Le Grain de Café (Eugène LABICHE - MARC-MICHEL)

Comédie-vaudeville en quatre actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 3 novembre 1858.

 

Personnages

 

ÉVARISTE MARJOLET

ANATOLE MONTCHARDIN

SIR CROCKBEEF

LE DOCTEUR GOUSSEVILLE

JEAN PLANTUREUX

ADOLPHE

ZACHARIE

DOMINIQUE

LUBINE, femme CHAILLOU

MADAME MONTCHARDIN

MADAME CROCKBEEF

CATHERINE PLANTUREUX

MADAME POMMADÈRE

NOURRICES

 

La scène est à Paris.

 

 

ACTE I

 

Le bureau des nourrices.

Une salle très simple. Porte principale au fond avec ces mots au-dessus : Bureau des nourrices. Porte à droite avec ces mots : Le public n’entre pas ici.

 

 

Scène première

 

MONSIEUR ADOLPHE, MADAME POMMADÈRE

 

Monsieur Adolphe est assis au bureau devant un grand registre. Madame Pommadère est debout près de lui.

MADAME POMMADÈRE, à monsieur Adolphe.

Eh bien ! monsieur Adolphe, y sommes-nous ?

MONSIEUR ADOLPHE.

Pardon, madame Pommadère... ma plume crachait, et quand ma plume crache...

Changeant de plume.

Là !...

Se remettant à écrire.

Nous disons : du 7 avril, entré : quatre Bourguignonnes. Sorti : deux Picardes et une Champenoise...

MADAME POMMADÈRE, dictant.

Doit la Champenoise pour onze jours passés dans l’établissement avant de trouver un nourrisson...

MONSIEUR ADOLPHE.

...à raison de vingt-cinq centimes par jour... ci : deux francs soixante-quinze centimes.

MADAME POMMADÈRE.

Plus pour son blanchissage, sept sous...

MONSIEUR ADOLPHE, écrivant.

Trente-cinq centimes.

MADAME POMMADÈRE.

Plus quarante-trois saucisses à deux sous.

MONSIEUR ADOLPHE.

C’est incroyable ce qu’une Champenoise peut consommer de saucisses en onze jours !

MADAME POMMADÈRE.

Avez-vous fait la balance ?

MONSIEUR ADOLPHE.

Voilà : reste en magasin... quatre Bourguignonnes, deux Normandes, une Percheronne...

MADAME POMMADÈRE.

Pauvre fille ! elle était placée... on l’a renvoyée ce matin...

MONSIEUR ADOLPHE.

La Percheronne ?

MADAME POMMADÈRE.

Oui... il paraît qu’elle n’avait pas de lait... mais elle est très douce...

MONSIEUR ADOLPHE.

Eh bien !... avec de la douceur... et un biberon !... Moi qui vous parle, j’ai été nourri par une chèvre...

MADAME POMMADÈRE.

Est-ce tout ?

MONSIEUR ADOLPHE.

Non, il y a encore la négresse...

MADAME POMMADÈRE.

Ah ! oui ! la négresse !... en voilà une qui est d’un placement difficile... elle n’est pourtant pas exigeante.

MONSIEUR ADOLPHE.

C’est vrai... elle ne demande pas de savon...

Il rit.

MADAME POMMADÈRE.

Si ça continue, elle passera à l’état de non-valeur.

MONSIEUR ADOLPHE.

Et ça fait des écritures... tous les soirs, j’écris : Report : une négresse...

Prenant galamment la taille de madame Pommadère.)

J’aime mieux reporter les blondes, moi !

MADAME POMMADÈRE.

Finissez, monsieur Adolphe !

MONSIEUR ADOLPHE.

Ce n’est pas ma faute, j’ai été nourri par une chèvre !

 

 

Scène II

 

MONSIEUR ADOLPHE, MADAME POMMADÈRE, JEAN PLANTUREUX, CATHERINE PLANTUREUX, LUBINE CHAILLOU

 

La voix de PLANTUREUX dans la coulisse.

Venez donc ! que je vous dis que c’est ici !

MADAME POMMADÈRE et MONSIEUR ADOLPHE.

Qui vient là ?

Plantureux paraît. Il donne le bras aux deux femmes qui portent chacune un nourrisson et des paquets.

PLANTUREUX.

Ben des saluts !... c’est nous !

MADAME POMMADÈRE.

Jean Plantureux !

PLANTUREUX.

Et Catherine Plantureux, sa femme...

Montrant le nourrisson.

avec son quatrième !

CATHERINE.

Regardez-moi ça !

MADAME POMMADÈRE.

Comment ! c’est encore à vous celui-là !

PLANTUREUX.

Pardine ! J’espère que je sommes des pratiques !... quatre en quatre ans ! recta !

MONSIEUR ADOLPHE, à part.

Ce paysan me fait l’effet de la mère Gigogne !

MADAME POMMADÈRE, regardant Lubine.

Et Madame ?

PLANTUREUX.

C’est Lubine... Lubine Chaillou.

CATHERINE.

Not’ belle sœur !

LUBINE.

J’suis la belle-sœur...

Montrant son nourrisson.

et v’là mon premier.

PLANTUREUX.

Faut pas lui en vouloir... elle n’est mariée que depuis sept mois !

CATHERINE.

Tais-toi, Plantureux !

PLANTUREUX.

J’avons quitté hier soir not’ endroit... La Ferté-la-Loupière... et nous v’là !... santé, propreté et bon lait.

LUBINE, fondant tout à coup en larmes.

C’est donc vrai que nous v’là à Paris ! ah ! bonne dame ! heu ! heu !

MADAME POMMADÈRE, à Lubine.

Qu’avez-vous donc ?

PLANTUREUX.

All’ geint !

CATHERINE.

All’ n’a fait que geindre tout le long de la route...

LUBINE.

Je ne voulais pas quitter le pays, moi... c’est Chaillou, mon homme... il m’a dit comme ça : T’as du lait, faut que tu partes. Alors, il m’a donné dix francs et il m’a mis dans la carriole avec Catherine et Plantureux.

PLANTUREUX.

Et un panier de cerises.

LUBINE.

Ah ! je sais ben pourquoi qu’il me renvoie, Chaillou !... C’est pour courir après la grande Branchut !

CATHERINE.

Ah ! des idées !

PLANTUREUX.

Des bêtises !

LUBINE.

Je vous dis qu’y en conte !... que je les ai rencontrés une fois dans les bois... et qu’ils m’ont dit qu’ils cherchaient des nids !

Elle pleure.

Heu !

PLANTUREUX.

Eh bien ? c’est pas défendu !

À madame Pommadère.

Elle est jalouse comme un n’homard !

MADAME POMMADÈRE, à Lubine.

Allons, du courage ! Nous vous trouverons une bonne place...

PLANTUREUX.

Cinquante francs par mois... du café... et du gigot à tous les repas...

CATHERINE.

Sans compter les cadeaux...

PLANTUREUX.

Et le vin ! oh ! je voudrais t’être nourrice !

LUBINE.

Quoi qu’y fait Chaillou dans ce moment-ci ?

PLANTUREUX.

Il fume sa pipe !

LUBINE.

Ah ! oui !

Pleurant.

Y cherche des nids ! Heu ! heu ! heu !

CATHERINE, à Lubine.

Mais ne pleure donc pas... tu vas attrister ton lait !

MADAME POMMADÈRE.

Monsieur Adolphe, inscrivez donc ces deux nourrices.

Aux nourrices.

Venez, je vais vous installer... mais il faut être plus gaie que ça, madame Chaillou, si vous voulez trouver un nourrisson...

LUBINE.

Oh ! je voudrais mourir !

PLANTUREUX.

Qu’elle est décourageante, cette Chaillou !

Tout le monde entre à droite, excepté monsieur Adolphe.

 

 

Scène III

 

MONSIEUR ADOLPHE, à son bureau, puis ÉVARISTE MARJOLET

 

MONSIEUR ADOLPHE, écrivant.

« Du 8 avril. Entré deux Bourguignonnes et un Bourguignon. »

Se reprenant.

Ah ! non ! le mari n’en est pas... grattons le mari...

Il gratte avec soin.

ÉVARISTE MARJOLET, entrant vivement par le fond.

Ô joie ! ivresse ! jubilation ! je suis père ! j’ai un petit, moi, Évariste Marjolet !... Je ne m’en doutais pas, il y a une heure, en descendant du wagon de Lille en Flandres... je rentrais chez moi... mon portier me hèle ! « Monsieur Évariste ! une lettre ! » Elle était d’Amanda... une fleuriste dont je suis le camélia... La voici.

Lisant.

« Cher Nini, ta Ninoche vient d’accoucher d’un joli petit enfant... il a ton grain de café... »

S’interrompant.

Mon grain. Le grain des Marjolet ! il faut vous dire que tous les Marjolet de père en fils ont un grain de café dans la région...

S’arrêtant.

Non ! je ne peux pas dire où ! il ne figure pas sur mon passeport...

Lisant.

« Post-scriptum : viens me voir tout de suite, et amène une nourrice. »

Avec transport.

Je suis père... de quoi ? ça doit être un garçon ! oh ! un garçon ! à moi !

Il baise la lettre.

Mais il doit avoir faim.

Criant.

À la boutique ! à la boutique !

MONSIEUR ADOLPHE, sursautant.

Que demande Monsieur ?

MARJOLET.

Une nourrice ! une nourrice !

MONSIEUR ADOLPHE.

Je vais chercher madame Pommarède...

L’apercevant qui entre.

La voici !

Il sort.

 

 

Scène IV

 

MARJOLET, MADAME POMMADÈRE, puis GOUSSEVILLE

 

MADAME POMMADÈRE, saluant Marjolet.

Monsieur...

MARJOLET.

Madame... Je suis très pressé... je voudrais une nourrice forte, bien constituée, bonne laitière... et brune !

MADAME POMMADÈRE.

Brune !... nous avons précisément une négresse...

MARJOLET.

Une négresse ! abreuver mon fils à une bouteille d’encre ?... jamais !

MADAME POMMADÈRE.

J’en ai d’autres à vous offrir... je vais les appeler... vous choisirez.

MARJOLET.

Dépêchons-nous... le petit doit avoir faim !

GOUSSEVILLE, entrant par le fond.

Bonjour, madame Pommadère.

MADAME POMMADÈRE.

Le docteur Gousseville.

MARJOLET, à part.

Ciel ! mon oncle !

Il cherche à se cacher.

GOUSSEVILLE, l’apercevant.

Mais je ne me trompe pas... C’est Évariste, mon neveu !

MARJOLET, embarrassé.

Oui, mon oncle, ça va bien ?... et vos pintades ?

À madame Pommadère.

Ce cher oncle élève des pintades !

GOUSSEVILLE.

Il ne s’agit pas de mes pintades !... Vous plairait-il de me dire pourquoi je ne vous ai pas vu depuis deux mois ?

MARJOLET.

J’étais en voyage.

GOUSSEVILLE.

En voyage ?

MARJOLET.

Occupé à placer des huiles épurées... c’est ma branche... je suis arrivé ce matin et...

GOUSSEVILLE.

Et que venez-vous faire ici ? dans un établissement de cette nature ?...

MARJOLET.

Moi ?... rien !... je me promène. Et vos pintades ?

MADAME POMMADÈRE.

Monsieur vient chercher une nourrice...

GOUSSEVILLE.

Une nourrice ! vous ! un célibataire ! que signifie, monsieur ?

MARJOLET.

Non !... je n’avais jamais vu de bureau de nourrices... alors je suis entré par curiosité... C’est une farce !

MADAME POMMADÈRE.

Une farce ! Sortez, monsieur !

GOUSSEVILLE.

Profaner d’un regard indiscret la source où vient se désaltérer l’enfance !... C’est d’un polisson !

MARJOLET.

Mon oncle !

GOUSSEVILLE.

Sortez, monsieur !

MARJOLET, à part.

Sapristi, ça va me retarder... le petit doit avoir faim.

GOUSSEVILLE.

Eh bien ?

MARJOLET.

Voilà ! Voilà !

À part.

Je vais m’asseoir au café en face et guetter la sortie de mon oncle.

Haut.

Voilà ! Voilà !

Il sort par le fond.

 

 

Scène V

 

GOUSSEVILLE, MADAME POMMADÈRE, puis MONTCHARDIN

 

GOUSSEVILLE.

Madame, veuillez excuser mon neveu... C’est un bohème.

MADAME POMMADÈRE.

Qu’y a-t-il pour votre service, docteur ?

GOUSSEVILLE.

J’ai besoin d’une nourrice... silencieuse, pas bruyante et même un peu triste... c’est pour un Anglais.

MADAME POMMADÈRE.

Justement il vient de m’en arriver une qui pleure toujours...

GOUSSEVILLE.

Pleure-t-elle sans bruit ?

MADAME POMMADÈRE.

À peine si on l’entend.

GOUSSEVILLE.

Voilà mon affaire !

MONTCHARDIN, entrant vivement par le fond et s’essuyant le front.

Madame !

MADAME POMMADÈRE.

Monsieur ?

MONTCHARDIN.

Dieu ! que j’ai chaud !... Donnez-moi tout de suite ce que vous avez de mieux... je ne regarde pas au prix... je veux quelque chose de solide, de carré !... un monument !... la tour Saint-Jacques... avec beaucoup de lait !

MADAME POMMADÈRE.

Je ne vois qu’une Auvergnate...

MONTCHARDIN.

A-t-elle des couleurs, votre Auvergnate ?

MADAME POMMADÈRE.

Ah ! vous tenez à la couleur ?

MONTCHARDIN.

Essentiellement.

MADAME POMMADÈRE.

Alors, je puis vous offrir une négresse.

MONTCHARDIN.

Voulez-vous me laisser tranquille ! Je vous demande du lait et vous m’offrez un oignon brûlé !

MADAME POMMADÈRE.

Ne vous fâchez pas !... je vais faire venir mes pensionnaires...

MONTCHARDIN.

Blanches !

MADAME POMMADÈRE.

Et vous ferez votre choix !

Elle sort à droite.

 

 

Scène VI

 

MONTCHARDIN, GOUSSEVILLE, puis MADAME POMMADÈRE

 

MONTCHARDIN.

Une négresse ! a-t-on jamais vu !...

Apercevant Gousseville et le saluant.

Ah ! pardon, monsieur... je ne vous voyais pas.

GOUSSEVILLE, saluant.

Monsieur...

MONTCHARDIN.

Vous venez sans doute choisir une nourrice ?...

GOUSSEVILLE.

Oui, monsieur... mais pas pour moi...

MONTCHARDIN, finement.

Oh ! je le pense bien !

GOUSSEVILLE, naïvement.

Tiens ! à quoi voyez-vous ça ?

MONTCHARDIN.

Mais dame !... vous me paraissez sevré.

GOUSSEVILLE.

Ah ! farceur ! Je viens pour un Anglais dont la femme est devenue mère... sans que personne se doutât qu’elle était dans une position intéressante. C’est un mystère !

MONTCHARDIN.

Monsieur, j’ai une chatte qui est exactement dans les mêmes principes... elle disparaît deux jours... et elle revient avec sa famille.

GOUSSEVILLE, saluant.

Bien charmé, monsieur, d’avoir fait votre connaissance.

Il remonte.

MONTCHARDIN.

Monsieur est marié ?

GOUSSEVILLE.

Non, monsieur, je suis jeune homme...

MONTCHARDIN.

Moi, monsieur, il m’arrive une chose bien bizarre... il faut que je vous conte ça...

GOUSSEVILLE.

Pardon... c’est que je suis un peu pressé...

MONTCHARDIN.

Non... figurez-vous que je me suis marié en 65... l’année des hannetons... je ne l’oublierai jamais...

GOUSSEVILLE.

Mais, monsieur...

MONTCHARDIN.

Et voici pourquoi... Le dimanche qui a suivi notre mariage, j’ai conduit Euphémie... ma femme... dans les bois de Romainville... et nous avons passé toute notre journée à écraser des hannetons... elle secouait les arbres et moi j’écrasais...

GOUSSEVILLE, à part.

Qu’est-ce que ça me fait, ça ?

MONTCHARDIN.

Eh bien ! monsieur, croiriez-vous que nous avons traversé une période de huit ans sans avoir d’enfants ?

GOUSSEVILLE, à part.

Parbleu ! s’il passe toutes ses journées à écraser des hannetons !

MONTCHARDIN.

De 65 à 73... comptez !

GOUSSEVILLE.

C’est inutile ! Je m’en rapporte à vous !

MONTCHARDIN.

Non ! Comptez ! De 65 à 73...

GOUSSEVILLE.

Eh bien ! Oui ! Ça fait huit ans... Là !

MONTCHARDIN.

Vous n’avez pas compté !... ça ne fait rien... Eh bien, monsieur, après huit ans d’un ménage... infructueux !... le ciel vient de nous envoyer une petite fille ! un ange ! une fleur ! une...

GOUSSEVILLE.

J’en suis bien aise...

Saluant.

Monsieur, enchanté !...

MONTCHARDIN.

Elle nous est arrivée dans des circonstances bien étonnantes... il faut que je vous conte ça...

GOUSSEVILLE.

Pardon... je suis un peu pressé...

MONTCHARDIN.

Non... j’allais partir pour Batavia... colonie hollandaise, comme vous savez...

GOUSSEVILLE.

Mais, monsieur...

MONTCHARDIN.

Vous ne le savez pas ?... La veille de mon départ, ma femme me signale une lueur d’espoir... la première !... Remettre mon voyage, c’était impossible... je l’embrasse en lui disant : tu m’écriras !

