L'Amant ridicule (BOISROBERT)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, au Château du Louvre, le 4 février 1653.

 

LÉANDRE, amoureux d’Isabelle

ALONCE, cousin de Léandre

ISABELLE, amoureuse de Léandre

LAURE, suivante d’Isabelle

 

 

Scène première

 

LÉANDRE, ISABELLE

 

LÉANDRE.

Quoi divine Isabelle on a donc résolu

De vous donner Alonce, et vous l’avez voulu ?

Il est vrai qu’au mépris de tout ce que nous sommes,

Le sort vous abandonne au plus brutal des hommes.

ISABELLE.

Léandre, mon tuteur me choisit un époux.

Si j’étais toute à moi, je serais toute à vous.

D’un ridicule amant, il souffre les visites,

Et préfère ses bines à vos rares mérites.

Laure qui le gouverne et prend à toutes mains,

En flattant son espoir seconde ses desseins.

Elle le favorise à cause qu’il lui donne.

La voici, je l’entends, de crainte je frissonne.

 

 

Scène II

 

LÉANDRE, ISABELLE, LAURE

 

LAURE.

Isabelle, rentrez, que faites vous là-bas ?

Quoi ! suivre ce blondin en tous lieux pas à pas ?

Quoi ! l’attendre à la rue après tant de défenses ?

Par ma foi vous prenez de trop grandes licences.

ISABELLE.

Hélas ! ce n’était rien que pour prendre le frais

Que je suis descendue.

LAURE.

Et pour le voir de près,

Ce mignon, ce poudré, ce diseur de fleurettes.

Ne vous lassez vous point d’entendre ses sornettes ?

La langue tout le jour lui va comme un traquet.

LÉANDRE.

He quoi Laure ?

LAURE.

Il aurait un peu moins de caquet,

Qu’il était court d’esprit ainsi que de monnaie.

Qu’il prouve avec ceux-ci, s’il veut que l’on le croie.

LÉANDRE.

Laure, qu’entends-je ici ? je suis tout interdit.

LAURE.

Léandre c’est assez, on vous l’a déjà dit,

De vos beaux entretiens nous sommes si bercées,

Qu’enfin pour dire tout nous en sommes lassées.

Ma foi si vous aimiez ainsi qu’il faut aimer

Une fille bine née et qu’on doit estimer,

Vous nous en donneriez des preuves plus solides.

Toujours le cœur en feu, toujours les yeux humides,

Se pâmer à toute heure en amoureux transi,

Apprenez que chez nous on ne vit point ainsi,

Et qu’on ne gagne pas ainsi vos bonnes grâces,

Par des propos niais et de sottes grimaces.

Rentrez dans le logis, ce n’est pas votre fait.

LÉANDRE.

Laure, ma chère Laure, Que t’ai-je fait ?

Hé quoi ma chère amie ! au lieu de me défendre,

Toi de qui j’attendais une amitié si tendre,

Quand tu vois qu’on m’insulte, et qu’on rit de ma foi,

Tu secondes l’outrage, et parles contre moi.

Tu ne peux opposer que mon peu de fortune,

À mon ardente amour qui se rend opportune,

Et tu sais que je dois de mon oncle hériter.

LAURE.

C’était par là Monsieur qu’il fallait débuter.

Vous auriez eu sans doute une belle audience ;

Mais dans vos compliments on perdait patience.

Faites parler votre oncle, et puis on se taira.

Nous savons qu’il est riche.

LÉANDRE.

Oui Laure, il parlera.

Prends de mon amitié ce petit gage,

Quand j’aurai plus de biens je ferai davantage.

LAURE.

Quoi j’en aurai encore ?

LÉANDRE.

Oui, oui, cela t’est hoc.

LAURE.

Ce que je vous disais n’est pas de mon estoc.

Monsieur je ne suis ni sotte ni bête.

Je vous crois libéral, je vous crois fort honnête,

Mais notre maître enfin vous croit gueux comme un rat,

Et j’ai dépit de voir qu’il vous préfère un fat,

À cause qu’il est riche.

