPIMÉNIDE.

Nicandre vit encor ? J’en rends grâces aux Dieux.

Où puis-je le revoir ?

STRATON.

Où ? Dans ces mêmes lieux.

Tout auprès de Misis il a fait sa demeure :

Et même vous pourriez le revoir tout à l’heure.

ÉPIMÉNIDE.

Puisque Misis n’est pas encore de retour,

Il est très important pour moi d’y faire un tour.

Si tôt que dans ce lieu tu la verras se rendre,

Reviens, sans t’arrêter, m’avertir chez Nicandre.

STRATON.

Je n’y manquerai pas.

 

 

Scène II

 

STRATON, seul

 

Retour miraculeux !

Le Ciel a donc rendu notre Maître à nos vœux !

Que va dire Misis, en le voyant paraître ?

Ses yeux facilement pourront le reconnaître ;

Car, lorsqu’il disparut, elle avait bien quinze ans :

Et lui n’a point changé pendant un si longtemps.

Mais pour notre fortune, il faudra qu’elle change ;

Ce retour à plus d’un pourra paraître étrange

Il sera des plus durs pour certains citoyens ;

Ceux qui d’Épiménide ont enlevé les biens.

Auront, je le prévois, de vieux comptes à faire.

Il faudra rendre, enfin, cela ne plaira guère

À qui s’est enrichi par des vexations.

Que nous allons avoir de restitutions !

Celui que j’aperçois, et qui fait le capable,

Plus qu’aucun autre ici pourrait être comptable.

 

 

Scène III

 

GNATON, STRATON

 

GNATON.

Bonjour, pauvre Straton

STRATON.

Bonjour, Seigneur, bonjour.

GNATON.

Dis-moi, mon cher, Misis n’est donc pas de retour.

STRATON.

Il faut que quelque affaire à présent la retienne ;

Mais, si vous souhaitez, attendant qu’elle vienne,

Je vous ferai parler au Maître du logis.

GNATON.

Quel Maître ! Que dis-tu ?

STRATON.

Le Maître que je dis,

N’est pas connu de vous, ni ne vous connaît guère :

Mais il a fort connu feu Monsieur votre Père.

GNATON.

Explique-toi.

STRATON.

Je vais m’expliquer sans détour.

Mon Maître Épiménide enfin revoit le jour.

GNATON.

Te moques-tu de moi ?

STRATON.

Qui ? moi ? je sais mieux vivre.

GNATON.

Il a perdu l’esprit, ou le coquin est ivre.

STRATON.

Ne vous alarmez point. En épousant Chloé,

Vous ne serez pas tant de vos biens dénué.

Mon Maître Épiménide est juste et raisonnable ;

Et les comptes pourront se faire l’amiable.

Mais je crois voir Misis. Adieu, Seigneur Gnaton.

 

 

Scène IV

 

GNATON, seul

 

Que prétend dire ici ce vieux fou de Straton ?

Épiménide vit ! Discours imaginaires !

Au bout de quarante ans un mort ne revient guères...

Mais quel pressentiment me vient inquiéter ?

Aurait-on des raisons pour le ressusciter ?

Mon Père fut Jadis chargé de ses affaires.

Voudrait-on rechercher ?... J’entrevois des mystères...

Misis, Chloé, Mélite, où je me trompe fort,

Et quelqu’autre peut-être avec elles d’accord,

Vont faire ici paraître un faux Épiménide,

Qui voudra de nouveau que le Sénat décide

Sur des biens, par mon Père acquis selon la Loi,

Auxquels j’ai succédé, moi, de très bonne foi.

Me disputer mes biens, lorsque je les partage,

En épousant Chloé ! Non, plus de mariage.

Ne perdons point de temps. Rassemblons le Sénat.

Mon intérêt s’accorde à celui de l’État.

Les Mécontents bientôt s’appuyant de l’oracle,

Voudraient tout renverser, et crieraient au miracle,

Mais quelque soit le Fourbe, il faut s’en assurer,

Avant qu’aux yeux du Peuple on ose le montrer.

Voici Misis ; feignons.

 

 

Scène V

 

GNATON, MISIS, CHLOÉ

 

GNATON.

On a fait diligence ;

Et je vous attendais avec impatience.

Tout est prêt ; et je viens, poussé par mon amour,

Vous prier de conclure, et dans ce même jour :

Le plutôt vaut le mieux.

MISIS.

Quoi ! dès cette journée ?

Je croyais que c’était pour demain l’Hyménée.

CHLOÉ.

De notre Hymen ainsi précipiter le temps,

Cela pourrait paraître étrange à bien des gens ;

Et Madame a raison d’en être un peu surprise.

GNATON, à part.

Fort bien. Pourquoi vouloir que l’on s’en scandalise ?

Mais s’il était besoin de garder le secret,

Là-dessus, pour vous plaire, on peut être discret.

Je choisirai d’amis un nombre raisonnable,

Nous ne serons au plus que vingt ou trente à table.

CHLOÉ.

Ma mère voudra bien accorder à mes vœux

De différer l’Hymen encore un jour ou deux.

MISIS, rêvant.

Différer de deux jours !...

GNATON.

La demande est gentille.

À part.

Il n’en faut point douter, et la mère...et la fille...

CHLOÉ.

J’ose espérer, avant que vous donner ma foi,

Que vous aurez, Gnaton, le même égard pour moi.

À Misis.

C’est une grâce enfin qu’à vos pieds je demande.

MISIS.

On peut vous l’accorder, la grâce n’est pas grande.

Je consens au délai, puisqu’il le faut ainsi ;

Et vous devez, Gnaton, y consentir aussi.

GNATON.

Ouais ! Sans avoir égard à mon impatience,

Vous montrez pour Chloé bien de la complaisance ;

Et de à part, Chloé, par ce retardement,

Fait voir ici pour moi bien peu d’empressement,

Quand je fais son bonheur. Qu’est ce donc qui se passe ?

MISIS.

Il ne faut pas trouver fort étrange, la grâce

Que demande ma fille en cette occasion.

Je sais quelle est pour moi son inclination.

Je pénètre son cœur. Non, ce n’est point la chaîne,

Qui va l’unir à vous, qui lui fait de la peine :

Et quand elle me prie encor de différer,

C’est qu’elle craint le jour qui va nous séparer.

GNATON.

Personne ne sera séparé, ce me semble ;

Car, comme je l’entends, nous vivrons tous ensemble

Chez moi, dans mon Palais ; ainsi vous voyez bien

Que toutes vos raisons, ma foi, ne valent rien.

Je conçois ce délai : l’on veut m’en faire accroire ;

Mais sachez que je suis mieux au fait de l’histoire.

MISIS.

Je ne vous entends point.

GNATON.

Et moi, je vous entends,

L’on veut ruser ici ; mais on perdra son temps.

Je saurai prévenir ce que l’on prétend faire.

Les Manœuvres à moi ne peuvent que déplaire.

Vous pouvez là dessus, si c’est votre dessein,

Réfléchir à loisir. Adieu ; jusqu’à demain.