GOUSSEVILLE.

Oui, abrégez !

MONTCHARDIN.

Au Havre, je reçois une dépêche télégraphique ainsi conçue : « Anatole, tout va bien... » Je lui réponds : « Euphémie, pas d’imprudences. » C’est très commode, le télégraphe !

GOUSSEVILLE.

Pardon... je suis un peu...

MONTCHARDIN.

À Rotterdam... seconde dépêche.

GOUSSEVILLE, à part.

Sapristi !

MONTCHARDIN.

« La position se dessine... j’ai une forte envie de cerises à l’eau-de-vie. » Je lui réponds : « Ne te gratte pas ! »... L’employé du télégraphe me regardait... il avait l’air d’un idiot !

GOUSSEVILLE.

Parbleu !

MONTCHARDIN.

Enfin, je m’embarque... le paradis dans le cœur... Vous raconterai-je tous les rêves qui bercèrent ma longue traversée ?

GOUSSEVILLE.

Non ! C’est inutile !

MONTCHARDIN.

Ah ! monsieur !... j’ai passé des nuits sur le pont...

GOUSSEVILLE, criant.

Je vous dis que c’est inutile !

MONTCHARDIN.

Je débarque à Batavia, je fais mes affaires en trois jours... un vapeur chauffait pour la France, je le prends... car je voulais être revenu pour l’événement... Malédiction !

GOUSSEVILLE.

Quoi donc !

MONTCHARDIN.

Nous perdons vingt-deux jours à Sumatra pour charger du cacao ! Oh ! le cacao !

GOUSSEVILLE.

Dame ! il en faut pour le chocolat...

MONTCHARDIN.

J’arrive enfin !... je cours... je bondis jusque chez moi !... trop tard !... j’étais père depuis quinze jours !

GOUSSEVILLE.

Bah ! Du moment que vous l’étiez...

MONTCHARDIN, poétiquement.

Oui... mais je n’avais pas entendu le premier cri du nouveau-né.

GOUSSEVILLE, avec indifférence.

Ah ! Quant à ça !...

MONTCHARDIN.

Ce cri qui semble dire : « Soyez béni, ô mon père, pour m’avoir donné le jour, soyez trois fois béni ! »

GOUSSEVILLE.

Les nouveau-nés... ils ne disent pas un mot de ça ! Ils miaulent, voilà tout.

MONTCHARDIN.

Oh ! pas ma fille !... Quand elle pleure, on croirait entendre soupirer un harmonica... Ce matin, j’ai voulu la voir déjeuner, il faut que je vous conte ça.

GOUSSEVILLE.

Merci ! J’en ai assez !

MONTCHARDIN.

Je puis vous confier ça à vous qui êtes mon ami...

GOUSSEVILLE.

Moi ?

MONTCHARDIN.

J’ai découvert que la nourrice n’avait pas de lait... elle abreuvait clandestinement l’enfant avec un biberon !... Une Percheronne ! C’est honteux ! Je l’ai flanquée à la porte !

GOUSSEVILLE.

Comme médecin, je dois vous dire que le biberon...

MONTCHARDIN, vivement.

Vous êtes médecin ? Ah ! monsieur, c’est le ciel qui vous envoie !

GOUSSEVILLE.

Comment ?

MONTCHARDIN.

Pourriez-vous me dire à quoi on reconnaît une bonne nourrice ?

GOUSSEVILLE.

Mais à son lait.

MONTCHARDIN.

Et de quoi se compose le bon lait ?

GOUSSEVILLE, à part.

Ah ! Mais il m’ennuie !...

Haut.

Monsieur, le bon lait se compose d’azote, de phosphate de chaux, d’albumine et de pas mal d’iode...

MONTCHARDIN, étonné.

Sapristi ! Et nos enfants avalent tout ça !...

MADAME POMMADÈRE, entrant.

Messieurs, les nourrices vont venir...

GOUSSEVILLE, qui regarde à sa montre.

Onze heures !... j’ai une gastrite à visiter dans le quartier...

À madame Pommadère.

Veuillez me mettre de côté la nourrice dont vous m’avez parlé... je viendrai la prendre dans une demi-heure.

Saluant.

Monsieur...

MONTCHARDIN.

Monsieur...

 

 

Scène VII

 

MADAME POMMADÈRE, MONTCHARDIN, CATHERINE, LUBINE, LA PERCHERONNE, PLUSIEURS NOURRICES

 

Les nourrices rentrent. Elles tricotent des bas ou cousent des layettes.

MADAME POMMADÈRE, à Montchardin.

Voici ces dames... examinez, choisissez.

MONTCHARDIN.

Un instant ! Ceci n’est pas une petite affaire... un premier enfant que j’ai mis huit ans à voir venir.

PLANTUREUX, à part.

Un premier enfant ! Bonne pratique !

Bas à sa femme.

Avantage-toi.

Il la redresse.

MONTCHARDIN.

Voyons, mesdames... franchement quelle est la meilleure de vous toutes ?

TOUTES.

C’est moi ! C’est moi !

MONTCHARDIN.

D’abord, je vous préviens que j’ai un chimiste dans ma manche... je ferai analyser... et celles qui ne contiendront pas de l’albumine, du phosphate de chaux... et pas mal d’iode... je les flanque à la porte !

PLANTUREUX, à part.

Qu’est-ce qu’il chante là ?

À Catherine.

Avantage-toi !

MONTCHARDIN, regardant une nourrice.

Voilà une petite qui me paraît pétrie de phosphate de chaux.

PREMIÈRE NOURRICE.

Monsieur est bien honnête.

MONTCHARDIN, à madame Pommadère.

Mettez-la-moi de côté, nous y reviendrons...

À une autre nourrice.

Et vous, mon enfant, de quel pays êtes-vous ?

DEUXIÈME NOURRICE.

Je suis d’Isigny, en Normandie.

MONTCHARDIN.

Patrie du bon beurre... Le bon beurre est fils de bon lait.

À madame Pommadère.

Mettez-la-moi de côté, nous y reviendrons.

CATHERINE, bas à Plantureux.

Ah çà ! Est-ce qu’il va nous mettre toutes de côté ?

PLANTUREUX.

Avantage-toi !

MONTCHARDIN, regardant Catherine.

Ah ! Voilà une belle fille !

PLANTUREUX.

Si Monsieur voyait le poupon... c’est du lard !

CATHERINE.

Ça, pour ce qui est de graisser les enfants... je peux dire que je ne crains personne...

PLANTUREUX.

Et nous blanchissons, et nous savonnons, et nous repassons...

CATHERINE.

Et nous avons des certificats...

MONTCHARDIN.

Des certificats... de quoi ?

PLANTUREUX.

Mais, dame !... des certificats... d’abondance !

MONTCHARDIN, à madame Pommadère.

Mettez-la moi de côté... nous y reviendrons.

À part.

Je suis bien embarrassé !... elles sont toutes superbes !

Regardant Lubine, qui est pensive.

En voilà une qui a un petit air décent...

À Lubine.

Et nous, mon enfant ?

LUBINE, pleurant.

J’ai du chagrin ! heu ! heu !

MONTCHARDIN, avec intérêt.

Vraiment ?

LUBINE.

Quoi qu’y fait Chaillou dans ce moment-ci ?

MONTCHARDIN, étonné.

Plaît-il ?

PLANTUREUX.

Il fume sa pipe !

LUBINE, pleurant.

Non, y cherche des nids, le grand brigand ! heu !... je voudrais mourir !

MONTCHARDIN, à part.

Décidément, je ne la prendrai pas... son lait manque d’hilarité !

À la Percheronne qui lui tourne le dos.

Celle-ci a l’air plus gai... Tournez-vous donc un peu...

LA PERCHERONNE, se retournant.

Voilà, monsieur...

MONTCHARDIN.

Ah ! sacrebleu !

TOUS.

Quoi ?

MONTCHARDIN.

Rien !

À part.

La Percheronne !... celle que j’ai renvoyée ce matin...

MADAME POMMADÈRE.

Eh bien ! Laquelle choisissez-vous ?

MONTCHARDIN, à part.

Méfions-nous !

Haut.

Je choisis... que je ne choisis personne.

TOUS.

Comment !

MONTCHARDIN.

Je demande à réfléchir. Le médecin de l’Anglais doit revenir... Je le prierai de choisir pour moi.

PLANTUREUX, à part.

Il n’est pas coulant, le bourgeois !

MADAME POMMADÈRE.

En l’attendant, voulez-vous voir les nourrissons dans la salle à côté ?

MONTCHARDIN.

Certainement, je veux tout voir !

À part.

Mais je me méfie.

Il sort à droite.

 

 

Scène VIII

 

MADAME POMMADÈRE, CATHERINE, LUBINE, PLANTUREUX, LES NOURRICES, MARJOLET, puis GOUSSEVILLE

 

MARJOLET, entrant par le fond.

J’ai vu sortir mon oncle... Dépêchons-nous !... Le petit doit avoir faim.

MADAME POMMADÈRE.

Comment ? C’est encore vous ! Sortez, monsieur !

MARJOLET.

Par exemple !

MADAME POMMADÈRE.

Monsieur vient ici, par curiosité... pour faire ses farces !

TOUTES LES NOURRICES.

Faire ses farces !

MARJOLET.

Mais non !... j’ai dit ça devant mon oncle... voyons ! Exhibez-moi vos nourrices...

TOUTES, se récriant.

Jamais !

MARJOLET.

Mais le petit a faim, sacrebleu !... Tenez, je paie le premier mois d’avance... combien ?

MADAME POMMADÈRE.

Cinquante francs.

MARJOLET.

Les voilà !

MADAME POMMADÈRE.

Ah ! C’est différent !

TOUTES LES NOURRICES, entourant Marjolet.

Prenez-moi, monsieur, prenez-moi !

MARJOLET.

Doucement ! Doucement !

PLANTUREUX, à Marjolet.

À la place de Monsieur, je prendrais Lubine.

MARJOLET.

Lubine !

CATHERINE, bas.

Eh bien ! et moi !

PLANTUREUX, bas.

Laisse donc ! Je te garde pour l’autre.

MARJOLET.

Où prenez-vous, Lubine ?

LUBINE.

Me v’là.

MADAME POMMADÈRE.

C’est impossible. Elle est retenue.

MARJOLET.

Si elle est retenue... c’est qu’elle est bonne !... Je la prends... Allons ! en route !

GOUSSEVILLE, entrant par le fond.

Ma nourrice est-elle prête ?... Mon neveu ! encore !

MARJOLET, à part.

Ah ! bigre !

GOUSSEVILLE.

Ah çà ! vous êtes donc en pension ici ?

MARJOLET.

Non... je passais... et vos pintades ?

GOUSSEVILLE.

Que faites-vous dans ce sanctuaire ?

MARJOLET.

Je venais... vous chercher... pour un malade qui vous attend.

GOUSSEVILLE.

Où ça ?

MARJOLET.

À l’ambassade turque !

GOUSSEVILLE.

J’y cours...

À madame Pommadère.

Vite ! ma nourrice !

MARJOLET, à part.

La mienne !

GOUSSEVILLE.

Partons...

À Lubine qui reste en place.

Vous ne m’entendez donc pas !

LUBINE.

Quoi qu’y fait Chaillou dans ce moment-ci ?

GOUSSEVILLE.

Chaillou ? Qu’est-ce que c’est que ça ?

La poussant.

Voyons ! marchez !... marchez donc !

Il sort avec Lubine.

MARJOLET.

Sapristi ! il emporte ma nourrice !

À madame Pommadère.

Vite ! Donnez-m’en une autre !

MADAME POMMADÈRE.

Voulez-vous la Percheronne ?

LA PERCHERONNE.

Moi ?

MARJOLET.

A-t-elle du lait ?

MADAME POMMADÈRE.

Elle est très douce !

MARJOLET.

Va pour la Percheronne !

Marjolet sort avec la Percheronne, les nourrices entrent à droite.

 

 

Scène IX

 

PLANTUREUX, CATHERINE, MADAME POMMADÈRE, MONTCHARDIN

 

MONTCHARDIN, entrant par la gauche.

Je viens de voir les nourrissons...

CATHERINE.

Eh bien ! J’espère qu’ils sont beaux !

MONTCHARDIN, froidement.

Superbes ! Superbes !

À part, soupçonneux.

Je parie qu’elle les engraisse avec des pommes de terre et du son pour faire croire qu’elles ont du lait !

À madame Pommadère.

Le médecin est-il venu ?

MADAME POMMADÈRE.

Il sort d’ici.

MONTCHARDIN.

Comment ! Vous ne m’avez pas appelé !

PLANTUREUX.

Avant de partir, il vous a choisi une nourrice.

Bas à Catherine.

Avantage-toi !

MONTCHARDIN.

Ah bah ! Laquelle ?

PLANTUREUX, présentant Catherine.

Voilà.

MADAME POMMADÈRE, à part.

Il est malin, le Bourguignon !

MONTCHARDIN.

Eh bien ! Voilà qui est remarquable !... c’est précisément celle-là que j’aurais choisie...

À Catherine.

Je vous arrête.

PLANTUREUX.

Très bien !... va prendre ton paquet... nous avons à causer avec Monsieur des petites conditions...

MONTCHARDIN.

Quelles conditions ?

PLANTUREUX.

Oh ! presque rien !

Catherine et madame Pommadère entrent à droite.

 

 

Scène X

 

MONTCHARDIN, PLANTUREUX

 

PLANTUREUX.

Maintenant que nous voilà seuls... nous allons un peu causer de la chose.

MONTCHARDIN.

Ah çà ! vous êtes donc l’intendant de la nourrice...

Frappé d’une idée.

Ah ! mon Dieu ! son mari peut-être ?

PLANTUREUX.

Ça vous fâcherait ?

MONTCHARDIN.

C’est-à-dire qu’il n’y aurait rien de fait !

PLANTUREUX, à part.

Ah ! bigre !

MONTCHARDIN.

Je me suis solennellement promis de ne jamais introduire chez moi une nourrice mariée... c’est plein de dangers !... je la veux demoiselle !

PLANTUREUX.

Ou veuve ?

MONTCHARDIN.

Ou veuve... depuis longtemps !

PLANTUREUX.

Justement ma belle-sœur est veuve... depuis trois ans !

MONTCHARDIN.

Votre belle-sœur !... Je devine... vous êtes son beau-frère !

PLANTUREUX.

On ne peut rien vous cacher... vous me disiez donc que vous donniez soixante francs par mois... comme tout le monde.

MONTCHARDIN.

Comment ! Mais tout le monde n’en donne que cinquante !

PLANTUREUX.

Ah ! monsieur ! pour cinquante francs qu’est-ce que vous aurez ?... des méchantes Percheronnes nourries à l’herbe !

MONTCHARDIN, vivement.

Et sans lait !

PLANTUREUX.

Voyez-vous, les nourrices... il y en a à tous les prix... ça dépend du cru... et au jour d’aujourd’hui, pour avoir un bon lait de Bourguignonne... mais là... bien corsé... faut mettre soixante francs la feuillette !

MONTCHARDIN.

Comment ! la feuillette !

PLANTUREUX.

Non ! par mois !

MONTCHARDIN.

Au fait ce n’est pas dix francs de plus ou de moins... Est-ce tout ?

PLANTUREUX.

Oh ! absolument tout !... sauf le sucre, la chandelle, le savon...

MONTCHARDIN.

Qu’est-ce que vous me chantez ? Puisqu’elle sera chez moi, la nourrice !... blanchie, éclairée... et sucrée !

PLANTUREUX.

Oui, mais c’est l’usage... et vous savez, les usages... faut pas y toucher... c’est les pierres de taille de la société !

MONTCHARDIN, à part.

Il a raison... n’ébranlons pas la société !

Haut.

Vous aurez votre chandelle.

 

 

Scène XI

 

PLANTUREUX, MONTCHARDIN, CATHERINE

 

CATHERINE, avec son paquet et son enfant.

Me v’là avec le petit !

PLANTUREUX, bas à Catherine.

Attention ! t’as pas de mari... je suis ton beau-frère.

CATHERINE, bas.

À cause ?

MONTCHARDIN.

Allons, nourrice ! partons vite !

CATHERINE, remettant son nourrisson à Plantureux.

Aies-en bien soin... et ne lui fais pas boire de cassis.

PLANTUREUX.

As pas peur ! Ça les fortifie.

CATHERINE.

Adieu, Plantureux !

PLANTUREUX.

Adieu, Catherine !

Ils s’embrassent.

CATHERINE, pleurant.

Tu tâcheras de vendre notre veau.

PLANTUREUX, pleurant.

Oh ! Oui ! Combien que tu veux le vendre ?

CATHERINE, pleurant.

Quarante francs.

PLANTUREUX, pleurant.

C’est pas assez !

CATHERINE, pleurant.

Oh ! si !

PLANTUREUX, pleurant.

Oh ! non !

MONTCHARDIN, impatienté.

Allons ! dépêchons-nous ! dépêchons-nous !

À part.

Ils sont ennuyeux avec leur veau !

CATHERINE.

Tu feras gauler les noix... et tu m’écriras...

PLANTUREUX.

Par le maître d’école...

À Montchardin.

Ousque vous demeurez ?

MONTCHARDIN.

Montchardin, rue de Rivoli, 23... mais dépêchons, sacrebleu !

CATHERINE.

Adieu... tâche de vendre le veau !

MONTCHARDIN.

Encore le veau !