LÉANDRE.

Ô Dieux ! quelle injustice,

De faire de ce veau d’or un si grand sacrifice !

Ce fat est mon parent, et comme il ne sait pas

Il m’a voulu déjà, mener deux fois chez elle.

LAURE.

Prenez l’occasion, elle s’offre assez belle.

Le voici, parlez-lui.

LÉANDRE.

Laure séparons-nous.

LAURE.

Léandre à l’avenir je parlerai pour vous.

Si vous l’accompagnez vous oirez des merveilles.

 

 

Scène III

 

ALONCE, LÉANDRE, ISABELLE, LAURE

 

ALONCE.

J’ai les yeux tout battis après deux longues veilles,

Est crains de ne pouvoir avec ces yeux hagards,

Devant mon Isabelle adoucir mes regards.

D’où sors-tu chère laure, et que fait ta maîtresse ?

Ne la verrons-nous point cette aimable tigresse ?

Son tuteur est-il là ?

LAURE.

Non ; mais il va venir.

ALONCE.

Tu crois qu’en l’attendant je puis l’entretenir ?

Bon, voici, mon cousin, je le trouve avec joie.

Il faut qu’il m’accompagne, et qu’Isabelle voie

Que nos pauvres parents ne sont pas des coquins,

Que nous ne sommes pas de race de faquins.

Bonjour mon cher cousin, vous m’avez fait promesse,

De venir avec moi visiter ma maîtresse,

Je vous y veux mener, n’y consentez vous pas ?

LÉANDRE.

Je veux ce qu’il vous plaît.

ALONCE.

Allons-y de ce pas.

LÉANDRE.

Amour guide mes pas, et sois moi favorable.

Flatte de quelque espoir un amant misérable.

LAURE.

La voilà sur la porte.

ALONCE.

Approchez mon cousin,

Voici l’astre fatal qui fait notre destin.

Je vous mène un parent adorable Isabelle,

Souffrez qu’il vous salue. Et bien, est-elle belle ?

Il est un peu honteux devant tant de beautés,

Il ne fait qu’arriver des universités.

ISABELLE.

Il faut que son esprit à sa mine réponde.

ALONCE.

C’est un jeune homme encore qui sait fort peu son monde ;

Mais nous le stylerons avant qu’il soit six mois,

Il est en bonne école, il me voit quelquefois.

LÉANDRE.

Épargnez mon cousin un peu ma modestie.

ALONCE.

Vous voyez sa pudeur dans cette répartie.

Courage mon cousin, je vais vous seconder.

Où l’on sens que l’on plaît il faut tout hasarder,

Vous dut-il échapper enfin quelque sottise.

ISABELLE.

Il n’aura pas encore engagé sa franchise.

Aime-t-il ?

LÉANDRE.

Oui Madame, une rare beauté

Qui ne vous cède en rien.

ALONCE.

Je m’en étais douté.

Pardonnez-lui, Madame, il vous rompt en visière.

ISABELLE.

Mais il peut dire vrai.

ALONCE.

La sottise est grossière.

Ma foi les jeunes gens vont par les Maisons,

Sont digne de pitié, ce sont de francs oisons.

Il a lu dans Balzac, il a lu dans Voiture,

Voyez comme l’oison se sert de sa lecture !

LÉANDRE.

Le monde est un beau livre où je m’instruirai mieux

Que dans tous les auteurs.

ISABELLE.

On ne peut dire mieux.

ALONCE.

Bon, pousse, tu lui plais Cousin, et c’est me plaire

Que de la réjouir ; tu comprends ce mystère.

Dis pour la divertir si tu te figurais

L’objet aimé présent, ce que tu lui dirais.

Il faut embarrasser cette jeune cervelle.

LÉANDRE.

Je dirais ô beauté belle comme Isabelle...

ALONCE.

Fi des comparaisons !

ISABELLE.

Ce sont discours en l’air.

Écoutons je vous prie, et laissons le parler.

