Le Calife de la rue Saint-Bon (Eugène LABICHE - MARC-MICHEL)

Scènes de la vie turque, mêlées de couplets.

Représentées pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 7 décembre 1858.

 

Personnages

 

BEN-SIDI MOUTONNET, parfumeur

ADOLPHE OMAR, son teneur de livres

MONSIEUR EDMOND

JOUVENCE, garçon de café

JOSÉPHINE ZÉTULBÉ, modiste

MADAME MOUTONNET

 

La scène est à Paris.

 

Une chambre très simplement meublée, deux portes à gauche ; une porte à droite ; une fenêtre à droite. Porte principale au fond. Une cheminée au fond, à gauche de l’entrée principale Divan à gauche sur le devant De grands coussins servant de sièges, à droite et à gauche, contre les murs. Au mur du fond sont accrochés un turban, un costume de Turc, un cimeterre et de longues pipes. Ni chaises ni fauteuils.

 

 

Scène première

 

ADOLPHE, seul, assis sur le divan, son chapeau sur la tête et les deux mains appuyées sur un grand parapluie

 

Je suis mélancolique... et très intrigué... Hier encore, j’étais teneur de livres chez M. Moutonnet, parfumeur, rue Saint-Denis, à la Rose de Pantin... lorsque mon patron, qui était revenu la veille de Constantinople, où il avait été acheter des essences, m’a mis à la porte pour un pâté fait sur le grand livre...

Se levant.

Je sais bien que c’est grave !... mais enfin, depuis dix-sept ans, c’était le premier pâté que je commettais !... Je l’aurais gratté !... Il n’a rien voulu entendre... et m’a dit avec un geste de Grand Turc : « Monsieur Adolphe, sortez ! » – Alors, j’ai pris mon parapluie, et je suis rentré chez moi désolé et sans place ! – Quand, hier soir, je reçois de M. Moutonnet ce billet clandestin.

Il lit.

« Trouvez-vous demain, à 9 heures, rue Saint-Bon, n° 8, au quatrième. Si je ne suis pas arrivé, vous m’attendrez !... Mystère !... mystère !!... mystère !!!... » Ça m’intrigue !... Me voici rue Saint-Bon, n° 8, au quatrième, il est neuf heures un quart, et personne ne vient...

 

 

Scène II

 

ADOLPHE, MOUTONNET

 

MOUTONNET, entrant par le fond avec précaution.

Chut !

ADOLPHE.

Ah ! c’est le patron...

MOUTONNET.

Personne ne m’a vu !

ADOLPHE.

Qu’y a-t-il ?

MOUTONNET.

J’ai changé trois fois de fiacre... et j’ai baissé les stores !

Il pose sa canne et son chapeau au fond, dans un coin.

ADOLPHE, effrayé.

Ah ! mon Dieu ! ces précautions... il s’agirait d’un crime...

MOUTONNET, venant à lui.

Tu as dit le mot !... il s’agit d’un crime...

ADOLPHE.

Hein ?

MOUTONNET.

D’un petit crime badin et Pompadour !

ADOLPHE, rassuré.

Ah !

MOUTONNET.

Je me dispose à poignarder vigoureusement mon contrat de mariage !

ADOLPHE.

Ah ! patron !...

MOUTONNET.

Que veux-tu ? c’est la faute de mon notaire... Le jour de la signature, il a eu la négligence de laisser son canif sur la table... je l’ai ramassé et je m’en sers !

ADOLPHE.

Eh bien ? et la patronne ? madame Moutonnet ?...

MOUTONNET.

Adolphe !... mon bon petit Adolphe !... si tu tiens à ma haute considération, ne me parle jamais de madame Moutonnet ! C’est un ange... pour la tenue des livres, mais aigre et acariâtre dans la vie privée...

ADOLPHE.

Vous êtes sévère !...

MOUTONNET.

Cette femme ne me dit rien !... Nous ne causons, sérieusement, que le jour de notre inventaire... et encore... quand il est bon !

ADOLPHE.

Alors vous avez une liaison !

MOUTONNET.

Une liaison... pas positivement !... je couraille...

ADOLPHE.

Vous courtisez la brune et la blonde ? comme Joconde.

MOUTONNET.

Ça se dit aussi comme ça... Malheureusement cet exercice me coûte les yeux de la tête !... Donc j’ai résolu de me ranger !

ADOLPHE.

Ah ! à la bonne heure !

MOUTONNET.

C’est une idée qui m’est venue à Constantinople, il y a un mois. Je me suis dit : Moutonnet !... te voilà dans le pays des houris, dans le pays des belles esclaves... pourquoi n’en achèterais-tu pas une... pour toi tout seul ?

ADOLPHE.

Hein ? acheter une femme !

MOUTONNET.

Il y a longtemps que je désirais réaliser cette fusée orientale !... Je m’habillai en Turc... et je me rendais au bazar pour faire mon petit marché... lorsque je fus accosté par un vénérable musulman qui me dit en fort bon français : « Monsieur, j’ai une occasion magnifique, une Géorgienne superbe... un vrai Dubuffe ! »

ADOLPHE.

Il connaissait Dubuffe ?

MOUTONNET.

Parbleu ! ce bon Turc me conduisit sous sa tente, frappa trois coups à une petite porte, et la belle Zétulbé parut... enveloppée de gazes...

ADOLPHE.

Transparentes ?...

MOUTONNET.

Polisson !... Il me faudrait le coloris de l’Orient pour te peindre la beauté de cette Géorgienne superfine.

ADOLPHE, transporté.

Oh ! peignez ! peignez !

MOUTONNET.

Des yeux... une taille... des cheveux !...

ADOLPHE.

Oh ! peignez ! peignez !

MOUTONNET.

Bref, je ne marchandai pas... Ce Turc me demanda cinq mille francs... je lui en comptai deux mille cinq cents... plus cinq livres de tabac !... En amour, voilà comme je suis ! Le soir même, je partais pour Marseille avec ma splendide esclave...

Montrant la chambre à droite, premier plan.

Elle est là... dans cette chambre... roulée dans sa gaze...

ADOLPHE, vivement.

Peut-on entrer ?

MOUTONNET.

Polisson ! Et ceci te représente mon harem !

ADOLPHE.

Rue Saint-Bon, au quatrième !

MOUTONNET.

Six cents francs de loyer... et pas de mobilier !... c’est pour rien !

ADOLPHE.

Quel économiste !... Mais, patron, je fais une réflexion... à Paris, il n’y a pas d’esclaves...

MOUTONNET.

Eh bien ?

ADOLPHE.

Elle est libre... et si elle voulait vous planter là...

MOUTONNET.

Oh ! j’ai pris mes mesures !... D’abord elle ne sait pas qu’elle est à Paris...

ADOLPHE, étonné.

Tiens !

MOUTONNET.

Arrivée à Marseille, elle était fortement émue par le mal de mer...

ADOLPHE.

Pauvre houri !

MOUTONNET.

