Le Baron d'Albikrac (Thomas CORNEILLE)

Comédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en 1667.

 

Personnages

 

LA TANTE

ANGÉLIQUE, Amante d’Oronte

LÉANDRE, Ami d’Oronte

ORONTE, Amant d’Angélique

LISETTE, Servante de la Tante

LA MONTAGNE, Valet d’Oronte

PHILIPIN, Valet de Léandre

CASCARET, Laquais de la Tante

 

La Scène est à Paris.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

ANGÉLIQUE, PHILIPIN

 

ANGÉLIQUE tenant une lettre.

Si j’en crois ce billet, Oronte est fort sincère,

Il met tout son bonheur à me voir, à me plaire ;

Mais ce fut là toujours le style des Amants.

PHILIPIN.

Madame, il meurt pour vous. Vous savez si je mens,

Je suis valet d’honneur, et quoiqu’il pût écrire,

S’il n’était fou d’amour, voudrais-je vous le dire ?

Il pense à vous sans cesse, et s’il avait cent cœurs...

ANGÉLIQUE.

Quand il peut me parler il me dit des douceurs ;

Mais son sexe partout doit ce tribut au notre.

PHILIPIN.

Mon Maître, croyez-moi, n’est point fait comme un autre,

À moins qu’on ne lui plaise, et plaise tout de bon,

Jamais sur la fleurette il ne règle son ton.

ANGÉLIQUE.

Jamais ? et quelquefois il en conte à ma Tante.

PHILIPIN.

C’est là de son amour la preuve convaincante.

Il n’est pas de ces gens si fort abandonnés

Qu’il doive être réduit aux attraits surannés,

Et si par votre Tante, aussi vieille que folle

Il se laisse arracher quelque douce parole,

S’y pourrait-il résoudre à moins que de savoir

Qu’on n’obtient que par là le plaisir de vous voir ?

Mais que doit-il attendre enfin, que lui dirai-je ?

ANGÉLIQUE.

Que j’ai lu son billet.

PHILIPIN.

Le rare privilège !

N’aurons-nous rien de plus ?

ANGÉLIQUE.

Quoi ! tu n’es pas content ?

PHILIPIN.

La plus indifférente en ferait bien autant.

Ce n’est que savoir lire.

ANGÉLIQUE.

Un jour viendra peut-être...

PHILIPIN.

Un peut-être n’est point ce que cherche mon Maître.

 

 

Scène II

 

ANGÉLIQUE, LISETTE, PHILIPIN

 

LISETTE.

Et vite.

ANGÉLIQUE.

Qu’est-ce ?

LISETTE.

Et tôt.

ANGÉLIQUE.

Ma Tante ?

LISETTE.

Détalons,

La voilà qui descend, elle est à mes talons.

Par le petit degré gagnez le haut.

PHILIPIN.

Lisette,

Obtiens-nous...

LISETTE.

Son Tailleur sur l’escalier l’arrête,

Sans cela...

PHILIPIN.

Mais au moins, en trois ou quatre mots

Qu’elle déclare...

ANGÉLIQUE.

Adieu.

 

 

Scène III

 

PHILIPIN, LISETTE

 

PHILIPIN.

C’est bien dit. Ah ! les sots,

Qui, sans rien attraper, avec un soin extrême

Sont un an à poursuivre un chétif, je vous aime !

Prétend-elle toujours ainsi se défier ?

LISETTE.

Faute d’expérience elle se fait prier,

Elle est novice encor, mais enfin laisse faire ;

Mes soins en si bon train ont déjà mis l’affaire,

Qu’en la pressant un peu, si ton Maître est discret,

Je lui répondrais bien d’un rendez-vous secret.

Lui peignant bien sa flamme il l’obtiendra sans doute.

PHILIPIN.

Mais on ne lui dit rien que la Tante n’écoute ;

Et montrer pour la Nièce un cœur d’amour blessé,

Ce serait le secret d’être bientôt chassé,

Ô le fâcheux dragon qu’une Tante éternelle !

LISETTE.

Ajoute qui prétend être encor jeune et belle,

Et qui laissant au coffre un peu plus de trente ans,

Veut jusque dans l’hiver ramener le printemps.

À chaque occasion parlant de son peu d’âge

Son radoucissement tire un piteux hommage,

Qui lent à s’avancer...

PHILIPIN.

Pour de si vieux appas

Dis-moi, quelle douceur pourrait doubler le pas ?

À soixante et dix ans ! l’agréable mignonne !

LISETTE.

Dis soixante.

PHILIPIN.

Et bien soit, la différence est bonne.

Comment diable, à cet âge, ose-t-on vivre encor ?

LISETTE.

Sais-tu pas qu’une femme en tout temps prend l’essor ?

PHILIPIN.

Je le sais, mais du moins on n’a point la figure

D’une Ostrogote faite en dépit de Nature,

Et l’on doit s’habiller sans tant de sots atours

À l’usage des gens que l’on voit tous les jours.

De son deuil mitigé la mode est fort nouvelle.

LISETTE.

Elle croit du commun se distinguer par elle,

En être plus galante, et plus propre à charmer.

PHILIPIN.

Elle a le diable au corps, croire se faire aimer !

Ne voir pas qu’on la raille alors qu’on s’humanise !

LISETTE.

Qu’on lui dise un mot tendre, elle est soudain éprise,

Croit tout, prend feu sur tout, et c’est là son destin ;

Aussi sans le doux style on n’est point son cousin.

On n’a chez elle accès qu’en lui contant fleurettes,

Qu’en feignant un amour...

PHILIPIN.

Un amour à lunettes.

Si bien que sans douceurs et le tendre soupir,

Ce dragon surveillant ne se peut assoupir ?

LISETTE.

C’en est la seule voie.

PHILIPIN.

Ah, beauté bisaïeule !

Si j’osais pour douceur te bien paumer la gueule,

Que je prendrais plaisir...

LISETTE.

Tu te mets en courroux ?

PHILIPIN.

Mais quand avec la Nièce avoir ce rendez-vous ?

Où l’en presser ?

LISETTE.

Léandre est ami de ton Maître,

On l’aime ici déjà plus qu’on ne fait paraître.

Qu’il amuse la Tante, et l’endorme si bien

Qu’Oronte avec la Nièce ait un libre entretien.

PHILIPIN.

Oui, mais tu ne dis pas que ce Léandre enrage

D’avoir déjà dix fois joué ce personnage ?

Il est saoul de la Tante, et n’en veut plus tâter.

LISETTE.

Voyez que c’est bien là de quoi se rebuter.

La pauvre Nièce et moi nous en souffrons bien d’autres

Et peut-être il n’est point d’ennuis pareils aux nôtres.

Ma foi, c’est charité que de nous secourir.

PHILIPIN.

Mais avant qu’attraper il faut longtemps courir,

Et de l’air dont elle est par la Tante gardée...

LISETTE.

La rage d’un mari l’a si fort possédée

Que comme elle en veut un, quoiqu’il puisse coûter,

La Nièce n’est jamais en pouvoir d’écouter.

Depuis neuf ou dix mois qu’est mort notre bon homme,

La Vieille requinquée en désirs se consomme,

Dans le premier venu croit voir un Protestant,

S’en fait conter par force, et s’offre au même instant,

Ainsi point de quartier tant qu’elle ait eu son compte.

Mais dis-moi, cet Époux que promettait Oronte,

Ce Baron d’Albikrac est longtemps à venir.

PHILIPIN.

Quelque obstacle maudit l’aura pu retenir,

Nous le saurons bientôt ; un certain la Montagne

Chez nous, quand j’en sortais, arrivait de Bretagne.

Il en rapportera ce que tu veux savoir.

LISETTE.

À vanter ce Baron j’ai bien fait mon devoir.

Sur ce que j’en ai dit notre Tante charmée

Par lettres aussitôt de lui s’est informée.

PHILIPIN.

Tant pis, qu’a-t’elle su ? car enfin il n’a rien.

LISETTE.

Qu’il était de naissance avec fort peu de bien,

Mais enjoué, folâtre, et toujours prêt à rire.

PHILIPIN.

Plus encor mille fois qu’on ne le saurait dire.

Mais d’où diable as-tu feint que tu savais son nom ?

LISETTE.

J’ai dit que j’avais vu ce Monsieur le Baron

Qui plein d’amour pour elle, et pressé d’un voyage,

Devait à son retour parler de mariage,

Qu’il n’avait point voulu la voir pour un moment.

On croit ce qu’on souhaite assez facilement.

PHILIPIN.

Ah Baron, qu’à présent tu serais nécessaire !

LISETTE.

Qu’il veuille d’elle ou non, ce n’est point notre affaire

Pourvu qu’en temps et lieu l’entretenant d’amour

À celui de ton Maître il donne quelque jour.

PHILIPIN.

Mais à propos d’amour, m’aimes-tu ?

LISETTE.

Le beau doute !

PHILIPIN.

Tu m’en as assuré bien des fois, mais écoute,

Il me le faut jurer plus authentiquement.

LISETTE.

Philipin se défie ?

PHILIPIN.

À parler franchement,

Je te trouve gaillarde autant qu’on le peut être,

Et notre la Montagne est un dangereux traître

Qui toujours goguenard, prend en goguenardant

Ce qu’on dit qu’on n’obtient jamais en demandant,

Comme nouveau venu tu voudras qu’il t’en conte ?

LISETTE.

Badin.

PHILIPIN.

J’ai de l’honneur, et l’autre a bu sa honte,

Plus effronté qu’un Page en vain on le retient.

LISETTE.

Tay-toi, ne vois-tu pas que notre Tante vient ?

 

 

Scène IV

 

LA TANTE, LISETTE, PHILIPIN

 

LA TANTE.

Que te dit Philipin ?

LISETTE.

Que son Maître l’envoie

S’informer s’il se peut que bientôt il vous voie.

LA TANTE.

Dis-lui que je l’attends.

LISETTE.

Retourne, Philipin.

PHILIPIN.

Il en faisait scrupule à cause du matin,

Léandre est avec lui.

LA TANTE.

Qu’ils viennent l’un et l’autre.

 

 

Scène V

 

LA TANTE, LISETTE

 

LISETTE.

Madame, vous voyez quel pouvoir est le votre,

Tous deux ne sauraient vivre un seul moment sans vous.

LA TANTE.

Que n’est-il vrai ! mais non, ils ont besoin de nous,

Et venus à Paris pour quelque grande affaire

Je les dois regarder comme amis de mon Frère.

Tu sais ce que pour eux d’Angleterre il m’écrit,

Qu’en leur faveur je tâche à trouver du crédit,

Et que les obliger c’est l’obliger lui-même.

LISETTE.

Mais ne croyez-vous pas que l’un des deux vous aime ?

LA TANTE.

J’aurais lieu de le croire, et Léandre du moins

Semble pour me gagner ne manquer point de soins,

Mais enfin je crains tant qu’il ne soit pas honnête

Qu’à me remarier je me montre si preste...

LISETTE.

Le veuvage est un don qu’on m’a toujours appris

Que le Ciel ne départ qu’à ses plus Favoris,

Et si dans ce qu’on sait par mainte et mainte épreuve

Vous pouviez transporter votre Office de Veuve,

Au lieu de le garder toujours en enrageant

Il vous serait aisé d’en trouver de l’argent.

Malgré des blonds cheveux la mode avantageuse

Un Bandeau sied au front mieux qu’une Paresseuse.

Mais, Madame, chacun sait ses nécessités.

LA TANTE.

Il est vrai, le Veuvage a ses commodités,

Mais s’il en est à qui le Mariage coûte,

D’autres n’y trouvent pas...

LISETTE.

Vous le savez sans doute,

Pendant plus de trente ans vous avez eu loisir

D’apprendre ce qu’il a qui touche le désir,

Le Défunt vous aimait, et chacun sait bien comme...

LA TANTE.

Au mal de Jaloux près je le trouvais bon homme,

Mais il était si vieux...

LISETTE.

J’entends, pour réconfort

Vous en voulez un jeune.

LA TANTE.

Eh Lisette, ai-je tort ?

LISETTE.

Non pas, et la jeunesse est d’un si grand usage

Qu’ayant à prendre Maître il le faut du bel âge ;

Mais la difficulté c’est que votre Barbon

A bien usé le votre.

LA TANTE.

Eh mon Dieu, le voit-on ?

Mes ans aux yeux de tous sont-ils si manifestes ?

LISETTE.

Avec un peu d’emprunt vous avez de beaux restes,

Et certain charme en vous saute encor tant aux yeux

Qu’il en est à vingt ans qui ne valent pas mieux.

Mais entre vous et moi qui connais vos affaires,

Vous en avez du moins trente surnuméraires,

C’est quelque chose.

LA TANTE.

Ainsi tu me tiens hors d’état

De plus faire divorce avec le Célibat ?

LISETTE.

Non, un Mary pour vous est un point nécessaire.

LA TANTE.

Les Gens ont sans cela tant de peine à se taire,

Que pour ôter tout lieu de médire de nous...

LISETTE.

Eh, si l’une s’en plaint l’autre le trouve doux.

Dans la fleur de nos ans où tout aime à nous rire,

C’est gloire que de nous on s’attache à médire,

Et j’en sais qu’on verrait pester au dernier point

Si de leurs Soupirants on ne médisait point.

Les Belles à l’envi tirent de ce murmure

Du côté du mérite un favorable augure,

C’en est aussi la marque, et sans expliquer rien

Si l’on a leurs faveurs on les achète bien ;

Mais dans l’âge où pour nous manque la complaisance,

Malheur à qui ne sait taire la médisance,

Grand opprobre, Madame.

LA TANTE.

Il est rude en tout temps.

LISETTE.

Et beaucoup plus encor quand on a nombre d’ans.

Croyez-moi, sur ce point la médisance est vraie,

Étant jeune, on se vend, étant vieille, l’on paye ;

Et je laisse à juger, la belle passion

Qui s’allume ou s’éteint selon la Pension ?

LA TANTE.

Ah ! Lisette.

LISETTE.

Excusez, je parle avec franchise.

LA TANTE.

En est-il...

LISETTE.

Non, témoin notre vieille Marquise

Qui ne pouvant trouver de galant tout entier

Se contente, dit-on, qu’on serve par quartier.

Pour quatre Pensions il faut bonne finance.

LA TANTE.

Et puis, je n’ai pas lieu de fuir la médisance ?

LISETTE.

Oui, sans doute, et de vous on en dirait autant.

Mais en fait d’un mari ne barguignez point tant,

Le vouloir jeune et riche...

LA TANTE.

Eh, pour le bien, Lisette,

Tu sais que ce n’est pas...

LISETTE.

L’affaire vaut donc faite,

Le Baron d’Albikrac sera votre vrai fait.

LA TANTE.

S’il a si bonne mine...

LISETTE.

Ah, Madame !

LA TANTE.

En effet,

J’y puis songer.

LISETTE.

Surtout suivez ma tablature,

Gardez toujours la bourse, et donnez à mesure.

Quand on a comme vous force écus bien comptés,

On peut faire à propos ses libéralités,

Il est d’heureux moments où l’on trouve son compte.

LA TANTE.

Si j’osais m’assurer de Léandre ou d’Oronte,

J’aurais bientôt choisi.

LISETTE.

Le respect les retient,

Peut-être ils parleront si notre Baron vient.

Souvent la jalousie est ce qui nous enflamme.

LA TANTE.

Mais il semble qu’Oronte et ma Nièce...

LISETTE.

Madame !

LA TANTE.

Tout de bon, à l’oreille il aime à lui parler.

LISETTE.

Croyez qu’il ne lui dit que des comptes en l’air.

Elle est si jeune encor...

LA TANTE.

Défions-nous de l’âge,

Il en est dès douze ans que la fleurette engage,

Et le cœur...

LISETTE.

Il est vrai, c’est un oiseau si fin

Qu’il faut pour l’attraper venir de bon matin,

Mais quant à votre nièce, à moins d’en vouloir rire,

On ne peut...

LA TANTE.

La voici, voyez ce qui l’attire,

Il faut que je l’éloigne.

LISETTE.

Ah, gardez-vous-en bien.

Vous savez que Léandre aime votre entretien,

Et s’il peut avec elle embarrasser Oronte,

Je crois qu’auprès de vous il trouvera son compte.

LA TANTE.

Cela se pourrait bien, mais s’il fallait aussi

Que ma Nièce...

LISETTE.

N’ayez pour elle aucun souci.

 

 

Scène VI

 

LA TANTE, ANGÉLIQUE, LISETTE

 

ANGÉLIQUE.

Vous plaît-il que quelqu’un aille pour ces Tablettes,

Ma Tante ?

LA TANTE.

Non, tantôt.

