Le Château de Saint-Bris (Jacques-François ANCELOT)

Drame en deux actes, mêlé de chant.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Nouveautés, le 13 juillet 1831.

 

Personnages

 

CATHERINE DE MÉDICIS

MARGUERITE, dame de Saint-Bris

MARIE DE NOIRMOUTIERS,  sa cousine, demoiselle d’honneur de Catherine

GIZELLE, sœur de Marguerite

UNE CHÂTELAINE.

OLIVIER DE SOURDIS, page de Catherine

LE COMTE DE NEUVILLE, seigneur protestant, commandant du fort de Meillezais

RENÉ DE MONTBERON, catholique, commandant pour le duc de Guise

CHÂTELAINES

DEMOISELLES D’HONNEUR

SEIGNEURS

PAGES

HOMMES D’ARMES

VARLETS

 

La scène se passe au château de Saint-Bris, dans l’Angoumois, en 1576.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente une salle gothique ; portes au fond, à droite et à gauche. Deux tables couvertes de tapis et de tout ce qu’il faut pour écrire, sont de chaque côté du théâtre. À droite de la porte du fond, un pan de tapisserie se lève par un ressort et laisse voir l’ouverture figurée d’un tuyau acoustique.

 

 

Scène première

 

GIZELLE

 

Au lever du rideau, elle a l’oreille appuyée contre le panneau du fond, où se trouve l’ouverture du tuyau acoustique.

Je ne me suis pas trompée ! j’entends là tout ce qui se dit dans la grande salle au-dessous !... C’est singulier !... La voix arrive à mon oreille !... Oh ! comme j’ai été surprise ce matin !... Ma sœur parlait en bas et je ne perdais pas un mot !... Je vais bien m’amuser maintenant !... Que de choses je vais apprendre !... On en cache tant à une fille de seize ans, et moi j’ai si bonne envie de m’instruire !... C’est mal, dit-on, d’être curieuse ? Je ne crois pas cela, moi !... Sans la curiosité comment ferait-on des découvertes ! Personne ne me voit ; écoutons !... Ah ! ma sœur donne des ordres ; elle fait décorer la salle d’honneur : que se passe-t-il donc ? Pourquoi ces préparatifs ? Je n’entends plus rien... on va venir sans doute ?... Vite, cachons bien mon secret !...

Elle laisse retomber la tapisserie.

 

 

Scène II

 

GIZELLE, LA COMTESSE MARGUERITE, CHÂTELAINES des environs

 

MARGUERITE.

Approchez, nobles dames, je peux enfin vous faire savoir, pourquoi mes pages sont allés vous prier en mon nom, de quitter vos châteaux et de vous réunir ici ; je peux vous révéler la cause des préparatifs que vous avez remarqués et qui ont excité votre surprise.

Marques d’attention et d’intérêt.

GIZELLE, à part.

Ah ! je saurai tout enfin !

MARGUERITE.

Cette guerre déplorable, dont la religion est le prétexte, et qui s’est rallumée depuis quelques mois, est peut-être à la veille de se terminer. À la tête des protestants, le roi de Navarre, les princes de Condé et de Conti ont combattu avec avantage les troupes du roi Henri III que dirigent Mayenne et le duc de Guise ; notre province d’Angoumois a été le théâtre de cette lutte fatale, mais enfin un plus heureux avenir se prépare ; une trêve a été publiée ; d’importantes conférences entre les chefs des deux partis vont avoir lieu, et mon château de Saint-Bris a été choisi pour cette mémorable réunion.

Marques d’intérêt.

GIZELLE, à part.

Ah ! nous allons donc voir du nouveau.

MARGUERITE.

Ce n’est pas tout : à cette nouvelle, la reine-mère, l’auguste Catherine de Médicis s’est mise en route ; elle veut sans doute se rapprocher du roi de Navarre, son gendre, et des princes protestants, et j’ai reçu avis que, durant les conférences, elle établirait son séjour dans mon château : je l’attends aujourd’hui même ; ses demoiselles d’honneur l’accompagnent.

GIZELLE.

Notre chère cousine, Marie de Noirmoutiers, sera-t-elle du voyage ?

MARGUERITE.

Oui, sans doute, et il me sera bien doux de la revoir après si longue absence.

UNE CHÂTELAINE.

Cette aimable enfant demeure donc toujours à la cour de la reine-mère ?

MARGUERITE.

Catherine de Médicis a daigné la prendre sous sa glorieuse protection : vous ignorez, nobles dames, quels tristes événements ont signalé la naissance de ma chère Marie.

LA CHÂTELAINE.

N’est-elle pas orpheline, et ne fut-elle pas élevée avec vous dans ce château ?

MARGUERITE.

Peu de temps après sa naissance, le comte de Noirmoutiers fut tué dans un duel ; on ignora toujours le sujet de la querelle, et même le nom de l’adversaire ; la comtesse alors quitta la cour dont elle était le plus bel ornement ; elle rompit tous ses liens avec le monde, et abandonnant sa fille au berceau, elle forma des vœux éternels dans le couvent de Fontevrault. Dix-huit ans se sont passés depuis cette époque, et jamais la comtesse n’a revu son enfant, ni personne de sa famille : je n’ai point cherché à pénétrer le mystère de celle conduite ; j’ai aimé Marie comme une sœur ; mais, il y a deux ans, j’ai du céder le soin de son avenir à l’amitié de la reine-mère.

GIZELLE.

Qu’elle est heureuse d’être à la cour ! Tous les jours des fêtes nouvelles !

MARGUERITE.

Gizelle, vous êtes un enfant !,., Allez vous informer si des tourelles du château on n’aperçoit rien dans la campagne.

Gizelle sort.

MARGUERITE, continuant.

Vous comprenez, nobles châtelaines, combien d’obligations m’impose l’honneur que je vais recevoir ; et j’ai osé compter sur vous pour m’aider à traiter dignement l’auguste Catherine de Médicis.

GIZELLE, revenant.

Ma sœur, ma sœur, encore un bonheur qui nous arrive ! Notre cousin René de Montberon entre dans la cour du château.

MARGUERITE.

René !... Est-il possible ?

GIZELLE, à part.

Cet hôte-là ne sera pas le moins bien reçu.

MARGUERITE.

Ah ! courons à sa rencontre !... René !... l’ami de mon enfance !...

GIZELLE.

Tenez, le voici !

 

 

Scène III

 

CHÂTELAINES, à droite et à gauche, MARGUERITE, RENÉ DE MONTBERON, GIZELLE

 

RENÉ, entrant et baisant la main de Marguerite.

Chère cousine !... quelle joie est la mienne !

MARGUERITE.

Ah ! je la partage, vous n’en doutez pas !... Mais quel heureux événement vous amène au château de Saint-Bris ?

RENÉ.

Il y a deux jours, j’allais, par les ordres de monseigneur le duc de Guise, assiéger le fort de Meillezais, situé à une demi-lieue de votre manoir, et ou le comte de Neuville commande pour le roi de Navarre ; mais à peine arrivé avec mes troupes, je suis arrêté par l’annonce de cette trêve qui amène ici la reine-mère et les princes, et il m’est enjoint de me rendre à Saint-Bris pour assister aux conférences : vous jugez avec quel empressement j’ai obéi !

MARGUERITE.

Que je suis heureuse !... Ah ! les événements qui se préparent vont, j’espère, mettre un terme à cette guerre cruelle qui vous a tenu si longtemps éloigné de vos amis.

RENÉ.

Ne vous en flattez pas ! La paix n’est point le vœu de Catherine ; elle ne peut régner que par nos divisions, et le but de son voyage m’est révélé : tromper, séduire, tel est son projet.

MARGUERITE.

Ah ! mon ami !...

Aux châtelaines.

Mesdames, me voudrez-vous permettre de demeurer un instant seule avec un parent que je ne m’attendais pas à revoir aujourd’hui ?

UNE CHÂTELAINE.

Nous vous laissons, noble dame, et nous allons nous disposer à recevoir la reine.

GIZELLE, à demi-voix.

C’est ça, retirons-nous ! Ah ! si elle dit à mon cousin tout ce qu’elle pense, elle n’aura pas fini de sitôt !

 

 

Scène IV

 

MARGUERITE, RENÉ

 

MARGUERITE.

Mon cher René, l’amertume de vos paroles trahit une mélancolie secrète qui m’afflige ; mais nous en triompherons ici, et, pour obtenir cette victoire, il m’arrive du renfort : notre belle cousine Marie de Noirmoutiers accompagne la reine.

RENÉ.

Oui, elle est au nombre de ces jeunes filles si coquettes et si jolies que Catherine de Médicis traîne toujours à sa suite, et qu’elle-même appelle son escadron.

MARGUERITE.

Ne serez-vous pas, comme moi, charmé de la revoir ?

RENÉ.

Ah ! je n’ai point oublié que nous fûmes élevés ensemble ; je me souviens des beaux jours que nous avons passés en ce lieu ; mais elle ?...

MARGUERITE.

Eh bien ! pensez-vous qu’elle en ait perdu le souvenir ?

RENÉ.

Que n’oublie-t-on pas près de Catherine de Médicis !

MARGUERITE.

Que dites-vous ?

RENÉ.

Chère et bonne Marguerite, quand j’étais à la cour, n’ai-je pas entendu tout ce qu’on disait de notre cousine Marie ? N’ai-je pas été témoin des assiduités du comte de Neuville, ce seigneur si galant et si renommé par ses succès en tout genre ?

MARGUERITE.

Quoi !... le commandant du fort de Meillezais ?

RENÉ.

