Le Huron (Félix-Auguste DUVERT - Augustin-Théodore de LAUZANNE DE VAUROUSSEL - Joseph-Xavier Boniface SAINTINE)
Sous-titre : les trois merlettes
Folie philosophique en un acte, tirée du conte de Voltaire.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 4 février 1834.
Personnages
LE HURON[1]
MONSIEUR DE KERKABON, maire de Saint-Méloir-des-Ondes
DUMÉNIL, employé dans les contributions indirectes
UN GARDE-CHASSE.
MADEMOISELLE DE KERKABON
MADEMOISELLE SAINT-YVES
MADAME PLOUGOULIN
MADEMOISELLE DES GUÉRETS
UN PETIT PAYSAN
La scène se passe à Saint-Méloir-des-Ondes, chez M. de Kerkabon.
Un salon. Portes latérales et au fond.
Scène première
MADEMOISELLE DES GUÉRETS, DUMÉNIL, MADEMOISELLE DE KERKABON, DE KERKABON, MADAME PLOUGOULIN, MADEMOISELLE SAINT-YVES, et AUTRES VISITEURS
Au lever du rideau mademoiselle de Kerkabon, mademoiselle Saint-Yves et monsieur de Kerkabon, vont au-devant des autres personnages.
CHŒUR.
Air du Pré aux Clercs.
Nous venons sans façon
Visiter ce Huron :
Est-il bon ou méchant ?
Est-il intelligent ?
Nous venons l’admirer,
Le bien considérer,
Et jusqu’à ce soir
Le voir.
KERKABON.
Soyez les bienvenus, soyez les bienvenus !
MADEMOISELLE DES GUÉRETS
Où est-il votre Huron ?
MADAME PLOUGOULIN.
Je brûle de le voir.
KERKABON.
Je vous le montrerai dans tous ses détails.
MADAME PLOUGOULIN.
Où mettez-vous sa cage ?
MADEMOISELLE KERKABON.
Comment sa cage ?
KERKABON.
Oh ! c’est absurde !... Je ne veux pas dire ce que je pense à madame Plougoulin, mais...
MADAME PLOUGOULIN.
Enfin vous l’enfermez dans un objet grillé, n’est-ce pas ?
KERKABON.
Mais du tout !... un Huron !... mais... je devine... Ah ! c’est fort comique ; vous avez confondu avec un héron, un héron, oiseau de proie, que Buffon range dans la classe des... des...
Il cherche le mot.
oiseaux de proie. Ah ! ventrebleu !
MADAME PLOUGOULIN, un peu piquée.
Je sais fort bien qu’un Huron c’est un Osage.
KERKABON.
Ah ! ventrebleu ! un Osage !
MADEMOISELLLE DES GUÉRETS.
Un anthropophage !
KERKABON.
Oui, un anthropophage qui a dévoré, à son déjeuner, deux bottes de radis et un plat de chicorée... sauvage comme lui ; mais ça ne constitue pas...
MADEMOISELLE SAINT-YVES, à part, observant Duménil et mademoiselle des Guérets qui n’ont cessé de parler bas depuis le commencement de la scène.
Il ne fait attention qu’à mademoiselle des Guérets.
MADAME PLOUGOULIN.
Il mange des radis ?
MADEMOISELLE KERKABON.
De tout, de tout en général.
MADAME PLOUGOULIN.
Mais ce jeune sauvage, comment se trouve-t-il installé chez vous ?
KERKABON.
Oh ! c’est une histoire. Il paraît que ce brave garçon s’ennuyait dans son misérable Canada. Il sauta à bord d’un vaisseau anglais. Arrêté comme contrebandier, il me fut amené, et je l’interrogeai, en ma qualité de maire de Saint-Méloir-des-Ondes, près Cancale, arrondissement de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) ; mais comme je me pique un peu d’être naturaliste, je reconnus tout de suite que c’était un Huron et non un fraudeur, et, ma foi, je le fis mettre en liberté.
MADEMOISELLE KERKABON.
Oui, et par reconnaissance il s’établit chez nous. Enfin, depuis huit jours, il boit, mange et loge sous notre toit, pour nous prouver sa gratitude. C’est bien l’hôte le plus naïf et le plus incommode qu’il y ait au monde ; mais ça ne m’étonne pas, je connais les Hurons.
MADAME PLOUGOULIN.
Vous, mademoiselle de Kerkabon ?
MADEMOISELLE KERKABON.
Quand je dis que je les connais, je n’ai jamais été dans leur abominable pays, Dieu merci ! mais notre frère, feu le capitaine Kerkabon, habita longtemps le Canada ; il s’y est marié, dit-on, et lors des dernières nouvelles que nous reçûmes de lui, nous apprîmes qu’il allait être père. Il mourut dans le pays...un officier de marine, fort distingué.
KERKABON.
Oui, certes, fort distingué, et je regrette énormément de n’être pas entré aussi dans l’armée navale, moi !
TOUS.
Vous ! monsieur de Kerkabon ?
KERKABON.
Air de la Somnambule.
À l’âge de vingt ans, mon frère
Était enseigne à bord du Ménélas ;
J’aurais voulu suivre cette carrière,
Mais nos parents ne le voulurent pas.
Faut-il ainsi que l’on contraigne
Les goûts d’un citoyen français ?
Moi je suis sûr que comme enseigne
J’aurais eu beaucoup de succès.
MADEMOISELLLE DES GUÉRETS, à Duménil, donnant suite à une conversation déjà commencée.
Les couplets que vous avez faits pour ma fête étaient char-mans. MADEMOISELLE SAINT-YVES, à part.
Faire des couplets pour sa fête !... Ah ! c’est trop fort !
MADAME PLOUGOULIN.
Mais votre Huron ne vient donc pas ?
KERKABON.
Il est sorti pour le moment.
MADAME PLOUGOULIN.
Et que comptez-vous en faire ?
KERKABON.
D’abord nous voulons le faire chrétien. Ma sœur et notre cousine Saint-Yves entreprennent son éducation spirituelle.
DUMÉNIL, froidement.
Ah ! c’est mademoiselle Saint-Yves qui s’est chargée de sa conversion ?
MADEMOISELLE SAINT-YVES, piquée.
Pourquoi pas, monsieur ? Il a beaucoup de bon sens naturel ; et je préfère le bon sens à l’esprit dont on fait souvent un si mauvais usage.
MADEMOISELLE KERKABON, à Duménil.
Ceci s’adresse aux couplets que vous avez faits.
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
D’ailleurs c’est moi qu’il a choisie pour sa marraine, et à ce titre je lui ai remis un livre de morale qui l’instruira beaucoup mieux que moi.
DUMÉNIL, piqué.
Je vois qu’il ne fallait pas moins que cet être extraordinaire, venu de l’autre monde, pour fixer les goûts de mademoiselle Saint-Yves.
À part
Ah ! elle veut faire la coquette !
MADEMOISELLE SAINT-YVES, à part, en sortant par la droite.
C’est une indignité, et je saurai bien l’en faire repentir.
On entend un coup de feu.
TOUS.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
KERKABON.
C’est sans doute mon gaillard qui revient de la chasse, et qui tire une pièce en rentrant. Ah ! il est adroit ! Je parie qu’il revient avec quelque chose !