 

 

Scène VI

 

MISIS, CHLOÉ

 

MISIS.

À tout ce qu’il me dit je ne puis rien comprendre ;

Et sa prompte sortie a lieu de me surprendre.

CHLOÉ, à part.

Ah ! s’il pouvait cesser de m’aimer !

MISIS.

Ce délai

L’a chagriné, ma fille ; il faut dire le vrai.

J’excuse son transport. Quoiqu’il fasse, ou qu’il dise

On doit peu s’en fâcher : il est plein de franchise.

Mais ne craignez-vous point que piqué comme il est ?...

CHLOÉ.

Ciel ! Il ne reviendra que trop tôt.

MISIS.

Il paraît,

Et vous me surprenez, que pour cette alliance

Vous témoignez avoir un peu de répugnance :

Le parti cependant est trop avantageux,

Pour qu’il ne fasse pas tout le but de vos vœux.

Dans le plus simple état de l’enfance élevée,

Sans biens et sans secours, dans l’infortune née,

Pouviez-vous espérer un semblable destin ?

CHLOÉ.

Aucune ambition n’a régné dans mon sein :

Et de l’amour des biens n’étant pas susceptible,

Mon cœur, à cet Hymen ne peut être sensible.

MISIS.

Opposez la raison à cette tiédeur,

Chloé ; que la prudence agisse en votre cœur ;

C’est elle seule ici qui de ce mariage

Vous doit faire gouter le solide avantage

CHLOÉ.

De cette tiédeur, que j’avoué en effet,

Je crains bien qu’un Époux ne soit pas satisfait ;

Je crains de n’être pas à ses yeux aussi tendre,

Aussi sensible enfin, qu’il a droit de l’attendre.

MISIS.

Quand on est raisonnable et sage comme vous,

On est bientôt sensible à l’amour d’un Époux ;

Et surtout, quand il joint les bienfaits à sa flamme.

Ma fille, je connais la bonté de votre âme :

Vous n’êtes point ingrate. Un noble sentiment

Fera de votre cœur un cœur reconnaissant ;

Et la vive tendresse exerçant sa puissance,

Succédera bien vite à la reconnaissance.

Je puis, pour ajouter à mon opinion,

Me donner pour exemple en cette occasion.

Après que j’eus perdu mon Père Épiménide,

Sans secours, sans appui, dans un âge timide,

Et voyant des Gnossiens tous les troubles affreux,

Miltiade m’offrit et ses soins, et ses vœux.

Quoiqu’il fut noble, riche, et dans un rang sublime,

Je ne pouvais avoir pour lui que cette estime,

Qu’au mérite on ne peut justement refuser ;

Et ne me sentais point portée à l’épouser.

Par ses empressements à la fin entraînée,

Ma prudence me fit accepter l’Hyménée ;

Et je mis à couvert, sous son autorité,

Du bien de mes parents ce qui m’était resté,

Dont quelques envieux, poussés par la licence,

Voulaient me disputer déjà la jouissance.

Je reviens à l’état où se trouva mon cœur,

Quand je vis Miltiade être mon bienfaiteur ;

À ses soins attentifs mon âme sut se rendre,

Et je vins à l’aimer de l’amour le plus tendre.

Hélas ! je perdis tout, quand il perdit le jour.

Qui fit donc cet Hymen ? ce ne fut par l’Amour.

CHLOÉ.

Mais ce fut la vertu.

MISIS.

Si dans Gnaton, ma fille,

On ne remarque point un mérite qui brille,

Et s’il n’a pas en lui, pour se faire admirer,

Toutes les qualités qu’on pourrait désirer,

Aucun défaut du moins ne le rend méprisable :

Il tient même dans Gnosse un rang considérable ;

Et de quelque façon que l’on pense de lui...

C’est ce que nous avons de meilleur aujourd’hui,

Quand de vous et de lui je conclus l’alliance...

CHLOÉ.

Je ne puis lui donner ma main sans répugnance,

Quand je songe qu’1l est fils d’un usurpateur,

Qui, nous ôtant nos biens, s’en rendit possesseur,

Ne vous souvient-il plus qu’il fit notre misère ?

MISIS.

Il n’a pas hérité des vices de son père.

L’amour qu’il a pour vous, vous paraît odieux ;

Mais s’il était, ma fille, inspiré par les Dieux ;

S’il était un décret de leur pouvoir suprême,

Peut-être ici n’ont-ils regardé que vous-même ;

Peut-être se sont-ils servis de ces moyens,

Pour vous faire rentrer aujourd’hui dans vos biens.

Car enfin ce qui rend ma douleur plus affreuse,

C’est, ma chère Chloé, de vous voir malheureuse.

Il ne me reste pas à vivre encor longtemps.

Mais votre sort me tue ; il abrège mes ans.

Je me sens tous les jours mourir de ma tristesse,

Quand je songe à l’état dans lequel je vous laisse ?

Et cependant, ma fille, il ne tiendrait qu’à vous

De me faire jouir du Destin le plus doux.

Acceptez d’un Hymen la chaîne avantageuse ;

Et je meurs sans regret.

CHLOÉ, pleurant.

Que je suis malheureuse !

Ô Ciel !

 

 

Scène VII

 

ÉPIMÉNIDE, MISIS, CHLOÉ, STRATON

 

STRATON, à Épiménide.

Voilà Misis avec Chloé, Seigneur.

ÉPIMÉNIDE, à part.

J’ai peine à retenir le trouble de mon cœur...

Sa vue et son état, hélas ! me percent l’âme ;

Et mes yeux obscurcis par mes larmes...

STRATON.

Madame,

Un étranger demande à vous entretenir.

MISIS.

Moi ! Que me voudrait-il ? Qu’on le fasse venir.

CHLOÉ.

C’est celui qui tantôt nous a parlé, je pense !

MISIS.

Il implore peut-être ici mon assistance.

Je ressens trop les coups d’un Destin rigoureux,

Pour n’être pas sensible au sort des malheureux.

ÉPIMÉNIDE.

Les promesses des Dieux, Misis, sont infaillibles ;

Vous en pouvez en moi voir des preuves sensibles.

MISIS.

Qu’entends-je ?... Ô Ciel ! Que vois-je ?... Est-ce une illusion,

Qui sur mes sens troublés...

ÉPIMÉNIDE.

Non, non, ma fille, non ;

C’est Épiménide.

CHLOÉ.

Ah !...

ÉPIMÉNIDE.

Le Ciel vous le renvoie.

MISIS.

Je cède à ma frayeur... je succombe à ma joie...

Mon Père... je me meurs.

Elle tombe dans les bras d’Épiménide.

ÉPIMÉNIDE.

Ô ma chère Miss !

Dissipez votre effroi ; rappelez vos esprits.

CHLOÉ.

Épiménide ! Ô Ciel ! Eh quoi, c’est vous, mon Père ?

Elle tombe aux genoux d’Épiménide.