Oui, celui que j’allais attaquer et qu’il ‘eût été doux de combattre, je l’avoue !... Cette mission sanglante, je l’avais sollicitée ; mais la trêve est venue m’enchaîner ! Le comte ne dissimule pas les sentiments que Marie lui inspire ; c’est un homme de tête et de cœur ; zélé huguenot, il exerce un grand empire sur le roi de Navarre, et plus d’une fois j’ai vu sourire Catherine quand le comte de Neuville était prés de Marie.

MARGUERITE.

Mais il est marié ?

RENÉ.

Ah ! vous ne soupçonnez pas toute la dépravation de cette cour !... Croyez-moi, Catherine a des projets !... Oh ! pourquoi la comtesse de Noirmoutiers s’est-elle séparée de sa fille ? Pourquoi Marie est-elle abandonnée à la perfide amitié de la reine-mère ?

MARGUERITE.

Vous vous alarmez à tort, mon cher René ; rien, je l’espère, ne justifiera vos craintes.

RENÉ.

Puissiez-vous dire vrai !... Mais ce n’est pas sans raison que Catherine de Médicis vient en ce lieu accompagnée de cette foule de jeunes filles si belles ; entourer de pièges et de séductions les chefs du parti protestant ; profiter d’une trêve perfide pour affaiblir ses ennemis, et ne jamais rendre une paix durable au royaume, voilà son désir, voilà ce qui l’amène.

 

 

Scène V

 

MARGUERITE, GIZELLE, RENÉ DE MONTBERON

 

GIZELLE.

Vite, ma sœur, vite ! la reine n’est pas loin ; voici venir un de ses pages, M. Olivier de Sourdis.

MARGUERITE.

Allons recevoir Sa Majesté ; suivez moi, Gizelle ; et vous, mon cousin, ne venez-vous pas ?

RENÉ.

Dans un instant je vous rejoins.

 

 

Scène VI

 

RENÉ, seul

 

Remettons-nous ; calmons ce trouble qui m’agite !... Marie en ce château !... Elle va s’offrir à mes regards !... Quand je tâche d’effacer son image de mon cœur ; quand je m’efforce en vain d’oublier cette Marie que j’adorai dès mes plus jeunes années... Ah ! je ne dois plus voir en elle que la favorite de Catherine, servant par sa beauté l’adroite politique de la reine !... Que de fois je l’ai surprise souriant au comte de Neuville !... Elle parviendra, disait-on, à le détacher du roi de Navarre, à lui faire oublier ses serments... Vive-Dieu, et je le souffrirais !... Insensé, qu’ai-je dit ?... Écartons cette idée... Pourquoi ne pas porter vers un objet plus digne toutes mes espérances de bonheur ? Cette bonne Marguerite ne cache point l’attachement que je lui inspire !... Et peut-être...

Air : Muse des bois.

Femme modeste, et douce et bienveillante,
Dit la raison, doit suffire au bonheur ;
Et, malgré nous, beauté fière et brillante,
En nous trompant enchaine notre cœur :
De ses attraits l’image enchanteresse
Nous suit partout... en vain la fuirait-on...
Pourquoi le cœur rappelle-t-il sans cesse
Ce que voudrait oublier la raison ?

J’entends du bruit... on vient ! Ah ! c’est la reine.

 

 

Scène VII

 

GIZELLE, OLIVIER, MARIE DE NOIRMOUTIERS, CATHERINE DE MÉDICIS, MARGUERITE, RENÉ, SEIGNEURS, DAMES CHÂTELAINES, DEMOISELLES D’HONNEUR, HOMMES D’ARMES, VARLETS

 

MARGUERITE.

Combien les châtelains des environs vont envier l’honneur que je reçois ! et combien je dois solliciter l’indulgence de Votre Majesté !

CATHERINE.

Je suis à merveille, madame : les fatigues et les veilles auxquelles nos divisions me condamnent, ne m’ont pas toujours laissé si bon gîte !... Mais n’est-ce pas M. René de Montberon, votre parent, que j’aperçois ?

MARGUERITE.

Votre Majesté me permet-elle de le lui présenter ?

CATHERINE.

Oh ! c’est une ancienne connaissance ! Je le tiens en grande estime ; et j’espère, ma chère Marie, que cette fois vous parviendrez à retenir votre cousin près de nous.

OLIVIER, à part.

Encore un qu’elle lui donne à convertir !

MARIE.

Votre Majesté peut être sûre que j’y mettrai tous mes soins.

CATHERINE.

Monsieur de Montberon, le duc de Guise m’écrit que son arrivée étant un peu retardée, c’est vous qui le remplacerez au conseil, en attendant sa venue ; quant au roi de Navarre, aux princes de Condé et de Conti, qui devaient me précéder dans ce château, je m’étonne qu’ils se soient laissé devancer.

RENÉ.

Je crains que la trêve ne leur convienne pas ; et qu’ils ne s’entendent pour la rejeter. Une paix solide, ou la continuation de la guerre : tel est leur vœu.

CATHERINE.

J’aurais donc en vain bravé les fatigues de ce voyage ? Non, il n’en sera point ainsi. Mon titre de femme m’exclut des conférences qui vont avoir lieu, mais j’espère pourtant que ma présence ici ne sera pas sans fruit ; et que les princes sentiront enfin la nécessité de s’en rapporter à moi seule des intérêts de tous.

RENÉ.

Je crains...

CATHERINE.

Par Notre-Dame ! le pays de France est bien turbulent, et il m’est avis que si nous n’y apportions remède, tout le monde serait maître.

RENÉ.

Que Votre Majesté me pardonne ! Mais quand le cocher fourvoie le carrosse, ceux qui sont dedans ont bonne volonté de prendre les rênes.

CATHERINE.

Il ferait beau voir !... Dieu aidant, nous saurons bien l’empêcher.

Se radoucissant.

Nous en parlerons ensemble, M. de Montberon, et en vous expliquant mes projets, j’espère vous les faire adopter.

Un page entre et parle bas à Marguerite.

Qu’est-ce donc, madame ?

MARGUERITE.

On m’annonce que le comte de Neuville, commandant du fort de Meillezais, arrive au château, et demande à voir Votre Majesté.

CATHERINE.

Le comte de Neuville ! qu’il vienne.

À part.

C’est mon bon ange qui me l’adresse.

RENÉ, à part.

Le comte de Neuville ! cela devait être ! Partout où se trouve Marie, il faut qu’il se montre.

 

 

Scène VIII

 

OLIVIER, GIZELLE, MARIE DE NOIRMOUTIERS, LE COMTE DE NEUVILLE, CATHERINE DE MÉDICIS, MARGUERITE, RENÉ DE MONTBERON, CHÂTELAINES, DEMOISELLES D’HONNEUR, HOMMES D’ARMES, SEIGNEURS, PAGES, VARLETS

 

CATHERINE.

Approchez, comte : par Notre-Dame, nous n’espérions pas si bonne fortune !

LE COMTE.

J’ai quitté le fort de Meillezais par les ordres de Sa Majesté le roi de Navarre, qui a daigné me mander en ce château.

CATHERINE.

Le roi mon gendre et bien avisé ; sans doute il veut dans les conférences qui se préparent demander à vos lumières aide et assistance.

LE COMTE.

Je ne le pense pas, madame : le fort qui n’est confié est trop important pour que j’en demeure longtemps éloigné, et j’en repartirai dès que j’aurai reçu les commandements du roi, qui arrive, et m’a chargé d’en donner avis å Votre Majesté.

CATHERINE.

Nous allons le voir ; mais, monsieur le comte, vous ne nous quitterez pas si vite, vous donnerez quelques heures à vos amis. Il est ici des gens que vous aviez plaisir à voir.

LE COMTE.

Je m’aperçois que Votre Majesté a rassemblé toutes ses forces.

CATHERINE.

Vous nous opposez de plus terribles escadrons.

LE COMTE

Qui peut-être sont moins dangereux ?

RENÉ, à part.

Comme il la regarde !

CATHERINE.

Venez, accompagnez-moi près du roi mon gendre ; puis nous irons prendre quelques moments de repos.

MARGUERITE.

Voici l’appartement préparé pour Votre Majesté ; puisse-t-elle ne pas le trouver trop indigne d’elle ! Tout près d’ici, sont les personnes de sa suite, et là est l’appartement de ma cousine Marie ; les salles du bas sont disposées pour les fêtes que je veux offrir à Votre Majesté, et la chambre destinée aux conférences est placée au-dessous de celle-ci.

GIZELLE, à part.

Ah ! c’est bon à savoir !

CATHERINE.

Grand merci, madame, pour tant de soins ! suivez-moi, comte. Par Notre-Dame ! heureux qui peut s’appuyer sur un tel support !

Elle s’appuie sur son épaule, tout le monde la suit, excepté Marie et René ; Catherine entre à droite.

 

 

Scène IX

 

MARIE, RENÉ

 

MARIE  fait quelques pas pour s’éloigner, puis elle s’arrête et regarde René qui demeure plongé dans la rêverie.

René... quoi... pas un mot !

RENÉ.

Que vous dirai-je ?

MARIE.

Vous n’avez rien à dire à l’amie de votre enfance ?

RENÉ.

Les hommages et les plaisirs, qui l’environnent ne l’ont-ils pas à jamais séparée de ses anciens amis ?

MARIE.

Vous le pensez, vous René, que ce brillant exil loin de ceux qui m’aimaient peut satisfaire mon cœur.

RENÉ, se rapprochant.

Cette gaîté, ce sourire, qui accueille et cherche les hommages, ne prouvent-ils pas qu’ils vous plaisent ?

MARIE, souriant.

Ces éloges trompeurs font toujours quelque plaisir, bien qu’on y croie pas ; ces vœux empressés qui n’arrivent jamais au cœur, eh bien ! je l’avoue, l’esprit s’en amuse faute de mieux ; on est bien aise de plaire aux gens qu’on n’aime pas, cela tranquillise sur les sentiments de ceux qu’on aime... si pourtant au milieu de cette vie dissipée, on a le temps d’aimer.

