Le Rival obligeant (Alexandrine-Sophie DE BAWR)
Comédie en quatre actes.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Ambigu-Comique, le 4 juillet 1794.
Personnages
MONSIEUR GRIGNARD
MADAME GRIGNARD, son épouse
MADEMOISELLE LAURE, pupille de Monsieur Grignard
SAINVILLE, jeune peintre, amant de Laure
MONSIEUR DESBOSQUETS, neveu de Monsieur Grignard
MARINE, suivante de Laure
FRONTIN, valet de Sainville
MONSIEUR RENAUD, notaire
La scène se passe dans l’intérieur du jardin de Monsieur Grignard
Le théâtre représente l’intérieur d’un jardin ; dans le fond du théâtre est une grille qui est ouverte, à gauche de l’acteur est un bosquet, avec une table de pierre.
Scène première
SAINVILLE, est d’abord seul dans le jardin, dessinant un point de vue, FRONTIN, accourant
FRONTIN.
Monsieur, monsieur !
SAINVILLE.
Eh bien ! me voilà.
FRONTIN.
Ah ! je vous trouve enfin.
SAINVILLE.
Est-ce que le coche est prêt à partir ?
FRONTIN.
Le coche ? il est parti ?
SAINVILLE.
Comment ?
FRONTIN.
Sans doute. Les voyageurs, qui d’abord avait consenti à vous attendre, se sont vraisemblablement impatientés, et lorsqu’après vous avoir cherché inutilement, je suis revenu au rendez-vous, on avait levé l’ancre, et le coche s’échappait avec la rapidité de l’éclair.
SAINVILLE.
Ah ! grand dieu ! comment allons-nous faire ?
FRONTIN.
Nous allons paisiblement passer la journée dans ce bois, coucher dans quelque mauvaise auberge, et demain, s’il arrive un nouveau coche ou quelques voitures publiques...
SAINVILLE.
Demain ! songes donc au temps que cela nous fait perdre ; je brûle d’arriver à Melun.
FRONTIN.
Vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous. Toutes les contrariétés que nous avons éprouvées en route, ne viennent elles pas de la rage que vous avez de dessiner chaque points de vue que vous rencontrez ?... Je suis sûr qu’il n’y a pas un moulin, un torrent, une montagne, depuis Rome jusqu’à Auxerre, dont vous n’ayez le croquis dans votre portefeuille.
SAINVILLE.
Que veux-tu ? la nature est si belle ? et tiens, regarde, pouvais-je résister au plaisir de dessiner un site aussi agréable.
Il lui indique un point de vue de l’intérieur du jardin.
J’ai trouvé cette grille ouverte et je suis entré.
FRONTIN.
Eh ! parbleu, la nature se trouve partout ; vous auriez pu la peindre à Melun tout comme ici. D’ailleurs, vous négligez certainement un de ses plus beaux ouvrages, mon portrait, que vous me promettez depuis six mois, n’est pas encore commencé.
SAINVILLE.
Tu me fais rire malgré mon humeur.
FRONTIN.
Croyez-vous que je n’en ai pas une bonne dose aussi, j’avais, dans le coche, commencé certaine aventure avec une petite nourrice, jolie comme les amours, j’espérais la terminer heureusement, avant d’arriver à Melun ; il faut que cette petite femme-là ait bien du malheur.
SAINVILLE
Il s’agit bien de toutes ces folies, c’est Laure qui m’occupe, ma chère Laure, que j’espérais revoir demain.
FRONTIN.
Et cet oncle, monsieur, cet oncle qui vous attend avec la plus grande impatience, qui va nous recevoir comme ses en fans, et nous donnera de l’argent, dont, grâce à vos dépenses en Italie, nous avons grand besoin.
SAINVILLE.
Ah ! je ne suis pas inquiet de mon oncle, il est fort riche et m’aime comme son fils ; mais ce qui me tourmente, c’est le silence que garde Laure depuis six mois ; mon oncle ne m’en parle point dans ses deux dernières, il faut qu’il n’ait pas reçu celles où je lui demandais des détails à cet égard.
FRONTIN.
Ces détails étaient peut-être chagrinants, et ce bon oncle vous en aura fait grâce !
SAINVILLE.
Que peut-il lui être arrivé ?
FRONTIN.
Quel âge avait-elle lorsque vous partîtes pour l’armée.
SAINVILLE.
Dix-sept ans.
FRONTIN.
C’est l’âge auquel il peut arriver beaucoup de choses à une femme ; mais il ne faut pas vous inquiéter ; d’abord, elle est peut-être morte.
SAINVILLE.
Malheureux !
FRONTIN.
Mais, monsieur, je ne vous dis pas cela pour vous consoler, c’est qu’alors elle ne serait pas coupable ; ensuite elle est peut-être mariée.
SAINVILLE.
Cela est impossible ; son père n’avait promis sa main, et je la regarde comme ma femme.
FRONTIN.
Écoutez, monsieur, un ancien philosophe dit : que l’homme sage doit s’attendre, en revenant d’un voyage, à trouver sa maison brûlée, sa femme infidèle et ses enfants morts ; attendez-vous à trouver la ville de Melun sans dessus-dessous, toutes vos espérances renversées, ce qui s’en manquera sera gain.
SAINVILLE.
Nous aurions bien un moyen, Frontin, d’y arriver cette nuit.
FRONTIN.
Comment cela, monsieur ?
SAINVILLE.
En prenant la poste.
FRONTIN.
Et de l’argent ?
SAINVILLE.
J’en ai assez, si nous nous décidons à ne rien prendre dans la route.
FRONTIN.
Miséricorde ! comment voulez-vous, monsieur, faire vingt mortelles lieues sans manger, dans quel état arriverions-nous chez le cher oncle ? faibles, exténués, mourant d’inanition... D’ailleurs, ne peut-il pas arriver un accident qui nous retarde ? alors nous sommes deux hommes morts ! ah ! monsieur si vous avez quelque pitié du pauvre Frontin, renoncez à ce projet, renoncez-y, monsieur, ou le désespoir s’empare de moi.
SAINVILLE.
Je te reconnais bien là, gourmand insatiable.
FRONTIN.
Gourmand ! parce qu’on ne veut pas mourir de faim ; monsieur, la nature a ses droits.
SAINVILLE.
Eh bien ! je consens donc a attendre la voiture publique jusqu’à demain : mais c’est bien malgré moi... Retournons à l’auberge et sachons à quelle heure nous pourrons partir.
FRONTIN.
Oui, monsieur, retournons à l’auberge et... Monsieur !
SAINVILLE.
Quoi ?
FRONTIN.
Une jeune personne qui vient à nous ; voyez donc, voyez donc.
SAINVILLE.
Ô ciel !
FRONTIN.
Qu’est-ce donc ? monsieur ?
SAINVILLE.
C’est elle-même, c’est Marine.
FRONTIN.
Qui, Marine ?
SAINVILLE.
La femme de chambre de Laure.
FRONTIN.
Elle est vraiment jolie cette petite Marine-là.
Il arrange sa cravate.
Scène II
SAINVILLE, FRONTIN, MARINE
MARINE.
Me trompé-je ! c’est M. Sainville.
SAINVILLE.
Ah ! ma chère Marine, quel bonheur de te rencontrer ; dis-moi, ta maîtresse m’aime-t-elle toujours, m’attend-elle avec impatience ? serait-elle ici ? répond donc !
MARINE.
Un moment, monsieur, donnez-moi le temps de me reconnaître ! d’abord ma maîtresse est ici, vous savez qu’elle a perdu son père ?
