Le Mariage d’Oroondate et de Statira (Jean MAGNON) ou la conclusion de Cassandre

Tragi-comédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois en 1646.

 

Personnages

 

ROXANE, veuve d’Alexandre

STATIRA, veuve d’Alexandre

OROONDATE, Prince de Scythie

PERDICAS, successeur d’Alexandre

CASSANDER, successeur d’Alexandre

SELEUCUS, successeur d’Alexandre

ARBATE, confident de Roxane

HÉZIONNE, confidente de Roxane

GARDES

 

La scène est dans Babylone, dans le Palais de Roxane.

 

 

À MONSIEUR DE CHABENAT,

 

VICONTE DE SAVIGNY, D’HIERRY, Du préau, Baron de Noüan, etc. Conseiller du Roi : Et Conseiller dans la Cour de Parlement de Rouen

 

MONSIEUR,

 

Mon Âme n’est point née à la servitude, et j’abhorre naturellement ces ignominieuses complaisances dont quelqu’uns de nos Écrivains sont corrompus et qui à force d’ajouter du fard sur des beautés naturelles, enlaidissent ce qu’ils prétendent d’embellir. Il en est d’une autre espèce dont les artifices sont si grossiers qu’ils sont des portraits tels qu’ils se les imaginent, et qui n’ayant point d’autres subsistance que dans le caprice de ces imposteurs, font que la copie donne de la confusion à l’original, qui ne se connaissant point aux marques que l’on lui donne ne peut pas même supporter qu’on l’ait contrefait à son avantage : Pour moi je ne veux employer à la composition de votre image que la matière que j’y rencontrerai, et non pas ces faux ornements dont se servent les premiers, ni à l’exemple des seconds, représenter une personne avec qui la vôtre n’ait aucune ressemblance : j’aurai quelque raison de me flatter, si j’en puis tracer une qui ait du rapport avec vous ; ainsi (Monsieur) sans vous donner ce que vous n’avez pas, ou sans accroître ce que vous possédez, je ne feindrai point que vous tiriez votre naissance des plus anciennes familles du Royaume, ni aussi sans vous attribuer une naissance moderne, je ne tairai point des vérités, que vous persuadez assez puissamment par vos belles actions, sans que je craigne en les disant de trouver des incrédules : Oui (Monsieur) quand toute la France ignorerait que vous êtes né Gentilhomme, votre façon de vivre est si conforme à la condition des hommes Illustres, que ceux qui se mettent d’étudier les sentiments les plus cachées de l’âme, en trouveraient de si relevés dans les opérations de la votre qu’ils s’y laisseraient surprendre et jureraient en votre faveur ou que tout leur art est trompeur ou que vous agissez tout noblement. Mais sans que vous exposiez de faux brillants, vous avez le vrai principe des actions héroïques, et tout ce qui sort de vous par une certaine nécessité devant ressentir son origine, vous faites si bien paraître ce que vous êtes que vous ne donne point lieu de douter que votre façon de converser soit une ostentation, et ce faste ordinaire ou tombent les imitateurs de la Noblesse, votre maison (Monsieur) a porté des hommes très considérables ; et quand elle n’aurait eu que l’avantage de vous avoir produit, je la compterais entre les plus glorieuses familles : Elle a vu naître l’homme le plus généreux que la profession qu’il exerce ait jamais vu, et l’on peut avancer sans dire beaucoup à son avantage, que cette condition est de beaucoup de degrés au dessous de son mérite : l’Ange tutélaire des finances, ce insidieux économe des biens de son maître, enfin ce glorieux tuteur des facultés d’un Royal pupille, ne donna jamais des marques plus éclatantes de son solide jugement que quand il vous commit une partie des soins qui l’occupaient dans sa souveraine intendance, il avait remarqué la profonde intelligence que vous avez dans les affaires, la pénétrante vivacité qui vous fait démêler les choses les plus cachées, la haute générosité qui accompagne tous vos procédés, enfin cette âme bienfaisante, qui même dans la certitude de faire des ingrats, obligerait au tant d’hommes que la fortune vous en envolerait ; après les connaissances qu’il avait de tant de beaux dons d’esprit : n’eût-il pas été bien rebelle à l’estime qu’il en faisait, s’il eût manqué de se servir de tant de rares qualités et de les employer à l’utilité de l’État, puisqu’on peut dire avec assurance que des serviteurs comme vous sont les principales richesses de leurs maîtres, et que les trésors du Roi se sont beaucoup accrus par la possession de votre personne : en effet elle est si avantageuse que l’un des plus considérables Parlements du Royaume l’a souhaitée, et je ne dirai rien à la confusion des autres quand j’avancerai qu’il n’en est aucun d’eux qui ne l’eût envie, votre mérite a droit de faire par tout des jalousies, le Parlement de Rouen s’en ressent extrêmement glorifié, et cette fameuse Cour qui vous compte parmi ses Conseillers voit avec admiration que vous donnez plus d’éclat à votre charge qu’elle n’apporte de lustre à votre personne, enfin combien est ce que la grande réputation que vous vous êtes acquise vous a fait d’adorateurs, le bruit qui court de vous, sème parmi les conversations une si belle estime de votre personne, que l’on souhaite avec passion la gloire d’en être connu ; c’est ce que sur cette renommée j’ai ardemment désirée et j’ai cherché les moyens de me contracter une si noble habitude. Je pense y réussir dans l’ouvrage que je vous offre, je ne crois pas que vous me refusiez une faveur dont vous êtes si prodigue, ce n’est point que j’accuse votre amitié de prostitution, le Soleil pour luire sur la tête de tant d’hommes ne reçoit aucune altération, ni votre amitié pour être communiquée aucune imperfection. Je m’en glorifierai donc (Monsieur) et je mettrai entre mes plus beaux souhaits, le vœu d’être agrée

 

MONSIEUR,

 

Votre très humble et très affectionné Serviteur.

 

MAGNON.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

ROXANE, HÉZIONNE

 

ROXANE.

Hézionne mourrons.

HÉZIONNE.

Il faut vivre Madame.

ROXANE.

À combien de tyrans ai-je donné mon Âme

Elle est à la vengeance, à la haine, à l’amour,

Enfin tous ces bourreaux la géhennent tour à tour

Elle est de cent remords l’effroyable refuge

Et sans humanité la barbare se juge ;

Elle offre à tout moment cent crimes à mes yeux

Même par ses souhaits elle irrite les Dieux,

Et loin dedans ses vœux d’implorer leur clémence

Cette lâche contre elle implore leur vengeance.

Ô cœur le plus ingrat de tous mes ennemis

Punis-tu des forfaits que toi-même as commis.

Et cherchant contre toi des vengeances plus hautes

Vas-tu prier les Dieux de châtier tes fautes,

Non, non, ce n’est point d’eux que j’attendrai ma mort.

Leur décret éternel m’a fait un autre sort,

Hézionne, en l’état où maintenant nous sommes

Si je crains aujourd’hui c’est du côté des hommes,

Toute la terre ensemble a juré mon trépas

Et contre elle le Ciel ne me sauverait pas,

N’entends-tu point trembler les murs de Babylone

Leur grand ébranlement fait chanceler mon Trône

Ce Trône que sous moi mon bras sent succomber,

Se va briser du coup par qui je dois tomber.

HÉZIONNE.

Les Dieux dessus ce rang vous ont bien affermie.

ROXANE.

Je dois tout redouter d’une armée ennemie

Déjà Lysimachus monte sur nos remparts

Artaxerxe y volant plante ses étendards,

Et le fier Oroondate entrouvrant nos murailles,

Prépare un grand sépulcre à tant de funérailles :

Je le vois tout fumant du sang qu’il a versé

Fouler un tas de corps à ses pieds terrassé,

À force de grands coups se tracer un passage

Et venant jusqu’à moi me tenir ce langage :

Et bien monstre nourri parmi les cruautés

Je viens enfin punir tes inhumanités,

Et le Ciel exauçant des souhaits légitimes

M’a remis cet honneur, de châtier tes crimes,

Si tu te plais à vivre, implore ton pardon

Me rendant Statira tu mérites ce don :

Non, non, j’ose braver son offre et sa menace

Et je ne veux de lui, ni supplice ni grâce,

Délicate vertu qui me prêchez l’honneur

À force d’attentats j’établis mon bonheur,

Que si par leurs secours je possède Oroondate

Mon âme à leurs désirs ne sera point ingrate,

Quelque puissant remords qu’ils nous fassent sentir

L’on me verra pécher sans aucun repentir,

Et voyant mes forfaits l’un et l’autre se suivre,

Je mourrai dans le crime ainsi que j’y veux vivre.

 

 

Scène II

 

ROXANE, HÉZIONNE, ARBATE

 

ARBATE.

Ma Princesse Oroondate.

ROXANE.

À ce nom je frémis,

Est-il victorieux, où sont nos ennemis,

Ont-ils gagné la ville.

ARBATE.

Ils sont défaits Madame.

ROXANE.

Contre tant de frayeurs, rassure-toi mon âme.

Hé bien cet Oroondate.

ARBATE.

Est en votre pouvoir.

ROXANE.

Il est mon prisonnier.

ARBATE.

Désirez-vous le voir.

ROXANE.

À qui dois-je sa prise, à quels Dieux, à quels charmes.

ARBATE.

Je tairai la moitié de ce qu’ont fait nos Armes,

Les assiégeants à peine approchent nos remparts

Qu’on fit tomber sur eux une grêle de dards,

Ils ont longtemps souffert la descente des flèches,

Mais voulant s’efforcer d’y faire quelques brèches,

On a vu leurs Béliers faciliter l’assaut

Et leurs chefs de nos murs escalader le haut,

Le long de nos créneaux ils plantaient leurs échelles,

Et l’ardeur d’y voler leur fournissait des ailes,

Comme ils en approchaient on les a repoussés,

Et d’un tas de mourants comblé tous nos fossés :

Le divin Oroondate à qui ces grands obstacles

Comme pour le tenter demandaient des miracles,

S’est fait voir tout-puissant aux esprits curieux,

Et nous a fait paraître un démon à nos yeux,

Nos soldats effrayés de cette contenance

Ont longtemps évité sa fatale présence,

Et demeurant frappés d’un long étonnement,

Ils le considéraient sans aucun mouvement ;

Ils imputaient ses faits à la seule magie

Quand ce Prince honteux de cette Léthargie

Dissipa par ses coups leur assoupissement,

Et leur vint redonner leur premier sentiment,

Tous ceux que cet objet avait rendus stupides

Le voyant délaissé devinrent moins timides,

Il reçut sur les bras un monde d’ennemis.

ROXANE.

Ah c’est trop me surprendre enfin fut-il soumis.

ARBATE.

Par un grand accident sa valeur fut trompée.

ROXANE.

Quel.

ARBATE.

Son malheur voulut qu’il rompit son épée,

De ce tronçon sanglant qui restait en sa main

Il fit des actions qui surpassent l’humain.

Dans son grand désespoir il était formidable :

Mais se sentant pressé d’une foule innombrable

En vain il se raidit contre tout ce torrent

Le grand nombre l’entoure il l’accable et le prend,

Et désarmé qu’il est, le peuple l’environne

Il admire en tremblant cette fière personne,

Lui sans s’épouvanter s’arrête à chaque pas

Et donne des frayeurs qu’il ne recevait pas,

Je m’approche de lui je reprends ces idées

Que mon peu de mémoire avait si bien gardées,

J’unis tous ces rapports, j’assemble tous ses traits

Et mon âme courant de portraits en portraits,

En le cherchant dans lui je rencontre Oroondate,

Comme en me contemplant il se figure Arbate,

Il détourne en courroux les yeux de dessus moi

Et trouve que ma vue est indigne de soi,

Je demande aux soldats tous fiers de cette proie

Où l’ordre qu’ils ont eu le retient et l’envoie,

À Perdicas dit l’un.

ROXANE.

Que l’on l’amène ici.

Allez les conjurer.

ARBATE.

Je les en prie aussi,

Je leur ai conseillé de venir chez la Reine.

Enfin sur mon avis, Néander vous l’amène

Il arrive bientôt désirez-vous le voir ?

Voulez-vous.

ROXANE.

Je le veux, et n’ai point ce pouvoir,

Avecque des transports mon âme le désire,

Elle recherche en soi quelque reste d’Empire,

Elle ose se permettre un peu de fermeté

Et je sens dans mon cœur grossir ma vanité,

Qu’on le fasse avancer mon âme est résolue,

Hélas ! ma volonté contrefait l’absolue,

Esclave révoltée, ah ! Reine d’un moment

Ajoute donc la force à ton commandement,

Et donnant un essai de ta toute-puissance

Viens-moi fortifier pour cette obéissance,

Non, non, ma volonté ne règne plus sur moi

Cesse de me prescrire une impuissante Loi,

Et te rendant bientôt au devoir d’une esclave

Obéissons tous deux au Tyran qui nous brave,

Ne voyons point encor ce dangereux vainqueur

Et tardons quelque temps à rassurer mon cœur,

Arbate c’est vous seul que cet emploi regarde,

Prenez avecque vous la moitié de ma garde

Et mettez Oroondate en cet appartement.

ARBATE.

Je m’en vais obéir à ce commandement.

ROXANE.

Arbate qu’on le traite ainsi que ma personne,

Et surtout observez l’ordre que je vous donne,

Défendez-en l’entrée et même à Perdicas

Allez le recevoir.

ARBATE.

J’obéis de ce pas.

 

 

Scène III

 

ROXANE, HÉZIONNE

 

ROXANE.

Et bien ma confidente, as-tu vu ma faiblesse

Dessus mes passions je suis bien peu maîtresse

De pleine autorité je forme des projets,

Je commande je règne enfin j’ai des sujets

Et ce droit souverain que donne un Diadème

Agissant sur autrui s’affaiblit en moi-même.

HÉZIONNE.

Madame Perdicas.

ROXANE.

Qu’a-t-il à m’annoncer ?

 

 

Scène IV

 

ROXANE, HÉZIONNE, PERDICAS

 

PERDICAS.

L’Arrêt n’est plus douteux je le viens prononcer,

Et dans l’événement que le Ciel nous expose,

Il montre l’intérêt qu’il prend dans notre cause

Nos heureux ennemis n’ont vaincus à leur tour,

Ils n’ont pu conserver leur victoire qu’un jour,

Ils ont été défaits et par cet avantage

Je viens de réparer notre premier outrage,

De nos murs dans leur camp j’ai jeté mon malheur.

ROXANE.