RENÉ, tristement.

Vous le voyez, j’ai raison. Ces plaisirs suffisent à Marie : admirée, adorée, que peut-il lui manquer ?

MARIE.

Le bonheur peut-être ?

RENÉ.

À vous dont l’existence n’est qu’un long jour de fête !

MARIE.

Cette existence agitée, ces occupations frivoles, ces fêtes... C’est le mouvement, ce n’est pas le bonheur.

RENÉ.

Quel langage !

MARIE.

Que de fois, au milieu de cette cour brillante, fatiguée de ces passions, de ces intérêts divers qui s’agitent sans cesse autour de moi, je demandais au ciel un jour, une heure de calme près d’une amie !

RENÉ.

Vous !

MARIE.

Ah ! celle qui n’eut jamais les caresses de sa mère, et qui vit loin de tous les siens, n’a-t-elle pas dû sentir le besoin d’être aimée ?

RENÉ.

Quoi ! il serait possible ! Oui, votre esprit a sauvé votre cœur des égarements et des vices qui vous entourent. Les douces et tendres affections de votre enfance, vous ne les avez pas oubliées ?

MARIE.

Jamais ! Oh ! si vous saviez ce qui s’est passé là, en revoyant aujourd’hui cet antique manoir où je reçus près de vous mes premières impressions ! Quatre années pénibles se sont effacées : je me retrouvais avec un sentiment de bonheur indéfinissable dans ces lieux où mes plaisirs et mes peines étaient partagées, et où mon cœur prenait la moitié de vos joies et de vos chagrins.

RENÉ.

Vous pourriez les regretter, vous la favorite de Catherine de Médicis !

MARIE.

Air : Vaudeville de la Robe et les Bottes.

Oui, je dois tout aux bienfaits d’une reine,
Et dans sa cour je brille au premier rang ;
De sa faveur sans doute on me croit vaine :
Ah ! sur mon cœur combien on se méprend !
À mon destin la foule porte envie ;
Ce vain éclat vous trompe-t-il aussi ?
Dans cette cour les plaisirs m’ont suivie :
Mais le bonheur... il est peut-être ici.

RENÉ.

Marie... s’il était vrai ! Gloire, ambition, tout disparaîtrait devant une telle idée... Ah ! si vous disiez tout ce que vous pensez !

MARIE, souriant.

Ah ! si vous pensiez tout ce que vous dites !

RENÉ.

Eh bien ! oui, vous l’emportez sur toutes mes résolutions. Mes craintes, mes soupçons, tout est effacé par mon amour ; lui seul disposera de ma vie, elle vous appartient !

MARIE.

Silence... voici la Reine !

 

 

Scène X

 

MARIE, CATHERINE, RENÉ

 

CATHERINE.

J’ai besoin de vous parler, Marie ; mais je vous interromps à regret... Votre cousin reviendra-t-il de ses injustes préventions contre la cour et contre moi ?

RENÉ.

Je n’en ai aucune, madame, et je me tiendrais heureux de le prouver à Votre Majesté.

CATHERINE.

Grâces vous soient rendues, ma chère Marie ; voilà encore un de vos miracles...

RENÉ, passant auprès de Marie.

Je m’éloigne, madame...

CATHERINE.

Allez, que Dieu vous garde, monsieur de Montberon, nous nous reverrons.

RENÉ, à demi-voix à Marie en sortant.

Ici je peux à peine vous voir seule un instant : je vous écrirai ; je veux que vous lisiez dans mon âme.

Il sort.

 

 

Scène XI

 

MARIE, CATHERINE

 

CATHERINE, s’asseyant.

C’est bien, ma chère enfant ; la haine s’évanouit à votre aspect ; aussi je compte aujourd’hui sur votre assistance.

MARIE.

Sur mon assistance !

CATHERINE.

Oui.

MARIE.

Que Votre Majesté commande.

CATHERINE.

Écoutez... vous connaissez le comte de Neuville : vous savez avec quelle chaleur il a embrassé le parti des huguenots ; vous savez que le roi de France n’a pas d’ennemi plus redoutable dans le camp du roi de Navarre.

MARIE.

Quel malheur !

CATHERINE.

Qui, c’est un grand malheur que le comte, avec toutes les grâces d’un homme de cœur et tous les talents d’un vaillant capitaine, soit tombé dans la funeste erreur qui l’égare. Il doit vous inspirer bien de la pitié ! songez qu’il se perd pour ce monde et pour l’autre.

MARIE.

Hélas !

CATHERINE.

Vous le plaignez, Marie, mais vous pourriez faire davantage.

MARIE.

Comment ?

CATHERINE.

Il m’est avis que souvent, lorsqu’il était à ma cour avec le roi mon gendre, j’ai vu ses regards s’attacher sur vous. Il ne dissimule pas son... amitié ; ne vous l’a-t-il jamais fait connaître ?

MARIE.

Je me souviens en effet qu’un jour un ancien serviteur de ma famille eut une grâce à demander au roi de Navarre ; je m’adressai en tremblant à M. de Neuville : « Ne tremblez pas ainsi, me dit-il ; vous avez bien des droits pour « obtenir de moi ce que vous souhaitez : votre protégé devient le mien, et si un jour vous aviez besoin pour vous-même d’un protecteur et d’un ami, adressez-vous à moi. » Ces mots ne furent point prononcés par cette courtoisie gracieuse qui lui est habituelle, mais par cet accent vrai qui vient du cœur, et qui donne aux paroles une persuasion puissante.

CATHERINE.

Et depuis ce jour ?...

MARIE.

La guerre a recommencé, et le comte, rejoignant le roi de Navarre, ne reparut plus à la cour.

CATHERINE.

Il n’est que trop vrai... mais ce Dieu qui le punira éternellement s’il persiste dans ses erreurs, vous donna, Marie, un charme tout-puissant... If voulait sans doute vous faire servir à ramener vers lui les cours qui s’égarent.

MARIE.

Croyez que mes vœux sincères demanderont au ciel la conversion du comte.

CATHERINE.

Des vœux, des prières !... c’est très bien... mais cela ne suffit pas.

MARIE.

Que puis-je faire de plus ?

CATHERINE.

Quel triomphe pour le roi mon fils, pour notre sainte religion, si l’on ramenait à eux le cointe de Neuville !...Jamais il ne sut résister à de tendres regards ; la beauté exerce sur lui un pouvoir invincible... et vous êtes si belle !

MARIE.

Je ne comprends pas.

CATHERINE, à part en se levant.

Sotte innocence !

Haut, avec indifférence.

Je veux dire que les leçons de vertu sont plus persuasives dans la bouche d’une jeune femme, et que vous pouvez tout sur lui.

MARIE.

Le comte va partir.

CATHERINE.

Eh bien ! obtenez de lui qu’il reste. Vous allez le voir ici : du temps, voilà tout ce que je demande ; car le temps est souvent plus habile que les combinaisons des hommes... Je vous laisse, mon enfant. Je désire que le comte demeure, ne l’oubliez pas, et songez que vous pouvez m’aider à gagner un zélé défenseur à notre cause el un élu de plus au ciel.

MARIÉ.

Je le voudrais.

La reine entre dans son appartement à droite.

 

 

Scène XII

 

MARIE, seule

 

Retenir ici le comte !... Pourquoi suis-je effrayée de cette mission ? Il est si bon, et j’ai tant de plaisir à le voir !

Air de Colalto.

Dans cette cour où règne l’intérêt,
De mon sort on vante les charmes ;
Et souvent je pleure en secret,
Sans trouver une main pour essuyer mes larmes !
Mais près de moi, douce amitié,
Aussitôt que tu les ramènes,
Je souffre moins... je sens que de mes peines
Quelqu’un est là pour prendre la moitié.

Le sentiment que j’éprouve à son aspect ne ressemble en rien, oh ! non, en rien à celui que René m’inspire. René ! que de joie m’a donné une seule de ses paroles ! Il m’aime ; ah ! que je suis heureuse !

 

 

Scène XIII

 

MARIE, OLIVIER

 

OLIVIER.

Ah ! vous voilà, mademoiselle Gizelle !

MARIE.

Non, monsieur le page, vous vous trompez.

OLIVIER.

Oh ! pardon !

À part.

Maladroit que je suis !

MARIE.

C’est Gizelle que vous cherchiez ; que lui vouliez-vous ?

OLIVIER.

Peu de chose... Je venais lui dire que la fête préparée pour la reine va bientôt commencer. Les princes arrivent, et les conférences auront lieu aussitôt après le bal : on veut qu’ils se préparent à l’ennui par le plaisir.

MARIE.

Sont-ils tous ici ?

OLIVIER.

Tous : mais M. de Neuville nous quitte ; j’ai vu son cheval et son écuyer qui l’attendent dans la première cour, il va venir prendre congé de la reine.

MARIE.

Il va venir !... eh bien ! pour vous punir de votre maladresse, beau page, je vous ordonne, au nom de la Reine, de rester près de moi. J’entends le comte, ne vous éloignez pas.

OLIVIER, à part.

Que veut-elle que je fasse ici ?

 

 

Scène XIV

 

MARIE, LE COMTE DE NEUVILLE, OLIVIER, s’appuyant sur le dossier du fauteuil

 

LE COMTE.

En quoi ! c’est vous, belle Mariel que de grâces je dois à mon bon ange qui me fait vous rencontrer.

MARIE.

La reine repose.

LE COMTE.

Je venais prendre congé d’elle.

MARIE.

Elle m’a chargée de vous recevoir.

LE COMTE, lui baisant la main.

Combien je dois être reconnaissant !

OLIVIER, à part.

Est-ce pour voir cela qu’elle m’a retenu ? profitons de la leçon.

MARIE.

Vous voulez donc nous quitter tout de suite ?