MADEMOISELLE KERKABON, qui a remonté la scène après le coup de feu, regardant par le fond.
Oui, il revient avec le garde-champêtre.
TOUS.
Silence ! silence ! examinons !
Ils se mettent sur deux rangs pour l’entrée du Huron.
Scène II
MADEMOISELLE DES GUÉRETS, DUMÉNIL, MADAME PLOUGOULIN, MADEMOISELLE KERKABON, KERKABON, LE GARDE-CHAMPÊTRE, LE HURON, LES VISITEURS
Le Huron tient de sa main droite le garde-champêtre par sa buffleterie ; dans la main gauche il tient un fusil de chasse, et porte une’ carnassière pleine de gibier. Le garde-champêtre tient à la main le chapeau du Huron et un chat.
LE GARDE.
Monsieur le maire ! monsieur le maire ! voilà un braconnier que je vous amène !
LE HURON, l’amenant, et le secouant violemment sur l’avant-scène.
Tu m’amènes, toi ! tu m’amènes ?
KERKABON, cherchant à le calmer.
Étranger ! étranger ! Huron ! n’abîmez pas mon garde ; il est habillé par la commune !
LE HURON, scandalisé.
Il dit qu’il m’amène !
KERKABON, passant entre eux.
Eh bien ! non ; eh bien ! non !... Garde ! pourquoi cet homme vous apporte-t-il ici ?
LE GARDE.
Il chassait sans permis, et il a abattu dix-sept pièces de gibier dont un chat.
Il montre le chat.
MADEMOISELLE KERKABON.
Dieu ! c’est mon chat !
LE HURON.
Ce petit tigre ? ah ! bah !
Il le donne à Kerkabon qui le pose sur une table qui est à gauche.
LE GARDE.
Monsieur le maire, c’est une désolation ; il tire les poules, il tire les chiens, il tire les chats, il tire tout.
MADAME PLOUGOULIN, riant.
C’est extrêmement curieux, ça.
KERKABON, prenant le fusil du Huron et le remettant au garde.
Voyons, voyons, Huron ! pourquoi avez-vous désarmé mon garde ?
LE HURON.
Vous m’avez dit que dans votre pays tout le monde avait les mêmes droits.
KERKABON.
Ça, c’est vrai... je l’ai dit... les lois...
LE HURON, montrant le garde.
Cet homme, qui est d’un âge avancé et d’une figure désagréable, m’arrête... et me demande mes papiers.
KERKABON.
Bien !
LE HURON.
Je lui demande les siens.
TOUS.
Par exemple !
KERKABON.
Vous avez eu tort.
LE HURON.
Mais si nous avons tous les mêmes droits... Ce n’est pas que je tienne à voir ses papiers... de cet homme qui a une figure désagréable ; mais je dis : pourquoi donc cet homme veut-il voir mes papiers ? Je veux voir les siens ; montre-moi tes papiers, je te montrerai les miens !... mais dame !...
Tout le monde rit.
KERKABON, riant.
Huron, vous avez tort ! vous avez chassé sans permis, cela ne se peut pas.
LE HURON.
Cependant, il me semble que l’homme qui a un bon fusil et des munitions... sans permis, attrapera bien plus de gibier que celui qui n’aurait qu’un permis...
KERKABON, l’interrompant.
Cher ami, vous avez des raisonnements subversifs de toute police municipale.
LE HURON, au garde.
Donne-moi mon chapeau... veux-tu bien me donner mon chapeau !...
Il le lui prend.
KERKABON.
Air du Baiser au porteur.
De ce délit je ne puis vous absoudre ;
Non, pour chasser, croyez-m’en sur ma foi,
Il n’suffit pas du plomb et de la poudre,
Il faut encor un permis de la loi.
LE HURON, riant d’un air de pitié.
Oh ! mais j’en ris, oui, j’en ris malgré moi.
C’est abusif ! cette indigne coutume
Protég’ les bêt’s et vexe les humains...
C’est une loi, je le présume,
Qui fut faite par les lapins.
KERKABON.
Je n’en connais pas l’origine... mais nous serons indulgents cette fois... quand on ne sait pas... on ignore...
Au garde.
Garde, retirez-vous !
Le garde sort par le fond.
Scène III
LES MÊMES, excepté LE GARDE-CHAMPÊTRE
KERKABON.
Pardon, mes voisins, pardon, je suis à vous. Voici mon hôte que j’ai l’honneur de vous présenter.
Au Huron.
Ce sont des amis qui sont enchantés de faire votre connaissance.
LE HURON.
Oui, oui, bien !
KERKABON.
Ôtez votre chapeau.
LE HURON.
Est-ce qu’il vous gêne ?
KERKABON.
Non ; mais on ne garde pas son chapeau sur la tête,
Mouvement d’étonnement du Huron.
c’est malhonnête.
LE HURON.
Ah ! ah ! dans ce pays-ci la coiffure se porte à la main ? bien !
KERKABON, au Huron.
Saluez ! saluez !
LE HURON, son chapeau à la main.
Bonjour ! bonjour ! bonsoir !
MADAME PLOUGOLIN, à mesdemoiselles Kerkabon et des Guérets.
Il faut absolument le faire causer. Je me dévoue.
Passant auprès du Huron.
Vous plaisez-vous en France, monsieur le Huron ? les mœurs, les usages les habitants ?
LE HURON, d’un air indécis.
Oh ! oh !
KERKABON.
Dites ce que vous pensez.
Bas au Huron.
Une petite politesse, ça fait très bien.
LE HURON.
Air d’Yelva.
Vos usages, je les ignore ;
Sur votre terr’ j’n’ai fait que quelques pas ;
Je ne saurais juger encore
Votre pays que je ne connais pas.
Je veux croir’ que de la nature
Vos climats sont bien protégés ;
Mais sous l’rapport de la figure,
Je vous trouv’ tous indign’ment partagés.
TOUS, scandalisés.
Ah !
KERKABON, au Huron.
C’est excessivement grossier ce que vous dites là.
LE HURON.
Mademoiselle Saint-Yves est mieux.
À Kerkabon.
Où est mademoiselle Saint-Yves ?
KERKABON.
Elle va venir.
Aux dames.
Pardonnez-lui, mesdames, ce garçon est très franc.
MADAME PLOUGOULIN, riant.
Oh ! c’est charmant.
Au Huron.
Monsieur, permettez, nous croyions que tous les naturels du Canada étaient... étaient tatoués ?
LE HURON.
Ah ! ah ! de petites peintures ? cela dépend du rang ; quand j’ai quitté mon pays je n’étais pas assez élevé en dignités pour être tatoué sur la figure.
KERKABON.
C’est clair ; ça marque le grade, ce sont les épaulettes du Canada.
LE HURON.
Cependant, j’ai un commencement de tatouage
Tout le monde se rapproche du Huron avec intérêt.
que mon père m’a fait faire au moment de ma naissance.
MADEMOISELLE KERKABON et TOUTES LES FEMMES.
Voyons !
LE HURON, tranquillement.
Mais pas sur la figure.
À Kerkabon.
Je vous montrerai cela.
Toutes les femmes s’éloignent d’un air confus.
KERKABON, à demi-voix.
Chut ! chut !... il est inutile de dire cela devant le monde.