Ne leur envoyez point votre rare valeur,

Vous ne me dites point la prise d’Oroondate.

PERDICAS.

Oroondate est ici ?

ROXANE.

Je l’ai su par Arbate.

PERDICAS.

Ce Prince est prisonnier ?

ROXANE.

De plus il est le mien,

Prince chacun de nous doit conserver le sien,

Le sort nous en présente une même matière,

Je ne prétendrai rien sur votre prisonnière,

Mais dans nos intérêts le droit veut être égal,

J’aurai même pouvoir dessus votre rival,

Que je vous ai donné dessus ma concurrente.

PERDICAS.

J’ai pour vos volontés une âme complaisante.

ROXANE.

Je vous défends sa vue il est des généreux,

De ne point insulter au sort d’un malheureux.

Vous vous échapperiez contre un homme que j’aime,

Il est votre rival.

PERDICAS.

Je me vaincrais moi-même,

Toutefois je suivrai ce que vous résoudrez,

Et je ne le verrai que quand vous le voudrez,

Au reste l’ennemi s’est montré magnanime

Le présent qu’il nous fait surpasse notre estime,

Il nous a redonné le grand Séleucus.

ROXANE.

Il est dans Babylone.

PERDICAS.

Avec Néarchus,

Il vient pour vous parler.

ROXANE.

Qu’aura-t-il à me dire.

PERDICAS.

Son Conseil est utile au bien de votre Empire,

S’il vous donne un avis daignez le recevoir.

ROXANE.

Montrons-lui le plaisir que j’ai de le revoir,

Descendons.

PERDICAS.

Le voici, Cassander vous l’amène.

 

 

Scène V

 

ROXANE, HÉZIONNE, PERDICAS, CASSANDER, SÉLEUCUS

 

ROXANE.

Hé bien Séleucus vous brisez votre chaîne.

SÉLEUCUS.

Madame je suis libre et grâce aux ennemis.

ROXANE.

Vous savez l’impuissance où le sort nous a mis

Nous avons fait des vœux pour votre délivrance.

SÉLEUCUS.

En effet les souhaits supposent l’impuissance

Ces inutiles vœux dont vous vous prévalez

Pendant notre prison nous ont mal consolés,

C’est par d’autres moyens que je vous ai servie,

Je vous sers tous les jours en hasardant ma vie,

J’ai prodigué mon sang dans le dernier combat.

ROXANE.

Quoi de mon bienfaiteur vous devenez ingrat,

En méprisant les vœux avecque mon estime

Vous attirez sur vous la honte de mon crime,

Sachez que le reproche affaiblit le bienfait.

SÉLEUCUS.

Madame j’ai raison d’être mal satisfait.

ROXANE.

Et bien Séleucus il faut vous satisfaire,

Qu’avez-vous à traiter.

SÉLEUCUS.

Une importante affaire.

ROXANE.

Prenons place et sachons ce que vous désirez

Et que veut l’ennemi que vous nous préférez.

SÉLEUCUS.

Je demande Oroondate et c’est ce qui m’amène,

Cassander, Perdicas, disposez-y la Reine,

Quoi tous deux étonnés est-ce ainsi qu’on me sert ?

Malgré tous vos détours votre cœur m’est ouvert.

ROXANE.

Cruel Séleucus ?

PERDICAS.

Séleucus barbare.

CASSANDER.

Léger Séleucus.

SÉLEUCUS.

Enfin tout se déclare

Perdicas de quels yeux vous dois-je regarder.

PERDICAS.

Et vous Séleucus qu’osez-vous demander.

SÉLEUCUS.

Je demande Oroondate.

PERDICAS.

Hé bien il le faut rendre.

Consentez-y Madame.

ROXANE.

Ah ! que viens-je d’entendre,

Perdicas est-ce vous qui venez de parler.

PERDICAS.

Si j’ai quelque intérêt je lui veux immoler

Cassander à ma voix joignez votre suffrage,

Rendons à notre ami ce cruel témoignage,

Et lui faisant sentir quelle est notre amitié

Exigeons d’un barbare un reste de pitié.

ROXANE.

Ah ! le faux généreux qui se veut contrefaire

En qui ce sentiment n’était point volontaire,

Et dont l’âme forcée et double sur ce point

Lui fait offre d’un bien qu’il ne lui donne point,

Exercez vos vertus sur une autre matière,

Faites le libéral de votre prisonnière,

Tous les Princes ligués demandent Statira.

PERDICAS.

Avant que l’accorder Perdicas périra.

ROXANE.

Avant que se résoudre à donner Oroondate,

Roxane doit périr ?

SÉLEUCUS.

Ah Reine trop ingrate,

Trop rusé Perdicas trop faible Cassander.

CASSANDER.

Prince c’est un traité qu’on ne peut accorder,

Et si jusqu’à ce prix l’on porte votre échange,

L’ennemi nous en donne un moyen bien étrange.

ROXANE.

Cassander Perdicas maintenez mon parti.

SÉLEUCUS.

Ah ! de tels Conseillers conseil bien assorti,

Ah digne Partisan des fureurs d’une femme,

Déguisé Perdicas elle a sondé votre âme,

Elle a su pénétrer dedans vos sentiments,

Mais vous avez tous deux les mêmes mouvements ;

Et vous vous connaissez.

PERDICAS.

Votre erreur est insigne,

Et j’ai fait un effort dont vous êtes indigne.

SÉLEUCUS.

Je ne veux rien devoir à vos faibles Conseils

Et j’estime bien peu la foi de vos pareils,

Perdicas entre nous je romps toute franchise,

Je vous rends l’amitié que vous m’aviez promise,

Et jusqu’au souvenir je m’en suis dépouillé.

PERDICAS.

Prince je la reprends comme un présent souillé,

Depuis assez longtemps elle est interrompue

Et chez mes ennemis vous l’avez corrompue,

Je ne profane plus un présent de ce prix.

SÉLEUCUS.

Je vous témoigne assez comme j’en fais mépris,

Dès que votre amitié se glisse dans une âme,

Elle y traîne après soi quelque chose d’infâme.

PERDICAS.

C’est trop Séleucus.

SÉLEUCUS.

Ah ! ce n’est pas assez,

Je me saurai venger ?

CASSANDER.

Quoi vous nous menacez ?

SÉLEUCUS.

Tremblez-vous Cassander.

CASSANDER.

Quoi devant vos semblables ?

SÉLEUCUS.

Mes pareils devant vous sont toujours redoutables,

Les vôtres devant moi ne peuvent m’étonner

Et dans l’occasion savent m’abandonner,

Vous attendez la mort à l’abri des murailles

Pendant que je la cherche au milieu des batailles

C’est vous mes déserteurs qui m’avez oublié,

Avec qui mes malheurs m’aviez-vous allié.

CASSANDER.

Avec des successeurs dignes d’un Alexandre.

SÉLEUCUS.

Ni vous ni Perdicas n’y devez point prétendre.

Et ce nom glorieux est au-dessus de vous.

PERDICAS.

Sans le respect des yeux qui se portent sur nous.

SÉLEUCUS.

Ce prétexte vous plaît de redouter la Reine.

ROXANE.

De nos persécuteurs avez-vous pris la haine,

Voulez-vous retourner parmi nos ennemis.

SÉLEUCUS.

L’on me voit observer tout ce que j’ai promis,

Et si votre Conseil ne relâche Oroondate.

ROXANE.

En vain de son retour notre ennemi se flatte,

Et le vôtre chez eux vous sera plus aisé,

Que tout ce que par vous ils nous ont proposé,

Vous pouvez donc rentrer dans votre servitude.

SÉLEUCUS.

Elle n’a rien pour moi de honteux ni de rude,

Oui j’y veux retourner, mais bien accompagné,

Vous vous repentirez de m’avoir dédaigné,

Soldats que l’on me suive.

 

 

Scène VI

 

ROXANE, HÉZIONNE, PERDICAS, CASSANDER

 

ROXANE.

Il nous le faut réduire,

Lui secondé des siens est en état de nuire,

Nous nous affaiblissons en l’y laissant aller.

PERDICAS.

Il faudra qu’Alcétas s’en aille lui parler.

ROXANE.

Vous m’avez bien surprise en prenant sa défense.

PERDICAS.

Pour ce que vous voulez, j’ai de la déférence,

Et vous avez pu voir comme quoi j’agissais,

Il l’a bien remarqué ?

ROXANE.

Je le reconnaissais ?

Et quoi qu’ouvertement l’on vit ce stratagème,

J’étais ingénieuse à m’aveugler moi-même.

PERDICAS.

Contre un monde assemblé je voudrais vous servir.

 

 

Scène VII

 

ROXANE, CASSANDER

 

CASSANDER.

Notre grande union a de quoi vous ravir,

Nous négligeons pour vous nos propres avantages.

ROXANE.

Vous tenez tous les jours de semblables langages.

CASSANDER.

C’est qu’il faut trop souvent vous en entretenir,

Il faut persécuter votre ressouvenir,

Je vois votre mémoire ou faible ou bien ingrate,

Suffit pour me chasser qu’elle loge Oroondate

Il y refuse place on lui veut retenir,

J’y demande une entrée et l’on m’en veut bannir

Malheureux Cassender trop heureux Oroondate

Endure avec plaisir que ton rival te flatte,

Mêle dedans ta joie un peu de ma douleur

Donne-moi ton bonheur et reçois mon malheur,

Et par un changement qui n’aura rien d’étrange,

Nous nous rendrons heureux par ce contraire échange,

Nous deviendrons amis dedans le même temps,

De deux infortunés, nous ferons deux contents.

Ah rival ! que je plains quel malheur est le nôtre

Il n’est point au pouvoir ni de l’un ni de l’autre,

Et même ton supplice est bien plus rigoureux,

À force de bonheur tu deviens malheureux,

C’est à vous d’accorder deux rivaux déplorables,

À tirer deux heureux de deux grands misérables,

Et quittant un secret où vous vous obstinez

À créer de nous deux, deux amants fortunés.

ROXANE.

Si vous persévérez à vouloir ma disgrâce,

Par d’éternels dédains il faut que je vous lasse,

Que si vous les aimez je vous en veux combler,

Et s’il hait mes faveurs je l’en veux accabler.

CASSANDER.

Persistez-vous vous-même, à m’être si cruelle,

Votre inhumanité sera donc éternelle,

Pourquoi me traitez-vous avec indignité ?

Trouvez-vous des défauts dedans ma qualité,

Ne me méprisez point ma naissance est Royale

À la grandeur du sang j’ai la puissance égale,

Et vous avez été la femme de mon Roi,

La Fille d’un Satrape est au-dessous de moi,

À de plus haut partis elle ne peut prétendre

Pense-t-elle trouver un second Alexandre,

Le premier des humains n’a point laissé d’égal,

Et s’il peut après soi recevoir un rival,

Parmi ses successeurs je suis considérable

Et par mes grands respecte je lui suis comparable.

Les Dieux à qui le monde élève des Autels

Reçoivent moins d’honneur du côté des mortels,

Que vous n’en recevez par mon idolâtrie,

Avecque moins d’ardeur tout l’univers les prie ;

Et vos parfaits rivaux sont aujourd’hui jaloux

De me voir prosterner à vos sacrés genoux,

Je n’en partirai point que dans la connaissance

Que celle qui leur semble aura pris leur clémence,

Et que son naturel changeant de volontés,

Ayant pris leurs vertus emprunte leurs bontés.

ROXANE.

Allez prince indiscret vous rendre ailleurs aimable

Sachez que devant moi vous êtes effroyable,

Vous pensez m’agréer, quels charmes avez-vous

Je vous vois tout souillé du sang de mon époux,

Quand vous serez lavé de la mort d’Alexandre,

Je pourrai Cassander vous voir et vous entendre,

Jusque-là permettez que j’arrache à mes yeux

Le plus noir des objets et le plus odieux.

 

 

Scène VIII

 

CASSANDER, seul

 

Ah ! tu l’aimais trop peu, trop infidèle Reine,

Pour trouver dans sa mort la cause de ta haine

Mais si dans ce soupçon je te suis odieux

Je m’en vais tout souiller d’un sang plus précieux

Et par ce triste objet me rendant plus sensible

Je veux devant tes yeux devenir plus horrible,

Tu mourras mon rival je cours à ton trépas

Et toi mon désespoir ne m’abandonne pas.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

OROONDATE, HÉZIONNE, PERDICAS

 

OROONDATE.

Où me conduisez-vous, vous Arbate ; Hézionne.

HÉZIONNE.

Ici Seigneur.

OROONDATE.

Ici suis-je dans Babylone,

Ici tous les objets déplaisent à mes yeux

Je deviens à moi-même un spectacle odieux

Toi lâche confident des amours de ta Reine

Parmi mes ennemis je te compte avec peine,

Et quoique si souvent on t’ait vu me trahir

Je trouve de la honte à te pouvoir haïr,

Mais aussi quand je songe à tous tes artifices,

Que mon ressouvenir repasse tes malices,

Et que tous mes malheurs reviennent m’animer

J’en trouve également à te pouvoir aimer.

Ciel qui me choisissait d’illustres adversaires

Y devais-tu mêler des hommes populaires,

Lui peut-il mériter le rang où tu l’as mis

Et toi placer Arbate entre mes ennemis,

Toi des Arrêts du sort exécuteur profane,

Et comme de mes maux instrument de Roxane,

Trouves-tu ton repos en cet infâme honneur

Y fais-tu consister ton souverain bonheur,

Tu l’oses avouer par ce honteux silence

Quoi lâche tu te tais ôte-moi ta présence,

Et tu montres par-là la moitié de mes maux.

Il sort.

HÉZIONNE.

Quoi Seigneur ?

OROONDATE.

Vous avez des sentiments égaux,

Le naturel d’Arbate a passé dans ton âme,

Et comme lui tu sers la rage d’une femme,

Vous lui prêtez tous deux vos insolents Conseils

Enfin dans votre emploi je vous trouve pareils,

Et comme il me déplaît ta présence m’irrite.

HÉZIONNE.

La Reine en un moment vous va rendre visite.

 

 

Scène II

 

OROONDATE, seul

 

Elle-même à son tour offenser à mes yeux,

Rien que la seule horreur n’habite dans ces lieux,

C’est de ses attentats l’effroyable demeure

Où mille messagers arrivent d’heure en heure,

Et venant étaler les crimes qu’ils ont faits,

Lui viennent demander le prix de leurs forfaits.