Je l’ai transvasée... de nuit !... dans une chaise de poste fermée que j’ai placée sur le chemin de fer... À la gare, à Paris, je me suis fait conduire rue Saint-Bon... toujours de nuit !... et une fois grimpés à notre quatrième, j’ai fermé la porte et je lui ai dit, en lui montrant la tour Saint-Jacques : « Nous sommes à Tunis ! « Voilà la grande mosquée ! »

ADOLPHE.

À Tunis ! et elle a cru ?...

MOUTONNET.

Parbleu ! je lui aurais dit Pontoise... c’eût été la même chose... Une Géorgienne !... Elle ne sait pas la géographie !...

ADOLPHE, à part.

Est-il malin le patron !

Haut.

Mais dans tout ça, je ne vois pas à quoi je puis vous être utile ?...

MOUTONNET.

Adolphe... vous êtes un bon petit vieux que j’aime... prêtez-moi votre oreille...

ADOLPHE.

Je vous écoute, patron...

MOUTONNET.

Comme teneur de livres, vous devenez ganache et insuffisant...

ADOLPHE.

Permettez...

MOUTONNET

Donc, je vous ai flanqué à la porte... pour vous donner une autre place !

ADOLPHE.

Vraiment ?

MOUTONNET.

Une sinécure... une retraite... huit cents francs par an, nourri et rien à faire !

ADOLPHE.

Ah ! monsieur Moutonnet... que de reconnaissance !... Et à quel usage me destinez-vous ?

MOUTONNET.

À quel usage ?... C’est assez difficile à expliquer...Mon ami, tu n’es pas sans avoir entendu parler de ces bonshommes de paille qu’on met sur les cerisiers...

ADOLPHE.

Oui.

MOUTONNET.

Très discrets par caractère, ils sont incapables de toucher aux cerises... Mais ils tiennent à distance les pierrots qui voudraient en approcher...

ADOLPHE.

Je ne comprends pas...

MOUTONNET.

Eh bien, dans tous les harems, il y a une classe de fonctionnaires... de paille !... chargée de veiller sur les cerises du sultan...

ADOLPHE, vivement.

Ah ! mais permettez !... Je n’ai pas de vocation !...

MOUTONNET.

Pas de fatuité !... tu es vieux, décrépit...

ADOLPHE.

Oui, mais je ne suis pas de paille !

MOUTONNET.

Enfin, tu me conviens ! Tu entreras en fonction aujourd’hui même... Il est 10 heures !... tes appointements commencent à courir !...

ADOLPHE, à part.

Eh bien, c’est une drôle de place pour un homme... qui aime encore les cerises !

MOUTONNET, ouvrant la première porte de gauche.

Voici ta chambre... tu y trouveras un costume de Turc, un cimeterre et une grande barbe.

ADOLPHE.

Comment ! il faut que je me déguise en Turc ?

MOUTONNET.

Puisque nous sommes à Tunis !...

ADOLPHE.

Mais je ne sais pas un mot de turc !...

MOUTONNET.

Moi non plus !

ADOLPHE.

Alors Zétulbé s’apercevra bien vite...

MOUTONNET.

Elle !... elle ne comprend que le géorgien... Tu peux lui parler toute espèce de langues... sauf l’argot !... qui est très mal vu dans ce moment !... Ah ! surtout, n’oublie pas de m’appeler Ben Sidi-Moutonnet... c’est mon petit nom !

ADOLPHE.

Tiens ! c’est gentil, Ben-Sidi... Et moi ?... il me faudrait aussi un nom oriental...

MOUTONNET.

Je t’en ai gardé un étincelant... Omar !

ADOLPHE.

Adolphe Omar !... Je tiens à mon petit nom !

MOUTONNET.

Dépêche-toi de t’habiller !... J’ai hâte de te présenter...

ADOLPHE, ouvrant la porte de gauche.

Tiens : qu’est-ce qu’on a mis dans ma chambre ?... Des sacs !...

MOUTONNET.

J’avais recommandé au portier de les descendre... Ils ont été oubliés par mon prédécesseur... un marchand de peaux de lapins... il a fourré là-dedans sa marchandise.

ADOLPHE.

Je les descendrai tout à l’heure... À bientôt...

MOUTONNET.

Air.

Sans retard,
Cher Omar,
Prends la forme
Et l’uniforme
Du prudent
Confident
De ton palpitant
Sultan.
Boucle autour de ton flanc
Ton yatagan
Au fer tranchant !
Sur ton chef grisonnant
Mets le turban,
Le vrai turban
Mahométan !

Reprise.

Ensemble.

ADOLPHE.

Sans retard
Votre Omar
Se transforme
Et prend la forme
Du prudent 
Confident
De son éclatant
Sultan.

MOUTONNET.

Sans retard,
Cher Omar,
Prends la forme
Et l’uniforme
Du prudent
Confident
De ton palpitant
Sultan.

Adolphe entre à gauche.

 

 

Scène III

 

MOUTONNET, puis ZÉTULBÉ

 

MOUTONNET, tirant sa montre.

Dix heures un quart... Revêtons mon costume de pacha...

Il prend le costume de Turc accroché au mur et le passe par dessus ses habits. Pas de barbe. Un énorme cimeterre.

Ce qui me charme... c’est que j’ai rendez-vous à dix heures avec ma femme...

Riant.

Elle m’attend sur le pont des Arts... pour aller voir une maison qu’elle a achetée en mon absence dans je ne sais quel quartier... Bah ! elle ira avec le cousin Edmond, un garçon pas fort, mais très complaisant... Il monte toutes mes gardes, cet imbécile-là ! Ma femme me croit au poste... et c’est lui !... Pendant ce temps-là, moi, je bamboche !... Plus je pense à mon opération, plus je la trouve savoureuse... et économique. Car enfin, moi, simple parfumeur, me voilà à la tête d’une créature féerique... qui sera bien à moi... à moi seul... puisqu’elle ne sortira jamais !... Je ne l’habillerai pas, je ne la promènerai pas, je ne la meublerai pas !

Montrant les coussins.

Soixante-sept francs de coussins aux commissaires-priseurs !... Décidément c’est une excellente affaire...

Il se coiffe d’un énorme turban.

Elle est là... Voici la porte du paradis...

Appelant.

Zétulbé !... Zétulbé !... Pas de réponse !... Appelons-la par une cavatine... bien sentie !

Air nouveau de Mangeant.

Ma Zétulbé ! ma Zétulbé
Viens, mon zéphyr, ma fleur, ma tourterelle !
Quand on attend sa p’tit’ Bébé,
Si tu savais (bis) que l’attente est cruelle !
Ma Zétulbé ! ma Zézulbé !
Ma Zézézé... ma Zézézé... ma Zé... tulbé !

Sur la ritournelle du couplet, la porte s’ouvre, Zétulbé paraît par la porte de droite en costume de Géorgienne et la figure voilée d’une gaze.

MOUTONNET, à part.

La voici !... C’est une étoile ! feignons de lui parler turc !

Haut, d’une voix très douce.

Ma mamouth Trocadéro voluptas ?...

ZÉTULBÉ, écartant son voile.

Miaou tra la ba da ba !

MOUTONNET, à part.

Quelle langue ! c’est un ruisseau de miel qui coule sur un fond de velours !

