La Vielleuse du boulevard (Hector CHAUSSIER)

Mélodrame en trois actes.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Ambigu-Comique, le 28 juillet 1803.

 

Personnages

 

FANCHON, vielleuse

MARIANNE, vielleuse âgée

LAVALEUR, hussard

MASCARTI, vieux colonel

MÉRICOUR DE BERINVILLE, officier

HYPOLITE, fils de Mascarti

LAFLEUR, valet de chambre de Méricour

JÉRÔME, fort de la halle

LE PÈRE LA JOIE, marchand de chansons

GERMAIN, domestique de Méricour

GARÇONS DE CAFÉ

GARÇONS DE RESTAURATEURS

VIELLEUSES

SAVAYARDS

FORT et FEMMES DE LA HALLE

 

La scène se passe à Paris, en 1780.

 

 

À M. CORSSE,

DIRECTEUR DE L’AMBIGU-COMIQUE.

 

C’est à vos soins et à votre talent que je dois le succès de la Vielleuse du Boulevard ; en vous la dédiant, j’acquitte une dette, et je me procure un plaisir. Mais permettez que je le double, en témoignant ma reconnaissance à l’aimable actrice dont les talents et les grâces ont embelli ma Fanchon.

 

HECTOR CHAUSSIER.

 

 

АСТЕ I

 

Le théâtre représente le Boulevard. À gauche des spectateurs est le café Turc ; plus loin la rue d’Angoulême, etc. À droite des spectateurs la maison du Cadran bleu, avec une petite terrasse. On lit sur l’angle de la maison : rue Charlot. Plus loin, des deux côtés, des Restaurateurs, Marchands, etc. etc.

 

 

Scène première

 

MARIANNE, MASCARTI

 

Pantomime.

Marianne se promène en jouant de la vielle à la porte des Restaurateurs ; elle s’impatiente de voir que personne ne paraît aux fenêtres. Elle approche de Mascarti qui vient de se faire servir du café ; elle lui offre de jouer ; Mascarti refuse et la remercie.

MARIANNE.

Il faudra que je renonce au métier, et que je cherche un autre moyen de vivre ; car depuis que Fanchon a quitté les environs de Chambéry pour venir ici, je ne gagne plus rien. Autrefois je faisais les délices du boulevard, mais à présent veut plus entendre que Fanchon ; elle me ruine ! Eh bien ! elle est si bonne, si obligeante, que je ne puis pas lui en vouloir. Eh ! la voilà !

 

 

Scène II

 

MASCARTI, à la porte du café, MARIANNE, FANCHON

 

FANCHON.

Bonjour, Marianne.

MARIANNE.

Bonjour, Fanchon.

FANCHON.

Déjà au boulevard !

MARIANNE.

Je n’en suis pas plus heureuse pour cela car je n’ai pas encore étrenné.

FANCHON.

Cela viendra, il est de bonne heure.

MARIANNE.

À présent, il est toujours trop tard pour moi.

FANCHON.

Eh ! j’aperçois M. Mascarti : ah ! que j’ai de plaisir à le voir ici.

MARIANNE.

Je suis sure que dès qu’elle va jouer, tout le monde accourra.

FANCHON.

Ô ma vielle ! que je te remercie de m’avoir donné les moyens de sauver la vie à ce vieux militaire, et de le soustraire au besoin.

MARIANNE.

Moi, je prie qu’on m’écoute, et l’on ne veut pas m’entendre.

FANCHON, à part.

Tâchons de l’égayer un moment, ce sera une jouissance de plus.

Pantomime.

Fanchon approche de Mascarti, et le salue ; Mascarti la reçoit avec bonté. Fanchon se dispose à jouer ; Mascarti en paraît très content. Pendant ce temps Marianne, qui gémit de la préférence qu’on accorde à Fanchon, s’assied sur un banc, auprès d’un arbre, au coin de la rue Charlot, et pose sa corbeille à côté d’elle. Fanchon prélude sur sa vielle et cherche ce qu’elle veut chanter : un coup d’œil qu’elle jette sur Mascarti décide son choix. Dès que Fanchon se fait entendre, tout le monde sort du café, et ceux qui sont à dîner chez les restaurateurs paraissent aux fenêtres.

 

 

Scène III

 

MASCARTI, MARIANNE, FANCHON, une foule de CURIEUX

 

FANCHON chante.

Air : Lise épouse l’beau Gernance.

Les plaisirs, et l’allégresse
De Rose comblent l’ivresse,
L’amour couronne ses vœux
Est il un sort plus heureux ?
Ah ! malgré son opulence
L’ennui tourmente son cœur !
Sans la douce bienfaisance
Il n’est pas de vrai bonheur.
(bis)

MARIANNE chante avec douleur, tandis que Fanchon répète le refrain.

La main de la bienfaisance
N’adoucit plus mon malheur.

FANCHON.

Second couplet.

Avec maint convive aimable
Qui ne dine qu’à sa table,
Rose cherche le plaisir,
Et sent encor le désir.
Des mets, des vins, l’abondance
N’offre qu’un charme trompeur ;
Sans la douce bienfaisance
Il n’est pas de vrai bonheur.
(bis)

MARIANNE, pendant le refrain.

La main de la bienfaisance
N’adoucit plus mon malheur...

FANCHON.

Troisième Couplet.

Des plaisirs de toute espèce
Quelle à savouré sans cesse,
Rose éprouve le dégoût ;
Car on se lasse de tout,
D’un vieillard dans l’indigence,
Elle adoucit la douleur :
Rose dans la bienfaisance
Trouve enfin le vrai bonheur.
(bis)

MARIANNE.

Ah ! je n’ai plus l’espérance
De trouver un bienfaiteur.

Pantomime.

Lorsque Fanchon a fini de chanter, elle présente sa corbeille ; tout le monde lui donne, ceux qui sont aux fenêtres lui jettent de l’argent enveloppé dans du papier. Fanchon passe devant Mascarti sans lui présenter sa corbeille.

MASCARTI, sortant de la barrière du café.

Eh ! quoi charmante vielleuse, vous dédaignez mon petit tribut.

FANCHON.

Bien au contraire, monsieur, mais on ne doit pas...

À part.

reprendre ce que l’on a donné.

MASCARTI.

On ne doit pas priver les gens du plaisir de témoigner leur reconnaissance, et je vous eu dois beaucoup.

Il cherche sa bourse.

FANCHON, à part.

Saurait-il que c’est moi qui l’ai secouru ?

Haut. 

Vous plaisantez, monsieur.

MASCARTI.

Nullement.

FANCHON, à part.

Ô ciel ! il a découvert mon secret.

MASCARTI.

Depuis une huitaine que ma santé me permet de sortir, chaque jour je viens vous entendre, et votre vois séduisante dissipe mes chagrins.

FANCHON, à part.

Bon, il ne sait rien.

MASCARTI.

Vos charmantes chansons guérissent mon esprit.

FANCHON.

Oh ! je suis bien heureuse de pouvoir...

MASCARTI, lui donnant une petite pièce d’argent.

Tenez, Jolie vielleuse, faites-moi l’amitié d’accepter...

FANCHON.

Monsieur, je vous remercie.

À part.

prenons pour ne pas l’humilier.

MASCARTI.

Je paye bien mal mon aimable médecin, mais la fortune cruelle...

FANCHON.

Eh bien ! pourquoi vous priver, gardez...

MASCARTI.

Je dois cet argent à la bienfaisance, puis-je mieux faire que de le partager avec la beauté qu’embellissent encore les talents et les vertus ?

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, MÉRICOUR, sur la terrasse

 

MÉRICOUR, appelant.

Fanchon ! aimable Fanchon !

FANCHON.

Vous m’appelez, monsieur ?

MÉRICOUR.

Oui, charmante vielleuse, on n’a pas bien dine au boulevard, quand on n’a pas eu un plat de ton métier pour le dessert. Aussi nous t’attendons avec impatience.

FANCHON.

C’est me faire trop d’honneur ; je suis à vous dans l’instant.

MÉRICOUR, en entrant.

Allons, dépêche-toi.

Pendant cette scène, Marianne s’est présentée à tous ceux que Fanchon avait attirés, mais chacun l’a renvoyée.