ÉPIMÉNIDE, embrassant Chloé.

Cher enfant, digne objet des soins de votre Mère...

Quelle faveur du Ciel ! vous me rendez, grands Dieux !

Les plus doux de mes biens, et les plus précieux.

MISIS.

Revois-je la lumière, où m’est elle ravie ?

Tiens-je embrassé celui qui m’a donné la vie ?

ÉPIMÉNIDE.

Oui, ma fille, c’est lui ; c’est l’auteur de vos jours,

Qui, s’il est exaucé, rendra plus doux leur cours.

MISIS.

Hélas ! présentement quels vœux aurais-je à faire ?

Que demander aux Dieux ? Ils me rendent mon Père.

Je vous vois. Je jouis du bonheur le plus doux.

Quel barbare dessein vous éloigna de nous ?

ÉPIMÉNIDE.

Vous le saurez ; rentrons. À votre âme étonnée

Venez donner le calme.

CHLOÉ.

Ô Ciel ! quelle journée !

Osions-nous l’espérer ?

ÉPIMÉNIDE.

Venez, mes chers enfants ;

Que vos pleurs soient éteints dans mes embrassements.

À Straton.

Toi, prends garde, Straton, que personne à cette heure,

Ne vienne nous troubler.

 

 

Scène VIII

 

STRATON, seul

 

Soit. À mon tour je pleure...

Elle lui va conter tous nos malheurs passés.

Il a, pour les ouïr, dormi sans doute assez.

Pour ne plus retomber en disgrâce pareille,

Dès qu’il s’endormira, je veux qu’on le réveille,

Réfléchissons un peu dans mon particulier

À mon état futur. Il ne peut que briller.

D’Épiménide étant l’homme de confiance,

Mon Poste redevient un Poste d’importance,

Et des plus relevés Une telle faveur.

À mes pareils enfin me rend supérieur.

C’est pourquoi je prétends, dans l’emploi que j’exerce,

N’avoir plus désormais avec eux de commerce.

 

 

Scène IX

 

STRATON, DAVE

 

DAVE, à part.

Sachons si Léonide en secret peut parler...

Ah ! Straton est ici ! s’il pouvait s’en aller,

Il nous ferait plaisir. Il n’est pas nécessaire

Qu’un sujet tel que lui de si près nous éclaire.

Tâchons de l’éloigner.

À Straton.

Salut au grand Straton,

L’honneur de ce séjour.

STRATON.

Qu’est-ce ? Que me veut-on ?

Je ne parle à personne.

DAVE.

Hé ! c’est moi qui...

À part.

je pense

Qu’avec moi ce vieux fou fait l’homme d’importance :

Il ne faut pas pourtant me brouiller avec lui.

À Straton.

C’est Dave qui venait...

STRATON.

Ah ! bon jour, notre ami.

DAVE, à part.

Sa gravité, ma foi, me paraît trop plaisante.

Que veut dire cela ?

À Straton.

Quelqu’affaire Importante

Vous occupait, je crois ?

STRATON.

J’en ai plus d’une aussi.

DAVE.

Que ce ne soit pas moi qui vous retienne ici.

STRATON.

Non ; nul soin à présent autre part ne m’appelle ;

Et je reste en ce lieu...

DAVE, à part.

Maudite sentinelle !

STRATON.

Quand vous êtes venu, mon esprit s’occupait

De la façon jadis que l’état se réglait,

Et comme il a changé de face et de figure.

DAVE.

Si vous aviez été Chef d’un Sénat, je jure

Que l’on vous aurait eu des obligations...

Tout aurait été mieux.

STRATON.

Ah ! je vous en réponds.

Depuis assez longtemps j’entends la politique,

Et j’aurais retourné toute la République ;

Allez, ont eut de moi tiré de grands secours,

Des hommes, j’aurais su prévenir tous les tours ;

Les secrets souterrains, et les mauvaises trames,

J’aurais dessous la clef tenu toujours les femmes.

DAVE.

Oh ! ce ne sont pas-là de petits Règlements.

STRATON.

Cependant, je les ai tous rangés là-dedans.

Montrant sa tête.

DAVE.

Le poids doit être lourd. Quelle tête est la vôtre !

Il faut que vous l’ayez plus épaisse qu’un autre.

STRATON.

Or, puisque nous parlons sur ce chapitre là...

DAVE, à part.

Ô ! l’impatientant discoureur que voilà.

STRATON.

On doit s’en rapporter au grand Épiménide,

Il m’a toujours trouvé d’un jugement solide ;

Nulle affaire chez lui sans moi ne se traitait,

Et lui-même à moi seul de tout se rapportait...

Ne vous en allez point ; attendez que j’achève.

DAVE, à part.

Il ne finira point. Que la peste te crève !

STRATON.

Si bien donc que...

DAVE.

Je viens d’entendre votre nom,

Comme si l’on criait : Oh, Straton ! oh, Straton !

STRATON.

Non, si l’on m’appelait, je saurais bien l’entendre.

DAVE, à part.

Ah ! qu’à propos, ici, Mélite se vient rendre.

 

 

Scène X

 

MÉLITE, STRATON, DAVE

 

MÉLITE.

Quel bonheur ! Quel retour ! Qui l’aurait pu prévoir ?

Pour nous, pour nos Amans, quel favorable espoir !

Ne nous arrêtons point ; tandis qu’Épiménide

Embrasse ses enfants, voyons si Léonide...

À Dave.

Ah ! Dave, te voilà ?

DAVE.

J’étais, vous le voyez,

Avec le bon Straton. C’est vous qui l’appeliez ;

Ou son Maître, sans doute ?

MÉLITE.

Oui, Straton, votre Maître

Vous demande.

STRATON.

J’y cours.

DAVE.

Et le mien va paraître.

 

 

Scène XI

 

LÉONIDE, MÉLITE, DAVE

 

DAVE.

Oh ! Seigneur Léonide, avancez : il est temps.

LÉONIDE.

Ah ! pour moi quelle joie ! et quels ravissements !

Je sais quel intérêt vous avez daigné prendre

Au sort d’un malheureux...

MÉLITE.

Ce qui va vous surprendre,

Et qui doit redonner l’espoir à votre amour,

C’est que d’Épiménide...

LÉONIDE.

Oui, je sais son retour.

Je sors de chez mon oncle ; il vient de m’en instruire.

Quels heureux changements ce retour va produire !

Mon oncle m’a chargé d’aller en ce moment

Dans Gnosse divulguer ce grand événement,

J’aurais chez nos amis volé dans l’instant même,

Sans le désir que j’ai de revoir ce que j’aime.

Non, je ne pense pas, par cet espoir flatté,

Que rien soit au-dessus de ma félicité.

Cependant la surprise où tout ceci me plonge,

Me fait appréhender que ce ne soit qu’un songe.

Reverrai-je Chloé ?

MÉLITE.

Je l’attends en ces lieux ;

Et je crois que bientôt...

LÉONIDE.

Ah ! je la vois ; grands Dieux !