LE COMTE.

Il le faut !

MARIE.

Comment ! on ne pourrait vous retenir ?

LE COMTE.

La reine désire-t-elle que je demeure ?

MARIE.

Peut-elle ne pas le souhaiter ?

LE COMTE.

Et c’est vous qu’elle charge de m’exprimer son désir ! elle est bien habile !

MARIE.

Que voulez-vous dire ?

LE COMTE.

Qu’elle soupçonne l’empire que vous exercez sur mon cœur.

MARIE.

Moi, monsieur le comte !

LE COMTE.

Oui, vous, Marie ! je suis votre ami, votre véritable ami ; vous seule avez pu me ramener souvent dans cette cour que je connais trop pour ne pas trembler, en vous voyant sans autre guide qu’une reine perfide...

MARIE.

Elle est ma bienfaitrice.

LE COMTE.

Puisse-t-elle ne pas vous faire payer trop cher ses bienfaits !

MARIE.

Que dites-vous ! monsieur le comte.

LE COMTE.

Marie, la reine ne vous a-t-elle pas forcée déjà de refuser des propositions de mariage ?

MARIE.

J’ai seule écarté des offres que mon cœur repoussait.

LE COMTE.

Par combien de vœux j’appelle l’instant ou, sous la sauvegarde d’un époux...

MARIE.

Vous désirez que je me marie ?

LE COMTE.

Oui, car alors, nous serons deux à veiller sur vous.

 

 

Scène XV

 

OLIVIER, GIZELLE, un papier à la main, MARIE, LE COMTE DE NEUVILLE

 

OLIVIER, courant au-devant de Gizelle qui arrive par le fond.

Qu’est-ce que cela ?

GIZELLE.

Laissez donc, monsieur le page, c’est pour ma cousine Marie.

MARIE.

Voyons.

GIZELLE, lui remettant la lettre.

C’est René qui m’a confié ce message.

LE COMTE, à Marie.

Comme vous rougissez !

MARIE.

René est mon cousin.

LE COMTE.

Rien de plus ?

MARIE.

Nous faines élevés ensemble.

LE COMTE.

Bien que nous servions sous des drapeaux différents, je le tiens en grande estime.

OLIVIER, à Gizelle.

Ne me repoussez donc pas, mademoiselle Gizelle, on se laisse toujours baiser la main.

GIZELLE.

À la cour ?

OLIVIER.

Sans doute ! et tout à l’heure, le cointe baisait la main de votre cousine.

GIZELLE.

Alors, je n’ai plus rien à dire.

MARIE, après avoir parcouru la lettre.

Bon René !

LE COMTE.

Dans cette cour ou l’ou connaît si bien l’art de tromper sur ses vrais sentiments, vous n’avez pas encore appris à cacher les vôtres : vous aimez monsieur de Montberon.

MARIE.

Monsieur le comte...

LE COMTE.

Oh ! ne voyez dans mon indiscrétion que l’intérêt d’une sincère amitié ; ne cherchez pas à déguiser votre cœur.

MARIE.

Auprès de vous, je le voudrais en vain, vous m’inspirez une confiance...

LE COMTE.

Que je saurai justifier.

MARIE.

Eh bien ! lisez !

Elle lui remet la lettre.

LE COMTE, lisant.

« Je ne résiste plus au charme qui commande à mon cœur, tous mes efforts pour vaincre un amour que des soupçons jaloux avaient rendu si malheureux, ont été superflus ; ma cousine, je vous aime ; un mot, un seul mot de vous décidera de mon sort ; toujours ou jamais, car il faut vous fuir sans retour ou vous consacrer sa vie. »

Souriant.

Quelle passion ! je n’aurais jamais cru M. de Montberon susceptible de tant d’amour.

GIZELLE, à demi-voix à Olivier.

Il a l’air de se moquer de mon cousin.

OLIVIER, de même, en l’attirant dans le fond du théâtre.

Occupons-nous de nos affaires : vous voyez bien qu’ils parlent bas !

LE COMTE.

Eh bien ! Marie, que dites-vous de cette lettre ?

MARIE.

Elle me rend bien heureuse.

LE COMTE.

Mais la reine consentira-t-elle à ce mariage ?

MARIE.

Je crains son refus.

LE COMTE.

Oui, sans doute : elle a sur vous d’autres projets ; elle vous refuserait, vous !... mais moi, qu’elle désire tant gagner à ses intérêts, si je lui demande son aveu...

MARIE.

Peut-être elle vous l’accordera.

LE COMTE.

Essayons ! flattons-la d’une espérance qui ne doit jamais se réaliser : en fait de ruse, nous serons toujours en reste avec elle. D’abord, je demeure au château, j’assisterai aux fêtes, aux conférences...

MARIE.

Ah ! monsieur, que ne vous devrai-je pas ?

LE COMTE.

Rien, chère Marie... rien... vous ne savez pas combien mon bonheur dépend du vôtre !... Venez, entrons chez la reine ; je la déciderai, j’espère ; je ne partirai pas aujourd’hui, et c’est pour vous seule que je reste.

Ils entrent chez la reine.

 

 

Scène XVI

 

RENÉ, qui a entendu les derniers mots du comte, GIZELLE, OLIVIER

 

RENÉ.

Que dit-il ?

GIZELLE.

Il dit qu’il demeure au château pour Marie.

RENÉ.

Ciel ! est-il possible ?

OLIVIER.

Encore un triomphe pour la bonne cause ! aussi le roi de Navarre emploie des gentilshommes si galants, que les demoiselles de la reine ont pour les conversions un zèle, un zèle... mais le comte de Neuville, c’était difficile !... il fallait mademoiselle Marie ! et tout à l’heure encore : « Qu’on tienne mon cheval prêt, av bas du perron, » disait-il, ah bien oui ! le pauvre écuyer a le temps de se morfondre !

RENÉ, à Gizelle.

Ma lettre !... ma lettre !... rendez-la-moi.

GIZELLE.

Je ne l’ai plus.

RENÉ.

Où est-elle ?

OLIVIER.

C’est monsieur de Neuville qui l’a.

RENÉ.

Monsieur de Neuville !

GIZELLE.

Ce n’est pas moi qui la lui ai donnée ; c’est ma cousine : ils l’ont lue ensemble.

RENÉ.

Ensemble !

GIZELLE.

Je ne sais pas ce que vous écriviez, mais M. de Neuville s’est mis à rire.

RENÉ, à part.

Malédiction ! elle me trompait ; oui, je ne peux plus douter de leur coupable intelligence ; l’honneur la vertu, elle a tout oublié !

GIZELLE.

Qu’avez-vous, mon cousin ?

RENÉ.

Rien, rien.

OLIVIER.

Vous paraissez souffrir ?

RENÉ.

Non, non, laissez-moi ; je suis bien, très bien !

 

 

Scène XVII

 

MARGUERITE, RENÉ, GIZELLE et OLIVIER, à l’écart

 

MARGUERITE.

Ah ! c’est vous, René !... Je viens annoncer à la reine qu’on n’attend plus que Sa Majesté pour commencer la fête. Vous allez me seconder, n’est-il pas vrai ?... Mais que vois-je ? toujours cette tristesse qui me désespère ! la présence de Marie ne l’a donc pas dissipée ?

Elle s’approche de lui et lui prend la main avec affection.

Pourtant, vous êtes ici au milieu de tous ceux qui vous aiment ! pourquoi n’êtes-vous pas heureux ?

RENÉ.

Heureux ! oui, bonne Marguerite, près de vous je dois l’être ! qui pourrait méconnaître un cœur comme le vôtre ? vous êtes sincère, dévouée !... Votre âme n’est ni fausse ni corrompue.

MARGUERITE.

Quel langage !

 

 

Scène XVIII

 

MARIE, LE COMTE DE NEUVILLE, CATHERINE DE MÉDICIS, MARGUERITE, RENÉ, GIZELLE, OLIVIER, CHÂTELAINES, SEIGNEURS, DEMOISELLES D’HONNEUR, PAGES, HOMMES D’ARMES, VARLETS

 

MARGUERITE.

Reine, j’allais solliciter l’honneur d’être admise près de Votre Majesté ; on n’attend que ses ordres pour commencer la fête.

CATHERINE.

Bien, madame ; mais cette fête va devenir plus intéressante encore, car nous espérons conclure ici un mariage.

MARGUERITE.

Un mariage !

CATHERINE.

M. de Montberon, je ne veux pas que vous ignoriez les obligations que vous avez à M. de Neuville.

RENÉ.

Moi !

LE COMTE.

Oui, monsieur ; Sa Majesté craignait de partager l’affection de votre belle parente, demoiselle Marie de Noirmoutiers, avec un époux ; mais, à ma prière, la reine veut bien l’accorder à votre amour.

RENÉ, à part.

À sa prière !... ah ! oui, je comprends, mais je ne m’attendais pas à une telle audace !

Haut.

qui vous a parlé de mon amour, monsieur ?

LE COMTE.

Je l’avais deviné.

RENÉ.

Vous êtes bien clairvoyant !

LE COMTE.

Cela n’était pas difficile ; et d’ailleurs cette lettre...

RENÉ.

Cette lettre...

À part.

que faire ? moi l’épouser... Jamais.

LE COMTE.

Eh bien ?

RENÉ, à part.

Tout plutôt que consentir !

Ayant l’air de prendre une résolution.

Qui vous a dit que cette lettre fût pour elle !

Moment de silence général.

MARIE, à part.

Qu’entends-je ?

GIZELLE.

Eh ! mais, c’est moi qui l’ai dit.

RENÉ.

Vous vous êtes trompée.

GIZELLE.

Oh ! par exemple !

LE COMTE, regardant la lettre.

Il est vrai qu’il n’y a pas d’adresse.

CATHERINE.