ANGÉLIQUE.

Je crois qu’elles sont faites.

LA TANTE.

N’importe, ce matin vos yeux sont mal ouverts.

ANGÉLIQUE.

Comment ?

LA TANTE.

Votre coiffure est toute de travers,

Bon Dieu ! cela fait peur.

ANGÉLIQUE.

Je me coiffe à ma mode,

Ma Tante.

LA TANTE.

En attendant qu’on vous la raccommode,

Cachez-la tout au moins d’une Coiffe.

ANGÉLIQUE.

Et pourquoi ?

Ai-je à plaire à quelqu’un ?

LA TANTE.

C’est qu’il me plaît à moi.

LISETTE, allant prendre une coiffe sur la table.

Avec vos cheveux blonds en coquette fieffée,

Vous vous imaginez être fort bien coiffée,

Rien n’est plus ridicule, et Madame a raison,

Mettez.

ANGÉLIQUE.

Mettre une Coiffe en gardant la maison !

LA TANTE.

Que de raisonnements ! approchez.

ANGÉLIQUE, bas.

Je déteste.

LISETTE.

Voilà proprement l’air d’une fille modeste,

Mais Léandre...

 

 

Scène VII

 

LA TANTE, ANGÉLIQUE, LÉANDRE, ORONTE, LISETTE

 

LÉANDRE, à la Tante.

Voyez si l’on se plaît chez vous,

Madame.

ORONTE.

C’est un bien dont chacun est jaloux.

LA TANTE.

Vous le dites, je sais ce qu’il faut que j’en croie.

LÉANDRE, à Angélique.

Vous cacher de la sorte ! Ah ! souffrez qu’on vous voie.

Est-ce pour inspirer des désirs plus ardents ?

LA TANTE.

Laissez, elle se plaint d’un si grand mal aux dents,

Qu’elle souffrirait trop...

ANGÉLIQUE.

Il se passe, ma Tante.

LÉANDRE.

Ôtez donc...

ANGÉLIQUE, à la Tante.

L’ôterai-je ?

LA TANTE.

Ôtez. L’impertinente !

Vous prenez donc plaisir à montrer votre nez ?

J’en suis fort aise.

LISETTE, à la Tante.

Ainsi les esprits sont tournez,

Plus on défend...

ORONTE, à la Tante.

Madame, on poursuit mon affaire,

Votre crédit bientôt me sera nécessaire,

J’ose en espérer tout.

LA TANTE.

Il me sera bien doux

D’avoir occasion de m’employer pour vous,

Mon frère m’en écrit d’une assez bonne sorte

Pour n’y rien négliger, et d’ailleurs, mais n’importe,

L’effet vous montrera si je sers mes amis.

LÉANDRE, à la Tante.

Ce titre est glorieux, vous me l’avez promis.

LA TANTE.

Vous y prétendez donc ?

Pendant que la Tante parle tout haut à Léandre, Oronte entretient la Nièce tout bas, et Lisette est au milieu qui tâche d’empêcher la Tante de les observer.

LÉANDRE.

Beaucoup plus que personne.

LA TANTE.

Si je ne suis pas belle, au moins suis-je assez bonne,

Et c’est toujours de quoi réparer ce défaut.

LÉANDRE.

Défaut, Madame ?

LA TANTE.

On sait un peu ce que l’on vaut,

Et sans ce grand éclat d’une beauté brillante

Quelquefois une femme a l’heur d’être touchante,

Il est mille agréments...

LÉANDRE.

C’est ce qu’on voit en vous,

Et l’assemblage en est si charmant et si doux

Que j’admire souvent en vous voyant paraître...

LA TANTE.

Vous avez assez l’air de vous y bien connaître.

LÉANDRE.

Par ce que je vous dis du moins vous l’éprouvez.

LA TANTE, faisant signe de l’œil à Angélique.

Angélique.

ANGÉLIQUE.

Ma Tante.

ORONTE, à Angélique feignant de continuer haut la conversation.

Enfin donc vous trouvez

Ma garniture belle ?

ANGÉLIQUE.

Oui belle, et des plus belles.

LISETTE, bas à la Tante.

J’écoute, il ne lui dit que pures bagatelles,

Et vous laisse par là Léandre à gouverner.

LA TANTE, à Léandre.

Quel âge croyez-vous qu’on me puisse donner ?

LÉANDRE.

Vous n’êtes qu’une Fille, et sans votre veuvage

Je vous croirais trop jeune encor pour le ménage.

Vingt et un an au plus.

LISETTE, bas.

Où les va-t-il chercher ?

LA TANTE.

Non, j’en puis avoir Trente, et n’en veut point cacher.

LÉANDRE.

Quoi, trente, et dans cet âge un brillant de jeunesse...

LA TANTE.

J’ai pourtant eu souvent grand sujet de tristesse,    

Du vivant du bon homme, ah grands Dieux quels ennuis !

C’étaient de tristes jours.

LISETTE, bas.

Et de plus tristes nuits.

LÉANDRE.

Qu’un Vieillard ait eu l’heur d’obtenir... J’en soupire.

LA TANTE.

Que j’ai versé de pleurs !

LÉANDRE.

Au moins dans ce martyre

Grâce à sa prompte mort peu de temps s’écoula ?

LA TANTE.

Quinze ans s’y sont passez.

LISETTE, bas.

Et quinze par de-là.

LÉANDRE.

Quel supplice ! et vos yeux après quinze ans de larmes

Ont trouvé le secret de conserver leurs charmes ?

Que de jaloux débats vont causer vos attraits !

LA TANTE.

L’hymen n’a pas grand lieu de toucher mes souhaits,

Et quitte des ennuis dont j’ai trop fait l’épreuve,

J’aime assez le repos qui suit l’état de Veuve.

Je vis tranquille, heureuse.

LÉANDRE.

Et vous faites fort bien,

C’est en cela...

LA TANTE.

Pourtant je n’ai juré de rien,

Et selon...

LÉANDRE, l’interrompant d’un air chagrin.

D’ordinaire où sont vos promenades ?

LA TANTE.

Où l’on veut.

LÉANDRE.

À Saint Clou les charmantes cascades !

Vous allez fort souvent en ces aimables lieux ?

LA TANTE.

Pas trop.

LÉANDRE.

Dites le vrai, Vincennes vous plaît mieux.

LA TANTE.

On ne se divertit dans toutes ces Parties

Que selon qu’elles sont bien ou mal assorties,

Le goût dépend des lieux beaucoup moins que des gens,

Quand ils sont bien choisis...

LÉANDRE.

C’est comme je l’entends.

LA TANTE.

Si bien que vous croiriez qu’une haine si forte

Contre le mariage en aveugle m’emporte,

Que sure qu’on m’aimât j’eusse assez de rigueur

Pour voir un vrai mérite et défendre mon cœur ?

LÉANDRE.

Qu’il en faudrait, Madame, et qu’il est difficile

Que vous ne rendiez pas ce mérite inutile !

En est-il qui ne cède, en voyant éclater...

LA TANTE.

Mon Dieu, ne perdez point le temps à me flatter,

Je n’aime point l’encens.

LÉANDRE.

Puisque c’est vous déplaire

Je le quitte, Madame, et change de matière.

Croyez-vous qu’à la Cour Ariste ait du crédit ?

LA TANTE.

Vous n’expliquez pas bien ce que je vous ai dit.

Si j’ai quelque mérite, il n’est pas raisonnable

De prétendre qu’à peine il s’en trouve un semblable,

Et quelqu’un que je sais vaut tout ce que je vaux.

LISETTE, bas.

Bon cela.

LÉANDRE.

Ce quelqu’un n’a donc point de défauts ?

LA TANTE.

Vous le connaissez bien.

LÉANDRE.

Moi, Madame ?

LA TANTE.

Vous même.

 

 

Scène VIII

 

LA TANTE, ANGÉLIQUE, LÉANDRE, ORONTE, LISETTE, CASCARET

 

CASCARET.

Madame.

LA TANTE.

Que veut-on ?

CASCARET.

La Marquise d’Amblême...

LA TANTE.

Et bien, qu’est-ce ?

CASCARET.

Elle vient.

LA TANTE.

Qu’a-t’elle à me conter ?

LISETTE.

C’est peut-être un galant qu’elle veut emprunter.

LA TANTE.

Qu’on la reçoive ailleurs. L’incommode personne !

Ah !

LÉANDRE, bas, en regardant la Tante.

Si tu m’y retiens, va, je te le pardonne.

Peste soit de la vieille !

LA TANTE, à Angélique.

Allez l’entretenir,

Je vous suis.

À Oronte et Léandre.

Demeurez, je m’en vais revenir.

ORONTE.

Quelle est cette Marquise ?

LA TANTE.

Une Sempiternelle,

Qui passe soixante ans, et fait encor la belle.

Elle aime la fleurette, et la moindre douceur

Lui fait ouvrir l’oreille, et chatouille le cœur.

C’est un Original.

LISETTE, bas.

L’impertinence extrême

De faire son portrait et se railler soi-même !

ORONTE.

Elle vous fournit bien de quoi vous divertir ?

LA TANTE.

Et qui ne rirait pas de l’entendre mentir

Que pour elle en secret plus d’un Chevalier brûle,

Que Monsieur le Marquis s’en meurt.

LÉANDRE.

La ridicule !

LA TANTE.

Je l’aurais avec nous mise de l’entretien,

Mais vous n’en auriez pas été quittes pour rien,

Et nous n’eussions point vu la fin de la visite.

Adieu, pour un moment souffrez que je vous quitte,

Je saurai m’en défaire, et perdrai peu de temps.

 

 

Scène IX

 

LÉANDRE, ORONTE, LISETTE

 

LÉANDRE, à Oronte.

Faites ici le sot, pour moi si je l’attends...

ORONTE.

Ami, songez de grâce...

LÉANDRE.

Il n’est ami qui tienne,

Pour couvrir votre jeu cherchez qui l’entretienne,

J’ai paré de mon mieux les plus dangereux coups,

Mais tirer à la rame est un métier plus doux.

Au moindre jour offert d’union conjugale,

Elle en fait seul à seul un fort joli régale.

J’en ai tremblé deux fois, et j’ai crû que tout net

J’allais pour l’épouser être pris au collet.

LISETTE.

C’est l’unique moyen de l’éblouir.

LÉANDRE.

N’importe.

ORONTE.

M’abandonneriez-vous au besoin de la sorte ?

Il y va de ma vie, et si vous faites cas...

LÉANDRE.

Vivez, mais s’il vous plaît que je ne meure pas.

Encor un tête à tête, et le moins qui m’arrive

C’est de perdre l’esprit.

LISETTE.

La défaite est naïve.

Mais notre Nièce enfin ?

ORONTE.

Qu’elle est aimable ! ah, Dieux !

LISETTE.

Son entretien est-il aussi doux que ses yeux ?

ORONTE.

Qu’il est rempli d’appas ! j’en suis charmé, Lisette.

LISETTE.

Vous a-t’elle promis audience secrète ?

ORONTE.

Oui, si la Tante ailleurs se laissant engager

T’assure les moyens de me la ménager,

Tout dépend de tes soins.

LISETTE.

Ou plutôt de Léandre,

Qu’il prenne un rendez-vous...

LÉANDRE.

Bonsoir.

ORONTE.

Vous en défendre,

Ami, quand il y va de tout l’heur de mes jours ?

LÉANDRE.

Faut-il combattre ici des Lyons et des Ours,

Forcer quelque Château, m’opposer seul à trente ?

A cela je suis prêt ; mais ma foi, pour la Tante...

LISETTE.

Ah ! si votre Breton était prêt d’arriver !

ORONTE.

L’argent comptant le charme, il viendra nous trouver,

Et craignant qu’on ne songe à presser les affaires,

Il m’envoie un Pouvoir passé devant Notaires,

Mais de plus de dix jours il ne saurait partir.

LISETTE.

Et Léandre pour rien ne voudra consentir...

LÉANDRE.

Non, mais à mon défaut employez la Montagne,

Qu’il fasse quelques jours le Baron de Bretagne,

On ne le connait point.

LISETTE.

A-t-il un peu d’esprit ?

ORONTE.

Que trop ; quoi qu’il bouffonne, il sait bien ce qu’il dit,

Le voici qu’à propos Philipin nous amène.

 

 

Scène X

 

LÉANDRE, ORONTE, LA MONTAGNE, LISETTE, PHILIPIN

 

LÉANDRE, à la Montagne.

As-tu vu le Marquis ?

LA MONTAGNE.

J’ai bien eu de la peine.

LÉANDRE.

Viendra-t-il ?

LA MONTAGNE.

Oui, Monsieur, où vous lui marquez.

LÉANDRE.

Bon.

Mais ici cependant il nous manque un Baron.

Peux-tu le devenir ?

LA MONTAGNE.

Moi, Baron ? et de reste.

ORONTE.

Tu connais Albikrac ?

LA MONTAGNE.

C’est un gaillard, la peste !

ORONTE.

Il faut passer pour lui.

LA MONTAGNE.

Je suis votre homme, allez,

Vous me verrez Baron, et des plus signalés.

LISETTE.

Donc sans plus balancer, dès cette après-dînée

Qu’il s’en vienne nous faire un début d’hyménée,

La Tante l’attendra dans son appartement,

Et nous nous servirons de cet heureux moment.

ORONTE.

Mais pour voir en secret ton aimable Maîtresse ?

LISETTE.

Vous avez belle peur que je manque d’adresse.

Que Philipin au guet ait soin de se montrer,

Je viendrai l’avertir quand vous pourrez entrer.

ORONTE.

Adieu donc, nous allons en Baron de Campagne

Travestir décemment Monsieur de la Montagne,

Si la Tante se plaint de ne nous trouver plus,

Dis que...

LISETTE.

Vous me donnez des avis superflus,

Suffit que du Baron j’aurai reçu message,

Au moins faites-lui bien jouer son personnage.

LA MONTAGNE.

Va, je sais mon métier, n’en sois point en souci.

As-tu plus de quinze ans ?

LISETTE.

Environ, Dieu merci.

ORONTE, à la Montagne.

Sors vite, s’il fallait qu’on te vît avec elle,

Tu perdrais tout.

LA MONTAGNE.

Adieu, tendre et jeune pucelle,

Jusqu’au revoir.

PHILIPIN.

Lisette, Ah !

LISETTE.

Quel diantre de ton !

Tu gémis ?

PHILIPIN.

Que je crains la Montagne Baron.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

ANGÉLIQUE, LISETTE

 

LISETTE.

Philipin m’attendait par l’ordre de son Maître,

Ici dans un moment vous l’allez voir paraître,

L’avis lui sera doux.

ANGÉLIQUE.

Lisette, en vérité

Ce que tu me fais faire est bien précipité ;

Permettre qu’en secret un Galant m’entretienne.

LISETTE.

Voulez-vous que je coure empêcher qu’il ne vienne ?

ANGÉLIQUE.

Non, mais n’est-ce point trop...

LISETTE.

Voilà bien des façons !

Eh, mon Dieu, hardiment prenez de mes leçons,

Vous m’en remercierez quelque jour.

ANGÉLIQUE.

Mais Lisette,

J’accorde une faveur peut-être en indiscrète,

Et si de moi par elle Oronte veut juger...

LISETTE.

Quoi ! la Tante aura droit de nous faire enrager,

Et vous craindrez...

ANGÉLIQUE.

Je crains d’affaiblir son estime.

LISETTE.

Un entretien secret n’est pas un si grand crime,

Et d’un joug trop pressant pour fuir les durs apprêts

Il n’y faut pas toujours regarder de si près.

Pour moi, de tous les maux où l’on s’impatiente,

Je n’en crois point d’affreux comme le mal de Tante,

Il suffoque, et jamais un moment de repos.

ANGÉLIQUE.

Toutes n’agissent pas du même air.

LISETTE.

En deux mots

La votre est une Turque, une Arabe, et le Diable

N’en fournirait qu’à peine encor une semblable,

Elle ne peut souffrir que vous leviez les yeux,

Il faut qu’on soit pour elle, obligeant, gracieux,

Qu’on loue à tous moments les beautés qu’elle achète.

ANGÉLIQUE.

Mais si nous soupçonnant d’une intrigue secrète

Elle nous découvrait, tout serait lors perdu.

LISETTE.

Elle attend ce Baron si longtemps attendu,

De miroir en miroir se façonnant la bouche,

Elle ôte, et puis remet dix fois la même mouche,

Dans ce soin d’agréments songera-t-elle à vous ?

ANGÉLIQUE.

Ainsi, c’est tout de bon qu’il lui vient un Époux.

Est-il assez bien fait pour lui plaire ?

LISETTE.