Haut.

I am very glad, wery well, Tityre tu patulæ recubans sub tegmine fagi !

ZÉTULBÉ.

Miaou tra la ba da ba !

MOUTONNET, à part.

Miaou tra la ba da ba !... C’est toujours la même chose... cela veut dire sans doute : Tu es mon Dieu ! Je l’aime !... Mettons le feu aux poudres !... Lançons ma déclaration...

Haut, avec passion.

Ô Stamboul ! Caboul ! Liverpool !...

Avec explosion.

Chandernagor !!!

ZÉTULBÉ, froidement.

Miaou tra la ba da ba !

MOUTONNET, à part.

Ah ! mais c’est embêtant !... je prierai Adolphe... mon Omar !... de lui apprendre le français dans ses longs tête-à-tête !... Si nous déjeunions ?... J’ai remarqué qu’un verre de champagne bien placé...

Haut, à Zétulbé faisant signe de manger.

Mangiare ?... boustifare ?

ZÉTULBÉ.

Couic ! couic !

MOUTONNET, à part.

Elle a dit couic !... C’est le oui des Géorgiennes !...

Avec sentiment.

Ah ! quand répondra-t-elle couic à ma flamme...

À part.

Je vais dire au portier de nous faire monter à déjeuner.

Haut, en sortant.

MOUTONNET.

Air nouveau de Mangeant.

Subito ! good morning !
Sole frite ! plum pudding !

ZÉTULBÉ.

Couic ! miaou ! dzing ! dzing ! dzing !

MOUTONNET.

Curaçao ! Malaga !
Bouillabaisse, olla podrida !

ZÉTULBÉ.

Minou ! (ter.) Tra la ba da ba.

ENSEMBLE.

Miaou !... etc.

Il sort par le fond.

 

 

Scène IV

 

ZÉTULBÉ, seule

 

Ah ! voilà un Chinois de Turc qui m’embête à l’heure !

Se présentant.

Joséphine Bataille... née rue de l’Homme-Armé, 22 bis... je ne suis pas autrement Géorgienne !... J’avoue que ma vie ne manque pas d’un certain décousu... Modiste de mon état, je lâchai bientôt l’aiguille par entraînement d’amour et j’entrai comme demoiselle de comptoir, boulevard du Temple, à l’estaminet des 123 Billards... là, je pouvais voir à toute heure mon petit Jouvence, avec sa veste bleue... et sa serviette sous le bras... il était garçon de café, préposé aux chopes de Bavière... Au bout d’un mois, le brigand me fit des traits avec la patronne... une forte brune qui tenait la caisse... Brune et caissière ! je devais succomber !... Je pris la mouche et partis pour Constantinople avec une troupe de comédiens... très mauvais... mais pleins de cœur !... Nous jouâmes pendant trois mois de suite, Calas et l’Omelette fantastique... nous ne savions que ça !... pas un Turc ne vint... Il paraît que ce peuple n’aime pas l’omelette !... Nous liquidâmes... et je me trouvai sur le pavé de Constantinople... avec 2 fr. 40... c’était sec ! – Quand notre grime... un vieux malin...plein de cœur ! me découvrait un Turc entre deux âges, appelé Ben-Sidi-Moutonnet... qui, sur le point de faire un voyage en France, désirait renouveler le personnel de ses... dames de compagnie !... je me dis : Voilà mon affaire ! Il payera mon passage et arrivée à Paris... bon soir ! bonne brise !... Ce bon Turc me vit... en Géorgienne... un costume transparent qui restait au magasin... je lui plus et il m’acheta moyennant 2 500 fr... que j’ai en poche ! Enfin, il m’embarque, nous arrivons... et au moment où je me disposais à lui demander mon passeport, il ouvre cette fenêtre et me dit : Voilà Tunis !... L’animal avait changé d’avis... Nous étions à Tunis ! sous pavillon mahométan... et d’après la loi, je suis son esclave, sa chose, son bibelot !... C’est qu’il n’y a pas à badiner... dans ce pays-ci on vous coupe le cou à une femme, comme on cueillerait une marguerite dans la prairie... Ah ! ma position n’est pas drôle !... et notez que le janissaire devient entreprenant... il commence à agiter son mouchoir... Heureusement que j’ai de l’argent, et s’il a le malheur de laisser la porte seulement entr’ouverte... je file... je frète un navire... pour aller retrouver Jouvence... car je l’aime toujours, le sans-cœur !

Elle remonte en soupirant vers la fenêtre.

 

 

Scène V

 

ZÉTULBÉ, ADOLPHE, puis MOUTONNET

 

ADOLPHE, entrant par la première porte de gauche ; il est vêtu en Turc ; grande et très haute coiffure de gardien du sérail, pas de barbe, un grand sabre ; des babouches.

Il est très chaud ce costume-là ! Très chaud ! très chaud !... mais le sabre me gène !

ZÉTULBÉ, à part.

Tiens ! un autre Turc ! sans doute un ami de la maison...

ADOLPHE, à part.

La sultane !... oh !... elle est splendide !... et robuste !... voilà le genre de femmes que j’aime !

ZÉTULBÉ, à part.

Quelque muphti des environs... il est laid !

ADOLPHE, à part.

C’est ennuyeux !... elle a mis une robe par-dessus sa gaze !... petite cachotière ! – Il faut que je lui dise quelque chose en turc...

Il s’approche de Zétulbé, la salue et lui dit.

Troun ! troun ! troun !

ZÉTULBÉ, à part.

Qu’est-ce qu’il chante ?

ADOLPHE, à part.

Oh ! oui ! j’aime encore les cerises, moi !

Prenant le menton de Zétulbé.

Troun ! troun ! troun !

ZÉTULBÉ, le repoussant, à part.

Ah ! mais !... Est-ce qu’il ne va pas finir ce vieux débardeur !

MOUTONNET, entrant par le fond et à part.

Je viens de commander un petit déjeuner truffé !...

Haut à Omar.

Omar !... vil esclave !... approche !...

ADOLPHE.

Me voilà... grandeur du soleil !

MOUTONNET.

Que mes ordres soient ta loi !... tu vas te tenir dans la salle des gardes...

ADOLPHE, à part.

L’antichambre !...

MOUTONNET.

Ton cimeterre dans la main droite... et tu frapperas quiconque voudra sortir ou entrer...

ZÉTULBÉ, à part.

Saprelotte !

MOUTONNET.

Je te nomme gardien du harem !

ZÉTULBÉ, à part.

Comment ! c’est un... gardien...

Haut, s’oubliant.

Ah ! mais ça m’embête à la fin !

MOUTONNET et ADOLPHE, étonnés.

Hein ?...

MOUTONNET.

Elle parle français !

ZÉTULBÉ.

Eh bien, oui, nâ !

MOUTONNET.

Oh ! il va se passer des choses retentissantes !

À Adolphe.

Sortez !... et tenez plus que jamais votre cimeterre dans la main droite !...

Chœur.

Air : Cet homme avec son système. (Tigre du Bengale.)

MOUTONNET, à part.

