Le Dépôt (DESTOUCHES)

Comédie en un acte et en vers.

 

Personnages

 

GÉRONTE, homme de condition, retiré dans sa terre auprès de Paris

LE BARON, voisin de Géronte

ANGÉLIQUE, fille de Géronte

LISETTE, suivante d’Angélique

CLITANDRE, amant d’Angélique

LE MARQUIS D’ESBIGNAG

LE COMTE, neveu du Baron

FRONTIN, valet de chambre du fils de Géronte

GUIGNAC, laquais de Géronte

 

La scène est dans le château de Géronte.

 

 

Scène première

 

GÉRONTE, LISETTE

 

LISETTE.

Nous voilà donc, Monsieur, fixés à la campagne ?

GÉRONTE.

Oui.

LISETTE.

Mais vous devriez y prendre une compagne,

Pour vous désennuyer dans ce triste séjour.

GÉRONTE.

Grâce au ciel, je suis veuf, et le suis sans retour.

LISETTE.

Eh ! pourquoi ? La défunte était si complaisante,

M’a-t-on dit, d’une humeur si douce, si liante,

Que chacun vous croyait l’homme le plus heureux,

Et que vous paraissiez au comble de vos vœux.

GÉRONTE.

Qui t’a dit tout cela ?

LISETTE.

Mille gens.

GÉRONTE.

L’apparence

Est souvent bien trompeuse. Eh ! quelle conséquence

Veux-tu tirer, dis-moi, du prétendu bonheur

Dont ma défunte femme a fait jouir mon cœur ?

LISETTE.

Vous avez quarante ans, tout au plus ; c’est dommage

Que vous ne tâtiez pas d’un second mariage :

Le premier, à mon sens, doit vous encourager

À chercher les moyens...

GÉRONTE.

Les moyens d’enrager.

J’ai tout un autre objet : bon père de famille,

Je ne veux plus songer qu’à marier ma fille,

Et brûle de m’en voir bientôt débarrassé.

LISETTE.

Et monsieur votre fils ?

GÉRONTE.

Un fils n’est pas pressé ;

Et des gens du bel air le mien suit la méthode ;

Mais ma fille a seize ans.

LISETTE.

C’est un âge incommode.

GÉRONTE.

En effet, je sens bien qu’il le devient pour moi.

LISETTE.

Et pour elle : à cet âge on sent je ne sais quoi

Qui ne s’explique pas, mais qu’on voit bien qui presse,

Et qui fait en secret soupirer la sagesse.

Un père clairvoyant s’en aperçoit d’abord,

Et sent de son côté qu’il doit faire un effort.

GÉRONTE.

Mais j’ai peu de moyens ; c’est ce qui m’inquiète.

LISETTE.

Votre fille est, Monsieur, belle, grande, bien faite,

Elle a beaucoup d’esprit ; cela supplée au bien.

GÉRONTE.

Eh ! dans ce siècle-ci, cela ne sert de rien.

Quoiqu’une fille soit sage, bien faite, belle,

On débute d’abord par demander. Qu’a-t-elle ?

Question importune, et qui, je le prévois,

Doit bien embarrasser un père tel que moi.

Je pourrais aisément tromper quelque famille ;

Mais...

LISETTE.

Mais il faut s’aider pour placer une fille.

GÉRONTE.

J’espère la placer chez un de mes voisins,

Riche et de qualité ; mais, Lisette, je crains

Que l’article du bien ne traverse l’affaire.

Il m’a cru riche aussi, moi qui ne le suis guère,

Et je l’ai déclaré tout naturellement.

LISETTE.

Cela causerait-il du refroidissement ?

GÉRONTE.

Non ; car on doit tantôt m’amener le jeune homme

Pour qui l’on me demande Angélique.

LISETTE.

Il se nomme ?

GÉRONTE.

Quelqu’un vient, vois qui c’est.

LISETTE.

Ah ! c’est monsieur Frontin.

 

 

Scène II

 

FRONTIN, GÉRONTE, LISETTE

 

GÉRONTE, à Frontin, qui est botté, avec un fouet à la main.

Qui t’amène céans d’un aussi grand matin ?

FRONTIN.

J’arrive au grand galop, afin de vous remettre,

De la part de mon maître, une importante lettre

Que voici.

GÉRONTE.

Donne.

FRONTIN, fouillant dans ses poches.

Oh, oh ! je ne la trouve pas.

GÉRONTE.

L’étourdi !

FRONTIN, se fouillant toujours.

Me voilà dans un grand embarras.

GÉRONTE.

Eh ! pourquoi ?

FRONTIN, continuant de chercher.

Dans ma poche elle s’est confondue

Avec mille papiers... Ma foi, je l’ai perdue,

Ou je l’aurai laissée à Paris.

GÉRONTE.

Le coquin !

FRONTIN.

Une heure avant le jour m’étant mis en chemin,

Les yeux presque fermés (car je dormais encore),

Il n’est pas étonnant...

GÉRONTE.

Quoi ! brutale pécore,

Tu crois en être quitte en t’excusant ainsi ?

FRONTIN.

Ne nous échauffons point, je crois que la voici.

Il lui remet une lettre.

GÉRONTE.

Enfin... mais ce dessus n’est point de l’écriture

De mon fils.

FRONTIN.

Tout de bon ?

GÉRONTE.

Oui. Par quelle aventure

Ce billet qu’on m’écrit est-il entre tes mains ?

D’où le tiens-tu ?

FRONTIN.

D’un homme, au milieu des chemins,

Qui, m’ayant abordé, m’a demandé la grâce

De m’arrêter un peu. « Je sens que je me lasse,

« M’a-t-il dit tristement (car il était à pied),

« Et vous allez bon train ; faites-moi l’amitié,

« D’abord que vous serez arrivé chez Géronte,

« De lui remettre en main ce billet : j’aurais honte

« De surprendre ses yeux dans l’état où je suis,

« Mal vêtu, demi-mort de fatigue et d’ennuis. »

GÉRONTE.

Quel est cet homme-là ?

FRONTIN.

Son billet va le dire.

GÉRONTE, l’ouvrant.

Oui ? Voyons donc son nom, et ce qu’il peut m’écrire.

C’est quelque aventurier, quelque adroit importun.

FRONTIN.

Vous lui trouverez l’air au-dessus du commun.

GÉRONTE lit.

« J’arrive de la Martinique,

« Où je croyais trouver mes parents et du bien :

« Je les ai trouvés morts, sans m’avoir laissé rien ;

« De mon malheureux sort preuve trop authentique.

« J’apprends, pour comble de malheur,

« Que j’ai perdu ma bonne tante.

« À me persécuter la fortune constante

« Ne me laisse aspirer qu’à mourir de douleur. »

LISETTE, à Géronte.

Eh ! de qui vous vient donc cette épître dolente ?

GÉRONTE.

D’un homme que l’erreur mal à propos tourmente.

LISETTE.

L’erreur ! Eh ! quelle est-elle ?

GÉRONTE.

On le saura.

À Frontin.

Dis-moi,

Était-il encor loin, quand tu l’as vu ?

FRONTIN.

Je crois

Que vous pourrez le voir dans un demi-quart d’heure

Au plus tard.

GÉRONTE.

Bon, tant mieux.

FRONTIN.

À moins qu’il ne demeure

Dans un maudit bourbier à trois cents pas d’ici,

Où j’ai cru m’établir, et mon cheval aussi.

GÉRONTE.