Mais quoi de Scélérats s’entretient ma pensée

Divine Statira vous êtes offensée,

Ont-ils pu d’un moment me séparer de vous

Ont-ils pu m’arracher d’un entretien si doux,

Mon âme retournons à cette aimable idée

Dont amoureusement tu te sens possédée,

Portrait que mon esprit a vivement formé

Que l’art d’imaginer a si bien animé,

Idole de mes sens viens refrapper ma vue

Avec ces mêmes traits dont je t’avais pourvue

Tableau de mon amour inimitable effet

Rends encore cet office à ces yeux qui t’ont fait,

Grande imaginative et divine artisane

Chasse-moi Cassender, Perdicas, et Roxane,

Et de tous les objets que mon œil t’enverra

Conserve chèrement celui de Statira.

 

 

Scène III

 

OROONDATE, CASSANDER

 

CASSANDER, le poignard à la main.

Soldats n’avancez point, qu’on se tienne à la porte.

OROONDATE.

Ah ! traître est-ce sur moi que ta fureur se porte,

Tes esprits chancelants tes pas mal assurés

Ta main toute tremblante et tes yeux égarés,

M’éclaircissent assez du sujet qui t’amène.

CASSANDER.

Je ne puis refuser ton trépas à ma haine,

Elle a voulu ta mort je lui fais ce présent.

OROONDATE.

Lâche à tes passions es-tu si complaisant,

Âme dès ta naissance en du sang détrempée.

CASSANDER.

Prodigieux respect dont mon âme est frappée,

Mon cœur sent un remords qu’il n’a jamais connu.

OROONDATE.

C’est qu’au comble du crime il était parvenu,

Et dès lors qu’à ce point est monté l’habitude

Il chasse du péché tout ce qu’il a de rude,

Et venant à la fin dans l’assoupissement

Trouve moins le repos que l’endurcissement,

Mais de ton repentir se découvre la feinte

Et c’est moins un remords qu’un effet de ta crainte.

CASSANDER.

Non, non, c’est la pitié qui suspendait mon bras

Enfin il va tomber tu mourras tu mourras.

 

 

Scène IV

 

OROONDATE, CASSANDER, ROXANE

 

ROXANE.

Arrête-toi barbare et demeure immobile

Viens rendre par ma mort ton attentat facile,

Quoi tu t’es partagé, tu ne sais que choisir

Par un regard mortel explique ton désir :

Mais pour l’exécuter manquerais-tu d’audace

Je te vois sur le point de demander ta grâce,

Et la fuite des tiens te laissant dans nos mains

À ta confusion a détruit tes desseins.

CASSANDER.

J’en saurai bien sortir.

ROXANE.

Il fuit, il fuit le lâche

Et jusques à soi-même il faudra qu’il se cache,

Je veux que l’on le suive.

OROONDATE.

Il n’est que trop suivi

À ses propres remords il ne s’est point ravi.

 

 

Scène V

 

ROXANE, OROONDATE

 

ROXANE.

Hé bien mon ennemi je vous sauve la vie.

OROONDATE.

Le présent qu’on me fait n’est pas digne d’envie

Je m’efforce à périr non pas à me sauver.

ROXANE.

Malgré ce désespoir je vous veux conserver.

OROONDATE.

C’est me rendre Madame un funeste service.

ROXANE.

J’ai cru dans ce péril vous rendre un bon office,

Apprenez-en la cause en blâmant son effet.

OROONDATE.

Elle pourrait partir d’un principe imparfait,

Si c’est le sentiment qu’ici l’on se propose,

L’effet m’en plairait mieux que ne ferait la cause.

ROXANE.

Quoique vous y cherchiez un sens si délicat,

De toutes les façons vous seriez un ingrat.

OROONDATE.

Il est injurieux et sensible à l’extrême,

De se voir redevable en dépit de soi-même,

Et de tels bienfaiteurs il nous est moins fatal,

D’en recevoir du bien que d’en avoir du mal.

ROXANE.

La honte qu’ils en ont leur semble bien plus rude

De voir que leurs faveurs servent l’ingratitude,

Et je les trouve à plaindre entre les affligés

D’avoir pour ennemis leurs plus grands obligés.

OROONDATE.

Si les maux sont des biens je vous suis redevable,

Votre profusion chaque jour m’en accable,

Et de la quantité que vous me les versez

Je vous ai dit souvent Madame c’est assez.

ROXANE.

Cruel méconnaissant où va votre mémoire.

OROONDATE.

Hé bien de votre vie, entreprenons l’histoire

Elle est toute présente à mon ressouvenir

Mais je ne sais par où commencer ou finir,

Ne vous souvient-il pas de tous vos artifices

Avez-vous oublié vos insignes malices,

Et qu’ayant ruiné mes premières amours

Vous m’avez fait des maux aussi longs que mes jours,

À peine aviez-vous su le trépas d’Alexandre

Que votre premier soin fut de saisir Cassandre,

Et si son faux trépas n’eût abusé vos yeux

Vous auriez de son sang vu rougir tous ces lieux.

ROXANE.

Prince cette action est à mon avantage

Il la faut remarquer par son plus beau visage

Cet illustre attentat a montré mon amour.

Et par ce grand éclat je l’ai mis dans son jour.

Aux yeux de l’univers je l’ai rendu visible.

OROONDATE.

Était-ce le secret de me rendre sensible.

ROXANE.

Jugez de la grandeur de mon affection

Comparez-la mon Prince à son aversion,

Quel amour eûtes-vous de cette âme infidèle,

Quel est le traitement que vous reçûtes d’elle,

Pour moi tous vos dédains n’ont fait que m’animer,

Même armé contre moi j’ai voulu vous aimer.

OROONDATE.

Si je fus exilé malgré mon innocence,

Si me tenant coupable et dans ma longue absence

Tirant de faux soupçons de mon éloignement

Elle a pu se résoudre à ce grand changement,

Elle a pu consentir aux amours d’Alexandre,

La générosité me force à la défendre

C’est de votre malice et la suite et l’effet,

Et je remets sur vous le mal qu’elle m’a fait.

ROXANE.

Quoi ne ferez-vous rien en faveur d’une Reine,

À qui pour tant d’amour vous rendez de la haine

Songez que dans l’état où le sort vous a mis,

Il vous a suscité deux puissants ennemis.

Et que dans les transports dont leur âme est saisie,

Ils feront choir sur vous toute leur jalousie,

Servez-vous de mon bras pour retenir le leur.

OROONDATE.

Puisque je suis tombé dans un double malheur,

Il m’est indifférent dans lequel je périsse,

Et plus d’eux que de vous j’agréerais mon supplice.

ROXANE.

Que souffrez-vous ingrat.

OROONDATE.

D’effroyables efforts.

Ce que peuvent sentir et l’esprit et le corps,

Je souffre dans deux lieux, double chaîne me presse.

J’endure ma prison, celle de ma Princesse,

Et sentant tour à tour deux tourments différents

Mon âme en deux endroits gémit sous deux tyrans,

Elle sent sous votre ordre une double torture.

ROXANE.

Que souffrez-vous sous moi.

OROONDATE.

Ce qu’ailleurs elle endure,

J’entre dedans ses maux, elle prend part aux miens,

Et par mes déplaisirs j’ose juger des siens.

Perdicas vous ressemble.

ROXANE.

Ah ! ce mépris m’outrage.

Conservez mon amour.

OROONDATE.

Quelle en est l’avantage,

Quelle en est la faveur, que j’en puis recevoir,

En pourrai-je obtenir le plaisir de la voir.

ROXANE.

Souffrir un entretien qui me serait funeste,

Vous y voir ruiner tout l’espoir qui me reste,

Ah ! Je verrai plutôt la mort de Statira,

Ma cruelle rivale à mes yeux périra,

Et dans les mouvements que m’inspire la rage

Déjà dedans son sang je sens mon cœur qui nage

Et mon œil de sa mort à demi consolé

Chercher dedans son cœur le cœur qu’il m’a volé.

OROONDATE.

Roxane jusqu’au bout poussez votre furie,

On a vu des effets de votre barbarie,

Quand vous auriez foulé le sang de votre Roi

Quand de vos sentiments vous feriez une loi,

Quand répandant partout vos coupables maximes,

L’on vous verrait remplir tout l’Univers de crimes

Et le feu dans la main courir tous vos États,

Nul ne serait surpris de vos grands attentats,

Le monde vous connait pour une sanguinaire

Toute la terre a su, ce que vous saviez faire.

ROXANE.

C’est trop insolemment irriter mon amour

Craignez que mon courroux ne commande à son tour,

L’amour las de régner lui remet son empire,

Et dans ce grand conseil qu’un nouveau Roi m’inspire

Si je m’abandonnais à mes ressentiments

Si mon âme courrait après ses mouvements,

De mille passions je vous rendrais la proie

Mon cœur vous déchirant palpiterait de joie,

Gardez de me réduire en ces extrémités

Et par le souvenir de tant de cruautés,

Dont à chaque moment vous me rendez coupable

Oroondate, jugez de quoi je suis capable,

Voyez où peut s’étendre un absolu pouvoir.

Quand il est mesuré par un grand désespoir.

OROONDATE.

De tout hors d’un seul point je vous croirai capable.

ROXANE.

Ah ! que ne puis-je pas.

OROONDATE.

Me devenir aimable,

Cherchez tous les moyens de plaire à Cassander

Votre cœur est un bien que je lui veux céder,

Madame il vous estime une conquête insigne,

Donnez-lui votre amour il en est le seul digne,

Qu’il ne redoute plus ni rivaux ni jaloux,

Comme vous le valez il est digne de vous.

ROXANE.

Ah ! c’est trop m’irriter Oroondate,

Vous vous perdrez...

OROONDATE.

N’importe allons Arbate.

ROXANE.

Arbate,

Que l’on le conduise en son appartement.

 

 

Scène VI

 

ROXANE, HÉZIONNE

 

ROXANE.

Que je sens dans mon âme un feu bien véhément

Je sens de cette ardeur enflammer mon visage.

HÉZIONNE.

Votre âme est-elle née à souffrir cet outrage.

ROXANE.

Non, non, c’est trop servir je vais rompre mes fers

Prendre sur moi le droit que j’ai sur l’univers,

Et domptant un vainqueur que j’avais pu m’élire

Assujettir mon Maître à ce nouvel Empire,

Ah ! tyran orgueilleux tu ne sais pas régner

Et cette occasion a su le témoigner,

Tu ménages trop mal les forces d’une esclave,

Il n’est pas toujours propre à souffrir qu’on le brave.

HÉZIONNE.

Que cet effort est beau que vous faites sur vous !

ROXANE.

Ainsi parle mon cœur quand il est en courroux,

Mais je sens apaiser les troubles de mon âme.

Et dans mes mouvements tout fait jour à ma flamme.

Ces rebelles domptés y viennent tour à tour

Avecque ma raison se soumettre à l’amour,

Mon âme est toute à lui, rien que lui n’y préside

Il se fait de mon cœur un esclave timide,

Et d’un serf échappé prêt à lui commander

Il le remet aux fers et les lui fait garder,

Pour l’avoir menacé de redoubler ses peines.

HÉZIONNE.

Il vous est bien honteux de languir dans ses chaînes.

ROXANE.

Hélas mon Hézionne il est ainsi conclu

C’est un funeste amour que les Dieux ont voulu.

HÉZIONNE.

Perdicas entre ici composez-vous Madame,

N’envoyez point aux yeux l’émotion de l’âme.

 

 

Scène VII

 

ROXANE, HÉZIONNE, PERDICAS

 

ROXANE.

Perdicas suis-je Reine ai-je ici du pouvoir ?

PERDICAS.

Madame vous l’avez si vous voulez l’avoir,

Où vous vous rencontrez vous êtes souveraine.

ROXANE.

Si j’en porte le nom ma puissance est bien vaine,

L’Insolent Cassander.

PERDICAS.

Je sais son attentat

Et viens de le laisser dans un funeste état.

ROXANE.

Il a choisi son temps dans l’absence d’Arbate

Et ce désespéré s’immolait Oroondate,

Au point que ma venue empêchant son dessein

La crainte ou le respect a retenu ta main,

D’ici tout furieux rappelant son courage

Suivi de six soldats il s’est fait un passage.

Il nous vient d’échapper.

PERDICAS.

Il est venu chez moi

Tout son visage en feu m’a donné de l’effroi.

Perdicas me dit-il j’ai fait la Reine ingrate

Je viens en sa faveur de sauver Oroondate,

Mais si quelque respect a suspendu ma main

Dites-lui que ce coup se peut faire demain,

Et qu’en continuant dans sa première envie

Je tuerai mon rival ou je perdrai la vie,

J’ai d’abord apaisé ce premier mouvement.

ROXANE.

Je m’étonne fort peu de son ressentiment.

PERDICAS.

Ne le rebutez point il vous est nécessaire

Il est d’un naturel changeant et téméraire

Comme il est violent son transport dure peu,

Il suit dans sa fureur la nature du feu.

ROXANE.

Qu’avez-vous Perdicas que veut votre visage

Mais avant qu’il s’explique on entend son langage,

De quoi m’entretient-il ?

PERDICAS.

Il vous dit mon malheur

Mon cœur jusqu’à mes yeux fait monter ma douleur,

Et de ces déplaisirs dont mon âme est émue

Quiconque m’envisage en reçoit de ma vue.

ROXANE.

J’en ai bien pris ma part je m’y laisse émouvoir.

PERDICAS.

Ma Princesse.

ROXANE.

Achevez.

PERDICAS.

Elle désire voir.

ROXANE.

Qui.

PERDICAS.

L’heureux Oroondate elle en a ma promesse.

ROXANE.

Ah ! rivale insolente orgueilleuse Princesse,

Tu te flattes en vain de jouir de ce bien

Et vous qui permettez ce fatal entretien,

En savez-vous la fin ?

PERDICAS.

J’en ai prévu l’issue

Mais de cette façon que la chose est conçue,

Aux yeux de cent témoins ils se pourraient parler.

ROXANE.

L’amour sait-il que c’est que de dissimuler,

Leurs yeux se parleront au défaut de leur langue

Ils entendront tous deux leur muette harangue,

Et comme leurs deux cours sont égaux en désirs

Ils sauront s’expliquer par l’aide des soupirs,

Rompons cet entretien on nous y va détruire,

Ils ne l’ont demandé qu’à dessein de nous nuire.

PERDICAS.

Oroondate le veut.

ROXANE.

L’ingrat l’a désiré.

PERDICAS.