Elle a dit : « Cela m’embête ! »
Elle a parlé bon français ;
Ce mystère m’inquiète,
J’en veux sonder les secrets !

ZÉTULBÉ, à part.

Pristi ! j’ai dit : Ça m’embête !
J’ai parlé trop bon français :
Je n’ suis pas dans mon assiette,
Car ce Turc a l’œil mauvais.

OMAR.

Elle a dit que ça l’embête :
Elle a parlé bon français !
Ce mystère n’inquiète,
Allons-nous mettre aux aguets.

Adolphe sort par le fond.

 

 

Scène VI

 

MOUTONNET, ZÉTULBÉ

 

MOUTONNET.

Esclave, tu peux parler... qui t’a appris le français ?...

ZÉTULBÉ.

Trône de splendeur ! Ruisseau d’amour ! Pyramide de sa gesse !...

MOUTONNET.

Au fait !

ZÉTULBÉ.

Eh bien, c’est un aspirant de 1re classe... pendant la traversée... une surprise que je voulais faire à mon maître.

MOUTONNET, à part.

J’aime mieux ça !... au moins, nous pourrons murmurer des mots d’amour !

ZÉTULBÉ.

Seigneur, j’aurais deux grâce à vous demander...

MOUTONNET.

Parle... hirondelle de mon printemps !

ZÉTULBÉ.

Je voulais d’abord vous prier de congédier votre...

Avec mépris.

petit gardien !

MOUTONNET.

Mon fidèle Omar !... Après ?

ZÉTULBÉ.

Après ?... Prêtez-moi 40 sous, pour aller acheter des jarretières.

MOUTONNET.

Tu veux sortir !... Par la cuirasse de Mahomet ! je te le défends !...

ZÉTULBÉ.

Ah ! mais, si vous croyez que j’ai envie de moisir ici !

MOUTONNET.

Tu raisonnes !

ZÉTULBÉ.

Parfaitement !

MOUTONNET.

Très bien !... je vais te faire fustiger par mes gardes !

ZÉTULBÉ, vivement.

Non !... Je me tais !... je ne dis plus rien !

MOUTONNET, à part.

Hein ?... comme les Orientaux entendent la femme !

Haut.

Petite malheureuse !... tu ne sais donc pas que si un homme... même bossu... voyait seulement le coin de ta prunelle... la loi me permet de lui trancher la tête... dzingue !

ZÉTULBÉ, avec horreur.

Oh !

MOUTONNET.

Et de te coudre, toi, dans un sac, avec un singe, un coq, un serpent et un lapin... et de te jeter à la mer !... baoum !

ZÉTULBÉ, à part.

Comme c’est régalant !

MOUTONNET.

Maintenant, souris !

ZÉTULBÉ.

Mais...

MOUTONNET.

Je t’ordonne de sourire... ou je te fais fustiger.

ZÉTULBÉ, souriant.

Voilà !

MOUTONNET, à part.

Procédé Rarey ! sans ficelles !

 

 

Scène VII

 

MOUTONNET, ZÉTULBÉ, ADOLPHE

 

ADOLPHE, entrant par le fond, son cimeterre à la main.

Montagne de courtoisie...

MOUTONNET.

Quoi ?

ADOLPHE, bas.

C’est le portier qui demande si la nouvelle propriétaire peut visiter l’appartement.

MOUTONNET, bas.

Chut ! Tais-toi donc !

À part.

Le portier ! cet animal-là n’a pas pour deux liards de couleur locale !

À Zétulbé.

C’est le cadi... qui vient en grande pompe me rendre ses devoirs... Rentrez, Zétulbé !

ZÉTULBÉ.

Oui... corniche de la voûte céleste !...

À part.

Oh ! je lui donnerais volontiers une boulette !

MOUTONNET, amoroso.

Air de Mangeant.

Pour abréger leur visite,
Ton Turc
Va les renvoyer bien vite !
J’suis sûr qu’
L’heure, pour toi, n’est que peine,
Que deuil,
Quand ton oil cherche, ô ma reine,
Mon œil !

ENSEMBLE.

Pour abréger leur visite, etc.

ZÉTULBÉ, à part.

Reçois donc cette visite,
Vieux Turc !
Avec plaisir je te quitte !
Sois sûr qu’,
L’heure pour moi n’est que peine,
Que deuil,
Quand ton œil reluque et gêne
Mon œil !

ADOLPHE, à part.

Recevoir cette visite,
En Turc !
Cela me trouble et m’agite !
J’ suis sûr qu’
L’on reconnaîtra sans peine,
Du seuil
Sous ce turban qui me gêne,
Mon œil !

Zétulbé entre à droite, premier plan.

MOUTONNET, à Adolphe.

Que nul œil profane ne pénètre dans mon dix-septième ciel !

 

 

Scène VIII

 

MOUTONNET, ADOLPHE, puis MADAME MOUTONNET, EDMOND

 

Voix d’EDMOND, dans la coulisse.

Ça me paraît très bien bâti !

MADAME MOUTONNET, dans la coulisse.

Les papiers sont très frais !

MOUTONNET, qui est remonté et a regardé à la porte du fond.

Ciel ! ma femme !

ADOLPHE.

La patronne !

MOUTONNET.

Avec le cousin Edmond !

ADOLPHE.

Ils vont nous voir en Turcs ! Où nous fourrer ?...

MOUTONNET.

Du toupet ! ce costume peut nous sauver !...

Faisant asseoir Adolphe à la turque, sur le divan, à gauche.

Campe-toi là... croise les jambes... et dévore cette pipe !

Il lui donne une longue pipe turque.

ADOLPHE.

Mais le tabac me fait mal au cœur !

MOUTONNET.

Tant mieux !

S’asseyant sur un coussin de l’autre côté.

Moi par ici !... et pas un mot !...

Il croise ses jambes et allume une pipe. Tous deux fument. Edmond paraît au fond suivi de madame Moutonnet. Il tient un papier à la main et écrit avec un crayon en tournant le dos.

EDMOND, écrivant.

« Porte en chêne à deux vantaux. »

MADAME MOUTONNET.

Tiens ! des Turcs !...

EDMOND.

C’est ma foi vrai !... ils fument !

MADAME MOUTONNET.

Je ne savais pas que mon quatrième fût loué à des Turcs...

S’approchant de son mari.

Monsieur, je suis la nouvelle propriétaire et je viens...

MOUTONNET, faisant une horrible grimace.

Mamamouth ! Mamamouth !

MADAME MOUTONNET.

Plaît-il ?

Elle reçoit une bouffée de tabac et tousse.

Celui-là ne sait pas le français...

Allant à Adolphe.

Monsieur, je suis la nouvelle propriétaire et je viens...

ADOLPHE, faisant la grimace.

Troun ! troun ! troun !

MADAME MOUTONNET.

L’autre non plus !

EDMOND.

Alors nous pouvons parler sans crainte...

À madame Moutonnet.

Chère Aglaure... vous savez combien je vous aime !...

MOUTONNET et ADOLPHE.

Hein ???

EDMOND et MADAME MOUTONNET, se retournant.

Quoi ?...

MOUTONNET.

Mamamouth ! Mamamouth !

ADOLPHE.