SAINVILLE.
Elle a perdu son père !
MARINE.
Hélas ! oui, monsieur, il l’a confiée en mourant aux soins de M. Grignard, qui habite cette maison, et chez lequel nous logeons.
SAINVILLE.
Quoi ! ma chère Laure est aussi près de moi ? ah ! courons...
MARINE.
Doucement, doucement, monsieur, il s’est passé bien des choses pendant votre absence, ma maîtresse est furieuse contre vous.
SAINVILLE.
Contre moi ? pour quelles raisons ?
MARINE.
Elle vous dira cela elle-même, car elle me suit, nous allions à la promenade, et nous ne nous attendions pas, je vous jure, à vous rencontrer ici.
SAINVILLE.
Mais, comment...
MARINE.
Tenez, la voici.
Scène III
SAINVILLE, FRONTIN, LAURE, MARINE
SAINVILLE.
Ah ! ma chère Laure, quel fortuné hasard vous rend à mes désirs.
LAURE, froidement.
Quoi ! c’est vous, monsieur ?
SAINVILLE.
Quelle froideur !
FRONTIN.
La réception n’est pas de bon augure.
SAINVILLE.
Un tel accueil, Laure, a droit de m’étonner ; votre cœur est-il donc changé ? parlez, suis-je le plus malheureux des hommes ?
LAURE.
J’ai tout lieu de penser, monsieur, que les sentiments de mon cœur doivent vous êtes fort indifférents, et le silence que vous gardez avec moi depuis six mois...
SAINVILLE.
Le silence !
MARINE.
Et surtout vos amours avec une comtesse italienne.
SAINVILLE.
Une comtesse italienne ! que voulez-vous dire ?
FRONTIN.
Il me paraît, monsieur, qu’il y a ici du malentendu ou que de faux rapports ont pu vous nuire ; mademoiselle, avec la permission de mon maître, que je vois trop accablé de vos soupçons pour avoir la force de se justifier, je vous ferai le serment que jamais comtesse ou marquise n’ont pu effleurer la fidélité qu’il vous a toujours gardée ; quand à son silence, j’ai moi-même porté à la poste ses lettres auxquelles nous nous désespérions de ne point recevoir de réponse.
SAINVILLE.
Il dit vrai, et j’étais disposé à vous faire des reproches à cet égard ; mais je vois à quel point je vous suis devenu in différent, et vous auriez dû vous éviter la peine de chercher un prétexte pour justifier votre changement.
LAURE.
Se pourrait-il ! Marine ; tout ce que m’a dit mon tuteur, serait-il donc faux ?
MARINE.
Ma foi, mademoiselle, je serais tenté de le croire.
LAURE.
Ah ! Sainville, si vous m’aimez encore ? nous allons être bien malheureux.
SAINVILLE.
Que voulez-vous dire ?
MARINE.
Apprenez donc que M. Grignard a tout pouvoir sur mademoiselle, et qu’il la marie ce soir.
SAINVILLE.
Ô ciel !
LAURE.
Hélas ! il est trop vrai ; mon tuteur m’a assuré si souvent que vous m’aviez oubliée, votre silence qui venait à l’appui des ses calomnies, m’a tellement persuadée, que, dans l’espoir de ne plus penser à vous, j’ai consenti, depuis huit jours, a épouser M. Desbosquets.
SAINVILLE.
Et qu’est-ce que c’est que ce M. Desbosquets.
MARINE.
C’est le neveu et l’unique héritier de M. Grignard. il a vingt ans, il est bête comme un oison, et bavard comme une vieille femme.
FRONTIN.
Voilà un excellent mariage que fait là mademoiselle.
SAINVILLE.
Mais j’espère que mon arrivée apportera quelques obstacles à ces nœuds ; M. Grignard doit connaître mes droits à votre main, et je vais...
MARINE.
Qu’allez-vous faire, monsieur, le tuteur ne veut point entendre parler de vous, il vous regarde comme un très mauvais sujet ; votre oncle a tout tenté pour le faire changer d’avis à votre égard, il lui a écrit vingt lettres ; mais soit qu’en effet M. Grignard ait entendu sur votre compte quelques rapports qui ne vous étaient point favorables, ou soit que la fortune de ma maîtresse lui fasse désirer de l’unir à son neveu, il a juré que vous ne metteriez pas le pied chez lui.
SAINVILLE.
J’y entrerai cependant, et je vais d’abord commencer par aller tuer ce M. Desbosquets.
LAURE.
Arrêtez, Sainville, vous me faites frémir.
FRONTIN.
Monsieur, monsieur si vous daignez m’en croire, nous adopterons des moyens plus doux, j’ai toujours eu pour principe, qu’en affaire il faut tuer le moins de monde possible, essayons d’abord de parvenir à notre but par l’adresse et la ruse. Quant à M. Desbosquets, il est là, et ne peut nous échapper, il sera toujours temps de le tuer lorsque nous aurons usé nos autres ressources.
MARINE.
Ce garçon-là parle avec beaucoup de bon sens.
LAURE.
Oui, Sainville, et je vous conjure de ne vous porter à aucune violence, je crois à votre amour, à votre fidélité ; croyez-vous même que j’emploierai tout pour être à vous.
SAINVILLE.
Mais que pouvons nous entreprendre, si vous avez promis, si ce maudit mariage doit se faire ce soir !
MARINE.
Eh ! mon dieu ! monsieur, on en a rompu de plus avancé ; il faut seulement nous bien entendre tous les quatre, et surtout vous introduire dans la maison. Où logez-vous ?
FRONTIN.
Nous logions ce matin dans le coche, et nos effets sont restés dans une auberge sur le bord de l’eau.
MARINE.
Il faut vous établir près d’ici, nous avons justement une auberge en face de notre porte du côté de la rue.
SAINVILLE.
Eh bien ! Frontin, va sur-le-champ t’informer, s’il y a de la place, et tu iras ensuite chercher nos paquets.
FRONTIN
Oh ! le déménagement ne sera pas long, à titre de peintre et de militaire, tout le bagage de mon maître consiste en quelques dessins et son uniforme.
SAINVILLE.
Allons, laisse-là tes folies et cours.
MARINE.
Un instant, monsieur, un instant ; il ne suffit pas d’être notre voisin, il faut, comme je vous l’ai dit, vous introduire chez M. Grignard, et voici mon projet : vous saurez que depuis vingt-sept ans, il travaille à une histoire des guerres : ne pourriez-vous pas changer de nom et vous présenter à lui sous le prétexte de connaître son ouvrage ; il faudrait vous dire homme de lettres, arrivant de Paris ; il croira facilement qu’ayant entendu parler de lui et de son livre...
SAINVILLE.
Je t’entends, je t’entends, et ce plan est excellent.
LAURE.
D’autant plus que madame Grignard fait des vers et qu’elle sera enchantée de vous les lire.
FRONTIN.
Quel plaisir, monsieur ! vous n’aurez pas le temps de respirer ; à peine un des deux vous aura-t-il laissé, que l’autre s’emparera de vous.
SAINVILLE.
Cela ne sera pas fort amusant, mais tout doit céder au désir de rompre cet indigne hymen, et l’amour me donnera du courage.
FRONTIN.
Allons, il ne faut pas perdre une minute, il serait bien malheureux que quatre gens d’esprit ne l’emportassent pas sur trois imbéciles. Nous nous en tirerons, j’espère, sans avoir besoin de tuer cette pauvre bête qui ne nous a jamais rien fait ; je vole et je reviens.