Peut-être

En ai-je un peu plus dit qu’on n’en verra paraître,

Mais sur la bonne mine il faut nous récrier.

Dans la démangeaison de se remarier

Elle nous en croira.

ANGÉLIQUE.

Mais l’affaire étant faite,

Comme alors elle aura tout ce qu’elle souhaite,

Ce rendez-vous secret à quoi bon l’accorder ?

Oronte ouvertement pourra me demander.

LISETTE.

Oui, mais d’où pouvez-vous tirer un sûr indice

Que pour ses durs appas le Baron s’attendrisse ?

Qu’il veuille d’elle après qu’il en aura goûté ?

Servons-nous de ce temps pour plus de sûreté,

Par quelques entretiens éprouvez-vous l’un l’autre,

Voyez si son humeur se rapporte à la votre,

Si toujours elle aura pour vous mêmes appas,

Là, l’aimez-vous un peu ?

ANGÉLIQUE.

Je ne m’y connais pas,

Mais tantôt prêt d’entrer, le voyant dans la rue

De ma Chambre ici bas je suis vite accourue,

Et j’eusse eu grand dépit qu’on m’eût voulu chasser.

LISETTE.

Continuez, ceci n’est point mal commencer.

ANGÉLIQUE.

D’ailleurs, quand on le nomme ou qu’il nous rend visite,

Certain je ne sais quoi fait que mon cœur palpite,

J’aime à le regarder, et soupirant tout bas

J’ai des troubles d’esprit que je ne comprends pas.

Sitôt qu’il est parti, je rêve. Quand on aime,

Est-ce là comme on est, Lisette ?

LISETTE.

Tout de même.

L’Amour en peu de temps vous en a bien appris,

Mais Oronte...

ANGÉLIQUE.

Il vient, Dieux !

LISETTE.

Reprenez vos esprits.

ANGÉLIQUE.

Que lui pourrai-je dire, et...

LISETTE.

S’il faut ne rien taire,

Vous faites l’innocente, et vous ne l’êtes guère.

 

 

Scène II

 

ORONTE, ANGÉLIQUE, LISETTE

 

ORONTE.

Madame.

LISETTE.

En liberté je vous laisse jaser,

Notre Tante est à craindre, et je cours l’amuser.

ORONTE.

Enfin mon heureux sort après tant de contraintes,

De mes tristes langueurs soulage les atteintes,

Et sans être gêné par des regards jaloux

Je puis vous dire ici ce que je sens pour vous.

Mais que sert que ma bouche à l’expliquer s’emploie ?

Pour vous marquer ma flamme il suffit de ma joie,

Et quand l’occasion rend le temps précieux

Il faut dans ce moment laisser parler les yeux.

C’est là que sans réserve en voyant ce qu’on aime

Tout le secret du cœur se produit de lui même,

Et qui prend part au feu qui le fait éclater

N’a besoin que de voir, et non pas d’écouter.

ANGÉLIQUE.

J’ai trop peu de clartés pour pouvoir bien comprendre

Ce que de vos secrets je dois vouloir apprendre,

Mais je sais qu’un motif que je crois généreux

M’oblige à souhaiter que vous soyez heureux,

Qu’à vous combler de gloire à l’envi tout conspire.

ORONTE.

Ce souhait est beaucoup, mais si j’ose le dire

Dans ce que vos appas ont pour moi d’engageant,

S’il n’est que généreux, il n’est point obligeant.

À moins qu’il soit l’effet d’une estime empressée,

D’un tendre mouvement où vous soyez forcée,

D’une inquiète ardeur...

ANGÉLIQUE.

Ah, que vous me gênez !

J’ai bien peur de savoir ce que vous m’apprenez,

Ne l’examinons point, et quoi qu’il en puisse être...

ORONTE.

Craignez-vous de m’aimer ?

ANGÉLIQUE.

Je le fais mal paraître,

Mais au moins je devrais malgré vos vœux soumis

Craindre de vous aimer plus qu’il ne m’est permis.

ORONTE.

Hélas ! le pouvez-vous quand ma flamme est extrême,

Et que l’Amour n’a point d’autre prix que lui même ?

Non, quoi que vous fassiez, pour vaincre le souci...

ANGÉLIQUE.

N’est-ce point déjà trop que vous souffrir ici ?

J’en rougis, et s’il faut que ma Tante soupçonne...

ORONTE.

À ce scrupule en vain votre esprit s’abandonne,

Lisette y met bon ordre, et seconde mon feu,

Il s’agit seulement d’obtenir votre aveu,

Me l’accorderez-vous ?

ANGÉLIQUE.

Ce qu’ici je hasarde

Ne vous répond que trop de ce qui me regarde,

Mais songez que les lois d’un rigoureux devoir

Me forcent d’une Tante à craindre le pouvoir,

Que mon Père en mourant me mit sous sa conduite,

Que par quelque intérêt elle m’aime à sa suite,

Et qu’avant que pour moi vous puissiez rien oser,

Il faut qu’elle ait trouvé qui la veuille épouser.

Il s’offre, m’a-t-on dit, un Baron d’importance,

Si l’affaire se fait...

ORONTE.

Vivons en espérance,

Quelque obstacle qui tienne un esprit alarmé,

Pour vaincre tout, Madame, il suffit d’être aimé.

ANGÉLIQUE.

J’aurais peut-être du m’en tenir à l’estime,

Mais puisque vous brûlez d’un feu si légitime,

Que depuis si longtemps que vous le contraignez

L’amour est tel en vous que vous me le peignez,

Je ne me défends plus.

 

 

Scène III

 

LA TANTE, ANGÉLIQUE, ORONTE

 

LA TANTE, après avoir écouté les trois derniers vers.

La peinture est jolie,

Le rouge vous sied bien, vous êtes embellie,

L’appétit au besoin vous viendrait en parlant,

Vraiment, j’en suis d’avis, il vous faut un Galant.

ANGÉLIQUE.

Moi, ma Tante ?

LA TANTE.

Voyez la petite effrontée.

Je ne vous ai donc pas tout à l’heure écoutée,

Quand sur ce bel amour qui le faisait agir...

ORONTE.

Madame.

LA TANTE.

Allez, Monsieur, vous devriez rougir,

Et du moins ce n’est pas à d’honnêtes familles

Qu’on se doit adresser pour corrompre des filles.

ORONTE.

L’hymen étant le but qui m’a fait la prier

D’entendre...

LA TANTE.

Il n’est ici personne à marier,

Parler d’amour chez moi ! vous êtes fort mignonne.

ANGÉLIQUE.

Ne croyez pas...

LA TANTE.

Comptez, je vous la garde bonne,

Et si...

ANGÉLIQUE, à Oronte.

Venez encor emprunter mon secours,

J’ai bien affaire, moi, de vos sottes amours.

LA TANTE.

Quoi, que veut-elle dire ?

ANGÉLIQUE.

Et bien, il me faut taire,

Cela ne servirait qu’à vous mettre en colère

Mais si jamais il vient me demander appui...

LA TANTE.

Comment ? est-ce qu’il veut que vous parliez pour lui ?

ORONTE, bas à Angélique.

Qu’allez-vous dire ?

ANGÉLIQUE, haut.

Tout, et devant tout le monde ;

Voyez, il faut pour vous, Monsieur, que l’on me gronde.

Je vous l’avais bien dit renvoyant vos amours

Que ma Tante voulait rester veuve toujours.

Elle en a fait bon vœu.

LA TANTE.

C’est mon dessein sans doute,

Et qui parle d’amour Dieu sait si je l’écoute,

Je n’en veux point.

ORONTE.

Madame, il n’y faut plus penser ;

Et puisque je connais que c’est vous offenser...

LA TANTE.

Laissez, par le récit que je veux qu’elle fasse

J’aurai lieu de juger s’il faut lui faire grâce.

Ce doit être sa peine après ce qu’elle a fait.

ORONTE, à la Tante.

Vous haïssez la cause, épargnez-vous l’effet.

ANGÉLIQUE.

Oyez donc.

ORONTE, bas à Angélique.

L’embarras où vous nous allez mettre.

ANGÉLIQUE.

Mais quand vous aurez su ce qu’il m’a fait promettre,

Contre moi tout d’un coup je crains bien de vous voir...

ORONTE, à la Tante.

Ah, ne l’apprenez point.

LA TANTE.

Non, je veux tout savoir.

Pourquoi seule avec lui ?

ANGÉLIQUE.

C’est qu’il m’a rencontrée,

Et qu’il entrait ici comme j’y suis entrée.

Il venait...

ORONTE, bas à Angélique.

Sans donner de plus forte raison

Dites que je venais pour voler la maison,

Je l’avouerai plutôt que...

LA TANTE.

Qu’est-ce qu’il vous conte ?

ANGÉLIQUE.

Qu’à vous expliquer tout il va mourir de honte,

Mais en vain il prétend que j’ose rien cacher.

ORONTE, bas.

Je suis pris.

ANGÉLIQUE.

Enfin donc il venait vous chercher,

Et m’ayant aperçue, il m’a fait la peinture

De je ne sais quels maux que pour vous il endure ;

Que depuis qu’il vous voit il languit nuit et jour,

Et que si je n’avais pitié de son amour...

À ce nom j’ai crié furieuse, en colère,

Ainsi que vous m’avez appris qu’il fallait faire.

Il m’a toujours pressée, et moi j’ai toujours dit

Que sans doute il fallait qu’il eût perdu l’esprit,

Que vous oser parler pour lui, ni pour personne,

C’était... Il vous dira si pour vous je raisonne.

Il m’a dit que sachant votre tempérament

Il ne vous fallait pas presser ouvertement,

Mais qu’au moins on pouvait de loin vous faire entendre

Que vous étiez encore dans un âge assez tendre,

Qu’aussi fraîches que vous peu se feraient prier

Pour choisir un brave homme, et se remarier,

Et que selon l’humeur où je vous verrais être,

Je servirais sa flamme, et la ferais connaître.

Alors, je l’avouerai, c’est en quoi j’ai manqué.

Sensible à l’air touchant dont il s’est expliqué

J’ai promis, sans penser pourtant faire un grand crime,

Que puisque son amour était si légitime,

Qu’il m’en peignait le feu si plein d’ardeur...

LA TANTE.

Rentrez.

 

 

Scène IV

 

LA TANTE, ORONTE

 

ORONTE.

Ma présence vous choque, et je vais...

LA TANTE.

Demeurez.

ORONTE.

Madame, le regret d’avoir pu vous déplaire...

LA TANTE.

J’aurais quelque sujet d’être assez en colère.

ORONTE.

Vous l’avez. Je l’avoue, aussi je vous promets

Que de moi sur ce point vous n’en aurez jamais,

Je sais trop pour l’amour jusqu’où va votre haine.

LA TANTE.

Pour le moins jusqu’ici je l’ai vaincu sans peine.

ORONTE.

Tout le monde en convient, et c’est être indiscret

D’avoir à votre Nièce expliqué mon secret,

Mais que ne fait-on point quand un mal est extrême ?

LA TANTE.

Et pourquoi ne vous pas adresser à moi-même ?

ORONTE.

A vous-même, Madame ? hélas ! et de quel air ?

Non, je mourrais plutôt que de vous en parler,

Mais si vous faites grâce à l’ardeur de mon zèle,

Souffrez que quelquefois j’en soupire avec elle,

C’est tout ce que je veux pour prix d’un si beau feu.

LA TANTE.

Il me paraît trop beau pour obtenir si peu.

Pour prix de votre amour, si sa flamme est constante,

Il vaut mieux que j’en sois la seule confidente,

À ma Nièce sur tout n’en témoignez plus rien,

Dans un si jeune esprit un secret n’est pas bien.

ORONTE.

Quoi, pour me soulager vous pourriez-vous contraindre

À souffrir ce qu’ailleurs on vous voit le plus craindre ?

Vous que l’amour offense, et dont l’aversion

Vient de paraître encore pour cette passion,

Vous qui loin d’excuser l’innocente peinture

Dont...

LA TANTE.

Il faut quelquefois garder quelque mesure,

Et devant une Fille il est bon de blâmer

Ce qui leur peut apprendre à se laisser aimer.

Ce sont tendres esprits qui sans leçon ni Maître

Ne savent que trop-tôt d’où ce penchant peut naître,

Et pour rendre l’amour à leur goût moins charmant

On leur en fait un Monstre, et l’on pense autrement.

Ce n’est pas qu’il ne soit des douceurs au veuvage

Qui valent quelquefois celles du mariage.

Vivre comme on l’entend, ne répondre qu’à soi...

ORONTE.

Ah, n’appréhendez point de les perdre pour moi.

Vous me donnez l’exemple, et je dois sans m’en plaindre

Quand vous vous contraignez, apprendre à me contraindre,

Sur moi-même à mon tour prendre assez de pouvoir...

LA TANTE.

Je ne dis pas cela pour me faire valoir,

Au contraire, je veux...

 

 

Scène V

 

LA TANTE, ANGÉLIQUE, ORONTE

 

ANGÉLIQUE.

Voici, qu’on vous apporte

De ces petits Tableaux.

ORONTE, bas.

Bon.

ANGÉLIQUE.

L’homme est à la porte,

Le ferai-je entrer ?

LA TANTE.

Non, qu’il revienne. Est-ce fait ?

L’étourdie, est-il temps...

ORONTE.

C’est pour un cabinet ?

Voyons-les.

ANGÉLIQUE.

Il en a des plus jolis du monde.

LA TANTE.

Quelle stupide ! encor ? l’espoir où je me fonde

C’est que me connaissant...

ANGÉLIQUE revenant sur ses pas.

S’il les voulait laisser ?

Il peut les vendre ailleurs.

LA TANTE.

Il s’en faudra passer,

Qu’il les vende, ce soin vous rend officieuse ?

Si...

ORONTE bas.

Le friand ragoût qu’une vieille amoureuse !

 

 

Scène VI

 

LA TANTE, ORONTE

 

LA TANTE.

Sans trop de vanité je pourrais me flatter

Qu’il n’a tenu qu’à moi jusqu’ici d’écouter,

Cent fois, le défunt mort, on m’a persécutée,

Officiers, gens de Cour, mais rien ne m’a tentée.

J’ai même depuis peu reçu de tous côtés

Pour un certain Baron mille importunités.

On m’en veut, malgré moi, donner la connaissance.

ORONTE.

Quel est-il ?

LA TANTE.

Un Breton de fort haute naissance,

Albikrac. C’est un nom assez connu de tous.

Il vous donne à rêver, en êtes-vous jaloux ?

ORONTE.

Pour m’oublier ainsi je sais trop me connaître.

LA TANTE.

Du moins vous n’aurez pas longtemps sujet de l’être ;

Une visite ou deux puisque je l’ai promis,

Après, ne craignez rien, nous vivrons bons amis.

ORONTE.

Vous priver de sa vue, et que rien m’autorise...

 

 

Scène VII

 

LA TANTE, ANGÉLIQUE, ORONTE

 

ANGÉLIQUE.

Ah ! ma Tante, voici ce beau point de Venise.

LA TANTE.

A-t-on jamais...

ANGÉLIQUE.

Vos yeux en vont être éblouis.

ORONTE, faisant semblant d’admirer le mouchoir.

Ah, Madame !

ANGÉLIQUE.

On l’aura peut-être à vingt Louis.

Voyez ce long branchage, et ces Fleurs qui se jettent.

ORONTE.

On surfait de moitié quand les hommes achètent.

On m’en fit un quarante encor hier au matin

Qui n’est pas...

ANGÉLIQUE.

Le Tissu n’en peut être plus fin.

LA TANTE.

Il est assez passable, allez, qu’on me le garde,

Nous le verrons tantôt.

ORONTE, d’un ton chagrin.

Dieux !

ANGÉLIQUE.

Plus je le regarde,

Plus je l’aime. Voyez de l’un à l’autre bout,

L’ouvrage saute aux yeux, il est égal par tout.

LA TANTE.

Ne finirez-vous point ? que veut encor Lisette ?

 

 

Scène VIII

 

LA TANTE, ANGÉLIQUE, ORONTE, LISETTE

 

LISETTE.

Le Baron d’Albikrac...

ORONTE, bas.

Enfin ma tâche est faite,

Respirons.

LISETTE.

Ah, Madame, il n’est rien plus galant.

ORONTE.

Ces Messieurs les Barons font valoir le talent,

Ce sont gens du bel air.

LA TANTE.

Vous avez de l’ombrage.

ORONTE.

Madame.

LA TANTE.

Il ne faut pas m’en dire davantage,

J’y pourvoirai. Qu’il entre, il faut le recevoir.

À Angélique.

Demeurez. Vous, Lisette, ayez soin du mouchoir.