LE HURON.
Où est mademoiselle Saint-Yves ?
DUMÉNIL, au Huron.
Vous ne pouvez donc pas vous passer de mademoiselle Saint-Yves ?
LE HURON.
Quel est ce petit ?
KERKABON.
C’est monsieur Duménil, employé dans les contributions indirectes, contrôleur à cheval fort distingué.
LE HURON.
Fort distingué, à cheval, c’est possible ; mais il est insupportable à pied. Dites-lui de se taire jusqu’à ce qu’il sorte. Où est mademoiselle Saint-Yves ?
KERKABON.
Elle va venir... elle va venir, mon cher Huron.
LE HURON.
Chef de tribu, voilà trois fois que vous me le dites, et elle ne vient pas... Je m’ennuie ici.
KERKABON.
Ne m’appelez pas chef de tribu ; appelez-moi par mon nom.
LE HURON.
C’est que je ne peux jamais me le rappeler. Il ne signifie rien.
MADEMOISELLE KERKABON, piqué.
Le nom de Kerkabon ?
KERKABON, avec emphase.
D’une famille qui perte dans son écu trois merlettes !... trois merlettes sur champ de gueules !... ce nom ne signifie rien ?... il est joli celui-là !...
LE HURON, tranquillement.
Qu’est-ce que ça veut dire ?
KERKABON.
Kerkabon ?... ça veut dire... ça veut dire... Kerkabon.
LE HURON.
C’est une platitude !... Dans mon pays tous les noms signifient quelque chose ; moi je me nomme Dodédicatolilémozadorélixa.
TOUS.
Ah ! bon Dieu !
KERKABON, à tout le monde.
Hein ?... quel nom ! Nabuchodonosor n’est qu’un monosyllabe auprès.
LE HURON.
Ce nom me fut donné par Queue-de-Bouc.
KERKABON.
Qu’est-ce que c’est que ça, Queue-de-Bouc ?
LE HURON.
L’ancien de ma tribu, un vieillard borgne, très judicieux, mais très maussade. Dodédicatolilémozadorélixa, signifie en canadien Tête-de-Castor.
KEBKABON.
J’aime mieux la traduction.
LE HURON.
Il me le donna vu l’intelligence dont ces animaux sont réellement décorés, et qu’on a remarquée en moi dès l’âge le plus tendre.
KERKABON, avec exaltation comique.
Sans doute... le castor... Ah ! diable... diable... le castor !... un quadrupède charmant... pour faire des bonnets à poils. Buffon en parle à l’article des...
Il cherche le mot.
des castors.
LE HURON, à Kerkabon.
D’après cet usage-là je vous aurais nommé...
KERKABON.
Ah ! voyons, voyons... je suis curieux de savoir... Écoutez.
Tout le monde écoute avec intérêt.
LE HURON.
Vu vos facultés intellectuelles et les productions de votre pays, je vous aurais nommé... Attendez un peu que je vous examine...
Il se tourne vers Kerkabon et le regarde fixement.
je vous aurais nommé Coquille-d’Huître.
Tout le monde rit, excepté Kerkabon, qui est piqué ; le Huron reprend tranquillement.
L’huître a de l’intelligence.
KERKABON, d’un air piteux.
Elle en a peu... elle en a peu... et la coquille n’en a pas.
LE HURON.
Nous sommes d’accord.
MADAME PLOUGOULIN.
Il est charmant !... des raisonnements inconcevables !
MADEMOISELLE KERKABON, à Kerkabon.
Mon Dieu, mon frère, vous êtes là à causer ; il faudrait pourtant songer aux préparatifs du baptême.
LE HURON.
J’en suis. J’ai vu dans le petit livre que ma marraine m’a donné toutes les formalités de la chose ; c’est fort bizarre... enfin, c’est la coutume de votre pays ; mais où diable est-elle donc passée, ma marraine ?
KERKABON.
Elle ne peut tarder à venir.
LE HURON.
Envoyez-la-moi, et laissez-moi seul... j’ai à me parler ; emmenez votre tribu, Coquille-d’Huître !
KERKABON.
Soit...
À tout le monde.
Laissons-le se recueillir un peu.
CHŒUR.
Air : Faisons silence.
Puisqu’il désire
Qu’on se retire,
Sans lui rien dire,
Oui, partons tous ;
C’est un Osage
Sans nul usage ;
De ce sauvage
Éloignons-nous.
Tout le monde sort par la porte du fond à gauche.
Scène IV
LE HURON, seul
Me voilà seul, j’aime mieux ça. – Quel singulier événement ! L’hiver dernier j’étais à me chauffer dans ma hutte, avec Abacaba, l’une de mes femmes (elle a été dévorée par un ours, c’est une affaire finie, n’en parlons plus). J’étais donc à me chauffer avec Abacaba (l’une de mes femmes), lorsque le vieux Queue-de-Bouc entre dans ma hutte, où j’étais à me chauffer avec l’une de mes femmes (nommée Abacaba) ; Queue-de-Bouc s’assied sur un tronc de sapin et il ne dit rien... il n’est pas bavard, Queue-de-Bouc. Moi, je ne lui réponds rien du tout, et voilà que nous nous chauffons tous les trois, Abacaba, moi et Queue-de-Bouc. Au bout d’une demi-heure, quand nous avons eu bien chaud tous les trois, Queue-de-Bouc me pince le gras de la jambe, ce qui veut dire en canadien : j’ai un secret à te confier. Alors moi, je donne une énorme tape sur la tête d’Abacaba, ce qui veut dire, dans la même langue : Fais-moi le plaisir de t’en aller. Abacaba saisit parfaitement mon intention !... elle sort. Alors Queue-de-Bouc se lève et me dit : Dodédicatolilémozadorélixa ! – Quoi ? – je lui dis : quoi ? – Tu te crois fils d’un Huron, tu t’abuses ; ta mère était Huronne, mais tu es fils d’un officier de la marine française... – Quoi ! et je fais un saut d’une hauteur... incroyable. La surprise m’avait suffoqué. Cependant je rassemblai mes sens, et je lui dis :
Criant très fort.
Quoi ?... – Oui, me répondit le vieux Queue-de-Bouc (qui s’était remis à se chauffer et moi aussi) : ton père, que nous appelions Bec-de-Pélican, vu la longueur fatigante de son nez, a été tué par les Mingos, peu de temps après ta naissance, et il a fait tatouer sur ton corps les armes de ta famille. Cette nouvelle me donna une agitation ! oh ! une grande agitation. Alors Queue-de-Bouc se remet à se chauffer, et moi pareillement, jusqu’au lendemain matin, sans rien dire... il n’est pas bavard, Queue-de-Bouc, mais il est bien frileux. – Une fois que j’ai su que mon père était Français, il m’a pris une démangeaison affreuse de voir son pays.
Ici Kerkabon et les personnages de la scène suivante entrent doucement par la porte du fond, à gauche. Kerkabon semble leur indiquer que le Huron est dans ses réflexions et qu’il ne faut pas le déranger.
Enfin je m’embarque, et voilà que je demeure ici chez ce chef de tribu, qui est un homme parfaitement difforme ; très peu de chair... très peu de chair ; mais il est bien ennuyeux... oh ! diable ! qu’il est ennuyeux, celui-là !