Revenons, maître sot, à la lettre égarée.

FRONTIN.

La faute en peu de temps peut être réparée :

Je retourne... Eh, morbleu ! je l’ai dans mon gousset,

Je l’avais oublié. Je la tiens.

GÉRONTE, regardant le dessus.

En effet,

Je reconnais la main. Voyons ce qu’il me mande.

Après l’avoir lu.

Ah, ah !

LISETTE.

Quoi ! qu’est-ce donc ?

GÉRONTE.

Mon fils me recommande

Un franc original, un marquis d’Esbignac,

Grand seigneur, me dit-il, du comté d’Armagnac,

Gascon vif, pétulant, amoureux à la rage,

Qui vient me demander ma fille en mariage.

FRONTIN.

Vraiment oui.

GÉRONTE.

D’où sais-tu... ?

FRONTIN.

Mon maître me l’a dit ;

Et comme ce Gascon me trouve de l’esprit

(En quoi vous conviendrez qu’il a raison, je pense),

Du sujet qui l’amène il m’a fait confidence.

Vous le verrez ici dans la minute.

GÉRONTE.

Mais

Avait-il vu ma fille à Paris ?

FRONTIN.

Lui ? Jamais.

GÉRONTE.

Comment l’aime-t-il donc ?

FRONTIN.

Il l’adore en peinture.

GÉRONTE.

On ne l’a jamais peinte.

FRONTIN.

Ah ! Monsieur, je vous jure

Que monsieur votre fils en a fait un portrait

Si beau, si succulent, qu’on en ressent l’effet.

GÉRONTE.

Un portrait succulent ! Que diantre veux-tu dire ?

FRONTIN.

Qu’on ne peut exprimer l’appétit qu’il inspire.

Il a pour le Marquis de si piquants attraits,

Que, dès le point du jour, il m’a suivi de près.

D’ailleurs, le bon seigneur croit que Mademoiselle

Sera, quand vous voudrez, aussi riche que belle ;

Et cet article-là, selon ce qu’il m’a dit,

Autant que le portrait, le met en appétit.

LISETTE.

Cela se pourrait bien. Un gascon est un homme

Qui, visant à la dot, aime selon la somme.

GÉRONTE.

Si c’est là son objet...

FRONTIN, en s’en allant.

Vous permettrez, je crois...

GÉRONTE.

Oui, va boire deux coups.

FRONTIN.

J’irai bien jusqu’à trois.

GÉRONTE, en souriant.

Et même jusqu’à quatre.

FRONTIN.

Oh ! Monsieur, à merveille.

Mon cheval ira mieux, quand j’aurai bu bouteille.

GÉRONTE.

Tu vas donc repartir ?

FRONTIN.

Oui ; Monsieur votre fils

Prétend que sur-le-champ je regagne Paris.

GÉRONTE.

Pendant ton déjeuner je vais faire réponse

À sa lettre. Suis-moi.

 

 

Scène III

 

LISETTE, seule

 

Qu’est-ce que nous annonce

Le douloureux billet de cet homme inconnu,

Qu’avec émotion Géronte nous a lu ?

Il m’en fait un mystère, et c’est ce qui m’étonne ;

Car j’ai sa confiance.

 

 

Scène IV

 

ANGÉLIQUE, LISETTE

 

ANGÉLIQUE.

Ah ! te voilà, ma bonne !

Je te cherchais.

LISETTE.

Pourquoi ?

ANGÉLIQUE, d’un air inquiet.

Je ne sais.

LISETTE.

Si matin

Pourquoi vous habiller ?

ANGÉLIQUE.

C’est que j’ai vu Frontin

De ma fenêtre.

LISETTE.

Eh bien !

ANGÉLIQUE.

Et je brûle d’apprendre

Ce qui l’amène ici.

LISETTE.

Vous n’aviez qu’à m’attendre ;

Car j’allais vous rejoindre, et je vous l’aurais dit.

ANGÉLIQUE.

Son arrivée ici me tourmente l’esprit :

Cette course si prompte est extraordinaire.

Quel en est le sujet ?

LISETTE.

Il a de quoi vous plaire.

ANGÉLIQUE.

Tout de bon ?

LISETTE.

Oui vraiment.

ANGÉLIQUE, vivement.

Dis-moi donc ce que c’est.

LISETTE.

Il vous vient un mari... Quoi ! cela vous déplaît ?

ANGÉLIQUE.

C’est selon.

LISETTE.

C’est selon ?

ANGÉLIQUE.

Oui. Quel est-il, Lisette ?

LISETTE.

Je crois que de son nom vous serez satisfaite ;

Car il est très sonore, et se termine en gnac.

ANGÉLIQUE.

Comment s’appelle-t-il ?

LISETTE.

Le marquis d’Esbignac.

ANGÉLIQUE, reculant.

D’Esbignac !

LISETTE.

À ce nom, vous paraissez surprise ;

Il est beau, cependant, et vous fera marquise.

ANGÉLIQUE.

Ah ! me fît-il duchesse, il me déplairait fort.

D’Esbignac ! Eh, fi donc ! Mon père aurait grand tort,

S’il me forçait de prendre un nom si ridicule ;

Il me fait frissonner lorsque je l’articule.

LISETTE.

Mais c’est un grand seigneur du pays d’Armagnac.

Il vaut mieux être là marquise d’Esbignac,

Que d’être femme ici d’un petit gentillâtre.

ANGÉLIQUE.

Oh ! naturellement je suis opiniâtre :

J’aimerais mieux mourir que d’acquérir ce nom ;

Et, s’il faut dire oui, je dirai toujours non.

LISETTE.

Cet entêtement-là tient un peu de la lune.

Est-ce nom laid ou beau qui fait notre fortune ?

Pour moi, j’inclinerais pour le nom le plus plat,

S’il m’apportait du bien avec un marquisat.

D’ailleurs, si ce seigneur est beau, bien fait, aimable,

S’il sait plaire, son nom doit vous être agréable.

ANGÉLIQUE, brusquement et fort vite.

Qu’il soit beau, qu’il soit laid, bien fait ou mal bâti,

Il ne me plaira point ; car j’ai pris mon parti.

LISETTE.

La peste ! vous avez bien du feu pour votre âge.

J’avais toujours cru, moi, qu’en fait de mariage,

On devait obéir à ce qu’un père veut.

ANGÉLIQUE.

On le doit, il est vrai, mais c’est quand on le peut.

LISETTE.

Pourquoi seriez-vous donc si désobéissante ?

De vos petits secrets faites-moi confidente.

ANGÉLIQUE.

Tu me décèlerais.

LISETTE.

Je vous jure ma foi

Que personne jamais ne les saura de moi.

ANGÉLIQUE, après avoir un peu rêvé.

Hélas !

LISETTE.

Vous soupirez ! Bon, c’est là le prélude ;

Chantez présentement. Votre pudeur élude,

Depuis plus de six mois que je suis près de vous,

Certain épancheraient qui vous serait bien doux ;

Car un tendre secret est un fardeau qui pèse.

Avec moi hardiment mettez-vous à votre aise.

ANGÉLIQUE.

Mais ne badine pas, rien n’est plus sérieux.

LISETTE.

Oh ! je n’en doute point ; je le vois dans vos yeux.

ANGÉLIQUE.

Dans mes yeux ?

LISETTE.

Oui ; j’y vois certaine langueur tendre

Qui ne s’explique pas, mais qui se fait entendre.

Ai-je tort ?