Il sort.
SAINVILLE.
Tu me retrouveras ici.
Scène IV
LAURE, SAINVILLE, MARINE
MARINE.
Maintenant, monsieur, disposez-vous à jouer votre rôle.
SAINVILLE.
Oui, je me nomme Duparc, j’arrive de Paris, j’ai entendu parler de M. Grignard, et le désir de faire connaissance avec lui, m’amène...
MARINE.
À merveille.
LAURE.
Ô ciel ! M. et madame Grignard.
MARINE.
Il faut saisir l’occasion ; monsieur, feignez d’écrire, et abordez-les s’il est possible ; nous, mademoiselle, tâchons de rentrer sans être aperçues.
Elles sortent.
Scène V
SAINVILLE, MONSIEUR GRIGNARD, MADAME GRIGNARD
Sainville feint d’écrire avec attention, M. et madame Grignard ne le voient pas d’abord,
MADAME GRIGNARD.
Oui, mon chou, je crains fort que Laure, loin d’aimer votre neveu...
MONSIEUR GRIGNARD.
D’où vous vient cet idée, m’amour.
MADAME GRIGNARD.
Hier au soir, me trouvant seule avec elle, je voulus, pour charmer sa mélancolie, lui lire cette dernière idylle que j’ai faite sur les amants heureux. Elle en écouta les premiers vers avec une sorte d’impatience, et me quitta en se plaignant d’un très grand mal de tête. Cette peinture si vraie des plaisirs de l’amour, qui règne dans mon ouvrage redoublait sa peine loin de la calmer.
MONSIEUR GRIGNARD.
Si je ne craignais de vous déplaire, ma chère épouse, je me permettrais de vous dire que cela ne signifie rien, car si vous vous rappelez que depuis trois semaines, à peu près, vous nous avez là cette idylle régulièrement tous les soirs, vous ne serez plus étonnée que Laure, qui probablement la sait par cœur...
MADAME GRIGNARD.
Il est des choses dont on ne se lasse pas.
MONSIEUR GRIGNARD.
Je suis payé pour le croire, mon bel ange, puisque de puis trente ans que l’hymen nous unit, j’écoute chaque jour vos productions avec un nouveau plaisir.
MADAME GRIGNARD.
Vous ne pouvez aussi que vous louer de ma complaisance à entendre les vôtres.
MONSIEUR GRIGNARD.
Certainement, ma belle, certainement ; mais... quel est ce jeune homme qui semble écrire avec tant d’attention.
MADAME GRIGNARD.
Je gagerais que c’est un poète.
Sainville les apercevant salue et se lève.
MONSIEUR GRIGNARD.
Ne vous dérangez pas, monsieur ? ne vous dérangez pas ?
MADAME GRIGNARD.
Oserais-je vous demander, monsieur, si ce sont des vers que vous écrivez !
SAINVILLE.
Oui, madame, un madrigal ; mais j’ai fini.
MADAME GRIGNARD.
Monsieur, je suis charmée que le hasard conduise dans ces lieux un homme d’esprit ; vous n’êtes pas de notre endroit a ce que je suppose.
SAINVILLE.
Non, madame, j’arrive de Paris, et le désir de connaître un homme célèbre m’a seul amené.
MONSIEUR GRIGNARD.
Un homme célèbre...
SAINVILLE.
Oui, monsieur ; M. Grignard, homme le lettres, qui s’occupé dans ce moment d’une histoire des guerres... Je viens d’envoyer mon domestique s’informer de son adresse.
MONSIEUR GRIGNARD.
Monsieur, vous auriez pu lui épargner cette peine, car ce M. Grignard (que vous avez la bonté d’appeler célèbre,) n’est autre que votre serviteur.
SAINVILLE.
Eh ! quoi, monsieur, c’est vous ?
MONSIEUR GRIGNARD.
C’est moi-même ; mais par quel hasard avez-vous entendu parler de mon ouvrage, depuis vingt-sept ans que j’y travaille, je n’ai pu parvenir à le lire qu’à ma famille.
SAINVILLE.
Vous savez que les gens de lettres sont au fait de tout ; comme je me disposais moi-même à traiter ce grand sujet, un de mes amis me parla de la manière savante dont vous l’aviez traité vous-même, et me fit renoncer à mon projet en me donnant le plus vif désir de vous connaître ct d’entendre quelques chapitres...
MONSIEUR GRIGNARD.
Monsieur, vous entendrez tout ; vous n’aurez pas fait en vain le voyage, et dès ce soir je commencerai.
SAINVILLE.
Je serais fâché d’être indiscret.
MONSIEUR GRIGNARD.
Point du tout, monsieur, point du tout. L’ouvrage a trente-trois volumes in-folio, et cela nous procurera le plaisir de vous garder quelque temps dans notre ville.
SAINVILLE.
Trente-trois volumes ; je pensais que vous n’aviez écrit que les guerres seulement.
MONSIEUR GRIGNARD.
En effet, monsieur, je n’ai point écrit autre chose ; je ne rend même pas compte du sujet pour lequel on les entreprend ; dès qu’une guerre est finie, je passe à une autre ; mais vous savez qu’on s’est terriblement battu depuis qu’il y a des hommes ; et, à commencer par les enfants d’Abel contre ceux de Caïn jusqu’à la guerre de la liberté, j’ai eu de la besogne, je vous en répond.
SAINVILLE.
Je le crois.
MONSIEUR GRIGNARD.
On serait peut-être tenté de croire que mon travail est aride ; mais il faut vous dire que je n’ai pas fait une simple compilation ; par exemple, toute les fois que je trouve l’occasion d’amener un discours de général, je le fais moi-même ; et vous serez étonné de la chaleur et de l’éloquence qui règnent dans quelques-uns.
SAINVILLE.
Vous adoucissez le regret que j’ai de n’avoir pas travaillé moi-même sur un sujet aussi riche.
MADAME GRIGNARD.
Mais, monsieur, vous vous occupez aussi de poésie.
SAINVILLE.
Certainement, madame.
MADAME GRIGNARD.
Je fais quelques vers en m’amusant, et je serai charmée de prendre votre avis sur mes légères productions.
SAINVILLE.
Je les entendrai avec le plus grand plaisir.
MADAME GRIGNARD.
Ah ! monsieur, l’art enchanteur que vous cultivez est le premier de tous.
SAINVILLE, avec chaleur.
Je le pense aussi, madame, qui peut égaler ses jouissances, tour-à-tour nous représentons le héros dans les combats, nous faisons passer à la postérité les traits de l’homme célèbre, et nous traçons l’image de la beauté, enfin semblable à l’imagination, notre art seul peut embellir la nature même.
MONSIEUR GRIGNARD, riant.
Ah ! vous êtes bien un vrai poète.
SAINVILLE, à part.
Maudite peinture, j’ai failli me trahir.
MADAME GRIGNARD.
C’est que tout ce qu’il dit est exacte ; monsieur, je me crois digne de partager votre enthousiasme, et je prévois que nous nous entendrons à merveille.
SAINVILLE.
Je vous demanderai la permission de vous voir le plus souvent possible pendant mon séjour ici.
MADAME GRIGNARD.
Où logez-vous ?
SAINVILLE.
À l’auberge.
MONSIEUR GRIGNARD.
Tenez, sans cérémonies, les gens de lettres sont frères, acceptez un logement chez moi.
SAINVILLE.
Je craindrais de vous gêner.
MONSIEUR GRIGNARD.