PLANTUREUX, s’attendrissant.

Ah ! Catherine !

CATHERINE, de même.

Ah ! Plantureux !

Ils tombent dans les bras l’un de l’autre et poussent des sanglots.

MONTCHARDIN.

Allons ! assez ! en voilà assez !

Les séparant. Haut.

Voyons, nourrice !

Elle sort par le fond, entraînée par Montchardin.

 

 

Scène XII

 

PLANTUREUX, puis MARJOLET, avec LA PERCHERONNE, puis MADAME POMMADÈRE et LES NOURRICES

 

PLANTUREUX, seul, tenant son nourrisson.

Ça me fait de l’effet tout de même ! Oh ! oui, que je vendrai plus de quarante francs !... un veau de six semaines... nourri à l’orge !

Jetant un cri et secouant sa main.

Ah ! bon !... v’là Plantureux qu’a filtré !... c’est-y ça une conduite !... faut que je lui passe une couche !

Il s’assied au fond près du poêle en tournant le dos au public.

MARJOLET, entrant, suivi de la Percheronne.

Je rapporte la nourrice... je n’en ai plus besoin !

À la nourrice.

Restez là !... Je viens de chez Amanda... personne ! L’appartement est à louer... elle est déménagée depuis quinze jours !... Sa lettre a trois semaines de date !... Qu’est-elle devenue ? Et mon fils !... Je crois que je suis sur la piste !... J’ai fouillé l’appartement et j’ai trouvé dans la cheminée cette carte de visite... avec ces mots écrits au crayon...

Lisant.

« Votre enfant va bien. »

Parlé.

L’enfant d’Amanda, par conséquent le mien !

Lisant.

« Surtout pas un mot devant mon mari qui est de retour. Euphémie Montchardin. » Pas d’adresse ! Où demeure cette Montchardin ?

PLANTUREUX, au fond.

Il vient d’en sortir un... Montchardin...

MARJOLET, vivement.

D’ici ?

PLANTUREUX.

Avec une nourrice.

MARJOLET.

Une nourrice ! C’est bien ça !

À Plantureux.

Son adresse ?

PLANTUREUX.

Rue de Rivoli, 23...

MARJOLET.

Rue de Rivoli !... Oh ! merci, mon Dieu ! Je retrouverai mon enfant.

Il va pour sortir et se trouve empêché par les nourrices qui sont entrées et se promènent en endormant leur nourrisson. Il bouscule les nourrices qui jettent des cris ; les nourrissons se réveillent et se mettent à crier.

 

 

ACTE II

 

Un salon chez Montchardin. Porte au fond. Portes latérales. Un berceau. Cheminée à gauche. Une table à droite. Chaises, fauteuils.

 

 

Scène première

 

MONTCHARDIN, puis ZACHARIE

 

Au lever du rideau, Montchardin est assis sur une chaise près du berceau, il tient dans ses bras sa petite fille emmaillotée ; il la berce en chantant.

MONTCHARDIN, chantant sur un air monotone.

Dodo, dors, ma poulette ;
Dodo, dors, mon poulot.

On entend jouer du piano au-dessus.

Allons ! bien ! le piano de la voisine qui commence son vacarme !

Reprenant son chant.

Dodo, dors, ma poulette.

Un chien aboie dans la rue. Parlé.

Nom d’un chien !... Est-ce qu’il ne va pas finir !

Reprenant.

Dodo, dors, mon poulot.

ZACHARIE, entrant vivement par le fond.

Monsieur !... voilà votre bois qui arrive !

MONTCHARDIN.

Chut donc !... sacrebleu !

ZACHARIE.

Quoi ?

MONTCHARDIN.

Tu vas réveiller la petite !... parle bas !

ZACHARIE, très bas.

Monsieur, c’est votre bois qui arrive !

MONTCHARDIN, très bas.

Va chercher deux commissionnaires... et tu le feras scier... sans bruit.

ZACHARIE, très bas.

En combien de traits ?

MONTCHARDIN, très bas.

Deux... et trois pour le poêle... Que fait la nourrice ?

ZACHARIE, bas.

Elle déjeune.

MONTCHARDIN, bas.

Bien... va-t’en sans bruit... sans bruit !

ZACHARIE, s’en allant sur la pointe des pieds, et très bas.

Oui, monsieur... oui, monsieur...

Il fait un faux pas et trébuche.

Oh !

MONTCHARDIN.

Animal !

Zacharie sort.

 

 

Scène II

 

MONTCHARDIN, puis MADAME MONTCHARDIN

 

MONTCHARDIN.

Il faudra que je lui fasse porter des chaussons de lisière.

MADAME MONTCHARDIN, entrant par la gauche. Elle s’occupe à coudre une petite brassière.

Mon ami, ton bois vient d’arriver...

MONTCHARDIN.

Mais je le sais bien !... plus bas !... ils sont tous à me parler de mon bois !

MADAME MONTCHARDIN, toussant.

Hum !... J’ai mal à la gorge !

MONTCHARDIN.

Mais tais-toi donc !

MADAME MONTCHARDIN.

Ah ! tu es insupportable avec ta fille ! Si je t’écoutais, j’irais tousser dans la cave.

MONTCHARDIN.

Je vais bien me moucher dans la cour, moi !... Où est la nourrice ?

MADAME MONTCHARDIN.

Elle déjeune.

MONTCHARDIN.

Ah çà ! elle déjeune donc toute la journée, cette créature-là ? Quel vin lui as-tu donné ?

MADAME MONTCHARDIN.

La bouteille qui avait une épingle sur le bouchon...

MONTCHARDIN.

Très bien... ce matin, j’y ai introduit furtivement une douzaine de clous.

MADAME MONTCHARDIN.

Des clous ? Tu veux donc l’étrangler.

MONTCHARDIN.

Non !... C’est pour rendre son lait ferrugineux... C’est plus fortifiant ! J’ai consulté...

MADAME MONTCHARDIN.

Dieu merci, la petite n’est pas faible !

MONTCHARDIN.

Je m’en aperçois... c’est un petit plomb...

MADAME MONTCHARDIN.

Veux-tu me la donner ?

MONTCHARDIN, vivement.

Non ! Elle est si gentille !... Regarde donc comme elle me ressemble ?...

MADAME MONTCHARDIN.

Par exemple !... C’est à moi...

MONTCHARDIN.

Elle a peut-être le commencement de ton nez... mais la fin est de moi... et puis elle a mes petites fossettes...

MADAME MONTCHARDIN.

Tes fossettes ?... Tes rides !

MONTCHARDIN, à sa fille.

Cher petit chou !... Ah ! il était temps qu’elle arrivât !... Je ne te le cache pas... Je commençais à m’ennuyer chez moi !...

MADAME MONTCHARDIN.

Merci bien.

MONTCHARDIN.

Je bâillais... As-tu remarqué comme je bâillais ?

MADAME MONTCHARDIN.

Tu me disais que c’étaient des crampes d’estomac...

MONTCHARDIN.

Pour ne pas te désobliger... mais c’étaient des crampes... d’ennui !

MADAME MONTCHARDIN.

Ah ! Anatole !

MONTCHARDIN.

C’est au point... je puis te le dire maintenant qu’il n’y a plus de danger... c’est au point qu’il me venait parfois de vagues pensées de Jardin Mabille ou de Folies-Nouvelles...

MADAME MONTCHARDIN.

Oh ! tais-toi !

MONTCHARDIN, vivement.

C’est vrai !... devant ma fille ! Mais je ne m’ennuie plus... je ne veux plus sortir... excepté pour aller faire ma visite au médecin qui t’a prêté le secours de son art dans cette circonstance solennelle.

MADAME MONTCHARDIN, très troublée.

Hein ? Pourquoi ? Quelle idée ?

MONTCHARDIN.

Quand cela ne serait que par politesse... car je ne l’ai jamais vu...

MADAME MONTCHARDIN.

Oui... plus tard... il est malade... il est à Vichy !

MONTCHARDIN.

Alors, j’irai lui déposer ma carte... où demeure-t-il ?

MADAME MONTCHARDIN.

Je ne sais pas.

MONTCHARDIN.

Comment ?

MADAME MONTCHARDIN.

Très loin... de l’autre côté de l’eau... puisqu’il est absent...

MONTCHARDIN.

Qu’est-ce que tu as ?

MADAME MONTCHARDIN.

Rien... absolument rien !

Voyant Catherine, vivement.

Tiens, voilà la nourrice !

 

 

Scène III

 

MONTCHARDIN, MADAME MONTCHARDIN, CATHERINE, puis ZACHARIE

 

MONTCHARDIN.

Ah ! nourrice, prenez donc votre enfant...

Il le lui donne.

J’ai le bras droit à l’état de fourmilière.

CATHERINE.

Monsieur, v’là ce que j’ons trouvé dans mon gobelet...

MADAME MONTCHARDIN.

Un clou !

MONTCHARDIN, à part.

Un de mes douze !...

Haut à Catherine.

Je vais vous dire... À Paris, pour rincer les bouteilles, on met du plomb... Alors, quelquefois... on retrouve des clous... et vous avez bien déjeuné du reste ?

CATHERINE, avec humeur.

Ma foi !

MONTCHARDIN et MADAME MONTCHARDIN.

Hein ?

CATHERINE.

J’aime pas l’anguille, moi !... Ces bêtes-là, c’est plein d’arêtes... ça se mange de peur !

MONTCHARDIN, avec douceur.

Mais vous aviez du fricandeau...

CATHERINE.

J’aime pas le fricandeau !

MADAME MONTCHARDIN.

Il faut peut-être vous servir des perdreaux truffés ?

CATHERINE.

Mais...

MONTCHARDIN, à sa femme.

Prends garde de la contrarier.

À Catherine.

Ce soir, nous avons un gigot... un bon gros gigot !

CATHERINE.

Avec de l’ail ?

MONTCHARDIN.

Non... mais on en mettra...

MADAME MONTCHARDIN.

Par exemple !

MONTCHARDIN, bas.

Dans la salade ! Tu n’en manges pas.

L’enfant jette un cri.

CATHERINE, la prenant.

La v’là qui ouvre les yeux...

MONTCHARDIN, la contemplant.

L’aurore aux doigts de rose !... comme dit Corneille !

CATHERINE, à l’enfant.

Disons un beau bonjour à maman ?... Bonjour, maman !

MONTCHARDIN, jaloux.

Eh ! bien !... et à moi ?

CATHERINE.

Bonjour, papa !

MONTCHARDIN.

Bonjour, ma fille.

CATHERINE, à l’enfant.

Disons encore quelque chose à papa...

MONTCHARDIN.

Oh ! oui !... dis-moi encore quelque chose.

MADAME MONTCHARDIN.

Un enfant de sept jours ! Êtes-vous fous ?

CATHERINE, parlant pour l’enfant.

« Papa... »

MONTCHARDIN, à l’enfant.

Ma fille...

CATHERINE, même jeu.

Veux-tu être bien gentil, bien gentil ?...

MONTCHARDIN.

Oui, ma fille...

CATHERINE, même jeu.

« Alors il faut donner un fichu à nounou !... »

MADAME MONTCHARDIN, à part.

Bien !

MONTCHARDIN, à part.

Hein ?... je suis pincé ! Comme cette gaillarde entend la carotte !

Haut, donnant vingt francs à Catherine.

Tenez, nounou, voilà vingt francs pour le fichu... mais il ne faut plus la faire parler... ça fatigue les enfants.

CATHERINE, prenant l’argent.

Maintenant nous allons prendre notre second déjeuner...

Elle remonte, s’assied et tourne le dos au public.

MONTCHARDIN.

À la bonne heure ! pas de biberon, celle-là !

ZACHARIE, entrant, très bas.

Monsieur, on scie votre bois.

MONTCHARDIN.

Tu peux parler, elle ne dort plus !

ZACHARIE.

Tiens, c’est vrai !

Il s’approche de la nourrice pour regarder.

MONTCHARDIN, apercevant Zacharie en contemplation, et lui donnant un coup de pied.

Eh bien ?

ZACHARIE.

Oh !

MONTCHARDIN.

Qu’est-ce que vous faites là ?

ZACHARIE.

Monsieur, je regarde l’enfant !

MONTCHARDIN.

Vous ne devez pas regarder.

ZACHARIE.

Elle vous ressemble !

MONTCHARDIN, se radoucissant.

Ah ! tu trouves ?... Elle a ma fossette, n’est-ce pas ?

ZACHARIE.

C’est frappant.

MONTCHARDIN.

C’est égal, nourrice, passez par là !... loin des regards indiscrets.

Il indique la droite.

MADAME MONTCHARDIN.

Moi, je vais faire chauffer la bouillie... Zacharie, soufflez le feu.

MONTCHARDIN.

Moi, je ne quitte pas l’enfant... je ne me lasse pas de le contempler.

Catherine et Montchardin entrent à droite.

 

 

Scène IV

 

MADAME MONTCHARDIN, ZACHARIE, puis MARJOLET

 

ZACHARIE, qui a pris le soufflet.

Ah ! madame ! j’oubliais !... Il y a dans l’antichambre un monsieur avec une figure effarouchée... qui demande à vous parler seul à seul.

MADAME MONTCHARDIN.

Une figure effarouchée ?... Son nom ?

ZACHARIE.

V’là sa carte.

MADAME MONTCHARDIN, lisant.

« Évariste Marjolet »... Je ne connais pas... Faites entrer.

ZACHARIE, à la cantonade.

Entrez, monsieur... entrez !

MARJOLET, paraît et salue.

C’est bien madame Montchardin que j’ai l’honneur de saluer ?

MADAME MONTCHARDIN.

Elle-même, monsieur... Que désirez-vous ?

Zacharie s’approche pour écouter.

MARJOLET, très grave.

L’affaire dont j’ai à vous entretenir est grave, délicate et contentieuse... Veuillez faire sortir votre livrée.

MADAME MONTCHARDIN, à Zacharie.

Laissez-nous !

ZACHARIE.

Voilà, madame.

À part, en sortant.

Ça doit être un notaire.

Il sort.

 

 

Scène V

 

MARJOLET, MADAME MONTCHARDIN

 

MADAME MONTCHARDIN.

Parlez, monsieur.

MARJOLET.

Personne ne peut nous entendre ?

MADAME MONTCHARDIN.

Personne !... Quel mystère !

MARJOLET.

Évariste Marjolet... voyageur pour les huiles épurées et représentant de la maison Machonard, Plantoir et Cie.

MADAME MONTCHARDIN.

Ah ! je comprends... mais dans ce moment, je n’ai besoin de rien... D’ailleurs je prends chez l’épicier...

MARJOLET.

Madame, je n’ai pas de conseils à vous donner... mais méfiez-vous des épiciers...

MADAME MONTCHARDIN.

Comment ?

MARJOLET.

Ils vous fourrent de l’huile blanche très parfaitement... tandis que la maison Machonard, Plantoir et Cie...

MADAME MONTCHARDIN, impatientée.

Mais, monsieur...

MARJOLET.

C’est juste ! Je ne suis pas venu pour ça... Personne ne peut nous entendre ?

MADAME MONTCHARDIN.

Mais non, monsieur !

MARJOLET.

Hélas ! Je vais vous porter un coup cruel... mais rassurez-vous ! je saurai prendre tous les ménagements qu’un homme bien élevé doit à une femme du monde.

Changeant de ton, et très brusquement.

Madame, je viens chercher l’enfant !

MADAME MONTCHARDIN, très étonnée, et sans comprendre.

Vous venez chercher l’enfant ?... Quel enfant ?

MARJOLET.

Eh bien ! mais... le mien ! le petit Marjolet.

MADAME MONTCHARDIN.

Je ne l’ai pas, moi, le petit Marjolet !

MARJOLET.

Vous allez me comprendre... Je suis l’ami... l’ami intime d’une fleuriste appelée Amanda...

MADAME MONTCHARDIN, effrayée.

Chut ! plus bas !

MARJOLET.

Je n’insiste pas... Veuillez donc avoir l’obligeance de me remettre l’enfant !

MADAME MONTCHARDIN.

Mais quel enfant ? Je ne sais pas ce que vous voulez dire...

MARJOLET.

Je m’y attendais... Alors permettez-moi de clarifier la situation en vous donnant lecture d’une lettre d’Amanda que je viens de recevoir en rentrant chez moi !...

MADAME MONTCHARDIN.

Mais, monsieur...

MARJOLET.

C’est très court...

Lisant.

« Grande girafe. »

Parlé.

C’est moi.

Lisant.

« Rebut des hommes. »

Parlé.

C’est encore moi !

Lisant.

« Puisque vous ne m’avez pas répondu, puisque vous ne m’avez pas envoyé de nourrice... je vois bien que vous avez la chose de me planter là... du reste, ça ne m’étonne pas de la part d’un jeune homme qui porte des gants de coton... »

Parlé.

Ceci est un détail de toilette.

Lisant.

« J’ai trouvé une famille riche qui avait besoin d’un enfant... je lui ai confié le nôtre pour toujours... Si vous voulez le retrouver, cherchez-le !... » Quant à moi, je pars pour les Indes avec une pacotille... » Post-scriptum : Vous n’êtes qu’un singe sans foi et sans honneur ! – Marseille, fait à bord du Crocodile. »

Parlé.

Eh bien, madame ?

MADAME MONTCHARDIN.

Eh bien, monsieur, je vois que vous avez un enfant, que cet enfant a été adopté par une famille riche et que vous êtes à sa recherche...

MARJOLET.

C’est parfaitement ça.