Nous laisser seul à seul surprendre en confidence

Serait sans aucun fruit choquer la bienséance.

ORONTE.

Madame.

LA TANTE.

Sans cela j’aurais su prendre soin

De n’avoir pas ma Nièce avec nous pour témoin.

Du moins tenez vous sûr, quand je le pourrai faire,

Que vous n’aurez jamais ce chagrin.

ORONTE.

Pour vous plaire

Je l’essuierai sans peine, et consens que par là...

 

 

Scène IX

 

LA TANTE, ANGÉLIQUE, ORONTE, LA MONTAGNE, LISETTE

 

LA MONTAGNE, s’adressant à Angélique, et feignant de la prendre pour la Tante.

Qui des deux est la Tante ? À l’âge, la voilà.

Pardonnez, je sais bien que ce vilain mot d’âge

Aux Belles comme vous tient toujours lieu d’outrage,

Mais il ne vous en fait aucun, et tout de bon

Vous chercher à deux fois auprès d’une Poupon,

Auprès de cette Nièce à peine encor au monde

C’est une gloire en vous qui n’a point de féconde.

On m’en avait bien dit, et j’en trouve encor plus.

ANGÉLIQUE.

Que dirai-je, ma Tante ?

LA MONTAGNE.

À d’autres cet abus,

Ma Tante !

LA TANTE.

Je la suis.

LA MONTAGNE.

Et celle-ci, la Nièce ?

LA TANTE.

Elle s’est déclarée.

LA MONTAGNE.

Oui, pour me faire pièce,

Comme Provincial vous voulez me sonder,

Mais ce n’est pas à moi qu’on en baille à garder.

LA TANTE.

On ne vous trompe point.

LA MONTAGNE.

Quoi, vous seriez la Tante ?

LA TANTE.

Moi-même.

LA MONTAGNE.

Je ne sais si le Diable me tente,

Mais je sais qu’il me fait vouloir que cela fût.

Ah, quel plaisir alors de s’aimer but à but,

Car ne pouvant causer qu’un mal de cœur extrême

Tel qu’on l’aurait pour vous, vous l’auriez tout de même,

Mal de cœur en amour est un drôle de mal.

Mais qui de notre Tante est donc l’Original ?

Sans railler est-ce vous ?

LA TANTE.

Je ne suis point surprise

De vous voir affecter exprès cette méprise,

Vous êtes obligeant, et me voulez flatter.

LA MONTAGNE.

Non, ma foi ; j’enrageais d’avoir lieu de douter,

Et déjà je songeais à trouver quelque adresse

Pour planter là la Tante, et donner sur la Nièce.

LA TANTE.

Ma Nièce est-elle si...

LA MONTAGNE.

Chacun vaut son prix,

Mais enfin.

ANGÉLIQUE, bas à Lisette.

Est-il fou de s’être ainsi mépris ?

LISETTE.

Le beau jeune Seigneur ! qu’il est bien fait !

LA MONTAGNE.

Ma mère

A pris aussi, dit-on, grand plaisir à me faire,

Et je m’en suis senti, car certain air gaillard

Que j’ai d’elle hérité me rend tout égrillard.

Je vous divertirai, belle Tante. Ah, ma Nièce,

Il faut céder, la Tante est la même jeunesse,

Certains traits enfantins, doux, mignons, délicats...

LA TANTE.

Ne me louez point tant.

LA MONTAGNE.

Je ne vous louerais pas

Vous que je vois briller comme fleur Printanière ?

Dieu me sauve, il n’est point... montrez-vous par derrière,

Vous êtes encor mieux, et si propre à charmer

Qu’il ne faut point vous voir afin de vous aimer,

Le port beau, l’air poupin. J’en tiens et sans remède.

Quelle taille !

LA TANTE.

Il en est qui l’ont un peu plus laide.

LA MONTAGNE.

Comment Diable ! et de plus de cinquante carats.

LISETTE.

Qu’il a d’esprit, Madame !

LA MONTAGNE.

Ah, l’on n’en doute pas.

LA TANTE, à Oronte.

Vous êtes tout rêveur.

LA MONTAGNE.

J’eusse eu peine à m’en taire

Si vous ne l’eussiez dit. Rêve-t-il d’ordinaire ?

C’est un mal de chagrin dont je crains les accès.

LA TANTE.

Il est à pardonner quand on a des procès.

LA MONTAGNE.

Monsieur en a ? tant pis. Monsieur est de Province ?

ORONTE.

Auvergnac.

LA MONTAGNE.

On prétend votre Noblesse mince,

Et vous venez ici la réhabiliter ?

ORONTE.

Je crains peu que l’on songe à m’en inquiéter.

LA MONTAGNE.

J’en connais soi disant issus de haute race

Nobles comme le Roi qu’on remet dans la crasse.

Parmi de vieux papiers abandonnez aux Rats

Ils ont beau la plupart dénicher des Contrats,

Leur Gentilhommerie étant toute en paroles

Ne se trouve de poids qu’à celui des pistoles ;

À nous autres Barons qu’on voit hors du commun

On n’a pas dit un mot, moins à moi qu’à pas un.

Aussi par tout le bruit de ma Noblesse craque,

Mon Père était Kerling, et ma Mère Albikraque,

Deux Familles, pensez, d’éclat et de renom.

Qu’on s’informe, on verra si quelqu’un dira, non.

LA TANTE, bas à Oronte.

Vous n’avez pas sujet...

LA MONTAGNE.

Je vous trouve inquiète,

Est-ce que vous craignez de me sembler mal faite ?

Ma foi, quand tout exprès pour me rôtir d’amour

L’Ouvrier qui vous fit vous aurait faite au tour,

Qu’il aurait compassé pour me rendre tout votre

Chaque connexité d’un membre avecque l’autre,

Vous ne me plairiez pas davantage, et déjà

J’enrage d’être au point dont mon Père enragea ;

Car on tient que deux jours après son mariage

Il s’en mordit les doigts.

ANGÉLIQUE.

Lisette, il n’est pas sage.

LISETTE.

C’est un homme enjoué. Qu’il est divertissant !

LA TANTE, à la Montagne qui lui avait parlé bas.

Rien ne nous presse encor.

LA MONTAGNE.

Je suis un peu pressant.

Mais à voir tant d’appas qui ferait moins la presse !

Et puis, quand on va droit sans entendre finesse,

Et que l’un à peu près est de l’autre le fait,

On dit que le plutôt vaut le mieux.

LISETTE.

En effet.

LA TANTE.

On y doit un peu plus songer que vous ne faites.

LA MONTAGNE

Gai comme je le suis, vous, dans l’âge où vous êtes,

Selon que je me sens fortement dans vos lacs,

Nous aurons quantité de petits Albikracs,

Ma Tante.

LA TANTE.

Pour le moins épargnez une fille,

Vous la faites rougir.

LA MONTAGNE.

Elle en est plus gentille.

Quant à moi, j’aime à voir ce vermillon subit

Dont en baissant les yeux la Friponne sourit.

Il faut les faire à tout, mais, mon aimable Tante,

Voyons votre Maison, sa propreté m’enchante,

Et si j’en puis juger par cet appartement...

LA TANTE.

Vous n’y trouverez pas ce que...

LA MONTAGNE.

Sans compliment,

Agréez que je sois votre Écuyer.

LISETTE.

Madame

A dans son Cabinet ce qui peut ravir l’âme,

Il vous faut tout au moins deux heures pour le voir.

LA TANTE.

Quelque autre jour.

LA MONTAGNE.

Ah ! non.

LA TANTE bas à Oronte.

Je suis au désespoir,

Ne vous chagrinez point, mon Cher, je vous en prie,

Si je donne la main...

LISETTE, ouvrant une porte.

Par cette galerie.

LA TANTE, à Oronte.

Suivez-nous.

ORONTE, à Angélique.

En suivant éloignons-nous un peu.

LISETTE, à Oronte.

Profitez du moment, on vous donne beau jeu.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LÉANDRE, LISETTE

 

LÉANDRE.

Nos Amants à leurs feux vont trouver peu d’obstacles,

Notre nouveau Baron fait pour eux des miracles,

Et de ce cabinet qu’il appelle enchanté

Je suis exprès sorti pour rire en liberté.

La Tante a beau vouloir faire un pas vers Oronte,

Il a pour l’arrêter toujours un nouveau conte,

Et sur chaque Tableau la faisant haranguer

Il la force à louer, ensuite extravaguer,

Ainsi pour nos Amants point de Tante importune.

LISETTE.

Ce n’est pas là pour elle une grande infortune,

S’il la prive d’Oronte, au moins d’une douceur

De moment en moment il lui flatte le cœur ;

Mais quand elle vous tient à l’écart l’un ou l’autre

Il n’est point de plaisir qui soit égal au votre,

Vous passez votre temps à ravir ?

LÉANDRE.

Justement,

Oronte en a tâté.

LISETTE.

Très copieusement.

Jamais on ne souffrit de si longue torture.

LÉANDRE.

Il m’a dit en deux mots toute son aventure.

LISETTE.

Quand dans le Cabinet il vous a parlé bas

J’ai bien crû qu’avec vous il ne s’en taisait pas.

LÉANDRE.

Tu fais le guet pour eux, et les laisses surprendre ?

LISETTE.

Quand le malheur en veut on a beau s’en défendre.

Oronte étant entré, j’ai couru promptement

Pour rejoindre la Tante en son appartement,

Mais par sa défiance elle a trompé la notre,

J’ai pris un Escalier, elle venait par l’autre.

LÉANDRE.

Oronte cependant tombe en de bonnes mains ?

LISETTE.

Qu’il s’en tire, s’il veut.

LÉANDRE.

C’est comme tu le plains ?

LISETTE.

Si tant de charité pour lui vous inquiète,

Faites le tour d’ami, son affaire vaut faite,

La Tante vous adore et vous préférera.

LÉANDRE.

Elle m’aime ?

LISETTE.

Hier encor son cœur en soupira,

Et dans ce que de vous sans cesse elle me conte,

Vous l’emportez en tout de bien loin sur Oronte,

Jamais homme à ses yeux ne parut si parfait.

Vous rêvez ?

LÉANDRE.

Je cherchais quel grand crime j’ai fait,

Pour se trouver aimé d’une vieille et lui plaire,

Il faut avoir du moins assassiné son Père.

Si la Tante avec moi s’expliquait sur ce ton,

Je la divertirais de la bonne façon.

 

 

Scène II

 

ANGÉLIQUE, LÉANDRE, ORONTE, LISETTE

 

LÉANDRE.

Vous vous êtes enfin échappés ?

ORONTE.

La peinture

Nous preste ce bonheur, fort grand, pourvu qu’il dure,

Mais Monsieur le Baron nous le fait espérer,

Il paraît n’être point encor las d’admirer,

Dix ou douze portraits qu’il voit l’un après l’autre

Faisant son entretien ont assuré le notre,

Ils sont tous de la Tante, et vous pouvez juger

Si le bien qu’il en dit a de quoi l’engager,

Les louant trait pour trait il lui chatouille l’âme,

Elle peut à son gré favoriser sa flamme,

Nous l’en avons laissée en pleine liberté.

ANGÉLIQUE.

J’en serai querellée.

LISETTE.

Et moi de mon côté,

Mais n’importe.

LÉANDRE.

Il est vrai qu’il lui doit être rude

Qu’on lui donne sitôt sujet d’inquiétude.

Puisqu’Oronte est pour elle un Amant déclaré

C’est mal faire sa cour que s’être retiré,

Elle en murmurera.

ANGÉLIQUE.

Je le vois fort à craindre.

ORONTE.

Mon malheur est fort grand, mais je n’ose m’en plaindre,

Il me vient d’une part qui m’est trop à chérir

Pour craindre d’essuyer ce qu’il faudra souffrir.

ANGÉLIQUE.

Que faire, où la rencontre était si surprenante ?

LÉANDRE.

Soutenir qu’il voulait cajoler la servante,

Et qu’accourue au bruit vous lui faisiez leçon.

ANGÉLIQUE.

Mais je ne querellais en aucune façon,

Et même elle m’avait en entrant écoutée.

LÉANDRE.

Qu’il soit donc Chevalier de la Dame enchantée,

Car c’est enchantement qu’aimer à soixante ans.

ORONTE.

Vous me raillez, chacun peut-être aura son temps,

Que sait-on ?

LISETTE, à Oronte.

Pour le moins il a cet avantage

Que si pour notre Tante il sucrait le breuvage,

Ma foi, vous tireriez votre poudre aux Moineaux,

Il vous supplanterait.

LÉANDRE.

Voyez ce que je vaux,

Mon Étoile est heureuse, et c’en est une marque.

ORONTE.

C’est une rude mer que celle où je m’embarque ;

Mais je ne compte à rien tout ce que je prévois,

Pourvu que cette Belle ait du penchant pour moi,

Qu’elle daigne à mon feu permettre l’espérance.

ANGÉLIQUE.

J’y vois beaucoup d’ardeur, mais je crains sa constance,

S’il ose m’en promettre il peut tout espérer.

ORONTE.

C’est de quoi cet Ami pourrait vous assurer,

C’est un autre moi-même, il voit toute mon âme ;

Pour plus de sûreté d’une éternelle flamme

Souffrez que devant lui je vous donne ma foi,

Qu’il en soit le garant.

LISETTE, à Angélique.

Donnez.

ANGÉLIQUE, donnant la main à Oronte.

Je la reçois,

Et pourvu que toujours et sincère et constante

Elle soutienne en vous...

LÉANDRE.

Prenez garde, la Tante...

ANGÉLIQUE.

Ah Dieux !

ORONTE.

Ne craignez rien, et me laissez parler.

Avant qu’un an ou deux se puissent écouler,

Vous aurez une grande et longue maladie.

ANGÉLIQUE.

Quel présage !

ORONTE.

S’il faut encor que je le die,

Cet Angle qui se ferme à traits presque tirés,

Est la mort d’un Parent dont vous hériterez.

ANGÉLIQUE.

Bon cela.

ORONTE.

De ce bien vous ne jouirez guère,

Car cette ligne, jointe à ce triangulaire,

Est pour vous tôt après la marque d’un Couvent.

ANGÉLIQUE.

Ma Tante, pour le moins, m’en parle fort souvent,

Je le croirais, selon que j’aime peu le monde.

LÉANDRE.

Pensez-vous qu’au Couvent cette ligne réponde ?

ORONTE.

Celle-ci qui s’étend le dénote encor mieux.

 

 

Scène III

 

LA TANTE, ANGÉLIQUE, LÉANDRE, ORONTE, LISETTE

 

LA TANTE.

Que lui prédisiez-vous ici de curieux ?

Du destin qui l’attend veut-elle être éclaircie ?

ORONTE.

J’ai pris jadis leçon sur la Chiromancie,

Et je la débitais sans doute en écolier.

LA TANTE.

Mais que lui trouviez-vous de plus particulier ?

ORONTE.

Qu’elle court grand hasard d’être Religieuse,

Je vois de certains traits...

LA TANTE.

Qu’elle serait heureuse ?

Si j’étais en son âge, il est sûr...

LISETTE.

Écoutez.

LA TANTE.

On a dans le Couvent la paix de tous côtés,

Au lieu que dans le monde inquiète, jalouse,

Souvent prendre un Époux c’est la mort qu’on épouse.

ANGÉLIQUE.

Il en est donc beaucoup qui cherchent à mourir ?

LA TANTE.

Depuis quand sur l’hymen savez-vous discourir ?

Vous m’apprendrez bientôt comme il faut qu’on le nomme.

LÉANDRE.

Ce Monsieur le Baron paraît bien honnête homme.

LA TANTE.

Toujours quelque enjouement à son discours est joint.

LÉANDRE.

Son humeur me plaît fort.

LA TANTE.

Il ne se contraint point,

Il dit tout ce qu’il pense.

ORONTE.

Il vous a tôt quittée ?

LA TANTE.

Je crois que de Tableaux il a l’âme enchantée,

Il ne s’en peut saouler.

LÉANDRE.

Il est encor là-haut ?

LA TANTE.

Je vais l’y retrouver.

LÉANDRE.

Ah, sans doute il le faut.

LA TANTE.

Seulement un quart-d’heure allez tenir ma place.

Bas à Oronte.

Pour rester avec vous voyez que je les chasse,

Haut à Léandre.

Je vous irai rejoindre.

ORONTE.

Ah, Madame, songez...    

LÉANDRE.

Mais le Baron dira que vous le négligez ?

LA TANTE.

La franchise jamais n’aura rien qui le blesse.

Bas à Oronte.

Dites à votre ami qu’il emmène ma Nièce.

LÉANDRE, bas à Oronte.