Point du tout, point du tout. Je marie mon neveu nous rirons, nous danserons ; allons, vous acceptez.
SAINVILLE.
J’avoue que sans la crainte de vous être incommode.
MADAME GRIGNARD.
Vous nous ferez le plus grand plaisir.
SAINVILLE.
Je ne puis résister a tant d’obligeance.
MONSIEUR GRIGNARD.
À merveilles, je vais donner mes ordres sur-le-champ, et vous nous excuserez si nous vous laissons pour une demie heure, nous sommes obligés d’aller chez le notaire faire dresser le contrat que nous signons ce soir, mais vous trouverez à la maison, ma pupille, jeune personne fort aimable, qui vous recevra comme nous-même. Marine !
SAINVILLE.
Je vous prie de ne déranger personne, il faut que je passe à mon auberge et que j’y retrouve mon domestique.
MONSIEUR GRIGNARD.
Ah ! je veux vous voir établi. Marine ! Marine !
MARINE, en dehors.
Me voilà, monsieur.
MONSIEUR GRIGNARD.
Arrivez donc.
Scène VI
SAINVILLE, MONSIEUR GRIGNARD, MADAME GRIGNARD, MARINE
MONSIEUR GRIGNARD.
Marine, monsieur nous fait le plaisir d’accepter un logement chez moi, il faut tout préparer pour lui et son domestique.
Pendant ce qui suit, madame Grignard et Sainville sont en semble un peu éloignés de la scène.
MARINE.
Qu’est-ce que c’est que ce monsieur là ?
MONSIEUR GRIGNARD.
C’est un littérateur qui, sur ma réputation d’homme célèbre, arrive de Paris exprès pour me voir et entendre mon ouvrage.
MARINE.
Vous ne le connaissez donc pas ?
MONSIEUR GRIGNARD.
Non.
MARINE.
Voilà une belle rencontre ! si votre ouvrage lui plaît, il rester chez vous des siècles.
MONSIEUR GRIGNARD.
Mais il n’y a pas de doute qu’il lui plaira.
MARINE.
Vous ne pourrez jamais vous en débarrasser.
MONSIEUR GRIGNARD.
Il restera tant que cela plaira à ma femme et à moi ; cela ne vous regarde pas.
MARINE.
Soit, mais je ne me soucie guères de tous ces littérateurs, ils n’ont jamais le sou.
MONSIEUR GRIGNARD.
Impertinente, il vous sied bien de mépriser une carrière que je suis avec succès.
MADAME GRIGNARD, se rapprochant.
Qu’est-ce que c’est donc, mon ami ?
MONSIEUR GRIGNARD.
Ce n’est rien, ce n’est rien ; allez, Marine, conduisez monsieur à la chambre verte, et surtout, soyez plus circonspecte une autrefois.
À Sainville.
À propos, oserais-je vous de mander le nom de notre aimable hôte.
SAINVILLE.
Je me nomme Duparc.
MONSIEUR GRIGNARD.
Eh ! bien, mon cher M. Duparc, agissez, je vous prie, comme si vous étiez chez vous ; mille pardons si nous vous quittons ainsi, mais nous serons de retour le plutôt possible.
SAINVILLE.
Ne vous gênez pas, je vous prie en grâce.
MONSIEUR GRIGNARD.
Allons, m’amour.
Ils sortent.
Scène VII
SAINVILLE, MARINE
MARINE, riant.
Eh ! bien, monsieur, vous voilà établi.
SAINVILLE
Comme tu vois ; ma foi, je n’espérais pas aller aussi vite ; mais en flattant l’amour-propre des gens, on leur fait faire bien du chemin en peu de temps. Cependant, Marine, je ne vois pas trop ou tout cela me conduira ; ils vont chez le notaire, ils comptent signer le contrat ce soir, comment faire ?
MARINE.
D’abord, s’ils signent le contrat, ils le signeront tous seuls, mademoiselle est décidée à refuser son consentement. Tachez de plaire, gagnons du temps et je réponds de tout.
SAINVILLE.
Frontin est bien longtemps à revenir, je voudrais l’instruire...
MARINE.
Savez-vous, monsieur, que ce Frontin est un garçon fort aimable ?
SAINVILLE.
Trouves-tu ? il m’est fort attaché... il n’est pas sot.
MARINE.
Je m’en suis aperçue ; vous l’avez donc pris à votre service en Italie.
SAINVILLE.
Oui, à Rome, où je le trouvai il y a un an, son maître l’avait laissé dans cette ville...
MARINE.
Monsieur, voici votre rival, M. Desbosquets, je me sauve, il ne faut pas qu’il nous voie ensemble.
Elle rentre.
Scène VIII
SAINVILLE, DESBOSQUETS
DESBOSQUETS.
Pour ça, c’est bien dépitant ; ce maudit tailleur qui me manque de parole, je serai obligé de mettre mon habit vert de pomme pour la noce.
SAINVILLE, le saluant.
Monsieur !...
DESBOSQUETS, le saluant et à part.
Qu’est-ce que c’est donc que ce monsieur-là ?
SAINVILLE.
Je présume que j’ai l’honneur de parler à M. Desbosquets.
DESBOSQUETS.
C’est moi-même, monsieur.
SAINVILLE.
Je me félicite doublement, monsieur, d’avoir accepté un logement chez votre cher oncle, puisque cela me procurera l’occasion de rechercher et peut-être d’obtenir votre amitié.
DESBOSQUETS.
Monsieur, vous la tenez déjà, et c’est moi-même certainement... sans contredit et sans comparaison, qui... Vous venez donc passer quelque temps avec nous ?
SAINVILLE.
Oui, monsieur.
DESBOSQUETS.
Ma foi, j’en suis charmé ; car on s’ennuie à la maison on s’ennuie, qu’il n’y a rien de plus ennuyeux ; d’abord, j’aurai le plaisir de dire quelques mots avec vous, ensuite, c’est que tandis que mon oncle et ma tante vous liront leurs ouvrages, ils ne me les liront pas ; ainsi, c’est tout gain. Vous habitez donc les environs.
SAINVILLE.
Non, j’arrive de Paris.
DESBOSQUETS.
De Paris, et vous quittez Paris pour venir ici, pour ça, il faut que soyez bien bête...
Sainville fait un mouvement de surprise.
Quand je dis bête, ça veut dire simple. Imaginez-vous, monsieur, que moi, tout au contraire, j’ai cru qu’on ne pourrait jamais m’en arracher ; il faut vous dire que mon oncle m’y a envoyé il y a deux ans pour finir mon éducation. Je lui avais fait entendre, finement que cela était nécessaire, quoiqu’entre nous soit dit, il n’y ait pas beaucoup de jeunes gens du département de Lyonne qui soit de ma force pour la partie de l’instruction, et ça, c’est tout simple, quand on a de l’esprit naturel et de la mémoire... mais pour en revenir à mon voyage de Paris, je m’y amusais tant ! je m’y amusais tant ! que j’y serais encore, si mon oncle, un beau jour, au lieu de m’envoyer de l’argent, ne m’avait envoyer Gérard, notre jardinier, avec ordre de me ramener mort ou vif ; il m’a fallu partir, en sorte que je n’y suis resté que dix-huit mois ; mais c’est égal, j’en ai profité, j’ai rapporté de là un certain tact, un certain genre qu’on ne connaît pas dans la province, et qui me rend la coqueluche de toutes les femmes. Vous n’avez pas d’idée de mes succès dans notre ville ! mon mariage cause une rumeur ! je n’ose aller nulle part tant j’ai peur des scènes, car je me marie ; vous ne saviez peut-être pas que je me mariais...