MADAME MONTCHARDIN.

Ah çà ! Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ?

MARJOLET.

Comment ?

MADAME MONTCHARDIN.

Pourquoi venez-vous chez moi me conter ça ? Si vous perdez vos enfants, ça ne me regarde pas.

MARJOLET.

Vous croyez ?... Permettez-moi de clarifier encore la situation, en vous donnant lecture d’un autre billet... Oh ! mon dossier est parfaitement en règle !

MADAME MONTCHARDIN.

Mais, monsieur, je n’ai pas le temps...

MARJOLET, tirant une carte de visite de sa poche.

C’est très court... quelques mots au crayon sur une carte de visite...

Lisant.

« Votre enfant va bien. »

MADAME MONTCHARDIN.

Hein ?

MARJOLET, continuant.

« Surtout pas un mot devant mon mari qui est de retour. Euphémie Montchardin. »

MADAME MONTCHARDIN, effrayée.

Ah ! mon Dieu !... Cette carte entre vos mains !... Que prétendez-vous ?

MARJOLET.

Suivez bien mon raisonnement : d’un côté Amanda confie son enfant à une famille riche... de l’autre vous lui écrivez : « votre enfant »... « votre enfant !... va bien. » Donc, la famille riche, c’est vous ; donc l’enfant que vous avez est celui d’Amanda ; donc, rendez-moi l’enfant !

MADAME MONTCHARDIN, bondissant.

Par exemple !

MARJOLET.

C’est clair, c’est limpide, comme l’huile de la maison Machonard, Plantoir et Cie !

MADAME MONTCHARDIN.

C’est faux, monsieur ! Je le soutiendrai ! Je le prouverai !

MARJOLET, triomphant.

Et le grain ! le grain des Marjolet !

MADAME MONTCHARDIN.

Quel grain ?

MARJOLET.

Votre affaire est déplorable ! Le grand Salomon n’en ferait qu’une bouchée !... Donc, rendez-moi l’enfant !

MADAME MONTCHARDIN.

Jamais !

MARJOLET.

Est-ce un garçon ?

MADAME MONTCHARDIN.

Mais, monsieur, je suis sa mère... sa vraie mère ! je le jure à la face du ciel !

MARJOLET.

Alors pourquoi écrivez-vous à Amanda : « Votre enfant va bien » ? S’il est le sien, il n’est pas le vôtre... Sortez de là ou rendez-moi l’enfant !

MADAME MONTCHARDIN.

Vous saurez tout... l’aveu que je vais vous faire est pénible pour une femme... Mais, quoi qu’il m’en coûte, je dois dissiper votre erreur...

MARJOLET.

Parlez, madame...

À part.

Elle a préparé son petit fabliau !

MADAME MONTCHARDIN.

Vous saurez dans quelle circonstance j’ai connu mademoiselle Amanda, mais jurez-moi le secret... Devant mon mari surtout !

MARJOLET.

Soyez tranquille... j’ai vécu. Personne plus que moi n’a promené ses doigts sur les touches de l’harmonica social !

À part.

Soyons homme du monde !

MADAME MONTCHARDIN.

Il y a deux mois... malgré ma position... malgré la défense de mon médecin... j’eus l’imprudence de sortir seule... à pied...

MARJOLET, gouaillant.

Ah ! Ce n’était pas raisonnable !

MADAME MONTCHARDIN.

Arrivée à la hauteur de l’arcade Colbert... rue Richelieu... près du poste...

MARJOLET.

Je vois ça d’ici...

MADAME MONTCHARDIN.

Je fus coudoyée par un homme ivre... Que vous dirai-je ? Le saisissement, la frayeur... je perdis le sentiment de moi-même... Quand je rouvris les yeux... je reconnus qu’on m’avait transportée au poste occupé par le 76e de ligne...

MARJOLET.

Comment ! dans le corps de garde !

MADAME MONTCHARDIN.

Oh ! vous ne le direz pas à Montchardin, n’est-ce pas ?... Je lui ai toujours caché ce détail... un docteur, que je n’ai jamais revu depuis, se trouvait près de moi et donnait ses dernières instructions à une jeune fille, costumée en Pierrette... mademoiselle Amanda...

MARJOLET.

Amanda !

MADAME MONTCHARDIN.

...mise au violon pour des propos sans doute... car le caporal les qualifiait de cancan.

MARJOLET.

Oui, je sais ce que c’est !

MADAME MONTCHARDIN.

Vous dire les soins, les attentions que me prodigua cette pauvre Amanda, c’est chose impossible !... aussi, à peine rétablie, ma première visite fut pour elle... Ne l’ayant pas rencontrée, j’écrivis sur ma carte : « Votre enfant va bien », voulant ainsi lui témoigner ma reconnaissance pour les premiers soins qu’elle avait donnés au mien. Voilà, monsieur, l’exacte vérité.

MARJOLET.

Ça ferait un joli petit roman-feuilleton... avec des bois par exemple !... le 76e de ligne d’un côté, Amanda en Pierrette de l’autre...

MADAME MONTCHARDIN.

Comment ! monsieur !

MARJOLET.

Madame, votre historiette est palpitante, mais vous me permettrez de ne pas en avaler une seule goutte.

MADAME MONTCHARDIN.

Vous ne me croyez pas ?

MARJOLET.

Non, madame ! Ce nouveau-né qui éclate comme une bombe dans un corps de garde. Ce n’est pas à moi qu’il faut conter ces choses-là !... Pour la dernière fois, voulez-vous avoir l’obligeance de me remettre l’enfant ?

MADAME MONTCHARDIN.

Jamais !

Avec exaltation.

Vous parlez à une mère, à une lionne, à une tigresse !

MARJOLET, s’approchant.

Mais, madame...

MADAME MONTCHARDIN.

N’approchez pas ! J’ai des griffes !

MARJOLET.

Loin de moi la pensée de faire leur connaissance. Je suis homme du monde... mais Monsieur votre mari sera sans doute plus traitable et je vais lui communiquer le dossier.

MADAME MONTCHARDIN.

À mon mari ? Mais c’est me perdre... il était absent, il ne sait rien... il doutera... il vous croira peut-être...

MARJOLET.

Voyons, madame, je ne suis pas un ogre... et par égard pour la difficulté de votre situation... je vous donne trois jours.

MADAME MONTCHARDIN.

Trois jours !

MARJOLET.

Pour inventer une nouvelle histoire et préparer Monsieur votre mari.

MADAME MONTCHARDIN.

Jamais !

MARJOLET.

Alors je vais lui communiquer mon dossier.

MADAME MONTCHARDIN, vivement.

Arrêtez !

MARJOLET.

Alors je vous donne trois jours !

MADAME MONTCHARDIN.

Que faire ?

MARJOLET.

Mais à une condition !... pendant ces trois jours, vous me laissez voir mon fils... car c’est un garçon n’est-ce pas ?

MADAME MONTCHARDIN.

Mais non, monsieur, c’est une fille !

MARJOLET, contrarié.

Ah !... ce n’est qu’une fille ?... C’est fâcheux... parce qu’un garçon... je l’aurais mis dans l’huile... enfin !... vous me laissez voir ma fille... ma fille blanche et rose !

MADAME MONTCHARDIN, à part.

Et ne pouvoir le faire jeter à la porte !

MARJOLET.

Vous me permettrez de la contempler... de l’embrasser... à toute heure !

MADAME MONTCHARDIN.

C’est impossible !

MARJOLET.

Alors je vais trouver Monsieur votre mari !

MADAME MONTCHARDIN, l’arrêtant.

Non !... cherchez un moyen de vous introduire ici... sans me compromettre... et je ne vous démentirai pas.

MARJOLET.

Un moyen ?... Je le trouverai !... Je l’ai trouvé !... À bientôt, madame, à bientôt !

S’approchant d’elle avec douceur.

Voyons ! du courage ! Vous en achèterez une autre !

MADAME MONTCHARDIN, furieuse.

Monsieur !

MARJOLET, sortant.

À bientôt, à bientôt !

Il sort par le fond.

 

 

Scène VI

 

MADAME MONTCHARDIN, puis ZACHARIE

 

MADAME MONTCHARDIN, seule.

Oh ! s’il croit que je me laisserai enlever ma fille !... car c’est bien ma fille... Quand je devrais appeler en témoignage tout le 76e de ligne... non !... il est en Afrique... et Amanda est aux Grandes Indes... Que faire ? et cet homme va revenir.

Elle sonne vivement. Zacharie paraît.

Si ce monsieur qui sort d’ici se représente jamais...

ZACHARIE.

Le notaire ?

MADAME MONTCHARDIN.

Lui !... c’est un mendiant ! un voleur !... Vous ne le laisserez pas entrer... vous direz que je suis en voyage à Nice... ou à Buenos-Aires.

ZACHARIE.

Bien, madame.

Il sort.

 

 

Scène VII

 

MADAME MONTCHARDIN, puis MONTCHARDIN

 

MADAME MONTCHARDIN, seule.

Mais cela ne suffit pas... il faut quitter Paris... à l’instant !... Ah ! quelle idée !

MONTCHARDIN, entrant.

La bouillie est-elle prête ?

MADAME MONTCHARDIN.

Il s’agit bien de cela !... Montchardin, aimes-tu ta fille ?

MONTCHARDIN.

Si je l’aime !

MADAME MONTCHARDIN.

Eh bien ! Il faut partir... Il règne à Paris une épidémie sur les enfants... la cocotte... l’affreuse cocotte.

MONTCHARDIN.

Ah ! mon Dieu !... Je ne sais pas ce qu’est... mais qui t’a dit ?

MADAME MONTCHARDIN.

Je viens de l’apprendre... On ne parle que de ça !

MONTCHARDIN.

Vite ! Nos malles ! nos paquets !... J’irai tantôt louer une maison aux environs de Paris ; nous pourrons nous y installer demain matin.

MADAME MONTCHARDIN.

Non ! Ce soir !... et nous ne donnerons notre adresse à personne.

MONTCHARDIN.

Pourquoi ?

MADAME MONTCHARDIN.

On pourrait venir nous visiter... et dame ! La cocotte... ça s’apporte !

MONTCHARDIN.

C’est juste ! Pauvre enfant ! Nous partirons ce soir !

MADAME MONTCHARDIN, à part.

Je suis sauvée !

Haut.

Je vais faire les malles.

Elle sort à gauche.

 

 

Scène VIII

 

MADAME MONTCHARDIN, MONTCHARDIN, GOUSSEVILLE

 

GOUSSEVILLE, entrant par le fond.

Pardon de vous déranger... mais je viens savoir quels sont les motifs qui vous empêchent de monter votre garde ?

MADAME MONTCHARDIN, à part, reconnaissant Gousseville.

Ah ! mon Dieu ! Lui !

Elle cherche à se cacher.

MONTCHARDIN.

Tiens ! Vous êtes le docteur que j’ai vu ce matin au bureau...

GOUSSEVILLE.

Oui, mais je suis aussi sergent-major et je viens savoir quels sont les motifs...

MONTCHARDIN.

C’est bien simple... nous allons partir... demandez à ma femme...

GOUSSEVILLE.

Ah ! pardon, madame...

À part.

Tiens ! ma cliente du poste de la rue de Richelieu !

MADAME MONTCHARDIN, bas à Gousseville.

Silence ! Vous ne me connaissez pas !

MONTCHARDIN.

Qu’avez-vous donc ?

MADAME MONTCHARDIN.

Rien !

GOUSSEVILLE.

C’est moi qui ai eu l’honneur de...

MONTCHARDIN.

L’honneur de... de quoi ?

GOUSSEVILLE.

Mais...

MADAME MONTCHARDIN.

J’ai eu l’avantage de rencontrer Monsieur chez une de mes amies dont il est le médecin.

GOUSSEVILLE.

Rue Richelieu, près de l’arcade...

MADAME MONTCHARDIN.

Au coin du boulevard.

GOUSSEVILLE.

Non !... c’est-à-dire... si !

MONTCHARDIN.

L’arcade Colbert au coin du boulevard... mais...

GOUSSEVILLE, à part.

Quel est ce mystère ?

MONTCHARDIN.

Docteur... donnez-moi votre opinion franche sur l’épidémie !

GOUSSEVILLE.

Quelle épidémie ?

MONTCHARDIN.

La cocotte !

MADAME MONTCHARDIN.

La cocotte !

GOUSSEVILLE.

Quelle cocotte ?

MADAME MONTCHARDIN.

Celle qui règne sur les enfants...

Bas à Gousseville.

Mais dites donc comme moi !

GOUSSEVILLE.

Aïe !

MONTCHARDIN.

Quoi ?

GOUSSEVILLE.

Mais tout cela ne me dit pas quels sont les motifs qui vous empêchent de monter votre garde.

MONTCHARDIN.

Je cherche une maison de campagne.

GOUSSEVILLE.

Mais ce n’est pas une raison... Ah ! vous cherchez une maison de campagne ?

MADAME MONTCHARDIN.

Tout de suite !

MONTCHARDIN.

Près Paris !

GOUSSEVILLE.

J’en ai justement une à louer.

MONTCHARDIN.

Où ?

GOUSSEVILLE.

À Asnières.

MADAME MONTCHARDIN.

Combien ?

GOUSSEVILLE.

Dix-huit mille francs.

MONTCHARDIN.

Meublée ?

GOUSSEVILLE.

Par endroits.

MONTCHARDIN.

Je la prends !

MADAME MONTCHARDIN.

Nous la prenons !

GOUSSEVILLE.

Ah ! bah !...

À part.

Eh bien ! Ils sont ronds en affaires !

Haut.

Je vais la faire mettre en ordre, ôter les toiles d’araignée, et vous pourrez entrer demain matin.

MADAME MONTCHARDIN.

Non, ce soir !

MONTCHARDIN.

La cocotte !

GOUSSEVILLE.

Encore la cocotte !... Ce soir, soit !

MADAME MONTCHARDIN, sortant.

Moi, je vais préparer les paquets.

Gousseville sort.

 

 

Scène IX

 

MONTCHARDIN, puis MARJOLET, puis CATHERINE, puis ZACHARIE

 

MONTCHARDIN, seul.

Vite ! mes paquets !... mes rasoirs... Quelle horrible maladie que cette cocotte ! Je ne sais pas ce que c’est... mais rien que d’y penser...

MARJOLET, entrant par le fond. Costume de paysan, chapeau tromblon, boucles d’oreilles. Parlant à la cantonade.

Puisque je voulons parler à la nourrice !

MONTCHARDIN.

Un paysan !

MARJOLET, à part.

C’est moi... Voilà mon moyen !

MONTCHARDIN.

Que demandez-vous ?

MARJOLET, à part.

Oh ! le mari !

Haut, avec l’accent campagnard.

Je demandons la nourrice !

MONTCHARDIN.

C’est impossible !... Elle est dans l’exercice de ses fonctions... D’ailleurs je n’aime pas qu’elle reçoive des visites du sexe masculin... Confiez-moi ce que vous avez à lui dire et je le lui transmettrai...

MARJOLET, à part.

Diable !

Haut.

C’est que... je voulons lui dire... Comment que ça va, monsieur Montchardin ?

MONTCHARDIN.

Très bien, mon ami, très bien !... Dépêchez-vous, je suis très pressé !

MARJOLET.

Oui... fichu temps ! faudrait de l’eau pour les avoines...

MONTCHARDIN, à part.

Ah çà ! si c’est pour causer agriculture !

CATHERINE, entrant.

Madame, ousqu’est les couches ?

MARJOLET, à part.

La nourrice !

MONTCHARDIN, à part.

Sapristi !

Haut à Marjolet.

Voyons ! dépêchez-vous de lui parler ! Je veux être là... et comme j’ai affaire...

MARJOLET.

Voilà !...

À part.

Pas moyen de la prévenir.

Haut.

Bonjour, la Catherine !...

CATHERINE, à part.

Qui que c’est que cet homme-là ?

MARJOLET.

Ah ! oui ! Qu’y faudrait de l’eau pour les avoines !

MONTCHARDIN, impatienté.

Laissez vos avoines tranquilles !... et finissons-en !

MARJOLET, à Montchardin.

Vous permettez ?

Il s’approche de Catherine et l’embrasse.

Bonjour, la Catherine !

CATHERINE, se reculant.

Hein !

MONTCHARDIN, les séparant.

Eh bien ! Voulez-vous finir !... Voilà précisément ce que je ne veux pas !

La voix de MADAME MONTCHARDIN dans la coulisse.

Montchardin, viens mettre tes habits dans la malle !

MONTCHARDIN.

Tout de suite !

À part.

Mais je ne peux pas les laisser ensemble !

ZACHARIE, entrant.

Monsieur, votre bois est scié !

MONTCHARDIN.

Ah !... Zacharie !

Bas.

Ne bouge pas d’ici... et surveille-les !

ZACHARIE.

Qui ça ?

MONTCHARDIN.

Elle et lui !

La voix de MADAME MONTCHARDIN.

Allons donc ! Montchardin !

MONTCHARDIN.

Voilà ! voilà !

À part.

Une veuve !... c’est peut-être un amoureux !

À Zacharie.

Ne bouge pas d’ici !

Il entre à gauche.

 

 

Scène X

 

MARJOLET, CATHERINE, ZACHARIE

 

MARJOLET.

Parti !

CATHERINE.

Quoi que vous me voulez ?

MARJOLET.

Chut ! L’enfant est à moi... c’est un secret ! Ne le dites à personne !

CATHERINE.

Ah ! bah !

ZACHARIE.

Vous êtes le père ?