Scène V
MADEMOISELLE KERKABON, MADAME PLOUGOULIN, KERKABON, LE HURON, DUMÉNIL, MADEMOISELLE DES GUÉRETS, AUTRES VISITEURS, puis MADEMOISELLE SAINT-YVES
Ils entrent doucement pendant les derniers mots que le Huron prononce ; Kerkabon lui frappe doucement sur l’épaule.
LE HURON, se retournant.
Je me parlais de vous... Où est mademoiselle Saint-Yves ?
KERKABON, lui montrant le cabinet à droite.
Tenez, la voilà... Allons, montrez de la civilité ; allez poliment offrir la main à Julie... ça se fait.
LE HURON.
Oui, Coquille-d’Huître.
Allant au-devant de mademoiselle Saint-Yves, et lui offrant la main.
Venez ! ah ! venez ! que je vous offre la main... ça se fait.
KEBKABON, à part, d’un air satisfait.
Il va, il va !
LE HURON, à mademoiselle Saint-Yves.
Ôtez votre chapeau.
MADEMOISELLE SAINT-YVES, surprise.
Mon chapeau ?
LE HURON.
Oui, en société, on ne garde pas son chapeau sur la tête.
Tout le monde rit.
KERKABON.
Mais, mon cher ami, un homme... bon ! une femme... non !
LE HURON, riant.
Ah ! ah ! les hommes...
Il fait le geste d’ôter son chapeau.
Les femmes...
Il se donne une tape sur la tête.
très bien !
MADAME PLOUGOULIN.
Il est très joyeux !
LE HURON.
Allons, voyons, voyons... puisque voilà ma marraine, qu’on me baptise ;
Bas à mademoiselle Saint-Yves.
et après ça, la noce.
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Et votre livre ?
LE HURON.
Je l’ai lu. Il y a dedans des choses très curieuses et dont nous ne nous doutions pas au Canada. Ne faites pas à autrui...
KERKABON.
Ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît.
LE HURON.
Si on vous donne un soufflet sur la joue droite...
KERKABON.
Tendez l’autre ; c’est la maxime du sage.
LE HURON.
Très bien, tout ça ! je m’y conformerai. Allons, allons ! ferme au baptême.
À mademoiselle Saint-Yves.
Quant à la noce, il faut que je vous parle en particulier.
TOUS.
Comment, en particulier ?
DUMÉNIL.
C’est un peu fort !
Au Huron.
Vous ne pouvez rester tête à tête avec une jeune personne...
LE HURON, criant très fort.
Comment, je ne le peux pas ! comment, je ne le peux pas !
KERKABON.
D’abord, ne parlez pas si haut, c’est mauvais ton.
LE HURON.
À la bonne heure.
D’une voix étouffée ; mais avec humeur.
Comment, je ne le peux pas ! Comment, je ne le peux pas ?...
À mademoiselle Saint-Yves.
Venez par ici.
Il fait descendre mademoiselle Saint-Yves sur l’avant-scène.
Ce soir, quand vous serez retirée dans votre chambre, je m’y introduirai sans bruit, une lumière à la main...
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Mais du tout, monsieur, du tout !
LE HURON.
Chut !... je m’approcherai ; vous ferez semblant de dormir...
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Mais, monsieur...
LE HURON.
Chut !... je vous montrerai la lumière ; si vous la regardez sans souffler... un mot, c’est que vous me refusez pour votre époux, ça me contrariera, Saint-Yves !... ça me contrariera, Saint-Yves...
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Mais monsieur !...
LE HURON.
Chut !... Si, au contraire, vous l’éteignez, c’est que vous acceptez, et vous n’avez plus à vous occuper de rien ; le reste me regarde.
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Cependant, monsieur...
LE HURON.
Chut !... Le reste... le reste me regarde. Voilà comment on demande les demoiselles en mariage dans mon pays ; et je ne trouve pas cette façon par trop désobligeante, hein ? qu’en pensez-vous ?
À part, en riant.
Je la crois flattée.
KERKABON.
Mais, Tête-de-Castor, on ne parle pas bas ainsi devant le monde.
LE HURON, criant.
Comment ! on ne parle pas bas ?... Tout à l’heure c’était de parler haut qui était malhonnête... Vous ne savez donc pas ce que vous dites, Coquille-d’Huître ?... Je vous trouve trois fois plus insupportable que monsieur.
Il désigne Duménil et s’est approché de lui.
DUMÉNIL, lui donnant un soufflet.
Insolent !
TOUS.
Ah !
Mouvement. Kerkabon se place entre le Huron et Duménil pour les séparer.
LE HURON.
Qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce qu’il y a ?
À Duménil, par suite d’une réflexion.
Voici l’autre ; mais pas si fort.
DUMÉNIL, sortant par le fond.
Je vous attends, monsieur !
TOUS.
Air : La voix de la patrie.
Quelle affreuse aventure !
Misérable Huron !
Supporter cette injure !
C’est un sot, un poltron.
Oui, le Huron
N’est qu’un poltron.
Tout le monde sort par le fond, excepté Kerkabon et le Huron.
Scène VI
LE HURON, KERKABON
LE HURON, pendant que Kerkabon a remonté la scène.
Comment ? il m’attend ? Il faut encore que ce soit moi qui me dérange ? Ah ! mais il est adorable, ce petit.
KERKABON, dans le plus grand trouble.
Vous avez fait là une belle équipée ; vous ne savez donc pas qu’un homme qui reçoit un soufflet est un homme déshonoré... un homme cuit !...
LE HURON.
Comment ça, cuit ! mais le livre ?...
KERKABON.
Il s’agit bien du livre ; vous n’avez qu’une ressource ; c’est de vous faire tuer par votre adversaire ou de le tuer vous-même ; c’est l’honneur qui le veut.
LE HURON, fort animé.
Et pourquoi ne me l’avez-vous pas dit, Canne-à-Sucre ?
KERKABON.
Je ne vous l’ai pas dit... D’abord, ne me donnez pas ce pseudonyme végétal.
LE HURON, avec exaltation.
Mais c’est l’enfer que votre misérable pays ! Comment ! vous dites que l’honneur ordonne de tuer celui qui donne une gifle, et la morale veut qu’on tende l’autre joue...
D’un air de pitié.
Et ils nous appellent sauvages !... Allons, allons, le mot est fort agréable !
KERKABON.
Enfin, voyons, est-ce bien un soufflet que vous avez reçu ?
LE HURON.
Je ne saurais trop vous dire ; j’ai vu comme une illumination dans le moment...
KERKABON, avec bonhomie.
Trente-six-chandelles ; nous appelons ça trente-six chandelles.
LE HURON, naïvement.
Vous appelez ça trente-six chandelles ?
KERKABON.
C’est que, voyez-vous, si votre adversaire avait eu la main fermée, ce genre d’attouchement est qualifié coup de poing, par les naturalistes.
LE HURON.
Eh bien ?
KERKABON.
Alors, l’honneur n’y est pour rien.
LE HURON, se tournant vers le public, avec l’exaltation du mépris.
Ô grand peuple !
KERKABON, d’un ton piteux.
Mais, malheureusement, ce n’est pas le cas ; si vous ne vous battez pas, vous êtes déshonoré ; vous serez regardé comme rien du tout ; vingt-quatre degrés au-dessous d’un colimaçon ; me comprenez-vous, Tête-de-Castor ?