SAINVILLE.
Je...
DESBOSQUETS.
Oui, je me marie, j’épouse la pupille de mon oncle, une jeune personne fort riche, aussi, je ne dis rien ; mais vous entendez bien qu’aussitôt le mariage, quand je serai maître de la dot, je ne resterai pas ici à végéter. J’ai mon projet, je ne veux pas que mon oncle le sache avant la noce ; car il m’aime comme ses yeux, et dans la crainte de me perdre, il romprait peut-être tout.
SAINVILLE.
Vous pouvez être certain...
DESBOSQUETS.
Je ne vous dis pas que je doute de votre discrétion, mon sieur, tout au contraire ; mais quelquefois dans la conversation on lâche un mot de trop, et je vous avertis seulement.
SAINVILLE.
Je ne suis pas...
DESBOSQUETS.
Vous n’êtes pas bavard, tant mieux ; c’est un vilain défaut ; je n’ai jamais pu vivre avec un bavard ; on ne peut pas dire un mot avec ces gens-là. Je vois que nous nous conviendrons à merveille, et vous arrivez tout juste pour danser à la noce ; peut-être pourrons-nous partir ensemble pour Paris ; mon oncle m’a conseillé d’y aller acheter des bijoux, des diamants ; il est d’usage de donner tout cela avant la nосе ; mais je ne veux pas mettre les pieds dans Paris que mon mariage ne soit fait, j’ai mes raisons pour cela.
SAINVILLE.
Des raisons ?
DESBOSQUETS.
Oui, c’est qu’il m’est arrivé une aventure dans mon dernier voyage.
SAINVILLE.
Comment une aventure ?
DESBOSQUETS.
Et une aventure dont une bête aurait bien de la peine a se retirer, je vous en répond. Imaginez-vous, monsieur, que j’étais fou d’une fort jolie personne qui était folle de moi, elle avait été fort riche, mais elle était ruinée et je lui don nais tout l’argent que mon oncle m’envoyait. Enfin, on soir, je ne sais pas comment cela s’est fait, je lui ai signé une promesse de mariage ; quand j’ai été forcé de quitter Paris, je ne l’aimais déjà plus tant, et je ne lui ai pas écrit ; mais je suis bien sûre qu’elle m’aime, toujours, et vous pensez bien que si elle entendait parler de mon mariage elle serait en droit de l’empêcher. Voilà pourquoi je le presse autant, parce que ce qui est fait est fait. Elle a surtout un certain frère.
SAINVILLE.
Un frère.
DESBOSQUETS.
Oui, un sabreur qui ne m’a jamais vu, heureusement ; il était alors à l’armée d’Italie, elle m’a conté tout cela ; on dit qu’il se souci de tuer un homme comme de boire un verre d’eau, vous sentez bien que je ne suis pas pressé de faire connaissance avec ce jeune militaire-là.
SAINVILLE.
Ah ! vous en seriez quitte pour vous battre.
DESBOSQUETS.
Certainement, certainement ; mais je m’en vas vous dire, dans ce monde, chacun son métier, celui de ce monsieur est de tuer des hommes, il trouvera assez de gens qui se battent sans que je m’en mêle ; moi qui n’ai jamais fait autre chose que manger paisiblement le bien de mon père et de ma mère en attendant celui de mon oncle, ainsi tout bien considéré je suis charmé que mon mariage se fasse ce soir sans bruit... Je crois que voilà mon oncle et ma tante qui reviennent de chez le notaire.
SAINVILLE.
Je vous laisse parler d’affaire.
À part.
Allons instruire Frontin de ce que je viens d’apprendre.
DESBOSQUETS.
Ne soyez pas longtemps, je vous en prie ; je vous salue.
Sainville, sort.
Il est fort aimable ce jeune homme là ; cela fait au moins une personne à qui parler...
Scène IX
MONSIEUR et MADAME GRIGNARD, DESBOSQUETS
MONSIEUR GRIGNARD.
Ah ! vous voilà mon neveu ; eh ! bien, nous venons de chez M. Renaud, il apportera le contrat dans deux heures.
DESBOSQUETS.
Ce n’est donc plus pour ce soir ?
MADAME GRIGNARD.
Nous avons pensé que le plutôt serait le mieux, je tremble toujours que Laure ne se dédise.
DESBOSQUETS.
Allons donc, ma tante, voilà encore de vos idées ; vous ne voulez pas croire que l’on m’aime, c’est unique cela.
MADAME GRIGNARD.
Vous ne faites rien pour plaire, je n’ai jamais vu un prétendu moins galant que vous.
DESBOSQUETS.
Mais, ma tante, laissez-moi donc, laissez-moi donc, je sais ce que je fais, plus ou a l’air indifférent auprès d’une femme, plus elle est folle de vous. Vous entendez bien que je n’arrive pas de Paris pour rien, j’ai un peu profité.
MONSIEUR GRIGNARD.
Enfin, mon ami, nous te donnons une femme charmante, par le sac de Jérusalem, si tu ne la rendais pas heureuse...
DESBOSQUETS.
Eh ! mon dieu, mon oncle, soyez donc tranquille, elle sera peut-être plus heureuse que moi !
MADAME GRIGNARD.
Vous allez voir à la maison un jeune homme que je vous engage à prendre pour modèle ; on n’est pas plus aimable.
DESBOSQUETS.
Oh ! je l’ai déjà vu, il est vrai qu’il a de l’esprit.
MONSIEUR GRIGNARD.
Tu a donc causé avec lui ?
DESBOSQUETS.
Nous venons d’avoir une conversation d’une heure ensemble.
MADAME GRIGNARD.
Peut-être ne lui avez-vous pas laissé dire un mot.
DESBOSQUETS.
Il a toujours parlé. C’est un de vos amis ce monsieur-là ?
MONSIEUR GRIGNARD.
Non, je le vois aujourd’hui pour la première fois ; il vient de Paris pour faire connaissance avec moi et entendre la lecture de mon ouvrage ; cela te prouve que je ne passe pas pour un sot dans le monde.
DESBOSQUETS.
C’est étonnant ?
MONSIEUR GRIGNARD.
Comment, étonnant ?
DESBOSQUETS.
Oui, mon oncle ; c’est étonnant qu’il ait fait le voyage exprès pour cela ; au reste, il a l’air d’un bon garçon, et je suis charmé qu’il soit de la noce.
MADAME GRIGNARD.
Allons, mon ami, allons disposer Laure à signer ce matin, il me tarde que cela soit terminé afin de pouvoir lire à notre hôte ma dernière élégie.
MONSIEUR GRIGNARD.
Ah ! m’amour, vous permettrez d’abord que je lui fasse entendre mon discours préliminaire.
MADAME GRIGNARD.
Songez donc, mon chat, que je ne vous l’enlèverai qu’une demie heure au plus.
MONSIEUR GRIGNARD.
Songez donc, vous-même, que le but de son voyage n’est point d’entendre votre élégie, mais mon histoire des guerres.
Ils sortent en se disputant.
Scène X
DESBOSQUETS, seul, riant
Ah ! comme ils sont drôles ! mon dieu, mon dieu, comme ils sont drôles. Je me doutais bien que dès qu’il arriverait quelqu’un, il y aurait de la brouille dans le ménage ; ce pauvre monsieur, il s’en tirera comme il pourra ; mais tout cela va les empêcher de songer à mon mariage ; il faut que j’aille moi-même prévenir mademoiselle Laure... Qu’est-ce que c’est donc que ce grand escogriffe-là ?