Vous avez de l’esprit, tirez-vous d’embarras.

Pour moi...

ORONTE.

De grâce, ami, ne m’abandonnez pas.

LÉANDRE.

Je me rendrais suspect à m’en vouloir défendre.

Il faut...

LA TANTE, à Angélique.

Faites pour moi compagnie à Léandre.

ANGÉLIQUE.

Si l’on peut le savoir qu’est-ce qu’on en dira ?

Aller seule avec lui !

LA TANTE.

Lisette vous suivra,

Vous êtes scrupuleuse.

ORONTE.

Ah détestable Tante !

 

 

Scène IV

 

LA TANTE, ORONTE

 

LA TANTE.

Je crois que vous devez avoir l’âme contente,

Du moins pour vous marquer une tendre amitié,

Je fais assez pour vous.

ORONTE.

C’est trop de la moitié,

Que dira le Baron ? que croira votre Nièce ?

LA TANTE.

La bonne Créature est simple et sans finesse,

Pour l’autre, le ménage offre assez d’embarras

Pour m’avoir donné lieu de faire ce faux pas.

J’ai supposé quelque ordre oublié par mégarde,

Et prié le Baron de n’y prendre point garde,

Que je ne le quittais que pour un seul moment ;

Il est libre et veut bien voir agir librement.

Et puis, quand cette faute irait jusqu’à l’extrême

On se pardonne tout manquant pour ce qu’on aime.

ORONTE.

Madame...

LA TANTE.

Tout de bon, s’il faut ouvrir mon cœur,

Dans votre procédé je vois tant de candeur,

Tant d’honnêteté jointe à l’ardeur la plus sage

Que pour quelque repos que m’offre le veuvage,

Je ne me croirais pas être digne du jour

Si je désespérais plus longtemps votre amour.

Perdez donc ce chagrin que votre front déploie,

Vous voulez m’épouser ? J’y consens avec joie,

Votre peine par là trouve une heureuse fin.

ORONTE.

Madame, à tant de gloire élever mon destin !

Mais que dis-je, insensé ? c’est bien mal me connaître,

Vous êtes généreuse, et je dois aussi l’être,

Le Baron d’Albikrac charmé de vos appas

Vous mettra dans un rang où je ne vous mets pas,

Vous en puis-je sans crime envier l’avantage ?

LA TANTE.

Je vous l’ai déjà dit, vous avez de l’ombrage ;

Mais pour vous en guérir, il nous faut sans façon

Faire épouser ma Nièce à Monsieur le Baron.

De quoi se plaindra-t-il ? Elle est jeune, assez belle.

ORONTE.

Ce n’est point mal pensé, mais répondez-vous d’elle ?

Vous lui faites sans cesse un Monstre de l’amour,

Et je crains...

LA TANTE.

Agissons chacun à notre tour.

Tirez-la quelquefois à l’écart, et lui dites

Que le baron me choque avecque ses visites,

Et que s’il lui plaisait vous pourriez m’obliger

À souffrir que pour elle il voulût s’engager.

Je favoriserai toutes vos confidences.

ORONTE.

C’est agréablement flatter mes espérances,

Je n’épargnerai rien afin de la toucher,

Mais il ne faudra pas d’abord l’effaroucher,

Comme sans intérêt je lui ferai connaître

Qu’une Fille se perd à vouloir toujours l’être,

Le temps fera le reste, et prenant toujours soin...

LA TANTE.

Donnez-vous tout le temps dont vous aurez besoin,

Prenez la plus commode et la plus sûre voie,

Vous ne m’en verrez point retarder votre joie ;

Je vous aime, et pour prix d’un zèle si discret

Je vous puis aisément épouser en secret.

ORONTE, bas.

M’épouser en secret ! me voilà bien, courage.

LA TANTE.

Ce soir nous signerons, demain, le mariage,

Chez moi je suis maîtresse ; et l’hymen contracté,

Lisette étant pour nous, tout est en sûreté :

Quoi, vous en soupirez ?

ORONTE.

Ah, douceurs imparfaites !

Que ne me parliez-vous tantôt comme vous faites !

Mon amour n’eût alors fait scrupule de rien,

Et Léandre jamais ne m’eût parlé du sien.

LA TANTE.

Léandre m’aimerait ?

ORONTE.

D’une amour éperdue.

LA TANTE.

Cet aveu me surprend.

ORONTE.

Ah, Madame, il me tue.

LA TANTE.

Depuis quand savez-vous que j’ai touché son cœur.

ORONTE.

Trop tard pour mon repos, trop tôt pour mon malheur.

Tantôt à l’impourvu vous savez que Léandre

Dans votre Cabinet nous est venu surprendre.

Là, voyant le Baron, plein d’un secret dépit,

Est-ce-là quelque Amant, pour Madame, a-t-il dit ?

Ayant appris la chose, Ah ! malheureux, je l’aime,

A-t-il lors ajouté, cent fois plus que moi-même ;

Et si mon triste espoir n’est par vous affermi,

Oronte, c’en est fait, vous n’avez plus d’ami.

Je vous cachais toujours cette ardeur violente ;

Mais plus j’approche d’elle et plus elle s’augmente ;

Où je ne la vois point je ne fais que languir.

À ces mots je n’ai pu retenir un soupir,

Ni m’empêcher de dire en faveur de ma flamme,

Que vous saviez déjà le secret de mon âme.

Vous m’avez prévenu, Soyez Amant heureux,

M’a-t-il dit, c’est à moi de céder à vos feux.

Quels qu’en soient mes ennuis, vous n’avez rien à craindre,

Je mourrais mille fois plutôt que de m’en plaindre,

Plutôt que d’avouer ce que je souffre. Alors

Faisant sur sa douleur de violents efforts

Il a couru vers vous, et parlé de peinture.

LA TANTE.

Vous craignez plus pour lui peut-être qu’il n’endure,

Je saurai son secret.

ORONTE.

Il voudra le cacher,

Je le connais, en vain vous croirez l’arracher.

Tandis qu’il languira d’ennui, d’inquiétude,

À démentir sa peine il mettra son étude ;

Feignant d’être content...

LA TANTE.

Nous croirons qu’il le soit.

ORONTE.

Le puis-je avec honneur ? Madame, il en mourrait.

Comme on ne m’a jamais imputé de bassesse...

LA TANTE.

Soit pour vous, soit pour lui, voyez toujours ma Nièce,

À l’hymen du Baron, mais le voici.

ORONTE, bas.

J’en tiens

Si Léandre...

 

 

Scène V

 

LA MONTAGNE, LA TANTE, ANGÉLIQUE, LÉANDRE, ORONTE, LISETTE

 

LA MONTAGNE, bas à Léandre.

Suffit, je vais rompre les chiens.

Quoi ! tous deux tête à tête ?

LA TANTE.

Est-ce un sujet de blâme ?

ORONTE.

Dans ce lieu par hasard j’ai rencontré Madame,

Qui parlait pour affaire à quelqu’un de ses gens.

LA MONTAGNE.

Diable, que vous savez prendre bien votre temps !

Ces tristes songe-creux valent pis que les autres.

N’importe, vous avez vos desseins, nous les nôtres,

Et chacun a les siens en son particulier,

Courage, rira bien qui rira le dernier.

LA TANTE, à la Montagne.

En désespérez-vous ?

Bas à Lisette.

Si tu savais, Lisette...

LA MONTAGNE.

J’ai toujours bon espoir, et connais ma Planète,

Sans rien dire pourtant je vois ce que je vois,

Mais patience.

LA TANTE.

Enfin vous vous plaignez de moi.

LA MONTAGNE.

Eh, non pas tout à fait, mais il faut laisser faire,

Tout vient avec le temps.

LA TANTE, bas à Lisette.

Vois Léandre se taire,

Qu’il est chagrin !

LA MONTAGNE.

Toujours quelque mot en passant

A votre Confidente.

LA TANTE.

Il est fort innocent.

LA MONTAGNE.

Au diable qui s’y fie ; entre vous autres Belles

Mille cœurs friponnés passent pour bagatelles,

Et de vos yeux malins si j’en crois le fracas

La multiplicité ne vous en déplaît pas.

Sur Monsieur l’Auvergnac vous faites fonds, mais baste.

LA TANTE.

C’est à tort que...

LA MONTAGNE.

Vos yeux ont je ne sais quel faste,

Un certain aigre doux si savoureux pour moi,

Que je pâme d’amour sitôt que je vous vois.

Quand nous marierons-nous, ma Reine ? sur mon âme

Je n’en puis plus.

LA TANTE.

Il faut modérer votre flamme.

LA MONTAGNE.

Sans cesse auprès de vous le cœur me fait tic tac.

Tâtez.

LA TANTE.

Ah !

LA MONTAGNE.

Vous craignez ce diable d’Auvergnac.

LA TANTE.

Mais s’il vous entendait ?

LA MONTAGNE.

Et bien, ai-je à lui plaire ?

Je m’en ris.

ANGÉLIQUE, à Oronte qui l’avait entretenue tout bas.

Non, Monsieur, il n’est pas nécessaire.

LA TANTE, à Angélique.

Qu’est-ce qu’il vous propose ?

ORONTE.

Un seul tour de jardin,

Mais elle en fait scrupule.

LA MONTAGNE.

Ah, c’est jouer au fin.

LA TANTE, à Angélique.

Vous y pouvez aller.

LA MONTAGNE.

Je découvre la pièce,

Ce qu’il sent pour la Tante, il le dit à la Nièce,

Et ne pouvant ici parler comme il l’entend,

La confidence marche.

LA TANTE.

Il est persécutant.

Quoi, toujours soupçonner ?

LA MONTAGNE.

Bon pied, bon œil, ma Tante,

Je ne saurais avoir l’âme trop surveillante,

Et comme sans dessein il ne peut s’éloigner

Au jardin tout exprès je vais l’accompagner,

S’il raisonne, du moins je saurai qu’il raisonne.

ORONTE.

Je ne l’entretiendrai que de votre personne,

De ce que vous valez.

LA MONTAGNE.

Sans vanité, je crois

Qu’il est quelques Barons plus mal taillez que moi

Ce port, cette action. Ah ! ma Tante très chère,

Si vous connaissiez bien tout ce que je sais faire :

Mais ils sortent ma foi, je veux suivre leurs pas.

LA TANTE, à Lisette.

Allez avec ma Nièce, et ne la quittez pas.

 

 

Scène VI

 

LA TANTE, LÉANDRE

 

LA TANTE.

Léandre me laisser pour une promenade ?

LÉANDRE.

J’admirais du Baron la plaisante boutade,

Et voulais voir la fin de tout ce différent.

LA TANTE.

Vous êtes bien secret.

LÉANDRE.

Moi !

LA TANTE.

Cela vous surprend.

LÉANDRE.

J’écoute le reproche et n’en sais point la cause.

LA TANTE.

Eh, j’en avais déjà soupçonné quelque chose,

Mais mon Sexe...

LÉANDRE.

De quoi me voulez-vous parler ?

LA TANTE.

Un homme quand il veut sait bien dissimuler !

Vous ne m’aimez donc pas ?

LÉANDRE.

Moi, Madame ?

LA TANTE.

Vous même.

LÉANDRE.

Si sans en rien savoir il se peut que l’on aime...

LA TANTE.

Que vous êtes injuste ! on me l’avait bien dit

Qu’à feindre on n’eut jamais tant d’adresse et d’esprit.

LÉANDRE.

Mais qui donc vous a fait ce rapport de ma flamme ?

LA TANTE.

Celui qui comme vous voit au fonds de votre âme,

Votre ami.

LÉANDRE.

Quoi, ces feux, ces amours prétendus,

Vous les savez d’Oronte ?

LA TANTE.

Oui de lui, mais bien plus.

Il m’a dit qu’ayant su combien je lui suis chère,

Vous prétendiez pour lui renoncer à me plaire,

Mourir plutôt cent fois d’un désespoir jaloux...

LÉANDRE.

Madame, Dieu me damne, il se moque de vous,

Je n’y pensai jamais.

LA TANTE.

Vous le voulez bien dire,

Mais...

LÉANDRE.

Où donc en pourrait être le mot pour rire ?

Je dis ce qu’il faut croire.

LA TANTE.

À quoi bon affecter

De nier un amour dont je ne puis douter ?

LÉANDRE.

Vous le devez pourtant.

LA TANTE.

C’est vous trahir vous-même,

Ne vous obstinez point...

LÉANDRE.

Enfin donc je vous aime ?

LA TANTE.

Quand d’Oronte aujourd’hui je n’aurais pas appris

Combien d’amour pour moi vous vous sentez épris,

Vous m’en avez tant dit ce matin même encore,

J’ai tant vu dans vos yeux que votre cœur m’adore,

Que le mien de vos feux jamais ne doutera.

LÉANDRE.

J’ai dit, vous avez vu tout ce qu’il vous plaira,

Mais je ne vous aimai cependant de ma vie.

LA TANTE.

Vous ne m’aimez pas ?

LÉANDRE.

Non, et n’en ai point d’envie.

LA TANTE.

Le terme est un peu fier, et même injurieux,

Mais j’en sais le motif, et vous en aime mieux.

Qui peut à son ami sacrifier sa flamme,

S’il était marié chérirait bien sa femme.

Peut-on assez louer cet effort de vertu ?

LÉANDRE.

Mais je vous parle net.

LA TANTE.

Vous vous êtes trop tu,

C’est d’où vient tout le mal, mais j’y vois du remède.

Sans trop en murmurer ce cher ami vous cède,

Et même s’il vous faut dire tout aujourd’hui,

J’ai du penchant pour vous beaucoup plus que pour lui.

LÉANDRE.

Est-ce en dépit des gens que selon son envie...

LA TANTE.

Non, mais en dépit d’eux on prend soin de leur vie,

Et souffrir votre mort pouvant vous secourir...

LÉANDRE.

Eh, faites-moi l’honneur de me laisser mourir.

LA TANTE.

Si quelques jours encor votre amour se veut taire,

Différons, j’y consens, mais vous aurez beau faire,

Il faudra malgré vous enfin le déclarer.

LÉANDRE, bas.

Si quelque adroit détour ne m’aide à m’en tirer,

Elle m’accablera. Madame, quand Oronte

De mon amour pour vous vous a fait le beau conte,

Ne lui parliez-vous point d’épouser ?

LA TANTE.

Dès demain,

S’il l’eût pu consentir.

LÉANDRE.

Vous l’offriez en vain,

Je ne m’étonne plus s’il a joué d’adresse.

LA TANTE.

Serait-il marié ?

LÉANDRE.

Non pas, mais...

LA TANTE.

Et bien, qu’est-ce ?

LÉANDRE.

Ce serait le trahir que vous en dire plus.

LA TANTE.

De grâce.

LÉANDRE.

Je ne puis m’expliquer là-dessus,

Il romprait avec moi s’il avait pu l’apprendre.

LA TANTE.

Je n’en parlerai point.

LÉANDRE.

Je crains trop...

LA TANTE.

Non, Léandre,

Croyez-moi.

LÉANDRE.

Vous vouliez récompenser son feu ?

Jugez s’il le peut être, il est votre Neveu.

LA TANTE.

Mon...

LÉANDRE.

Il m’a fait cent fois jurer de vous le taire.

LA TANTE.

Quoi, vous dites...

LÉANDRE.

Qu’Oronte est fils de votre Frère,

Qui laissant ce Pays pour l’Angleterre, aima

La comtesse d’Uspek qu’à son tour il charma.

De leurs amours secrets ce fruit serra la chaîne ;

Mais au moins songez bien...

LA TANTE.

N’en soyez point en peine,

Allons les retrouver, mais si vous m’aimiez ?

LÉANDRE.

Non,

Madame, vous savez que j’agis sans façon.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

ORONTE, LISETTE

 

ORONTE.

Puisqu’il faut essuyer encor cette corvée,

Sois témoin de quel air ma flamme est éprouvée,

Ne quitte point, Lisette, et demeure avec nous.

LISETTE.

Vous ne vous sentez pas d’un si cher rendez-vous ?

Vos yeux brillent de joie.

ORONTE.

Elle est étincelante.

Mais n’as-tu point appris ce que me veut la Tante ?

LISETTE.

Non, je sais seulement qu’elle m’a dit tout bas

Qu’à vous prendre à quartier je ne manquasse pas,

Qu’avec vous du jardin ici je me rendisse.

ORONTE.

De ses jaloux soupçons il faut fuir la malice.

Le refus d’y venir eût pu les éveiller.

LISETTE.

Ma foi, nous n’avons pas trop sujet de railler,

Dans la rage d’amour où son penchant l’engage,

Quoi que pour l’éblouir vous mettiez en usage,

Elle vous va serrer le bouton de bien près.