MARIANNE, à part.

On ne veut plus que Fanchon, et je suis réduite à mourir de faim : essayons cependant si je pourrai intéresser quel qu’un, et porter du pain à ma pauvre mère.

Pantomime.

Marianne joue de la vielle, et tout le monde se retire ; Fanchon le remarque, et en est affligée.

 

 

Scène V

 

MARIANNE, FANCHON, MASCARTI

 

Tandis que Mascarti rentre dans la barrière du café, Marianne reprend sa place sur la borne, et continue de jouer. Après avoir examiné si personne ne peut la voir Fanchon se glisse doucement derrière Marianne, prend la corbeille vide qui est près d’elle et y substitue la sienne pleine d’argent. Marianne s’en aperçoit et saute au cou de Fanchon, qu’elle accable de remerciements. Fanchon se dérobe à sa reconnaissance, et rentre au Cadran bleu, en jouant sur sa vielle le refrain des couplets sur la bienfaisance. Marianne en fait autant et sort du côté opposé.

 

 

Scène VI

 

MASCARTI, seul

 

Il a tout vu et est enchanté du procédé de Fanchon.

Elle est charmante ! avec quelle grâce elle s’est empressée de secourir sa malheureuse camarade ! elle avait l’air de faire une espièglerie. En vérité, cette petite Fanchon est un ange.

 

 

Scène VII

 

MASCARTI, LA VALEUR

 

MASCARTI.

Ah ! te voilà mon brave camarade ; tu viens m’offrir ton bras ?

LA VALEUR.

Et mes services ; vous savez bien, mon colonel, que je ne puis être longtemps sans vous voir ; j’aime à me rapprocher de mes drapeaux. Eh bien ! les forces ?

MASCARTI.

Ne vont pas mal, mais l’esprit...

LA VALEUR.

Le chagrin l’assiège, n’est-ce pas, mon colonel ?

MASCARTI.

Tu as raison.

LA VALEUR.

Eh bien ! retranchez-vous derrière un bataillon de bouteilles de Bourgogne ; faites feu roulant, et l’ennemi sera forcé de battre en retraite.

MASCARTI.

Cela est fort aisé à dire.

LA VALEUR.

Et encore plus agréable à exécuter ; c’est ma foi une jolie manière de faire la guerre.

MASCARTI.

Quand on a éprouvé des malheurs aussi cuisants et aussi longs...

LA VALEUR.

Il est vrai que vous n’avez pas été heureux sous les drapeaux de l’hymen.

MASCARTI.

En effet mon mariage secret avec Julie, a été la seule cause de ma détention à la Bastille.

LA VALEUR.

Prisonnier pendant douze ans ! c’est bien long !

MASCARTI.

Cet hymen avait blessé l’autorité et l’orgueil d’un père.

LA VALEUR.

L’orgueil !... et mille escadrons, au train dont vous у alliez, vous seriez devenu maréchal de France.

MASCARTI.

Si j’ai outragé le père de ma Julie, j’en suis bien puni ; la mort n’a privé de mon épouse, et j’ignore ce qu’est de venu mon fils : mon Édouard me consolerait, je pourrais lui parler de sa mère, il partagerait ma douleur.

LA VALEUR.

N’avez-vous pas la Valeur, qui partage tous vos chagrins ?

MASCARTI.

Ah ! je n’en doute pas : en t’associant à mon infortune, tu m’as prouvé ton attachement pour moi.

LA VALEUR.

C’est une dette que j’acquitte, car je n’oublie pas que vous m’avez sauvé des baïonnettes de l’ennemi, et que deux heures après, vous n’avez fait maréchal des logis sur le champ de bataille.

MASCARTI.

C’est une récompense que je devais à ta bravoure.

LA VALEUR.

Je n’en suis pas moins reconnaissant. Aussi tous les jours je me félicite de m’être trouvé au corps de garde de la Bastille, quand on vous amis en liberté. Grâce à ce hasard fortuné, j’ai pu vous consacrer le reste d’une vie que les Houlans avoient mise en grand danger.

MASCARTI.

Ton amitié m’est bien précieuse ; mais ne sois pas étonné qu’il ne reste encore des regrets ; tu sais que j’ai tout perdu, jusques à ma fortune.

LA VALEUR.

Oui, l’ennemi s’est emparé de vos équipages.

MASCARTI.

Au sortir de ma prison, j’aurais succombé à la cruelle maladie qui m’a retenu deux mois au lit sans la main bienfaisante que je ne connais pas encore...

LA VALEUR.

Vous m’avez fait éclaireur dans cette affaire-là, je découvrirai votre protectrice ; grâce à elle, nous ne manquons de rien ainsi pas d’inquiétudes : espérez, mon colonel ; l’espoir est l’avant-garde du bonheur.

MASCARTI.

Le bonheur...

LA VALEUR.

Allons, allons, plus de tristesse.

MASCARTI.

Je t’avoue que cette jeune vielleuse qui fait l’ornement du boulevard, me distrait de mes chagrins, et j’aime à la voir ; surtout depuis que tu ni ?as dit que tu lui avais parlé de ma détention, et qu’elle avait pris intérêt à mon malheur.

LA VALEUR.

Garde à vous, mon colonel ! les yeux de Fanchon blessent chaque jour plus de monde, que ne ferait une batterie de pièces à mitrailles.

MASCARTI.

On m’en avait dit beaucoup de bien, mais ce que j’ai vu surpasse sa renommée.

LA VALEUR.

Eh ! quoi mon colonel, auriez-vous envie de vous enrôler sous ses drapeaux ?

MASCARTI.

Je serais à présent un fort mauvais soldat.

LA VALEUR.

On a vu plus d’un vétéran retourner au feu, et je crois que Fanchon vous a donné l’envie de faire encore une campagne.

MASCARTI.

Quelle idée !

LA VALEUR.

Écoutez donc, un trait de l’amour blesse aussi vite qu’un boulet de canon. Tenez mon colonel, dites-le moi franchement, avez-vous déjà des intelligences dans la place.

MASCARTI.

Tu extravagues, mon cher la Valeur.

LA VALEUR.

Tant mieux ! car j’aime Mlle Fanchon presque autant qu’une bataille, et je craignais que vous n’eussiez déjà pris poste dans son cœur.

MASCARTI.

J’aime les talents, les qualités de Fanchon, mais je n’ai pas d’amour pour elle, et d’ailleurs, si j’en avais, quel pourrait être mon espoir, dépouillé de ma fortune, ne recevant aucune nouvelle de mes amis...

LA VALEUR.

À propos de nouvelles !... j’oubliais l’objet pour lequel j’ai fait un temps de galop jusqu’ici ?

MASCARTI.

Qu’est-ce donc ?

LA VALEUR.

Un petit clerc de notaire, qui depuis huit jours cherchait votre adresse, m’a remis une lettre pour vous.

MASCARTI.

Qui peut m’écrire ?... voyons !... Eh ! c’est Dorville, mon parent et mon meilleur ami.

Il lit.

Brest, ce 20 juillet 1780. « J’apprends, mon cher Mascarti, que la mort du père de ta femme vient de te rendre la liberté ; en conséquence, je me hâte de te prévenir que pendant ta captivité, j’ai reçu pour toi les revenus de ta ferme en Bretagne. » Ma ferme ! je croyais tout mon bien confisqué.

LA VALEUR.

Heureusement, il n’en est rien.

MASCARTI, lisant.

« Tu trouveras le tout rue des Quatre-Fils, chez le notaire Morgan, que je charge de faire parvenir cette lettre. 

LA VALEUR.

Douze années de revenus ! voilà de quoi rétablir nos affaires.

MASCARTI, lisant.

« Quant à ton fils Édouard, il y a dix ans que je l’ai confié à M. Melval, auquel j’ai recommandé de lui donner un autre nom, pour le soustraire aux persécutions de son grand-père. »

LA VALEUR.

Bien imaginé.

MASCARTI, lisant.

« Depuis onze ans, mes occupations m’ont retenu ici, mais j’ai besoin de l’embrasser, et avant quinze jours je y serai à Paris. Ton cousin DORVILLE. »

LA VALEUR.