LÉANDRE.

Beauté, qui d’Isabelle êtes la vive image,

Souffrez que je vous rende un véritable hommage.

Quoi qu’un riche vous serve, et que je sois sans biens,

Souffrez malgré le sort, vos parents et les miens,

Que je brise avec vous toutes sortes d’obstacles,

Pour peu que vous m’aidiez, je ferai des miracles.

Vous ne répondez point ; mais je lis dans vos yeux,

Mon bonheur qui m’égale à la gloire de Dieux.

ALONCE.

Mais beau cousin, que vois-je ? où tend votre harangue ?

Votre prunelle joue ainsi que votre langue,

Et je ne me trompe, en faisant le transi

Madame vous répond de la prunelle aussi.

LÉANDRE.

Vous voulez que je feigne, et je ne sais pas feindre.

On ne sait ce qu’on dit quand on veut se contraindre.

ALONCE.

Ah Cousin ! vous parliez d’un ton bien languissant.

Ne me joueriez-vous point en faisant l’innocent ?

LÉANDRE.

Jugez mieux du respect qu’on doit à vos mérites.

Par lui seul cher cousin je règle mes visites,

Aux lieux où on me mène.

ALONCE.

Il n’est pas mal sorti.

De son discours, Madame, il a bien reparti.

ISABELLE.

Tel parent fait honneur, il faut que je l’avoue.

Puisque vous le louez, souffrez que je le loue.

ALONCE.

Ne le louez pas tant, car il est un peu vain.

Il faut de tels galants tenir le bride en main.

Comme il a fort bon cœur, il a l’âme assez grande.

LAURE.

Madame une voisine est là qui vous demande.

ISABELLE.

Adieu Messieurs.

ALONCE.

Adieu tissu de mille appas.

Mon cousin suivez-moi, ne vous éloignez pas.

Laure entretenons nous si tu n’as rien à faire.

Ton esprit a sans doute un charme pour me plaire.

Il est jolie, je t’aime, et tu me réjouis.

Comme tu m’as servi, tiens voilà vingt louis ;

Mais à condition que près mon Isabelle ;

Tu me continueras ton service fidèle.

Mon cousin demeurez, tenez vous à l’écart.

LÉANDRE.

Bien Monsieur.

ALONCE.

De mes biens je te veux faire part,

Laure, dessus le cœur j’ai toujours quelque chose,

Dont tu peux aisément t’imaginer la cause.

Hier tu vis l’entretien que j’eus avec Damis.

LAURE.

Il ne parut pas trop être de vos amis.

Et j’eus peine à souffrir sa brusque répartie.

ALONCE.

Le respect me la fit endurer en partie.

Que t’en dis Isabelle en se déshabillant ?

LAURE.

Elle ne vous crut pas un homme fort vaillant.

ALONCE.

Je n’avais point d’épée.

LAURE.

Il fallait faire rage.

Repartir vertement en homme de courage,

Jurer d’un ton de brave, et se faire tenir.

ALONCE.

Je fus trop modéré, tu m’en fais souvenir,

Mais je jurai pourtant.

LAURE.

Enfin notre maîtresse

Si je ne suis trompée, a vu votre faiblesse.

Elle aime les vaillants.

ALONCE.

Ce Damis est hardi,

Mais j’étais en son âge encore plus étourdi ;

Et tu crois qu’Isabelle a cru que j’étais lâche ?

LAURE.

Oui.

ALONCE.

Parbleu ce Damis aura sa moustache.

Nous savons comme il faut et morguer et braver.

J’ai du cœur, je me sens, tâche de le prouver.

LAURE.

Je vous ferai passer pour brave à toute outrance :

Adieu.

 

 

Scène IV

 

ALONCE, LÉANDRE

 

ALONCE.

Que diable ici m’engage à la vaillance,

Quand je me sens poltron. Cousin, cousin, un mot ;

Laure a dit qu’hier au soir je passai pour un sot.

LÉANDRE.