 

 

Scène XII

 

LÉONIDE, CHLOÉ, MÉLITE, DAVE

 

LÉONIDE.

Ah ! divine Chloé, serait-il bien possible

Qu’à mon cruel état vous montrant plus sensible ?

Vous ayez... Mais que vois-je ?

CHLOÉ.

Ah ! Léonide, hélas !

LÉONIDE.

Qu’avez-vous donc ?

CHLOÉ.

Je crois que vous n’ignorez pas

Qu’Épiménide ici, grâce au pouvoir suprême,

Nous est rendu. Mais Ciel ! de mon malheur extrême

Vous n’êtes pas instruit.

LÉONIDE.

Que dites-vous ?

MÉLITE.

Comment ?

Et quels nouveaux chagrins pourraient en ce moment ?...

CHLOÉ.

Épiménide, hélas ! informé par ma mère

D’un hymen que je hais, et qui me désespère,

Le cœur encor trop pleins de ses ravissements,

Pour vouloir là-dessus plus d’éclaircissements,

Et se persuadant qu’en mère juste et sage

Elle ne faisait rien que pour mon avantage,

Dans cette confiance a trouvé son choix bon :

Et demain je serai la femme de Gnaton.

LÉONIDE.

Ô Ciel ! quel coup affreux à mon bonheur succéder

DAVE.

Et d’autant plus affreux, qu’il parait sans remède.

MÉLITE.

Ne nous alarmons point, doucement. Dans le fond

On croit toujours les maux bien plus grands qu’ils ne sont ;

Et quoique votre père ait enfin pu souscrire...

CHLOÉ.

Je ne me flatte point, et j’ai toujours oui dire

Qu’Épiménide en tout était ferme, absolu,

Et ne changeait jamais un dessein résolu.

LÉONIDE.

Ô Ciel ! c’en est donc fait ! Je n’ai plus d’espérance !

Faisons face au Destin ; armons-nous de constance,

Et courons où m’appelle un trop juste devoir,

Je sens tout ce que peut causer le désespoir ;

S’il ne s’agissait pas ici d’Épiménide,

Peut-être verriez-vous expirer Léonide.

J’ai l’ordre de Nicandre ; et je vais dans ce jour

De votre père à Gnosse annoncer le retour,

Rassembler des amis, dont le zèle sincère

Appuiera hautement ce retour salutaire :

Et s’il est quelques gens assez séditieux.

Pour...

CHLOÉ.

Ah, Ciel ! je crains bien que quelque audacieux,

Jaloux d’Épiménide, en cette conjoncture,

Et traitant hardiment ce retour d’imposture,

Contre vous ne soulève...

LÉONIDE.

Ah ! calmez cette peur.

Je n’ai devant les yeux que votre seul bonheur ;

Il dépend de la gloire, enfin, de votre père.

Jugez si cette gloire à Léonide est chère.

Si le sort, à me nuire encor veut s’attacher,

Ah ! Chloé, je n’aurai rien à me reprocher.

 

 

Scène XIII

 

CHLOÉ, MÉLITE

 

CHLOÉ.

Où va-t-il s’exposer ? Ah ! ma chère Mélite...

MÉLITE.

De ceci, pourquoi craindre une fâcheuse suite ?

Rentrons ; de votre cœur chassez plutôt l’effroi ;

Et calmez, s’il se peut, le trouble où je vous vois.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

GNATON, seul

 

On a cru m’abuser ; la chose est avérée,

Et vient d’être au Sénat par mes soins déclarée.

Pour prévenir le coup, j’ai su tout préparer ;

Et de cet imposteur je prétends m’assurer.

Plusieurs sont de concert ; et l’on vient de m’apprendre

Qu’ils sont tous la plupart assemblés chez Nicandre.

Nicandre qui me hait, sans doute est leur appui ;

Et je n’attendais pas autre chose de lui.

Aux environs d’ici, j’ai d’espace en espace

Mis des gens affidés pour voir ce qui s’y passe ;

Et coupant court alors à de honteux projets,

De l’aveu du Sénat j’ai des gardes tout prêts,

Afin qu’au premier ordre on arrête le traitre.

Eh ! comment ? Un fripon n’aura donc qu’à paraître,

Et dire effrontément, prenant un nom connu,

Qu’il était trépassé, mais qu’il est revenu ;

Qu’il veut ravoir ses biens ; et forgeant une histoire,

Sur quelque vraisemblance on n’aura qu’à le croire ?

On punira le fourbe, où je me trompe fort.

Tout dépend à présent d’appuyer mon rapport.

Straton, qu’on a payé pour dire l’imposture,

Me serait nécessaire en cette conjoncture...

Je connais le coquin : il est intéressé.

Si pour dire un mensonge on l’a récompensé,

Je lui ferai bien voir qu’il se trompe, je gage,

Et qu’une vérité rapporte davantage.

S’il veut dissimuler, je puis, d’un autre ton...

Le voici justement.

 

 

Scène II

 

GNATON, STRATON

 

GNATON.

Straton ? holà, Straton ?

Approche. Je voudrais, puisqu’ici je te trouve ;

Un peu t’entretenir en secret.

STRATON.

Je m’approuve

De m’être transporté de ce côté, Seigneur,

Puisqu’un tel entretien va me combler d’honneur,

J’ai souvent autrefois eu quelque conférence

Dans la ville de Gnosse avec gens d’importance ;

Mais depuis qu’en ce lieu je me suis retiré...

GNATON.

Soit Je crois que Straton était considéré.

Je voudrais...

STRATON.

Oh ! c’est vous que chacun considère ;

C’est vous...

GNATON.

Laissons cela. Parlons d’une autre affaire...

STRATON.

Votre rang, votre bien, vous mettent au-dessus...

GNATON.

Faisons trêve, te dis-je, aux discours superflus.

Sans m’interrompre ici, je veux que tu m’entende.

Je connais ta droiture, et je sais qu’elle est grande ;

Qu’on peut compter dessus : et je me suis flatté

Que le sage Straton aimant la vérité,

Sur le fond de son cœur voudra régler sa bouche,

Et qu’il me dira vrai sur un fait qui me touche.

STRATON.

Voyons sur quel sujet je puis vous obliger ?

Vous n’avez qu’à parler, Seigneur, m’interroger ;

De tout temps la franchise est en moi ce qu’on loué,

GNATON.

J’en suis persuadé. Je veux que tu m’avoue

Que le retour, enfin, d’Épiménide est faux ;

Et que l’on a jugé cette fable à propos,

Pour jeter l’épouvante en la rendant publique,

Et troubler aujourd’hui toute la République.

De ta bouche j’attends cette sincérité.

STRATON.

Quoi, Seigneur, il s’agit de cette vérité ?

GNATON.

Oui.

STRATON.

Ma foi, je ne puis le dire en conscience :

À déclarer ce cas j’ai de la répugnance ;

Une forte raison m’en empêche ; et je crois...

GNATON.