Voilà un bon allié, et qui vous envoie à propos des troupes auxiliaires.

MASCARTI.

Mais, il ne me donne pas l’adresse de ce M. Melval ; où le trouver ? comment savoir ce qu’est devenu mon fils cher Édouard, qui m’a causé tant de peines.

LA VALEUR.

Mon colonel, il faut d’abord aller au pas de charge, en lever la réserve de chez le notaire.

MASCARTI.

Sans doute ; mais mon fils !... Ah ! tâche de découvrir l’adresse de ce M. Melval.

LA VALEUR.

Oui, mon colonel.

MASCARTI.

Informe-toi partout, demande, questionne, cours à la poste, tandis que je vais chez le notaire ; enfin ne néglige rien pour connaître l’adresse de M. Melval.

Mascarti sort par la rue Charlot.

 

 

Scène VIII

 

LA VALEUR, seul

 

Soyez tranquille, mon colonel, je vais...

Voyant qu’il est éloigné.

je vais rester ici, pour voir avant tout la charmante vielleuse. Il y a longtemps que ses attraits ont fait brèche à mon cœur, je voudrais bien reprendre ma revanche et m’emparer du sien. Tenons conseil et examinons comment je dirigerai l’attaque.

 

 

Scène IX

 

LA VALEUR, MERICOUR, FANCHON, sur la terrasse du cadran bleu

 

LA VALEUR.

Mais, que vois-je ! Fanchon qui sonne l’alarme.

MÉRICOUR, retenant Fanchon.

Ah ! c’est en vain que tu résistes, il me faut un baiser.

FANCHON, se débattant.

Finissez, je vous en prie.

LA VALEUR.

Mille escadrons ! si j’étais à portée, comme je tomberais sur ce maraudeur-là.

Pantomime.

Méricour veut embrasser Fanchon, elle se défend et lui échappe ; Méricour la poursuit ; la Valeur est très mécontent de ce qu’il voit, et témoigne sa mauvaise humeur.

 

 

Scène X

 

LA VALEUR, seul

 

Morbleu ! ce pandour-là me déplaît ; mettons-nous en embuscade et observons ses nouements.

 

 

Scène XI

 

Pantomime.

Fanchon accourt poursuivie par Méricour ; la Valeur se cache derrière un arbre.

MÉRICOUR.

Pourquoi donc me fuir ainsi, et me refuser un baiser que d’avance pourtant je t’ai bien payé.

FANCHON.

Monsieur, on me paye pour jouer de la vielle, ainsi je vous souhaite le bonsoir.

MÉRICOUR.

Un moment, aimable Fanchon.

FANCHON.

Pardon, je ne puis rester, il faut que j’aille jouer.

Elle s’éloigne en jouant.

Allez vous-en, gens de la noce,
Allez vous en chacun...

MÉRICOUR, la ramenant.

Je veux absolument que tu m’écoutes.

FANCHON.

Eh bien ! monsieur, parlez, je vous écouterai.

Elle joue.

N’faut pas heurter, (bis)
L’amant qu’on ne veut pas écouter.

MÉRICOUR.

J’éprouve auprès de toi un trouble, une agitation que je ne puis te peindre.

FANCHON joue.

Ah ! mon seigneur, ah ! mon seigneur,
Tout est chez vous dans la rumeur.

MÉRICOUR.

D’honneur, depuis que je t’ai vue, je brûle, et je sens que je t’aimerai toujours.

FANCHON, joue.

Va-t’en voir s’ils viennent, Jean ;
Va-t’en...

MÉRICOUR.

J’aime à croire que tu as assez de goût et de raison, pour ne pas refuser un amant tel que moi.

FANCHON, joue.

Ah ! le bel oiseau, vraiment.
Qu’il est...

MÉRICOUR.

Laisse donc ta vielle tranquille, et réponds-moi.

FANCHON.

Que voulez-vous que je réponde à toutes vos plaisanteries !

MÉRICOUR.

Je ne plaisante point, je parle très sérieusement ; oui, charmante Fanchon, réponds à ma tendresse, et aussitôt je te donne hôtel, laquais, chevaux, voitures, meubles, diamants, en un mot je partage avec toi ma fortune et tous les agréments qu’elle peut procurer. Eh bien ! ma belle, tu entends.

FANCHON.

À merveilles.

MÉRICOUR.

Je m’explique...

FANCHON.

Clairement.

MÉRICOUR.

Mes propositions...

FANCHON.

Sont bien séduisantes.

MÉRICOUR.

Bon, tu acceptes ?

FANCHON.

Non, je vous remercie.

MÉRICOUR.

Comment !...

FANCHON.

Vos richesses ne me tentent pas.

MÉRICOUR.

En vérité ! Fanchon, en vérité !

LA VALEUR, à part.

Voilà un refus qui me rend la parole ; j’avais là une bombe de 500.

MÉRICOUR.

Quoi ! sérieusement tu me refuses.

LA VALEUR, s’approchant.

Cela vous étonne, mille boulets !

FANCHON.

Ah ! c’est vous, la Valeur ?

MÉRICOUR.

Que veut ce soldat ?

LA VALEUR.

Ce que je veux ? Vous dire que votre plan d’attaque ne vaut pas une amorce. Vous avez cru que, séduite par votre or, Mlle Fanchon allait tout de suite capituler ; mais vous êtes forcé de lever le siège, et tout reste in statu quo.

MÉRICOUR.

Il vous convient bien de vous mêler à notre conversation.

LA VALEUR.

Pourquoi donc pas... à moins que Mlle Fanchon...

FANCHON.

Non, sans doute, restez, mon cher la Valeur.

MÉRICOUR.

Mon cher la Valeur ! mon cher la Valeur ! oh ! c’est trop plaisant, en vérité.

Il rit.

LA VALEUR, à part.

Je me sens une furieuse envie d’escarmoucher...

MÉRICOUR, à Fanchon.

Je te fais compliment de ton bon goût ; car je devine que voilà l’heureux mortel pour lequel tu dédaignes mes offres.

FANCHON, ironiquement.

Ah ! vous devinez cela.

MÉRICOUR.

Mais je ne dois pas souffrir que tant de charmes restent enfouis, et je te promets qu’avant peu je ferai ton boa heur, en dépit de toi-même. Au revoir charmante vielleuse.

FANCHON.

Votre servante, monsieur.

MÉRICOUR, revenant.

Ah ! çà, friponne, ne t’en prends qu’à toi seule des moyens que tu me forces à employer.

LA VALEUR.

Ah ! je suis là pour contreminer.

MÉRICOUR.

Sans adieu, ma belle, bientôt tu seras forcée de te rendre.

Il sort.

Fanchon rit, et tandis qu’il sort, joue sur sa vielle, l’air : tu n’auras pas petit polisson.

 

 

Scène XII

 

FANCHON, LA VALEUR

 

LA VALEUR.

Va ! va ! ne chante pas victoire ; tu n’as pas encore gagné la bataille ; oui, Mademoiselle Fanchon, soyez tranquille ; je réponds du poste.

FANCHON.

Ah ! je suis sans inquiétude, je connais le ton de ces petits messieurs-là.

LA VALEUR.

Il vaut toujours mieux se tenir sur la défensive, car cet ennemi-là est riche et l’argent est le nerf de la guerre.

FANCHON.

À propos d’argent, ces six cents livres pour lesquelles on poursuit votre maître, avez vous eu la complaisance de les porter à M. Bérinville.

LA VALEUR.

Ce matin, tandis que mon colonel dormait encore, j’ai couru au faubourg Saint-Germain, m’acquitter de la mission que vous m’avez donnée ; mais, morbleu ! l’hôtel de M. Bérinville est une forteresse où l’on ne pénètre pas aisément.

FANCHON.

Comment donc cela ?

LA VALEUR.

Au qui vive du portier, j’ai fait halte, persuadé qu’il me laisserait passer quand il m’aurait reconnu pour un parlementaire ; mais il m’a consigné dans sa loge ; en attendant que le commissionnaire, qui était à la porte, ait été chercher le garçon d’écurie, qui a averti le jockey, qui est allé dire au laquais, de prévenir le valet de chambre, que j’apportais une lettre pour son maître.