MARJOLET.

Oui !

Il leur donne de l’or à chacun.

Tenez !... tenez !... Silence !

CATHERINE.

Vingt francs ?

ZACHARIE.

Vingt francs ?

MARJOLET, à Catherine.

Je t’en donnerai autant tous les matins... pendant trois jours... à une condition... tu diras que je suis ton mari !

CATHERINE.

Mon homme ?...

ZACHARIE.

Ah bah ! ah bah !

CATHERINE.

Mais ça n’ira pas plus loin !

MARJOLET.

Allons donc ! Une paysanne !... tu ne me fais pas plus d’effet, vois-tu... qu’un casseur de pierres !

CATHERINE, vexée.

Eh bien ! il est poli !

MARJOLET.

Comme ça, je pourrai entrer, sortir, la voir tous les jours !... Conduis-moi près d’elle... vite ! dépêchons !

 

 

Scène XI

 

MARJOLET, CATHERINE, ZACHARIE, MADAME MONTCHARDIN

 

MADAME MONTCHARDIN, sortant de sa chambre avec des cartons.

Quel est cet homme ?

Le reconnaissant.

Ah ! mon Dieu ! lui !

MARJOLET, bas à madame Montchardin.

Ne craignez rien... Je suis homme du monde... Je ne vous compromettrai pas, mais je veux voir ma fille.

MADAME MONTCHARDIN, apercevant Montchardin qui entre.

Dieu ! mon mari !

 

 

Scène XII

 

MARJOLET, CATHERINE, ZACHARIE, MADAME MONTCHARDIN, MONTCHARDIN

 

MONTCHARDIN, apercevant Marjolet.

Vous êtes encore là ?

MADAME MONTCHARDIN, à part.

Que dire ?

CATHERINE.

C’est not’ homme !

MONTCHARDIN.

Un mari ! ah ! mais ce n’était pas convenu...

À Catherine.

Vous m’aviez dit que vous étiez veuve depuis trois ans !

CATHERINE.

Je ne pourrions pas être nourrice alors !

MONTCHARDIN.

Tiens ! c’est juste !

MADAME MONTCHARDIN, bas à son mari.

Renvoyez-le !

MONTCHARDIN, à Marjolet.

Allons ! Adieu !... vous retournez ce soir au pays sans doute ?...

MARJOLET.

J’étions venu à Paris pour être commissionnaire... comme ça je pourrons voir la Catherine tous les jours !

MONTCHARDIN.

Un instant ! Tous les jours ! Je n’entends pas ça !

MADAME MONTCHARDIN, bas à son mari.

Laissez-le dire... Demain nous serons loin d’ici.

MONTCHARDIN, à part.

C’est juste !

CATHERINE.

Madame, je vas habiller la petite... pour la conduire aux Tuileries.

Elle entre à droite.

MARJOLET, à part.

La petite !... enfin je vais pouvoir embrasser mon enfant !

Il entre aussi à droite.

MONTCHARDIN.

Eh bien ! il entre avec elle... Zacharie ! à ton poste... et ne les quitte pas !

ZACHARIE.

Tout de suite, monsieur.

Il entre à droite.

 

 

Scène XIII

 

MONTCHARDIN, MADAME MONTCHARDIN, PLANTUREUX, puis MARJOLET

 

MADAME MONTCHARDIN, voyant paraître Plantureux au fond.

Encore un paysan !

MONTCHARDIN.

Le beau-frère !

PLANTUREUX.

Salut la compagnie...

MONTCHARDIN.

Vous m’avez trompé, je supprime le sucre, la chandelle et le savon !

PLANTUREUX.

Ah ! bah !

MONTCHARDIN.

La nourrice est mariée !

PLANTUREUX.

Tiens ! Qui qu’y vous a dit ?...

MONTCHARDIN.

Parbleu ! son mari... qui vient d’arriver !

PLANTUREUX.

Hein ? Son mari ? Où est-il ?

MONTCHARDIN.

Là... avec sa femme.

PLANTUREUX, à part.

Ah ben ! Je suis curieux de le voir ce mari-là !

MARJOLET entre. Il a le tablier de la nourrice et tient l’enfant. Il chante.

Hanneton, vole, vole, vole !
Ton mari est à l’école...

MONTCHARDIN, à Plantureux.

Le voilà !

PLANTUREUX.

Ça ?

MADAME MONTCHARDIN, à part.

Tout va se découvrir !

MONTCHARDIN.

Nous vous laissons avec le beau-frère.

À sa femme.

Viens, ma bonne...

MADAME MONTCHARDIN, à part.

Qu’est-ce que cela va devenir ?

Elle entre à gauche avec son mari.

 

 

Scène XIV

 

MARJOLET, PLANTUREUX

 

MARJOLET, à part.

Elle dort ! Si je profitais de cela pour constater le grain des Marjolet ?

PLANTUREUX.

Dites donc, l’homme !

MARJOLET, à part.

Un campagnard !

Haut.

Fichu temps ! Faudrait de l’eau pour les avoines !

PLANTUREUX.

Comme ça, vous êtes le mari de Catherine, vous ?

MARJOLET.

Mon Dieu ! oui... Je suis M. Catherine... c’est-à-dire... enfin je suis son mari !

PLANTUREUX, à part.

Tout à l’heure je vais en faire du noir animal !

Haut.

Dites donc, l’homme !

MARJOLET.

Quoi ?

PLANTUREUX.

Eh ben ! et moi, quoi que je sommes ?

MARJOLET.

Est-ce que je sais ?

PLANTUREUX.

Puisque vous me prenez ma femme !

MARJOLET.

Hein ? vous êtes ?...

PLANTUREUX.

Jean Plantureux !

MARJOLET.

Ah ! diable ! le mari !

Il dépose vivement l’enfant dans le berceau.

PLANTUREUX, retroussant ses manches.

Causons... et ne cassons rien !

MARJOLET.

Silence ! Voilà de l’or !

PLANTUREUX.

Vingt francs !

MARJOLET.

Je suis le père !... C’est un secret !... Ne le dites à personne !

PLANTUREUX, ébahi.

Le père !... Mais... ma femme... vous la reluquez !

MARJOLET.

Moi ?... votre femme !... une paysanne, une brute, une pécore !... un casseur de pierres !... allons donc !

PLANTUREUX.

Ah ! C’est bien différent !...

Mettant l’argent dans sa poche.

Continuez votre jeu, alors !

 

 

Scène XV

 

MARJOLET, PLANTUREUX, MONTCHARDIN, puis CATHERINE

 

MONTCHARDIN, entrant par la gauche.

Les malles sont faites.

Les voyant.

Encore là ?

MARJOLET.

Nous causions avec le beau-frère... sa vache est malade !

PLANTUREUX, très haut.

Oui... c’étions le beau-frère !

MONTCHARDIN.

Pas si haut ! la petite veut dormir !

Lui faisant une risette.

Lou ! lou ! lou ! lou !

MARJOLET, de l’autre côté du berceau.

Ni, ni, ni, ni, ni !

MONTCHARDIN.

Elle est splendide !

MARJOLET, s’oubliant.

Elle me ressemble, n’est-ce pas ?

MONTCHARDIN.

À vous ? Pourquoi voulez-vous qu’elle vous ressemble ?

MARJOLET, embarrassé.

Oh ! vous savez... j’ai dit ça... pour vous faire plaisir !

MONTCHARDIN.

À moi ?

À part.

Est-il bête, le papa nounou ?

La petite pousse un cri.

MARJOLET.

Elle a faim !

MONTCHARDIN.

Vite ! sa bouillie !

MARJOLET.

Où est-elle ?

MONTCHARDIN.

Là !

Tous deux courent à la cheminée pour s’emparer de la casserole où est la bouillie.

MARJOLET, prenant la casserole.

Faut la faire chauffer !

MONTCHARDIN, la lui prenant.

Non !... moi !

MARJOLET.

Tous les deux !

MONTCHARDIN, à part.

Il paraît bien aimer l’enfant !

PLANTUREUX, à part.

Ils font bon ménage, les deux papas !

CATHERINE, sortant de la droite. Elle est habillée et porte un parapluie rouge. À Plantureux.

Tiens ! Te v’là, toi ?

PLANTUREUX, à demi-voix.

Je venons te chercher. La Chaillou nous attend aux Tuileries.

CATHERINE, prenant la petite dans le berceau et faisant retomber les rideaux.

Je m’ai habillée pour ça... Filons !

PLANTUREUX.

Filons !

Ils sortent par le fond sans être vus de Marjolet et de Montchardin qui tournent le dos, occupés à faire chauffer la bouillie.

 

 

Scène XVI

 

MONTCHARDIN, MARJOLET

 

MONTCHARDIN, se levant.

Là... ça mijote.

Regardant autour de lui.

Tiens ! le beau-frère est parti !... Vous n’allez donc pas le rejoindre ?

MARJOLET.

Non !... je reste avec la petite... toujours !

MONTCHARDIN, à part.

Il aime bien l’enfant !

MARJOLET, s’approchant du berceau dont les rideaux sont baissés, et prêtant l’oreille.

Elle s’est rendormie !

MONTCHARDIN.

Chut !

Il prend une chaise et s’assoit à la droite du berceau.

MARJOLET.

Chut !

Il prend une chaise et s’assoit à la gauche du berceau. Chacun imprime au berceau un mouvement de balance. Ils chantent ensemble.

MARJOLET.

Hanneton, vole, vole, vole !
Ton mari est à l’école...
Hanneton, vole, vole, vole !
Ton mari est à l’école.

MONTCHARDIN.

Dodo, dors, ma poulette,
Dodo, dors, mon poulot,
Dodo, dors, ma poulette,
Dodo, dors, mon poulot.

MONTCHARDIN.

Mais taisez-vous donc !... ou chantons le même air, sacrebleu !

MARJOLET.

Ça allait très bien !

MONTCHARDIN.

Vous allez lui fausser la voix... et j’entends qu’elle soit musicienne... À dix ans, elle apprendra le piano.

MARJOLET.

Non ! la guitare ! C’est plus mélancolique !

MONTCHARDIN.

Je ne veux pas que ma fille soit mélancolique ! ma pauvre petite ! il faut pourtant que je lui choisisse un nom !

MARJOLET.

Ah ! oui ! Choisissons-lui un nom !

MONTCHARDIN.

De quoi se mêle-t-il ?

MARJOLET.

Moi, je voudrais un nom doux, frais... un nom de fleur... Pétunia !

MONTCHARDIN.

Non... moi, je cherche quelque chose de grandiose... Sémiramis !

MARJOLET.

Oh ! j’aime mieux Pétunia !

MONTCHARDIN.

Pétunia ! Allons donc ! Mademoiselle Pétunia !... c’est indécent !

MARJOLET.

Et Sémiramis ! Un nom de bateau à vapeur !... Vous lisez tous les jours : Le Sémiramis répare sa chaudière...

MONTCHARDIN.

Chut ! plus bas ! elle dort !

MARJOLET, bas.

Oui... mais je ne veux pas de Sémiramis !

MONTCHARDIN, bas.

Ni moi de Pétunia !

À part.

Ah ! mais il est embêtant, le papa nounou !

MARJOLET.

Et pour la marier ?

MONTCHARDIN.

Quoi ? la marier ?

MARJOLET.

J’ai une profession en vue...

MONTCHARDIN.

Moi aussi.

MARJOLET.

Épurateur !

MONTCHARDIN.

Épurateur ! Ma fille dans l’huile !

MARJOLET.

Mais madame Machonard, Plantoir et Cie...

MONTCHARDIN.

Laissez-moi donc ! Est-ce qu’elle a une figure d’épurateur !

Il découvre le berceau et le trouve vide.

MARJOLET et MONTCHARDIN, stupéfaits.

Tiens ! Elle n’y est pas !

 

 

Scène XVII

 

MONTCHARDIN, MARJOLET, CATHERINE, puis ZACHARIE

 

Catherine entre avec un nourrisson enveloppé dans une pelisse bleue. Elle tient ouvert son parapluie rouge.

CATHERINE.

En v’là un temps !... J’arrivons des Tuileries...

MONTCHARDIN, lui prenant le parapluie, vivement.

Il pleut !

MARJOLET, vivement.

L’enfant est mouillé !

CATHERINE.

Je l’avions posé sur un banc... à côté des autres... pour remettre une jarretière... V’là tout à coup l’orage qui claque !

MONTCHARDIN et MARJOLET.

Ah ! mon Dieu !

CATHERINE.

Toutes les nourrices avaient couru au banc... et chacune a repris le sien...

MONTCHARDIN.

Vite ! Il faut la changer.

Appelant.

Zacharie !

ZACHARIE, entrant.

Monsieur !

MONTCHARDIN.

Du feu dans la chambre de la petite !

MARJOLET.

Je vais lui faire chauffer du vin sucré !

Montchardin entre à droite avec la nourrice qui porte l’enfant.

ZACHARIE, à part.

C’est drôle ! La petite avait une robe blanche... et maintenant elle est bleue. C’est le parapluie rouge qui a déteint !

La voix de MONTCHARDIN.

Zacharie !

ZACHARIE, criant.

Voilà ! Voilà !

Il entre à droite.

 

 

Scène XVIII

 

MARJOLET, MADAME MONTCHARDIN

 

MADAME MONTCHARDIN.

Eh ! mon Dieu ! Qu’y a-t-il ?

MARJOLET, tournant une cuiller dans une timbale.

Il y a, madame, que l’enfant n’est pas soignée... On vient de me la rentrer à l’état d’éponge !

MADAME MONTCHARDIN.

Ma fille !

MARJOLET.

Ça ne peut pas durer comme ça ! D’ailleurs je ne peux pas m’entendre avec votre mari. Il veut l’appeler Sémiramis et la marier à... Tout est rompu, je reprends l’enfant !

MADAME MONTCHARDIN.

Ma fille ! Vous ne l’aurez pas ! Je prouverai qu’elle est à moi !

MARJOLET.

J’ai mes preuves, aussi !

MADAME MONTCHARDIN.

Vos lettres ?

MARJOLET.

Et le grain de café !

MADAME MONTCHARDIN.

Un grain !

MARJOLET.

Mon signe ! Mon cachet ! sur la troisième côte !

MADAME MONTCHARDIN.

Ma fille n’a rien de cela !... je vous le jure !

MARJOLET.

Ah ! bah ! Je demande à voir !

MADAME MONTCHARDIN.

Oh ! bien volontiers ! Vous me laisserez peut-être tranquille après !... Venez !

Ils se dirigent vers la chambre de la nourrice. On entend un grand cri dans la coulisse.

MADAME MONTCHARDIN et MARJOLET.

Qu’est-ce donc ?

 

 

Scène XIX

 

MARJOLET, MADAME MONTCHARDIN, MONTCHARDIN, CATHERINE, ZACHARIE

 

MONTCHARDIN, entrant, suivi de la nourrice et de Zacharie.

La nourrice s’est trompée sur le banc !... elle a rapporté un garçon !

MARJOLET, MADAME MONTCHARDIN et LES AUTRES.

Un garçon !

MONTCHARDIN, MADAME MONTCHARDIN et CATHERINE se trouvent mal et tombent tous sur des fauteuils en disant.

Mon enfant !!!

Marjolet avale le vin sucré.

ZACHARIE.

MM. les commissionnaires qui ont scié le bois demandent un pourboire.

MONTCHARDIN, se levant.

Un garçon !

TOUS.

Vite ! courons ! cherchons !

MONTCHARDIN.

Où trouver Sémiramis ?

MARJOLET.

Où trouver Pétunia ?

Mouvement général pour sortir.

 

 

ACTE III

 

Le théâtre représente un coin du jardin des Tuileries. À gauche, un café avec une tente sous laquelle sont placées des tables et des chaises. Plusieurs consommateurs sont assis : un vieux monsieur en lunettes lit le journal. On voit dans le jardin circuler des nourrices, des soldats et des bonnes d’enfants. D’autres promeneurs sont assis sur des bancs en pierre dans le jardin.

 

 

Scène première

 

PLANTUREUX, LUBINE, tenant son nourrisson, LE SALTIMBANQUE, PROMENEURS, BONNES, NOURRICES, SOLDATS

 

Au lever du rideau, un saltimbanque fait un roulement de tambour. Les promeneurs accourent et se groupent autour de lui.

LE SALTIMBANQUE, faisant son annonce.

Nous avons l’honneur de faire savoir à l’honorable société que la troupe du grand chef indien Chirokakapata, ce qui veut dire Poussière de feu, va venir donner sur cette place une dernière représentation...

Nouveau roulement de tambour. Le saltimbanque sort.

 

 

Scène II

 

LES MÊMES, moins LE SALTIMBANQUE

 

PLANTUREUX.

Oh ! je suis curieux de voir ça... mais ousqu’est donc Catherine, ma femme ?

LUBINE.

Elle s’est ensauvée après l’orage, avec son nourrisson qu’elle avait déposé sur le banc, à côté du mien. C’est lourd, à la longue, ces petites créatures-là... Allons, adieu ! Faut que je m’en retourne.

PLANTUREUX.

Comment ? tu ne restes pas pour voir les exercices ?

LUBINE.

Non, Milady m’a bien recommandé de rentrer à six heures, à cause de l’enfant.

PLANTUREUX.

Tu es bien chez tes bourgeois ?

LUBINE.

Je n’ai pas à me plaindre de la nourriture... Milady est une assez bonne femme... sauf qu’elle porte des lunettes et veut toujours me faire mettre des gants... Moi, ça me gêne.