ORONTE.

Mais ayant fait Léandre épris de ses attraits,

Cette amorce jetée au moins saura suspendre...

LISETTE.

C’est vous être fort mal adressé qu’à Léandre,

Ce jeu déjà lui semble un ennuyeux parti.

ORONTE.

Je ne sais pas encor comme il en est sorti,

Seulement tout riant, sans marque de querelle,

Il est venu nous joindre au jardin avec elle,

Et m’a dit en passant que je l’avais joué.

LISETTE.

Croyez qu’il vous aura tout franc désavoué.

ORONTE.

Qu’importe ? j’aurai droit de soutenir sans cesse

Qu’il immole à mon feu la douleur qui le presse,

Et qu’ainsi je serais et sans cœur et sans foi

Si je faisais pour lui moins qu’il ne fait pour moi ;

Mais la voici.

 

 

Scène II

 

LA TANTE, ORONTE, LISETTE

 

LA TANTE.

Jugez si ma joie est la votre

Quand je fausse pour vous compagnie à tout autre,

Du jardin tout exprès j’ai su me dérober.

ORONTE.

Aussi Lisette sait...

LA TANTE.

Que vous savez fourber.

ORONTE.

Moi ?

LA TANTE.

Ne craignez rien d’elle, elle est ma confidente.

ORONTE.

Léandre aura nié l’ennui qui le tourmente ?

LA TANTE.

À quoi bon avec moi faire trop le discret ?

De tout votre artifice il m’a dit le secret,

Un obstacle importun dont votre amour s’étonne,

Vous faisait m’abuser, et je vous le pardonne,

Pourvu que l’amitié dont le nœud vous unit

Ne s’aigrisse de rien de tout ce qu’il m’a dit.

ORONTE.

Madame, je ne sais ce qu’il vous a pu dire,

Mais je sais sûrement que pour vous il soupire,

Et qu’il mourrait plutôt que vous l’avoir appris.

LA TANTE.

On fait l’amour à Londres aussi bien qu’à Paris.

ORONTE.

Qu’il s’y fasse, qu’aura cet amour qui me touche ?

LA TANTE.

Je ne veux qu’un seul mot pour vous fermer la bouche,

La Comtesse d’Uspek... Vous êtes interdit.

ORONTE, bas.

Léandre m’a joué. Qu’est-ce qu’il aura dit ?

N’étant instruit de rien je ne sais que répondre.

LA TANTE.

Et bien, sais-je la carte, et ce qu’on fait à Londres ?

ORONTE.

Madame...

LA TANTE.

Elle était belle ?

ORONTE.

Il ne m’est pas permis...

LA TANTE.

Parlez, cela sied bien dans la bouche d’un Fils.

ORONTE, bas à Lisette.

D’un Fils !

LISETTE, haut.

Quoi, jusqu’ici nous avoir fait finesse,

Monsieur, que vous étiez le Fils d’une Comtesse !

Madame, il est donc vrai ?

LA TANTE.

Tu vois qu’il en rougit,

Mon frère en fut épris aussitôt qu’il la vit,

Juge du reste.

LISETTE.

Oronte est Fils de votre Frère ?

LA TANTE.

À l’air dont il m’avait écrit pour son affaire,

Je pouvais deviner qu’il lui touchait de près,

Mais ce qui le fait taire et cause ses regrets,

C’est qu’étant mon Neveu, quelque amour qui l’engage,

L’impossibilité se trouve au mariage.

ORONTE, bas.

Le tour est d’habile homme, il le faut appuyer.

Haut.

Puisque vous savez tout je n’ai rien à nier,

Pour vous cacher mon sort, j’avais feint que Léandre...

LA TANTE.

Je le sais, mais d’aimer doit-on pas se défendre

Quand on voit que le sang nous en fait une loi ?

ORONTE.

Hélas ! combien de fois aime-t-on malgré soi ?

Quand je m’en aperçus, si vous saviez, Madame,

Les efforts que je fis pour éteindre ma flamme,

Mais toujours mon penchant plus fort que ma raison

De mes sens contre moi soutint la trahison.

Jugez de mon malheur par l’expresse défense

De vous oser jamais découvrir ma naissance,

Mon Père par serment en avait pris ma foi.

LA TANTE.

Ce m’est quelque chagrin qu’il se cache de moi,

Mais comme jusqu’à vous il ne faut pas qu’il passe,

Devant aimer son Fils, venez que je l’embrasse,

La tendresse du sang eut toujours droit d’agir.

 

 

Scène III

 

LA TANTE, ANGÉLIQUE, ORONTE, LISETTE

 

ANGÉLIQUE.

Quoi ! ma Tante, embrasser un homme sans rougir,

Vous qui condamniez tant toute ardeur indécente !

LISETTE.

Voyez le bel Oison qui remontre à la Tante.

Vous nous épiez donc ?

ANGÉLIQUE.

J’entrais sans y penser.

LISETTE.

Quand on a des Neveux on peut les embrasser.

ANGÉLIQUE.

Oronte est le Neveu de ma Tante ?

LISETTE.

Oui, sans doute.

LA TANTE.

La seule ardeur du sang est celle que j’écoute,

C’est le fils de mon Frère, il m’en a fait l’aveu.

ANGÉLIQUE.

Il est donc mon Cousin s’il est votre Neveu,

Et je dois comme vous l’embrasser.

ORONTE, l’embrassant.

Ma Cousine.

LA TANTE.

Vous l’embrassez bien fort.

ANGÉLIQUE.

C’est que je m’imagine

Qu’il faut quand on le voit régaler un Cousin.

LA TANTE.

Vous vous êtes bientôt ennuyée au jardin ?

ANGÉLIQUE.

Comme on médit de tout dans le siècle où nous sommes

J’ai craint qu’on ne m’y vît moi seule avec deux hommes,

Pratiquer vos leçons est mon plus grand souci.

LA TANTE.

Allez dans votre chambre et nous laissez ici.

Mon Neveu m’entretient d’une affaire importante.

ANGÉLIQUE.

Adieu donc, mon Cousin.

ORONTE.

Adieu, belle Parente.

LISETTE, bas à Angélique.

Le Cousinage n’est...

ANGÉLIQUE.

Léandre m’a tout dit.

 

 

Scène IV

 

LA TANTE, ORONTE, LISETTE

 

LA TANTE.

Sans mentir, vous jouez à lui gâter l’esprit,

C’est pour le renverser ; la flatter d’être belle !

ORONTE.

Est-ce qu’elle s’émeut pour une bagatelle ?

LA TANTE.

Elle a déjà pour soi des soins si complaisants...

ORONTE.

Ah, qu’une Fille est sotte à l’âge de quinze ans !

LA TANTE.

Elle en a près de vingt, et si, quoique je fasse,

Vous voyez ce que c’est.

ORONTE.

Vingt ?

LISETTE, bas.

Qu’elle a bonne grâce

D’en donner à sa Nièce et de s’en dérober !

LA TANTE.

Ôtez-moi d’un scrupule où je viens de tomber.

D’où vient qu’en lui parlant tantôt de votre flamme

Vous vouliez qu’elle sût le secret de mon âme,

Puisque vous étiez sûr que, quoi qu’on fist pour vous,

Le sang rendait l’hymen impossible entre nous ?

ORONTE.

Quoi, vous prétendriez, quand l’amour est extrême

Qu’un cœur pour raisonner fût Maître de lui même ?

Le mien trop vivement charmé de vos appas

Voulait en même temps ce qu’il ne voulait pas,

Il parlait malgré lui de ce qu’il croyait taire ;

Ah, pourquoi suis-je né le Fils de votre Frère !

Qu’il m’en coûte à la fois de gloire et de bonheur !

LA TANTE.

Vous vous en faites donc un sensible malheur ?

ORONTE.

Tel qu’il passe du ciel tout ce que peut la haine.

LA TANTE.

C’est trop, je ne vous puis plus longtemps voir en peine,

Consolez-vous.

ORONTE.

De quoi ?

LA TANTE.

Ce frère prétendu...

ORONTE, bas.

Je tremble.

LA TANTE.

Il ne m’est rien.

ORONTE, à Lisette.

Ah, me voici perdu.

LISETTE.

Votre Frère l’Anglais n’est pas votre vrai frère ?

LA TANTE.

Non, quand l’hymen joignit et son père et ma mère,

Nous étions déjà nez chacun d’un premier lit,

Dès l’enfance par là l’amitié nous unit.

Les noms de Frère et sœur l’ont depuis confirmée.

ORONTE.

Lisette.

LISETTE, bas à Oronte.

M’en voilà pour vous toute alarmée ;

Vous l’échapperez belle en parant celui-ci.

LA TANTE.

Donc pour la parenté n’ayez aucun souci,

Lisette ira ce soir nous chercher un Notaire,

Et demain en secret... Mais quoi ! c’est vous déplaire,

Le chagrin qui vous prend me le fait assez voir.

ORONTE.

Que ne vous montre-t-il où va mon désespoir !

Vous y seriez sensible et forcée à me plaindre.

LA TANTE.

Sachons donc le motif qui m’y pourrait contraindre,

Pour le Fils de mon Frère il n’est point d’embarras...

ORONTE.

Ne parlons plus d’un nom qui ne m’appartient pas,

Pour me faire son Fils c’est trop user d’adresse,

Jamais il n’eut d’intrigue avec une Comtesse,

Léandre ne l’a feint que pour vous déguiser

Qu’Oronte, quoi qu’amant, ne vous peut épouser.

LA TANTE.

Qui l’en empêcherait ?

ORONTE.

Le malheur qui m’accable.

LA TANTE.

C’est ne rien dire.

ORONTE.

Hélas ! que je suis misérable !

LA TANTE.

Mais...

ORONTE.

Contre un téméraire armez votre courroux.

 

 

Scène V

 

LA TANTE, ORONTE, PHILIPIN, LISETTE

 

PHILIPIN.

Monsieur, votre Avocat vient d’envoyer chez vous,

Il dit qu’on se prépare à vider votre affaire.

ORONTE.

Laisse-moi, son succès ne m’inquiète guère,

J’ai bien d’autres soucis.

LA TANTE.

Dites donc ce que c’est.

ORONTE.

Je sais qu’en mon destin vous prenez intérêt,

Mais de grâce, épargnez à l’ennui qui me presse

Ce qu’à taire toujours ma gloire s’intéresse,

Il suffit que le Ciel de mon bonheur jaloux

Ne veut pas consentir que je sois votre Époux.

LA TANTE.

Non, non, c’est trop vouloir m’éblouir de vos ruses,

Sur les ordres du Ciel ne cherchez point d’excuses,

Et sans tant de détours, pour fuir ce mauvais pas,

Avouez franchement que vous ne m’aimez pas.

ORONTE.

Je ne vous aime pas ! que dites-vous, Madame ?

Philipin vous dira ce qu’il sait de ma flamme ;

Combien m’a-t-il oui tant de nuit que de jour

Me plaindre en vous nommant et soupirer d’amour ?

Il a voulu cent fois en avertir Lisette.

PHILIPIN.

Votre nom prononcé, notre nuit était faite.

Mille doux souvenirs pour le mieux embraser

Lui peignaient...

LA TANTE.

Pourquoi donc ne me pas épouser ?

ORONTE.

Par un sort si cruel qu’à peine j’en respire.

LA TANTE.

Mais enfin quel est-il ?

ORONTE.

Je ne puis vous le dire.

LA TANTE.

Vous ne le pouvez ?

ORONTE.

Non.

LA TANTE.

Ce sont là ces beaux feux ?

De grâce...

ORONTE, bas à Philipin.

Ah, Philipin, secours-moi si tu peux,

Suppose, invente, mens.

PHILIPIN, bas à Oronte.

Moi, Monsieur, que dirai-je ?

LA TANTE.

Si bien que le silence est votre privilège ?

Il vous faut bonnement croire sur votre foi.

ORONTE.

Madame.

LA TANTE.

Adieu, Monsieur, vous vous moquez de moi,

Vos secrets sont à vous, et je vous en tiens quitte,

Mais je vous prie aussi, plus aucune visite.

ORONTE.

Ah ! Dieux !

LA TANTE.

Jamais de vous je n’en veux recevoir.

ORONTE.

Quoi, vous me priveriez pour toujours de vous voir,

Il faut donc que je meure ; est-ce là votre envie ?

LA TANTE.

Non, je veux seulement...

ORONTE.

Il y va de ma vie.

LA TANTE.

Vous ouvrant avec moi vous ne hasardez rien.

Je vous aime.

ORONTE.

Il est vrai, je le connais trop bien,

Mais il m’est si honteux que vous sachiez l’affaire.

LA TANTE.

Honteux ou non, enfin ce choix seul est à faire,

Il faut me dire tout, ou ne me voir jamais.

ORONTE.

Parlez donc à Léandre, il sait tous mes secrets.

S’il se tait, s’il craint trop pour un ami qu’il aime,

Je pourrai m’enhardir à m’expliquer moi-même,

J’en chercherai la voie, et sorts pour y rêver.

PHILIPIN, bas.

La fourbe est commencée, il la faut achever.

 

 

Scène VI

 

LA TANTE, PHILIPIN, LISETTE

 

LA TANTE.

A-t-on rien vu d’égal au procédé d’Oronte ?

PHILIPIN.

Quelquefois on a peine à surmonter la honte.

LA TANTE.

Ah ! Philipin, dis-nous...

PHILIPIN.

Léandre sait le tout.

LISETTE.

Penses-tu qu’aisément nous en venions à bout ?

Ils s’entendent l’un l’autre.

PHILIPIN.

Et si je vais trop dire,

Quand mon dos pâtira, vous n’en ferez que rire.

LA TANTE.

Va, je prends tout sur moi.

LISETTE.

Mais enfin tu sais bien

Que ton Maître consent qu’on ne nous cache rien.

PHILIPIN.

Il est vrai ; vous saurez en tout cas me défendre.

LA TANTE.

Ne crains rien.

PHILIPIN.

Oyez donc ce qu’il vous plaît d’apprendre,

Un voyage Breton fait très mal à propos

Aujourd’hui de mon Maître est le trouble repos.

Pour joindre un Ennemi qui tirait en arrière,

Il s’y fit appeler Monsieur de la Rapière,

Et sous ce nom d’emprunt sût si bien se cacher

Qu’en six jours il trouva ce qu’il venait chercher,

Il vit son Ennemi, le força de se battre,

Reçut un coup d’épée, et le perça de quatre,

Et craignant les Prévost il fuit, et sans façon

Fut demander asile au Château d’un Baron.

Le baron, et ce fut le malheur de mon Maître...

LA TANTE.

On l’appelle ?

PHILIPIN.

Et par où le pourriez-vous connaître ?

Au fonds de la Bretagne avez-vous des Agents ?

LA TANTE.

La naissance en tous lieux fait connaître les gens.

PHILIPIN.

D’Albikrac. On le tient un des plus galants hommes...

LA TANTE.

Lisette.

LISETTE, à Philipin.

Parle bas, ce Baron que tu nommes...

PHILIPIN.

Et bien ?

LISETTE.

Avec Léandre il est dans le jardin.

PHILIPIN.

Ah ! c’est fait de mon Maître, et j’en crains bien la fin.

LA TANTE.

Tu connais à quel point son intérêt m’engage,

Achève.

PHILIPIN.

Le Baron était lors en voyage.

Une Sœur qu’il avait le reçut au Château,

Fit penser la blessure, et puis, c’est là le beau.

En se communiquant tous deux ils s’enflammèrent,

Se virent en secret, en secret se parlèrent,

L’occasion riait, le diable s’en mêla,

Mon Maître fit le fou, la Dame pullula,

La voilà grosse enfin de qui que ce put être.

LA TANTE.

Quoi, ne nous dis-tu pas que ce fut de ton Maître ?

PHILIPIN.

Je crois qu’à sa grossesse il peut n’avoir pas nui,

Mais la Belle était douce à bien d’autres qu’à lui,

Et sur quelques soupçons ayant fait sentinelle,

Il entrevit de nuit un Galant avec elle,

Et lors ne voulant plus en entendre parler

Jusques en Angleterre il alla prendre l’air.

D’autre part le Baron dont l’âme est assez fière

Jura d’exterminer le pauvre la Rapière,

Et sachant au retour ce qui s’était passé,

Voilà contre son nom un procès commencé.

Ainsi qu’un vagabond sans feu ni lieu ni race

La Rapière est pendu soudain par Contumace.

Jugez si quand de tout il nous faut défier,

Mon Maître en cet état s’oserait marier.

LA TANTE.