ANGÉLIQUE.

Hélas ! non.

LISETTE.

C’est fort bien débuté.

Vous aimez ?

ANGÉLIQUE.

Oui.

LISETTE.

Courage. Avec vivacité ?

ANGÉLIQUE.

De tout mon cœur.

LISETTE.

Tant mieux. C’est un homme admirable,

Sans doute ?

ANGÉLIQUE.

Il n’en est point qui ne soit moins aimable.

LISETTE.

Oh ! j’en aurais juré.

ANGÉLIQUE.

Grand, bien fait, plein d’esprit ;

C’est un homme accompli.

LISETTE.

Ne l’avais-je pas dit ?

Vous aime-t-il de même ?

ANGÉLIQUE.

Oui, Lisette, il m’adore.

LISETTE.

Eh ! qu’en dit votre père ?

ANGÉLIQUE.

Il n’en sait rien encore.

LISETTE.

En êtes-vous bien sûre ?

ANGÉLIQUE.

Il est bien sûr, du moins,

Qu’à lui cacher nos feux nous mettions tous nos soins.

LISETTE.

Mais, quand on aime bien, quelquefois on s’égare,

Et malgré la pudeur, notre cœur se déclare.

N’avez-vous point lâché de ces regards parlants ?...

ANGÉLIQUE.

Oh ! pour qu’on n’en vît rien, je prenais bien mon temps.

Dès qu’on m’examinait, je détournais ma vue,

Et j’étais de sang-froid, quoique je fusse émue.

LISETTE.

Si jeune, vous aviez sur vous tant de pouvoir ?

ANGÉLIQUE.

Oui, je savais aimer sans qu’on pût le savoir ;

Car j’ose me vanter que je suis assez fine.

LISETTE.

Je vois qu’à tous égards le siècle se raffine,

Et les filles surtout ont fait de grands progrès.

Votre père pourtant vous veille de bien près.

N’a-t-il point aperçu votre adroite manœuvre ?

ANGÉLIQUE.

Pour le dépayser, j’ai su tout mettre en œuvre,

Et je gagerais bien qu’il ne soupçonne pas

Qu’aucun homme à mes yeux ait les moindres appas.

LISETTE.

Pour vous en préserver, son cœur veille sans cesse ;

Mais le vôtre, ma foi, l’a gagné de vitesse.

ANGÉLIQUE.

Et je m’en sais bon gré, comme tu peux penser.

Vouloir nous retarder, c’est nous faire avancer.

LISETTE.

Vous le prouvez au mieux. Peste, quelle innocente !

Votre père vous croit une froide indolente

Qui ne sait rien de rien ; mais il est bien trompé.

Jamais père, je crois, ne fui mieux attrapé :

Cela me réjouit.

ANGÉLIQUE.

Ce qui va te surprendre,

J’aimais éperdument dès l’âge le plus tendre.

LISETTE.

C’est presque, avec le lait, savourer le poison.

ANGÉLIQUE.

Oui, l’amour a chez moi devancé la raison,

Mais toujours sagement.

LISETTE.

Oh ! mon Dieu, je le pense.

Mais cet amant si cher fait une longue absence ;

Car...

ANGÉLIQUE.

Il s’est absenté de concert avec moi.

LISETTE.

Il est donc à Paris ?

ANGÉLIQUE, en souriant.

Un peu plus loin, je crois.

LISETTE.

Et l’aimez-vous toujours ?

ANGÉLIQUE.

Plus que jamais, ma bonne.

LISETTE.

Si constante à seize ans ! Ce prodige m’étonne.

ANGÉLIQUE.

Ou j’épouse un couvent, ou j’aurai pour époux

Cet amant si chéri.

LISETTE.

Comment le nommez-vous ?

ANGÉLIQUE.

Quand il en sera temps, tu le sauras, Lisette.

LISETTE.

À votre âge être tendre, et constante, et discrète !

Avec ce cœur gothique, et vos prudes façons,

Vous déshonorerez le siècle où nous vivons.

Oh ! vous vous dédirez, j’en donne ma parole.

ANGÉLIQUE.

L’effet te fera voir si j’ai l’esprit frivole.

 

 

Scène V

 

GÉRONTE, ANGÉLIQUE, LISETTE

 

GÉRONTE, entrant brusquement.

De quoi parlez-vous là ?

LISETTE.

Des mœurs de ce temps-ci.

GÉRONTE, à sa fille.

Gardez-vous de les suivre.

ANGÉLIQUE, en souriant.

Oh ! je m’en garde aussi.

GÉRONTE.

C’est bien fait.

LISETTE, à Géronte.

Vous n’aurez qu’à la mettre à l’épreuve,

Elle vous en prépare une assez belle preuve.

GÉRONTE.

Qu’entends-tu donc par là... Mais que nous veut Guignac ?

 

 

Scène VI

 

GUIGNAC, GÉRONTE, LISETTE, ANGÉLIQUE

 

GUIGNAC, à Géronte.

Je viens vous annoncer le marquis d’Esbignac.

GÉRONTE, à Lisette.

Laisse-nous.

À Angélique.

Vous, restez.

ANGÉLIQUE.

Que lui dire, mon père ?

GÉRONTE.

Eh ! je ne vous retiens que pour voir, et vous taire.

 

 

Scène VII

 

LE MARQUIS, GÉRONTE, ANGÉLIQUE

 

LE MARQUIS, entrant les bras ouverts et l’embrassant vivement.

Bonjour, mon cher ami ; comment va la santé ?

GÉRONTE.

Fort à votre service.

LE MARQUIS, l’embrassant encore.

Ah ! j’en suis enchanté.

Touchez là. C’est ainsi qué l’on fait connaissance

Dans lé pays charmant qui m’a donné naissance.

On s’embrasse, on s’étreint dès lé premier abord.

Nous sommes sans façon.

GÉRONTE, s’essuyant.

Je m’en aperçois fort.

LE MARQUIS.

Nous voilà donc amis, mon aimable Géronte ?

GÉRONTE.

Mais... cette amitié là me paraît un peu prompte.

LE MARQUIS.

Lé soleil dé chez nous produit des esprits vifs,

Et les cœurs d’ordinaire y sont si combustifs

Qu’ils prennent feu d’abord.

GÉRONTE.

Et les nôtres moins vite.

LE MARQUIS.

Tant pis ; cé château-ci mé paraît bien bon gîte.

GÉRONTE.

Disposez-en, Monsieur.

LE MARQUIS.

Cé n’est pas dé refus.

J’aimerais cé séjour, jé crois.

GÉRONTE.

Je suis confus

Qu’il ne soit pas plus beau.

LE MARQUIS.

Mais votre fille est belle,

Si j’en crois au portrait qué son frère fait d’elle.

GÉRONTE, lui faisant apercevoir Angélique.

Vous en pouvez juger.

LE MARQUIS.

C’est là l’original

Du portrait ?

GÉRONTE.

Oui vraiment.

LE MARQUIS, après l’avoir considérée.

Elle n’est point trop mal.

Possible, pourrons-nous sympathiser ensemble.

ANGÉLIQUE, bas, à Géronte.

Mon père, ce Marquis est bien fou, ce me semble.

LE MARQUIS, à Angélique.

Vous voyez un seigneur bien campé, n’est-cé pas ?

Moi, jé rémarque en vous d’assez friands appas.

Vous avez l’œil fripon, la taille fort gentille.

À Géronte.