À toutes tes raisons j’en puis opposer, moi,

De plus fortes encore ; et je veux bien t’apprendre

Que si tu ne la dis, je puis te faire prendre ;

Mais au contraire, vois, si tu l’avoue enfin,

Voici cent pièces d’or que je mets dans ta main.

Il lui montre une bourse.

STRATON.

Je cède à vos raisons. Mais, Seigneur, sans rancune.

Quoi, cent pièces d’or ?

GNATON.

Oui.

STRATON.

C’est cent raisons contre une,

GNATON.

Point de déguisement ; Fais-y réflexion.

STRATON.

Puisque l’on ne met point d’autre condition

Que de...

GNATON.

Non, j’en mets une ; elle est essentielle,

Le Sénat assemblé connaît déjà ton zèle :

J’ai su le prévenir ; et sans plus différer,

Le fait dont il s’agit, viens le lui déclarer.

STRATON.

Vous voulez vous moquer. Quoi, me pourra-t-il croire ?

Il dira sur le champ que je forge une histoire.

GNATON.

Ce n’est pas ton affaire. Il faut en ce moment

T’expliquer au Sénat sans réserve ; autrement,

J’ai des gens là tout prêts, qui pourraient t’y conduire

De toute autre façon. Je veux bien te le dire ;

Ils te feraient jaser plus fortement que jeu,

Avec certains apprêts, qui te plairaient fort peu.

STRATON.

Quoi, Seigneur ?...

GNATON.

Résous-toi tout à l’heure, te dis je ;

Ou je vais...

STRATON.

Puisqu’ainsi la Justice l’exige ;

Je dirai tout ; et prends la bourse, en vérité,

Pour vous rendre plus sur de ma fidélité.

 

 

Scène III

 

CHLOÉ, MÉLITE, GNATON, STRATON

 

MÉLITE.

Straton, fort à propos nous te trouvons : écoute,

Mais n’aperçois-je pas Gnaton ? Il vient, sans doute,

Prendre part au plaisir que nous avons ici

Du retour d’Épim ?...

STRATON.

Oui ; nous en parlions aussi.

MÉLITE.

Il n’est pas au logis à présent : mais je pense

Que dans fort peu de temps nous aurons sa présence.

GNATON.

Fort bien. En attendant, je vais avec Straton

Dans Gnosse faire un tour, si vous le trouvez bon.

Ma foi, vous aurez beau dissimuler, les Belles,

Et vouloir m’abuser par vos ruses nouvelles,

De votre Épiménide, à plaisir inventé...

STRATON.

Nous tardons trop longtemps, Seigneur, en vérité.

MÉLITE.

Comment ? Expliquez-vous un peu mieux, je vous, prie.

GNATON.

Viens au Sénat, Straton, prouver la fourberie.

MÉLITE.

Que veut dire ceci ? Comment, Straton, tu peux...

GNATON.

Viens faire évanouir par de justes aveux,

Ce Fantôme vain...

STRATON.

Oui.

GNATON.

Cet être chimérique,

Avec lequel on veut tromper la République.

 

 

Scène IV

 

CHLOÉ, MÉLITE

 

MÉLITE.

Ah ! le traître ! où va-t-il ? Et quelle fausseté

Va-t-il donc publier ?

CHLOÉ.

Quelle infidélité !

 

 

Scène V

 

LÉONIDE, CHLOÉ, MÉLITE, DAVE

 

LÉONIDE.

Ah ! ma chère Chloé, reprenez l’espérance.

Chacun, d’Épiménide attendant la présence,

Fait son plus doux bonheur d’un si flatteur espoir.

Tout le Peuple l’attend ; il demande à le voir.

Soit qu’encor sa mémoire ici soit respectée,

Ou que du merveilleux on ait l’âme enchantée,

Personne ne paraît douter de son retour ;

Et tous nos Citoyens bénissent ce grand jour.

DAVE.

Oui, Madame, chacun est en réjouissance.

Le vin coule à longs traits : par tout on le dispense,

Au devant des Palais, à l’entour du Senat :

C’est un avant-coureur du bonheur d’un État.

LÉONIDE.

L’espoir règne partout ; l’un se flatte sans peine

De rentrer dans ses biens ; l’autre, dans son domaine :

Celui-ci déplacé par des Persécuteurs,

Espère retrouver son rang et ses honneurs :

Cet autre condamné par un noir artifice,

Prévoit qu’en sa faveur s’armera la justice.

Tous enfin pleins de joie au Ciel levant les yeux,

Déjà de ce retour rendent grâces aux Dieux.

Tous nos anciens amis rassemblés par Nicandre,

Pressés d’un même zèle, au Sénat se vont rendre.

J’ai rempli mon devoir : et mon sensible cœur,

De cet heureux succès partageant la douceur,

Et nageant dans l’espoir que le Ciel vous envoie,

Goute autant de plaisir, ressent autant de joie,

Que si dans ce grand jour où vos vœux sont remplis,

Votre main de mes soins devait être le prix.

CHLOÉ.

Ah ! Léonide.

MÉLITE.

Et cependant vous apprendre

Qu’on traverse les soins que vous venez de prendre ;

Que sans crainte des Dieux le perfide Straton,

Oubliant son devoir, et gagné par Gnaton,

Vient d’aller au Sénat, pour déclarer lui-même

Que l’on veut l’abuser par un pur stratagème,

Et que d’Épiménide en un mot le retour

Est une fausseté.

CHLOÉ.

Oui, Straton, qu’en ce jour

J’ai vu saisi de joie...

LÉONIDE.

Est-il quelque apparence ?...

MÉLITE.

C’est, croyez-le, un complot fait en notre présence.

Nous en sommes témoins.

LÉONIDE.

Ô Ciel !

DAVE.

Ah ! scélérat,

LÉONIDE.

Ne perdons point de temps : je cours jusqu’au Sénat.

De cette fausseté j’arrêterai la suite,

Qui par d’indignes cœurs ne peut qu’être produite ;

Et les lâches auteurs de ce complot enfin,

Quels qu’ils soient, périront aujourd’hui de ma main.

CHLOÉ.

Modérez le transport que vous faites paraître :

Vous n’aurez pas besoin de vengeance, peut-être.

DAVE.

Empêchez, croyez-moi, qu’il ne sorte d’ici.

Il pourrait s’exposer, et m’exposer aussi.

LÉONIDE.

Quoi donc ? je souffrirai que cette perfidie...

CHLOÉ.

Un peu plus de prudence.

DAVE.

Oui ; Chloé vous en prie.

MÉLITE.

Épiménide, ô Ciel ! vous saurait mauvais gré

D’un tel emportement...

DAVE.

Le voilà modéré.

MÉLITE.

Croyez-moi, n’allez point en semblable occurrence

Signaler son retour par quelque violence ;

Son âme fut toujours pour la paix, la douceur ;

Et vous devez régler là-dessus votre cœur.

LÉONIDE.

À vos sages avis, hé bien, il faut souscrire ;

La prudence, au Sénat, va seule me conduire.