PLANTUREUX.

Et son mari, mylord Crockbeef ?

LUBINE.

Lui, c’est différent... Il est continuellement planté derrière moi, et il pousse des gros soupirs... Je crois toujours qu’il y a une porte ouverte. Il finira par m’enrhumer cet homme-là avec ses courants d’air.

PLANTUREUX.

Il est amoureux de toi.

LUBINE.

J’en ai peur.

PLANTUREUX.

Un mylord ! Ça ne serait pas une mauvaise affaire pour toi.

LUBINE.

Eh bien ! Et Chaillou !

Pleurant.

Quoi qu’y fait, Chaillou ?

PLANTUREUX.

Il fume sa pipe !

LUBINE.

Ah ! Tu dis ça pour m’endormir... Adieu !

PLANTUREUX.

Adieu. J’irai te voir... Ousqu’il demeure ton Anglais ?

LUBINE.

Rue de l’Arcade, n° 21... Viens à l’heure du déjeuner. T’en auras.

PLANTUREUX.

Je n’y manquerai pas.

Lubine sort.

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, moins LUBINE

 

PLANTUREUX, s’asseyant à une table du café et appelant.

Garçon ! garçon !

LE GARÇON.

Qu’est-ce que Monsieur désire ?

PLANTUREUX.

Qu’est-ce que vous avez ?

LE GARÇON, très vite.

Orgeat, groseille, limonade, bière, cassis, rhum, cognac.

PLANTUREUX.

Très bien. Donnez-moi... une allumette.

LE GARÇON, lui offrant une allumette.

Voilà.

À part.

En voilà une pratique !

Il disparaît. Plantureux allume sa pipe.

UNE NOURRICE, s’adressant à un soldat assis sur un banc.

Monsieur le soldat, voulez-vous avoir l’obligeance de me garder mon enfant une minute !

LE SOLDAT, prenant l’enfant.

Volontiers, ma petite mère.

LA NOURRICE.

Je reviens tout de suite... une course à faire !

LE SOLDAT, berçant l’enfant.

Do do do... ça fera peut-être un général plus tard. Tous les généraux ont commencé comme ça.

UNE DEUXIÈME NOURRICE, s’adressant au soldat.

Monsieur le militaire, seriez-vous assez bon pour me garder mon enfant une minute ?

LE SOLDAT.

Comment donc ! Quand il y en a pour un, il y en a pour deux !

LA NOURRICE.

Je reviens... je vais faire faire ma photographie...

Elle sort.

LE SOLDAT.

Ça fera peut-être encore un général plus tard.

Les enfants crient.

Ah ! diable ! ils ont faim... C’est que je n’ai pas sur moi ce qu’il leur faut.

Il les berce vivement. On entend sonner six heures.

Ah ! sapristi ! l’heure de l’appel... il faut que je rentre à la caserne... Je ne peux pas ramener ces deux fantassins-là... et les nourrices qui ne reviennent pas... À qui diable les confier ?

Apercevant un vieux monsieur assis à une table du café et qui lit le journal.

Ce doit être un père de famille... voilà mon affaire.

S’approchant du vieux monsieur, et avec beaucoup de politesse.

Monsieur, auriez-vous l’extrême obligeance de me garder ces deux petits factionnaires ?

Le monsieur ne répond pas.

C’est pour une minute... je vais revenir...

Le regardant sous le nez.

Tiens !... Il dort !

Il lui place les deux enfants sur les genoux.

La fortune vient en dormant... c’est égal, je voudrais voir son nez quand il se réveillera !

Il sort. Le vieux monsieur continue à dormir avec les deux enfants sur les genoux.

PLANTUREUX, assis à sa table.

Allons ! ma pipe est éteinte !

Appelant.

Garçon ! garçon !

LE GARÇON.

Voilà !... Qu’est-ce qu’il faut servir à Monsieur ? Orgeat, groseille, limonade, bière, cassis, rhum, cognac...

PLANTUREUX.

Donnez-moi une autre allumette.

LE GARÇON.

Tenez ! prenez la boîte... ça sera plus vite fait !

PLANTUREUX.

Merci !

Il met la boîte dans sa poche.

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, MONSIEUR et MADAME MONTCHARDIN, MARJOLET et CATHERINE, portant un nourrisson

 

Ils entrent tous précipitamment avec des parapluies rouges fermés.

MONTCHARDIN.

Où est-elle ?

MADAME MONTCHARDIN.

Ma fille !

MARJOLET.

Mon enfant !

PLANTUREUX, les apercevant et allant à eux.

Tiens ! les Montchardin !

MONTCHARDIN.

Vous n’avez pas vu la petite ?

PLANTUREUX.

Votre fille ?... mais Catherine la tient !

MARJOLET.

Non ! celle-là, c’est un garçon !

MONTCHARDIN, apercevant le monsieur qui dort avec les enfants sur les genoux.

Ah !... la voilà !

Secouant le monsieur.

Monsieur, rendez-moi mon enfant !

LE MONSIEUR, se réveillant et apercevant les enfants.

Hein ?... Qui est-ce qui m’a mis ça sur les genoux ?

MARJOLET.

C’est ma fille.

Il prend un des enfants.

MONTCHARDIN, prenant l’autre.

Chère petite !

L’examinant.

Ah ! mais non ! ce n’est pas à moi, ça !

MARJOLET, même jeu.

Mais celle-là non plus !

MONTCHARDIN, au vieux monsieur.

Reprenez votre famille !

MARJOLET, de même.

Dépêchez-vous ! elle demande à boire !

LE MONSIEUR, se défendant.

Mais je n’en veux pas ! Je n’ai pas d’enfants... je suis célibataire !

MARJOLET.

Ah ! diable ! Qu’est-ce que nous allons en faire ?

Apercevant un gardien du jardin.

Ah ! le gardien !

Prenant l’enfant des bras de Montchardin et allant au gardien.

Monsieur, voici deux enfants que nous avons trouvés égarés... sur les genoux de Monsieur... Veuillez les déposer au bureau des objets perdus.

LE GARDIEN, prenant les deux enfants.

C’est bien... je ferai mon rapport.

Il sort.

MONTCHARDIN, avec désespoir.

Mais où retrouver Sémiramis !

MARJOLET.

Pétunia !

PLANTUREUX.

Mais où l’avez-vous perdu ?

MADAME MONTCHARDIN.

C’est Catherine...

CATHERINE.

Je l’avais placée sur ce banc, à côté de celui de la Lubine... et quand l’orage est venu...

PLANTUREUX.

Ah ! j’y suis ! Tu as pris le sien... et elle a pris le tien !

MADAME MONTCHARDIN.

Est-il possible ?

MARJOLET.

Quelle lueur !

CATHERINE.

Où est-elle, la Lubine ?

PLANTUREUX.

Elle vient de retourner chez ses bourgeois !

MONTCHARDIN.

Son nom ?

PLANTUREUX.

Mylord Crockbeef.

MARJOLET.

L’adresse ?

PLANTUREUX.

21, rue de l’Arcade.

MARJOLET.

J’y cours.

MADAME MONTCHARDIN.

Courons !

MONTCHARDIN.

Ah ! Sémiramis !

MARJOLET.

Ah ! Pétunia !

Monsieur et madame Montchardin, Marjolet et Catherine sortent vivement.

 

 

Scène V

 

PLANTUREUX, NOURRICES, PROMENEURS, puis LA TROUPE DES SALTIMBANQUES

 

La troupe des jongleurs entre, tambour en tête. Le public se range sur les côtés. Exercices. Quand les exercices sont terminés, la foule applaudit.

 

 

ACTE IV

 

Chez Crockbeef.

Une chambre à coucher avec une alcôve au fond, fermée par des rideaux. Une porte conduisant à l’extérieur au fond à droite. Portes latérales. Un guéridon. Plumes, papier, encrier. Flambeaux allumés. Chaises, fauteuils. Un secrétaire.

 

 

Scène première

 

CROCKBEEF, puis MILADY, puis DOMINIQUE

 

Au lever du rideau, Crockbeef, étendu dans un fauteuil, lit le journal.

CROCKBEEF, bâillant.

Ah ! ah !... que je ennuyais moâ... il était six heures du soir et je ennuyais moâ depuis le matin.

MILADY CROCKBEEF, entrant et appelant. Elle est laide et porte des lunettes.

Mon domestique ! mon domestique !

CROCKBEEF, à part.

Ma femme ! je vais encore plus ennuyer moâ...

DOMINIQUE, entrant de la gauche.

Madame m’a appelé ?

MILADY.

Approchez... je volais parler à vous... mettez vos gants.

Dominique met ses gants.

Quand je faisais à vos le considerachione de lui adresser la parole... vos devez faire à moâ le considerachione de introduire vos gants.

CROCKBEEF.

Very well !

DOMINIQUE, qui a mis les gants.

Voilà, Milady.

MILADY.

Où il était dans cette moment, madame la nourriture ?

DOMINIQUE, sans comprendre.

S’il vous plaît ?

MILADY.

Madame la nourriture du petit garçon à nous !

DOMINIQUE.

Ah ! la nourrice ?

CROCKBEEF.

Je avais envoyé promener à Tuileries Garden.

MILADY.

Pourquoi elle n’était pas encore rentrée... j’étais inquiète.

À Dominique.

C’était fini... Ôtez vos gants.

Dominique ôte ses gants et remonte.

CROCKBEEF.

Il était intelligent.

MILADY, rappelant Dominique.

Hâo !... mon domestique !

DOMINIQUE, s’approchant.

Milady ?

MILADY.

Mettez vos gants.

CROCKBEEF, à part.

Very well !

DOMINIQUE, à part, mettant ses gants.

Font-ils de l’embarras !

MILADY.

Je volais dire à vos de laver les mains à vos, de mettre les gants à vos... et de approcher le thé, le beurre et les petites tartines.

DOMINIQUE, à part.

Bien, madame.

À part.

Puisque je mets des gants, je n’ai pas besoin de me laver les mains... Sont-ils bêtes !

Il sort.

 

 

Scène II

 

MILADY, CROCKBEEF, puis DOMINIQUE

 

MILADY, s’asseyant.

Ah ! Je souffrais de la pesanteur dans mon estomac. Je avais mangé des petites gâteaux toute la journée dans la pâtisserie.

CROCKBEEF.

Si vos été malade, je avé joustement écrit au docteur Gousseville de venir tout de suite tout à l’heure...

MILADY.

Le docteur qui avait choisi madame la nourriture ?

CROCKBEEF.

Yes... il pourra purgationner vô !

MILADY.

Oh ! no !... je volais pas consulter ! il faisait toujours montrer la langue à moâ... et quand il était rouge... il ordonnait des petites... des petites...

CROCKBEEF.

Tisanes.

MILADY, baissant les yeux.

Nô !... ce n’était pas pour boire...

CROCKBEEF, baissant aussi les yeux.

Né craignez rien, Milady... j’avais pas compris !

DOMINIQUE, apportant le thé qu’il pose sur le guéridon.

Monsieur, le docteur Gousseville est au salon !

CROCKBEEF.

Faisez entrer !

Dominique sort. À Milady.

Je recommandais à vous d’être most gracious avec cette médecine... je avé besoin de lui politiquement.

Tirant un papier de sa poche.

Je volais faire signer par lui le déclarachione de l’enfant...

MILADY.

Hâo ! s’il volait bien...

CROCKBEEF.

Je avais un moyen malicious... vos sortirez vos... quand je moucherai moâ.

DOMINIQUE, au fond, annonçant.

M. Gousseville !

CROCKBEEF, bas à sa femme.

Gracious ! Most gracious !

 

 

Scène III

 

MILADY, GOUSSEVILLE, CROCKBEEF

 

GOUSSEVILLE, entrant avec empressement.

Milady... Mylord... j’ai reçu votre lettre, et j’accours...

MILADY, le saluant avec raideur.

Docteur, je salouais vos !

CROCKBEEF, à part.

Very well ! most gracious !

Prenant les mains de Gousseville.

Cette bonne médecine !... je souis enchanté... et pas ennuyé de vous voir !

GOUSSEVILLE.

Trop bon !

MILADY.

Je souis également enchantée et pas ennuyée...

Crockbeef se mouche.

Docteur, je résalouais vos !

Elle fait une grande révérence et sort, droite et raide.

GOUSSEVILLE, à part.

On dirait qu’elle a avalé la canne de son mari.

 

 

Scène IV

 

CROCKBEBF, GOUSSEVILLE

 

GOUSSEVILLE.

Ah çà ! Qui est-ce qui est malade ?

CROCKBEEF.

Personne ! Je avais écrit à vos pour venir tout de suite prendre une tasse de thé...

GOUSSEVILLE.

Ah ! sapristi ! c’est pour ça !

CROCKBEEF, le faisant asseoir près du guéridon.

Asseyez-vôs...

GOUSSEVILLE, s’asseyant, à part.

Moi qui n’aime pas le thé !

CROCKBEEF, s’asseyant aussi, versant du thé à Gousseville.

Volez-vous beaucoup fort ?

GOUSSEVILLE.

Extrêmement peu, s’il vous plaît !

CROCKBEEF.

Cette bonne médecine... je souis enchanté... et pas ennouié de vous voir !

GOUSSEVILLE.

Vous me l’avez déjà dit... et ma nourrice ?... En êtes-vous content ?

CROCKBEEF.

Oh ! yes !... elle a été romanesque tout à fait !...

GOUSSEVILLE.

Comment ! romanesque ?

CROCKBEEF.

Elle avé un port de reine ! et elle pleurait toujours avec un chagrin confortable...

Poétiquement.

Et quand je régardais elle, je sentais mon âme... devenir un gros imbécile !

GOUSSEVILLE, à part.

Ah çà ! est-ce qu’il en serait amoureux ?

Se levant.

Allons ! vous n’avez plus rien à me dire... Sénateur...

CROCKBEEF, vivement, le faisant rasseoir.

Nô ! demeurez !

À part.

Ma déclarachione !

Haut.

Cette bonne médecine !... je volais rembourser vos...

GOUSSEVILLE.

Me rembourser ?

CROCKBEEF.

Yes... pour les tisanes que Milady il avait... consommées... sans boire.

GOUSSEVILLE.

Oh ! ça ne presse pas !

CROCKBEEF.

Je volais !

Tirant un billet de sa poche.

Voilà cinq cents francs...

GOUSSEVILLE.

C’est trop ! beaucoup trop !

CROCKBEEF.

Prendez ou je me fâchais môa !

GOUSSEVILLE, mettant le billet dans sa poche.

Allons ! puisque vous le voulez !

À part.

Il n’y a encore que les Anglais !...

CROCKBEEF, tirant un papier de sa poche.

À l’instant, je volais prier vos de faire une petite acquitachione...

GOUSSEVILLE.

Un reçu ? bien volontiers !

Gousseville met ses lunettes et va chercher l’encrier et une plume sur la cheminée.

CROCKBEEF, à part, montrant un papier écrit à moitié.

Lé déclarachione il été dans le haut.... et je allais faire signer lui dans le bas.

Il plie le papier en deux et présente à Gousseville la partie non écrite.

Écrivez... here !... je avé reçu cinq cents francs pour mon peine...

GOUSSEVILLE.

Pour mon peine ?

CROCKBEEF, voulant lui expliquer.

Yes... pour mon peine... à vos !

GOUSSEVILLE, écrivant.

Pour les soins donnés à Milady...

CROCKBEEF.

Je volais bien... signez le nom à vos... et le date !

GOUSSEVILLE, signant.

Voilà !

Il lui remet le papier.

CROCKBEEF, prenant vivement le papier.

Enfin ! Je lé tenais !... Mon ruse il a réussi !

GOUSSEVILLE, étonné.

Comment ! votre ruse ?

CROCKBEEF, triomphant.

Oh ! yes ! je avé besoin d’un déclarachione... et vous ave signé à môa le déclarachione !

GOUSSEVILLE, à part.

Qu’est-ce qu’il chante ?

CROCKBEEF, dépliant le papier.

Lé voici.

Lisant.

« Le soussigné docteur médecine déclare avoir accouché Milady Déborah Crockbeef... »

GOUSSEVILLE, vivement.

Moi ?... c’est faux !

CROCKBEEF, continuant.

« D’un garçon masculin le 8 février 1872. En foi de quoi j’ai signé la présente déclaration. »

GOUSSEVILLE.

Un instant ! Je proteste !

CROCKBEEF, continuant.

« Je reconnais avoir reçu cinq cents francs pour les soins donnés à Milady. » Signé : « le docteur Gousseville. »

GOUSSEVILLE.

C’est une plaisanterie... je n’ai donné à Milady aucun soin... de cette nature-là !

CROCKBEEF.

Oh ! je savé bien !... puisque Milady, il n’avé jamais pu faire éclore le moindre petit enfant !

GOUSSEVILLE.

Ah ! bah !... mais alors c’est une fausse déclaration... Voilà vos cinq cents francs !

Il les remet sur la table.

Rendez-moi ce papier !

CROCKBEEF.

Nô ! Je mettai lui dans le meuble. Il serre le papier dans un secrétaire dont il garde la clef.

GOUSSEVILLE, à part.

Ma parole ! Je n’aurais jamais cru cela d’un Anglais !

CROCKBEEF.

Je volais pas !... mais je devais à vos le explicachione.

Montrant le guéridon.

Prendez encore une tasse de thé ?

GOUSSEVILLE.

Non ! ça me porte sur les nerfs ! Je n’ai pas besoin de cela !

CROCKBEEF.