Dieu mé damne, mon cher, jé crois qué votre fille

Pourra fort bien mé plaire, et qué jé lui plairai.

À Angélique.

Vous rougissez, l’enfant ; je vous en sais bon gré.

J’aime fort la pudur ; elle dévient si rare

Qu’elle est au poids de l’or ; ainsi jé vous déclare,

Princesse dé mon cœur, qué plus vous rougirez

Dé l’ardeur dé mes feux, plus vous m’enflammerez.

À Géronte.

Est-cé qué cet enfant né parle pas encore ?

GÉRONTE, en souriant.

Oh ! que pardonnez-moi.

LE MARQUIS.

Jusqu’ici jé l’ignore.

On la croirait muette.

GÉRONTE.

Elle vous parlera

Quand il en sera temps.

LE MARQUIS.

Oh ! quand il lui plaira :

Jé né suis point pressé. Les filles qui sé taisent

Ont bien dé la vertu ; c’est celles qui mé plaisent.

À Angélique.

Voudriez-vous du moins faire deux ou trois pas,

Ma belle ?

ANGÉLIQUE, d’un air fier.

À quel propos ?

LE MARQUIS.

Né lé sentez-vous pas ?

Jé suis assez content dé votre conténance.

Avez-vous en marchant cé petit air d’aisance,

Cé joli pied badin qui sait tout émouvoir ?

C’est un aimant pour moi.

ANGÉLIQUE, d’un ton piqué.

Eh bien ! vous allez voir

Dans le moment si j’ai la démarche légère.

Elle marche avec précipitation, et sort brusquement en repoussant la porte avec bruit.

 

 

Scène VIII

 

LE MARQUIS, GÉRONTE

 

LE MARQUIS, après l’avoir suivie de l’œil.

Elle a l’allure vive... Eh ! dites-moi, beau-père,

Où donc est-elle allée ? Elle né révient point.

Mais jé voudrais encore examiner un point...

GÉRONTE, vivement.

Croyez-vous marchander ?...

LE MARQUIS.

M’en faites-vous réproche ?

Jé né veux point, mon cher, achéter chat en poche.

GÉRONTE.

Parbleu ! je ne veux point vous le vendre non plus.

Abrégeons, s’il vous plaît, ces propos superflus.

LE MARQUIS, d’un ton haut et fier.

Superflus ! Apprénez, sans faire l’Aristarque,

Qué tout cé qué jé dis est digne dé rémarque.

GÉRONTE.

Je le remarque aussi.

LE MARQUIS.

Vous né faites pas mal.

GÉRONTE, à part.

Mon fils a bien raison ; c’est un original.

Haut.

Depuis quand avez-vous quitté votre province ?

LE MARQUIS.

Dépuis un mois au plus : comme jé suis un prince

Dans mon pays natal, ou du moins peu s’en faut,

J’ai la façon très libre, et lé ton un peu haut.

GÉRONTE.

Un peu haut, il est vrai.

LE MARQUIS.

Mais pas trop. Quoi qu’on dise,

Jé vais mon train : tant pis pour qui s’en formalise.

On sait dans mes états le respect qui m’est dû,

Et jé ferai si bien qu’il mé séra rendu

Dans le cœur de Paris ; ou, jé perde la vie,

Si jé né punis pas cette ville impolie.

GÉRONTE, en riant.

Eh ! comment ferez-vous ?

LE MARQUIS.

Sandis, j’en sortirai

Sans prendre congé d’elle, et m’en rétournerai ;

Mais jé veux différer jusqu’après l’alliance

Qui doit être le fruit de notre connaissance.

GÉRONTE.

Un prince tel que vous ne peut, à mon avis,

S allier dignement qu’en son propre pays.

LE MARQUIS.

J’ai tout autour dé moi la plus fine noblesse

Qui soit dans l’univers ; mais un nom sans richesse

N’est pas digne dé moi. Je veux au plus beau sang

Joindre l’éclat d’un bien qui soutienne mon rang,

Pour mé mettre en état dé vivre comme un prince.

Né trouvant pas mon fait au fond d’une province,

Jé suis vénu chercher la fortune à Paris,

Ou dans ses enbirons.

GÉRONTE.

Ma foi je suis surpris

Que dans ce dessein-là vous me rendiez visite.

Vous ne trouverez pas la fortune à ma suite.

LE MARQUIS.

Eh donc ! où la prendrai-je ?

GÉRONTE.

Autre part que chez moi.

LE MARQUIS.

Fi donc, pétit badin ! vous vous moquez, jé crois.

Joignez à votre enfant dix mille écus dé rente,

Bien clairs, bien assurés, et céla mé contente ;

Car jé suis généreux. Votre fille m’a plu,

Moyennant cetté dot ; c’est un marché conclu.

Jé fais grâce du reste.

GÉRONTE, en souriant.

Ah ! la faveur est grande.

LE MARQUIS.

J’ai tout autant dé bien qué cé qué j’en démande.

Vingt mille écus par an feront notre total.

Sans plume ni jetons jé né compte pas mal.

GÉRONTE.

Quoique vous comptiez bien, vous êtes loin de compte.

Ma fille n’est pas riche, et je le dis sans honte.

LE MARQUIS, lui frappant sur l’épaule.

Pétit père aux écus, jé sais cé qué jé sais.

GÉRONTE.

Quoi donc ?

LE MARQUIS.

Et lé dépôt ? Ah, ah ! vous rougissez !

D’Orcy vient dé mourir. Vous ignorez, jé pense,

Qu’il était mon cher oncle. Il m’a fait confidence,

En mourant, d’un avis qu’il ténait pour certain,

C’est qué sa vieille épouse a garni votre main

D’un trésor qu’en sécret elle gardait pour elle,

Et dont elle vous a confié la tutelle.

Elle était votre amie, et sé fiait à vous ;

Et moi, comme néveu de défunt son époux,

.Té viens pour réclamer cé trésor dé famille,

Et vous payer la garde en prénant votre fille.

GÉRONTE.

Ah ! c’est donc pour cela que vous venez ici ?

LE MARQUIS.

Comme unique héritier de mon oncle d’Orcy.

GÉRONTE.

Si j’avais ce dépôt, et qu’il fallût le rendre,

Messieurs les Esbignacs n’y pourraient rien prétendre.

Votre oncle était fort gueux ; il n’a point eu d’enfants,

Et sa veuve a pu faire hériter ses parents :

Elle avait deux neveux ; le cadet est en vie ;

Si ce dépôt existe, il est à lui.

LE MARQUIS.

Jé nie

Votre argument.

GÉRONTE.

Sur quoi ?

LE MARQUIS.

Jé prétends ; c’est tout dit.

GÉRONTE.

Ah, ah ! vous prétendez.

LE MARQUIS.

Oui, céla mé suffit.

Voilà mon droit ; cessez vos objections fades.

GÉRONTE.

Croyez-vous m’imposer avec vos gasconnades ?

LE MARQUIS.

Vous perdez lé respect, mais jé suis indulgent.

Jé vous quitte la fille, et donnez-moi l’argent.

En mé livrant mon bien, vous garderez lé vôtre.

Partageons.

GÉRONTE.

Vous n’aurez, ma foi, ni l’un ni l’autre.

LE MARQUIS, d’un ton haut.

Ni l’un ni l’autre ?

GÉRONTE.

Non.

LE MARQUIS.

Nous verrons donc beau jeu.

GÉRONTE.

Vos menaces...

LE MARQUIS.