Troun ! troun ! troun !

MADAME MOUTONNET.

Qu’est-ce qu’ils ont ?

EDMOND, à madame Moutonnet.

Vous souvenez-vous de ce petit dîner que nous fîmes il y a deux mois... en tête-à-tête... chez Deffieux...

MADAME MOUTONNET.

Assez !

MOUTONNET, à part.

Crédié !

Adolphe rit.

EDMOND.

Au dessert... vous ne voulûtes rien entendre... vous prîtes votre châle, votre chapeau...

MADAME MOUTONNET.

Oui... je me suis rappelé que j’avais oublié de fermer ma caisse...

MOUTONNET, à part.

Quelle chance !

EDMOND.

Mais la prochaine fois... vous la fermerez d’avance, n’est-ce pas ?... oh ! vous la fermerez ?...

MADAME MOUTONNET.

Edmond... taisez-vous !...

Edmond lui baise les mains.

MOUTONNET, furieux.

Hum !... Mamamouth ! mamamouth !

ADOLPHE, riant.

Troun ! troun ! troun ! – Dieu ! que j’ai mal au cœur !

MADAME MOUTONNET.

Quels drôles de locataires !... Cher Edmond, continuons à vérifier l’état de cet appartement...

Elle remonte.

EDMOND.

Continuons...

Se dirigeant vers la chambre à droite.

Par là... une chambre à coucher...

Il ouvre la porte et pousse un cri.

Oh !

MOUTONNET et ADOLPHE, à part, se levant tous deux.

Saprelotte !

MADAME MOUTONNET.

Quoi ?...

EDMOND.

Rien !... je me suis pincé le doigt !...

À part.

Une femme ! une odalisque !... J’ai plongé un cil dans le sérail !

MADAME MOUTONNET, au fond, trouvant la canne de son mari.

Ah !

EDMOND.

Quoi ?

MADAME MOUTONNET.

Rien !

À part.

On dirait la canne de Monsieur Moutonnet !... je reviendrai !

EDMOND, à part.

Les cheminées doivent fumer !... je reviendrai !

MADAME MOUTONNET.

Venez-vous, cousin ?

EDMOND.

À vos ordres, cousine !

Chœur.

Air : du Gendre en surveillance.

MADAME MOUTONNET et EDMOND.

Un mystère se cache
Dans cet appartement ;
Mais il faut que je sache
L’éclaircir promptement.

MOUTONNET et ADOLPHE.

Quoique mon front se cache
Sous ce vaste turban,
Je sens dans ma moustache
Un sourd frémissement.

MADAME MOUTONNET, saluant Moutonnet.

Bon Turc, votre servante !

MOUTONNET, saluant.

Couic ! couic ! salamalec !

EDMOND, saluant Adolphe.

Adieu, vieux sycophante !

ADOLPHE, saluant.

Troun ! troun ! Melchisédeck !...

Reprise.

Edmond et madame Moutonnet sortent par le fond.

 

 

Scène IX

 

MOUTONNET, ADOLPHE, puis JOUVENCE

 

MOUTONNET, courant à la porte.

Partis !

ADOLPHE.

Ils ont bien fait !... je n’aurais pas pu fumer davantage !

MOUTONNET.

J’ai installé Zétulbé dans la maison de ma femme ! nous déménagerons demain !

ADOLPHE.

Et le cousin Edmond ? qu’est-ce que vous dites du cousin Edmond ?...

MOUTONNET.

Adolphe... certainement, je suis au-dessus des préjugés... mais je flanquerai, dès ce coir, ce cousin à la porte !

ADOLPHE.

Dame ! vous lui dites de vous remplacer !...

JOUVENCE, en garçon de restaurant, veste bleue, grande cravate blanche, cheveux très frisés, serviette sous le bras, entrant par le fond avec une table servie.

Monsieur, voilà votre déjeuner... des huîtres, du foie gras... et une platée de riz...

Il place la table au milieu, et pousse le divan derrière la table.

ADOLPHE, à part.

Du riz ! c’est pour l’odalisque... fichue nourriture !

MOUTONNET, près de la chambre à droite et appelant.

Zétulbé ! Zétulbé !

 

 

Scène X

 

MOUTONNET, ADOLPHE, ZÉTULBÉ, JOUVENCE

 

ZÉTULBÉ, entrant.

Vous m’avez appelée !

MOUTONNET.

Pour déjeuner...

JOUVENCE, à Moutonnet.

Est-ce tout ce que Monsieur désire ?

ZÉTULBÉ, à part.

Ah ! mon Dieu ! Cette voix...

Le reconnaissant.

Jouvence !

JOUVENCE, à part, stupéfait.

Joséphine !

MOUTONNET.

Quoi ? qu’est-ce que vous avez ?

JOUVENCE, palpitant.

Rien !

ZÉTULBÉ, de même.

Rien !

MOUTONNET.

Alors, laissez-nous ! nous sonnerons pour le café... Allez ! allez !

Jouvence sort par le fond, très effaré, et en regardant Zétulbé.

ZÉTULBÉ, à part.

Comment se trouve-t-il à Tunis ?

MOUTONNET.

Prenez place à ma dextre.

ADOLPHE, cherchant son couvert sur la table.

Eh bien, et moi ?...

MOUTONNET, à Adolphe.

Qu’est-ce que tu as à tourniller comme ça ?...

ADOLPHE.

Je cherche mon couvert... Je ne vois pas mon couvert !

MOUTONNET.

Comment ! à la table du maître !

ZÉTULBÉ.

Oh ! non ! la vue de ce petit gardien m’inspire des idées tristes... donnez-lui le plat de riz !

ADOLPHE.

Non ! permettez ! le riz...

MOUTONNET, lui donnant le plat.

Prends et disparais !

ADOLPHE, prenant le plat.

Oui, parfum de la rose !

MOUTONNET, à part.

Au fait !... je suis parfumeur !

ADOLPHE, à part.

Je prends aussi le champagne ! sans champagne, je ne peux pas digérer le riz !

Il prend sans être vu le panier de vin de Champagne, placé près de la porte de sa chambre, et entre à gauche, premier plan.

 

 

Scène XI

 

MOUTONNET, ZÉTULBÉ, puis JOUVENCE

 

MOUTONNET.

Enfin, nous voilà seule avec notre petit sultan... notre petit tantan !...

ZÉTULBÉ.

Mon Dieu oui !

À part.

Est-il assez laid !

MOUTONNET, avec passion.

Ô Zétulbé !

ZÉTULBÉ, froidement, se levant.

Quoi t’est-ce que ?...

MOUTONNET, avec feu, la suivant.

Oh ! parle-moi ! dis-moi des douceurs !...

Duettino.

Musique nouvelle de Mangeant.

MOUTONNET.

Dis-moi que je suis ton idole,
Et que de moi ton cour raffole !

ZÉTULBÉ.

Cet aveu trop décolleté
Blesserait ma timidité !

MOUTONNET.

Tu n’oses le dire, méchante ?
Va ! ton aveu muet m’enchante !

ZÉTULBÉ.

Énorme Turc, en vérité,
Vous avez bien de la bonté !