LE HURON, parcourant la scène avec agitation.
Vingt-quatre degrés au-dessous d’un co...
Avec emphase.
Il suffit, Coquille-d’Huître.
Il marche à grands pas et gesticule beaucoup ; Kerkabon le suit d’un air inquiet.
KERKABON.
Qu’est-ce que vous avez ?
LE HURON, criant de toutes ses forces.
Carochingagack !
KERKABON, épouvanté.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
LE HURON.
C’est mon cri de guerre ! Adieu !
Il sort rapidement par le fond.
Scène VII
KERKABON, seul
Où va-t-il ? où va-t-il ? Il est impossible de rester à la tête d’une commune où il y a des Américains de cette nature. Je ne puis cependant pas le tenir en laisse comme un quadrupède ; je suis maire, je ne suis pas cornac !
Scène VIII
KERKABON, MADEMOISELLE SAINT-YVES, entrant vivement par le fond
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Mon cousin, où court donc votre Huron, d’un air si agité ?
KERKABON.
Mon Huron ? D’abord, il n’est pas à moi, Dieu merci !
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Ah ! monsieur Duménil a bien mal agi ; il en convient à présent.
KERKABON.
Il est bien temps, quand l’autre est furieux et qu’il jette des cris... des carotte-gragratte... je ne sais quoi ; des mots à vous donner une esquinancie rien qu’à les prononcer. Il court après Duménil, à présent ; que le diable les emporte tous deux !
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Ô ciel ! Et vous n’avez pas essayé de le calmer ?
KERKABON.
Vous vouliez donc que je me fisse dévorer ?
Scène IX
KERKABON, MADEMOISELLE KERKABON, MADEMOISELLE SAINT-YVES
MADEMOISELLE KERKABON, entrant par le fond d’un air désespéré.
Ah ! mon frère ! ah ! quelle scène !
KERKABON, avec l’exaltation d’un homme sur lequel tout tombe à la fois.
Allons !...
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Ma cousine ! serait-il arrivé quelque malheur ?
MADEMOISELLE KERKABON.
Ah ! je suis hors de moi. J’étais à causer avec monsieur Duménil ; je lui reprochais ses torts, lorsque ce maudit sauvage est accouru, armé d’une baguette, et il est tombé sur ce pauvre Duménil, avec une activité...
KERKABON, de même.
Allons ! il n’a pas saisi mon idée !
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Ah ! mon cousin ! c’est votre faute ; un magistrat !
KERKABON, de même.
Allons !
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Pauvre Duménil !
KERKABON, à sa sœur.
Lui a-t-il cassé quelque chose ?
MADEMOISELLE KERKABON.
Oui.
KERKABON, de même.
Allons !
MADEMOISELLE KERKABON.
Il lui a cassé sa baguette sur les épaules, alors on les a séparés, et j’accours, pour vous dire d’y aller interposer votre autorité.
On entend crier en dehors.
Tenez ! tenez ! entendez-vous ? Voilà qu’on le ramène.
Kerkabon ceint son écharpe de maire, qui était sur la table à gauche.
Scène X
KERKABON, LE GARDE CHAMPÊTRE, LE HURON, MADEMOISELLE KERKABON, MADEMOISELLE SAINT-YVES, PAYSANS
Le Huron tient à la main une baguette cassée au milieu, il la brandit d’un air victorieux.
Ensemble.
Air : de la Rente viagère.
KERKABON
Oui,
C’est inouï !
Comme vous je veux ici
Qu’il soit puni.
Oui,
C’est inouï !
Il faut ici
Qu’il soit bientôt puni.
MADEMOISELLE SAINT-YVES, MADEMOISELLE KERKABON et LES PAYSANS.
Oui,
C’est inouï !
Chacun de nous veut qu’ici
Il soit puni.
Oui,
C’est inouï !
Il faut ici
Qu’il soit bientôt puni.
KERKABON.
Voyons ! voyons ! du calme !
LE HURON.
Oui, silence ! Coquille-d’Huître va vous expliquer l’affaire.
KERKABON, prenant un air digne.
Je vous prie de ne pas m’appeler Coquille-d’Huître quand j’ai mon écharpe.
Aux paysans.
Mes chers administrés, comptez sur votre maire comme vous pourriez compter sur un p...
À part.
Ah ! grand Dieu ! j’ai failli commettre un calembour dans l’exercice de mes fonctions !
Haut.
Une voie de fait a eu lieu sur un de nos concitoyens...
LE HURON.
Oui ! sur ma joue !
KERKABON, montrant le Huron.
Et je vous promets que ce jeune sauvage n’en sera pas quitte à moins de six mois de prison.
LE HURON, criant de toutes ses forces.
Ah ! le gros reptile !
KERKABON, aux paysans.
Allez ! mes amis, allez !
LE HURON.
Carochingagack !
KERKABON, aux paysans, avec effroi.
C’est son cri de guerre ! Sauvez-vous ! moi, je ne crains rien ; j’ai mon écharpe.
Les paysans sortent rapidement par le fond.
Scène XI
KERKABON, MADEMOISELLE KERKABON, LE HURON, MADEMOISELLE SAINT-YVES
KERKABON.
Huron ! Tête-de-Castor ! restez là, ventrebleu ! Ventrebleu ! ma sœur, tenez-le !
LE HURON, à mademoiselle Saint-Yves et à mademoiselle Kerkabon qui le tiennent.
Laissez-moi ! laissez-moi sauter sur le chef de tribu !
KERKABON, d’un ton d’autorité.
Du tout ! on ne saute sur personne ici !
LE HURON, avec exaltation.
Il a parlé de prison ! quand c’est lui qui m’a dit de me battre avec cet autre.
MADEMOISELLE KERKABON.
Vous, mon frère ?
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Est-il possible ?
KERKABON.
Un instant ! un instant !
LE HURON, exaspéré, à Kerkabon.
Vous me l’avez dit ! vous me l’avez dit !
KERKABON.
Un instant ! silence ! quand je lui ai conseillé de se battre, je n’avais pas mon écharpe ; je l’avais quand j’ai parlé de prison, car remarquez bien une chose, il y a en moi deux hommes : le magistrat (avec écharpe), et le simple particulier (sans écharpe), les simples particuliers ne portant point cet instrument. Je représente deux hommes, l’homme avec et l’homme sans !
MADEMOISELLE SAINT-YVES, au Huron.
De grâce ! soyez calme !
Il jette sa baguette.
LE HURON.
Au milieu de ce débordement d’écharpes et de particuliers, je n’ai pas pu démêler ce qu’a voulu dire Coquille-d’Huître.
KERKABON, avec feu.
Tête-de-Castor !
LE HURON, plus fort.
Coquille-d’Huître !
KERKABON.
Je vous ai conseillé de vous battre avec votre adversaire, mais non de le battre. Taper un homme est un crime ; le tuer, à distance honnête, devant témoins... très bien ! c’est autorisé.
LE HURON, riant d’un air de pitié.
Oh ! nation civilisée ! Queue-de-Bouc ! Queue-de-Bouc !