Sandis, vous mé mettez en feu.

GÉRONTE.

Allez prendre le frais.

LE MARQUIS.

Comment ! pétit Géronte,

Vous mé congédiez sans mé faire mon compte ?

GÉRONTE.

Votre compte est tout fait.

LE MARQUIS.

Et vous mé donnez ?

GÉRONTE.

Rien.

LE MARQUIS.

Jé né sors point d’ici sans emporter mon bien.

Des atomes vivants puissé-je être lé moindre,

Si jé n’ai pas raison...

 

 

Scène IX

 

FRONTIN, LE MARQUIS, GÉRONTE

 

FRONTIN, à Géronte.

Monsieur, je vais rejoindre

Mon cher maître. Avez-vous quelque ordre à me donner ?

GÉRONTE.

Dis-lui que je ne veux jamais lui pardonner

De m’avoir envoyé le plus grand fou de France.

LE MARQUIS, se mettant en posture de tirer l’épée.

Cadédis, c’en est trop ; mettez-vous en défense.

GÉRONTE, à Frontin, vivement.

Va chercher mon épée.

Clitandre paraît au fond du théâtre.

FRONTIN.

Il n’en est pas besoin.

Ce Monsieur qui me suit va se donner le soin

Frontin met la main sur la garde de son épée.

De vous raccommoder. En tout cas, je suis homme...

LE MARQUIS, à Frontin.

Comment, maraud !...

FRONTIN, d’un ton fier.

Maraud ! C’est Frontin qu’on me nomme.

Sachez que les Frontins ne sont pas des marauds.

Nous sommes francs Picards, et tant soit peu brutaux.

GÉRONTE, en riant.

Va-t’en.

FRONTIN.

J’obéis, mais...

Il sort en morguant le Marquis.

 

 

Scène X

 

CLITANDRE, vêtu d’un vieux habit noir, GÉRONTE, LE MARQUIS

 

GÉRONTE, courant au-devant de Clitandre, et l’embrassant.

C’est vous, mon cher Clitandre !

CLITANDRE.

Du désir de vous voir je n’ai pu me défendre,

Malgré le triste état où je m’offre à vos yeux.

GÉRONTE, l’embrassant encore.

Soyez le bien venu.

CLITANDRE.

Cet accueil gracieux

Me rend la vie.

GÉRONTE.

Et moi, je sens...

CLITANDRE.

Mais il me semble

Que ce Monsieur et vous vous disputiez ensemble.

GÉRONTE, en souriant.

C’est ce brave Seigneur qui m’insulte chez moi.

CLITANDRE, au Marquis.

Quoi ! vous osez...

LE MARQUIS, d’un ton fier.

Comment ! vous êtes fou, jé crois,

Dé risquer avec moi ces phrases familières.

Jé pourrais réformer vos pétites manières.

CLITANDRE, avec un souris amer.

Nous allons voir cela ; mais ne saurai-je pas

Pourquoi chez mon ami vous faites ce fracas ?

LE MARQUIS, élevant sa voix.

Jé démande mon bien, et cet homme a l’audace

Dé mé lé réfuser.

CLITANDRE.

D’un ton plus bas, de grâce.

LE MARQUIS.

Cadédis, est-ce à vous dé mé régler le ton ?

CLITANDRE, d’un ton doucereux.

Cela se pourrait bien.

LE MARQUIS.

Il m’en fera raison,

Ou jé déviendrai nul.

CLITANDRE, d’un grand sang-froid.

Sans prendre connaissance

Du fait dont il s’agit, je vous soutiens d’avance

Qu’il ne peut avoir tort, qu’il est homme d’honneur,

Et qui dit le contraire est un fat.

LE MARQUIS, se mettant en posture de se battre.

Ma fureur

Né sé possède plus.

CLITANDRE, faisant la même chose.

Laissez-la donc paraître.

LE MARQUIS.

Quand jé la laisse aller, jé n’en suis plus le maître.

Prends garde à toi.

CLITANDRE, enfonçant son chapeau.

Voyons.

GÉRONTE, se mettant entre eux deux.

Laissez ce fanfaron.

LE MARQUIS, à Géronte.

D’où sort cet homme-là ? Jé veux savoir son nom.

Avec quelque pied plat jé crains dé mé commettre.

Un homme dé mon rang n’ose sé lé permettre ;

Son honneur délicat...

CLITANDRE, mettant l’épée à la main.

Parbleu ! tu l’oseras,

Monsieur le grand Seigneur, ou tu décamperas.

LE MARQUIS, d’un sang-froid méprisant.

Va, rends grâces au ciel dé ma délicatesse ;

Sans céla, cadédis !... Bonnés gens, jé vous laisse,

Et sors vite, dé peur dé mé déshonorer ;

Mais autre part qu’ici l’on peut sé rencontrer,

Et lorsque dé ton nom j’aurai pris connaissance...

CLITANDRE, le suivant.

Faut-il vous reconduire ?

LE MARQUIS.

Eh non ! jé t’en dispense.

Quand jé saurai ton rang, qui n’est pas haut, jé crois,

Nous nous verrons dé près, s’il est digné dé moi.

CLITANDRE.

Je m’appelle Clitandre, et je suis gentilhomme.

LE MARQUIS.

Souvent dé cé beau titre un bourgeois sé rénomme.

Jé vais faire partout des informations,

Ensuite jé prendrai mes résolutions.

Heureusément pour toi, ma valeur est l’esclave

Du point d’honneur ; adieu.

CLITANDRE, le conduisant.

Jusqu’au revoir, mon brave.

 

 

Scène XI

 

GÉRONTE, CLITANDRE

 

GÉRONTE, en riant.

Il s’en va.

CLITANDRE.

Quel faquin, avec sa qualité !

Mais sur quel sujet donc vous a-t-il insulté,

Ce fanfaron, si propre à recevoir nasarde ?

GÉRONTE.

Vous ne le croiriez pas ; ce sujet vous regarde.

CLITANDRE.

Moi ?

GÉRONTE.

Vous-même.

CLITANDRE.

Et par où ?

GÉRONTE.

Vous le verrez bientôt.

Ce terrible Marquis a flairé le dépôt

Que madame d’Orcy, votre défunte tante,

A laissé dans mes mains : dix mille écus de rente

En excellents effets.

CLITANDRE.

Dix mille écus !

GÉRONTE.

Autant.

C’est, comme vous voyez, un dépôt important

Qu’elle m’a confié pour vous et votre frère.

D’un si riche trésor discret dépositaire,

Je vous le conservais, sans que l’on en sût rien.

La mort de votre frère en a fait votre bien ;

Et quand vous déploriez votre sort misérable,

Vous étiez héritier d’un fonds considérable,

Que ce brave Marquis prétendait usurper.

CLITANDRE.

Ce bonheur imprévu doit bien moins me frapper

Que votre bonne foi dans le siècle où nous sommes,

Où l’intérêt devient l’unique loi des hommes ;

Et je me réjouis plus pour vous que pour moi,

D’éprouver que l’honneur est votre unique loi.

C’est des mœurs du vieux temps rappeler la mémoire.

GÉRONTE.

J’ai fait ce que j’ai dû ; ce n’est pas une gloire.

CLITANDRE.

C’en est une aujourd’hui.

GÉRONTE.

Je le sais, j’en rougis.

Mais pourquoi portez-vous ces lugubres habits,

Dites-moi ?

CLITANDRE.