Il veut sortir.
Scène XI
DESBOSQUETS, FRONTIN, en uniforme
FRONTIN.
Eh ! dites donc, l’ami ?
DESBOSQUETS.
Tiens, l’ami, il est familier.
FRONTIN.
N’est-ce pas dans cette maison, que loge un M. Desbosquets.
DESBOSQUETS, à part.
Prenons-le aussi haut que lui.
Haut.
Oui, l’ami, et, ce M. Desbosquets, c’est moi-même.
FRONTIN, d’un ton terrible.
Ah ! c’est vous ; et moi, savez-vous qui je suis ?
DESBOSQUETS, tremblant.
Je n’ai pas cet honneur-là. Je suis l’homme le moins endurant de la République, jamais on a vécu vingt-quatre heures après m’avoir offensé, et vous m’avez offensé.
DESBOSQUETS.
Moi, monsieur ?
FRONTIN.
Vous-même, n’avez-vous pas fait à na sœur une promesse de mariage, dont je suis porteur, morbleu.
Il veut tirer son sabre.
Je ne sais qui me tient de vous envoyer demander grâce à mes aïeux,
DESBOSQUETS.
Un instant, un instant, expliquons-nous, je vous en prie, d’abord M. Durocher...
FRONTIN, à part.
Durocher ! bon ! je sais mon nom.
Haut.
Eh bien !
DESBOSQUETS.
Eh ! bien, monsieur, mademoiselle votre sœur a pu vous dire que mon amour...
FRONTIN.
Oui, ma sœur m’a tout conté, elle m’a dit qu’après l’avoir abusée par de fausses protestations vous étiez parti un beau matin.
DESBOSQUETS.
C’était un soir.
FRONTIN.
Corbleu, vous tairez-vous.
DESBOSQUETS.
Je suis muet.
FRONTIN.
Elle m’a donc dit que vous étiez parti sans prendre congé d’elle, sans l’informer du lieu où vous vous rendiez : ma sœur a été assez bonne pour endurer cet outrage ; mais moi morbleu, moi, Durocher, la terreur de mes ennemis, je lui ai promis vengeance, j’ai juré de vous poursuivre jusqu’aux enfers et de rapporter vos oreilles.
DESBOSQUETS, à part.
Quel homme !
Haut.
Mais, monsieur, n’y a-t-il pas d’autres moyens d’arranger cette affaire ?
FRONTIN.
J’avoue que j’étais parti dans l’intention de vous laisser vivre si vous épousiez ma sœur ; mais en arrivant dans cette ville, j’apprends qu’il court un bruit de votre mariage avec une certaine Laure... par la bataille de Maringo !
DESBOSQUETS, à part.
Il jure comme mon oncle.
FRONTIN.
S’il était vrai que vous eussiez l’idée de prendre pour femme, une autre que ma sœur, si j’en étais sûr, votre prétendue sa famille, vous, tout serait mort avant une demi heure.
DESBOSQUETS.
Je vous en prie, M. Durocher, ne vous mettez pas dans ces colères-là, cela vous fera mal ; d’ailleurs, la justice exige...
FRONTIN.
Eh ! parbleu, la justice, je sais bien quelle est pour moi ; si je voulais tout à l’heure porter votre promesse de mariage chez le juge du lieu, je sais bien que j’arrêterais tout ; mais je dédaigne ces moyens ordinaires.
DESBOSQUETS.
Vous avez raison.
FRONTIN.
Ma justice, à moi, c’est mon sabre, ainsi suivez-moi tout de suite.
DESBOSQUETS.
Un petit moment donc, un petit moment, et ne criez pas si fort ; si je romps le mariage que mon oncle veut me faire faire, et que j’épouse mademoiselle Durocher : ah ! qu’est-ce que vous aurez à dire ?
FRONTIN.
J’avoue qu’alors je pourrai vous pardonner ; mais ne croyez pas me jouer ; je reste ici, je sais que le contrat doit se signer aujourd’hui ; si vous n’avez pas rompu dans la journée et ne me suivez pas demain à Paris, vous êtes mort.
DESBOSQUETS.
Je romprai, je romprai ; mais qu’est-ce que mon oncle dira s’il me voit partir pour Paris.
FRONTIN.
Je me moque bien de votre oncle.
DESBOSQUETS.
C’est que j’en hérite.
FRONTIN.
Ah ! c’est autre chose ! eh ! bien on lui fera quelques politesse. Le plus pressé c’est de rompre avec cette demoiselle Laure ; je vous donne un quart-d’heure pour reprendre votre parole ; mais ce terme passé, plus de grâce. Touchez-là, au revoir.
DESBOSQUETS, tristement.
Au revoir.
Frontin sort.
Scène XII
DESBOSQUETS, seul
Ce n’est pas un homme cela, c’est un diable ; que vais-je faire ? si je romps mon mariage avec mademoiselle Laure, mon oncle va se mettre en fureur, et si je ne romps pas, je meurs ; quel embarras ! quel embarras ! après tout on n’a rien de plus chers que la vie ; je ne suis pas fort amoureux moi, c’est la fortune seule qui m’engageait à me marier ! allons, il faut rompre ; mais d’un autre côté, si j’épouse mademoiselle Durocher, j’aurai donc cet enragé-là pour beau frère ? oh ! mon dieu ! mon dieu ! est-il possible de trouver un infortuné plus malheureux que moi ; cependant il faut me décider, il va revenir dans un quart-d’heure. Il n’y a pas moyen de parler tranquillement à un homme qui est toujours-là avec un grand sabre... Si, cependant, la rupture de mon mariage, l’apaisait un peu et qu’il voulut m’accorder quelque temps pour épouser sa sœur ; un diable comme cela, qui se bat tous les jours, il y aurait bien du malheur s’il ne finissait pas par être tué, il faudrait filer jusque-là.
Scène XIII
DESBOSQUETS, MARINE
MARINE.
Ah ! monsieur, je vous cherchais.
DESBOSQUETS.
Qu’est-ce que c’est donc encore ?
MARINE.
Je me crois obligée de vous avertir de ce qui se passe.
DESBOSQUETS.
Et qu’est-ce qu’il se passe ?
MARINE.
Je crains fort qu’il ne survienne des obstacles à votre mariage avec ma maîtresse ; ce monsieur qui vient d’arriver...
DESBOSQUETS.
Comment ! est-ce qu’il a été faire son tapage chez mon oncle ?
MARINE.
Eh ! non, monsieur, mais je viens d’entendre une conversation entre lui et ma maîtresse, qui me fait trembler pour vous. M. Grignard, qui lui lisait son discours préliminaire, a été obligé de le quitter un instant, et...
DESBOSQUETS.
Comment, comment, mon oncle lui lisait son discours préliminaire, et de qui donc me parles-tu ?
MARINE.
De notre nouvel hôte, de M. Duparc.
DESBOSQUETS.
Eh ! mon dieu tu me fais des peurs.
MARINE.
Mais, ce n’est pas sans raison. Apprenez que ce M. Duparc tenait à ma maîtresse les propos les plus tendres, je ne sais si ils se connaissent avant ce jour, mais il est bien certain qu’ils s’aiment.
DESBOSQUETS.
Ils s’aiment ! eh ! bien, tant mieux.
MARINE.
Comment, monsieur, vous laisseriez un rival vous enlever le cœur de votre prétendue sans en tirer vengeance.
DESBOSQUETS.