Que signifie cela ? voici une lettre qui exprime un amour passionné ; c’est vous qui l’avez écrite ?

RENÉ.

Oui.

CATHERINE.

Celle qui la reçut, monsieur, dut croire que tous vos vœux étaient de l’obtenir pour femme.

MARGUERITE, à part.

Ô ciel !

CATHERINE.

Cette lettre était pour Marie !

RENÉ.

Non, non.

MARIE, à part.

Dieu !

CATHERINE.

Et pour qui donc serait-elle ?

RENÉ.

Pour...

CATHERINE.

Pour qui ?

RENÉ.

Pour... Marguerite !

MARGUERITE.

Pour moi !

MARIE, à part.

C’est impossible !

RENÉ.

Oui, Marguerite : c’est à vous, à vous seule que je veux consacrer ma vie !

GIZELLE.

Comment ! j’aurais mal entendu !... eh bien ! tant mieux ; ma bonne sœur sera bien heureuse, car depuis longtemps elle aime en secret mon cousin René, je l’ai deviné, elle le nommait toujours quand elle avait du chagrin.

RENÉ, à part, avec désespoir.

Elle m’aimait !

LE COMTE, à part.

Il y a dans tout ceci un mystère que je veux pénétrer.

CATHERINE.

Vous étiez dans l’erreur, monsieur le comte, et moi je m’en réjouis puisque ma chère Marie me reste sans partage. M. de Montberon, noble dame de Saint-Bris, avant de quitter le château nous signerons à votre contrat, et nous vous donnerons des témoignages de notre royale munificence. Venez tous, allons assister à la fête ; monsieur de Neuville, j’espère que vous ne regretterez pas d’avoir cédé aux désirs de notre aimable Marie, en nous consacrant quelques instants.

Final.

Ensemble.

MARGUERITE, GIZELLE, OLIVIER, CHŒUR.

Air du Comte Ory (tel qu’il est à la fin du premier acte de Malvina : Venez, suivez-moi tous).

Entendez-vous ces sons joyeux ?
Oui, la fête commence ;
Reine, votre présence
Fixe les plaisirs en ces lieux.

MARIE.

Cette fête et ces sons joyeux
Accroissent ma souffrance ;
Non, non, plus d’espérance !
René vient de briser nos nœuds.

RENÉ.

Cette fête et ces sons joyeux
Accroissent ma souffrance ;
Non, non, plus d’espérance :
À jamais je brise nos nœuds !

LE COMTE.

Pauvre enfant, la souffrance
Me force à rester en ces lieux.

RENÉ.

Pour moi plus d’espérance :
À jamais je brise nos nœuds !

Marie s’éloigne de la foule, et reste sur un des côtés du théâtre, la tête appuyée dans ses mains.

GIZELLE, venant la chercher.

Eh bien ! ma cousine, venez donc, que faites-vous là ?

MARIE, à part.

Quoi ! pas même un moment pour pleurer !

Reprise de l’ensemble.

MARGUERITE.

Entendez-vous ces sons joyeux ?
Oui, la fête commence ;
Reine, votre présence
Fixe les plaisirs en ces lieux.

MARIE.

Cette fête et ces sons joyeux
Accroissent ma souffrance ;
Il n’est plus d’espérance :
René brise à jamais nos nœuds.

RENÉ.

Cette fête et ces sons joyeux
Accroissent ma souffrance ;
Non, non, plus d’espérance :
À jamais je brise nos nœuds !

LE COMTE.

Je vois des larmes dans ses yeux :
N’est-il plus d’espérance ?
Pauvre enfant ! ta souffrance
Me force à rester en ces lieux.

Tout le monde sort par le fond.

 

 

ACTE II

 

Même décoration qu’au premier acte.

 

 

Scène première

 

MARIE, entrant seule, par le fond

 

Non, non ! ce ‘est pas Marguerite qu’il aime ! Et pourtant il va l’épouser ! tout se prépare : il ne l’a pas quittée durant cette fête, où j’étais au supplice !

Air d’Aristippe.

De Marguerite il admirait les charmes ;
Et seule, pleurant à l’écart,
Je m’éloignais... car, pour mes larmes,
L’ingrat n’avait pas un regard.
Lorsqu’aux tourments mon âme était en proie,
Je la voyais sourire avec bonheur ;
Et, malgré moi, je souffrais de sa joie
Presqu’autant que de ma douleur.

Quel est donc ce mystère ? Il m’aime, j’en suis sûre !... ah ! je l’aime trop, moi, pour n’y tromper ! Son cœur m’appartient, je le vois, je le sens... Et il épouse Marguerite ! ses regards, ce matin, étaient pleins d’amour : ce soir, ils expriment le dédain et la haine. Grand Dieu ! qui pourra m’apprendre ?... René, René, que vous ai-je fait pour que vous me rendiez si malheureuse ?

 

 

Scène II

 

OLIVIER, GIZELLE, MARIE

 

GIZELLE.

Finissez donc, monsieur le page, et respectez désormais une demoiselle d’honneur de la reine.

OLIVIER.

Comme votre nouvelle faveur vous enorgueillit !

MARIE.

Que dites-vous, Gizelle ?

GIZELLE.

Je dis, ma cousine, que la reine Catherine de Médicis, enchantée de certain secret que je lui ai révélé, daigne me prendre à son service ; elle m’amène à la cour ; je serai, à mon tour, fêtée, admirée, enviée !... quel bonheur !

MARIE.

Gizelle, vous êtes une insensée !

OLIVIER.

Jolie, pleine d’esprit et de malice !... la reine ne pouvait manquer de vous attacher à sa personne.

GIZELLE.

Oui, monsieur, et moi aussi je contribuerai au succès de la bonne cause !

MARIE.

Qu’est cela, Gizelle ?

OLIVIER.

Il est vrai que vous faites partie maintenant d’un corps bien redoutable.

Air : Connaissez-vous le grand Eugène ?

Depuis longtemps de notre auguste reine,
Par ses succès on connait l’escadron ;
Et contre lui maint vaillant capitaine
Appelle en vain et courage et raison :
Pour résister, parfois dans sa mémoire
Il cherche encor des serments superflus ;
Tendres regards obtiennent la victoire,
Et l’on porte envie aux vaincus.

MARIE.

Quel langage, monsieur de Sourdis !

GIZELLE.

Eh ! mais, n’est-ce pas ainsi, ma cousine, que vous avez agi avec M. de Neuville ?

MARIE.

Que voulez-vous dire ?

GIZELLE.

On ne parlait que de cela durant la fête : « Voyez, disait-on, le comte devait partir, mais il demeure ; il ne voit que Marie, il lui sacrifiera tout. Entraîné par elle, il va quitter Henri de Navarre et les huguenots : mais elle a tant de charmes ! » Et puis on parlait de votre amour !... Et pourtant le comte est marié !... de façon que je ne comprenais pas bien.

MARIE.

Grand Dieu ! qu’est-ce que j’entrevois ?... le comte !... de l’amour !... moi !... ou parlait-on ainsi ? qui a dit cela ?

GIZELLE.

Je vous le répète, tout le monde pendant la fête.

MARIE.

Et la reine ?... que disait-elle ?

GIZELLE.

Elle souriait à votre nom.

MARIE.

Marguerite était-elle là ?

GIZELLE.

Oui, et je ne sais pourquoi elle rougissait.

MARIE.

Et... René ?

GIZELLE.

René ?... il était pâle... pâle... comme vous l’êtes maintenant.

MARIE.

C’en est assez.

GIZELLE.

Eh bien ! ma cousine, qu’avez-vous ?... vous chancelez ! Est-ce qu’il y a du mal à convertir les seigneurs huguenots ?

MARIE.

Laissez-moi, Gizelle, laissez-moi !

OLIVIER.

Je vais appeler du secours.

MARIE.

Non, non, ce n’est rien ; la fatigue, le voyage...

GIZELLE.

Vous n’êtes pas bien, ma cousine.

OLIVIER.

Nous ne pouvons vous laisser seule.

MARIE.

Oh ! par pitié, monsieur, par grâce, Gizelle, un peu de repos, de solitude ; j’en ai tant besoin !

GIZELLE.

Je cours chercher ma sœur.

OLIVIER.

Et moi, je vais avertir la reine.

 

 

Scène III

 

MARIE, seule

 

Tout est donc éclairci !... Moi soupçonnée d’un amour criminel !... ils l’ont pensé ! ils ont osé le dire !... Et René ?... il le croit !... oui, ces regards curieux qui me suivaient durant la fête, la froideur des châtelaines du voisinage, l’empressement des gens de la cour, les caresses de la reine, l’embarras de Marguerite, le refus de René... René !... lui aussi !... Qui donc leur dira que je suis innocente ?... Je ne pourrai me justifier !... Et qui me plaindra, qui m’aimera en me croyant coupable... moi qu’une mère a repoussée !...

Air de l’Angélus.

Dans l’isolement où je suis,
Qui plaindra ma douleur amère ?
Quoi ! l’on m’accuse... et je ne puis
Pleurer dans les bras de ma mère !
Je ne sais où fuir les témoins
Du soupçon qui me déshonore !
En me croyant coupable, au moins,
Ma mère m’aimerait encore.

 

 

Scène IV

 

MARGUERITE, MARIE

 

MARGUERITE.

Ma chère Marie, Gizelle m’a dit que vous vous trouviez mal, et j’accours...

MARIE.

Merci, Marguerite, merci, je suis bien...

MARGUERITE.

Vos yeux sont encore pleins de larmes ; vous souffrez,
Marie !

MARIE.

Souffrir !... moi ?... oui, peut-être... Je songeais à ma mère.

MARGUERITE.

Quoique des motifs bien graves sans doute l’aient séparée de sa famille et du monde, elle vous aime toujours.

MARIE.

M’aimer !... non, personne ne m’aime.