Madame mon amour en a bien murmuré,

Mais quoique j’y répugne il faut que j’y consente.

ROXANE.

Hé bien dedans ce jour je la rendrai contente

Où faut-il que ce coup l’aille s’entretenir.

PERDICAS.

Ici si vous voulez.

ROXANE.

Faites l’y donc venir.

PERDICAS.

Elle arrive bientôt.

ROXANE.

J’évite sa présence,

Mon cœur de sa faiblesse a quelque connaissance

De peur de m’emporter je ne la veux point voir

Elle entre Perdicas allez la recevoir.

 

 

Scène VIII

 

PERDICAS, STATIRA, HÉZIONNE

 

PERDICAS.

Hé bien impérieuse il faut vous satisfaire

Enfin j’ai rencontré le secret de vous plaire

Et de mille moyens que j’ai de vous servir

Je n’en trouve qu’un seul qui vous puisse ravir

Encor ne peut-il fuir votre connaissance

Et je n’en puis prétendre aucune récompense.

STATIRA.

Cherchez dans la vertu.

PERDICAS.

Vous la portez trop haut

Je me propose un but mon âme a ce défaut.

STATIRA.

Vous vous rebuterez j’y mettrai cent obstacles

Et pour les surmonter je ferai cent miracles.

PERDICAS.

Rien ne peut échapper à la longueur du temps

Je pourrai parvenir au but où je prétends,

Que si le désespoir m’en ouvre le passage.

STATIRA.

Lâche que ferez-vous ?

PERDICAS.

Je mets tout en usage.

STATIRA.

Pensez-vous effrayer celle qui sait mourir

Ce même désespoir me peut bien secourir,

Et ce commun recours de tous les misérables

Comme une belle issue aux choses déplorables,

Je saurai par ma mort.

PERDICAS.

Ah Madame vivez

De leur plus ferme appui mes jours seraient privés,

Si j’avais projeté de vous ôter la vie

Ma mort précéderait l’effet de mon envie,

Et de mes propres bras j’irais jusqu’en mon sein,

Dans les flots de mon sang étouffer mon dessein,

La donnant de ma honte une marque assez vraie

Pour vous ouvrir mon cœur j’élargirais ma plaie,

Là ce cœur moins rempli de sang que de courroux

Dirait en palpitant qu’il le verse pour vous,

Et pour expier l’horreur d’un demi-crime

Avecque sa complice il se donne en victime,

Ce n’est point contre vous qu’il ose murmurer

À peine contre vous ose-t-il soupirer,

Mais en vous épargnant il veut perdre Oroondate

Je ne puis empêcher que son courroux n’éclate,

J’ai beau dire à ce cœur qu’il se laisse toucher

Qu’à vous comme à Roxane Oroondate est trop cher,

Le cruel me répond que sa mort est ma vie.

STATIRA.

Ah ! lâche dessus moi détourne ton envie,

Que t’a fait Oroondate.

PERDICAS.

Il m’a volé mon bien,

Votre cœur ma Princesse.

STATIRA.

Il ne fut jamais tien

Et si quelque rival avait droit d’y prétendre

Perdicas n’est pas homme à l’être d’Alexandre.

PERDICAS.

Oroondate l’est moins.

STATIRA.

Il me peut mériter

S’il était en état de te le disputer,

Et si je me donnais des mains de la victoire

Il t’en saurait ravir et le prix et la gloire,

Et pour te témoigner comme je vous connais,

L’estime que j’en fais celle que j’ai de toi,

Rends-lui la liberté va combattre en personne.

PERDICAS.

Je ne rends point au sort un présent qu’il me donne ?

STATIRA.

Tu crains avec raison de n’être pas vainqueur.

PERDICAS.

Il faut qu’avec sa vie il quitte votre cœur.

STATIRA.

Quand il aura quitté je le saurai reprendre

Quand je l’aurai repris je le saurai défendre,

Que s’il faut à demi contenter ton dessein

Tu me verras tirer ce cœur hors de mon sein,

Que si l’âme après soi laisse quelque vengeance

Tu pourras voir ce cœur trembler à ta présence,

Et servant de Spectacle à tes yeux inhumains,

S’émouvoir par l’horreur de tomber en tes mains

Oroondate c’est toi que Statira veut suivre

Elle meurt avec toi ne pouvant pas y vivre.

PERDICAS.

Vous le perdez Madame.

STATIRA.

Hé bien il périra.

Au moins s’il doit mourir c’est avec Statira,

Ne crois point par sa mort tirer autre avantage

Que celui de la mienne.

PERDICAS.

Il mourra.

STATIRA.

Suis ta rage,

Au reste Perdicas conserve-moi ta foi

Souviens-toi du serment que j’ai reçu de toi,

N’espérez rien de moi qu’en gardant ta promesse.

PERDICAS.

Hé bien vous la verrez inhumaine Princesse,

Vous verrez vous verrez ce fortuné rival

Mais de cet entretien favorable ou fatal,

Selon qu’il le va rendre ou propice ou funeste

Sa grâce est apparente ou sa mort manifeste

Je m’en vais de Roxane apprendre le dessein,

Et vous ayez soin d’elle.

STATIRA.

Ô Dieux en quelle main

Ah ! soin trop délicat toute main m’est égale

Mourons chez Perdicas ou bien chez ma rivale.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

OROONDATE, HÉZIONNE

 

OROONDATE.

Transports délicieux ravissements si doux

Extases de l’amour qui m’entraînez à vous,

Belles illusions aimables impostures

De mon prochain plaisir agréables figures,

Qui détachant mon cœur d’un état rigoureux

M’avez mis un moment entre les bienheureux,

Je ne puis supporter cette joie infinie

Toute leur vision est à mon âme unie,

Dans l’assouvissement des plaisirs que je sens

Ils viennent là à foule accabler tous mes sens,

Si je ne puis souffrir cette première idée,

Dont jusques là mon âme est pleine et possédée,

Si je sors de moi-même à de simples désirs

Pourrai-je soutenir un amas de plaisirs,

Que l’œil de Statira va verser dans mon âme

À les imaginer je chancelle et je pâme,

Et mon cœur tout grossi des plaisirs qu’il conçoit

Tout préparé qu’il est mourra s’il les reçoit.

HÉZIONNE.

Vous verrez Statira.

OROONDATE.

Je verrai ma Princesse

Ah ! mon âme conçoit une entière allégresse,

Ne mêlez rien de triste à mon contentement

Oublions tous nos maux en cet heureux moment

Et décevant mes sens par un si beau mensonge,

Croyons-nous fortunés pendant le cours d’un songe,

Quoi je la reverrai l’aimable Statira

Je sens que vers mes yeux toute mon âme ira,

Ou que par un excès du plaisir qui la noie,

Elle s’en va sortir par un soupir de joie,

Quoi je lui parlerai j’aurai ce second bien

J’aurai pour un moment son divin entretien,

Mon âme en cet instant conçoit de belles choses

Esprit trop orgueilleux qu’est-ce que tu proposes,

Ah ! ne te vante pas de pouvoir t’exprimer,

La grandeur du sujet aura beau t’animer

De ma divinité l’adorable présence

T’imposera bientôt un éternel silence,

Si mes yeux prennent part dans ta témérité

Ils demanderont grâce avec humilité,

Ces tristes criminels dénués de refuge

N’oseront regarder la face de leur juge

Ils n’en pourront souffrir un regard irrité

Ni l’indignation de leur divinité,

Tu les verras mourants attachés contre terre

Se préparer sans force à l’éclat d’un tonnerre,

Et mon cœur tout tremblant prêt à s’évanouir

Écouter un Arrêt qu’il ne veut pas ouïr,

Elle m’a déjà dit cette horrible sentence

Va traître me dit-elle ôte-moi ta présence,

Ah ! ma Reine rompez ce cruel jugement

Et daignez révoquer un long bannissement

J’ai repris dans l’exil ma première innocence

Donnez-moi le pardon après la pénitence,

Si les termes suivants m’en donnent un espoir.

Mets-toi m’avez-vous dit en état de me voir ;

J’y suis de mon côté rendez-vous y du vôtre,

J’ai pleinement souffert pour les crimes d’un autre,

Votre Alexandre est mort et je suis innocent,

Perdicas y remet et Roxane y consent,

Ainsi rien ne rompra notre belle entrevue.

HÉZIONNE.

Voici la Reine.

OROONDATE.

Ô Dieux que mon âme est émue,

Quoi Roxane à mes yeux.

HÉZIONNE.

C’est votre Statira.

OROONDATE.

Ah ! ma bouche ah ! mes yeux qui de vous parlera

Qui de vous craindre moins de lui pouvoir déplaire,

Répondez qui de vous fera le téméraire,

Échappez-vous ensemble et mêlant vos désirs

Confondez les regards avecque les soupirs,

Tous deux en même temps faites votre harangue,

Mais las je sens d’accord et mon œil et ma langue,

Et dans le triste accueil qu’ils pensent recevoir

Si l’un ne parle point l’autre ne veut point voir,

Et mon âme en ce point demeure suspendue.

STATIRA, entrant sur le théâtre.

Comme il est interdit je demeure éperdue,

Comme quoi mon amour me faites-vous agir

Ma vertu souffrez-vous qu’il me fasse rougir,

Verse dans ta pratique austère et délicate,

Ne puis-je point revoir le vivant Oroondate ;

Toi que la destinée a rendu mon vainqueur

Qui même après ta mort j’ai conservé mon cœur,

Il cesse d’être à toi je te l’ôte Alexandre

Après l’avoir gardé je te force à le rendre,

Et te le ravissant avec quelque douceur

J’en veux récompenser son premier possesseur.

 

 

Scène II

 

OROONDATE, STATIRA, HÉZIONNE

 

STATIRA.

Approchez-vous.

OROONDATE.

Hélas !

STATIRA.

Oroondate.

OROONDATE.

Madame.

STATIRA.

Quelle altération ne ressent point mon âme.

OROONDATE.

Permettez qu’un coupable expire à vos genoux,

Il vous offre sa tête.

STATIRA.

Ah Prince levez-vous

Je ne vous puis souffrir en cette humble posture.

OROONDATE.

Souffrez tous ces respects de votre créature,

Et pardonnant ce zèle à ma témérité

Que je retombe aux pieds de ma divinité.

STATIRA.

Levez-vous Oroondate et prenez cette place.

Étant assise.

Hé bien mes ennemis m’accordent une grâce,

Roxane et Perdicas m’ont permis de vous voir,

C’est la seule faveur que j’en voulais avoir,

Et comme ce bonheur m’est très considérable

Je ne rougirai point d’être leur redevable,

Et dit ce juste aveu vous être un peu fatal

Je m’en sens obligée à votre seul rival.

OROONDATE.

Quoiqu’il nous ait servi par une lâche cause

Je ne regarde point le but qu’il se propose

Et daignant convertir une injure en bienfait,

Comme vous je rends grâce au mal qu’il nous a fait,

Ou du moins à celui qu’il nous a voulu faire,

Puisque son sentiment était moins de vous plaire

Que de vous procurer ce mortel entretien.

STATIRA.

Malgré sa volonté nous en tirons un bien,

Et quoique sa malice y soit si manifeste,

Nous le rendrons fatal à qui le veut funeste.

OROONDATE.

Avec quelle bonté daignez-vous recevoir

Celui qui tout tremblant n’osait point vous revoir,

Mon cœur se redisait l’effroyable sentence

Par qui je fus puni d’une éternelle absence,

Et qui ayant ôté jusques au sentiment

Joignit presque ma mort à mon bannissement,

Vous en souvenez-vous.

STATIRA.

Ah ! fatale mémoire !

OROONDATE.

Dès lors j’abandonnai le soin de la victoire

Et me croyant coupable aussitôt que puni,

Je délaissai des lieux dont vous m’aviez banni.

STATIRA.

Oui Prince Statira se fit voir infidèle.

OROONDATE.

Madame Statira ne fut point criminelle,

Et mon soupçon irait jusqu’à l’impiété,

D’imaginer un crime en ma divinité,

Je me justifiais sans vous rendre coupable.

STATIRA.

Dedans ce traitement je me crus raisonnable,

Je vous avais banni vous tenant criminel.

OROONDATE.

Je méritai Madame un exil éternel,

Je ne murmurai point contre votre ordonnance.

STATIRA.

Avec quel déplaisir sus-je votre innocence.

OROONDATE.

Cruelle Statira quel fut ce sentiment.

STATIRA.

Je le trouvai bien juste en cet événement,

Mon âme également se rendit haïssable

Oroondate innocent Oroondate coupable,

Et mon cœur déchiré par un double désir

Ne sut pour son repos lequel il dut choisir,

L’amour ne put souffrir Oroondate coupable

L’abord d’un criminel lui parut effroyable,

Et mon honneur formant un parti plus puissant

Ne put point supporter Oroondate innocent,

Ainsi mon cœur rempli par celui d’Alexandre

Ne voulut point s’ouvrir à qui le vint surprendre

Et qui d’un faux appas brillant et revêtu

Avecque sa vertu séduisait ma vertu,

Mon Prince dites-moi pouvais-je vous entendre ?

OROONDATE.

Puisque l’on m’accusait je me devais défendre.

STATIRA.

Oui pour vous écouter j’altérai mon devoir

Et pour vous mieux ouïr je désirai vous voir,

J’obtins de mon honneur ce sensible avantage.

OROONDATE.

Et de votre rigueur le dernier témoignage,

Puisque de cet honneur suivant les dures lois

Vous m’osâtes bannir pour la seconde fois.

STATIRA.

Il fallait satisfaire à la voix d’Alexandre

Qui disait à mon cœur lasse-toi de l’entendre.

OROONDATE.

Fallut-il obéir.

STATIRA.

Je vous laissai l’espoir

Et je me vis bientôt en état de vous voir.

OROONDATE.

Même après son trépas vous fuyez ma présence.

STATIRA.

Des raisons que j’en eus vous eûtes connaissance

Mon Alexandre à peine était enseveli

L’espace de trois jours l’eût-il mis en oubli,

Et vous pouvais-je voir dedans un temps d’alarmes,

Où toute Babylone était fondue en larmes

Où l’horrible Roxane augmentant nos douleurs

Mêlait impunément le sang avec les pleurs,

Encore en ces moments partagiez-vous mon âme.

OROONDATE.

Ah ! pour tant de faveurs que vous rends-je Madame,

Et qu’est-ce qu’un ingrat a pu vous reprocher

Je consomme à me plaire un temps qui m’est si cher

Passons dans les transports les moments qu’on nous laisse.