Ah ! c’est ce que de vous on aurait peine à croire.

ALONCE.

Tu peux à peu de frais me donner de la gloire,

Et j’en ai grand besoin.

LÉANDRE.

Commandez seulement.

ALONCE.

Hier un certain Damis me parlant brusquement,

Je parus un peu faible devant Isabelle.

LÉANDRE.

Je connais ce Damis, voulez-vous qu’on l’appelle ?

Ce sera cher cousin aussitôt fait que dit.

ALONCE.

Non, j’ai du bien à perdre et respecte l’Édit.

Je ne te cèle rien : autant que ma maîtresse

A vu mon peu de cœur, j’en connais la faiblesse,

Et comme enfin tu peux être mon héritier,

Je veux t’ouvrant ce cœur, le montrer tout entier ;

Mais aux autres cousins il faut que je le cache.

Si devant ce Damis qui m’a pu croire lâche,

Tu souffrais que feignant d’être mal avec toi,

Je tirasse l’épée, on parlerait de moi,

Tu parerais fuyant ; cette obligeante feinte,

Te serais imputée à respect plus qu’à crainte,

Et moi je passerais pour un homme de cœur.

LÉANDRE.

Bien cousin, j’y consens ; quand par cette vigueur

Qui contre moi doit être avec feinte exercée,

Ma réputation devrait être blessée,

Pour un si bon parent je ne puis faire moins.

Je voudrais bien pourtant qu’elle eut peu de témoins.

ALONCE.

Léandre touche là, va ta fortune est faite ;

Pour la première fois je vais tirer ma brette.

Cousin cette action te vaut un beau présent.

LÉANDRE, bas.

Ô le poltron insigne ! est-il pas trop plaisant ?

Mais si notre combat était vu d’Isabelle ?

ALONCE.

Damis est logé là : fondons notre querelle.

Oui, traître, par la mort vous en avez menti.

LÉANDRE.

Mais vous avez grand tort, j’ai pris votre parti.

ALONCE.

Enfin il faut mourir la chose est résolue.

Tu recules en vain, il faut que je te tue.

 

 

Scène V

 

ISABELLE, LAURE, LÉANDRE,  ALONCE

 

ISABELLE.

Quel bruit entends-je ici ?

LAURE.

Je sais bien ce que c’est.

LÉANDRE.

Je ne saurais plus fuir, Isabelle paraît,

Et sa fausse bravoure enfin sera dupée.

ALONCE.

Holà ! au maître fat, tu pousses de l’épée.

LÉANDRE.

La vie ! ou par la mort !

ALONCE.

Ah ! ma foi c’est tricher.

LÉANDRE.

Rends l’épée.

Bas.

On nous voit, et l’honneur m’est trop cher.

ALONCE.

Mon Cousin...

LÉANDRE.

Rends-la te dis-je, ou, parbleu, je te tue.

ALONCE.

Tiens Cousin, la voilà, la tienne est trop pointue.

La fureur le saisit, il a le diable au corps.

ISABELLE.

Alonce, est-ce donc là faire de grands efforts.

Hé quoi ! par la bravoure on devait tant me plaire.

LAURE.

Votre laquais Madame a vu tout ce mystère.

C’était un combat feint, il l’a vu préparer.

ISABELLE.

Donc sans beaucoup de peine on les peut séparer.

ALONCE.

De ma poltronnerie enfin je suis esclave.

Vous aimez les vaillants, j’ai contrefait le brave.

Je le voulais paraître, et l’avais résolu,

Mais Dieu m’a fait poltron et ne l’a pas voulu.

LÉANDRE.

Pardon mon cher cousin, j’adorais Isabelle ;

Et me déshonorerais en fuyant devant elle.

ALONCE.

Vous me jouiez tantôt, je m’en doutais fort bien.

Nonobstant tout cela je vous donne mon bien,

Et vous cède Isabelle, allez vous je vous pardonne.

LÉANDRE.

Ô le cœur généreux.

ISABELLE.

Ô la bonne personne. 

PDF