Pour confondre Gnaton, et son indignité,

Je ne prétends m’armer que de la vérité.

 

 

Scène VI

 

CHLOÉ, MÉLITE

 

CHLOÉ.

Straton trahir son Maître ! il commet un tel crime,

Ô Ciel ! Épiménide, en sera la victime.

Le traître impunément va nier l’avoir vu.

D’abord, sur son rapport l’esclave sera cru.

On dira que chez lui, s’il avait vu son Maître,

Ses yeux facilement l’auraient su reconnaître ;

Et sans approfondir, s’il impose...

MÉLITE.

En effet,

Dans quel triste embarras ce traître-là nous met !

Tout ceci va causer des désordres extrêmes.

CHLOÉ.

On va, de fausseté nous accuser nous-mêmes.

MÉLITE.

Mais pourquoi, s’il vous plaît, votre père en ce jour,

Ne va-t-il pas dans Gnosse annoncer son retour ?

CHLOÉ.

Non, il agit, Mélite, avec plus de prudence,

Peut-il se présenter, sans avoir l’assurance

Qu’il sera bien reçu du peuple et du Sénat ?

Hé ! plut au Ciel, hélas ! qu’il voulut sans éclat

Rester auprès de nous dans cette solitude ;

Et que du monde ici fuyant la multitude...

 

 

Scène VII

 

ÉPIMÉNIDE, CHLOÉ, MÉLITE

 

ÉPIMÉNIDE.

Chers enfants, de mon sort partagez les douceurs :

Je trouve encor pour moi quelque amour dans les cœurs.

CHLOÉ.

Auriez-vous du Sénat appris quelque nouvelle ?

MÉLITE.

Aurait-on confondu cet esclave infidèle ?

ÉPIMÉNIDE.

De qui me parlez-vous ?

MÉLITE.

Du perfide Straton,

Qui vient d’être gagné dans ce jour par Gnaton,

Pour aller divulguer par un trait exécrable

Que votre retour n’est que mensonge et que fable

ÉPIMÉNIDE.

Straton aurait commis une telle noirceur !

Mais Gnaton n’est-il pas ce riche Sénateur

Dont m’a parlé Misis, et qui, cette journée,

Devait s’unir à vous par les nœuds d’hyménée ?

MÉLITE.

Vous l’avez dit ; et c’est justement celui là :

Il est l’unique fils d’un certain Cratina...

ÉPIMÉNIDE.

Quoi de mon affranchi, que je choisis pour être

Gouverneur de mes biens ?

MÉLITE.

Il a bien fait connaître

Quel amour il avait pour votre revenu,

Il l’a si bien gardé, qu’on ne l’a pas revu.

CHLOÉ.

Hélas ! ce fut celui, dont l’âme impitoyable

Rendit encor plus dur notre état déplorable.

ÉPIMÉNIDE.

Je vois bien que les Dieux avoient par les malheurs

Résolu d’éprouver la vertu de vos cœurs.

Vous auriez, pour finir votre peine cruelle,

Aisément confondu ce sujet infidèle,

Pour peu que vous eussiez à ses yeux présenté

Cet écrit, que sur moi les temps ont respecté.

Il montre un papier.

Mais enfin, dites-moi, ce Gnaton, quel homme est-ce ?

MÉLITE.

Il est, à dire vrai, de la plus simple espèce :

Il doit à ses grands biens son rang et sa faveur :

C’est la brigue et l’argent qui l’ont fait Sénateur,

A fort peu de génie, il joint la suffisance ;

Pense suivant l’instinct, et parle comme il pense,

ÉPIMÉNIDE.

Misis en sa faveur le cœur trop prévenu,

M’avait de cet Hymen tantôt entretenu ;

Je l’avais approuvé : je le trouvais capable

De vous donner dans Gnosse un rang considérable ;

Et je le regardais dans ces occasions,

Comme le sage fruit de ses réflexions.

 

 

Scène VIII

 

ÉPIMÉNIDE, CHLOÉ, MÉLITE, DAVE

 

DAVE.

Léonide, mon Maître, et neveu de Nicandre,

M’a promptement chargé, Seigneur, de vous apprendre

Qu’assez près de ces lieux il vient de rencontrer

Des Gardes, qui de vous prétendent s’assurer.

Leur Chef, qui s’est trouvé de notre connaissance

Sur le champ à mon Maître en a fait confidence,

Disant qu’il avait mis tous ses gens en état,

Er qu’il n’attendait plus qu’un ordre du Sénat.

Léonide, Seigneur, instamment vous conjure

De rentrer chez Nicandre en cette conjoncture.

Il va de son côté pour s’éclaircir du fait,

Et tâcher d’empêcher de cet ordre l’effet.

CHLOÉ.

Ah ! Seigneur, sauvez-vous de ce danger extrême.

DAVE.

Suivi de ses amis, Léonide lui-même

Viendra pour votre fuite employer tout secours,

Et la favoriser au péril de ses jours.

ÉPIMÉNIDE.

Vous pouvez assurer le neveu de Nicandre

Que j’ai de tous ses soins des grâces à lui rendre ;

Que je reconnaîtrai ce zèle officieux.

Non, je ne prétends point m’éloigner de ces lieux.

J’entrevois les soupçons que mon retour fait naître,

Mais pour les dissiper je n’aurai qu’à paraître.

CHLOÉ.

Hé ! Seigneur, prévenez en cette extrémité,

Des Sénateurs l’erreur et l’incrédulité.

MÉLITE.

He ! quand même ils viendraient tous à vous reconnaître,

Vos ennemis seraient plus irrités, peut-être.

CHLOÉ.

Profitez, croyez-moi, de ce conseil offert ;

Et d’un péril certain mettez-vous à couvert

ÉPIMÉNIDE.

Loin de prétendre suivre un conseil si timide,

Je devrais à leurs yeux montrer Épiménide ;

Au devant du danger courir en ce moment.

Tout ce qu’à vos frayeurs j’accorde seulement,

C’est d’attendre qu’ici...

 

 

Scène IX

 

ÉPIMÉNIDE, CHLOÉ, MÉLITE, UN ESCLAVE

 

L’ESCLAVE.

Seigneur, c’est une lettre,

Que Gnaton dans vos mains m’a chargé de remettre.

ÉPIMÉNIDE lit.

Lettre.

On assure par tout que vous n’êtes pas mort,
Et qu’on vous reconnaît pour être Épiménide.
Malgré l’ardent amour qui vers Chloé me guide,
Je crois mal aisément un pareil jeu du sort.
J’ai, je vous l’avouerai, cependant grande envie
De m’unir à Chloé par les nœuds les plus doux ;
Et si vous consentez que je sois son époux,
Je croirai tout de bon que vous êtes en vie.

Ce style est singulier. Peut-on écrire ainsi ?

À l’Esclave.

Si ton Maître a besoin d’être plus éclairci ;

Qu’il vienne, je l’attends.

 

 

Scène X

 

ÉPIMÉNIDE, CHLOÉ, MÉLITE

 

ÉPIMÉNIDE.