STATIRA.

Nous n’en pouvons mon Prince arracher la tristesse.

Et dedans ce grand cours que prennent nos malheurs,

Nous trouvons chaque instant des sujets de douleurs,

Perdicas prend le soin de nous les faire naître.

OROONDATE.

Roxane contribue à nous les faire accroître,

Cet esprit amoureux ne se peut rebuter

Et ne se lasse point de me persécuter,

Encore en endurant agréerais-je ma peine

Si le mal que je sens me venait de sa haine,

Mais mon plus grand tourment me naît de son amour.

STATIRA.

Comme elle Perdicas s’irrite chaque jour.

OROONDATE.

Roxane comme lui ne manque point d’audace,

Et me faisant ce jour une rude menace,

J’ai ces frayeurs pour vous que vous avez pour moi.

STATIRA.

Que vous impose-t-elle ?

OROONDATE.

Une effroyable loi,

Que je puis appeler une loi digne d’elle

Et que de mon côté je puis nommer mortelle,

La dirai-je elle veut que vous me haïssiez.

STATIRA.

Perdicas veut aussi que vous me délaissiez.

OROONDATE.

Madame votre mort suivra votre réponse.

STATIRA.

La vôtre suit aussi ce que je vous annonce.

OROONDATE.

Je vous ai dit mon ordre.

STATIRA.

Et je vous dis le mien.

OROONDATE.

À ces conditions je dois votre entretien.

STATIRA.

Et je dois votre vue à la même promesse,

Prince résolvez-vous.

OROONDATE.

Résolvez-vous Princesse

Ne m’aimerez-vous point ?

STATIRA.

Me voudrez-vous haïr.

OROONDATE.

Madame pensez-vous que je puisse obéir

Et qu’aux lois de Roxane on me fasse complaire ?

STATIRA.

Et vous qu’à Perdicas je puisse satisfaire

Je puisse exécuter de tels commandements.

OROONDATE.

Vous êtes toute juste en tous vos sentiments,

Dedans vos actions vous êtes volontaire

Et vous n’ignorez pas ce que vous devez faire.

STATIRA.

Vous le savez.

OROONDATE.

Jugeant de ce que vous devriez,

Je sais qu’avec raison vous m’abandonneriez

Non point que Perdicas n’ait aucun avantage

Qu’il ait éminemment ou naissance ou courage,

Non que j’en veuille faire un jugement jaloux

Comme moi mon rival est indigne de vous,

Mais la mort.

STATIRA.

Oroondate elle n’a rien d’horrible

Quand dedans ce moment elle serait visible,

Qu’entre elle et Perdicas, il me faudrait choisir

La mort proche de lui serait tout mon désir.

OROONDATE.

Quoique dans ces deux choix ma mort soit manifeste,

Celui de Perdicas me parait moins funeste,

Vivez, vivez.

STATIRA.

Cruel, est-ce votre désir.

OROONDATE.

Oui si votre rigueur me permet de choisir,

J’aimerais mieux ma Reine infidèle que morte.

STATIRA.

L’amour que j’ai pour vous ne paraît point si forte

Elle fait sur mon âme un différent effort,

J’aimerais moins mon Prince infidèle que mort,

Et je le souffrirais d’une âme plus égale

Dans les bras de la mort qu’aux mains de ma rivale,

Qu’il meurt l’inconstant ou qu’il vive pour moi.

OROONDATE.

Il veut vivre et mourir pour vous prouver sa foi.

ARBATE, entrant.

Seigneur il faut finir.

OROONDATE.

Ah ! le plus grand des traîtres.

Et digne exécuteur de l’ordre de tes maîtres,

Mais je vois l’un et l’autre et dans ce fier abord

Je lis dedans les yeux l’arrêt de notre mort.

 

 

Scène III

 

OROONDATE, STATIRA, ROXANE, PERDICAS, ARBATE, HÉZIONNE

 

ROXANE, à Statira.

Madame vous saurez que je vis sans faiblesse,

Les remords qu’on se fait tiennent de la bassesse,

Et quiconque renonce au bien qu’il a cherché

Est indigne d’avoir le prix de son péché,

N’attendez point de moi le désaveu d’un crime

Que par mille raisons j’ai rendu légitime,

Je ne viens point ici pour me justifier

C’est à mon propre sens que je m’en veux fier,

Et ne voulant que moi pour mon dernier refuge

Dans tous mes attentats je m’établis pour juge,

Je ne sais point de loi que mon seul intérêt

J’ai juré votre mort j’en ai conclu l’arrêt,

Que si j’ai suspendu cette juste sentence

Et si j’ai retardé le cours de ma vengeance,

C’est ma compassion qui m’a parlé pour vous

Perdicas avec elle arrêta mon courroux,

Et tous deux m’empêchant de me pouvoir résoudre

Pour un temps de mes mains ont diverti la foudre,

Aujourd’hui qu’Oroondate avec tous ses mépris

Jusques au désespoir a porté mes esprits,

Que vous-même obstinée au dessein de me nuire

Travaillez avec zèle à vous vouloir détruire,

Je ne puis plus forcer tous ces grands mouvements

Je n’ai plus de pouvoir sur mes ressentiments,

Je ne puis empêcher que ma fureur n’éclate

Si vous ne m’opposez la tête d’Oroondate,

Et si par son amour suivi d’un repentir

L’ingrat à vous sauver ne me fait consentir

PERDICAS, à Oroondate.

Et vous Prince apprenez jusqu’où va ma colère

Jusques à ce moment elle a paru légère,

Et tant qu’un désespoir a suspendu ma main

J’ai toujours renvoyé ma rage au lendemain,

Aujourd’hui ma fureur s’est toute ramassée

Et pour vous accabler elle s’est entassée,

Tous mes ressentiments se sont multipliés

Avec ceux de Roxane ils se sont alliés,

Prince le seul secret de s’en pouvoir défendre

C’est de se disposer à me rendre Cassandre,

Si de votre refus dépend votre trépas.

OROONDATE.

Que me demandez-vous barbare Perdicas.

STATIRA.

Que voulez-vous de moi Roxane impitoyable.

ROXANE.

Vous-même m’avez fait une amante implacable

Vous me l’avez ravi mais vous me le rendrez.

STATIRA.

Je saurai conserver.

ROXANE.

Vous mourrez, vous mourrez.

STATIRA.

Parmi les cruautés vous vous êtes nourrie

Vous mîtes tout en sang votre propre patrie,

Et devant l’univers trahissant votre foi

Vous voulûtes verser le sang de votre Roi,

Quand votre lâche amour pour s’ôter un obstacle

Voulut saouler vos yeux par un sanglant spectacle

Et vous faire goûter ce mets délicieux

Dont l’abject si souvent avait repu vos yeux,

Cet horrible habitude à le vouloir répandre,

Vous a fait prendre part à la mort d’Alexandre

Votre âme y concourant dedans sa trahison

Redoubla par ses vœux la force du poison,

Et son intelligence avec ces parricides

Du sang qu’elle voulait les rendit plus avides,

De la soif qu’elle avait, elle les altéra,

Ensuite elle voulut celui de Statira,

Quand son exécuteur qu’épouvantait ce crime

Aux vœux d’une enragée ôta cette victime,

Et plus barbare qu’elle en l’osant secourir

La sauvant une fois la fit cent fois mourir,

Voilà, voilà Roxane un grand apprentissage.

ROXANE.

Hé bien j’achèverai cet important ouvrage,

Et mon âme suivant ses premiers mouvements

Je m’en vais couronner de beaux commencements,

Votre va sceller les crimes de ma vie.

STATIRA.

Hé bien exécuter votre dernière envie,

Mais ne prétendez pas de m’ôter mon amour

Je ne le perdrai point, même en perdant le jour.

ROXANE.

Et vous Prince assoupi dans ce honteux silence

Que délibérez-vous ?

OROONDATE.

Tu prends toute licence,

L’impuissance où je suis t’avait fortifié

Dessus ce fondement tu t’étais confié,

L’état où tu me vois t’a donné du courage,

Et qui craignait mon bras ne craint point mon visage,

Je revois dedans toi celui que j’ai fait fuir

Et que sa lâcheté me força de haïr,

Tiens vois-là notre prix rendons-nous dignes d’elle

Et décidons ici notre vieille querelle,

Soyons de la victoire également épris

Et tentons un combat dont ma Reine est le prix,

Rends-moi la liberté je t’ai donné la vie

Fais indigne rival que je te porte envie,

Et dans ce sentiment que je me plaigne à moi

D’avoir pour bienfaiteur un homme comme toi

PERDICAS.

S’il t’était arrivé de me rendre service

Mon cœur désavouerait un si mortel office,

N’attends point que de toi j’exige aucun bienfait

Et te démens le don que tu dis m’avoir fait.

ROXANE.

Enfin mon bras se lasse à suspendre une foudre

Vous n’avez qu’un moment à vous pouvoir résoudre.

OROONDATE, à Statira.

Hé bien par vos regards expliquez votre loi

Et ce que vous ferez et de vous et de moi.

STATIRA.

Je ne veux prononcer que ma seule sentence

Et d’un si triste arrêt mon amour vous dispense,

Oroondate vivra s’il peut vivre sans moi.

Mais je mourrai pour lui.

OROONDATE.

Je me fais même loi,

Je périrai pour vous la loi doit être égale.

STATIRA.

Oroondate vivez non point pour ma rivale.

OROONDATE.

Je ne vis point pour elle et je mourrai pour vous.

STATIRA.

Donnez à mon amour ce sentiment jaloux,

J’aime mieux vous voir mort que vous voir infidèle.

OROONDATE.

Je meurs pour vous Madame et ne vis point pour elle,

Mais comme vous voulez cette preuve de foi

J’ose vous imposer une semblable Loi,

Puisque dans les regrets dont mon âme est saisie

Elle conserve encore un peu de jalousie,

Ma Princesse vivez non point pour Perdicas,

Et toi lâche rival qui poursuis mon trépas,

Je te veux pardonner si tu la veux défendre

Tu vois dans Statira la femme d’Alexandre.

STATIRA.

Oroondate la vie a-t-elle tant d’appas,

Pour me rendre obligée aux soins de Perdicas ?

Mon prince c’est vous seul qui m’avez protégée

À qui je suis ingrate aussi bien qu’obligée,

Mais après cet aveu que mon âme vous fait

Souffrez que par ma mort j’égale ce bienfait,

Je puis sans offenser rompre avec Alexandre

Le bien qu’il eut vivant son ombre le va rendre,

Ne conservez donc plus un souvenir jaloux

Et reprenez mon Prince un cœur qui fut à vous.

PERDICAS.

Ne reçoit point ce don il te serait funeste

La vie est un présent.

OROONDATE.

Que de toi je déteste,

Et je mourrais d’horreur si tu me la donnais

C’est moi qui te la donne et toi tu la reçois.

STATIRA.

Qu’attends-tu Perdicas me voici toute prête

Venge-toi d’Oroondate aux dépends de ma tête,

Comme j’endure en lui fais-le souffrir en moi.

OROONDATE.

Ah plutôt.

PERDICAS.

Je consens de l’affliger en toi,

Et que ton cœur ouvert devant cette inhumaine

Fasse entrer dans le sien une part de ta peine,

Pour vous si votre amour vous la fait ressentir

Par un autre secret je le ferai pâtir,

Et confondant les maux et de l’un et de l’autre

Je lui ferai souffrir et sa peine et la vôtre.

Résolvez Statira.

STATIRA.

Tu ne m’étonnes pas

C’est par ma seule mort.

PERDICAS, tirant l’épée de son côté, et la pointant contre Oroondate.

Plutôt par son trépas,

J’ai trouvé le secret par qui je vous sépare

Je t’ai trop épargné meurs scythe meurs barbare,

Et me rends le repos, que tu m’avais ôté.

ROXANE, prenant une javeline des mains d’un garde et la posant au sein de Statira.

Arrête Perdicas regarde à ton côté,

Quelle des passions est en toi la plus forte

Ou voir vivre Oroondate ou voir la Reine morte,

Choisis ?

OROONDATE, à Perdicas.

Ah ! Perdicas protège Statira,

Après si tu le veux Oroondate mourra.

STATIRA, à Roxane.

Fille de Cohortan perds dedans ta furie

La femme d’Alexandre et le sang de Darie,

Et portant dans ton sein ta dernière rigueur

Viens frapper Oroondate au travers de mon cœur

Et nous sacrifiant au démon de la rage

Renverse tout ensemble et l’autel et l’image.

OROONDATE, à Roxane.

Viens femme furieuse achever ton dessein

Et frapper ta rivale au travers de mon sein.

ROXANE, se mettant devant lui.

Non tu ne mourras pas je défendrai ta vie.

PERDICAS, au-devant de Statira.

Et j’aurai pour la Reine une semblable envie,

Contre tes cruautés je la veux protéger.

STATIRA.

Perdicas est-ce ainsi que tu crois m’obliger,

Roxane est moins barbare en sauvant ce que j’aime

Sans sa protection j’aurais péri moi-même,

Sauvant une partie en qui je veux mourir

Tu pers une moitié que je veux secourir,

Dans Statira je meurs et vis dans Oroondate.

OROONDATE.

Et toi femme enragée en vain ton bras se flatte,

Et tu prétends en vain de m’avoir protégé

Ce n’est qu’à Perdicas que je suis obligé,

Puisqu’en abandonnant l’ardeur de me poursuivre

Il sauve une partie en qui je voulais vivre,

Et que ta barbarie en m’osant secourir

Conserve une moitié dans qui je veux mourir.

ROXANE.

Malgré tous tes dédains je te saurai défendre

Et contre un Perdicas je saurai l’entreprendre.

PERDICAS.

Malgré tous vos mépris je vous protégerai

Et contre une Roxane ou bien je périrai.

ROXANE.

Perdicas je te compte entre mes adversaires.

PERDICAS.

Roxane tes soldats te seront nécessaires,

Et je te compte aussi parmi mes ennemis.

ARBATE.

Ah ! considérez-vous d’un regard plus remis,

Vos ennemis communs en prendront avantage.

ROXANE.

Oroondate rentrez.

PERDICAS.

Vous évitez sa rage.

STATIRA.

Cruel notre salut est partout hasardeux.

OROONDATE.

Même péril nous presse en la main de tous deux.

ROXANE.

Dans son appartement reconduisez-le Arbate.

STATIRA.

Roxane à Perdicas, dérobez Oroondate.

OROONDATE.