C’est l’effet du malheur de mon père,

Tué dans un combat engagé par mon frère

Contre les ennemis, qui, par irruption,

Pillaient et détruisaient notre habitation.

Je fus à ce combat, en mettant pied à terre,

Blessé, laissé pour mort, dépouillé : cette guerre

Ne me laissa qu’un bien entièrement détruit ;

Et, pour m’en revenir, j’achetai cet habit

Aux dépens d’un voisin généreux, dont la bourse

Fut, dans ce triste état, mon unique ressource.

Voyage malheureux, que j’avais entrepris

À l’insu de ma tante, et contre votre avis !

Car je ne savais rien de ces fonds en réserve,

Qu’avec tant de bonté votre cœur me conserve.

Me voilà plus heureux que je ne méritais.

GÉRONTE.

Et presque marié.

CLITANDRE, d’un ton vif.

Ciel ! je posséderais

L’objet...

GÉRONTE.

Le vieux Baron, ce bon voisin qui m’aime,

Propose deux projets, pour vous et pour moi-même.

Je me flattais toujours de votre prompt retour.

Comme avec ce voisin j’en raisonnais un jour,

Du dépôt que j’avais je lui fis confidence ;

Elle devint l’objet d’une double alliance.

Sa nièce est riche, aimable ; il me l’offrit pour vous,

Et, si vous le voulez, vous serez son époux.

Vous rêvez ! Cependant c’est un parti sortable.

CLITANDRE.

Quel est l’autre projet ?

GÉRONTE.

Je le trouve admirable

Pour ma fille.

CLITANDRE.

En quoi donc ?

GÉRONTE.

Le Baron, depuis peu,

A fait venir chez lui le Comte son neveu.

Le connaissez-vous ?

CLITANDRE.

Non.

GÉRONTE.

C’est un très beau jeune homme,

Fort riche et fort bien fait ; mais d’ici jusqu’à Rome,

Et par malheur pour nous (c’est là le deficit),

On ne voit pas de fat avec si peu d’esprit.

CLITANDRE.

Aime-t-il Angélique ?

GÉRONTE.

Il ne l’a jamais vue.

Ce doit être aujourd’hui la première entrevue.

Il charmera ma fille avec de beaux dehors,

Cela suffit ; et moi je ferai tant d’efforts

Pour reformer ses tons et ses manières fades,

Que nous ne craindrons plus ses plates incartades.

Comme c’est pour ma fille un très riche parti,

Et qu’elle a peu de bien, d’abord j’ai consenti

À le faire mon gendre ; et l’on vient de m’écrire

Qu’on va me l’amener.

CLITANDRE.

Il est temps de vous dire...

 

 

Scène XII

 

GÉRONTE, CLITANDRE, GUIGNAC

 

GUIGNAC, à Géronte.

Le Baron de Fiercourt.

GÉRONTE, sortant.

Il faut le recevoir.

À Clitandre.

Dans un petit moment nous pourrons nous revoir.

 

 

Scène XIII

 

CLITANDRE, seul

 

Il ne me laisse pas le temps de la réplique,

Et sera bien surpris... Ah, je vois Angélique !

 

 

Scène XIV

 

ANGÉLIQUE, CLITANDRE, LISETTE

 

LISETTE, à Angélique, qui entre d’un pas précipité.

Mais qui cherchez-vous donc ?

ANGÉLIQUE, d’un ton vif.

Viens, je crois l’avoir vu.

C’était lui sûrement, mon cœur est trop ému

Apercevant Clitandre.

Pour se tromper. Ô ciel !

LISETTE, regardant Clitandre.

Quoi ! c’est cette figure

Qui vous émeut ?

ANGÉLIQUE, d’une voix entrecoupée.

Lisette !

LISETTE, la contrefaisant.

Eh bien !

ANGÉLIQUE.

Quelle aventure

À Clitandre.

L’a mis en cet état ! Est-ce vous que je vois ?

CLITANDRE.

J’ai honte de paraître...

ANGÉLIQUE, à Lisette.

Oui, c’est lui, c’est sa voix

LISETTE, d’un ton impatient.

La voix de qui ?

ANGÉLIQUE, d’un ton tremblant.

La voix...

LISETTE.

Mais devenez-vous folle ?

ANGÉLIQUE, à Clitandre.

Monsieur... l’étonnement m’étouffe la parole.

CLITANDRE, avec un souris fin.

Je parais devant vous un peu mal arrangé,

Mais bientôt...

ANGÉLIQUE.

En effet, vous voilà bien changé.

Peut-on, sans vous fâcher, en demander la cause ?

CLITANDRE.

Mon malheur a causé cette métamorphose.

LISETTE.

Elle n’est pas brillante, assurément.

CLITANDRE.

L’amour,

Qui m’avait-fait partir, a pressé mon retour.

LISETTE.

Selon certain billet, assez mélancolique,

C’est donc vous qu’il avait conduit en Amérique,

Où vous croyiez trouver des parents et du bien ;

Parents qui sont tous morts, et sans vous laisser rien ?

CLITANDRE.

C’est moi-même, et j’aurais été plus loin encore,

Pour être digne enfin de l’objet que j’adore.

Je voulais l’enrichir par l’offre de ma main.

LISETTE.

Et l’amour a manqué la fortune en chemin.

CLITANDRE.

J’en suis dédommagé, je ne me plains plus d’elle.

Je revois ce que j’aime.

LISETTE.

Oh, oh ! Mademoiselle,

C’est donc là...

CLITANDRE.

Je la vois sensible à mes malheurs,

Et son cœur généreux m’honore de ses pleurs.

ANGÉLIQUE.

À de pareils revers peut-on être insensible ?

CLITANDRE.

Quoi ! vous m’aimez encore ?

ANGÉLIQUE.

Autant qu’il est possible.

CLITANDRE.

Mais mon sort à vos yeux devrait me dégrader.

ANGÉLIQUE.

Est-ce donc à l’état que l’on doit regarder ?

Un cœur frivole et bas au seul éclat se donne ;

Un bon cœur le méprise, et chérit la personne.

LISETTE, à Angélique.

Monsieur est donc celui dont vous m’avez parlé ?

ANGÉLIQUE.

J’aurais mieux fait d’avoir encor dissimulé.

LISETTE.

Point du tout. Mais, Monsieur, dans votre décadence

Osez-vous conserver encor quelque espérance ?

CLITANDRE.

Plus que jamais.

ANGÉLIQUE.

Pour moi...

LISETTE, à Clitandre.

Si vous me dites vrai,

Vous extravaguez donc, ou vous faites l’essai

De son cœur, en feignant d’être dans la misère ;

Car vous ne pourriez plus vous flatter que son père...

CLITANDRE.

Malgré tous mes malheurs, je suis toujours aimé.

De quel obstacle encor pourrais-je être alarmé ?

ANGÉLIQUE, à Lisette.

Je le préférerais aux plus riches fortunes,

Qui ne peuvent charmer que des âmes communes.

CLITANDRE.

Favorable disgrâce ! ô trop heureux revers !

Le Comte paraît au fond du théâtre, en se mirant et s’ajustant.

LISETTE, apercevant le Comte.

Ah, ah ! quel est cet homme avec ses brillants airs ?

Voyez comme il s’étale, et combien il s’admire !

ANGÉLIQUE.

Il nous dit ce qu’il est, avant que de rien dire.

LISETTE.

C’est, je crois, le neveu de monsieur le Baron.