Je le blâmais d’abord d’abuser une fille

Dont la gloire intéresse une illustre famille,

Mais qui peut écouter deux Galants tour à tour

Mérite la disgrâce où la plonge l’amour.

L’honneur sur un seul choix fixe les feux pudiques.

PHILIPIN.

On se moque aujourd’hui de ces honneurs uniques,

Et chacun comme il peut vivant sur le commun

C’est n’avoir point d’amant que de n’en avoir qu’un ;

Mais, Madame, cela ne fait point notre affaire.

LA TANTE.

Il faudrait par amis...

PHILIPIN.

L’a-t-on pas voulu faire ?

Autant de temps perdu. Ce diable de Baron,

Quoi qu’on puisse alléguer, ne change point de ton,

Toujours parle de pendre, et rien à l’amiable.

LA TANTE.

Le voici, je veux voir s’il est si peu traitable.

PHILIPIN.

Ah ! Madame, gardez de lui rien déclarer

Que mon Maître avec vous n’en ait pu conférer.

LA TANTE.

Va, n’appréhende point que je lui puisse nuire.

PHILIPIN, bas.

Il s’en va tout gâter, comment l’oser instruire ?

 

 

Scène VII

 

LA TANTE, LA MONTAGNE, LISETTE, PHILIPIN

 

LA TANTE.

Qu’est devenu Léandre ? Il n’est point avec vous.

LA MONTAGNE.

Il entretient tout bas votre futur Époux,

D’intention, s’entend, car quoi qu’il se figure,

La consommation n’est pas encor trop sûre,

Jamais on n’a tenu contre les Albikracs.

LA TANTE.

Je le crois.

LA MONTAGNE.

Pas trop fou qui suit mes Almanachs.

LA TANTE.

Ils doivent être bons, mais avant que d’en prendre,

Baron, quand vous aimez avez-vous le cœur tendre ?

LA MONTAGNE.

Comment tendre ?

LA TANTE.

Il m’en faut une preuve aujourd’hui.

PHILIPIN, à la Montagne bas sans faire semblant de lui parler.

La Rapière pendu, ta sœur grosse de lui.

LA TANTE.

Et quoi, vous hésitez ?

LA MONTAGNE.

Non, ma poupine veuve,

Ordonnez, j’ai pour vous un cœur à toute épreuve.

LA TANTE.

Un certain la Rapière...

LA MONTAGNE.

Il fut un peu pendu

Pour avoir...

LISETTE, l’interrompant.

C’est le moins qui lui pût être dû.

Affronter un Baron !

LA TANTE.

Sans doute il est coupable.

LA MONTAGNE.

Aussi je vous le fis brancher comme un beau diable,

Vous l’eussiez vu...

LISETTE.

Ce fut devant votre Château

Que vous fîtes dresser sa Figure en tableau ?

Si jamais il est pris vous lui ferez grand chère.

PHILIPIN, bas.

Pour peu qu’il parle encor adieu tout le mystère.

LA MONTAGNE, bas.

Que diable a-t-il fait croire, et que dit celle-ci ?

PHILIPIN, à la Tante.

Voir que vous sachiez tout lui donne du souci.

LA TANTE, à la Montagne.

D’un affront si cruel le souvenir vous fâche,

Mais les fautes d’autrui ne sont pas...

LA MONTAGNE.

Ah ! le lâche !

La douleur dont m’accable un si dur souvenir...

Ami, pour un moment daigne me soutenir,

Je n’en puis plus.

Il fait semblant de se trouver mal et s’appuie sur Philipin qui lui conte tout à l’oreille.

LA TANTE.

Lisette, il faudrait...

LA MONTAGNE.

Non, Madame,

Ce n’est rien.

LISETTE, à la Tante.

Ces malheurs ablatent bien une âme,

Plus la naissance est haute, et plus on les ressent.

LA TANTE.

Qu’une Fille est par tout un meuble embarrassant !

LISETTE.

Si j’étais que de vous, et que j’eusse une Nièce,

Je saurais m’en défaire aussitôt.

LA TANTE.

Rien ne presse,

Voyons auparavant quel sera mon destin.

LISETTE.

Oronte a su toucher votre cœur, mais enfin

Le Baron sans réserve aspirant à vous plaire

Je prendrais le plus sûr.

LA MONTAGNE, bas à Philipin.

J’entends, laisse-moi faire.

PHILIPIN, bas à la Montagne.

Dis qu’il sera pendu tout au moins.

LA MONTAGNE, à la Tante.

Pardonnez

Le désordre où mes sens se sont abandonnés.

La douleur m’a d’abord suffoqué la parole.

LA TANTE.

L’accident est de ceux dont rien ne nous console,

Et j’avoue...

LA MONTAGNE.

Il est vrai, je sais qu’il serait mieux

Que de honte et d’ennui j’en mourusse à vos yeux,

Mais ma Sœur dont le sexe est moins fort que le notre

A fait une folie, et j’en ferais une autre.

Vivons donc s’il vous plaît nonobstant son délit,

C’est son affaire.

LA TANTE.

Il faut vous en guérir l’esprit,

Et pour faire finir les ennuis qu’il vous cause

Avecque la Rapière accommoder la chose.

LA MONTAGNE.

Moi, j’accommoderais ? vous ne songez donc pas

Que de tous cas vilains c’est le plus vilain cas ?

Comment ? dans un Château dont l’antiquité brille

Venir de guet-apens déhonter une fille,

Duper sa prud’homie à force de douceurs,

De ma sœur qu’elle était la faire de nos sœurs,

Et quand il en est saoul lui tourner le derrière !

Ah ! vous serez pendu, Monsieur de la Rapière.

LA TANTE.

Je sais qu’il est coupable, et je l’ai dit d’abord,

Mais il est des moments où l’amour est bien fort,

Et pour un peu d’empire usurpé sur son âme

Le malheureux qu’il est sera...

LA MONTAGNE.

Pendu, Madame.

À la sœur d’un Baron apprendre à provigner !

LA TANTE.

Quoi, ne pouvoir souffrir qu’on tâche à vous gagner,

Et contre un Gentilhomme avoir l’âme si fière.

LA MONTAGNE.

Oui, pendu lui, vous dis-je, et sa gentilhommière.

Ne tient-il qu’à venir affronter des Barons ?

Par son cou, sans ressource.

LA TANTE.

Et bien, nous le verrons.

M’aimez-vous ?

LA MONTAGNE.

Les transports dont ma flamme est suivie,

Ne vous font que trop voir...

LA TANTE.

Donnez-moi donc sa vie,

Sans cela, point de foi.

LA MONTAGNE.

Qui diable en demi-jour

Vous est déjà pour lui venu faire la Cour ?

Vous en a-t-on appris le pays, la naissance ?

LA TANTE.

Signons sa grâce, après entière confidence.

LA MONTAGNE.

Signons, puisqu’il le faut, mais à condition

Que vous ne ferez point languir ma passion,

Et que dès aujourd’hui par bon contrat en forme

J’aurai droit de vous dire, attendez moi sous l’orme.

Sans cela point d’accord.

LA TANTE.

Vous prendre pour époux

Ne serait pas sans doute assez faire pour vous.

Ma Nièce est jeune et riche, allez, je vous la donne.

LA MONTAGNE.

Et moi, je vous la rends, vous me la baillez bonne.

Je hais ces yeux fripons dont la malignité

Est, dit-on, fort sujette à la fragilité.

Par la moindre douceur leur friandise émue    

Laisse égarer soudain leurs regards vers la rue,

Et pour peu qu’un Galant prenne la bale au bond...

LA TANTE.

Ma Nièce ne vit pas comme les autres font,

J’ai pris soin de l’instruire, et je répondrai d’elle.

LA MONTAGNE.

D’accord, mais...

LA TANTE.

Elle est riche, et de plus...

LA MONTAGNE.

Bagatelle,

C’est à vous que j’en veux.

LA TANTE.

Mes beaux ans sont passez,

J’enlaidis tous les jours.

LA MONTAGNE.

Plaisez-moi, c’est assez.

LA TANTE.

Vous ne voulez pas voir que j’avance dans l’âge,

Que je n’ai plus...

LA MONTAGNE.

Tant mieux vous en serez plus sage.

LA TANTE.

On m’a parlé de vous, je ne le puis nier,

Mais sitôt que je songe à me remarier,

Les soins que le Défunt prit toujours de me plaire,

Ce que pour m’attendrir il s’efforçait de faire,

Tout cela me ramène un souvenir si doux,

Qu’à faire choix d’un autre en vain je me résous.

Je ne suis plus moi-même aussitôt qu’il me frappe.

LA MONTAGNE.

Vous l’avez bien trouvé, c’est par là qu’on m’attrape.

LA TANTE.

Que Lisette...

LA MONTAGNE.

Employez et le vert et le sec,

Pour me faire passer la plume par le bec,

Nous verrons qui de nous y trouvera son compte.

LA TANTE.

Quoi donc...

LA MONTAGNE.

Vous mitonnez le taciturne Oronte,

Et si jamais l’hymen le met entre vos bras

Vous prendrez patience, et n’en pleurerez pas.

LA TANTE.

Mais si je ne sens point pour vous grande tendresse ?

LA MONTAGNE.

Si je n’en sens non plus pour votre sotte Nièce ?

LA TANTE.

Qu’a-t’elle de si sot pour vous en dégoûter ?

LA MONTAGNE.

Et qu’ai-je de si laid pour me tant rebuter.

LA TANTE.

Vingt mille écus pour elle ont entré dans la masse.

LA MONTAGNE.

Mille Barons et plus sont sortis de ma race.

LA TANTE.

Mon bien en l’épousant vous est sûr quelque jour.

LA MONTAGNE.

Vous devenez Baronne en payant mon amour.

LA TANTE.

Mais quand ce ne serait que cet hymen m’importe.

LA MONTAGNE.

Serviteur.

LA TANTE.

À la fin la colère m’emporte.

Ah ! le vilain magot qui refuse les gens.

LA MONTAGNE.

Ah ! la laide Guenon qui jase à soixante ans.

LA TANTE.

Quoi joindre impudemment le mensonge à l’injure,

Soixante ans !

LA MONTAGNE.

Oui, soixante, à fort bonne mesure,

Et je le maintiendrai devant votre Mignon,

Je le connais.

LISETTE.

Voyez le joli Compagnon

Qui nous donne des ans, elle n’en a pas trente.

LA MONTAGNE.

Le blondinage a l’art de m’escroquer la Tante,

Et chacun pour soi même agissant comme il peut

Je laisse heureux Oronte à qui seul on en veut.

Pour vous garder à lui vous m’avez fait la pièce

De vouloir sottement m’endosser de la Nièce.

L’affront pour un Baron est un outrage indu,

Mais la Rapière aussi, net, il sera pendu.

Adieu, Tante.

 

 

Scène VIII

 

LA TANTE, LISETTE

 

LISETTE.

Il s’en va bien outré.

LA TANTE.

Mais, Lisette,

Par où sortir du trouble où son refus me jette.

LISETTE.

Moi, je ne vous dis rien.

LA TANTE.

Qu’Oronte est malheureux !

LISETTE.

Vous courez grand hasard de les perdre tous deux,

Craignant d’être surpris, et que quelque lumière

Ne découvre au Baron qu’Oronte est la Rapière,

Il va gagner pays.

LA TANTE.

Pour fuir ce dur ennui,

Lisette, allons de tout conférer avec lui.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

ANGÉLIQUE, ORONTE, PHILIPIN

 

ANGÉLIQUE.

Quoi ! par un faux Baron avoir dupé ma Tante ?

La pièce est un peu forte.

ORONTE.

Elle était importante,

Et sans son entremise il s’offrait peu de jour

A vous pouvoir montrer l’excès de mon amour.

C’est lui qui m’a tiré de l’embarras extrême

Où vous m’avez réduit en feignant que je l’aime,

Et Philipin eût vu sa fourbe sans effet

S’il n’eût pas confirmé le conte qu’il a fait.

La Montagne est adroit et jouera bien son rôle.

ANGÉLIQUE.

Le bon est que de tout Lisette la console,

Et ne lui laisse voir rien d’égal au dessein

De vous sauver la vie en lui donnant la main.

Elle a si bien tourné son âme irrésolue

Que par elle ou par moi votre affaire est conclue,

On a fait revenir le Baron tout exprès.

PHILIPIN.

Ils sont à disputer encor sur nouveaux frais.

J’écoutais tout à l’heure, et d’une ardeur semblable

L’un nommait la Rapière et jurait comme un diable,

Et l’autre soutenait que quoi qu’il fût Baron,

Sa Nièce valait bien qu’il signât le pardon.

Léandre feint entr’eux d’avoir l’âme incertaine.

ORONTE.

Il travaille pour nous, n’en soyons point en peine.

ANGÉLIQUE.

Mais pouvez-vous penser, quand ma Tante apprendra

Qu’un Baron supposé...

ORONTE.

Le vrai Baron viendra.

Je vous ai déjà dit qu’arrêté pour affaire

Il n’avait su partir comme il le croyait faire,

Et que par un Pouvoir que j’avais d’aujourd’hui

Il me donne plein droit de tout signer pour lui.

Le voici, dans vos mains il sera l’assurance

De l’hymen dont on a flatté son espérance ;

Le Baron d’Albikrac se trouvant des mieux faits

N’aura pas grande peine à faire notre paix.

Il lui faut jusques là cacher le stratagème.

ANGÉLIQUE.

Mais quand il l’aura vue, êtes vous sûr qu’il l’aime ?

ORONTE.

Qu’importe ? elle est fort riche, et lui fort endetté,

C’est son bien qu’il épouse, et non pas sa beauté.

Pourvu qu’il trouve l’un il la quitte de l’autre.

PHILIPIN.

Que j’aye aussi mon compte en vous donnant le vôtre,

J’aime Lisette.

ANGÉLIQUE.

Va, nous songerons à toi.

PHILIPIN.

Après tout, votre amour ne tenait rien sans moi,

Avouez que pour vous la Rapière a fait rage.

ANGÉLIQUE.

J’entends, tu n’en es pas à ton apprentissage.

ORONTE.

Le nom de la Rapière et la Sœur du Baron,

Grâce à son bel esprit, sont traits d’invention.

Le reste est effectif, et regarde l’affaire

Où de tous vos amis l’appui m’est nécessaire.

D’un Breton laissé mort redoutant les Parents

Au Château du Baron aussitôt je me rends,

La nuit par son conseil je quitte la Bretagne,

Jusqu’à Londres en secret lui-même il m’accompagne,

Et lui devant beaucoup, il m’est doux aujourd’hui

De trouver quelque voie à m’acquitter vers lui.

Par son grand bien la Tante est pour lui des plus belles,

Et sur ce qu’il m’écrit...

 

 

Scène II

 

ANGÉLIQUE, ORONTE, LISETTE, PHILIPIN

 

LISETTE.

Voici bien des nouvelles

Armez-vous de constance et faites l’esprit fort,

On va vous prononcer la sentence de mort,

Le Baron pour cela se fait tenir à quatre,

De ses emportements il ne veut rien rabattre,

Et la Tante ne peut y mettre le holà

Qu’en mettant dans vos bras la Belle que voilà.

Voyez si vous pourrez souffrir ce coup de foudre.

PHILIPIN.

Va quérir un Docteur afin de l’y résoudre,

Tu vois comme il en a l’esprit tout consterné.

LISETTE.

Pour en amener un l’ordre est déjà donné,

Cascaret est couru d’abord chez le Notaire.

ORONTE.

En croirai-je vos yeux ?

ANGÉLIQUE.

Ils ne peuvent se taire,

Et vous marquent assez ce que mon cœur ressent.

LISETTE.

Au lieu d’une douceur vous vous en direz cent,

Mais bouche close ici, renfermez votre joie,

J’ai peur que notre Tante avec lui ne vous voie,

Elle est preste à venir, et le moindre soupçon

Nous ferait avorter la fourbe du Baron.

Rentrez, future épouse, attendant qu’on vous mande.

ORONTE.

M’aimez-vous ?

ANGÉLIQUE.

Jugez-en.

ORONTE.

Parlez.

ANGÉLIQUE.

Quelle demande !

Combien de fois déjà...

ORONTE.

Daignez le répéter.

ANGÉLIQUE.

Adieu, j’en diois trop si j’osais écouter.

 

 

Scène III

 

ORONTE, LISETTE, PHILIPIN

 

LISETTE.

Hé bien ?

ORONTE.

Je te dois tout, si son cœur est sensible

C’est par toi...

LISETTE.

Vous doutiez qu’il pût être flexible,

Croyez-moi, s’il en est qu’on voit s’en affranchir,

C’est faute de trouver qu’il les veuille fléchir.