Perdicas à Roxane, arrachez Statira.

ROXANE.

Avant que donner l’un Roxane périra.

PERDICAS.

Avant qu’accorder l’autre on m’arrachera l’âme.

OROONDATE.

Et moi vous délaissant je vous jure Madame.

Qu’avant qu’être à Roxane on me verra périr.

Et vous à Perdicas ?

STATIRA, en sortant.

Plutôt cent fois mourir.

ROXANE, à Perdicas.

Tu te ressouviendras de trahir ta promesse.

PERDICAS.

Toi de porter le fer au cœur de ma Princesse.

ROXANE.

Et toi de l’avoir mis au sein de mon amant.

PERDICAS.

Redoute ma fureur.

ROXANE.

Toi mon ressentiment.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

ROXANE, HÉZIONNE, ARBATE

 

ROXANE.

Hé bien mes confidents je suis abandonnée,

Et ce grand changement ne m’a point étonnée,

Mes ennemis et moi partagions l’univers

Nous l’avions divisé dans deux partis divers,

Et le donnant en proie aux fureurs de la guerre

Chacun de nous a pris la moitié de la terre,

Aujourd’hui ce traité me semble être fini

Et je vois contre moi le monde réuni,

La fortune en tous lieux m’ordonne des batailles

Elle m’en fait dedans et dehors nos murailles,

Aux portes Artaxerxe avec Lysimachus

Dans nos murs Perdicas avec Séleucus,

Alcétas Cassander avec tous nos complices

Enfin je suis venue à d’affreux précipices,

Où ces traîtres amis qui ne m’y suivaient pas

Dans mon aveuglement me poussaient pas à pas,

Ces lâches me rendant aux pieds de ces abîmes

En m’y faisant tomber y feront choir leurs crimes

Et couvrant dessous moi les meurtres qu’ils ont faits,

Ils vont dans mon sépulcre enterrer leurs forfaits

Ô ! Ciel si tu résous la peine de nos crimes

De tous ces criminels forme-toi des victimes,

Dressant à ta justice un monument si beau

De toute Babylone érige un grand tombeau,

Quand pour les abîmer s’entrouvrira la terre

Accablez-moi grands Dieux par un coup de tonnerre,

Et dehors réservant ce revers à vos mains,

Daignez ôter l’honneur de ma chute aux humains.

ARBATE.

Quel crime avez-vous fait à mériter la foudre.

ROXANE.

Assez pour le contraindre à me réduire en poudre

Mais dans mon châtiment être rempli d’horreur,

Et dût-il même aux Dieux donner de la terreur

Mon crime était trop beau pour n’être point aimable,

Et quiconque a des yeux en deviendrait capable,

Arbate mes soldats sont-ils tous assemblés ?

ARBATE.

Les Gardes du Palais sont partout redoublés,

Et dix mille soldats qu’au besoin l’on conserve.

ROXANE.

À quelque autre dessein mon ordre les réserve,

Allez les avertir de se tenir tout prêts.

ARBATE.

J’obéis.

 

 

Scène II

 

ROXANE, HÉZIONNE

 

ROXANE.

Toi qui vois le fonds de mes secrets,

Ne peux-tu deviner ce que je délibère.

HÉZIONNE.

Pour moi comme pour lui cet ordre est un mystère.

ROXANE.

Je veux à main armée entrer chez Perdicas

M’immoler Statira jusque dedans ses bras,

Et dans le même instant d’une fureur égale

D’un bras fumant encor du sang de ma rivale

Rompant de mes amours ce double empêchement

Traverser de deux coups la maîtresse et l’amant

Là mes yeux à longs traits contemplant ma vengeance,

Goûteront par leur mort quelque part d’allégeance,

Et voyant le départ de leur dernier soupir

Quand ils ne vivront plus je mourrai de plaisir.

HÉZIONNE.

Parlez-vous d’Oroondate ?

ROXANE.

Âme inhumaine arrête

Ne porte point mon bras sur cette chère tête,

Et plutôt qu’à Roxane imputer ce dessein

Détourne ma fureur contre mon propre sein,

C’est dessus Statira que je borne mes crimes

Et mon ressentiment n’eût que deux victimes

Perdicas en est l’une et doit être immolé,

Mon cœur en quelque sorte en sera consolé,

Va donc voir Oroondate et de ma part lui dire

Que Roxane ressent un éternel martyre,

Qu’elle est dans un état plus triste que le sien

Et qu’elle lui demande un dernier entretien,

Qu’elle va le revoir.

HÉZIONNE.

N’attendez point de grâce

Ne vous exposez plus.

ROXANE.

Hé bien prends donc ma place

Et si ma passion te pouvait animer,

Dis-lui tout ce qu’on dit quand on se fait aimer.

 

 

Scène III

 

ROXANE, seule

 

Stances.

Passion envieillie amour presque éternelle,
Je t’ai dès le berceau. Et je crois qu’à dessein de se rendre immortelle,
Tu me suis au tombeau.
C’est de ma volonté qu’elle prend sa nature,
Je ne l’altère pas.
Et loin de la finir je consens qu’elle dure,
Au-delà du trépas.
Ce titre injurieux de veuve d’Alexandre,
Et de ce Dieu des Rois.
Cet éloge imparfait que partagea Cassandre,
Est moindre que mon choix.
D’un honneur plus entier ma passion se flatte,
Et mon cœur amoureux.
Établit dans le nom de femme d’Oroondate,
Le nom le plus heureux.
Et toi jaloux mari dont l’ombre me vient dire
Que j’ai trahi ma foi.
Ne traite point ta veuve avecque tant d’Empire,
Je l’aimai devant toi.
Et quand l’ambition me fit être sa femme,
L’amour t’ôta mon cœur.
Et dès lors m’enlevant Alexandre de l’âme,
Il y mit mon vainqueur.
Il y plaça si bien son adorable ouvrage,
Qu’il eût le premier lieu.
Si bien qu’il faut détruire en détruisant l’image
Et l’autel et le Dieu.

Arbate est de retour : hé bien tout se prépare.

 

 

Scène IV

 

ROXANE, ARBATE

 

ARBATE.

J’ai fait tout assembler le Grec et le Barbare,

Et comme aux grands emplois ils se laissent ravir

Ils briguent à l’envie l’honneur de vous servir.

ROXANE.

Allons chez Perdicas enlever ma rivale.

ARBATE.

Il pourrait bien former une entreprise égale.

ROXANE.

De quelque trahison seriez-vous averti.

ARBATE.

J’ai vu sous les drapeaux tous ceux de son parti.

ROXANE.

Contre nos ennemis ils font quelque sortie

Mais ici ma puissance est bien anéantie,

Quoi choquant à mes yeux le conseil et sa foi

De son caprice seul il recevait la loi,

Arbate de ce pas va voir sa contenance

Et me la vient redire avecque diligence,

Je m’en vieux défier il peut venir ici.

 

 

Scène V

 

ROXANE, seule

 

Stances.

Ma conservation est mon moindre souci,
Cruel auteur de ma souffrance,
Tes yeux ne sont-ils pas témoins
D’un nombre de maux et de soins,
Que j’endure pour ta défense,
Par des regards et des soupirs,
Je t’ai découvert mes désirs,
Et quoi que t’en ait dit ma bouche,
Ton âme a tant de cruauté,
Que le même mal qui me touche,
Accroît ton inhumanité.

Mais par degrés mon cœur se flatte,
Il demande de la pitié.
Il veut ensuite l’amitié,
Et s’il l’obtenait d’Oroondate,
Il pourrait bientôt s’emporter
Puisqu’en pensant le mériter,
Mon âme insatiable et vaine
T’offrant des souhaits tour à tour
Demanderait contre ta haine,
En dernier présent ton amour.

Donne-moi ce que je te donne,
Cruel si dedans ta rigueur
Tu feins d’avoir perdu ton cœur,
À le trouver je m’abandonne,
Si ma rivale l’a caché,
Dans le sien il sera cherché,
Comme il faut que je le possède,
Et qu’on contente mon dessein,
Il faudra qu’elle me le cède
Ou je le tire hors de son sein,

Sachons ce qu’aura dit mon aimable insensible.

 

 

Scène VI

 

ROXANE, HÉZIONNE

 

ROXANE.

Hézionne, Oroondate ?

HÉZIONNE.

Est toujours invincible,

Au moins en votre endroit est-il toujours égal

J’ai trouvé ce Héros qui dévorait son mal,

Mais quelque fermeté qu’ait montré son visage

J’ai vu sur lui des traits de tristesse et de rage,

Ce cœur auparavant plus fort que ses malheurs

Semblait s’humilier sous ses grandes douleurs,

Son âme frémissant sous un si grand martyre

Comme pour s’exhaler de temps en temps soupire.

ROXANE.

Toi mortelle douleur que pressent mes amours

Meurs-tu par le silence ou bien par le discours,

Et pour me soulager dans ce rude martyre

Faut-il ; ma passion, te celer ou te dire,

Hélas tout m’est égal ou me taire ou parler

Et je ne sais comment tu te dois exhaler.

 

 

Scène VII

 

ROXANE, HÉZIONNE, ARBATE

 

ARBATE.

Madame ma frayeur avait quelque apparence.

ROXANE.

Arbate expliquez-vous.

ARBATE.

Votre ennemi s’avance.

ROXANE.

Quel, si dans l’état où mon amour est mis

Mon malheur s’est acquis cent sortes d’ennemis.

ARBATE.

Cassander Perdicas que leur amour emporte

Ont saisi du Palais et l’enceinte et la porte,

Et déjà par le sang que leurs coups ont versé

Jusque dedans la Cour ils auront traversé,

Ils viennent dans vos bras massacrer Oroondate.

ROXANE.

Soutenez-moi ma fille, et me soutiens Arbate

Je ne puis supporter un coup si véhément

La douleur que je sens m’ôte le sentiment,

Et l’horreur de ce coup par qui mon cœur se pâme

Avant que sur son corps vient d’agir sur mon âme

Ne me soutenez plus laissez-moi défaillir

Mon œil comme mon cœur commence à s’affaiblir,

Hézionne je meurs, je meurs fidèle Arbate.

ARBATE.

Ah Madame songez.

ROXANE.

Va sauver Oroondate.

C’est là mon plus grand soin.

HÉZIONNE.

Elle expire grands Dieux !

ARBATE.

Son cœur reprend sa force elle ouvre encor les yeux

ROXANE.

Que je passe aisément d’un mouvement à l’autre

Toi douleur, vous amour, quel charme est donc vôtre,

Et par quelle magie une âme en un moment

D’insensible qu’elle est reprend le sentiment,

Faut-il perdre Oroondate, ah ! perdons-nous nous-même,

Mon âme est moins en moi que dans celui que j’aime.

Exposons dans le corps pour conserver le cœur.

Allons, allons défendre.

ARBATE.

Ah ! craignez leur rigueur,

Dedans l’aveuglement où les porte leur rage

Ces amis révoltés vous feraient quelque outrage

Ils ne verraient en vous ni mérite ni rang.

ROXANE.

À leur avidité j’offre donc tout mon sang,

Qu’ils épargnent au moins le beau sang d’Oroondate.

ARBATE.

Ils le veulent avoir.

ROXANE.

L’un et l’autre se flatte,

Et mon amant mourrait avec mes propres mains

Avant que je le misse entre ses inhumains,

Jusqu’au dernier soupir va défendre sa vie

Arbate va combattre.

ARBATE.

Et c’est là mon envie,

Dussé-je rencontrer la mort dessus mes pas

Puisqu’il faut vous servir je vole à mon trépas.

ROXANE.

Va quérir Oroondate et l’amène Hermione.

 

 

Scène VIII

 

ROXANE, seule

 

Belle attache des sens ne parle point de trône

En vain ambition viens-tu m’entretenir

Grandeurs ce n’est point vous que je peux retenir

Tu me pensais surprendre et m’échapper, couronne

Tu ne me quittes pas c’est moi qui t’abandonne.

Indigne successeur du plus grand des humains

Je vous rends cet état qui tomba dans mes mains,

Et malgré tous les droits que m’y donne Alexandre

L’univers est à vous je n’y veux rien prétendre,

Mais si quelque justice est mêlée dans vos vœux

Oroondate, Oroondate est le bien que je veux,

Et sa possession où mon orgueil aspire,

Touche mieux mes désirs que celle d’un empire,

Quoi vous me ravirez un bien que j’ai conquis

Qu’avec tant de travaux mon amour s’est acquis ?

Ah ! cruel Perdicas âme barbare ingrate

Je laisse Statira qu’on me quitte Oroondate,

Et quoique ce traité m’ait été si fatal

Accepte une rivale en donnant un rival.

Et quittant les transports dont son âme est saisie

Laissons-nous les objets de notre jalousie,

Et sans que nos fureurs leur ravissent le jour

Contentons-nous d’avoir l’objet notre amour

Je vois venir le mien.

 

 

Scène IX

 

ROXANE, HÉZIONNE, OROONDATE

 

ROXANE.

Hé bien votre tristesse

N’est-elle pas changée.

OROONDATE.

Ah ! rends-moi ma Princesse.

ROXANE.

Je vous donne Roxane.

OROONDATE.

Ah reprends ton présent,

N’attends point de ma bouche un aveu complaisant

Et ne retombant point dans une conférence

Par qui j’ai consommé toute ma patience,

Non ne perds plus de temps en d’amoureux discours

Plus d’oreilles plus d’yeux pour tes lâches amours

L’horreur que j’ai de toi m’emporte hors de moi-même.

ROXANE.

Ton âme en ce qu’elle hait est moins que ce qu’elle aime,

Mais pourquoi n’ai-je point la même liberté

Tu m’oses offenser avec impunité,

Et mon âme avec peine ose aller au murmure

Le dédain dedans moi prend une autre nature,

Et de ma flatterie empruntant tout son prix

Je trouve des faveurs dans tes plus grands mépris.

OROONDATE.

Roxane au nom des Dieux s’il est vrai que l’on m’aime.

ROXANE.

Oroondate est mon Dieu qu’il jure par lui-même,

Qu’il daigne prononcer le nom de mon amant

Je m’engage à l’ouïr sur un si beau Serment.

OROONDATE.

Ôte-moi de tes mains.

ROXANE.

Hé bien je t’abandonne

Indigne de l’appui que mon amour te donne,

Va, va désespéré, va trouver Perdicas

Et comme un furieux jette-toi dans ses bras,

Aux portes du Palais tes ennemis t’attendent

Pour te sacrifier tes rivaux te demandent,

Va comme une victime aux pieds de leur autel

Recevoir de leurs mains le dernier coup mortel.