MARGUERITE.

Que dites-vous, Marie ? doutez-vous de mon cœur, de l’amitié de René ?

MARIE.

René !... ah ! oui... j’oubliais !... il vous épouse.

MARGUERITE.

Vous avez des chagrins, je le vois : eh bien ! quittez la reine ; venez près de nous, Marie, nous vous consolerons.

MARIE.

Près de vous !... jamais !... Vous l’aimiez, Marguerite ? vous l’aimiez en secret ?

MARGUERITE.

Je ne le cache point, il m’est bien cher. Ah ! malgré moi sans doute il a lu dans mon cœur, et le sien s’est ému !... Combien de fois mes veux secrets ont appelé cet heureux jour !

Air de Teniers.

D’être avec lui j’avais pris l’habitude ;
Et quand d’ici l’arrachait son devoir,
De repeupler ma triste solitude,
Son souvenir avait seul le pouvoir.
Sa noble image en mon cœur faisait naître
Un espoir sans doute imprudent ;
Je me disais : il m’aimera peut-être,
Et je l’aimais en attendant.

Le rêve de mon cœur s’est enfin réalisé ! Depuis mon veuvage, j’ai vécu loin du monde ; car je savais combien René craint le bruit et le faste : je n’ignorais pas que pour lui plaire il fallait, étrangère à une cour qu’il déteste, vivre à l’abri du soupçon...

MARIE, l’interrompant.

Marguerite !... vous serez heureuse !... Ah ! puisse la calomnie ne jamais empoisonner votre bonheur !

MARGUERITE.

Chère Marie !

 

 

Scène V

 

MARGUERITE, MARIE, GIZELLE

 

GIZELLE.

Ah ! çà, cette fois-ci, j’espère, je ne me trompe pas !

MARGUERITE.

Qu’y a-t-il Gizelle ? que voulez-vous ?

GIZELLE.

Un exprès arrive en toute hâte de l’abbaye de Fontevrault.

MARGUERITE.

De Fontevrault !

MARIE.

Des lieux où vit ma mère !

GIZELLE.

Il était chargé d’un message qu’il dit être pour vous de la plus haute importance : le voici, voyez : « À ma fille Marie, à elle seule ! » Il n’y aura pas d’erreur pour celui-là !

MARIE.

Une lettre de ma mère... ah ! donnez, Gizelle, donnez !... Tout le monde ne m’abandonne pas ! mon Dieu, je te remercie !

MARGUERITE.

Nous vous laissons, ma chère Marie ; puissent les paroles de votre mère porter le calme dans votre âme !... Gizelle, suivez-moi.

 

 

Scène VI

 

MARIE, seule

 

C’est ma mère qui m’écrit !... après un si long abandon... Je tremble en ouvrant cette lettre ; je ne sais quel saisissement in volontaire...

Elle lit.

« Pardonne, ma fille, pardonne à ta pauvre mère, et juge si ton bonheur lui est cher par le terrible aveu auquel elle se soumet. J’ai prié et pleuré bien des années ; j’ai repoussé de mes bras mon a unique enfant, je voulais expier un crime irréparable... et Dieu sans doute ne me trouve point encore assez punie, puisqu’il me contraint à t’avouer combien ta mère fut u coupable. Du fond de la retraite où j’ai cache mes remords, mes pensées veillaient sur toi, ma fille ; souvent je m’informais de ton sort, et un bruit cruel est venu m’épouvanter. Un homme, dit-on, est aimé de Marie ; malgré lui sans doute il a porté le trouble dans son cœur, et cet homme est le comte de Neuville. Oh ! mon enfant, prends pitié de ta mère ! Que l’affreux secret qu’elle dépose aujourd’hui dans ton sein y demeure à jamais enseveli, si tu ne veux pas causer sa mort !... Arrache de ton cœur ce fatal amour dont on t’accuse ! le comte de Neuville est ton père... et mon crime causa la mort de mon époux ! » Il est mon père !... Ah ! René, René, je pourrai donc me justifier !... Me justifier ! et ma mère !... moi, publier sa faute !... non, non !... jamais ! jamais ! cet affreux secret... il doit mourir avec moi !... Qu’entends-je ? c’est la reine : cachons mon trouble... Eh quoi ! toujours fermer son cœur, toujours déguiser son visage !

 

 

Scène VII

 

GIZELLE, CATHERINE, MARIE, QUELQUES AUTRES PERSONNES DE LA SUITE DE LA REINE

 

Sur un signe de la reine, une personne de sa suite dépose sur une table un grand portefeuille.

CATHERINE, à part.

C’est donc ici !... enfin je vais tout apprendre !

Haut.

Que l’on s’éloigne, et que personne ne vienne ici sans mon ordre : vous, Marie et Gizelle... restez.

GIZELLE.

Je vous le disais bien, ma cousine, me voilà en faveur, et je vais être heureuse comme vous.

MARIE.

Comme moi !

GIZELLE.

Mais je serai plus gaie ; car vous et René vous avez le bonheur bien triste.

CATHERINE.

En effet, Marie, qu’avez-vous ?

MARIE, s’efforçant de sourire.

Moi, madame ? rien.

CATHERINE.

Asseyez-vous là, voici une lettre pour le roi de France mon fils, que vous allez achever sous ma dictée ; mais, auparavant, voyons, chère petite Gizelle, si vous ne vous êtes point trompée.

GIZELLE.

Votre Majesté peut en juger elle-même.

CATHERINE

Vous êtes la plus aimable enfant !... Vous ne me quitterez plus.

MARIÉ, à part.

Pauvre Gizelle !

GIZELLE.

Voyez cette tapisserie : hier, je me reposais là ; soudain j’entends distinctement la voix de Marguerite comme si elle m’eût parlé à l’oreille. Surprise, et presque effrayée de ce mystère, car je savais que nia sœur était dans les salles du bas, je cherchai à deviner ce qui portait ainsi ses paroles jusqu’à moi, et j’aperçus là, regardez reine, l’ouverture d’une sarbacane qui conduit ici tout le bruit qui se fait au-dessous.

Elle fait jouer le ressort, la tapisserie se lève.

CATHERINE, approchant l’oreille.

Oui, j’entends des pas, on semble ranger des sièges.

GIZELLE.

On prépare tout pour la conférence.

CATHERINE.

Et connaît-on ce secret dans le château ?

GIZELLE.

Je ne le pense pas : le hasard seul me l’a révélé, et je me promettais bien de le garder pour moi... mais il y a déjà un jour... Et puis, quand j’ai vu qu’il s’agissait des secrets de l’état...

CATHERINE.

Vous avez eu raison : c’eût été un crime de chercher à les découvrir.

GIZELLE.

Un crime !... N’en parlons plus.

CATHERINE.

Un crime pour vous, un devoir pour moi.

GIZELLE.

Ah ! c’est juste !

Marie est assise à la table de gauche, Gizelle est placée près de la tapisserie, la reine est debout au milieu d’elles.

CATHERINE, à Gizelle.

Gizelle, mon enfant, vous voilà bien jeune dans la confidence d’une reine qui n’a jamais laissé un service sans récompense, ni un tort envers elle sans punition.

À Marie.

Écrivez, Marie ! « Mon cher Henri, cette trêve que nous avons publiée et que nous tâcherons de prolonger, affaiblira vos ennemis, car les gentilshommes sans solde, qui les suivent, ne pouvant se soutenir que par la guerre, rentreront bientôt dans leurs châteaux. Mes efforts pour pénétrer leurs secrets et désunir les princes seront couronnés de succès : j’espère déjà enlever le comte de Neuville au roi de Navarre. »

MARIE.

Madame...

CATHERINE.

Silence !... Écoutez, Gizelle, si les princes sont rassemblés.

GIZELLE.

On ne parle pas encore ; mais j’entends qu’on se place.

CATHERINE, dictant à Marie.

« Enfin, je vais connaître les vrais sentiments de chacun, le degré de leur haine ou de leur affection pour vous. »

À Gizelle.

Écoutez, mon enfant, et répétez-moi tout ce que vous entendrez.

GIZELLE.

On vient d’annoncer le prince de Condé : je reconnais la voix de mon cousin René, celle du comte de Neuville ; ils semblent se quereller.

MARIE, à part.

Ciel !

GIZELLE.

On propose de votre part une trêve d’un an.

CATHERINE.

C’est Conti !... Il est à moi !

GIZELLE.

Ils disent tous : « Point de trêves ! Point d’entrevues avec la reine ! Traitons avec Henri III directement ! La paix ! la paix ! »

CATHERINE, à Marie.

Écrivez : « Les princes ne sont point disposés à cette paix que vous souhaitez ainsi que moi... »

Marie fait un mouvement.

Écrivez donc !...

À Gizelle.

Qui parle maintenant ?

GIZELLE.

René conseille au roi de Navarre de partir à l’instant même.

CATHERINE.

Qu’entends-je ? oublie-t-il les drapeaux qu’il sert ?

GIZELLE.

Il dit qu’on séduit les partisans de Henri, il parle des femmes de la reine...

MARIE, à part.

Malheureuse !

GIZELLE.

On insiste de nouveau pour une trêve d’un an pendant laquelle le roi de Navarre viendrait à Paris.

CATHERINE.

Ah ! écoutez bien !

GIZELLE.

Oh ! comme ces mots rendent furieux le comte de Neuville !... Il parle de mort, de trahison, d’une fête pour son arrivée... pareille à une autre fête... le jour de Saint-Barthélemy.

CATHERINE, écartant vivement Gizelle et se mettant à sa place.