Je vois peu d’apparence

Qu’il ait avec Straton eu quelque intelligence.

CHLOÉ.

Je crains que tout ceci ne soit un piège adroit

Pour vous mieux abuser. Seigneur, quoiqu’il en soit...

MÉLITE.

Ah ! j’aperçois Straton. Comment devant son Maître,

Se justifiera-t-il ?

 

 

Scène XI

 

ÉPIMÉNIDE, CHLOÉ, MÉLITE, STRATON

 

MÉLITE.

Maudit scélérat !

CHLOÉ.

Traitre !

STRATON.

Quels sont ces termes-là ? Comment donc m’insulter,

Lorsque chacun ici devrait me respecter :

Dans le temps que je suis de la vêtu le Guide,

Quand moi-même au Sénat je rends Épiménide ?

MÉLITE.

Quoi donc ? que veux-tu dire ?

STRATON.

On traite ainsi Straton !

MÉLITE.

Quoi ! tu n’es pas sorti tantôt avec Gnaton,

Pour aller au Sénat dire quelque imposture ?

STRATON.

Qui, moi ? je n’ai rendu que la vérité pure.

Vous êtes dans l’erreur, et vous allez savoir

Quels honneurs aujourd’hui je viens de recevoir ;

En voici le récit ; préparez-vous d’entendre.

Sur le bruit qui par tout venait de se répandre

Touchant votre retour ; et plusieurs mal instruits

Divulguant à chacun que c’était de faux bruits ;

Gnaton jusqu’au Sénat m’engage de paraître,

Pour dire de ce bruit tout ce qu’il en peut être,

Moyennant cet argent qu’entre mes mains il met,

Montrant une bourse.

Oui, Seigneur ai-je dit, vous serez satisfait.

Nous marchons ; et bientôt nous voyons de la ville

Une suite nombreuse arriver à la file :

Le monde grossissait, et s’augmentait si bien,

Que tel que je suis, moi, je ne paraissais rien.

On perce enfin la foule, et l’on me fait passage.

Je voyais tous les yeux fixés sur mon visage ;

J’entendais retentir de toutes parts mon nom.

Qu’est-ce donc qu’on veut faire au Sénat de Straton ?

Disait l’un. Moi, j’étais d’un air grave et tranquille.

Sa présence au Sénat, disait l’autre, est utile ;

Le Sénat le demande. Oh ! cela flatte bien,

Je ne le cèle point, le cœur d’un citoyen.

Je monte les degrés ; dans le Sénat j’arrive.

Qu’on me prête, ai-je dit, une oreille attentive.

Je viens exprès ici, je viens certifier

La vérité d’un fait, que je ne puis nier.

Épiménide vit ; ceci n’est point frivole.

Les Dieux nous l’ont rendu ; l’Oracle tient parole.

Je l’ai vu de mes yeux, plein de vie, existant ;

Le grand Épiménide, en un mot, est vivant.

C’est notre Maître enfin que la Ciel nous renvoie.

Chacun n’a répondu que par des cris de joie ;

Mais des cris si perçants, et si multipliés,

Que plusieurs Sénateurs ont été réveillés.

MÉLITE.

J’ai peine, je l’avoue, à croire cette histoire.

STRATON.

Il faut me bâtonner, où bien il faut me croire.

Oui, de tout le Sénat j’ai fait l’attention,

La surprise, la joie et l’admiration :

Et c’est avoir bien vite acquis sa confiance,

Pour la première fois que j’y prends ma séance.

ÉPIMÉNIDE.

Straton, je suis charmé de ton affection :

Mais cet argent reçu gâte ton action.

STRATON.

Si vous saviez, Seigneur, comme ma conscience

S’est longtemps révoltée, et s’est fait violence,

Comme j’ai combattu, comme j’ai disputé,

Ce n’est pas l’avoir pris, c’est l’avoir mérité.

Pour le Seigneur Gnaton, dont j’ai trompé l’attente ;

Il n’a pas lieu, je crois, d’avoir l’âme contente :

Car il a vu tous ceux, dont il avait l’appui,

Sur mon récit naïf se tourner contre lui.

Fort précipitamment je l’ai vu disparaître ;

Il a craint du Sénat les reproches, peut-être.

Nicandre a fait merveille ; et c’est sur son aveu,

Que contre le Gnaton quelques gens ont pris feu !

D’autres doutent encore un peu sur cette affaire ;

Mais sérieusement le Sénat délibère.

On y dispute fort ; ou du moins je le crois :

Car on en a fermé les portes après moi.

Voilà ce que j’ai fait. Seigneur, que vous ensemble ?

MÉLITE.

Je vois venir Gnaton ; le cœur me bat.

CHLOÉ.

Je tremble ?

STRATON.

Il ouvre de grands yeux, et paraît interdit.

Devant Épiménide il sera bien petit.

 

 

Scène XII

 

ÉPIMÉNIDE, CHLOÉ, MÉLITE, GNATON, STRATON

 

GNATON.

C’est vous apparemment qu’on nomme Épiménide ?

Aussi vous ai-je écrit : mon style est vif, rapide.

Pour vous, votre réponse est nue et sans apprêt,

Vous êtes sans façon, à ce qu’il me paraît ?

ÉPIMÉNIDE.

Je ne puis ignorer à quoi l’usage oblige :

Je connais les égards que le devoir exige.

Il n’est plus question ici que de savoir,

Qui de vous ou de moi doit le plus en avoir.

Apprenez seulement, si vous voulez l’entendre,

Que la seule vertu, de moi, peut tout attendre.

GNATON.

Je vous entends fort bien ; c’est à peu-près le ton

Dont avant votre mort, vous parliez, nous dit-on ;

Ceci pourtant m’étonne ; et je ne crois qu’à peine

Qu’au bout d’un si longtemps au monde l’on revienne.

Je ne sais franchement si c’est vous ; en tout cas,

Soyez Épiménide, ou ne le soyez pas,

J’aime Chloé. Je crois qu’en homme juste et sage,

Vous voudrez consentir à notre mariage ;

Car enfin, je prévois qu’on vous a prévenu ;

Et de vous je vois bien que je suis peu connu.

ÉPIMÉNIDE.

Je vous connais assez : Cratina, votre père

Avait ma confiance ; et pour ne vous rien taire...

GNATON.

Il la méritait bien ; et je puis protester...

ÉPIMÉNIDE.

Non, non ; dites plutôt qu’il la put mériter.

Je sais quel zèle il eut, et quelle en fut la suite

Comment justifier sa barbare conduite ?

De ma triste famille il causa le malheur ;

Il fut, de mes enfants même persécuteur ;

Et loin de leur donner les secours nécessaires,

Par de honteux détours...

GNATON.

Dites que vos affaires

Étaient plutôt alors en fort mauvais état.

J’en connais le détail ; j’en sais le résultat ;

Je suis au fait de tout. La chose est si visible,

Que je pourrais prouver... Mais il n’est pas possible.