 

 

Scène XV

 

LE COMTE, ANGÉLIQUE, CLITANDRE, LISETTE

 

LE COMTE, à Angélique, après bien des révérences.

Vous me dispenserez de vous dire mon nom.

On le devine bien.

ANGÉLIQUE.

Non, Monsieur, je vous jure.

LISETTE, bas, à Angélique.

Ne le trouvez-vous pas d’une aimable figure ?

ANGÉLIQUE, bas, à Lisette.

Je ne vois rien qu’un fat.

LE COMTE, à Angélique.

Je vins hier ici ;

Vous devez m’avoir vu.

ANGÉLIQUE.

Non.

LE COMTE.

Eh bien ! me voici.

Vous me voyez, ma belle, enchanté de vos charmes.

Dès le premier abord, mon cœur vous rend les armes.

Vous offrez à mes yeux un objet... si charmant,

Qu’il ne peut résister à cet enchantement.

LISETTE, bas, à Angélique.

Charmes, charmant ; voilà bien des charmes ensemble.

ANGÉLIQUE, bas, à Lisette.

C’est un sot bien vêtu.

LISETTE.

Mais c’est ce qui me semble.

LE COMTE, à Angélique.

Vous ne répondez rien. D’où vient tant de froideur ?

Aurai-je votre main sans avoir votre cœur ?

ANGÉLIQUE, à Lisette.

Ma main ! Que veut-il dire ?

LISETTE, à Angélique.

Eh mais ! je le soupçonne.

LE COMTE, lui prenant la main, qu’elle retire.

Eh ! dites-moi deux mots, adorable personne !

ANGÉLIQUE, bas, à Lisette.

Ah, ciel ! quelle fadeur ! Que d’apprêt et de fard !

LE COMTE.

Ne pourriez-vous, du moins, m’honorer d’un regard ?

ANGÉLIQUE, baissant les yeux.

Je ne vois pas pourquoi.

LE COMTE.

Pourquoi ? Mais, ma princesse,

Vous me devrez bientôt un retour de tendresse.

LISETTE, au Comte.

Bientôt ? Il me paraît encor bien éloigné.

LE COMTE, à Lisette, d’un ton fier.

Me croyez-vous donc fait pour être dédaigné ?

LISETTE, lui faisant la révérence.

Je n’ai garde.

LE COMTE.

Le bien, une illustre naissance,

Une figure, un air, parlent pour moi, je pense.

ANGÉLIQUE.

Ah ! Monsieur, je vous crois un mérite parfait :

Mais...

LE COMTE.

Point de mais, de grâce, incomparable objet.

ANGÉLIQUE.

Monsieur, en vérité, je suis très comparable.

LE COMTE.

Vous êtes sans pareille, admirable, adorable.

ANGÉLIQUE.

Laissons là, s’il vous plaît, vos adorations,

Et donnez moins d’enflure à vos expressions.

LE COMTE.

Pour flatter votre goût, que faut-il donc vous dire ?

ANGÉLIQUE, d’un ton sec.

Rien, Monsieur.

LE COMTE.

Rien ?

LISETTE.

Oui, rien. Elle veut qu’on l’admire

Sans dire une parole.

LE COMTE.

Eh bien ! je me tairai ;

Et, sans dire un seul mot, je vous adorerai.

Il se jette aux pieds d’Angélique, et la regarde en faisant des signes d’amour et d’admiration.

Jugez de mon amour par mon profond silence.

LISETTE.

Cette scène est nouvelle.

ANGÉLIQUE, à Lisette, en voulant sortir.

Oh ! je perds patience.

LISETTE, au Comte, qui est encore à genoux.

Ne vous dérangez point, nous allons revenir.

LE COMTE, retenant Angélique.

Permettez-moi du moins de vous entretenir

Des plaisirs que dans peu nous goûterons ensemble,

Vous et moi.

ANGÉLIQUE, d’un ton fier.

Quels plaisirs ! Ah ! Lisette, je tremble

Qu’on ne m’ait engagée.

LE COMTE.

Oui, demain vous serez

Mon adorable épouse, et vous m’adorerez

À votre tour.

ANGÉLIQUE.

Qui, moi ?

LE COMTE.

Mon oncle et votre père

Viennent dans ce moment de conclure l’affaire ;

Je venais vous le dire avec empressement,

Et, loin de m’en marquer votre ravissement...

CLITANDRE, au Comte.

Je vous jure, Monsieur, qu’elle n’est point ravie,

Et que vos airs brillants ne lui font point envie.

LE COMTE.

Eh ! pourquoi donc ?

CLITANDRE.

Son cœur est ailleurs engagé.

LE COMTE.

Je le dégagerai ; c’est un talent que j’ai,

Quand je veux l’exercer.

CLITANDRE.

On saura le défendre,

Malgré votre talent.

LE COMTE.

Qui ?

CLITANDRE.

L’amant le plus tendre,

Le plus aimé.

LE COMTE.

Quel est ce hardi raisonneur ?

Savez-vous qui je suis ? Hem !

CLITANDRE.

Je n’ai cet honneur

Que depuis un moment ; mais contre vous je gage

Que vous allez ici perdre votre étalage.

LE COMTE.

Sors d’ici, mon ami ; tu pourrais éprouver

Que c’est jouer gros jeu que d’oser me braver.

CLITANDRE, fièrement.

Je ne crains point le jeu, quelque gros qu’il puisse être,

Et quand il vous plaira vous pourrez le connaître.

LE COMTE, d’un ton furieux.

Retire-toi, te dis-je, ou tu verras bientôt...

 

 

Scène XVI

 

LE BARON, GÉRONTE, CLITANDRE, LE COMTE, ANGÉLIQUE, LISETTE

 

LE BARON, accourant, à Clitandre.

Souffrez qu’on vous embrasse. Un précieux dépôt

Que vous gardait Géronte, est le prix du mérite

Que chacun vous connaît. Je vous en félicite

Du meilleur de mon cœur, et je suis enchanté

Que d’un si gros trésor vous ayez hérité.

CLITANDRE, l’embrassant à son tour.

Mon cher Baron, ma joie augmente par la vôtre.

LE COMTE, à part.

Mon cher Baron ! Morbleu ! je l’ai pris pour un autre.

ANGÉLIQUE, bas, à Lisette.

Ah ! qu’est-ce que j’apprends ?

LE BARON.

La Marquise d’Orcy,

Votre tante...

LE COMTE, à part.

Sa tante !

LE BARON.

Eût dû fixer ici

Votre séjour, au lieu de vous faire mystère

Des effets dont Géronte était dépositaire.

Quelle vous eût sauvé de tribulations !

ANGÉLIQUE, bas.

Ah ! Lisette, il est riche !

LISETTE, bas, à Angélique.

Eh ! oui : ses actions

Vont bien monter. Tant mieux, tant mieux pour vous, ma belle ;

L’affaire pourra prendre une face nouvelle.

LE BARON, à Clitandre.

Géronte à nos projets vient de vous préparer,

Dit-il, et tout de suite il faut vous déclarer

Que, sans vous consulter, nous venons de conclure.

Je vous donne ma nièce ; et mon voisin m’assure

Que vous serez charmé d’apprendre cet accord.

Elle saura vous plaire, ou je me trompe fort ;

Et vous voyez son frère arrivé de province

Depuis votre départ : avec un air de prince,

Une figure aimable, il joint de très grands biens

Qui seront augmentés de la moitié des miens.

C’est lui que nous donnons à cette Demoiselle.