Donc je avais un neveu dans le Angleterre... le seul héritier de môa... mais je détestais lui... je le avé dans le antipathie... Quand le tonnerre tombé... je demandé qu’il tombé sur lui... Quand la Tamise il empoisonné... je demandé qu’il empoisonné lui... mais il a été d’un fort santé... malheureusement.

GOUSSEVILLE, à part.

Bon petit oncle !

CROCKBEEF.

Ce animal... mon neveu... il faisait tout pour contrarier môa... en politique, il était wigh, môa je été tory... Dans le maison, je aimé le wisth... il jouait jamais que le bouillotte. Môa je faisais boxer des coqs, lui, il faisait boxer des chiens ! Donc, môa je volais déshériter lui tout à fait...

GOUSSEVILLE.

Eh bien ! déshéritez-le et rendez-moi mon reçu !

CROCKBEEF.

D’après le législachion de Angleterre, si je ne présenté pas un enfant... lui il hérité tout seul des guinées de môa et du titre de baronnet de môa !

GOUSSEVILLE.

Eh bien !

CROCKBEEF.

Donc, Milady Crockbeef elle mettait un grand obstination à ne pas vouloir éclore le petit héritier que je commandé à elle... Donc, je avais acheté un !

GOUSSEVILLE.

Vous avez acheté !

CROCKBEEF.

Yes... un petit mâle...

GOUSSEVILLE, indigné.

Mais c’est la traite des blancs !

CROCKBEEF.

Le traite il a été défendu pour le noir, pas pour le blanc...

GOUSSEVILLE.

Et la mère ?

CROCKBEEF.

Oh ! la mère... c’été un petit grisette, un fleuriste... je avé envoyé promener elle dans lé Indes... avec un pacotille...

GOUSSEVILLE.

Avec un pacotille...

CROCKBEEF.

Il été bête, cette petite !... il avé emporté dans les Indes des pelles, des pincettes, des chenets pour faire le feu... et dans lé Indes on faisait jamais le feu !

GOUSSEVILLE.

Eh bien !

CROCKBEEF, avec bonhomie.

Je avé laissé faire, môa.

GOUSSEVILLE.

Oh !

CROCKBEEF.

Maintenant je été satisfait... ce animal... mon neveu !... il n’aura pas mon héritage. Je avé le certificachione de mon paternachione.

À Gousseville.

Merci, vos !

GOUSSEVILLE.

Et vous croyez que ça se passera comme ça ? Mais je vais de ce pas vous dénoncer.

CROCKBEEF, froidement.

Oh ! nô !

GOUSSEVILLE.

Comment, nô ?

CROCKBEEF.

Si vos dénoncez moâ, je dirai que vos avé fait un fausse déclarachione pour cinq cents francs...

GOUSSEVILLE.

Hein ?

CROCKBEEF.

Et vos irez, vos, dans les petites galères...

GOUSSEVILLE.

Monsieur !

CROCKBEEF.

Et môa, lé soir, en prenant le thé, je lirai dans le Times lé petite condamnachione de vos.

GOUSSEVILLE, hors de lui.

C’est infernal !

 

 

Scène V

 

CROCKBEBF, GOUSSEVILLE, LUBINE, entrant par le fond avec un nourrisson dans ses bras et un parapluie à la main

 

LUBINE.

C’est moi !... en v’là un temps !

CROCKBEEF, l’apercevant et devenant radieux.

Hâo ! C’été madame la nourriture, lé biberone de la nature !

Très gaiement.

Oh ! very well ! je avé fait un poème !

Il veut prendre le menton de Lubine

LUBINE.

Ne touchez pas !

CROCKBEEF, à Gousseville.

Vous pouvez en aller, vos... prendez votre petit banknote sur le table.

GOUSSEVILLE.

Jamais !... je n’en veux pas !

CROCKBEEF, à Gousseville.

Oh ! c’été bien !... c’été très bien... vous été un honnête homme... je été touché...

GOUSSEVILLE, à part.

Il va me rendre mon reçu !

CROCKBEEF, qui a été prendre un flambeau.

Aussi, moâ reconduire vos avec beaucoup de considérachione...

GOUSSEVILLE, à part.

Oh ! je reviendrai ! il me faut ce papier à tout prix !

CROCKBEEF, à Lubine.

Bôgez pas !... je avé dé petites bêtises à dire à vos.

Il veut lui prendre le menton.

LUBINE.

Ne touchez pas !

Crockbeef sort en éclairant Gousseville.

 

 

Scène VI

 

LUBINE, puis CROCKBEEF, puis MILADY

 

LUBINE, seule.

Ah ! mais ! il me poursuit l’Englishman ! Avant-hier, il m’a fait passer devant lui dans l’escalier pour voir « mon joli jambe ».

Minaudant.

Si on était coquette !... mais non !

Pleurant.

Quoi qu’y fait Chaillou dans ce moment-ci ?

Elle veut s’essuyer les yeux avec la robe de l’enfant et s’arrête étonnée.

Tiens !... une robe blanche !... et ce matin, j’y avons mis une robe bleue !

Poussant un cri.

Ah ! cré chien !... c’est pas le mien !... qu’est-ce qui m’a mis ça dans les bras ?... Je m’ons trompé sur le banc... quand l’orage est venu !

Remontant.

Faut que je retourne aux Tuileries !

CROCKBEEF, paraissant au fond.

Je arrêté vos, madame la nourriture !

LUBINE, passant l’enfant dans l’autre bras.

Pourvu qu’il ne s’aperçoive pas !

CROCKBEEF, à part.

Elle avé un port de reine !

Haut.

Vôlez-vos que je sucré à vos un tasse de thé ?

LUBINE.

Ah ! Ouiche !... votre thé, ça me grenouille dans l’estomac !

CROCKBEEF, marchant sur elle et la lutinant.

Oh ! oh ! le petite Bourguignotté !... il sentait le bon vin !

LUBINE, se défendant.

Ne touchez pas !

CROCKBEEF.

Il sentait le bon vin !

Avec passion.

Oh ! moâ, je volais avaler vos !

Lubine se débat, il l’embrasse. Milady paraît.

MILADY, apercevant son mari.

Hâo !

CROCKBEEF.

Hâo !

LUBINE.

Hâo !

MILADY, après un temps, à Crockbeef avec une rage douce.

Mylord... je avé dérangé vos ?... Vos étiez dans le conversachione bien intéressante avec madame la nourriture ?...

CROCKBEEF, gêné.

Oh ! nô !...

MILADY, bas à Crockbeef, éclatant.

Je avé tô vu !... perfidious ! libertine ! shocking !

CROCKBEEF.

I cannot...

MILADY, énergiquement.

Taisez-vôs, toi !

LUBINE, à part.

Il y a du grabuge !

MILADY, à Lubine.

Quant à vos, madame la nourriture... sortez vos...

LUBINE.

Faut que je retourne aux Tuileries...

MILADY.

Sortez vos avec môa ! Je avé à causer fortement à vos !

LUBINE.

Mais, madame...

MILADY.

Né parlé pas du tout !

À part.

Je lé expédiai dans le minute avec le petit !

LUBINE, à part, regardant l’enfant.

Est-ce une fille ou un garçon ?

MILADY, poussant Lubine, à gauche 2e plan.

Allons ! Marchez, vos !

Milady et Lubine sortent.

 

 

Scène VII

 

CROCKBEEF, puis MONTCHARDIN, MADAME MONTCHARDIN, MARJOLET, CATHERINE avec le nourrisson

 

CROCKBEEF, seul.

Nom d’une petite caniche ! Je avé laissé pincer moâ considérablement !...

On entend un grand bruit à l’extérieur. Se retournant.

What ?

Monsieur et madame Montchardin, Marjolet toujours en paysan et Catherine font irruption dans l’appartement. Ils sont dans le plus grand désordre et tiennent à la main des parapluies trempés.

TOUS QUATRE, entrant et criant.

Notre fille ! notre fille !! Notre fille !!!

CROCKBEEF.

Qui été tous ces marchands de parapluies ?

MADAME MONTCHARDIN, avec explosion.

Rendez-moi mon enfant ! rendez-moi mon enfant !

CROCKBEEF.

Qui vôlez-vôs, vos ?

TOUS QUATRE.

Ma fille ! ma fille !

CROCKBEEF.

What ! what ! je avé pas de fille à vos dans mon poche !

MARJOLET.

C’est vrai... il ne sait pas... Monsieur, voici l’affaire en deux mots.

MONTCHARDIN, l’interrompant.

Non ! moi ! je suis le père !

MARJOLET.

Taisez-vous ! vous ne savez pas l’anglais !

À Crockbeef.

Voici l’affaire en deux mots...

Montrant Catherine.

Cette brute de nourrice...

CATHERINE.

Ah ! mais dites donc !

MARJOLET, reprenant.

Cette brute de nourrice... est partie à midi de la maison avec une petite fille... et est rentrée à six heures avec un petit garçon.

CROCKBEEF.

Oh ! c’été curious pour la histoire naturelle !

MARJOLET.

Non ! il n’y a pas d’histoire naturelle là-dedans... c’est un troc, un échange... Enfin, nous avons votre garçon et vous avez notre fille !

CROCKBEEF.

Hâo !

MADAME MONTCHARDIN, éplorée.

Rendez-moi mon enfant ! rendez-moi mon enfant !

CROCKBEEF.

Faisez taire ! Il braillait par brevet d’invention.

Regardant le nourrisson que porte Catherine.

Donc, cette petit il était le mien... je réconnaissais parfaitement... parfaitement.

Faisant un mouvement.

Alors je reprendé lui ! merci, vos !

TOUS.

Un instant !

MARJOLET.

Quand vous nous aurez rendu le nôtre.

CROCKBEEF.

C’été juste ! tout de suite !... je avais pas besoin de deux !

Remontant et appelant.

Madame la nourriture !

MONSIEUR et MADAME MONTCHARDIN, MARJOLET, CATHERINE, ensemble.

Enfin, je vais pouvoir embrasser ma fille !

 

 

Scène VIII

 

LES MÊMES, MILADY

 

CROCKBEEF, à Milady qui paraît.

Où été madame la nourriture ?

MILADY.

Je venais de faire partir avec le enfant pour le Angleterre.

MONSIEUR et MADAME MONTCHARDIN, MARJOLET et CATHERINE, ensemble.

En Angleterre !... Ah !!!

Tous quatre tombent sur des fauteuils.

MILADY, étonnée, à Crockbeef.

Qui été ces gens ?

CROCKBEEF.

C’été une visite avec des parapluies...

MONTCHARDIN, anéanti.

En Angleterre !!! Si nous courions au chemin de fer du Nord ?

Il se lève.

MADAME MONTCHARDIN.

Nous arriverons peut-être à temps !

Elle se lève.

MARJOLET, se levant.

Partons !

MONTCHARDIN.

Pas vous, papa nounou !... restez avec votre femme ! et sur votre tête ne rendez pas le garçon que nous n’ayons retrouvé Sémiramis !

MARJOLET.

Pétunia !... ça ne fait rien... Allez ! soyez tranquille !

MONTCHARDIN et MADAME MONCHARDIN, sortant par le fond.

Ma fille ! ma fille !

 

 

Scène IX

 

CROCKBEEF, MILADY, MARJOLET, CATHERINE, puis LUBINE

 

MILADY, à Crockbeef.

Mais pourquoi ce visite avec des parapluies ?

CROCKBEEF.

C’été parce que il tombé de pluie mouillée !

À part, finement.

Je volais pas inquiéter elle.

À Marjolet.

Papa nounou, rendez le petit, je donnais à vos un guinée.

MARJOLET.

Jamais !

CROCKBEEF.

Vôlez-vôs que je sucré à vos un tasse de thé ?

MARJOLET.

Je veux bien prendre une tasse de thé, mais je ne rendrai pas l’enfant.

CROCKBEEF.

Oh ! alors ! je sucré pas !

MILADY.

Pourquoi avez-vôs le obstinachione de prendre le enfant de ce homme ?

CROCKBEEF.

Oh ! rien ! c’été pour savoir s’il été bien lourd !

À part.

Je volais pas inquiéter elle !

LUBINE, entrant par le fond, avec la petite fille.

Ah ! que je suis malheureuse !

TOUS.

La nourrice !

LUBINE.

C’est une fille !... je m’en suis aperçue dans le fiacre !

MARJOLET, courant à Lubine et lui arrachant la petite.

Donnez ça ! ma fille ! ma Pétunia !

CATHERINE, rendant le garçon à Lubine.

Tiens ! v’là ton garçon !

LUBINE.

Ah ! bah !

MILADY, étonnée.

Qui voulait dire ?

CROCKBEEF, à Milady.

C’été un permutachione... je avé pas dit... parce que je volais pas entendre pleurer vos... ça agaçait môa !

MARJOLET.

Et maintenant, je le garde ! Je l’emporte au fond des bois, dans un désert... à Versailles !... Vite ! un mot à Montchardin pour le détromper.

Remettant l’enfant à Catherine.

Tenez ça !

Il s’assied devant le guéridon et écrit.

LUBINE, à Crockbeef.

Si ça avait été un garçon, je serais pas revenue, mais une fille !... je m’ai dit : ils finiront par s’en apercevoir... quand il faudra la marier !...

CROCKBEEF.

Oh ! yes ! quand il faudra la marier !

Avec passion.

Oh ! vous été une femme spiritouel et angélic !

MILADY, les surprenant, et à Crockbeef.

Né continouiez pas, vos !

CROCKBEEF.

Hâo !

LUBINE, à part, minaudant.

Si on était coquette !

MILADY, à Lubine.

Entrez là !... vous coucherez dans le chambre de moâ... et je promènerai toujours mon œil sur vous !

MARJOLET, qui a fini sa lettre et se levant.

Voilà qui est fait !

À Crockbeef, lui remettant sa lettre.

Tenez, vous remettrez ceci au père Montchardin.

CROCKBEEF.

Qui, le père Montchardin ?

MARJOLET.

Eh bien ! le père... le père qui ne l’est pas !

À Catherine.

En route ! Je vous prends à mon service !

CATHERINE.

Quitter mes maîtres !

MARJOLET.

Je vous donne cent sous de plus !

CATHERINE, se décidant.

Ah ! c’est bien pour l’enfant ! allez !

Marjolet et Catherine sortent par le fond. Lubie entre à gauche, premier plan, dans une chambre que lui indique Milady.

 

 

Scène X

 

MILADY, CROCKBEEF, puis MONTCHARDIN, MADAME MONTCHARDIN

 

CROCKBEEF.

Enfin, il été parti ! il été tard... je pôvais coucher nôs !

MILADY, avec dignité.

Mylord... avant de coucher nôs... chacun dans son chambre...

CROCKBEEF.

Hâo !

MILADY, sévèrement.

Chacun dans son chambre !... je demandé à vôs un explicachione sur le trahison de vôs... avec madame la nourriture !

CROCKBEEF.

Oh ! Je disais dé petites bêtises... pour rire !

MILADY.

Je avé vu le embrassement de vôs !

CROCKBEEF.

Nô !... je volais embrasser le petit enfant... et je avé rencontré son joue...

MILADY.

Oh ! quand je mariai vôs à moâ, je aurais dû trembler... Le lord-maire il avé dit que vous étiez le Don Juan de Liverpool !

CROCKBEEF, à part, avec contentement, se nouant un foulard sur la tête.

Yes... Je été le Don Juan de Liverpool... et de Manchester confortablement !

La porte s’ouvre avec fracas. Monsieur et Madame Montchardin entrent impétueusement avec leurs parapluies.

MADAME MONTCHARDIN.

Personne à l’embarcadère !

MONTCHARDIN.

Le train était parti !

CROCKBEEF, à part.

Encore les marchands de parapluies !

MILADY, à madame Montchardin.

Séchez vos œils... le nourrice il était revenue !

MADAME MONTCHARDIN.

Revenue ? Et ma fille ?

MONTCHARDIN.

Ma fille !

CROCKBEEF.

Le papa nounou il avait emportée !

MADAME MONTCHARDIN, avec un cri de détresse.

Ah !!! Nous ne la reverrons plus !!

Elle se trouve mal, et tombe pâmée dans les bras de Crockbeff.

CROCKBEEF.

Hâo !

À part, la regardant.

C’été un bel femme... bien lourd !

MONTCHARDIN.

Euphémie !

MADAME MONTCHARDIN, d’une voix éteinte.

Montchardin !... je n’y survivrai pas !

CROCKBEEF.

Vos été le père Montchardin ?... Attendez !

Il lui repasse Euphémie évanouie.

MILADY, à Euphémie.

Vôlez-vous sucrer à vôs un tasse de thé ?

CROCKBEEF, prenant sur le guéridon la lettre de Marjolet.

C’été un lettre du papa nounou.

MONTCHARDIN, prenant la lettre.

Une lettre !

MADAME MONTCHARDIN, reprenant tout à coup ses forces.

De ce jeune homme ?... Ne lisez pas !

MONTCHARDIN.

Comment !

Il lit vivement.

« Monsieur, il faut que ça finisse !... votre fille est à moi. »

Parlé.

Hein ?

MADAME MONTCHARDIN.

C’est faux !

MONTCHARDIN, lisant.

« Votre femme vous fera sans doute des histoires... mais je vous crois trop spirituel pour avaler celle du corps de garde... »

CROCKBEEF.

Je comprené pas !

MONTCHARDIN, furieux.

Ah ! madame !... me tromper avec un paysan !

MADAME MONTCHARDIN.