FANCHON.

Et enfin vous l’avez donnée à M. Bérinville.

LA VALEUR.

Eh ! non ; le valet de chambre est arrivé, et je lui ai délivré l’argent lorsqu’il m’a apporté en échange la quittance que voilà.

FANCHON lit.

« Mon père n’existant plus, M. Mascarti ne sera point étonné que ce soit moi qui lui donne quittance des vingt cinq louis qu’il lui envoie. Je prie M. Mascarti d’agréer mes civilités. BÉRINVILLE, fils. »

Bon, je ferai parvenir ce reçu à votre maître ; je vous remercie, on ne peut pas mieux s’acquitter d’une commission.

LA VALEUR.

On m’a souvent chargé d’expéditions plus importantes, et je m’en suis toujours tiré avec honneur.

FANCHON.

Je n’ai pas besoin de vous recommander le secret sur celle-ci, vous savez...

LA VALEUR.

Oui, je sais que vous aimez à cacher vos belles actions ; mais mon colonel me recommande dix fois par jour de battre la campagne pour découvrir sa bienfaitrice.

FANCHON.

Gardez-vous bien de me faire connaître ; d’ailleurs vous m’avez donné votre parole, et un militaire n’y manque jamais.

LA VALEUR.

Non, mille bombes ; mais un militaire ne doit pas mentir, et cependant j’y suis contraint, quand mon colonel me force dans mes retranchements.

FANCHON.

Prenez-y garde, je vous l’ai déjà dit, la moindre indiscrétion me priverait du plaisir de lui être utile.

LA VALEUR.

Si ce n’est que cela, je peux rendre publics nos articles secrets.

FANCHON.

Que voulez-vous dire ?

LA VALEUR.

Que M. Mascarti a recouvré sa fortune, et qu’en ce moment, il est allé chez le notaire prendre possession de la caisse.

FANCHON.

Je suis enchantée de cet heureux événement ; mais c’est une raison de plus pour ne pas trahir mon secret.

LA VALEUR.

Mais à présent qu’il n’est plus bloqué par la misère...

FANCHON.

Eh ! précisément ; il voudra me rendre ce que je lui ai donné sous le voile du mystère, et je veux qu’il l’ignore toujours.

LA VALEUR.

Ah ! bonne petite femme...

FANCHON.

C’est assez, parlons d’autre chose.

LA VALEUR.

Eh ! bien soit, parlons d’autre chose ; de mon amour ; par exemple.

FANCHON.

De votre amour ?... Pour la gloire, sans doute.

LA VALEUR

Pour vous, Mlle Fanchon.

FANCHON.

Vous m’aimez, M.la Valeur ?

LA VALEUR.

Si je vous aime ! je vous disputerais à toutes les puissances coalisées.

FANCHON.

Et pourquoi donc faire, M. la Valeur ?

LA VALEUR.

Pour vous épouser, Mlle Fauchon ; vos yeux m’ont. traité sans quartier. Ils ont mis mon cœur à feu et à sang ; je vous rends les armes et quand vous voudrez, nous irons chez le notaire rédiger la capitulation.

FANCHON.

Vous êtes pressant.

LA VALEUR.

C’est que je suis pressé de signer mon engagement avec vous. Si je différais trop à reprendre du service, je ne pour rois plus prétendre qu’aux invalides. Trente-huit ans, Mlle Fanchon.

FANCHON.

Bel âge, M. la Valeur, mais je ne puis me décider...

LA VALEUR.

Je vous entends ; vous demandez du temps pour réfléchir. Accordé.

FANCHON.

Écoutez, mon cher la Valeur, ce n’est pas...

LA VALEUR.

La discipline me défend de rester plus longtemps ; mon colonel m’a donné des ordres que je n’exécute pas.

FANCHON.

C’est un tort que vous avez.

LA VALEUR.

Je vais le réparer, en courant chercher certaine adresse dont il a besoin. Vous, Mlle Fanchon, songez à ce que je vous ai dit, et voyez si vous voulez que nous fassions ensemble un petit traité d’alliance.

FANCHON.

Mais je vous dis que...

LA VALEUR.

Je vous offre mon cœur ma pension, et vingt-sept cicatrices honorables : demain je viendrai vous demander votre ultimatum.

Il sort.

 

 

Scène XIII

 

FANCHON, seule

 

On n’est pas plus original que ce brave homme : je l’estime et j’aime sa manière franche, mais, à coup sûr, je ne l’épouserai pas, j’aurai même soin de cacher à mon cher Hypolite, la déclaration militaire de La Valeur ; sa jalousie s’en alarmerait, car un rien lui porte ombrage, et je suis surprise qu’il ne soit pas encore venu ; tous les jours il est ici à deux heures, il en est trois, et je ne l’ai point encore vu : si je l’aimais moins retard m’inquièterait, mais je ne puis croire qu’Hypolite soit capable de me tromper.

 

 

Scène XIV

 

FANCHON, MASCARTI

 

Mascarti traverse le théâtre avec précipitation.

FANCHON.

Eh ! comme vous courez, Monsieur ?

MASCARTI.

C’est que je suis bien pressé, et je vais jusqu’au dessus du Moulin-Joli.

FANCHON.

À vous voir marcher, on ne soupçonnerait pas que vous sortez d’une longue maladie, et l’on ne vous donnerait que vingt ans.

MASCARTI.

La joie me rajeunit et me donne des forces.

FANCHON.

Vous êtes donc bien content.

MASCARTI.

Ah ! plus que je puis dire. Eh ! tenez, bonne Fanchon, la Valeur vous a raconté mes infortunes ; vous y avez paru sensible, je suis sûr que vous partagerez ma satisfaction.

FANCHON.

N’en doutez pas. De quoi s’agit-il ?

MASCARTI.

Apprenez que je viens de rentrer dans mes biens que je croyais perdus.

FANCHON.

Ah ! je vous en félicite de tout mon cœur.

MASCARTI.

Ah ! ce n’est pas là ce qui cause ma joie.

FANCHON.

Quoi donc encore ?

MASCARTI.

Édouard, mon fils, dont j’ignorais la destinée depuis douze ans...

FANCHON.

Vous l’avez retrouvé ?

MASCARTI.

Je ne l’ai point encore vu ; mais un notaire m’a donné l’adresse de la personne qui en a pris soin et bientôt je vais l’embrasser.

 

 

Scène XV

 

FANCHON, MASCARTI, HYPOLITE, qui voyant Fanchon s’arrête et écoute

 

FANCHON.

Je juge aisément du plaisir que vous devez éprouver.

MASCARTI.

Quelle jouissance de presser sur son cœur l’objet de sa tendresse.

FANCHON.

Ah ! je partage votre ivresse, et je vous engage à presser ce délicieux moment.

MASCARTI.

Oh ! vous avez bien raison ; car le moindre retard est un larcin fait au bonheur.

Il sort.

 

 

Scène XVI

 

FANCHON, HYPOLITE

 

FANCHON, sans voir Hypolite.

Il m’a si vivement émue, que je sens des pleurs prêts à s’échapper de me yeux.

HYPOLITE, avec ironie.

Vous ayez tant de sensibilité !

FANCHON.

Ah ! c’est vous, mon cher Hypolite !

HYPOLITE.

Oui ; c’est moi qui viens de voir avec quel transport vous partagez l’ivresse de M. Mascarti.

FANCHON.

C’est ce que je lui disais.

HYPOLITE.

Je le sais, et ne l’ai que trop bien entendu.

FANCHON.

Eh ? quoi mon ami, seriez-vous jaloux de ce respectable militaire ?

HYPOLITE.

Pensez-vous donc m’abuser encore sur vos sentiments pour lui.

FANCHON.

Vous pourriez imaginer...

HYPOLITE.

Je n’imagine rien, je suis sûr. Qui, j’ai enfin l’explication du motif de vos fréquentes visites chez M. Mascarti. Vous avez abusé de votre pouvoir sur mon cœur pour m’en faire un mystère ; mais je viens de vous entendre, et maintenant... je vous connais.

FANCHON.

Non, mon cher Hypolite ; non vous ne me connaissez pas encore.

HYPOLITE.