Refrain.

ZÉTULBÉ, à part.

Qu’il est laid !

MOUTONNET, à part.

Qu’elle est belle !

ZÉTULBÉ, à part.

Et stupide !

MOUTONNET, à part.

Et spirituelle !

Ensemble.

MOUTONNET, à part.

Mahomet, dans son paradis,
N’a pas plus charmantes houris !

ZÉTULBÉ, à part.

Ah ! comment sortir du gourbi
De cet affreux mamamouchi !

Deuxième couplet.

MOUTONNET.

J’aime les roses de ta bouche !
J’aime ton pied dans ta babouche !

ZÉTULBÉ.

Aimez mon pied, vaste pacha !
Je ne vois pas grand mal à ça !

MOUTONNET.

Et quand ton il noir étincelle,
Mon cœur bondit sous ma flanelle !

ZÉTULBÉ.

Pour éviter ce malheur-là,
Buvez frais... ça vous calmera.

Refrain.

Reprise.

MOUTONNET, lui prenant la taille, avec explosion.

Ô Zétulbé ! Zétulba ! Zétulbum !

JOUVENCE, paraissant au fond.

Monsieur a sonné ?

MOUTONNET.

On n’entre pas !... Laissez-nous, imbécile !

Jouvence sort.

ZÉTULBÉ, à part.

Il est plus beau que jamais !

MOUTONNET.

À quoi pensez-vous ?...

ZÉTULBÉ, se rasseyant à table.

Je pense... à donner un fort coup de fourchette !

MOUTONNET, à part, s’asseyant.

Elle s’exprime en très bon français !... on voit que l’aspirant de première classe l’a fait étudier.

Avec explosion.

Ô Zétulbé !

ZÉTULBÉ.

Ne chiffonnons pas !...

JOUVENCE, entrant.

Monsieur a sonné ?...

MOUTONNET.

Ah ! par Mahomet ! fiche-nous la paix !

Jouvence se retire.

Il est insupportable, ce garçon ! – Houri de mon cœur ! un verre de champagne ?

ZÉTULBÉ.

J’en accepterai deux ?...

MOUTONNET, cherchant la bouteille.

Eh bien, où est donc la bouteille ?... Comment ! pas de champagne !

ZÉTULBÉ.

Appelez le garçon !

MOUTONNET.

Non !... j’en ai assez du garçon !... J’y vais moi-même... je reviens !...

Lui envoyant un baiser.

Je reviens !...

Il entre à gauche, deuxième plan.

 

 

Scène XII

 

ZÉTULBÉ, JOUVENCE

 

JOUVENCE, paraissant.

Monsieur a sonné ?

ZÉTULBÉ

Jouvence !

JOUVENCE.

Joséphine ! tu es seule ?...

ZÉTULBÉ.

Oui, enlève-moi ! emporte-moi !

JOUVENCE.

Où çà ?

ZÉTULBÉ.

Ça m’est égal !... Tu m’aimes toujours, n’est-ce pas ?

JOUVENCE.

Oh ! toujours !

Il se jette à ses genoux. Moutonnet paraît.

 

 

Scène XIII

 

ZÉTULBÉ, JOUVENCE, MOUTONNET

 

MOUTONNET.

Voici le champagne !...

Les apercevant et poussant un cri.

Ah ?

La bouteille de Champagne part.

ZÉTULBÉ et JOUVENCE.

Pincés !

MOUTONNET.

Par la moustache du prophète !...

Tirant son cimeterre.

Tu vas mourir !

ZÉTULBÉ, effrayée.

Pas devant moi ! grâce !... au secours !

MOUTONNET.

Rentrez, madame ! rentrez !

Il la pousse dans la chambre de droite, tire son cimeterre, et se retournant vers Jouvence.

Ah ! ah ! ah !...

 

 

Scène XIV

 

JOUVENCE, MOUTONNET, puis ADOLPHE

 

JOUVENCE, qui a soulevé la table comme défense.

Turc, n’approchez pas !

MOUTONNET, se calmant tout à coup.

Qu’il est bête !... Je ne veux pas te faire de mal...

Lui donnant une pièce de monnaie.

Voilà 20 francs...

JOUVENCE, étonné.

Ah ! bah !

MOUTONNET.

Pousse un cri suprême !

JOUVENCE.

Plaît-il ?

MOUTONNET.

Pousse un cri...

Se ravisant.

Attends !

Il lui lance un grand coup de pied. Jouvence poussé un cri aigu et se sauve par le fond.

Voilà le cri !

ADOLPHE, entrant par la droite avec un grand sac sur son dos.

Qu’y a-t-il ?

 

 

Scène XV

 

MOUTONNET, ADOLPHE, ZÉTULBÉ

 

ZÉTULBÉ, entrant vivement.

J’ai entendu un râle... Jouvence !

Apercevant le sac sur le dos d’Adolphe, elle jette un cri d’horreur.

Ah !... là-dedans !... Il est là-dedans !

ADOLPHE, à lui-même.

Quoi ?... les peaux de lapin !... 

Il sort par le fond.

MOUTONNET.

Justice est faite !

À la cantonade.

Omar, jette-moi ce giaour à la mer !

Il redescend en riant.

ZÉTUBLÉ, à Moutonnet.

Assassin ! forban ! je te déteste ! je te hais !

MOUTONNET.

Petite folle ! faisons la paix...

Il veut lui prendre la taille.

ZÉTULBÉ.

Ne m’approche pas ! je mords !

MOUTONNET.

Oh ! reste comme ça !... tu es sublime dans la fureur !

À part.

Je vais écrire à ma femme que je ne rentrerai pas dîner...

Haut, cherchant à l’exciter.

Ksi ! ksi !... rage un peu !... de temps en temps, je me donnerai le plaisir de découper un garçon de café pour te voir frémir !... frémis !... frémis toujours !...

Avec grâce.

À bientôt ! Âme de ma vie ! à bientôt !

Il entre à droite.

 

 

Scène XVI

 

ZÉTULBÉ, puis EDMOND

 

ZÉTULBÉ, seule.

Oh ! je comprends Judith et Holopherne !

EDMOND, entrant doucement par la deuxième porte de gauche.

C’est moi... je suis venu par l’escalier de service, dont j’ai une double clef...

Apercevant Zétulbé.

La sultane !

ZÉTULBÉ, à part.

Un homme !

EDMOND.

Parlez-vous français ?

ZÉTULBÉ.

Très bien !

EDMOND, se jetant à ses genoux.

Alors je vous aime !

ZÉTULBÉ.

Monsieur !

EDMOND, avec volubilité.

Madame, le premier jour où je vous vis, je sentis un feu inconnu circuler dans mes veines...

ZÉTULBÉ.

Malheureux ! mais vous ne savez donc pas ?

EDMOND.

Quoi ?

ZÉTULBÉ.

On coupe les têtes, ici !

EDMOND, effrayé.

Ah ! mon Dieu !

ZÉTULBÉ.

Net ! comme une pomme de reinette !

EDMOND.

Sapristi !