OROONDATE.

J’y serais encor mieux que dessous ta puissance.

ROXANE.

Hé bien comme la leur ils prendront ma vengeance,

Considère à quels Dieux tu vas être immolé.

OROONDATE.

Roxane je mourrai doublement consolé,

Je ne me verrai plus dessous ta tyrannie

Et voyant d’avec moi Statira désunie,

Quoiqu’avant d’expirer ce coup me fut fatal

Je na la verrai plus aux mains de mon rival.

ROXANE.

Tu l’y laisses cruel.

OROONDATE.

Laisse-moi la défendre.

ROXANE.

Je ne te retiens point.

OROONDATE.

Laisse-moi donc descendre

Et me donne un poignard pour reculer ma mort.

ROXANE.

Que feras-tu contre eux qu’un impuissant effort ?

Mon Oroondate épargne et ton sang et mes larmes.

OROONDATE.

Si tu veux m’obliger fais-moi rendre mes armes,

Pourras-tu bien souffrir que ces deux inhumains

Me viennent massacrer à tes yeux en tes mains,

Et que dedans ton cœur ils plongent cette épée

Qu’ils auront devant toi dedans mon sang trempée.

ROXANE.

L’un de ces deux malheurs m’afflige seulement

Encor plus que la mort je crains l’éloignement,

Tu fuiras mais n’importe.

Parlant à Hézionne.

Allez quérir ses armes.

Ah ? Que ne puis-je amour y mettre quelque charmes,

Et puisque qu’en son salut je prends tant d’intérêt

Pour me le conserver que n’ai-je ce secret,

Et s’il faut que sa mort me rende inconsolable

Fais que ma volonté le rende invulnérable.

OROONDATE.

Roxane un malheureux ne veut point être tel

S’il faut tenir de toi le don d’être immortel,

Et s’il faut que tes vœux prolongent notre vie

Peu d’hommes à l’accroitre étendraient leur envie,

Et s’il faut que je vive en cette éternité

La mort me plairait mieux que l’immortalité.

ROXANE.

Si Statira t’offrait une vie immortelle

Ton âme l’agréerait bien moins des Dieux que d’elle,

Et même entre ses bras un moment écoulé,

De nos longs entretiens t’aurait jà consolé.

Ton âme de ses yeux pleine et rassasiée

Parmi de doux transports se feindrait extasiée,

Et quatre ou cinq instants dans ton cœur amoureux

Vaudraient l’éternité de tous les bienheureux,

Mais tes yeux la perdront.

OROONDATE.

J’en garderai l’idée

Et de ces visions mon âme possédée,

Portant avecque soi son idole en tout lieu

Jouira pleinement de l’objet de son Dieu,

Là mes sens délivrés d’une si longue peine

Et mes yeux détachés de l’objet de ma haine,

Indignes le voyant d’avoir pu voir le jour

Mon âme adorera celui de mon amour.

ROXANE.

Est-il des biens qu’on ne puisse corrompre

Dedans tes visions je t’irais interrompre,

Et rendant à ta vue un objet odieux

Ton âme reverrait ce qu’abhorraient tes yeux,

L’amour, mais Hézionne apporte ici tes armes.

 

 

Scène X

 

ROXANE, OROONDATE, HÉZIONNE

 

ROXANE.

C’est de Statira que tu prendras tes charmes,

Ton cœur fortifié par l’union du sien,

Dédaigne en sa faveur l’assistance du mien,

Avec ce beau secours tu te crois invincible,

Et la mort d’un rival te parait infaillible,

Reçois au moins cruel les vœux qu’on fait pour toi

Qu’une part de l’honneur rejaillisse sur moi,

Puisqu’à te conserver notre ardeur est égale

Daigne-moi rendre grâce autant qu’’à ma rivale,

Et quoique de nous deux en ce noble dessein,

L’une ait armé ton cœur et l’autre armé ta main,

Pesant de quel côté te viendra la victoire

Regarde à qui de nous tu crois devoir ta gloire ;

Ah ! quel sensible objet se présente à mes yeux

Où viens-tu cher Arbate.

 

 

Scène XI

 

ROXANE, OROONDATE, ARBATE, HÉZIONNE

 

ARBATE.

Expirer à tes yeux,

C’est de mes trahisons la digne récompense

Et la fin de ma vie attendait ta présence,

Puisses-tu ressentir mes remords à ton tour

Après ton confident voir périr ton amour,

Après ta passion te voir périr toi-même,

Voir périr quand et toi celui que ton cœur aime,

Ou par une rigueur pire que son trépas

Reconnaître en mourant qu’il ne te suivra pas.

Te faire un vif portrait de toutes leurs délices

Des plaisirs qu’ils prendront te créer des supplices,

Et s’étant figuré tous leurs contentements

Ne pouvoir plus choquer l’heure de ces deux amants

Vous Prince puis-je avoir un pardon de mon maître.

OROONDATE.

Ce nom ne m’est plus doux dans la bouche d’un traître.

ARBATE.

Vos furieux rivaux sont entrés dans la cour

Où ces jaloux amants célèbrent leur amour,

Je viens de leur servir de première victime,

Le bras de Cassander vous venge de mon crime,

Je meurs et pour finir je cherche d’autres lieux

Mon front sent de la honte à mourir à vos yeux,

Et mon cœur de l’horreur à mourir devant elle.

 

 

Scène XII

 

ROXANE, OROONDATE

 

OROONDATE.

Ah ! fin digne de lui, digne d’un infidèle,

Roxane qu’attends-tu.

ROXANE.

Faut-il enfin céder

Je ne puis te quitter et ne puis te garder,

Fatale extrémité.

OROONDATE.

Fais-moi rendre mes armes.

ROXANE.

Permets qu’auparavant je les baigne de larmes,

Et que dedans l’instant que me donne ton sort

Je te donne en tremblant les après de ta mort,

Mort je sens que ma main refuse cet office

Hézionne rendez-lui ce funeste service.

HÉZIONNE.

Donnez-moi ma Princesse un plus sortable emploi.

ROXANE.

Hé bien l’événement n’en sera dû qu’à moi,

S’il y meurt je n’en suis qu’une cause parfaite

Puisque ses volontés auront fait sa défaite,

Et si de ce combat il peut sortir vainqueur

Ma main l’ayant armée en aura tout l’honneur,

Tiens voilà ton épée : ah ! que je suis émue.

OROONDATE.

Roxane ce bienfait.

ROXANE.

Ôte-toi de ma vue

Sans me montrer ta fuite abandonne ce lieu

Et ne me force point à te faire un adieu,

Je le pense éternel si j’en crois mes alarmes.

OROONDATE.

Si les Dieux.

ROXANE.

Laisse agir mes soupirs et mes larmes.

OROONDATE, sortant.

Ô Dieux qui dans mon cœur mettez tant de pitié

Puisqu’un autre a l’amour qu’elle ait mon amitié.

 

 

Scène XIII

 

ROXANE, HÉZIONNE

 

ROXANE.

Allons mon Hézionne enlever ma rivale.

HÉZIONNE.

Et des mains d’un amant.

ROXANE.

Notre force est égale,

Allons faire assembler mes soldats et les leurs

Voici l’instant fatal d’où pendent nos malheurs,

Et nos dissensions font tomber sur nos têtes

Tout ce que nos amours ont formé de tempêtes,

Cassander me ruine et je le détruirai

Perdicas m’a perdue et moi je le perdrai,

Et joignant de tous trois et la peine et le crime

Nous nous allons traîner tous trois dans un abîme

Que si je puis garder quelque force en tombant

Et sentir d’un moment ma chute en succombant,

Dans ce funeste instant qu’il faut que je périsse

J’entraîne ma rivale au même précipice,

Ou cherchant à nous nuire un éternel appas

Nous nous contesterons ce que nous n’aurons pas,

Ou traitant notre amant et de nôtre et de vôtre

Il ne sera le prix ni de l’un ni de l’autre,

Et cependant nos cours et jaloux et cruels

D’un cœur imaginaire en viendront aux réels

Et revivant sur eux toute leur jalousie,

Se verront déchirés avec tant de furie,

Que nos courroux cessant faute d’avoir des cœurs

Manque d’objets de haine ils perdront leurs rigueurs.

HÉZIONNE.

Mais de tous les côtés vous êtes assaillie

Et de vos ennemis le cœur étant remplie,

Il sera malaisé de pouvoir échapper.

ROXANE.

Si peu de combattants ne peut m’envelopper

Et d’ailleurs mes soldats sont encore en défense

Pour les fortifier donnons-leur ma présence,

Et si quelque chemin se présente à nos yeux

Allons, allons porter la guerre en d’autres lieux.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

ROXANE, HÉZIONNE

 

ROXANE.

Voir faire mon tombeau du lieu de mon asile.

HÉZIONNE.

À pas de conquérants ils marchent dans la ville.

ROXANE.

Mes ennemis y sont ?

HÉZIONNE.

Ils en sont possesseurs

Artaxerxe en courroux y demandent ses sœurs,

Et traînant à sa suite et le fer et la flamme

Il porte en chaque lieu le trouble de son âme,

Tel qu’un désespéré qu’irrite la pitié

Il étale partout la sanglante amitié,

Aussi Lysimachus qu’entraîne sa colère

Sans d’autres mouvements que ne sent point le frère

Et de Parizatis demandant le séjour

Partout cet insensé fait sentir son amour,

Oroondate en fureur vole de rue en rue

Et jusqu’à tel excès sa rage s’est accrue,

Que tel qui se rencontre au-devant de ses pas

Semble à ce furieux un autre Perdicas.

ROXANE.

Sais-tu par quel secret ils ont gagné la ville ?

HÉZIONNE.

Son entrée aux vainqueurs ne fut pas difficile,

Puisque Séleucus dessus tous nos remparts

Fit planter par les siens grand nombre d’étendards

Au signal que donnaient ces troupes infidèles

Les assiégeants aux murs joignirent leurs échelles,

Les gens de Cassander les avaient tous quittés

Et ceux de Perdicas les avaient imités,

De façon que nos murs défendus par des traîtres

Il leur fut bien aisé de s’en rendre les maîtres.

ROXANE.

Ah ! qu’une âme amoureuse agit imprudemment

Laisser Séleucus dans son ressentiment,

Réflexion mortelle aussi bien qu’inutile

Il le fallait contraindre à sortir de la ville,

Mais de quelque dépit dont il fut enflammé

Sans nos divisions il n’aurait point armé.

HÉZIONNE.

Aussi dans un instant sa trame fut hardie

On vit son entreprise aussi prompte qu’hardie,

Pendant que Cassander suivi de Perdicas

Qu’avait accompagné le perfide Alcétas,

Et qu’entourait encore une troupe animée

Jusqu’en votre Palais fondait à main armée,

Nos ennemis sur l’heure en étaient avertis

Et Néarchus et lui joignant leurs deux partis,

Au point que fut tué le malheureux Arbate

Viendront heureusement au secours d’Oroondate,

Perdicas tournant tête alla les affronter

Cassander le suivant les pensa surmonter,

Mais de nouveaux renforts vers eux se venant rendre,

Ils prirent d’attaquants le soin de se défendre

Cependant Artaxerxe avec Lysimachus

S’étant saisi des murs joignit Séleucus,

Là ces désespérés contestent la victoire

Pour leur propre salut bien que pour leur gloire,

Et pensant là finir leurs grands et longs travaux

Ils commencent ensemble, un combat de rivaux

Et suivant les endroits où l’ardeur les emporte

Ils quittent du Palais et l’enceinte et la porte.

ROXANE.

Tu sais qu’à ce moment nous sortîmes d’ici

Que nous prîmes tous deux un différent souci,

Toi de voir du combat l’épouvantable issue

Et moi d’exécuter l’entreprise conçue,

D’abord cinq cent soldats s’étant offerts à moi

J’allai chez ma rivale y porter mon effroi,

Et ne pouvant ravoir le tout de ce que j’aime

Recouvrer pour le moins une part de lui-même,

J’y commence un combat tel que voulait l’amour

Après de grands efforts enfin tout m’y fait jour,

Ma rivale montant sur une galerie,

Regarde avec sa sœur d’où vient cette furie,

Et me voyant entrer le flambeau dans la main

Ces esprits effrayés devinent mon dessein,

Je monte un escalier qui me rendait vers elle

Quand un nombre de voix et l’étonne et m’appelle

Elle va dans sa chambre attendre son trépas

Et moi d’un pied tremblant je redescends en bas,

Où je trouve d’abord toute la Cour en armes

Je vois Séleucus plus fort que mes gendarmes.

Ainsi dans un moment je changeai de destin

Et fus presque sa proie en quittant mon butin.

Je m’échappai pourtant et cherchant un asile

J’ai presque traversé tous les lieux de la ville ;

Enfin ayant erré parmi tant de détours

Dans mon premier Palais j’eus mon dernier recours

Et puisqu’il plait au Ciel que j’ai pu te rejoindre

Malgré tous ses excès ma douleur en est moindre.

HÉZIONNE.

Madame l’ennemi pourrait être forcé

Et jusque dans son camp peut être repoussé.

ROXANE.

Du sort de Perdicas n’as-tu pu rien attendre.

HÉZIONNE.

Ni moins de Cassander.

ROXANE.

Roxane il se faut rendre.

HÉZIONNE.

À qui vous rendrez-vous ?

ROXANE.

C’est à moi seulement

Je suis encor la même après ce changement,

Et quoique tu sois seule auprès de ma personne

J’attends pour m’effrayer que l’amour m’abandonne,

Roxane qu’attends-tu quel doit être ton sort

Amour de quelle main dois-je attendre la mort.

Si de quelque bonheur tu veux que je me flatte

Fais-moi la recevoir de la main d’Oroondate,

Plût aux Dieux que le sort l’amena dans ces lieux,

Et qu’il fut le premier qui s’offrit à mes yeux,

Ah ! De tous les objets le plus épouvantable.

 

 

Scène II

 

ROXANE, HÉZIONNE, CASSANDER, GARDES

 

CASSANDER.

Soldats c’est mal traiter un Prince déplorable

Vous avez seulement l’ordre de me garder,

Où me conduisez-vous ?

ROXANE, du bout du théâtre.

Arrête Cassander

Donne-moi le loisir de te voir misérable.

CASSANDER.

Cruelle mon malheur t’est-il donc agréable

Barbare ce spectacle est digne de tes yeux ?

ROXANE.