Quoi ! lorsque vous devriez rougir...

FANCHON.

Ah ! oui je devrais rougir d’avoir la faiblesse d’aimer un homme qui m’outrage à chaque instant par ses soupçons jaloux.

HYPOLITE.

Vous m’aimez ?

FANCHON.

Vous en doutez. Hypolite, ne me forcez pas à vous prouver que vous avez tort.

HYPOLITE.

Que j’ai tort ?

FANCHON.

Songez que je ne puis avoir aucun intérêt à vous tromper, et ne me réduisez jamais à la nécessité de me justifier ; il me serait impossible d’aimer l’homme qui m’aurait cru coupable.

HYPOLITE.

Je serais plus tranquille, si je vous aimais moins.

FANCHON.

Estimez-moi davantage vous m’aimerez encore plus.

HYPOLITE.

C’est impossible, et l’excès de mon amour est la seule cause d’un mouvement de jalousie, dont je vous demande pardon.

FANCHON.

Le cœur vous pardonne, mais la raison vous condamne.

HYPOLITE.

Ah ! n’écoutez que votre cœur.

FANCHON.

Volontiers ; mais n’abusez pas si souvent de son indulgence, je vous le demande pour vous-même ; car avec l’état que j’exerce, si vous n’avez pas de confiance en moi, vous ne jouirez pas d’un seul instant de tranquillité.

HYPOLITE.

Vous m’aviez promis que vous quitteriez cet état.

FANCHON.

Oui, lorsque nous serions époux.

HYPOLITE.

Hé ! qui empêche que demain nous soyons unis ; le sort m’a privé de mes parents, et l’âge me permet de disposer de moi.

FANCHON.

Oui ; mais quelque soit la fortune que ma vielle m’a pro curée, j’exige que vous ayez un état : un homme ne peut pas rester sans occupation ; enfant du travail, le bonheur fuit l’oisiveté.

HYPOLITE.

Eh bien ! apprenez qu’il n’est plus d’obstacles à ma félicité. M. Melval, cet ami qui a pris soin de mon enfance, vient de m’obtenir un emploi dans les bureaux de la guerre. Demain on doit me délivrer mon brevet.

FANCHON.

Vous n’enchantez, tous mes vœux sont remplis ; je puis maintenant vous suivre à l’autel.

HYPOLITE.

Je vais donc vous devoir le bonheur de ma vie.

FANCHON.

Mon cher Hypolite, plus de jalousie.

HYPOLITE.

Je vous en fais le serment.

 

 

Scène XVII

 

FANCHON, HYPOLITE, GERMAIN, en fort de la Halle

 

GERMAIN.

La voilà, prenons un langage conforme à notre costume.

HYPOLITE.

Oui, ma chère Fanchon, je vous jure que jamais aucun soupçon jaloux n’entrera dans mon esprit.

GERMAIN, affectant le ton d’un fort de la Halle.

Hé ! dites donc, la belle enfant, savez-vous ous c’qu’est Fanchon, la vielleuse ?

FANCHON.

Que lui voulez-vous ? c’est moi.

GERMAIN.

C’est vous ? eh ! tant mieux ; car vous avez, morguienne, un p’tite mine ben r’venante.

HYPOLITE, avec humeur.

Au fait, que voulez-vous ?

GERMAIN.

Eh ! là, là, tout doux, not bourgeois, n’vous fâchez pas, c’est pas ta vous qu’j’en veux, c’est za Mlle Fanchon.

FANCHON.

Eh bien ! que désirez-vous ?

GERMAIN.

C’est, qu’voyez-vous, j’allons tà Moulin-Joli, z’ou c’que j’faisons la nopce, et comme j’ons envie d’nous ben divertir j’viens vous prier d’venir avec vot’ vielle, pour nous faire passer la soirée, en payant, s’entend ; j’somm’ pas des seigneurs, mais queuqu’fois j’somm’ pus reconnaissants queux du plaisir qu’on nous fait.

FANCHON.

Cela arrive très souvent.

HYPOLITE.

Comment se nomment les mariés ?

GERMAIN.

Comment qu’i s’nomment ?

À part.

Voilà justement ce que je ne sais pas.

HYPOLITE.

Vous hésitez.

GERMAIN.

Tiens, pourquoi donc ? i n’y a pas d’mystère à çà ; mais comm’ vous n’êtes pas de la Halle ni du port, vous n’connaissez pas pus Manon que Guillaume.

FANCHON.

Il a raison.

HYPOLITE, à part.

Cet homme n’est pas ce qu’il feint de paraître.

GERMAIN.

Ah çà ! Mlle Fanchon, dites-moi sans barguigner, si vous voulez venir, oui, z’ou non.

FANCHON.

Avant une heure, je serai à Moulin-Joli.

HYPOLITE.

Quoi ! vous voulez aller ?...

FANCHON.

Sans doute.

GERMAIN, à part.

Bon, je la tiens.

FANCHON, tirant Hypolite à l’écart.

Est-ce que, malgré votre promesse, la jalousie...

HYPOLITE.

Oh ! nullement.

FANCHON.

Pourquoi donc cet air mécontent ?

HYPOLITE.

Je vois avec peine que vous allez vous éloigner.

FANCHON.

Je vous en remercie, mais je reviendrai bientôt.

HYPOLITE.

J’attendrai votre retour avec impatience.

GERMAIN.

C’est dit Mlle Fanchon j’pouvous compter sur vous.

FANCHON.

Oui, je vous le promets.

HYPOLITE, à part.

Tâchons de la devancer à Moulin-Joli.

GERMAIN.

N’allez pas nous manquer d’parole.

FANCHON, fixant Hypolite.

Fanchon n’a jamais manqué à sa parole.

GERMAIN.

Eh ! t’nez j’aperçois une partie de la noce, qui va r’joindre les autres à Moulin-Joli. v’nez-vous en avec nous.

FANCHON.

Il faut que j’aille chez moi, mais je vous rejoindrai bientôt.

GERMAIN.

Oh ! morguienne, je n’vous quitte pas ; on s’en prendrait à moi, si vous nous faisiez faux bon.

FANCHON.

J’y consens, venez avec moi.

GERMAIN.

Eh ! ben, ça va.

FANCHON.

Adieu, mon cher Hypolite.

HYPOLITE.

J’espère n’être pas longtemps privé du plaisir de vous voir.

FANCHON.

Je ne tarderai pas à revoir tout ce que j’aime.

Elle sort avec Germain.

 

 

Scène XVIII

 

HYPOLITE, LE PÈRE LA JOIE, LES ESCAMOTEURS, LA NOCE, qui traverse le boulevard, dans le fond, LA FOULE des curieux

 

HYPOLITE.

Courons-vite changer de costume, afin de pouvoir aller à Moulin-Joli, sans être reconnu par cet homme.

Il sort.

 

 

Scène XIX

 

LES MÊMES, excepté HYPOLITE

 

LE PÈRE LA JOIE chante.

Vite aux champs,
Ces amants
Qui n’ont pas l’sou dans leur poche ;
Vite aux champs,
Ces amants,
Qui n’ont pas un sou vaillant.

JÉRÔME, tandis que le père la Joie continue de chanter.

Eh ! v’là l’père la Joie ; et vous autres attendez donc attendez donc, i faut l’amener z’avec nous, i nous divertira.

La noce revient sur ses pas.

Eh ! dis-donc, père la Joie.

LA JOIE.

Eh ! bien, qu’est-ce qu’il y a ?

JÉRÔME.

Laisse-là tes chansons, et viens-t-en avec nous à Moulin-Joli ; i’te ferons boire queuqu’ bouteille d’bon vin.

LA JOIE.

Du vin, j’y vais, et le long de la route, je vous chanterai une petite chanson sur le bon vin.

JÉRÔME.

Eh ! voyons, entonne ta chanson, je f’rons chorus.

LA JOIE.

Air : Gai ! gai ! gai ! c’est la gaité.

Eh ! gai ! gai ! gai ! c’est le bon vin
Qui du bonheur est l’père ;
Eh ! gai ! gai ! gai ! vraiment l’bon vin,
Est un présent divin.

Il inspir’ la concorde,
A l’esprit le plus mutin
Et maint’ querell’ s’accorde
Avec l’verre à la main.