Ne le crois pas, Anatole ! Je prouverai que l’enfant est à moi ! Quand je devrai convoquer tout le 76e de ligne !

MONTCHARDIN, stupéfait.

Le 76e !

CROCKBEEF.

Un régiment !

MILADY, pudiquement.

Ho ! Jé rougissais, moâ !

MADAME MONTCHARDIN, à son mari.

Venez ! Je vous expliquerai tout !... mais courons d’abord sur les traces du ravisseur !... et après... je vous conduirai à l’état-major !

MONTCHARDIN, saisissant un couteau sur le guéridon.

Oh ! je saurai bien lui arracher ma fille ! Venez ! venez !

Elle sort en entraînant Montchardin.

CROCKBEEF.

Hâo ! Elle avé filouté un couteau !

 

 

Scène XI

 

CROCKBEEF, MILADY, puis LUBINE

 

MILADY.

Je plaigner moâ au portier. Il laissait monter toutes sortes de gens avec des parapluies...

CROCKBEEF, ôtant son habit.

Bonsoir, Milady.

MILADY.

Bonsoir.

CROCKBEEF.

Embrassez-moi !

MILADY.

Nô ! je gardai mon offensement !

LUBINE, paraissant en camisole, coiffée d’une marmotte et tenant une paire de gros souliers à la main.

Madame ?

MILADY, vivement.

Que vôlez-vôs ?... Rentrez !

CROCKBEEF, à part, regardant Lubine, avec admiration.

Oh ! Il été encore piou joli avec son marmotte !

LUBINE.

Ousqu’y faut mettre mes souliers ?

MILADY.

Metter à la porte !

CROCKBEEF, prenant les souliers des mains de Lubine.

Donnez !... je porterai, moâ !

MILADY, à Lubine.

Souivez-moâ par devant !... je défende à vôs de sortir !

Milady et Lubine entrent à gauche, premier plan.

 

 

Scène XII

 

CROCKBEEF, puis MARJOLET

 

CROCKBEEF, admirant les gros souliers ferrés de Lubine.

C’été un conte des mille et oune nuits !... si on croirait que son petit pied, il pouvait tenir lui dedans ! Je posai sur mon table de nuit. Et je aurai là... près de moâ... comme un rêve !

Il s’assied et ôte son pantalon.

Allons ! Je vais dormir moâ... pour faire de petits rêves... Oh ! je penserai pas à Milady du tout !... Je penserai aux petits souliers !...

Il se lève. Il est en caleçon. La porte s’ouvre avec fracas, Marjolet paraît avec la petite dans ses bras. Crockbeef est surpris.

Hâo ! Godd ! Goddam !

MARJOLET, il a quitté ses habits de paysan.

Mylord ! Il y a erreur ! Je rapporte l’enfant !

CROCKBEEF.

Sortez vôs ! Je étais dans le caleçon !

MARJOLET, sans l’écouter.

Elle n’a pas le grain, Monsieur... Le grain des Marjolet ! Elle ne l’a pas !... c’est inouï.

CROCKBEEF.

Que chantez-vôs ?

MARJOLET, lui mettant l’enfant dans les bras.

Tenez ! Prenez ça ! Vous le remettrez aux époux Montchardin !

CROCKBEEF, l’enfant dans les bras.

Je volais pas !... mon domicile il n’était pas un dock de petits enfants !... reprenez, vôs !

MARJOLET.

Non... elle n’a pas le grain !

CROCKBEEF.

Oh ! Ce été trop fort !

Appelant.

Dominique ! Dominique !... Où il été ce animal !... Je vais lui faire déposer cette mioche chez le concierge au nom de cette Montchardin !

Il sort en appelant.

Dominique ! Dominique !

 

 

Scène XIII

 

MARJOLET, puis GOUSSEVILLE

 

MARJOLET, seul.

Je n’ai plus d’enfant !... Je suis seul de ma race !... Est-ce que l’histoire de la femme Montchardin serait véridique ?... Il est évident que j’ai fait fausse route !... Ah ! ces émotions... ces joies... ces douleurs... je suis brisé !

Il s’assoit.

J’ai envie de dormir !

Il se déshabille par distraction.

Demain je recommencerai mes recherches... car enfin mon enfant existe... il a été livré à quelqu’un, mais à qui ?

Il ôte son pantalon et paraît en caleçon.

Où est mon bonnet de nuit ?

Appelant.

Mère Camille !

On frappe à la porte.

Entrez !... c’est ma femme de ménage !

GOUSSEVILLE, entrant.

Monsieur...

MARJOLET.

Tiens ! mon oncle !

GOUSSEVILLE, stupéfait.

Toi ici ? dans ce costume ?

MARJOLET.

Vous voyez... j’allais me coucher...

GOUSSEVILLE.

Chez cet Anglais ?

MARJOLET, regardant autour de lui.

Comment !... Ah ! sapristi ! C’est vrai !... Je me croyais chez moi... je ne sais plus où j’ai la tête !

GOUSSEVILLE.

Moi non plus !... j’ai voulu fermer l’œil... Impossible ! Si tu savais !...

MARJOLET.

Quoi ?

GOUSSEVILLE.

L’enfant de Sir Crockbeef n’est pas à lui !

MARJOLET.

Ah ! bah !

GOUSSEVILLE.

Il l’a acheté à une fleuriste... qu’il a envoyée aux Indes avec des pincettes !

MARJOLET.

Une fleuriste !... aux Indes ! Ah ! mon Dieu !

Tout à coup.

A-t-il le grain ?

GOUSSEVILLE.

Quel grain ?... et il m’a arraché par surprise une fausse déclaration...

On entend crier l’enfant dans la chambre à gauche.

MARJOLET.

Il est là !... Oh ! mon cœur !...

À Gousseville.

Attendez ! Je vais vérifier !

Il entre vivement dans la chambre à gauche.

GOUSSEVILLE.

Eh bien ! Où va-t-il donc !

À lui-même.

Je me suis relevé... car j’étais couché... je me suis armé d’une pince... comme les voleurs... et quand je devrais forcer le meuble...

Il s’approche du meuble. Cris de Milady et de Lubine dans la chambre à gauche. Effrayé.

Hein ?

MARJOLET, reparaissant et à la cantonade.

Ne craignez rien !... Je n’ai pas regardé !

GOUSSEVILLE.

Quoi ?

MARJOLET, exalté.

Il a le grain ! pur moka ! mon oncle ! pur moka ! Je l’ai vu à la lueur de la veilleuse ! et c’est un garçon !

Embrassant Gousseville.

Ah ! mon oncle !

GOUSSEVILLE.

Quoi ? Un garçon ! Je te parle de ma déclaration que ce gredin d’Anglais...

MARJOLET.

Soyez tranquille ! Je me charge de lui !

GOUSSEVILLE.

Tu lui reprendras ce papier ?

CROCKBEEF.

Tout ! Et l’enfant ! Et la nourrice !

GOUSSEVILLE.

La nourrice ?...

Montrant le secrétaire.

Il est là... dans ce meuble... Veux-tu ma pince ?

La voix de CROCKBEEF dans la coulisse.

À M. Montchardin... vôs avé compris !

MARJOLET.

Lui !... laissez-nous... Entrez là !

GOUSSEVILLE.

Mais...

MARJOLET, le poussant dans la chambre à gauche 2e plan.

Je réponds de tout !

Gousseville disparaît.

 

 

Scène XIV

 

MARJOLET, CROCKBEEF

 

CROCKBEEF, entrant par la porte de service, à part.

Je avé fait déposer le paquet chez madame le concierge...

MARJOLET.

Mylord, je vous attendais...

CROCKBEEF.

Vôs ! dans le caleçon !... chez moâ !

MARJOLET.

Ne faites pas attention...

CROCKBEEF.

Mais Milady, il pôvait entrer...

MARJOLET.

Rassurez-vous !... elle m’a déjà vu !

CROCKBEEF.

Vos disez ?

MARJOLET, lui offrant un siège.

Asseyons-nous... nous avons à nous dire des choses passablement solennelles...

CROCKBEEF, à part.

Je pourrai jamais coucher moâ...

MARJOLET, se présentant.

Évariste Marjolet, voyageur pour les huiles épurées et représentant de la maison Machonard, Plantoir et Cie.

CROCKBEEF, à part.

Yes... il vendait huile... mais pourquoi qu’il avé ôté son pantalon ?

MARJOLET.

Personne ne peut nous entendre ?

CROCKBEEF.

Nô...

MARJOLET.

Permettez-moi d’abord de clarifier la situation.

CROCKBEEF.

Vos pôvez !...

À part.

Mais pourquoi qu’il avé ôté son pantalon ?

MARJOLET.

Mylord... vous avez un garçon ?

CROCKBEEF.

Yes... un garçon mâle... lé petit Jéricho Crockbeef...

MARJOLET, à part, indigné.

Jéricho ! Ils l’ont appelé Jéricho !

CROCKBEEF.

...né de Milady Deborah Crockbeef... de moâ, confortablement !

MARJOLET.

Non.

CROCKBEEF.

Comment, nô ?

MARJOLET.

Cet enfant est le fils d’Amanda... une fleuriste que vous avez envoyée aux Indes avec des pincettes... et de moâ !

CROCKBEEF, à part.

Lé papa ! nom d’une caniche !

MARJOLET.

Eh bien !

CROCKBEEF.

Vôlez-vôs sucrer à vôs un tasse de thé ?

MARJOLET.

Merci.

Imitant Crockbeef.

Vôlez-vôs rendre à moi lé petit ?

CROCKBEEF.

Nô !... je avé un certificatione du docteur médecine...

MARJOLET.

Que vous lui avez filouté !... mais, moi, j’ai une lettre d’Amanda !

CROCKBEEF.

Un lettre ?

MARJOLET, fouillant dans son habit qu’il a posé sur une chaise.

Attendez !

À part.

Ah ! sapristi ! le dossier est resté dans mon autre habit...

Tirant un papier de l’habit.

Qu’est-ce que c’est que ça ? une sommation pour payer son loyer.

Haut.

Écoutez ça !

Feignant de lire.

« Mon ange... »

Parlé.

Elle avait la bonté de m’appeler mon ange...

CROCKBEEF, à part.

Haô ! Lé anges, ils portaient pas de caleçon !

MARJOLET, lisant.

« J’ai confié notre enfant à un grand cornichon d’Anglais... »

CROCKBEEF.

Cornichon !

MARJOLET, lisant.

« Appelé Sir Crockbeef, rue de l’Arcade, 21... Vous pourrez aller le lui réclamer en remboursant la nourriture et le blanchissage... »

Parlé.

C’est clair ! Qu’est-ce que vous dites de ça ?

CROCKBEEF, très embarrassé.

Vôlez-vôs sucrer à vôs...

MARJOLET.

Non ! merci...

CROCKBEEF, à part.

Il n’y a qu’un forte crac malicious qui pôvait tirer moâ de là !

MARJOLET.

Combien pour la nourriture ? Combien pour le blanchissage ?

CROCKBEEF.

Monsieur Marjolette... vôs été un gentleman... un pur gentleman !

MARJOLET.

Je m’en flatte... je suis connu dans l’huile !...

CROCKBEEF.

Je allai confier à vôs un bon gros secret... que vôs direz pas à Milady.

MARJOLET.

Parlez !

CROCKBEEF.

Été-vôs bien sûr... bien sûr !... de être le papa du petit !

MARJOLET.

Mais dame !

CROCKBEEF.

C’est que moâ aussi je croyais être un peu... confortablement !...

MARJOLET.

Vous ???

CROCKBEEF.

Yes... vôs direz pas à Milady !... je avé aimé follement tout à fait cet petit biche de Amanda.

MARJOLET, ébranlé.

Comment !... Amanda... deux pères !!! Sapristi ! ça se complique !

CROCKBEEF, à part.

Mon crac il été bon ! je roulais lui dedans !

MARJOLET, tout à coup.

Mais c’est impossible !... et le grain ! le grain de café... car l’enfant a mon grain !... je viens de le voir... entre la troisième et la quatrième fausse côte !

CROCKBEEF.

Oh ! ceci prôvait pas !... moâ aussi, je avais le martinique entre le troisième et le quatrième côtelette !

MARJOLET, étonné.

Vous avez... aussi ?

CROCKBEEF.

Yes.

À part.

Encore un crac !

MARJOLET, tout à coup.

Faites-la voir !

CROCKBEEF.

Haô !

MARJOLET, avec force.

Faites-la voir !!!

CROCKBEEF.

Commencez, vôs !

MARJOLET.

Au fait, puisque nous sommes entre hommes... la vérité va paraître.

Il porte la main au bouton de son caleçon.

La voix de MILADY, dans la chambre à gauche.

Mylord ! Venez vos !

CROCKBEEF, arrêtant Marjolet.

Oh ! Milady ! arrêtez vos !!!

MARJOLET, s’arrêtant.

Soyez tranquille !... je suis homme du monde !

CROCKBEEF.

Écoutez-moâ... Monsieur Marjolette... vôs été un gentleman... un pur gentleman !

MARJOLET, modestement, jouant avec son lorgnon.

J’ai des relations...

CROCKBEEF.

Yes... eh bien ! lé petit il pôvait être à vôs, comme il pôvait être à moâ... personne ne peut dire...

MARJOLET, à part.

Il a raison, l’animal !

CROCKBEEF.

Donc, je proposé à vôs un petit arrangement...

MARJOLET.

Voyons ?

CROCKBEEF.

D’abord vôs laissé à moi lé enfant...

MARJOLET.

Mais...

CROCKBEEF.

Attendez, monsieur Marjolette !... vos vivrez près de lui, près de nôs, chez nôs !

MARJOLET.

Ah ! Ah !

CROCKBEEF.

Le huile, il n’été plus un bon commerce... le gaz il avé mangé le huile !

MARJOLET, à part.

Il a raison, l’animal !

CROCKBEEF.

Je donnai à vôs un place... vôs serez le précepteur de l’enfant...

MARJOLET.

Moi ?

CROCKBEEF.

Vos montrerez à lui le grec, le latin...

MARJOLET.

C’est que le grec... le latin... enfin je les apprendrai...

CROCKBEEF.

Vous aurez de plus pour faire lé farce à vôs, trois mille francs... le table, le thé, le pudding, le roastbeef...

MARJOLET.

Trois fois par jour ?

CROCKBEEF.

Vôlez-vôs, monsieur Marjolette ?

MARJOLET, à part.

Au fait... si l’enfant n’est pas à moi... c’est une jolie position !

CROCKBEEF.

Vôlez-vôs, monsieur Marjolette ?

MARJOLET.

Ma foi ! J’accepte !

CROCKBEEF.

À la bonne heure... vous serez un père et moi l’autre.

 

 

Scène XV

 

MARJOLET, CROCKBEEF, MONTCHARDIN, MADAME MONTCHARDIN, CATHERINE, puis MILADY

 

Montchardin et sa femme entrent suivis de Catherine qui porte l’enfant.

MONTCHARDIN.

Nous l’avons ! elle est retrouvée !

MADAME MONTCHARDIN.

Dans la loge du portier.

CATHERINE.

Et mouillée !

MONTCHARDIN, apercevant Marjolet.

Ah ! vous voilà, monsieur... j’ai reçu votre lettre... vous prétendez que ma fille est à vous !

MARJOLET.

Non... permettez...

MADAME MONTCHARDIN.

Mais nous sommes allés à l’état-major !...

MONTCHARDIN.

...et nous apportons de quoi vous confondre.

Il déplie un papier.

MARJOLET.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

MONTCHARDIN.

C’est le rapport du caporal qui commandait le poste.

MADAME MONTCHARDIN.

Lisez devant tout le monde... Je lève la tête !

MONTCHARDIN, lisant.

« Rapport du 15 février. Colonne des observations : 9 heures, on nous apporte une dame. 10 heures, elle n’est pas à son aise. 11 heures, c’est une fille. La mère et l’enfant se portent bien. Signé : Pijavoine, caporal au 76e. »

MONTCHARDIN, à Marjolet.

Qu’avez-vous à répondre à ça ?

MARJOLET.

Moi... rien.

MADAME MONTCHARDIN, à Marjolet.

Polisson !

MILADY, elle sort de sa chambre en camisole de nuit. En apercevant Marjolet en caleçon, elle pousse un cri.

Haô ! shoking !

CROCKBEEF.

Ma femme... je vais vous présenter.

Prenant cérémonieusement Marjolet par la main et le présentant à Milady.

Milady... je présente à vôs M. Marjolette... professeur distingué... qui voulait bien être gouverneur du petit enfant de nôs.

TOUS.

Ah bah !

MARJOLET, à Milady, avec courtoisie et dignité.

Milady... j’ai toujours considéré l’enseignement comme un sacerdoce... je comprends ma mission... et je saurai faire de M. notre fils...

Se reprenant.

votre fils... un gentleman digne en tout d’une mère aussi parfaitement distinguée...

MILADY.

Monsieur, je salouais vôs !

À part.

Mais pourquoi il a ôté son pantalon ?

CROCKBEEF, à Marjolet.

Maintenant vous êtes de la maison.

À part.

Je nourrirai loui de méchantes pommes de terre, de vilains haricots et de poisson salé... il décampera loui tout de suite !

MARJOLET, à part.

Au premier bain qu’il prendra, je le guetterai... et s’il n’a pas le grain, je remporte l’enfant !

TOUS, chantant.

Enfin la paix est faite,
Nos tourments vont finir
Et l’âme satisfaite,
Chacun pourra dormir.

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