Aussi si j’en jouis j’en rends grâces aux Dieux.

CASSANDER.

Ils ont mis dans ton corps une âme bien horrible

Je pense qu’à toi-même ils t’aient faite insensible,

Et dans la dureté dont ton cœur est formé,

Je ne sais par quel charme Oroondate est aimé,

Mais à se voir chérir par une âme inhumaine

Un amour de la sorte est pire que la haine,

S’il était à son choix de m’en faire un retour,

Il recevrait ta haine en donnant ton amour.

ROXANE.

Hé bien c’est mon destin il faut que je l’adore

Que mon cœur l’idolâtre et que mon cœur t’abhorre

Et de mes passions sans faire aucun retour,

Que tu gardes la haine et qu’il garde l’amour.

CASSANDER.

Tu crois me le donner comme une grande peine

Ton amour lui nuit plus que ne me nuit ta haine

Quoiqu’en ta passion et ton ressentiment

Tu ne puisses choquer l’ennemi ni l’amant,

Et que dans cet état où chacun t’abandonne,

Ils te laissent au point de ne nuire à personne.

ROXANE.

Je ne prends aucun droit dessus ta liberté

C’est au vainqueur à voir comme tu l’as traité,

Qu’ayant d’ici manqué ta première entreprise

Ton amour a mêlé l’audace à la surprise,

Que dans ta jalousie intéressant l’état

On t’a vu retomber dans un autre attentat,

Et s’étant obstiné dans ta première envie,

Pour la seconde fois t’armer contre sa vie.

CASSANDER.

Dis qu’armant contre lui j’armai contre tes jours

Ajoute-moi de là ce qu’ont fait tes amours,

S’il faut que l’un de nous sur l’autre se contemple

Vois que nous nous réglions sur un pareil exemple

Si tu sens de l’horreur à t’égaler à moi,

J’en rencontre encor plus à m’égaler à toi.

ROXANE.

Quel crime ai-je commis que d’aimer Oroondate.

CASSANDER.

Et quel crime ai-je fait que d’aimer une ingrate

Outre ses attentats je te charge des miens,

Mon amour.

ROXANE.

Je ne veux aucune part aux tiens,

Mais suivant les raisons que ton amour propose

De tous mes attentats Oroondate est la cause.

CASSANDER.

Et Roxane a causé les crimes que j’ai faits.

ROXANE.

De cette passion tu ressens les effets.

CASSANDER.

Et de la tienne aussi tu portes le supplice

Et le regret de voir échapper ton complice.

ROXANE.

Aux peines de mon crime engager mon amant

Ah qu’il en ait le blâme et non le châtiment.

CASSANDER.

Si mes vœux sont ouïs je désire en ma haine

Que tu portes du mien et le blâme et la peine,

Et pour tant de forfaits un supplice infini.

ROXANE.

L’on voit le criminel par le premier puni.

CASSANDER.

À de plus grands tourments tu te vois réservée

Puisque de tout espoir je te veux voir privée.

ROXANE.

S’il ne m’en reste aucun oses-tu t’en flatter.

CASSANDER.

À quelque peu d’espoir je me laisse emporter.

ROXANE.

Crois-tu me devenir un second Oroondate.

CASSANDER.

D’un plaisir plus parfait ma vengeance se flatte.

Parmi tous mes malheurs il m’en nait cet espoir

De voir un jour tomber Roxane en mon pouvoir

De lui faire souffrir de ma haine immortelle

Tout ce que mon amour m’a fait endurer d’elle,

Et par de grands mépris accroissant ses douleurs

Quand elle pleurera sourire de ses pleurs.

ROXANE.

Où l’on doit me mener soldats qu’on me conduise.

 

 

Scène III

 

ROXANE, HÉZIONNE, UN GARDE

 

LE GARDE.

Madame il ne se peut qu’on vous laisse en franchise,

Souffrez pour vous garder que je demeure ici.

ROXANE.

Je n’y recule pas je n’ai point ce souci,

Demeure à me garder, j’y consens quel outrage

As-tu bien écouté cet horrible présage,

Qu’a-t-il dit Hézionne avons-nous pu l’ouïr.

HÉZIONNE.

Ce sont des passetemps dont il ne peut jouir.

ROXANE.

Il ne me manque plus que de voir ma rivale

Séleucus l’amène ô présence fatale,

Après un Cassander arrive Statira.

 

 

Scène IV

 

ROXANE, HÉZIONNE, STATIRA, SÉLEUCUS, GARDE

 

SÉLEUCUS.

Madame en un moment Oroondate viendra

J’ai de vous retirer d’un séjour plein d’alarmes,

Et rempli des excès où vivaient des gens d’armes,

Avec plus de repos vous serez en ces lieux.

STATIRA.

L’un et l’autre Palais sont l’horreur de mes yeux

L’un est à Perdicas l’autre à mon ennemie

Chaque hôte à sa maison prête son infamie,

Et bien loin que mes yeux trouvent des appas

J’y crois toujours trouver Roxane ou Perdicas.

ROXANE, paraissant, et du bout du Théâtre.

Tu me vois, tu me vois, rivale trop heureuse

Toujours infortunée et toujours amoureuse,

Mais dans la passion que j’ai pour notre amant

Te céder à regret tout mon contentement,

Bien qu’à te le laisser mon cœur me sollicite

Ce n’est qu’à la mort à qui le mien le quitte

Au moins prends patience et dans tes prompts désirs,

Avant que me l’ôter vois mes derniers soupirs,

Et d’un œil attentif regardant leur sortie

Attends que de mon corps mon âme soit partie,

Et que moins indignée en délaissant le jour,

Que dedans le regret de perdre notre amour

Ne le pouvant garder elle te l’abandonne.

STATIRA.

Ah ! Reine malheureuse.

ROXANE.

Hé bien mon sort t’étonne,

Est-il d’une nature à te faire pitié ?

STATIRA.

Reine dépouillons-nous de notre inimitié,

Et te traitant de sœur permets que je t’embrasse.

ROXANE.

Encor pleine d’amour je refuse ta grâce,

Ta libéralité marque assez ta rigueur

Ce n’est point sans secret que m’offres ton cœur,

Puisque ne pensant pas que je te sois ingrate

Tu prétends par ce don t’acquérir Oroondate

Et forcer ta rivale à t’en faire un présent

N’espère point de moi cet aveu complaisant,

Quoique ton amitié me soit considérable

À celui que tu veux tu n’es pas comparable,

Bien que mon cœur qui suit ses moindres mouvements,

Mette mes yeux d’accord avec ces sentiments,

Et que leur arrachant un aveu légitime

Il te juge avec eux digne de son estime.

STATIRA.

Je ne veux rien devoir à mon peu de beauté

Elle n’a point agi dessus sa liberté,

S’il croit trouver en moi les appas qu’il évite

C’est son aveuglement et non pas mon mérite,

Je ne suis point si vaine et je pense qu’en toi

Il aurait rencontré ce qu’il recherche en moi.

ROXANE.

Non, non, jouis d’un bien que ma mort te procure.

SÉLEUCUS.

Ce serait un plaisir qui me ferait injure,

Et s’il faut que ta mort m’acquière notre amant,

Je le pense payer un peu trop chèrement.

ROXANE.

Non, non, par mon trépas il faut que je te laisse

Et du monde et de lui la paisible maîtresse

Règne donc ma rivale et donne à tous des fers,

Prends Empire sur lui comme sur l’univers,

De même qu’en amante en veuve d’Alexandre,

Dispose de deux biens que je t’ai voulu rendre,

Mais de ces deux présents gardant le plus parfait

Daigne remercier celle qui te le fait,

Et recevant de moi cette faveur insigne

Confesse qu’après toi j’en étais seule digne.

STATIRA.

Aussi de ces deux dons te rendant la moitié

Mon Oroondate et moi t’offrons notre amitié.

ROXANE.

Ou l’amour ou la mort point de milieu Princesse

Et comme d’un côté mon espérance cesse,

Comme l’un de ces choix n’est que dans mon pouvoir,

Reine ce n’est qu’à moi que je le veux devoir,

J’en ferai par ma mort une perte éclatante

Tiens Reine ce poignard te va rendre contente.

SÉLEUCUS.

Ah ! je veux m’exposer.

ROXANE.

N’approche point de moi,

Ou mon ressentiment agirait dessus toi,

Ne force point mes yeux d’aller sur ta personne

Et d’y considérer l’horreur qu’elle me donne.

STATIRA.

Amante furieuse où portes-tu tes coups ?

Arrête.

ROXANE.

Mais toi-même évite mon courroux,

Veux-tu rendre mes yeux les témoins de ta joie

Qu’avecque ton amant ta rivale te voie,

Et que se figurant tous vos contentements

Connus aux seuls jaloux ou bien aux seuls amants

Elle ait le déplaisir d’être à votre hyménée

Faut-il par ta rigueur qu’elle y soit condamnée,

Qu’elle ajoute au regret qu’elle a de le savoir

La seconde douleur qu’elle aurait de le voir,

Prévenons par ma mort.

 

 

Scène V

 

STATIRA, SÉLEUCUS, ROXANE, OROONDATE

 

OROONDATE, la saisissant.

Que fais-tu furieuse ;

Donne-moi ce poignard.

ROXANE.

Amante malheureuse,

T’est-il donc ordonné de ne pouvoir mourir

Et qui cause ta mort te vient-il secourir.

OROONDATE.

Je te rends la faveur que tu m’avais prêtée

Et je crois qu’envers toi mon âme est acquittée.

STATIRA.

Madame dans l’excès de mon contentement

Laissez dire à mes yeux mon premier compliment.

ROXANE.

Ah ! souffre que je meurs ou que je me retire.

OROONDATE.

Oui tu peux de ce pas rentrer dans ton Empire,

La Grèce est toute à toi je t’y laisse régner.

ROXANE.

Adieu cruels.

OROONDATE.

Soldats allez l’accompagner,

Ne l’abandonnez point, combattez son envie.

ROXANE.

Oui pour te traverser je garderai la vie,

Et puisque tu le veux je reverrai le jour

À dessein que mon nom trouble encor ton amour,

Que si ma passion me veut être fidèle

Je vais prier les Dieux de me rendre immortelle.

Et puisqu’à vous troubler je trouve mes appas

Je vous verrai mourir et je ne mourrai pas.

 

 

Scène VI

 

OROONDATE, SÉLEUCUS, STATIRA

 

OROONDATE.

Que je rentre en l’extase où m’entraîne ma flamme,

Et que par des transports où s’élève mon âme,

Capables d’épuiser tous les discours humains

Je semble en ce baiser la laisser sur vos mains.

STATIRA.

Le désordre où je suis cause votre licence

Et mon âme en aveu convertit mon silence,

Vous me ferez rougir, mon Prince levez-vous.

OROONDATE, allant à Séleucus.

Souffrez sans que vos yeux en deviennent jaloux

Et sans que vos beautés en perdent leur hommage

Qu’avec Séleucus mon âme se partage,

Ah ! Prince généreux divin Séleucus

Digne des sentiments qu’en eût Lysimachus

Et de la liberté qu’il reçut d’Artaxerxe

Vous sauvez le débris de la maison de Perse,

Et votre bras l’ôtant des mains d’un ravisseur

Oroondate à sa Reine, Artaxerxe à sa sœur,

Permettez qu’à vos pieds je vous en rende grâce.

SÉLEUCUS.

Prince vous m’offensez.

OROONDATE.

Donc que je vous embrasse

Et que mon cœur troublé pour la seconde fois

Fasse faire à mes bras l’office de ma voix.

SÉLEUCUS.

Héros digne d’un cœur qu’eût le grand Alexandre

Que même devant vous il n’eut osé prétendre,

En vain votre malheur vous donne des rivaux.

OROONDATE.

C’est par vous que je suis au bout de mes travaux.

SÉLEUCUS.

Je ne refuse point ma part de la victoire

Néarchus comme moi prend part à cette gloire.

OROONDATE.

Ah ! confondons nos cours dans nos embrassements.

SÉLEUCUS.

Ah ! Prince employez mieux d’agréables moments

Prince ces beaux instants veulent tout Oroondate.

OROONDATE.

Mon âme en ces moments se défie et se flatte,

Et tous mes sens frappés par ce divin aspect

Si prêts de tout oser conservent leur respect.

STATIRA.

Oroondate parlez.

OROONDATE.

L’oserai-je Madame.

STATIRA.

Je le veux.

OROONDATE.

Ah ! mes yeux faites-lui voir mon âme

Il est mort de mes mains cet insolent rival

Que sa présomption avait fait notre égal,

Enfin de trois rivaux je suis le seul qui reste

Donnez-moi, mais ma perte est ici manifeste,

Je n’ose.

STATIRA.

Achevez, que me demandez-vous.

OROONDATE.

Un pardon.

STATIRA.

Quoi de plus.

OROONDATE.

Je l’attends à genoux.

STATIRA.

De quel crime Seigneur voulez-vous votre grâce ?

OROONDATE.

De ma témérité.

STATIRA.

Je souffre votre audace.

Et de cette façon que vous voulez agir

Votre indiscrétion me ferait moins rougir.

Parlez ?

OROONDATE.

Le voulez-vous.

STATIRA.

Oui je vous le commande.

OROONDATE.

Mais m’accorderez-vous le don que je demande.

STATIRA.

Oui mon Prince espérez.

OROONDATE.

Ah ! c’est trop hasarder.

STATIRA.

Cruel expliquez-vous.

OROONDATE.

Vous puis-je posséder.

Hé bien serais-je heureux dites-le moi Madame.

STATIRA.

Oroondate à la fin rentre dedans mon âme,

Mon Alexandre est mort enfin je suis à vous.

OROONDATE.

Ô Dieux de mon bonheur n’êtes-vous point jaloux

Qu’on dise à Cassander de rentrer dans ses terres

Et pour tous les États conquis durant nos guerres

J’en laisse le partage au grand Séleucus.

SÉLEUCUS.

C’est vous ?

OROONDATE.

Consultez-vous avec Lysimachus.

Et quand à ma fortune et celle d’Artaxerxe

Nous renonçons tous deux à l’Empire de Perse,

Et montant sur un rang qu’ont tenu mes aïeux

Avec ma Statira je m’égale à nos Dieux.

STATIRA.

J’ai tout avec que vous.

OROONDATE.

Allons quitter les armes

Et de là contemplant vos agréables charmes,

Mourir dans des transports qu’on ne peut exprimer,

Et qui ne sont connus que de qui sait aimer.

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