Que vous vous souveniez de cela, vous ?

ÉPIMÉNIDE.

Vraiment,

Je suis charmé de voir un tel arrangement ;

Puisque vous avez su par des routes si claires,

Sans trop de soin, vous mettre au fait de mes affaires,

Tenez, de cet écrit examinez le sens :

La dette, vous voyez, est de trais cent talents.

GNATON.

Ho bien, les Magistrats jugeront cette affaire.

ÉPIMÉNIDE.

Ils pourront la juger, ainsi que je l’espère.

GNATON.

Ils jugeront d’abord si vous êtes vraiment.

Épiménide.

ÉPIMÉNIDE.

Allez, je ne crains nullement

D’en être méconnu. Je ne dois en attendre

Qu’une prompte justice : ils sauront me la rendre :

Je ne veux que paraître à leurs yeux, une fois...

Qui pourrait mieux que moi leur parler de leurs lois ?

Et tirer de l’oubli tant de maximes sages,

Dont ils ont négligé les divins avantages.

Ce n’est point que je veuille en leur société

Aujourd’hui m’arroger aucune autorité :

Qu’ils n’appréhendent pas que jamais j’y prétende ;

Mais qu’on la rende aux lois, c’est ce que je demande.

Je n’ai point des trésors la vaine ambition ;

Je ne suis point tenté de leur possession ;

J’en reconnais l’erreur, je l’avoue ; et confesse

Que pour un sage, hélas ! c’était une faiblesse

De n’avoir pas, jadis, constamment refusé

Les biens, dont tant de fois je fus favorisé,

Et dont on crut devoir faire ma récompense,

Ce sont les mêmes biens dont j’eus la jouissance,

Qui déjà contre moi soulèvent dans ces lieux

Les esprits inquiets, et les cœurs envieux.

De ces biens désormais je prétends fuir l’usage,

Et de la pauvreté faire mon seul partage.

Heureux, si je pouvais durant mes faibles ans,

Voir du simple réduit qu’habitent mes enfants,

Mon exemple porter à tous les cœurs envie,

Et partout la vertu dans Gnosse rétablie !

GNATON.

Ce discours m’attendrit ; je suis prêt à pleurer...

Non, il faut avec moi venir tous demeurer,

Donnez-moi votre fille, et consentez...

CHLOÉ.

Mon père,

Si mon repos vous touche, et si je vous suis chère,

Au nom de tous les Dieux épargnez-moi l’horreur

D’accepter un Hymen qui répugne à mon cœur.

Souffrez plutôt, souffrez que je passe ma vie

Dans ce même désert, qui flatte votre envie.

Ma seule ambition est de vivre avec vous ;

Et ce sera pour moi le destin le plus doux.

ÉPIMÉNIDE.

Je suis charmé, Chloé, de cet aveu sincère :

De pareils sentiments qui flattent votre père,

Et qui, sans nuls efforts partent de votre cœur,

Si vous les conservez, feront votre bonheur.

GNATON.

Quoi ! malgré tous mes biens et mon amour sincère,

Elle veut éluder ? Quel serait ce mystère ?

Allons, il faut avoir un peu de fermeté ;

Servez-vous, croyez-moi, de votre autorité ;

Et faites voir, montrant un cœur fier et rigide :

Que vous êtes ici vraiment Épiménide.

ÉPIMÉNIDE.

Vous serez satisfait dans le même moment :

Et pour vous en convaincre encor plus aisément,

Quoique ce titre doive à vos regards suffire,

Tenez, je vous le rends.

GNATON, recevant le parier, et interdit.

Je ne sais plus qu’en dire...

ÉPIMÉNIDE.

L’avantage aujourd’hui que j’en retirerais,

Captiverait mon cœur plus que je ne voudrais.

GNATON.

Qui, pour Épiménide on doit vous reconnaître ;

Si vous ne l’êtes pas, vous méritez de l’être :

Et je vois à présent...

 

 

Scène XIII

 

ÉPIMÉNIDE, LÉONIDE, CHLOÉ, MÉLITE, GNATON, STRATON

 

LÉONIDE.

Venez, Seigneur, venez

Jouir de tous les droits qui vous sont destinés.

Le Sénat, qui du peuple a reçu le suffrage,

Vient ici pour vous rendre un éclatant hommage.

Mon oncle, à ma prière, a daigné consentir,

Que je prisse le loin de vous en avertir.

ÉPIMÉNIDE.

Sage et digne neveu du vertueux Nicandre,

De l’amour des Gnossiens mon cœur doit tout attendre :

Ce zèle, dont par vous je suis trop honoré,

De leur affection m’est un gage assuré.

LÉONIDE.

Mais que vois-je ? Gnaton ?... Ciel ! de ma destinée

Je ne dois plus douter. Ah ! de cette Hyménée

Ne soyons pas témoins ; et plutôt que mes yeux...

ÉPIMÉNIDE.

Léonide, arrêtez. D’où vient que de ces lieux ?...

Mais que vois-je ? Ma fille en larmes : Léonide

Au désespoir.

GNATON.

Ah ! ah ! ma foi, ceci décide.

Ne vous contraignez point, présentement je vois

D’où vient l’aversion que vous aviez pour moi.

LÉONIDE.

Ah ! Seigneur, vous venez de découvrir vous même

De mon cœur accablé la passion extrême,

Qui, si mon désespoir n’en arrête le cours,

Fera, je le prévois, le malheur de mes jours.

CHLOÉ.

Si je n’ai pu, Seigneur, dans ces tristes alarmes,

Étouffer mes soupirs, et retenir mes larmes...

ÉPIMÉNIDE.

Je ne m’oppose point à de si tendre nœuds ;

Voudrais-je, mes enfants, vous rendre malheureux ?

Et lorsque dans ce jour chacun ici s’empresse,

À me marquer quelle est de son cœur l’allégresse,

Vous-mêmes aux regrets, aux pleurs abandonnés,

Seriez-vous donc ici les seuls infortunés ?

LÉONIDE.

Ah ! Seigneur, quel bonheur ! quel plaisir !...

CHLOÉ.

Ah ! mon père !

GNATON.

Je me sens tout-à-coup par un retour sincère...

L’excès de leur amour... votre cœur généreux...

Me trouble... m’attendrit... me confond... et je veux...

Je paye aux deux Amants cette reconnaissance ;

Et regrette Chloé moins que votre alliance.

ÉPIMÉNIDE.

Les nobles mouvements que vous me faites voir,

Et ce tendre retour, surpassant mon espoir :

Et ne pouvant partir que d’un cœur magnanime,

Ils vous feront garants de toute mon estime.

Allez trouver Misis, ma fille, en cet instant ;

Allez la préparer aux honneurs qu’on me rend ;

Dissipez ses ennuis ; son âme est inquiète,

Et n’a dans ce moment qu’une joie imparfaite.

Nous, allons prévenir le Sénat en ces lieux,

Et de notre destin rendre grâces aux Dieux.

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