On vient à bout de tout avec un peu d’étude,

Je n’en excepte pas la vénérable Prude,

Qui fuyant moins l’amour qu’elle ne fuit l’éclat,

Exprès pour n’en point faire est la dupe d’un fat.

À la voir ne souffrir Blondin ni galant homme

C’est la même vertu, cependant, c’est tout comme.

ORONTE.

Ton sexe te doit trop.

LISETTE.

Je hais les sots détours,

Et j’enrage de voir ce qu’on voit tous les jours,

De ces Sages du temps, de ces demi-Béates

Qui sur le point d’honneur faisant les délicates,

En tous lieux par un zèle aussi faux qu’indiscret

Prêchent contre l’amour qu’elles font en secret.

Sur leurs lèvres toujours la vertu se déploie,

Beau dehors par la langue, et du reste, à cœur joie.

Quant à moi je dis fy de ces contrefaçons,

Point de déguisement, point de...

PHILIPIN.

Bonnes leçons !

Donc si je t’épousais, et qu’il te prît envie

De me faire augmenter la grande Confrérie,

Tu viendrais franchement me le dire à mon nez ?

LISETTE.

Le grand mal !

PHILIPIN.

Il s’étend jusqu’aux plus raffinés ;

Mais si pour s’en sauver un Mary ne voit goute,

Du moins sans qu’il le sache, il suffit qu’il s’en doute,

Si nous en venons là, dissimulons tous deux,

Autrement...

LISETTE, à Oronte.

Faites bien le plaintif, le piteux,

La Tante vient.

 

 

Scène IV

 

ORONTE, LA TANTE, LISETTE, PHILIPIN

 

ORONTE.

La perdre ! ah ! douleur qui me tue !

LISETTE.

Tâchez d’en avoir l’âme un peu moins abattue.

Si l’on trompe vos feux c’est pour vous secourir.

ORONTE.

Ah, qu’il vaudrait bien mieux qu’on me laissât périr !

Tu dis que cet Hymen lui tient lieu de supplice,

Qu’elle fait en tremblant ce triste sacrifice,

Qu’au Baron à regret elle donne la main ?

LA TANTE.

Plaignez-moi : mon malheur, Oronte, est trop certain.

Vous le savez, pour moi l’hymen est une peine,

Par pitié de vos feux j’étouffais cette haine,

Et pour vous garantir d’un infâme trépas

Il me faut épouser ce que je n’aime pas,

Me livrer au Baron.

ORONTE.

Au Baron ! Ah, Madame !

LA TANTE.

Que de douceurs, hélas ! va perdre votre flamme !

La mienne chaque jour, si l’hymen nous eût joints,

Eût charmé votre cœur par mille tendres soins,

Je vous aurais chéri, témoigné...

ORONTE.

Quelle rage !

PHILIPIN.

La bonne âme !

LA TANTE.

Ah ! pourquoi n’étiez-vous pas plus sage ?

Pour la sœur du Baron, quoi qu’elle eût de charmant,

Fallait-il de vos feux croire l’emportement ?

S’y trop abandonner, n’en prévoir pas la suite ?

ORONTE.

Personne ne veillait dessus notre conduite,

Hors une vieille Tante à tous moments au lit

Rien ne mettait obstacle au feu qui nous surprit,

La Belle d’un coup d’œil forçait tout à se rendre,

Je n’étais pas de marbre, elle avait le cœur tendre,

Cent faveurs m’assuraient d’un amour mutuel.

Madame, était-ce à moi de faire le cruel ?

Sans ce Galant surpris elle m’était si chère,

Qu’afin de l’épouser j’eusse attendu son Frère,

Mais plutôt...

LA TANTE.

Par argent si nous tâchions...

ORONTE.

Abus,

J’ai fait offrir six fois jusqu’à dix mille écus,

Mais à moins d’épouser...

LA TANTE.

Il faut donc me résoudre

A devenir sa femme afin de vous absoudre,

Un veuvage éternel me serait bien plus doux.

ORONTE.

Et bien demeurez Veuve.

LA TANTE.

Et que deviendrez-vous ?

Le Baron a juré votre ruine entière.

Ah ! que si vous pouviez n’être point la Rapière.

PHILIPIN.

Sa Rapière a fait rage, il en a pris le nom,

Voilà que c’est d’occire.

ORONTE.

Évitant le Baron

Que craindrai-je ? Candie est un pote honorable,

J’irai contre le Turc...

PHILIPIN.

J’irai contre le Diable ?

Le Turc, Madame !

LA TANTE.

Non, si le Ciel ne veut pas

Qu’un doux et chaste nœud me mette entre vos bras,

Du moins pour m’empêcher de vivre infortunée

Attachez-vous à moi par un autre hyménée.

Ma Nièce...

LISETTE.

Elle est pour lui toujours à dédaigner,

C’est pis qu’un hérétique, on n’y peut rien gagner.

Hors vous, rien ne lui plaît.

LA TANTE.

Mais on la trouve aimable.

ORONTE.

Madame, si l’on veut elle est incomparable,

Mais je mourrais d’ennui si j’étais son époux,

Chacun voit par ses yeux.

PHILIPIN.

Comme il le baille doux,

L’entend-il ?

LA TANTE.

Cependant quoi que nous puissions faire

Le Baron sans cela refuse votre affaire,

Point d’accommodement.

ORONTE.

Et par quel intérêt ?

LA TANTE.

Il croit que votre hymen est tout ce qui me plaît,

Que je me garde à vous, et pour son assurance

Il vous veut voir tous deux mariez par avance.

ORONTE.

Et ne vous peut-il pas épouser dès demain ?

LA TANTE.

Non, une grande affaire en suspend le dessein,

Il faut qu’auparavant il retourne en Bretagne.

ORONTE.

Et moi, je me dispose à faire une campagne,

Ce que je souffrirais par l’hymen chaque jour

Rend la guerre pour moi préférable à l’amour,

J’y vais prendre parti.

PHILIPIN.

C’est afin qu’on nous tue,

Il a la rage au cœur de vous avoir perdue,

Madame, ayez pitié du Maître et du valet.

 

 

Scène V

 

LA TANTE, ORONTE, LÉANDRE, PHILIPIN, LA MONTAGNE, LISETTE

 

LA MONTAGNE.

Nous nous sommes lassez de garder le mulet.

Pour pouvoir si longtemps nous laisser en attente,

Il faut que vous ayez l’âme bien contestante.

Est-ce fait ? Quant à moi dire et faire n’est qu’un.

ORONTE.

Vous avez grande hâte.

LA MONTAGNE.

Oui, j’en suis importun,

Mais c’est mon naturel d’être prête à tout faire.

Signerons-nous ? C’est là ma plus pressante affaire.

LA TANTE.

Vous aurez le bonheur que votre amour attend.

LA MONTAGNE.

Nous n’avons point parlé combien d’argent comptant,

Il m’en faut quelque peu, ne fût-ce que pour faire

Un train digne du rang de défunte ma Mère,

Je suis dans nos quartiers le Premier des Barons.

LÉANDRE.

Le Notaire venu, nous le stipulerons,

Madame est raisonnable.

LA MONTAGNE.

Il le faudra superbe.

À Oronte.

Vous pensiez sous le pied me pouvoir couper l’herbe,

Blondin, mais s’il vous plaît rengainez vos amours,

La Tante...

ORONTE.

Oui je l’aimais, et l’aimerai toujours,

Et quand vous me l’ôtez plein d’une fière audace,

Ce trait de raillerie est de méchante grâce.

Si pour vous contre moi ses propres intérêts...

LA MONTAGNE.

Quoi diable, en un besoin il ferait le mauvais ?

Allez, je vous accepte avec joie infinie

Pour très digne Neveu de notre Baronnie.

Je vous donne la Nièce, et vous fais son époux.

ORONTE.

Non pas, quand il faudrait...

LA MONTAGNE.

Comment l’entendez-vous,

Ma Tante ?

ORONTE.

Mais comment l’entendez-vous vous même ?

Ne vous suffit-il pas de m’ôter ce que j’aime ?

Faut-il...

LA MONTAGNE.

Criez, pestez autant qu’il vous plaira.

Savez-vous de ceci ce qui résultera ?

La Rapière... autant vaut.

LA TANTE, à Oronte.

Mon cher Monsieur.

ORONTE.

Madame.

LA MONTAGNE.

On me le doit livrer.

LA TANTE.

Que je touche votre âme.

Sauvez un malheureux dont je prends l’intérêt.

ORONTE.

Autant que je le puis je veux ce qui vous plaît,

Mais vous perdre, et penser qu’une autre me fût chère !

LÉANDRE.

Madame vous en prie. Il faut la satisfaire.

ORONTE.

Mais sa Nièce jamais ne voudra...

LA TANTE.

Veuille ou non,

J’en réponds.

ORONTE.

Elle espère épouser le Baron,

Le rang qu’il tient la charme, elle en est entêtée,

Et l’en ayant tantôt par votre ordre flattée...

LA MONTAGNE.

Lors que par les Parents un Hymen est réglé,

Je voudrais devant moi qu’une Fille eût soufflé,

Comme je vous... holà, qu’on m’appelle Angélique.

Pour Nièce de par vous me sera-t-elle unique ?

Pour moi, j’ai quantité de jeunes Baronneaux

Que je vous vais donner pour Neveux tous nouveaux,

Sans le petit Rapière, il n’entre point en compte.

LA TANTE.

Épousez-là de grâce, et me laissez Oronte.

Épargnez-lui l’ennui de me voir dans vos bras,

Il m’aime tant.

LA MONTAGNE.

Et moi, ne vous aimai-je pas ?

LA TANTE.

Je ne sais.

LA MONTAGNE.

Quoi, dix fois on m’a pour la Rapières,

Avec dix mille écus fait très humble prière,

Je le dépends gratis dès que vous m’en priez,

Et malgré tout cela vous vous en défiez ?

LA TANTE.

Mais vous dites que j’ai...

LA MONTAGNE.

C’est que je goguenarde.

LA TANTE.

Vous me trouvez si laide ?

LA MONTAGNE.

Y faut-il prendre garde ?

LA TANTE.

L’affront me tient au cœur.

LA MONTAGNE.

Et moi, fort à l’esprit.

Avez-vous oublié ce que vous m’avez dit ?

LA TANTE.

Il faut qu’un galant homme endure tout des femmes,

Et se venger du sexe est des petites âmes.

LA MONTAGNE.

Quoi, vous aurez le droit de m’appeler Magot,

Il sera des Guenons, et je ne dirai mot ?

Je suis mutin en diable alors qu’on m’injurie,

Je ris quand on veut rire, et j’entends raillerie,

Et pour vous faire voir qu’on ne me peut payer,

Sitôt qu’il vous plaira nous entretutoyer,

Sans rancune et sans fiel, volontiers, va, Mignonne,

Je serai ton Magot, tu seras ma Guenonne,

Nous choisirons ainsi cent jolis petits noms.

 

 

Scène VI

 

LA TANTE, ANGÉLIQUE, ORONTE, LÉANDRE, LA MONTAGNE, LISETTE, PHILIPIN

 

LA MONTAGNE.

La Belle, il faut vouloir ce que nous ordonnons,

C’est sans aucun appel ; en fille obéissante

Oyez ce qu’avec nous a résolu la Tante.

LA TANTE.

On vous donne un Époux, Monsieur prend ce souci.

LA MONTAGNE.

Faites la révérence, et dites grand merci,

Bouchonne, dès demain vous aurez l’avantage

De savoir quelle joie on trouve au mariage,

Pour réveiller les sens rien n’est plus souverain.

ANGÉLIQUE.

Oronte dès tantôt m’a dit votre dessein,

J’avais pour le Couvent l’intention fort bonne,

Mais pour m’ouïr nommer Madame la Baronne,

Me voir grand équipage...

LA MONTAGNE.

Ah ! friand petit nez,

De votre chef ainsi vous vous embaronnez ?

En fait de ce qui flatte, et doit donner à rire,

La chatte a le goût bon, et ne prend pas le pire.

ANGÉLIQUE.

Ne m’avez-vous pas dit que vous vouliez...

LA MONTAGNE.

Toux doux,

Un Baron tel que moi n’est pas viande pour vous,

Un mets si délicat n’est que pour une Tante.

ANGÉLIQUE.

Ma Tante sans mari vit heureuse et contente,

Et plutôt qu’à l’hymen on la pût disposer,

Elle serait...

LA TANTE.

Il faut vous entendre jaser,

Où va-t-elle ?

ANGÉLIQUE.

Je sorts de peur de vous déplaire.

LA MONTAGNE.

Vous ne vous sauriez donc marier et vous taire ?

Venez, voilà le beau qu’on vous a destiné.

ANGÉLIQUE.

Oronte !

LA MONTAGNE.

Il est dispos, allègre, bien tourné.

ANGÉLIQUE.

N’importe.

LA TANTE.

Vous voulez, je pense, être priée.

ANGÉLIQUE.

Je suis trop jeune encor pour être mariée.

LISETTE.

Voyez, elle en mourrait.

LA MONTAGNE.

Que d’importuns débats !

Finissons en deux mots ; veut-on, ne veut-on pas ?

ORONTE.

Mais en quoi mon Hymen importe-t-il au votre

Pour vouloir que...

LA MONTAGNE.

C’est là me prendre pour un autre,

Il me faut faire un tour en Bretagne, et tandis

Vous auriez tout loisir de vous être ébaudis.

Moi parti, la Rapières absous, la chère Tante

Vous prenant pour Mary croirait vivre contente,

Il n’est contrat signé qui m’en pût garantir.

ORONTE.

Et bien, mariez-vous avant que de partir.

Un jour plus, un jour moins ne vous importe guères,

Et...

LA MONTAGNE.

Mon futur Neveu chacun sait ses affaires.

Donnez la main.

ANGÉLIQUE.

Moi ?

LA MONTAGNE.

Vite, et sans plus raisonner.

LA TANTE.

La Sotte !

LISETTE.

Donnez-la puisqu’il la faut donner,

Vous fâchez votre Tante.

ANGÉLIQUE.

Elle en parle à son aise,

Quand on a des Barons...

LA MONTAGNE.

Vous plaît-il qu’il vous plaise ?

ANGÉLIQUE.

Il faut bien obéir, mais je ne répons pas

Qu’à vaincre mon dégoût jamais Oronte...

LA MONTAGNE.

Hélas,

On s’accoutume à tout. Demain donc sans remise,

Dans les bras de l’Époux l’Épouse sera mise.

Cela fait je déloge, et parts en sûreté.

ORONTE.

Mais Madame en a-t’elle autant de son côté ?

Si pour vous de la foi mon hymen est le gage

Il lui faut contre vous un pareil avantage,

Qu’après votre intérêt vous assuriez le sien.

LA MONTAGNE.

Dépendre la Rapière est donc compté pour rien ?

Sans l’honneur de ma Sœur, qui ne vaut pas grand’chose,

Ce sont dix mille écus dont ma Tante dispose,

Et pour vous faire voir que j’agis franchement,

J’y veux bien ajouter encor ce Diamant,

Il n’est pas des plus laids.

LISETTE.

Madame, comme il brille !

LÉANDRE.

Il est de prix.

LA MONTAGNE.

C’est presque un titre de famille,

Des Seigneurs Albikracs il vient de Père en Fils,

L’an est gravé dessous, mil deux cent trente six.

Si l’on ne m’en croit pas, en rompant...

LA TANTE.

Non, de grâce,

On ne peut mieux prouver une ancienne race.

LA MONTAGNE.

Nous la montrerons telle, et vous ramènerons

Pour nous voir marier quinze ou trente Barons.

Si la Noblesse a droit de chatouiller votre âme,

Je vous en garantis satisfaite.

 

 

Scène VII

 

LA TANTE, LÉANDRE, ORONTE, ANGÉLIQUE, LA MONTAGNE, LISETTE, CASCARET, PHILIPIN

 

CASCARET.

Madame,

Le Notaire est venu.

LA MONTAGNE.

Bon, allons tous signer.

Ma Sœur en l’apprenant voudra se mutiner,

Mais elle a fait la faute, il faut qu’elle la boive.

LÉANDRE.

À son propre repos il n’est rien qu’on ne doive,

Goûtez-le sans chagrin.

PHILIPIN.

Par la permission

De très haut, très puissant Monseigneur le Baron,

Que j’épouse Lisette.

LA MONTAGNE.

Elle n’est pas novice,

Tu choisis bien.

PHILIPIN.

Monsieur, je la crois de service,

C’est bien mon fait par là.

LA MONTAGNE.

T’aime-t-elle ?

PHILIPIN.

À peu près.

LA MONTAGNE.

Viens signer avec nous, tu danseras après.

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