Quoiqu’elle ne soit pas aussi riche que belle,

Comme je le croyais, mais... Venez, mon neveu,

Voici votre beau-frère, embrassez-le ; dans peu

Vous serez enchanté d’une telle alliance.

Embrassez-le, vous dis-je, et faites connaissance.

LE COMTE, à Clitandre, d’un air confus.

Monsieur, je suis fâche...

CLITANDRE, en souriant.

Vous voilà bien surpris.

Vous ne jugerez plus des gens par les habits.

LE COMTE.

Non, je vous en assure, et je vous fais excuse.

CLITANDRE, l’embrassant.

Je l’accepte.

Au Baron.

Il faut donc que je vous désabuse.

LE BARON.

De quoi ?

CLITANDRE.

J’accepterais du meilleur de mon cœur

La main que vous m’offrez, et m’en ferais honneur

Si j’étais libre.

GÉRONTE.

Oh ! oh ! que voulez-vous nous dire ?

LISETTE, bas, à Angélique.

Voici la crise.

ANGÉLIQUE, bas, à Lisette.

Hélas ! à peine je respire.

GÉRONTE, à Clitandre.

Est-ce donc qu’en secret vous êtes marié ?

CLITANDRE.

Non, je ne le suis point ; mais l’amour m’a lié

Par des nœuds aussi forts que ceux du mariage.

Souffrez que, pour jamais, ce soit lui qui m’engage.

GÉRONTE.

Avec qui, s’il vous plaît ? Ouvrez-vous sans façon.

CLITANDRE.

De votre probité je suivrai la leçon.

Il ne tenait qu’à vous de cacher ma fortune :

Par une bonne foi, dans ce temps peu commune,

Vous me livrez mon bien quand j’y pensais le moins ;

Que ne puis-je payer vos bontés et vos soins !

Mais sur ce que je puis, il faut que je m’explique :

Je demande à vos pieds la charmante Angélique,

Ou, si vous refusez de nous unir tous deux,

Livrez-lui le dépôt ; il ne m’est précieux

Que pour le digne objet de la plus vive flamme...

LE COMTE, à Clitandre.

Mais il est décidé qu’elle sera ma femme.

Vous le savez fort bien.

CLITANDRE.

Si l’on a décidé,

Sa dot est le trésor que l’on m’avait gardé ;

Je vous le cède.

LE COMTE, d’un ton douloureux.

Eh bien ! nous prendrons l’un et l’autre

Pour vous faire plaisir.

LE BARON, vivement au Comte.

Quoi ! mon bien et le vôtre

Ne vous suffisent pas ?

LE COMTE.

Pardonnez-moi vraiment.

Mais je veux m’en tenir à notre engagement.

Je sens aussi pour elle une flamme très vive ;

El, puisque Monsieur veut que le dépôt la suive,

Pour lever tout obstacle il faut bien accepter

Ce qu’un cœur généreux daigne nous présenter.

GÉRONTE.

Je reconnais Clitandre à cette grandeur d’âme :

Mais si j’en profitais, je serais un infâme.

Il aura le dépôt, c’est un point résolu.

Au reste, je ne puis rompre un traité conclu ;

J’ai donné ma parole à l’égard d’Angélique,

Et je dois la tenir.

CLITANDRE.

Souffrez qu’elle s’explique ;

Car encor faut-il bien sur votre engagement

Que vous lui demandiez quel est son sentiment.

GÉRONTE.

Vous parlez juste.

LE BARON.

Eh bien ! parlez, Mademoiselle,

Mon neveu vous plaît-il ?

GÉRONTE.

Je réponds oui, pour elle.

LISETTE.

Mais je réponds que non.

GÉRONTE.

Impudente, oses-tu...

Au Baron.

Ne vous alarmez point, je connais la vertu

De ma fille.

LISETTE.

Oui, Monsieur, votre fille est très sage ;

Cela n’empêche point que son cœur...

GÉRONTE.

À son âge

Elle pourrait aimer ?

LISETTE.

Élevée à Paris,

Elle devance l’âge, et vous êtes surpris !

Tout aiguise l’esprit dans cette aimable ville,

Et le plus jeune cœur n’y peut vivre tranquille.

Celui de votre fille en a senti l’effet,

Dès qu’il a pu sentir ; et j’en connais l’objet.

GÉRONTE.

Quel est-il ?

LISETTE.

Qu’elle parle, et vous allez l’apprendre.

GÉRONTE, à Angélique.

Nommez-le donc.

ANGÉLIQUE.

Je n’ose.

LISETTE.

Eh bien ! c’est...

GÉRONTE.

Qui ?

LISETTE.

Clitandre.

GÉRONTE, à Angélique.

Est-il vrai ?

ANGÉLIQUE.

Je l’avoue.

CLITANDRE.

Apres un tel aveu,

Je dois à ses genoux...

ANGÉLIQUE, le retenant.

Ah, Monsieur !

LE BARON, au Comte.

Mon neveu,

Il faut lever le camp, puisque la place est prise.

GÉRONTE, au Baron.

Ma foi, je l’ignorais : vous voyez ma surprise.

Voilà ce que jamais je n’avais soupçonné.

LE BARON.

Je ne vois pas pourquoi vous êtes étonné ;

Elle l’a toujours vu : vous auriez pu, je pense...

GÉRONTE, à Clitandre.

Vous l’aimez donc aussi ?

CLITANDRE.

Dès sa plus tendre enfance.

C’est pour la mériter que j’avais entrepris...

LE COMTE.

Tant pis pour vous, Monsieur ; mon cœur est trop épris

Pour la céder au vôtre ; et je ne suis pas homme

À souffrir qu’on me manque. 

À Géronte.

Ainsi donc, je vous somme

De me tenir parole.

GÉRONTE.

Il ne tient pas à moi :

Mais le goût de ma fille est ma suprême loi,

Puisqu’il est bien placé ; car j’estime Clitandre,

Je l’aime, et j’ai raison.

LE BARON, au Comte.

Allons, il faut se rendre,

Mon neveu.

GÉRONTE, au Baron.

Pardonnez...

LE BARON.

Je ne puis vous blâmer.

LE COMTE, à Angélique.

Je croyais mériter que vous pussiez m’aimer.

Vous me regretterez, j’ose vous le prédire.

ANGÉLIQUE.

Je ne le prévois pas.

LE COMTE.

Un amoureux délire

Vous fascine les yeux ; mais vous en reviendrez

Pour me rendre justice : alors vous avouerez

Qu’on eût mieux fait pour vous de me tenir parole.

Vous verrez qu’il faudra que je vous en console.

ANGÉLIQUE.

Vous pouviez me sauver un propos aussi plat.

LE BARON, au Comte.

C’est vous dire à peu près que vous êtes un fat.

Monsieur mon cher neveu, j’en avais quelque idée :

Mais la chose à présent me paraît décidée.

À Angélique.

Je vois bien qu’on vous aime autant que vous aimez,

Ainsi, tous deux étant l’un de l’autre charmés,

Croyez que nous sentons une vive allégresse

De voir que tout enfin à vos feux s’intéresse.

Ah ! si j’avais connu plus tôt vos sentiments,

Je n’aurais pas troublé deux si parfaits amants.

Clitandre, pardonnez ma faute involontaire ;

Vous avez mérité que le DÉPOSITAIRE,

Par une probité si digne de retour,

Pût D’UN DOUBLE TRÉSOR couronner votre amour.

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