TOUS, en chœur.

Eh ! gai ! gai ! etc.

LA JOIE.

Il augment la tendresse
Des amants, des époux,
Car on sait qu’ dans l’ivresse,
Tout se double pour nous.

LE CHŒUR.

Eh ! gai ! gai ! etc.

LA JOIE, en sortant.

L’buveur, envers personne,
N’a de tort c’est certain ;
Car toujours on pardonne
C’qu’est la faute du vin.

CHŒUR, dans le lointain.

Eh ! gai ! gai ! etc.

Tout le monde sort en chantant le refrain.

 

 

АСТЕ II

 

Le théâtre représente l’intérieur du jardin de Moulin-joli, éclairé par des lampions, des verres de couleur, etc. Au milieu, dans le fond une petite porte ; à gauche des spectateurs, un corps-de-logis ; à droite un pavillon, avec un petit escalier ouvert et placé en dehors. En avant de chaque côté, des berceaux de verdures et des tables. Par dessus le mur du fond on aperçoit des arbres et l’enseigne faite avec un petit moulin à vent.

 

 

Scène première

 

MARIANNE, LA VALEUR entrent par la porte du fond

 

MARIANNE.

En vérité, M. La Valeur, je vous rencontre bien à propos ; par quel hasard vous trouvai-je de ce côté ? est-ce que vous sauriez...

LA VALEUR.

Je ne sais rien du tout, et vous ne trouver en marche parce que j’allais à la Courtille, chez un certain M. Melval ; mais pourquoi me faites-vous faire halte ?

MARIANNE.

Parce que la reconnaissance me dit de sauver Fanchon.

LA VALEUR.

Sauver Fanchon !... mille bombes !

MARIANNE.

Il se forme ici un complot contre elle, j’ai tout entendu ; j’étais là-haut dans un cabinet, et...

LA VALEUR.

Chut ! nous sommes en pays ennemi, de la prudence : on a sans doute mis des espions en campagne, prenons garde d’être observés, ou de tomber dans quelque embuscade. Venez ailleurs me découvrir la mèche et je vous promets que l’ennemi sautera avec sa propre mine.

Pantomime.

Tandis que Marianne et la Valeur sortent en examinant si personne ne les observe, Méricour et Lafleur descendent du papillon.

 

 

Scène II

 

LAFLEUR, MÉRICOUR, vêtu d’une redingote

 

LAFLEUR.

Oui, M. toutes mes précautions sont bien prises, et avant le lever du soleil, Fanchon sera en votre pouvoir.

MÉRICOUR.

Prenez garde de perdre la récompense que je vous ai promise.

LAFLEUR.

J’ai profité de la noce d’une fruitière qui fournit votre maison, pour faire déguiser vos gens ; un d’eux est allé au boulevard, inviter Fanchon ; les autres sont à boire là en dehors : quand la vielleuse se retirera, ils la saisiront, la feront monter en voiture, et la conduiront à votre petite maison.

MÉRICOUR.

Fort bien, mons Lafleur, je reconnais-là votre génie.

LAFLEUR.

Je crains seulement que les gens de la noce ne mettent obstacle à l’exécution de mon projet : j’aurais fort envie de gagner ; mais il faudrait de l’argent.

MÉRICOUR.

Eh ! bien que ne parlez vous ! j’ai précisément sur moi les vingt-cinq louis que depuis douze ans M. Mascarti, cet ancien colonel, devait à mon père, et qu’il m’a envoyés ce matin.

LA VALEUR.

Avec cette somme, il n’y a plus d’obstacle à redouter.

MÉRICOUR, lui donnant une bourse.

Tenez, ne négligez rien pour réussir.

LAFLEUR.

À présent, je suis certain du succès, mais il ne faut pas que Fanchon vous rencontre ici.

MÉRICOUR.

Sous ce modeste costume, elle ne me distinguerait pas dans la foule.

LAFLEUR.

Peut-être, et en vous voyant ici, elle pourrait concevoir quelque soupçon.

MÉRICOUR.

Eh bien ! je vais passer la nuit au bal, ct dès le matin, j’irai à ma petite maison connaître le résultat de cette entre prise. Songez que je sais récompenser ceux qui me servent bien.

Il sort.

 

 

Scène III

 

LAFLEUR, seul

 

Vingt-cinq louis pour séduire les gens de la noce ! c’est beaucoup. Est-ce que je ne pourrais pas en mettre quelques-uns de côté pour moi ; ma foi oui, commençons... Non, non ; M. de Méricour m’en a promis cent, si je parvenais à enlever Fanchon ; en m’appropriant une portion de ceux-ci, je risquerais peut-être de perdre tous les autres ; il vaut mieux gagner les gens de la noce et m’assurer la récompense promise : mais quel est cet individu que j’aperçois, il a l’air d’examiner ce qui se passe. Tachons de savoir ce qu’il vient, faire ici.

 

 

Scène IV

 

LAFLEUR, HYPOLITE, vêtu d’une redingote presque pareille à celle qu’avait Méricour

 

LAFLEUR.

Monsieur, je vous salue.

HYPOLITE.

Votre serviteur.

LAFLEUR.

Vous arrivez un peu tard, si vous venez pour le festin.

HYPOLITE.

Le festin ?

LAFLEUR.

Je présume que vous êtes de la noce.

HYPOLITE.

Non, monsieur ; mais vous en êtes, sans doute !

LAFLEUR.

Oui et non.

HYPOLITE.

Comment donc cela ?

LAFLEUR.

Comme ces gens-là fournissent mon maître, ils... mon maître d’hôtel, ils m’ont prie de leur faire l’honneur d’assister à leur noce ; je n’ai pas voulu les refuser ; cela les eût mortifié, et je suis venu un moment par complaisance.

HYPOLITE, avec ironie.

Ils doivent être bien reconnaissants.

À part.

Le fat !

LAFLEUR.

Vous l’avez dit ; mais je vous avoue que cet acte de bonté me coûte beaucoup, je m’ennuie à périr avec ces gens-là.

HYPOLITE.

Ils ont un top si différent du vôtre !

 

 

Scène V

 

LAFLEUR, HYPOLITE, LA VALEUR, déguisé en fort de la Halle, paraît dans le fond avec Marianne, qui lui fait remarquer Lafleur et Hypolite

 

LAFLEUR, à part.

Il faut l’écarter.

Haut.

Après le repas, ils vont venir danser dans ce jardin. Ah ! si vous n’aimez pas le bruit, le tumulte, je vous engage à ne pas y rester.

HYPOLITE.

C’est aussi mon projet.

LAFLEUR, à part.

Bon !

HYPOLITE, à part.

De la fenêtre d’un cabinet, je pourrai voir arriver Fanchon.

Haut.

Je vous souhaite le bonsoir.

LAFLEUR.

J’ai l’honneur de vous saluer.

MARIANNE, bas à La Valeur.

Oui, voilà les deux conspirateurs.

LA VALEUR, montrant Hypolite.

Mais je connais celui-ci.

Hypolite va jusqu’à la porte du fond, et après avoir regardé en-dehors, il monte au pavillon sans être vu par Lafleur.

LAFLEUR, voyant Hypolite à la porte, à part.

À merveille, je suis parvenu à l’éloigner.

LA VALEUR, à Marianne, en lui montrant Lafleur.

Quand je l’aurai débusqué du jardin, vous ferez un rappel de tous les hommes de la noce et vous les escorterez jusqu’ici.

Marianne fait un signe d’intelligence, et s’en fonce dans le bosquet.

 

 

Scène VI

 

LAFLEUR, LA VALEUR

 

LAFLEUR, ne voyant plus Hypolite.

J’avais peur qu’il me gênât, mais m’en voilà débarrassé.

LA VALEUR, feignant un peu d’ivresse, et prenant le ton d’un fort.

Ah ! morguienne ! restez à table, vous autres, tant que vous voudrez ; moi, j’en ai t’assez comm’çà.

LAFLEUR, à part.

C’est un homme de la noce ! voyons si je pourrai le gagner.

LA VALEUR.

J’aime mieux fumer z’une pipe, en attendant que la danse commence.