Éloignez-vous !... Dieu, quelle fureur les anime ! Condé veut me garder prisonnière ! Mais, Dieu merci, j’ai pris mes précautions. Quelle voix couvre toutes les autres ? C’est celle de Neuville ! D’où vient tant de colère ? Il veut ma mort... Quoi ! me lier, me précipiter au fond de la Charente ! Par Notre-Dame ! il paiera cher ce vœu !...Marie, est-ce là ce que vous m’aviez promis ?... L’infâme !... Allons, écrivez : « Mon fils, au nom du ciel, envoyez des troupes en toute hâte pour s’emparer du fort de Meillezais ou le comte de Neuville commande : il faut que sa mort... »

MARIE, se levant.

Sa mort... Je n’écrirai pas cela !

CATHERINE.

Ah ! non : ce serait trop long... Holà, quelqu’un, ici !

Olivier entre.

Attendez la sortie du conseil, et amenez-moi monsieur René de Montberon.

Olivier sort.

Notre-Dame ! Ils sont tous réunis contre moi ! Ils veulent la paix !... Ils comptent s’entendre avec le roi de France ?... Et Henri est si faible !... Eh bien ! la guerre !... Ils se défient de ma trêve ?... Par Saint-Denis, je la romprai !... Oui, je la romprai, à l’instant !... Gizelle, pas un mot sur tout ce que vous venez d’entendre !... Il y a des secrets qui donnent la mort ! Vous resterez près de moi, mon enfant ! Marie, renfermez ces papiers.

 

 

Scène VIII

 

LES MÊMES, OLIVIER, puis RENÉ

 

OLIVIER, annonçant.

Monsieur René de Montberon.

CATHERINE.

Qu’il vienne.

RENÉ.

Votre Majesté m’a fait appeler ?

CATHERINE.

Oui, monsieur de Montberon : que font les princes ?

RENÉ.

Un souper préparé par les ordres de la baronne les attend, ainsi que Votre Majesté : ils ne quitteront le château que dans la journée de demain. Le comte de Neuville seul va partir dans une heure pour se rendre au fort de Meillezais.

CATHERINE.

Ah !... le comte est-il votre ami ?

RENÉ.

Jamais homme ne me fit tant de mal.

CATHERINE.

Et cette trêve que j’ai fait publier, qu’en dit-on ?

RENÉ.

Elle déplaît à tous les partis.

CATHERINE.

Eh bien ! il faut la rompre.

RENÉ.

Votre Majesté y consent !... quel bonheur !

CATHERINE.

Vous le souhaitez donc ?

RENÉ.

L’agitation, la guerre me sont nécessaires ; il me tarde de combattre.

CATHERINE.

Les régiments que vous commandez sont près d’ici ?

RENÉ.

Sous les murs du château ; j’allais assiéger le fort de Meillezais quand la trêve a suspendu notre marche, et dès que la nouvelle des hostilités sera publiée...

CATHERINE.

Pourquoi l’attendre ? partez, surprenez la garnison, rendez-vous maître du fort ; il présente une issue du côté où le roi de Navarre l’a naguère assailli ; la brèche n’est cachée que par des ouvrages sans consistance. Allez, emparez-vous de Meillezais, passez tout au fil de l’épée, et que la mort du comte de Neuville...

MARIE.

Oh ! reine, reine, pardonnez !...

CATHERINE.

Marie !... tant d’amour pour mon ennemi...

MARIE.

Ah ! je n’ai point d’amour !

RENÉ.

Pourquoi donc tant d’effroi ?

MARIE.

Il me le demande !

RENÉ.

Oui, la mort du comte est le plus cher de mes vœux, mais ce n’est point ainsi qu’il mourra.

CATHERINE.

Comment ?

RENÉ.

Vive-Dieu, madame ! surprendre des gens sans défense !

CATHERINE.

Des huguenots !

RENÉ.

Des hommes comme moi !... Ah ! si Votre Majesté veut faire de moi son prévôt des hautes œuvres, je me sens encore de trop bonne condition pour m’accommoder de tels métiers.

CATHERINE, à part.

Ces gentilshommes de province, on n’en peut rien faire.

RENÉ.

Le comte est mon ennemi ; je le chercherai dans les combats, ou le provoquerai en duel, et alors sentant sa dague contre la mienne...

MARIE.

Ô ciel !

RENÉ.

Ne tremblez pas !... je puis être malheureux.

MARIE.

Mon Dieu, soutiens mon courage !

 

 

Scène IX

 

LES MÊMES, OLIVIER

 

OLIVIER.

Le sieur de Saint-Pol, baron de La Roche-Posay, commandant le régiment de Picardie, passe près du château, et sollicite l’honneur d’être admis devant Votre Majesté.

CATHERINE.

Qu’il soit à l’instant conduit dans mon appartement : je vais le recevoir.

À part.

Notre-Dame de bon secours, c’est toi qui me l’envoies !

Elle rentre avec Gizelle dans son appartement.

 

 

Scène X

 

RENÉ, MARIE

 

RENÉ.

Vous avez bien tremblé pour le comte de Neuville !

MARIE.

Ah ! René, votre raison est-elle à ce point égarée que vous me reprochiez de trembler quand on médite un crime, quand c’est votre main qu’on choisit pour l’exécuter ?

RENÉ.

Un crime !... m’en soupçonniez-vous capable ?

MARIE.

Mais vous ? ne me soupçonnez-vous pas ?

RENÉ.

Ah ! c’est là mon malheur !

MARIE, à part.

Que lui dirai-je ? Sortons.

Haut.

Adieu, René, adieu pour toujours !

RENÉ.

Pour toujours...

MARIE.

Oui, oui, je partirai, je quitterai des lieux où il faut sourire quand le désespoir est là ! ou l’on doit retenir des larmes qui tombent sur le cœur et le brisent !... Ô ma mère, ne me repoussez plus ! près de vous je pourrai pleurer !

RENÉ.

Marie !...

MARIE.

Près de ma mère, quelqu’un saura que je suis innocente... je pourrai prier et le ciel reprendra cette vie sans bonheur.

RENÉ.

Ce vœu cruel...

MARIE.

Puisse-t-il bientôt s’accomplir ! que ferais-je désormais en ce monde ? souffrir et cacher ses douleurs, tel est le sort d’une femme injustement accusée. Je n’en ai pas la force.

RENÉ.

Injustement !... oh oui ! injustement ! dis que l’on est injuste... je puis te croire encore. Cette voix si douce né peut être trompeuse !... À ton seul aspect, on croit à la vertu. Parle, que je t’entende !... Un seul mot !... tu n’as pas d’amour pour lui ?

MARIE.

De l’amour ?... Tiens, René, mets ta main sur mon cœur : c’est seulement près de celui qu’on aime que le cœur peut battre ainsi !...

Elle le repousse.

Que dis-je, malheureuse ? il va épouser Marguerite.

RENÉ.

Marie ! chère Marie...

MARIE.

Laissez-moi ! La reine a tout fait préparer pour votre mariage ; elle veut aujourd’hui même signer au contrat.

RENÉ.

Eh bien ! écoute, Marie ; ce mariage, on peut le rompre...

MARIE.

Marguerite vous aime.

RENÉ.

Je lui dirai tout ; elle lira dans mon cœur, elle pardonnera !... Répète-moi que je suis ton ami, ton seul ami !... que tu n’as pas trahi celui qui t’adore depuis tant d’années !...

MARIE.

Moi, le trahir ! ah ! René, que vous avez été cruel !

RENÉ.

J’avais besoin d’appeler toute ma colère à mon aide : près de toi je suis si faible !... mais le comte de Neuville ?...

MARIE.

Le comte ?... ah ! si je disais un mot !

RENÉ.

Tu pourrais te justifier ?... eh bien ! parle, qui t’arrête ?

MARIE.

Non, René, non ! c’est impossible.

RENÉ.

Quel est donc ce secret que tu ne peux déposer dans mon cœur ? ne me connais-tu pas ? aimes-tu mieux par ton silence faire à jamais mon malheur et le tien ?

MARIE.

Oh ! je vous en prie, épargnez-moi ! je succomberais peut· être ! et je serais trop coupable.

RENÉ

Marie !... est-ce encore une ruse ?

MARIE.

Une ruse !...

À part.

Ah ! c’en trop ! Je puis souffrir tout, excepté ses soupçons !... Pardonne, ô ma mère !

 

 

Scène XI

 

GIZELLE, RENÉ, MARIE

 

GIZELLE, troublée.

Mon cousin, les princes vous demandent.

RENÉ.

Qu’avez-vous, Gizelle ?

GIZELLE.

Rien !... Mais allez vite, M. de Neuville se dispose à partir.

RENÉ, à Marie.

Il va partir !... Marie, vous ne le reverrez plus ?

MARIE.

Qu’exigez-vous, René ?

RENÉ.

Je vous en conjure, ne le revoyez plus, et tout est oublié, et je crois à votre innocence, à votre amour, et je vous donne ma vie !...

Il sort.

 

 

Scène XII

 

GIZELLE, MARIE

 

GIZELLE.

Enfin, il est sorti !... ma cousine ?

MARIE.

Quel effroi se peint dans tous vos traits ?

GIZELLE.

La reine me fait peur.

MARIE.

Comment ?

GIZELLE.

Si vous saviez !...

MARIE.

Achevez ! Je tremble, car je la connais !

GIZELLE.

C’est à vous, Marie, à vous seule que je le dis ; le comte de Neuville...

MARIE.

Eh bien ?

GIZELLE.

Il va être assassiné !

MARIE.

Grand Dieu !

GIZELLE.

Oui !... Cette fois, j’ai écouté pour mon compte : eh bien ! cette mission que René a refusée, l’officier que la reine a reçu s’en est chargé ; il est en route pour Meillezais, avec son régiment.

MARIE.

Et le comte de Neuville ?

GIZELLE.

Encore ici !... Mais il va monter à cheval, et c’est la mort qu’il ira chercher.

MARIE.