Scène XII
KERKABON, UN PETIT PAYSAN, MADEMOISELLE KERKABON, LE HURON, MADEMOISELLE SAINT-YVES
LE PETIT PAYSAN, entrant par le fond.
Monsieur le maire, je viens vous dire que tout est prêt pour le baptême... on n’attend plus que vous, le parrain, la marraine, monsieur le curé, le bedeau, les enfants de chœur et le nouveau-né.
KERKABON.
C’est bien ! c’est bien !
Le paysan sort par le fond ; il est reconduit par Kerkabon et sa sœur qui semblent lui donner des instructions.
LE HURON, à mademoiselle Saint-Yves.
Puisque tout est prêt, je vais me préparer aussi.
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Vous savez ce qu’il y a à faire ?
LE HURON.
Très bien ; j’ai lu l’instruction que vous m’avez donnée ; et puis après vous éteindrez la lumière... Vous éteindrez la lumière... le reste me regarde... Adieu.
Il sort par le fond.
Scène XIII
KERKABON, DUMÉNIL, entrant par la porte du fond à gauche, MADEMOISELLE KERKABON, MADEMOISLLE SAINT-YVES
KERKABON.
Eh bien ! mon ami, comment va la santé ?
DUMÉNIL.
Oh ! ce n’est rien... Je viens vous remercier de la justice que vous m’avez rendue, en faisant mettre ce rustre en prison.
KERKABON.
Mais point du tout, mon pauvre ami, il n’est point en prison.
Air : Restez, restez, troupe jolie.
Certes, il mérit’ qu’on le punisse ;
Mais c’est un dangereux moyen :
Il démolirait l’édifice
Qui déjà ne tient presqu’à rien,
Car il est très fort ce vaurien.
Ce jug’ment est p’-t-être blâmable ;
Si j’l’ai rendu j’ai ma raison :
C’n’est pas pour ménager l’coupable,
C’est pour ménager la prison.
Tenez, si vous vouliez être son parrain, ça raccommoderait tout.
DUMÉNIL.
Plaisantez-vous, monsieur de Kerkabon ?
KERKABON.
Allons ! ce serait moi. Je vais le chercher ; je suppose qu’il est allé faire un bout de toilette ; hâtez-vous, ma sœur, ne nous faisons pas attendre. Quelle journée !
Il sort avec mademoiselle Kerkabon par le fond à gauche.
Scène XIV
DUMÉNIL, MADEMOISELLE SAINT-YVES
DUMÉNIL.
Ainsi, mademoiselle, vous voilà marraine, et bientôt épouse de cet étranger, si j’en dois croire ce qu’on m’a dit. Permettez-moi de vous féliciter sur votre choix.
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Sans doute, monsieur, ce jeune homme n’est pas civilisé ; mais du moins si je répondais à son amour, il ne suffirait pas d’une coquetterie de mademoiselle des Guérets pour le faire changer de sentiments ; il n’irait point répéter à une autre les serments qu’il m’aurait faits.
DUMÉNIL.
Est-il possible ! vous auriez pu croire... Vous ne l’aimeriez pas ?
On entend Kerkabon appeler au dehors : Tête-de-Castor ! Tête-de-Castor !
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Silence ! voici mon cousin !
DUMÉNIL, à part.
Tout espoir n’est pas perdu.
Scène XV
DUMÉNIL, KERKABON, entrant par le fond, MADEMOISELLE SAINT-YVES
KERKABON, appelant.
Tête-de-Castor !... Le curé est prévenu, tout est prêt pour le baptême, et on ne sait pas où il est ! Ce garçon ne peut jamais rester en place ; c’est un tonton, c’est une anguille !
Air : J’en guette un petit de mon âge.
Quand tout est prêt pour la cérémonie,
C’est nous faire un tour indécent...
Conçoit-on pareille avanie ?
Nous planter là dans le plus beau moment !
Ah ! ventrebleu ! mettez-vous à ma place :
Voyez quel est notre embarras !
Car enfin nous ne pouvons pas
Le baptiser par contumace.
DUMÉNIL.
Il faut le chercher, parbleu ! il n’est pas perdu.
KERKABON.
Eh bien ! mon cher ami, montez dans les greniers ; moi, je vais descendre dans les caves ; ces dames sont déjà allées explorer le voisinage. Quelle désolation !... un baptême et l’enfant a disparu...
D’un ton piteux.
Voyez ma position, elle est fort dramatique !
Scène XVI
DEUX DAMES, DUMÉNIL, KERKABON, MADEMOISELLE KERKABON, MADAME PLOUGOULIN, MADEMOISELLE SAINT-YVES, MADEMOISELLE DES GUÉRETS, DEUX AUTRES DAMES entrent par le fond.
MADEMOISELLE KERKABON, scandalisée.
Ah ! l’horreur ! ah ! l’abomination !
MADAME PLOUGOULIN, de même.
Ah ! c’est une indignité !
MADEMOISELLE DES GUÉRETS.
Moi, je n’ai rien vu.
KERKABON.
Mais qu’avez-vous ? ventrebleu !
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Qu’est-il donc arrivé ?
MADEMOISELLE KERKABON.
Ah ! je m’en souviendrai longtemps !
À Kerkabon.
Le Huron, savez-vous où il est ?
KERKABON.
Ah ! vous l’avez donc trouvé, enfin ?
MADEMOISELLE KERKABON.
Air : de Mazaniello.
Ces dames, et moi la première,
Cherchant des yeux, nous l’appelions,
Quand j’aperçois dans la rivière
Le plus immoral des Hurons,
Nageant, sans redouter personne,
Comme un poisson en liberté...
Et vêtu (Dieu me le pardonne !)
Avec la mêm’ simplicité.
KERKABON.
Est-il possible ? c’est une contravention.
DUMÉNIL, à mademoiselle Kerkabon.
Et vous l’avez vu ?... là, bien sûr ?...
MADEMOISELLE KERKABON.
Comme je vous vois... Vous sentez bien que j’ai fermé les yeux aussitôt.
KERKABON.
Mais, ventrebleu ! ma sœur, on parle les yeux fermés. On interroge le délinquant.
MADEMOISELLE KERKABON.
C’est ce que j’ai fait. Que faites-vous là ? lui ai-je crié... J’attends le baptême, me répondit-il tranquillement ; c’est comme ça que saint Jean s’est baptisé. Qu’on m’amène ma marraine tout de suite.
KERKABON.
Ah ! grand Dieu ! il se trompe, l’infortuné... cet homme ne sait pas la géographie : il prend la Vilaine pour le Jourdain.
MADEMOISELLE KERKABON.
Ah ! l’indigne ! c’est qu’il est tout... zébré... tout tigré ; je le prenais pour un poisson étranger. Et puis, je ne sais pas si c’est une vision, vous savez qu’il nous a parlé d’un commencement de tatouage... j’ai vu trois merlettes...
KERKABON, l’interrompant.
Trois merlettes ?
MADEMOISELLE KERKABON.
Sur champ de gueules.
KERKABON, continuant.
Nos armes !... ah ! grand Dieu ! c’est un mystère à éclaircir... Venez, Duménil... venez m’aider à le saisir. Je suis désespéré.
À mademoiselle Kerkabon.
Donnez-moi mon écharpe, au moins.
Il sort par le fond en se ceignant de son écharpe ; Duménil le suit.