 

 

Scène XVII

 

ZÉTULBÉ, EDMOND, MOUTONNET, ADOLPHE

 

Moutonnet entre par la droite et Adolphe par le fond. Tous deux poussent un cri en apercevant Edmond à genoux.

Ah !!!

EDMOND, se relevant.

Oh !

Il se sauve vivement par la gauche, premier plan.

MOUTONNET.

Omar !

ADOLPHE.

Patron ?...

Se reprenant.

Ben-Sidi-Moutonnet ?

MOUTONNET.

Prends ton cimeterre dans la main droite, cours après cet homme et tranche-lui la tête !...

ADOLPHE.

Oui, fontaine de douceur !

Il entre vivement à gauche, premier plan.

ZÉTULBÉ.

Grâce !... Je ne le connais pas !... je vous jure qu’il est innocent !

MOUTONNET.

Par le mollet gauche du prophète ! vous le défendez, madame !

Adolphe reparaît de la gauche avec un grand sac sur le dos et sort aussitôt par le fond.

ZÉTULBÉ, apercevant le sac et poussant un cri.

Ah !... encore un !... ça fait deux !

Elle chancelle ; Moutonnet la retient dans ses bras.

MOUTONNET, ravi.

Ah ! frémis ! frémis toujours !

ZÉTULBÉ, se relevant et d’un ton naturel.

Après ça, je suis bien bonne !... Je ne connais pas ce monsieur !

MOUTONNET, à part.

C’est drôle ! le second lui fait moins d’effet... Comme les femmes se blasent vite !

Haut, s’approchant de Zétulbé.

Je vous laisse à vos petites réflexions ; mais, de grâce, dans l’intérêt de l’espèce... recevez moins de visites !... ou prenez un jour !... Je vais commander des sacs !

Il sort par le fond, en riant, à part. On entend la porte se fermer à double tour.

 

 

Scène XVIII

 

ZÉTULBÉ, puis MADAME MOUTONNET

 

ZÉTULBÉ, seule.

Et il a le courage de faire des mots !...

Elle s’assoit sur le divan.

Eh bien, c’est un joli pays que Tunis !... j’y viendrai prendre les bains de mer !

MADAME MOUTONNET, entrant par la porte de l’escalier de service. Deuxième plan de gauche. À part.

M’y voici !... Monsieur Moutonnet vient de m’écrire qu’il était obligé de s’absenter pour aller traiter d’une forte partie d’écorce d’oranges amères... Je ne gobe pas ça !

ZÉTULBÉ, se levant.

Une femme !

MADAME MOUTONNET.

Une étrangère !...

La regardant.

Joséphine ! mon ancienne modiste !

ZÉTULBÉ.

Tiens ! une pratique ! ça va bien ?

MADAME MOUTONNET.

Que faites-vous ici... sous ce costume ?...

ZÉTULBÉ.

Je suis la proie de deux tigres... habillés en Turcs... Des gens qui entendent l’amour. comme le couteau entend la poire !

MADAME MOUTONNET.

Ah ! mon Dieu !

ZÉTULBÉ.

Sauvez-moi ! arrachez-moi des griffes de Ben-Sidi-Moutonnet !

MADAME MOUTONNET.

Hein ?... il s’appelle Moutonnet !

ZÉTULBÉ.

Et l’autre, Adolphe... Adolphe Omar !...

MADAME MOUTONNET.

Son teneur de livres !

ZÉTULBÉ.

Non ! ce n’est pas précisément là sa profession !

MADAME MOUTONNET.

Ah ! les gueux ! les brigands !... Soyez tranquille ! je vous protégerai ! je vous rendrai à la liberté !

ZÉTULBÉ.

Il m’a achetée deux mille cinq cents francs... j’aime mieux les rendre !...

MADAME MOUTONNET.

Ah ! il achète des femmes !...

ZÉTULBÉ.

Dame ! un Turc !

On entend du bruit sous la fenêtre.

MADAME MOUTONNET.

Chut ! du bruit sous cette fenêtre !... Ah ! mon Dieu ! où me cacher ?...

ZÉTULBÉ.

Là !... dans ma chambre !

MADAME MOUTONNET.

Pas un mot !... vous ne m’avez pas vue !... Comptez sur moi !

Elle entre vivement à droite dans la chambre de Zétulbé.

 

 

Scène XIX

 

ZÉTULBÉ, JOUVENCE, puis EDMOND

 

JOUVENCE, paraissant sur la fenêtre.

Psit ! Psit !... Joséphine !

ZÉTULBÉ, l’apercevant.

Jouvence !... tu n’es pas dans le sac ?...

EDMOND, paraissant à la deuxième porte de gauche.

 Psit ! Psit !...

ZÉTULBÉ.

L’autre non plus !

EDMOND.

Madame ?...

On entend grincer la serrure du fond.

ZÉTULBÉ.

Les voici ! cachez-vous !

EDMOND et JOUVENCE, disparaissant vivement.

Sauve qui peut !

ZÉTULBÉ.

Vivants tous deux ! ces farceurs de Turcs m’ont fait poser !

 

 

Scène XX

 

ZÉTULBÉ, ADOLPHE, puis MOUTONNET

 

ADOLPHE, entrant, un peu gris.

Je viens de reboire du champagne avec M. Moutonnet... ça m’étourdit !...

À Zétulbé.

Mon maître, le treizième rayon du soleil... m’envoie vers vous pour vous dire... Eh bien ! qu’est-ce qu’il m’a donc chargé de vous dire ?... pour vous dire...

Faisant des efforts pour se rappeler.

Sapristi !...

ZÉTULBÉ.

Si vous dormiez un peu...

ADOLPHE.

Oh ! non !... près d’une assiette de cerises je ne dors jamais !...

ZÉTULBÉ, avec mépris.

Ah ! pauvre petit Turc !

ADOLPHE, à part.

Elle est splendide !

Il lui prend la main et l’embrasse.

Troun, troun, troun !...

ZÉTULBÉ.

Eh bien !... quoi ?... voulez-vous l’autre ?

Elle lui donne son autre main.

ADOLPHE.

Oh ! oui ! oh ! oui !

Il la couvre de baisers.

ZÉTULBÉ.

Pauvre mamamouth !

Elle lui donne une pichenette sur le nez.

MOUTONNET, entrant par le fond avec son turban de travers, à part.

Je ne sais pas ce que j’ai... je crois que je suis un peu pochard !

Haut.

Omar !... poussière de mes souliers !

Il lui prend le bras ; tous deux s’appuient l’un sur l’autre en riant.

ADOLPHE.

Senteur du léopard ?...

MOUTONNET.

Que ma volonté soit ta loi !

Tirant un mouchoir de sa poche.

L’instant est venu... porte ce message à la sultane !

ZÉTULBÉ, à part.

Bigre !... il demande l’addition !

ADOLPHE, à part, tenant le mouchoir et allant vers Zétulbé en trébuchant un peu.

J’ai envie de mettre le mien avec...

Il tire de sa poche un mouchoir à carreaux, qu’il présente à Zétulbé avec celui de Moutonnet, en fléchissant le genou.

Blanche fille de la blanche Géorgie... accepte ce témoignage... de notre considération la plus distinguée... Troun ! troun ! troun !