Mais, je suis le meilleur enfant du monde, et leur amour au contraire, ne pouvait venir plus à propos, je serai maintenant à l’abri de la colère de mon oncle ! oh ! me voilà soulage d’un grand poids ; mais es-tu bien sûr qu’ils s’aiment ?
MARINE.
Ils se faisaient les plus belles protestations de s’aimer toujours, quand j’ai quitté ma cachette pour venir vous avertir, ne pouvant pas souffrir que l’on trompe plus longtemps un honnête homme.
DESBOSQUETS.
Laisse donc, laisse-donc, Marine, ils ne croient pas me rendre un si grand service ; il faut convenir que je suis bien heureux dans mon malheur : car enfin, toute la faute va tomber sur mademoiselle Laure, et moi, moi, j’aurai l’air d’être la victime. Ah ! c’est drôle, c’est vraiment drôle.
MARINE.
Mais, je ne vous conçois pas ?
DESBOSQUETS.
Je sais bien que tu ne peux pas m’entendre ; mais le temps se passe, je vais trouver nos amants et leur dire...
MARINE.
Les voici tous deux : gardez-moi le secret je vous en prie.
DESBOSQUETS.
Soit tranquille, est-ce que je suis un bavard.
Scène XIV
DESBOSQUETS, MARINE, SAINVILLE, LAURE
DESBOSQUETS.
Ah ! ça, M. Duparc, ct vous mademoiselle Laure, je sais que vous vous aimez, et je ne suis pas votre dupe, je vous en avertis.
SAINVILLE.
Que voulez-vous dire, monsieur ?
DESBOSQUETS.
Vous avez beau jouer l’étonnement, je sais tout, vous dis-je, et Marine, qui vous a écouté dans le jardin, m’a mis au fait.
LAURE.
Comment, Marine ?
MARINE, avec l’air embarrassé.
Mademoiselle...
SAINVILLE.
Eh ! bien, monsieur, puisque vous êtes instruit, je ne m’en cache pas, j’aime la charmante Laure et je suis prêt à vous en rendre raison.
DESBOSQUETS.
Allons, voilà l’autre, et qui diable vous demande des raisons ? est-ce que vous n’êtes pas bien le maître d’aimer mademoiselle, je ne vous en veux pas du tout, moi, je demande seulement que mademoiselle Laure signifie à mon oncle quelle ne veut pas m’épouser.
LAURE.
Ah ! je n’en aurai jamais le courage, après avoir donné ma parole.
DESBOSQUETS.
Pardie en voilà bien d’une autre ; ne faudra-t-il pas que je me fasse déshériter pour vous faire plaisir ?
LAURE.
Mais, vous savez que M. Grignard a tout pouvoir sur ma personne et sur mon bien.
DESBOSQUETS.
C’est pourquoi il faut nous entendre tous les quatre pour engager mon oncle à vous unir.
SAINVILLE.
Mais M. Grignard me connaît à peine.
DESBOSQUETS.
En effet, vous tombez des nues, voilà l’embarras !
LAURE.
Ah ! il n’y consentira jamais, il faudra que je vous épouse.
DESBOSQUETS.
Non pas, non pas, s’il vous plaît.
MARINE.
Je connais bien un moyen de vous tirer tous d’affaire : mais je ne sais pas si la probité.
DESBOSQUETS.
Dis toujours, dis toujours.
MARINE.
C’est qu’il faut de la hardiesse.
DESBOSQUETS.
Ah ! je n’en manque pas ; voyons ton projet.
MARINE, à Laure.
Écoutez, vous savez bien ce M. Sainville, que monsieur votre père voulait vous faire épouser.
LAURE.
Oui ; eh bien !
MARINE.
Il sera fort riche un jour, et M. Grignard n’aurait pas rompu avec lui, sans son désir de faire faire à son neveu un bon mariage.
LAURE.
Mais, M. Grignard a la plus mauvaise opinion de lui.
DESBOSQUETS.
Laissez-donc, il dit cela ; mais je sais le fin mot, moi, puisque nous étions convenus de tout entre nous trois.
SAINVILLE, à part.
C’est bon à savoir.
MARINE.
M. Duparc n’a qu’à se faire passer pour Sainville, avouer que l’amour lui a fait employer un stratagème pour s’introduire dans la maison, réclamer ses anciens droits ; le notaire va venir, vous vous jetterez aux pieds de M. Grignard.
DESBOSQUETS.
À merveille, à merveille, tu n’es pas bête, au moins.
SAINVILLE.
Mais, comment voulez-vous qu’il me prenne pour ce Sainville, il le connaît sans doute.
DESBOSQUETS.
Il ne l’a jamais vu.
LAURE.
Il va faire mille objections.
DESBOSQUETS.
Je répondrai. Quand il me verra pour vous cela fera beaucoup.
MARINE.
Et le contrat une fois signé, on lui découvrira la vérité sans danger.
DESBOSQUETS.
Sans doute, sans doute ; vous aurez seulement soin de dire que vous m’avez trompé moi-même.
SAINVILLE.
À cet égard, vous n’aurez rien à désirer.
MARINE.
Voici M. et madame Grignard.
Scène XV
DESBOSQUETS, MARINE, SAINVILLE, LAURE, MONSIEUR et MADAME GRIGNARD
DESBOSQUETS, à Sainville.
Allons, commencez votre rôle, un peu de hardiesse ; sou venez-vous, surtout, que c’est Sainville qu’on vous nomme.
SAINVILLE.
Je ne l’oublierai pas.
MONSIEUR GRIGNARD.
Ah ! vous voici tous ensemble ! eh ! bien, M. Renaud, ne peut tarder à venir, et nous signerons le contrat avant le dîner.
DESBOSQUETS.
Mon oncle, mademoiselle Laure désirerait vous dire quelque chose.
MONSIEUR GRIGNARD.
Eh ! bien, Laure, parlez.
LAURE embarrassé.
Je n’ose...
SAINVILLE.
Non, monsieur, c’est moi, si vous le permettez qui vous ferai l’aveu de ma tendresse pour votre aimable pupille.
MONSIEUR GRIGNARD.
Qu’entends-je ?
DESBOSQUETS, à Sainville.
Courage.
SAINVILLE.
Laure sortait de l’enfance, lorsque son père me promit sa main ; le temps, l’absence n’ont fait qu’accroître mon amour, et vous cesserez d’être surpris quand vous saurez que mon nom est Sainville,
DESBOSQUETS, à part.
C’est qu’il y met une assurance !
MONSIEUR GRIGNARD.
Serait-il possible ?
SAINVILLE, fouillant à sa poche.
Je suis prêt à vous montrer les papiers qui constatent...
DESBOSQUETS, à part, à Sainville.
Prenez garde, ne vous avancez pas tant.
MONSIEUR GRIGNARD.
Non, monsieur, cela est inutile, je suis très persuadé que tous êtes M. Sainville, et la démarche que vous avez faite, en vous introduisant dans une famille honnête sous un nom supposé, est un trait digne de lui.
SAINVILLE.
J’avoue que j’ai tort ; mais, monsieur, qu’eussiez-vous fait à ma place ! j’apprends que vous mariez Laure ; j’apprends aussi que je suis assez malheureux pour vous déplaire sans en pouvoir deviner la cause ; le désespoir et l’amour m’ont tout fait entreprendre, ils doivent me servir d’excuse.
DESBOSQUETS, à Laure.
Bien, bien, il joue son rôle à merveille.
MONSIEUR GRIGNARD.
Et quelle était votre espérance, je vous prie.
SAINVILLE.