Scène XVIII
DEUX DAMES, MADEMOISELLE KERKABON, MADEMOISELLE SAINT-YVES, MADAME PLOUGOULIN, MADEMOISELLE DES GUÉRETS, DEUX AUTRES DAMES
MADEMOISELLE SAINT-YVES, à mademoiselle Kerkabon.
Quoi ! vous avez vu ?...
MADEMOISELLE KERKABON.
Oh ! sans regarder ; c’est madame Plougoulin qui m’a fait remarquer les merlettes.
MADAME PLOUGOULIN, scandalisée.
Moi, par exemple ! c’est vous qui m’avez dit : Grand Dieu ! voilà le Huron qui nage.
MADEMOISELLE KERKABON.
Ah ! s’il est possible... ciel de Dieu !
MADAME PLOUGOULIN.
Vous l’avez dit.
MADEMOISELLE KERKABON.
Ah ! l’horreur !... Madame Plougoulin, vous distillez la calomnie !
MADAME PLOUGOULIN.
Ah quelle fausseté !
MADEMOISELLE SAINT-YVES, cherchant à les calmer.
Mesdames !...
MADEMOISELLE KERKABON.
Je vais m’évanouir... je m’évanouis.
Elle tombe dans les bras de mademoiselle Saint-Yves, qui la soutient et la conduit dans un fauteuil, à gauche. Le Huron paraît enveloppé d’un peignoir très ample, qui ne lui laisse voir que la tête ; ses cheveux sont mouillés.
Scène XIX
LES MÊMES, LE HURON, au fond
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Elle se trouve mal !
LE HURON, entrant tranquillement.
Elle se trouve mal ?... Je partage son opinion.
TOUTES LES FEMMES, jetant un cri après avoir aperçu le Huron.
Ah !
Elles se retournent épouvantées. Mademoiselle Saint-Yves reste auprès de mademoiselle Kerkabon.
LE HURON.
Qu’est-ce qu’elles ont donc toutes ces femmes à se sauver comme une volée de pingouins ?
À mademoiselle Saint-Yves, en s’approchant d’elle.
Voilà une heure que je vous attends dans la rivière pour la cérémonie...
Mademoiselle Saint-Yves se recule avec effroi.
je grelotte encore... j’ai l’onglée partout.
MADEMOISELLE KERKABON.
Tout ce que je peux dire c’est que je suis indignée !
LE HURON.
Indignée !... de quoi ?
Scène XX
DEUX DAMES, DUMÉNIL, MADEMOISELLE KERKABON, MADEMOISELLE SAINT-YVES, KERKABON, LE HURON, MADAME PLOUGOULIN, MADEMOISELLE DES GUÉRETS, DEUX AUTRES DAMES
KERKABON, une redingote sous le bras.
Le voilà !... Qu’est-ce que ça veut dire, Tête-de-Castor ? Qu’est-ce que veut dire une conduite pareille ?... Montrez-moi vos merlettes.
MADEMOISELLE KERKABON, se levant vivement et mettant la main sur la bouche de Kerkabon, pour l’empêcher de parler.
Mon frère ! mon frère !
LE HURON.
Qu’entendez-vous par merlettes ?
KERKABON.
Ces petits oiseaux, dont vous êtes tatoué, qui les a peints ?
LE HURON.
Ces petits oiseaux... oh ! je les respecte ! quoique je ne les aie jamais vus ; c’est mon père qui m’en a embelli à ma naissance.
KERKABON et MADEMOISELLE KERKABON.
Son père !
LE HURON.
À ce que m’a dit Queue-de-Bouc, qui n’est pas bavard.
KERKABON.
Ah ! mon Dieu ! Et qu’était-il votre père ?
LE HURON.
Officier dans la marine française.
KERKABON, avec surprise comique.
Ah ! quel horrible accident !... Tu es mon neveu, malheureux sauvage !
LE HURON.
Ah !... bah ?
MADEMOISELLE KERKABON.
Fils de mon frère !
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Mon cousin, alors ?
LE HURON.
Ah bah !... au fait, Bec-de-Pélican, il l’a aussi, lui.
Il indique le nez de Kerkabon.
KERKABON.
Et si tu n’étais pas sous ce costume déplorable je te dirais : Jette-toi dans mes bras ; mais cela ne se peut pas... Je pleure, je pleure d’attendrissement.
MADEMOISELLE KERKABON.
Et moi, donc ?
KERKABON, au Huron.
Et toi ?
LE HURON, à mademoiselle Saint-Yves.
Et vous ?
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Moi ?
KERKABON, au Huron.
Non, toi !
LE HURON.
Moi ?
KERKABON.
Toi ?
LE HURON.
Moi !... ça m’est parfaitement égal ; que vous soyez mon oncle, mon neveu ou mon voisin, qu’est-ce que ça peut me faire ? Elle, à la bonne heure !... Mademoiselle Saint-Yves, soyez ma tante.
Il s’avance vers mademoiselle Saint-Yves, Kerkabon le retient.
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Je suis seulement votre cousine.
LE HURON.
Ma cousine, n’importe ! Épouse-t-on sa cousine sur votre scélérat de territoire ?
KERKABON, avec joie.
Très bien.
LE HURON.
Et vous y consentez ?
KERKABON, au comble de la joie.
À tout ce que tu voudras.
LE HURON.
Oh ! mais alors, je suis le plus heureux des êtres !... Oh ! Queue-de-Bouc ! si tu étais là... en voilà un qui sauterait !
MADEMOISELLE SAINT-YVES, à part.
Il est bien désagréable qu’on dispose ainsi de moi sang me consulter.
KEBKABON.
Mais, pour l’amour de Dieu, voici votre habit que nous avons trouvé accroché à un arbre ; passez-le, que nous puissions vous embrasser sans crainte.
LE HURON.
Ne faites pas attention, je commence à me réchauffer.
KERKABON.
Entrez dans ce cabinet, je crains quelque accident ridicule.
LE HURON, posément.
C’est inutile ; tous les hommes étant égaux, on n’a pas de raison pour...
Il fait un mouvement pour ôter son peignoir. Kerkabon l’en empêche.
TOUTES LES FEMMES, jetant un cri et se retournant.
Ah !
KERKABON, exaspéré.
Tête-de-Castor ! Huron ! vous effrayez les femmes ; vous violez toutes les convenances... sortez !
LE HURON.
À la fin vous m’ennuyez tous ; je ne peux plus mettre mon habit à présent ?
D’un air résolu.
Je veux mettre mon habit.
Kerkabon et Duménil étreignent le Huron dans leurs bras.
KERKABON.
Vous ne le mettrez pas ici, ventrebleu !... mon salon n’est pas une salle de bains.
LE HURON, se débarrassant de Kerkabon et de Duménil, qu’il fait pirouetter, et entre les mains desquels il laisse son peignoir.
C’est ce que nous allons voir !
Il est tout habillé en-dessous et passe tranquillement son habit.
KERKABON, d’un air stupéfait.
Ah ! mon cher ami, je vous aime, mais, le diable m’emporte ! vous n’avez pas pour deux liards d’usage...
Appuyant.
Voilà un quart-d’heure que vous nous inspirez à tous les craintes les plus légitimes...
Indiquant du geste qu’il est habillé.
et pas du tout !