ZÉTULBÉ, à part.

Deux mouchoirs ! je ne suis pas enrhumée.

MOUTONNET, qui s’est approché de Zétulbé et avec sentiment.

J’ai tant de choses à vous dire !...

ZÉTULBÉ, à part.

Voilà le moment d’aller retrouver cette dame !...

À Moutonnet.

Seigneur, permettez à votre esclave d’aller revêtir son habit de fête...

MOUTONNET, à part.

Elle va se gazer !...

Haut.

Que les grâces t’accompagnent et que les amours te ramènent !... je te donne trois minutes !

ADOLPHE.

Trois minutes !...

Chœur.

Air d’Aladin.

MOUTONNET.

Va, ma péri, ma bayadère !
Va te parer pour ton sultan !
Et viens, par ta grâce légère (bis.)
Charmer ton pacha qui t’attend ! (bis.)

ADOLPHE, à demi-voix.

Douce péri, ma bayadère !
Ah ! que ne suis-je ton sultan !
Reviens, par ta grâce légère
Charmer ton Omar qui t’attend !

ZÉTULBÉ.

Bec de gaz ! faisceau de lumière !
Comète de mon firmament !
Je vais me noyer pour te plaire
Dans les parfums de l’Orient !

Zétulbé entre dans se chambre.

 

 

Scène XXI

 

MOUTONNET, ADOLPHE

 

ADOLPHE, à part.

Quel malheur qu’il n’en ait acheté qu’une.

MOUTONNET.

Omar !

ADOLPHE.

Patron !

MOUTONNET.

Inonde-moi de parfums !... moi aussi, je veux l’enivrer !...

ADOLPHE.

Des parfums !... alors, il faut que j’aille à la boutique !

MOUTONNET.

La boutique !... Prends ces flacons... sur la cheminée !... Il ne se doute pas de ce que c’est que la couleur locale !

ADOLPHE, prenant deux flacons et les flairant.

L’un est à l’orange... l’autre à la violette !

MOUTONNET.

Verse... sur les cheveux... dans le cou !...

ADOLPHE, à part.

J’ai envie de m’en mettre un peu...

Il asperge Moutonnet avec un flacon et se parfume avec l’autre.

MOUTONNET.

Verse ! verse encore !... pas dans l’œil !... je veux qu’elle me, prenne pour une corbeille de fleurs !

ADOLPHE, achevant de vider le flacon sur Moutonnet.

Il n’y en a plus !...

Il va à la cheminée reporter les deux flacons.

MOUTONNET, à Adolphe.

Esclave !... c’est la fête des Myrtes !... qu’on amène la belle Zétulbé !

 

 

Scène XXII

 

MOUTONNET, ADOLPHE, MADAME MOUTONNET, puis JOUVENCE, EDMOND et ZÉTULBÉ

 

Madame Moutonnet paraît au seuil de la chambre à droite, costumée en Géorgienne et le visage caché par un long voile de gaze. Adolphe lui prend la main et l’amène avec solennité devant Moutonnet. Musique à l’orchestre.

MOUTONNET.

Approche ! petite biche effarée !

Il lui embrasse la main.

ADOLPHE, embrassant l’autre main.

Orange ou violette, choisissez !

MADAME MOUTONNET, écartant son voile.

Vous êtes deux polissons !

MOUTONNET, bondissant.

Ma femme !...

ADOLPHE, de même.

La mère Moutonnet !...

Zétulbé, Edmond et Jouvence paraissent.

MADAME MOUTONNET, à son mari.

Ah ! il vous faut des esclaves... un harem !... et pourtant on sait que vous n’êtes pas un Turc !

MOUTONNET.

Je vais t’expliquer.

MADAME MOUTONNET.

Ah ! vous achetez des Géorgiennes ! Eh bien, en voici une !...

Elle se désigne.

J’en ai le costume !

MOUTONNET.

Permets...

MADAME MOUTONNET, tirant de sa poche le mouchoir de son mari.

Si vous croyez que c’est pour ça que je vous ai ourlé vos mouchoirs !

MOUTONNET, voulant le reprendre.

Donne !

MADAME MOUTONNET, vivement.

Non ! je l’ai... et je le garde !

MOUTONNET, effrayé.

Ventrebleu !

MADAME MOUTONNET, à son mari.

Ne vous en déplaise, nous passerons la soirée ensemble... jusqu’au chant de l’alouette !

MOUTONNET, timidement.

Pardon, bobonne... ce n’est pas aujourd’hui le jour de l’inventaire...

MADAME MOUTONNET.

Pas d’observations !

À Adolphe.

Quant à vous... monsieur Omar !... vous resterez toute la nuit dans l’antichambre, votre cimeterre dans la main droite... et vous frapperez sur quiconque essayera de sortir !

ADOLPHE, s’inclinant.

Oui, splendeur de la lune !

MOUTONNET, à part.

Je suis dans le bitume !...

MADAME MOUTONNET, à Zétulbé.

Approchez, Joséphine !

MOUTONNET.

Qui ça, Joséphine ?

MADAME MOUTONNET.

Ma modiste...

MOUTONNET.

Comment ! elle n’est pas Géorgienne ?

ZÉTULBÉ.

Née rue de l’Homme-Armé, 22 bis.

MOUTONNET.

Une Parisienne !... rendez-moi mes 2 500 francs !

MADAME MOUTONNET.

Ce sera sa dot... car elle épouse ce jeune garçon qui lui jure fidélité...

JOUVENCE, étendant la main du côté de la fenêtre.

Oh ! sur la tour Saint-Jacques !

ZÉTULBÉ.

Comment !... c’est la tour Saint-Jacques, ça ?... le gueux, il m’a dit que c’était la grande mosquée !

MOUTONNET.

Oh ! la langue m’a tourné !

À part.

Du moment que c’est une modiste... j’irai la voir !

EDMOND, à part.

Une modiste ! c’est bon à savoir !

ADOLPHE, à part.

Une modiste !... troun, troun, troun !

MADAME MOUTONNET, aux autres.

Il se fait tard... nous ne vous retenons pas...

MOUTONNET, à part.

Le châtiment commence !... Ô Mahomet, voilà ta prunelle !

CHŒUR.

Air : Sallarello.

Ah ! ce terrible dénouement
Ici nous prouve clairement
Qu’un époux par trop intrigant
Trouve toujours son châtiment !

MOUTONNET, au public.

Air : Du petit duo. (Mangeant.)

Daignez, messieurs, sans barbarie,
Accueillir cette turquerie !

ZÉTULBÉ.

Car, de vos arrêts bienveillants
Nous sommes tous les vrais croyants !

MOUTONNET.

Venez, en joyeuse cohorte,
Du bon Turc assiéger la Porte !

ZÉTULBÉ.

Et que son succès grandissant
De jour en jour aille en croissant !
C’est mon vœu !

MOUTONNET.

Ma prière !

ZÉTULBÉ.

C’est mon rêve !

MOUTONNET.

Ma chimère !

TOUS.

Mahomet, de ton paradis,
Exauce tes mamamouchis !

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