Lui, grand Dieu ! lui !... Je cours l’arracher aux meurtriers !... Restez, Gizelle, attendez-moi... Et René ! s’il apprend ?... Ah ! il le faut, sauvons-le, sauvons-le, dût-il m’en coûter le bonheur !

Elle sort précipitamment.

 

 

Scène XIII

 

GIZELLE, seul

 

Moi, qui désirais des événements dans ce château ! Depuis ce matin, en voilà, j’espère. Que de mouvement ! des festins, des conférences, des fêtes ! Mais pourquoi tout cela n’est-il pas plus gai ?... Ma cousine Marie surtout m’afflige par sa tristesse. Ah ! je commence à croire qu’il ne suffit pas d’être à la cour pour être heureuse.

 

 

Scène XIV

 

GIZELLE, MARIE, entraînant LE COMTE DE NEUVILLE

 

MARIE.

Venez, venez, on ne nous a pas aperçus... Personne n’a pu nous voir, n’est-il pas vrai ?

LE COMTE.

Que me voulez-vous, chère Marie ? Pourquoi ce trouble, cet effroi ?

MARIE.

Silence !... Si l’on entendait votre voix, je serais perdue.

LE COMTE.

Que dites-vous ?

MARIE.

Oh ! de grâce, de grâce, pas un seul mot !... C’est là mon appartement... entrez !

Le comte hésite.

C’est pour moi, c’est pour moi que je vous en prie ! Mon honneur, ma vie, tout en dépend !

LE COMTE.

Qu’entends-je ?

MARIE.

On vient !... Si vous balancez, je suis perdue...

LE COMTE.

Remettez-vous !... remettez-vous !... J’obéis.

MARIE, le poussant dans son appartement à gauche.

Ah !... entrez !... et n’en sortez qu’à ma voix !

Elle ferme la porte.

Maintenant, allons, il faut sourire : j’entends quelqu’un approcher. Gizelle, je suis calme, n’est-il pas vrai ? On ne lira rien sur mon visage ?

GIZELLE.

Ma pauvre cousine !

MARIE.

Taisez-vous, Gizelle, taisez-vous ! ne me plaignez pas ! Vous devez aller à la cour ?... Apprenez donc à feindre ! faites comme moi, souriez, souriez !... J’entends la reine.

 

 

Scène XV

 

RENÉ, CATHERINE, MARIE, GIZELLE, DAMES et SEIGNEURS DE LA SUITE DE LA REINE

 

CATHERINE.

Qu’on cherche de ma part la dame de Saint-Bris : je vais bientôt quitter son château, et je veux, avant mon départ, lui témoigner ma reconnaissance. Mais si je sais récompenser, je sais aussi punir. Répondez-moi, Marie : Que signifie votre conduite ? sans ordres, vous vous éloignez de notre personne royale ! vous disparaissez inquiète, tremblante, et je vous retrouve ici plus inquiète et plus tremblante encore !

MARIE, troublée.

Reine... que Votre Majesté...

CATHERINE.

Ce n’est pas tout ! Le comte de Neuville devait partir pour Meillezais ; on assure qu’on l’a empêché de s’éloigner.

RENÉ.

Serait-il possible ?

CATHERINE.

Une femme, que l’amour égare, a pu seule oublier la reconnaissance et les devoirs qui l’attachent à moi et trahir mes secrets desseins... Mais, par Notre-Dame ! on ne se jouera pas ainsi de ma volonté ; je saurai me faire obéir ! Répondez, où est le comte ?

RENÉ, à part.

Dieu ! son trouble augmente.

CATHERINE.

Me répondrez-vous, enfin ? Où est le comte de Neuville ?

RENÉ, vivement.

Marie l’ignore sans doute...

CATHERINE.

Elle le sait ! regardez-la.

RENÉ.

Vous l’outragez, reine ! Elle n’est pas, elle ne peut pas être coupable.

MARIE.

Non, non, je ne suis pas coupable.

CATHERINE.

Vous avez vu le comte ?

RENÉ.

Oh ! non, vous ne l’avez pas vu, n’est-ce pas ?...

Silence.

Que faut-il croire ? quel embarras ! quel trouble !

CATHERINE.

Qu’on visite tout le château.

Un homme sort.

RENÉ, à part.

Comme elle est pâle !

MARIE, à part.

Que faire ? que dire ? ô mon Dieu !

CATHERINE.

Mais cet appartement ? c’est le vôtre : qu’on l’ouvre å l’instant.

MARIE, éperdue.

Je ne souffrirai pas...

CATHERINE.

Il ferait beau voir !

RENÉ, à part.

Quel effroi sur tous ses traits !

CATHERINE.

Qu’on entre dans cet appartement.

RENÉ.

Moi seul je veux y pénétrer.

MARIE, cherchant à l’arrêter.

René... je vous supplie...

RENÉ.

Marie !... serait-il vrai ?

MARIE.

Vous aussi !...

CATHERINE.

Allez, monsieur de Montberon.

RENÉ.

Il le faut : je ne suis plus maître de mes soupçons, je veux les éclaircir !... Entrons.

Il entre dans l’appartement.

MARIE, à part.

Ô ma mère ! ma mère !...

Elle tombe accablée sur un siège.

 

 

Scène XVI

 

GIZELLE, MARGUERITE, MARIE, CATHERINE, DAMES et SEIGNEURS DE LA COUR

 

CATHERINE.

Arrivez, noble dame de Saint-Bris, je vous avais promis de contribuer à votre bonheur ; je tiens ma parole : venez, on n’attend plus que vous.

MARGUERITE.

Il serait possible ! quoi ! au milieu de tant de soins importants, Votre Majesté aurait daigné s’occuper d’un mariage...

CATHERINE.

Que je veux assurer avant de nous séparer : j’ai voulu acquitter la dette de ma reconnaissance : tout est prêt ! voici le contrat que j’ai fait dresser, et où j’ai déposé les témoignages de ma munificence royale.

Elle s’approche avec Marguerite de la table à droite où elle a fait déposer le contrat.

MARIE, voyant René sortir pâle et défait de l’appartement.

Ah ! René !... je suis perdue !

 

 

Scène XVII

 

GIZELLE, MARGUERITE, CATHERINE, RENÉ, MARIE, CHÂTELAINES, SEIGNEURS, etc.

 

RENÉ, bas à Marie et brusquement.

Non, contenez-vous !

Haut.

Reine, j’ai visité l’appartement : vous vous étiez trompée, il n’y a personne.

Bas à Marie.

Il est là ! je l’ai vu, et je vous sauve ! mais adieu pour jamais !

Il passe de l’autre côté.

MARIE, à part.

Et je ne puis parler !

CATHERINE.

C’est bien, monsieur de Montberon : mais un autre soin doit nous occuper : voici le contrat de mariage qui vous unit à la noble veuve du baron de Saint-Bris ; je viens d’y apposer ma signature royale. Votre nom...

RENÉ, très ému.

Ne se fera pas attendre.

Il va signer.

MARIE, à part.

Tout est fini !

RENÉ, toujours très ému.

Je remercie Votre Majesté : elle vient d’assurer mon bonheur ; je lui dois une femme bonne... vertueuse... incapable de fausseté, de perfidie.

MARGUERITE, à part.

Comme il est troublé !

CATHERINE.

À vous, noble dame !

MARGUERITE, signant.

Je ne sais pourquoi je tremble.

 

 

Scène XVIII

 

LES MÊMES, OLIVIER

 

OLIVIER.

Le roi de Navarre monte à cheval ; il se met à la tête de tous ses hommes d’armes : on dit que la garnison de Meillezais, surprise et massacrée...

CATHERINE.

Et le commandant ?

OLIVIER.

Monsieur de Neuville ?... Il ignore tout, il est ici, on l’a vu entrer dans cet appartement.

Mouvement général.

CATHERINE.

Qu’entends-je ? osait-on se jouer de moi ? Monsieur de Montberon, vous me trompiez : qu’on entre, qu’on fasse sortir le comte...

MARIE, se jetant au-devant des gens qui veulent entrer.

Voulez-vous donc l’assassiner ?... non, non, jamais !

RENÉ.

Reine, c’est de ma main que le comte doit périr.

CATHERINE.

Vous !

RENÉ.

J’ai voulu sauver la réputation de ma cousine... mais tout est connu ; c’est à moi de venger sur le comte l’honneur de ma famille.

MARIE.

René !... au nom du ciel !...

RENÉ.

Ou sa vie, ou la mienne !

MARIE.

Arrêtez !...

Il la repousse et entre dans l’appartement.

René !... René !... ah ! je meurs !

Elle tombe évanouie, par terre, toutes les femmes s’empressent autour d’elle ; on entend dans la coulisse un cliquetis d’épées.

CATHERINE.

Qu’entends-je ?... ah ! serait-il possible ?

GIZELLE.

Grand Dieu !

MARGUERITE.

Courez !... qu’on les sépare !

CATHERINE.

Que personne ne sorte !

GIZELLE.

Ah !... ma pauvre cousine... elle revient à elle !...

MARIE.

Où est René ?... où est le comte ?

 

 

Scène XIX

 

LES MÊMES, RENÉ, puis LE COMTE DE NEUVILLE

 

RENÉ.

Le comte !... Tiens, le voilà !

Le comte entre blessé, et s’appuyant sur son épée.

MARIE, avec un cri déchirant.

Ah !... mon père !...

Elle se précipite sur le comte qui s’assied.

RENÉ.

Que dit-elle ?

LE COMTE.

Ma fille !... Adieu !...

TOUS.

Sa fille !...

RENÉ.

Sa fille !... et c’est moi !... moi !... ah ! malheureux !

LE COMTE.

Ah ! partout où passe Catherine de Médicis elle laisse une trace sanglante !

CATHERINE.

Je suis vengée !

Marie embrasse le corps du comte, René est à genoux auprès d’eux.

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