LE HURON, avec mépris.
Vous êtes tous des poltrons et des poltronnes ; vous avez peur d’un homme sans armes !
KERKABON.
Vous effrayez toutes ces dames... vous les compromettez !...
LE HURON.
Qu’est-ce que ça fait ?... Vous m’avez dit que quand on compromettait une femme il fallait l’épouser... si je les compromets, je les épouserai et tout sera dit.
DUMÉNIL, riant.
Ah ! ah ! il les épousera toutes !
LE HURON, sérieusement.
Pourquoi pas, si c’est l’usage ?
KERKABON.
Mais, mon cher et malheureux ami, vous êtes toujours à côté de la question. La loi ordonne ici de n’en épouser qu’une... et c’est, ma foi, bien assez.
LE HURON, avec joie.
Alors, j’épouse mademoiselle Saint-Yves.
KERKABON.
Il est possible que dans vos contrées on se marie, parbleu ! très vite... mais ici nous avons d’autres formalités à remplir.
LE HURON, avec humeur.
Est-ce long ?
KERKABON.
Du tout... vous vous rendez à la mairie.
LE HURON, avec joie.
La mairie ?... la mairie ?... mais c’est ici ; nous y sommes ; nous sommes dedans en plein.
KERKABON.
Vous vous avancez vers le maire, votre future à la main.
LE HURON.
Le maire... mais c’est vous !
À mademoiselle Saint-Yves, en la prenant par la main.
Oh ! que c’est heureux !
KERKABON.
C’est moi, quand j’ai mon écharpe. Ce respectable fonctionnaire, qui est l’homme le plus distingué et le plus spirituel de la commune.
LE HURON, d’un air de doute.
Oh ! oh !
KERKABON.
Quoi ?
LE HURON.
Rien, rien, c’est une idée que j’ai... allez toujours.
KERKABON.
Le maire vous dit : Un tel, Kerkabon, dit Tête-de-Castor, vous jurez de prendre pour épouse demoiselle Julie Saint-Yves ?
LE HURON, avec exaltation.
Si je le jure !... je jure devant le ciel, la terre, ma tante... et tout ce qu’il y a dessus.
KERKABON.
Vous dites simplement : Oui.
LE HURON, de même.
Oui, oui.
Il rit.
Ah ! ah ! ah !
KERKABON.
Puis, j’ajoute : Vous jurez à votre épouse une fidélité éternelle ?... à quoi vous répondez...
LE HURON, tranquillement.
Non !
KERKABON, d’un air de bonhomie.
Vous répondez encore : Oui !
LE HURON, de même.
Non !
KERKABON, de même.
Je vous dis, mon cher ami, vous répondez : Oui !
LE HURON.
Mais, je vous dis, moi, Coquille-d’Huître, je réponds : Non !
TOUS.
Comment ?
MADAME PLOUGOULIN.
Mais, jeune homme, ne savez-vous pas que le mariage est le lien le plus saint ?
LE HURON.
Je ne prétends pas dire qu’il soit malsain.
À Kerkabon.
Vous me dites : Prenez-vous la femme ? Je prends la femme. Jurez-vous d’être fidèle ? Je ne jure pas d’être fidèle. La femme, oui ! la fidélité, non !
À part.
Ils ont des usages dans ce coquin de pays !...
MADEMOISELLE DES GUÉRETS.
Mais, monsieur, quand on se marie, c’est pour la vie.
LE HURON, reculant d’effroi et avec exaltation.
Pour la vie ? pour la vie ?... et avec une seule femme ?... Une femme en tout ?... Ah ! les misérables !...
DUMÉNIL.
Mais je trouve, moi, que monsieur raisonne fort conséquemment ; s’il n’a pour mademoiselle qu’un sentiment passager, il a raison.
LE HURON.
Là !... voilà un petit qui saisit la chose parfaitement... Comment ! vous aimez une femme, vous la demandez, elle vous aime, elle éteint la chandelle... très bien !... et puis, si au bout d’un mois, deux mois elle vous ennuie...
Criant.
Pour la vie !!! Et ce sont des hommes ! des hommes qui ont imaginé cette turpitude ! Ah !... comment ? si votre femme devient méchante, si elle devient jaune, criarde, si elle prend du tabac, si elle mord... si elle se ratatine... Pour la vie !!!...
Avec calme.
Je garde le célibat !
KERKABON, à part, étonné.
Il rompt !
MADEMOISELLE SAINT-YVES, au Huron.
Ah ! monsieur ! ah ! mon cousin ! c’est à présent que je vous aime...
LE HURON.
Qu’est-ce que ça me fait ?
MADEMOISELLE SAINT-YVES.
Car enfin, selon mon cœur, je puis disposer de ma main.
Elle tend la main à Duménil, qui la saisit avec joie.
LE HURON.
Ça m’est bien égal !
KERKABON.
Enfin, voyons !... mon neveu, mon cher ami, vous ne comprenez rien... vous semblez n’être venu en Europe avec votre surnom que pour détruire la bonne opinion que nous avions... des castors.
LE HURON, à mademoiselle Saint-Yves.
Bât-on son oncle dans ce pays-ci ?
Mademoiselle Saint-Yves lui fait signe que non et le retient.
KERKABON.
Mais le sang parle... vous êtes le fils de mon frère ;
Appuyant.
Il y a encore moyen ! Vous avez besoin d’être civilisé,
Appuyant.
je vous civiliserai... il faut de la patience,
Appuyant.
j’en aurait...
Avec bonhomie.
Demain je t’embarque pour le Canada.
LE HURON, avec joie.
Volontiers, par exemple !
KERKABON, à part.
Et que le diable t’emporte !
LE HURON, criant.
Moi, je resterais dans ce pays de sauvages, où on ne peut ni parler haut, ni parler bas.
Avec pitié.
Ah !... où on est condamné au mariage à perpétuité !
Criant très fort.
à perpétuité ! où on a le droit de tuer un homme et non un lapin ! Grande nation ! immense nation que tu es, va ! je suis bien aise d’être venu te voir... tes bêtises ont fait mon bonheur... j’ai joui l’impossible !... Oh ! Queue-de-Bouc, tu souriras !
CHŒUR.
Air : Honneur à la musique ! (Bouffe.)
Allons, et bon voyage,
Quitte notre pays ;
Dans ta hutte sauvage
Va revoir tes amis.
Pendant le chœur le Huron échange des saluts et des poignées de main.
LE HURON, au public.
Air de Préville et Taconnet.
Je vais r’tourner dans mon pays natal :
Sur certain point si l’on m’y questionne,
Je répondrai qu’en France en général
On applaudit un’ pièc’ quand elle est neuve et bonne.
Mais un vaud’vill’ fait sur un vieux sujet,
Suffira-t-il, messieurs, qu’il ait fait rire ?
Si Queu’-de-Bouc là-d’ssus m’interrogeait,
Parlez, que pourrais-je lui dire ?
CHŒUR.
Allons et bon voyage, etc.
[1] COSTUME DU HURON. Redingote de couleur claire, très courte ; pantalon de couleur foncée, également très court ; gilet rayé, chemise bleue à raies cravate à la Colin, bas blancs, souliers à cordons, perruque de nègre, très frisée, longs pendants d’oreilles en corail.