LAFLEUR, à part.

Comment lui faire cette proposition ; c’est assez embarrassant.

LA VALEUR, à part.

Eh ! mille bombes ! c’est le valet de chambre de M. Bérinville : c’est égal, faisons tête à l’ennemi ; sous cet uni forme, il ne se reconnaîtra pas.

LAFLEUR.

Eh bien ! mon camarade vous quittez déjà la table ?... 

LA VALEUR.

Comme vous dites, not’ bourgeois, et j’parie qu’vous n’savez pas pourquoi.

LAFLEUR.

Je n’ai pas le talent de deviner.

LA VALEUR.

Eh ben ! moi j’vais vous l’dire.

À part.

Donnons lui l’idée de me séduire.

Haut.

C’est, qu’voyez-vous y a là-d’dans uu trop bon r’pas.

LAFLEUR.

Ah ! ah ! un bon repas vous fait peur.

LA VALEUR.

Non, non, j’dis pas ça, ben au contraire ; moi, j’aime assez un bon repas, mais j’n’aime pas qu’on dépense l’argent si vite.

LA FLEUR.

Vous aimez donc beaucoup l’argent ?

LA VALEUR.

Oui, beaucoup ! beaucoup ! c’est un métal si nécessaire, et on a tant de peine à en gagner.

LAFLEUR, à part.

Il est intéressé, je le tiens.

Haut.

Il se rencontre quelquefois des occasions où l’on en gagne beaucoup, et sans grande peine.

LA VALEUR, à part.

Il donne dans le piège.

Haut.

Il y a longtemps que je sis au monde, et jamais une de ces occasions-là n’est venue s’mettre z’a ma rencontre.

LAFLEUR.

Vous avez peut être refusé de faire ce que l’on exigeait.

LA VALEUR.

Moi, refuser d’gagner d’l’argent, laissez donc, je l’voudrais qu’je n’le pourrais pas.

LAFLEUR, à part.

Je puis sans crainte me fier à lui.

LA VALEUR.

Pour d’l’argent, je f’rais... Bah ! j’frais l’impossible : c’est fort, çà, et c’est pourtant vrai ; oui, j’frais l’impossible.

LAFLEUR.

Eh bien ! si vous voulez, cette bourse pleine d’or est à vous.

LA VALEUR.

À moi, morguienne ! je n’demande pas mieux, donnez ben vite.

LAFLEUR.

Un moment ; pour avoir cet argent, il faut consentir à enlever une femme.

LA VALEUR.

Une femme ! rien qu’une !

LAFLEUR.

Oui, une seule.

LA VALEUR.

J’en enlèverai dix, si vous voulez : toutes celles de la Noce, à commencer par la mariée.

LAFLEUR.

Non, c’est Fanchon, la vielleuse, qui va venir, et qu’il faut enlever.

LA VALEUR.

Tiens, j’la connais, c’te Fanchon-là.

LAFLEUR.

Eh bien ! y consentez-vous ?

LA VALEUR.

Si j’y consens, milzieu ! je n’veux pas qu’y en ait d’autre que moi qui l’enlève.

LAFLEUR.

Et vos camarades ?

LA VALEUR.

J’les préviendrai, pour qu’i’ m’donnent un coup d’épaule, car l’proverbe dit qu’un peu d’aide fait grand bien.

LAFLEUR.

Puisque nous sommes d’accord, je vais chercher la voiture.

LA VALEUR.

Oui, allez-vous en chercher la voiture.

LAFLEUR.

Il est vraisemblable qu’en route je rencontrerai Germain ; que j’ai chargé d’inviter Fanchon à venir ; je lui dirai de se concerter avec vous.

LA VALEUR.

Oui, mais r’commandez-lui bien de n’s’adresser qu’à moi.

LAFLEUR.

Sans doute, mais votre nom ?

LA VALEUR.

Mon nom ! ah ! vous n’savez pas non nom ; eh ben ! j’m’appelle... j’croyais vous l’avoir dit... j’m’appelle le père Futé.

LAFLEUR.

Le père Futé... je m’en souviendrai.

Il s’éloigne.

LA VALEUR, à part.

C’est bien ce que j’espère :

Haut.

Mais, écoutez donc, écoutez donc.

LAFLEUR.

Que voulez-vous ?

LA VALEUR.

La bourse, morguienne ! la bourse.

LAFLEUR.

Je vous la donnerai, quand vous aurez rempli votre promesse.

LA VALEUR.

Oh ! j’n’entends pas c’t’arrangement-là, j’n’enlève pas que je n’aie la bourse. Point d’argent, point d’enlèvement.

LAFLEUR.

Quoi ! vous voulez ?...

LA VALEUR.

L’argent.

LAFLEUR.

Mais, puis-je mie fier à votre promesse ?

LA VALEUR.

Vous exigez bien qu’je m’fie à la votre ; au surplus, si vous n’voulez pas, eh ben ! y n’y a rien d’fait

LAFLEUR, à part.

Il n’y a plus à reculer, à présent qu’il connaît mon projet.

Haut.

Allons, allons, j’y consens ; tenez, la voilà.

LA VALEUR, prenant la bourse.

À la bonne heure ! v’là c’qui s’appelle parler, çà... mais c’est-il possible ! eh ! oui, je n’me trompe pas ; j’connais c’te bourse-là.

LAFLEUR.

Que dites, vous donc ?

LA VALEUR.

J’dis qu’j’ai bu c’matin avec un d’mes anciens camarades un hussard. qui portait chez M. Bérinville, une bourse comme celle-là, z’ou s’qu’y avait vingt-cinq louis d’dans.

LAFLEUR.

Un hussard... chez M. Bérinville... c’est précisément cette bourse-là.

LA VALEUR.

Eh ben ! quand j’l’ai tenue c’matin, je n’croyais pas qu’elle n’reviendrait c’soir.

LAFLEUR.

Voilà comme l’argent circule : ah çà ! je vais m’occuper de nos préparatifs.

LA VALEUR.

Encore un p’tit mot.

LAFLEUR.

Eh bien ! quoi ?

LA VALEUR.

C’est donc M. Bérinville, qu’était-là tout à l’heure aves vous ?

LAFLEUR.

Oui, c’est lui-même.

LA VALEUR.

La redingote grise, n’est-ce pas ?

LAFLEUR.

Oui, la redingote grise ; mais que vous importe.

LA VALEUR.

Oh ! moi, çà m’est ben égal, c’est seulement pour l’savoir.

LAFLEUR.

Sans adieu. Je puis compter que vous enlèverez Fanchon.

LA VALEUR.

Oui, je l’enlèverai.

LAFLEUR.

Vous m’en donnez votre parole.

LA VALEUR.

Je vous le promets, comme vous êtes un honnête homme.

Lafleur sort.

 

 

Scène VII

 

LA VALEUR, seul, quittant le ton d’un fort

 

À merveille, l’ennemi est tombé dans le piège ; je le tiens engagé dans un défilé où il sera facile de le battre ; et, mille bombes ! je ne lui ferai pas de quartier ; j’ai à venger la perte de mes moustaches, que j’ai été obligé d’abandonner pour n’être pas reconnu. Mais cette pauvre Fanchon, qui sans s’en douter, fournissait des subsides à l’ennemi pour lui faire la guerre ? Heureusement que j’ai eu l’adresse, de m’en emparer, et ils pourront me servir à solder mes auxiliaires ; et ce M. Bérinville, qui, sous le nom d’Hypolite, venait rôder au boulevard, et conspirer contre votre charmante vielleuse. J’aurais bonne envie de lui donner l’assaut dans son pavillon, et de le forcer à quitter un poste où, sans doute, il attend la fin du combat ; mais il faut que je concerte mon ordre de bataille, et que je passe mes troupes en revue. Justement voici la garnison.

 

 

Scène VIII

 

LA VALEUR, MARIANNE, JÉRÔME, TROUPE DE FORTS DE LA HALLE

 

Pantomime.

Jérôme arrive à la tête de ses camarades ; il est amené par Marianne qui cherche la Valeur, et le montre à Jérôme.

JÉRÔME.

C’est donc toi, camarade, qui veux nous parler, à c’que dit Marianne ?