De me justifier à vos yeux, de m’assurer que Laure m’avait conservé son cœur et d’employer tout pour vous fléchir.
DESBOSQUETS.
On ne peut pas mieux.
MONSIEUR GRIGNARD.
Mais vous ne pouviez ignorer que c’est mon neveu qui...
DESBOSQUETS.
Oh ! quand à cela, mon oncle, je vous en prie, que je ne mette aucun obstacle, mademoiselle Laure vient de m’avouer son amour pour M. Sainville, et vous entendez bien que je ne puis pas épouser, une femme qui en aime un autre, parce que voyez vous...
MONSIEUR GRIGNARD.
Taisez-vous bavard, si vous n’épousez pas Laure, ce n’est pas une raison pour qu’elle épouse monsieur, et je n’y con sentirai jamais.
DESBOSQUETS.
Ah ! mon oncle !
MARINE.
Voici le Notaire.
Scène XVI
DESBOSQUETS, MARINE, SAINVILLE, LAURE, MONSIEUR et MADAME GRIGNARD, MONSIEUR RENAUD
MONSIEUR GRIGNARD.
Je suis bien fâché, M. Renaud, de vous avoir fait venir inutilement, mais il n’y a plus de mariage.
MONSIEUR RENAUD.
Je m’étais pourtant pressé...
DESBOSQUETS, bas au Notaire.
N’écoutez pas mon oncle, nous allons arranger cela, ne vous en allez pas.
À M. Grignard.
Ah ! mon cher oncle.
LAURE.
Monsieur, vous dont le cœur est si bon.
MONSIEUR GRIGNARD.
Non, non nous avoir joué de la sorte !
MADAME GRIGNARD.
Se dire poète !
DESBOSQUETS, bas à Sainville.
Parlez-lui de son ouvrage.
SAINVILLE.
Toute espérance est donc évanouie, moi, qui comptais trouver en ces lieux la paix et le bonheur ; je le disais encore tout à l’heure à M. Desbosquets, nous allons vivre tous ensemble ; M. Grignard, s’occupe de l’histoire des guerres, j’ai fait les campagnes d’Italie, je puis lui fournir de riches matériaux.
MONSIEUR GRIGNARD, à Desbosquets.
Comment, il te disait cela ?
DESBOSQUETS.
Oh ! mon dieu, oui, il me le disait.
À Sainville.
Vous me le disiez.
À M. Grignard.
Il me le disait.
SAINVILLE.
Je sais peindre, je ferai le portrait de madame Grignard.
DESBOSQUETS.
Oui, mon oncle, il voulait peindre ma tante en Sapho !
MONSIEUR GRIGNARD, à Desbosquets.
Il compte peindre ma femme en Sapho !
MADAME GRIGNARD.
Pauvre garçon.
SAINVILLE.
Nous n’aurions fait qu’une même famille, tous les soirs, rassemblés autour de vous, nous aurions écoutés votre travail du jour.
MONSIEUR GRIGNARD.
Il m’attendrit.
DESBOSQUETS.
Mon oncle, je vous en supplie, vous sentez bien que ce mariage ne peut plus me convenir. Rendez-vous ?
TOUS ENSEMBLE.
Rendez-vous.
MADAME GRIGNARD.
En effet, mon ami ; Sainville cultive les arts, il aime la littérature...
MONSIEUR GRIGNARD.
Allons, il faut bien céder ; soyez unis.
DESBOSQUETS.
Puisque voilà M. Renaud et un contrat, signons tout de suite.
MONSIEUR GRIGNARD.
Ne peut-on pas attendre.
SAINVILLE.
Mais il ne faut que changer les noms.
MONSIEUR RENAUD.
Les noms sont encore en blanc.
DESBOSQUETS.
Eh ! bien, c’est à merveille ; tenez, mon oncle, signons tout de suite, cela vaudra mieux.
Tout le monde signe. Au notaire.
Je puis signer comme témoin, moi ?
MONSIEUR RENAUD.
Certainement !
SAINVILLE, prenant la plume des mains de Desbosquets.
Je vous remercie.
DESBOSQUETS, regardant la signature de Sainville.
Qu’est-ce que vous faites donc, cela ne vaut rien.
SAINVILLE.
Pourquoi donc ? je signe mon nom.
DESBOSQUETS.
Comment, votre nom.
SAINVILLE.
Sans doute.
Scène XVII
DESBOSQUETS, MARINE, SAINVILLE, LAURE, MONSIEUR et MADAME GRIGNARD, MONSIEUR RENAUD, FRONTIN
FRONTIN, toujours en uniforme.
Eh bien, tout est-il arrangé.
Sainville fait un signe de tête.
DESBOSQUETS, à part.
Ô ciel ! c’est mon sabreur.
Haut, avec politesse.
Oui monsieur, tout est arrangé, c’est monsieur
Montrant Sainville.
qui épouse mademoiselle.
Bas à Frontin.
Ne dites rien à mon oncle, vous voyez bien que je fais tout ce que vous voulez.
MONSIEUR GRIGNARD.
Qui est monsieur ?
DESBOSQUETS.
Monsieur, est un de mes amis.
MONSIEUR GRIGNARD, à Frontin.
Monsieur, soyez le bien venu, je marie aujourd’hui ma pupille et vous danserez à la noce.
DESBOSQUETS, vivement.
Monsieur ne danse jamais.
À Frontin.
Oui, monsieur marie sa pupille à monsieur.
FRONTIN.
On n’est pas plus aimable.
SAINVILLE.
Explique-moi, Frontin.
TOUS.
Frontin !
SAINVILLE.
Eh ! oui, cet homme est mon valet.
TOUS.
Son valet !
FRONTIN.
Oui, je suis le valet de monsieur.
Montrant Sainville.
MONSIEUR GRIGNARD, à Desbosquets.
Son valet, ton ami.
DESBOSQUETS.
Un moment, s’il vous plaît, entendons-nous, s’il est votre valet il n’est pas mon ami.
MONSIEUR GRIGNARD.
Que signifie ?...
MARINE.
Allons, monsieur, puisque le contrat est signé, nous pouvons vous dire la vérité.
MONSIEUR GRIGNARD et DESBOSQUETS.
Comment, la vérité.
MARINE.
Oui, messieurs, Frontin, valet de monsieur,
Montrant Sainville.
voulant servir l’amour de son maître et amener M. Desbosquets à lui céder ses droits sur mademoiselle, a pris ce déguisement et rappelant à propos certaine aventure...
MONSIEUR GRIGNARD.
Comment ?
DESBOSQUETS, l’interrompant.
C’est bon ? c’est bon !
FRONTIN.
Il faut lui rendre justice, à monsieur, il s’est prêté au sacrifice...
DESBOSQUETS.
Comme ça, vous n’êtes point M. Durocher.
FRONTIN.
Du tout.
DESBOSQUETS.
Alors, comment avez-vous pu savoir...
MONSIEUR GRIGNARD.
Qu’est-ce que c’est que ce M. Durocher.
DESBOSQUETS, interrompant Frontin qui va parler.
Ce n’est personne, mon oncle.
À part.
Je suis joué.
SAINVILLE.
Je suis heureux ; mais M. Desbosquets n’en doit pas moins compter sur mon éternelle reconnaissance.
DESBOSQUETS.
Oui, oui, votre reconnaissance, je n’en suis pas moins !
MONSIEUR GRIGNARD.
Comme à ton ordinaire, un...
SAINVILLE.
Un Rival obligeant.
DESBOSQUETS.
Bien obligé.