LA VALEUR, reprenant le ton d’un fort, mais sans ivresse.

Oui, mes amis, c’est moi qui veux vous d’mander l’quel vous aimez mieux d’une bonne action ou d’une mauvaise ?

JÉRÔME.

T’es farce, toi ! est-c’ qu’une demande comme çà se demande à d’honnêtes gens.

LA VALEUR.

C’est j’us, t’as raison : par ainsi vous m’aiderez tous à en · faire une bonne.

JÉRÔME.

N’y a pas d’doute á çà ; mais au fait, quoi s’que c’est ?

LA VALEUR.

Y a zici z’un mirliflor qui veut zenlever Fanchon, la vielleuse.

JÉRÔME.

Quoi ! c’te Fanchon du boulevard, qu’est aussi bonne qu’elle est gentille.

LA VALEUR.

Jus’ ; elle-même, en personne.

MARIANNE.

Oui, cette généreuse Fanchon, qui ce matin encore fait pour moi ce que je vous ai conté tout à l’heure.

JÉRÔME.

Oh ben ! morguienne, on n’la z’enlèvera pas ; j’sommes là pour la défendre, et j’nous joindrons tous à toi. Mais, dis donc, camarade, j’te connaissons pas.

LA VALEUR.

Ça ne m’étonne pas ; j’sommes ben camarades, puisque vous êtes tous d’braves gens, mais j’ne servons pas dans le même régiment.

Il quitte le ton d’un fort.

Voilà mon véritable uniforme et mes moustaches.

Il ouvre sa veste, montre celle de hussard et ses moustaches, pendues à son col.

JÉRÔME.

Eh ben ! pourquoi donc faire qu’t’as pris not’ costume ?

LA VALEUR.

Afin de n’être pas suspect aux embaucheurs qui ont en dossé votre soubre veste pour se glisser dans votre camp.

JÉRÔME.

Ous qu’y sont, ces coquins-là, qu’j’allions les assommer ?

LA VALEUR.

Non, non, attendons qu’ils se mettent en mouvement restons sur la défensive ; quand il en sera temps, je vous donnerai le signal, et nous marcherons la baïonnette en avant.

JÉRÔME.

C’est ben dit, faut zattendre qu’y fassions leux banboches.

LA VALEUR.

Ah çà ! pour cette expédition-là, je me nomme votre général, ainsi promettez-moi d’obéir à non commandement.

JÉRÔME.

J’frons tout ce que tu voudras, j’te l’promettons.

LA VALEUR.

Je vous réponds de la victoire, si vous exécutez bien mes ordres ; jurez-le sur mes moustaches.

Pantomime.

La Valeur prend ses moustaches, les présente aux forts, qui lui jurent de le seconder. Après ce serment la Valeur les fait retirer ; ils rentrent dans la maison, et Marianne s’enfonce dans le jardin. 

 

 

Scène IX

 

LA VALEUR, MASCARTI, entre par la porte du fond

 

LA VALEUR.

J’aperçois mon colonel ! par quel hasard vient-il faire une descente ici ? Voyons s’il me reconnaîtra.

MASCARTI.

Je suis fatigué de tant de courses, et j’ai grand besoin de me reposer.

LA VALEUR, reprenant le ton d’un fort, feint d’être ivre, et heurte Mascarti.

Oui, l’on à beau dire, moi je soutiens qu’y n’y a qu’un seul élément, le vin. Oui, l’vin est l’élément de toutes...

MASCARTI, le repoussant.

Prenez donc garde à ce que vous faites.

Il s’assied.

LA VALEUR.

Pardon, non officier, je n’vous voyais pas.

 

 

Scène X

 

LA VALEUR, MASCARTI, HYPOLITE, paraît au haut de l’escalier

 

HYPOLITE, à demie-voix.

Je viens de voir entrer M. Mascarti ; serait-ce, lui qui aurait envoyé chercher Fanchon ?

LA VALEUR.

Eh ! dieu m’pardonne la parole, c’est M. Mascarti, mon ancien colonel.

HYPOLITE.

Écoutons.

MASCARTI.

Moi ! votre colonel ? vous vous trompez, je n’eus jamais d’ivrogne dans mon régiment.

LA VALEUR.

On peut ben avoir un peu trop levé l’coude, sans être un ivrogne pour çà. Au surplus, ivrogne ou non, j’n’en ai pas moins fait les guerres d’Hanovre sous vos ordres.

MASCARTI.

C’est possible.

LA VALEUR.

Certainement qu’c’est possible, puisqu’ça est.

HYPOLITE.

Je ne puis rien entendre.

LA VALEUR.

Comment vous ne reconnaissez pas la Valeur ?

MASCARTI.

Eh ! c’est toi, mon camarade.

LA VALEUR.

Eh ! oui, c’est moi-même.

MASCARTI, se levant.

J’étais loin de m’en douter, nais pourquoi ce déguisement ?

LA VALEUR.

Pour sauver la vertu, que l’on attire dans une embuscade afin de la forcer de se rendre à discrétion.

MASCARTI.

Bien, mon brave ! je te reconnais là.

Il l’embrasse.

HYPOLITE.

Ils sont d’intelligence, rien n’est plus clair : allons épier l’arrivée de Fanchon.

Il rentre dans le pavillon.

 

 

Scène XI

 

LA VALEUR, MASCARTI

 

MASCARTI, le regardant avec surprise.

Eh ! mais mon camarade, où sont tes moustaches ?

LA VALEUR.

Dans ma poche, cela m’a bien coûté ; mais j’avais peur qu’elles ne donnassent l’alarme.

MASCARTI.

Explique moi donc...

LA VALEUR.

C’est Fanchon qu’on veut enlever d’assaut ; Marianne la vielleuse vous contera cela, elle vous fera part de mes dispositions, et vous pourrez me seconder dans ma défense. Mais par quel hasard avez-vous pris poste ici ?

MASCARTI.

J’étais allé près de la barrière, chez M. Melval, dont j’ai enfin l’adresse ; et que par malheur je n’ai pas rencontré. Harassé de fatigue, je suis entré ici pour me reposer un moment.

LA VALEUR.

Tant mieux ! vous n’aiderez à remporter la victoire. Eh ! tenez ! je découvre Marianne qui est dans le fond du jardin ; allez vite prendre connaissance de la marche de l’ennemi, afin que vous ne fassiez pas de fausse manœuvre.

Pantomime.

La Valeur montre Marianne à Mascarti et le renvoie.

 

 

Scène XII

 

LA VALEUR, GERMAIN

 

GERMAIN, avec le ton d’un fort.

Eh ! dites donc l’ami, pourriez-vous m’dire z’ou c’qu’est’père Futé ?

LA VALEUR.

L’père Futé... oui, M. Germain, j’pouvons vous dire çà.

GERMAIN, regarde autour de lui.

M. Germain !... à qui donc qu’vous parlez ?

LA VALEUR.

Eh ! morguienne ; c’est à vous que j’parlons, M. Germain.

GERMAIN.

À moi !

LA VALEUR.

Eh ! sans doute, à vous ; n’y a pas besoin d’faire l’finot avec moi, çà n’prend pas. Je n’vous ai jamais vu, et çà n’empêche pas que j’vous ai r’connu tout d’suite.

GERMAIN.

Vous m’avez reconnu.

LA VALEUR.

Oui, j’ai vu tout d’suite qu’vous êtes le domestique de M. Bérinville, et que c’est d’la part d’son valet de chambre qu’vous cherchez l’père Futé. Eh ben ! c’est moi qu’est l’père Futé.

GERMAIN, quittant le ton d’un fort.

J’aurais dû m’en douter. Eh bien ! avez-vous prévenu vos camarades ?

LA VALEUR.

C’est une affaire bâclée ; mais ayez bien soin de ne souffler mot à personne ; vous pourriez gâter la besogne.

GERMAIN.

Je ne m’entendrai qu’avec vous.

LA VALEUR.

Et ne vous avisez pas de rien faire sans moi.

GERMAIN.

Je m’en garderai bien.

LA VALEUR.

Bon ! c’est çà qu’i m’faut.

GERMAIN.

Fanchon me suit, elle est à deux pas d’ici.

LA VALEUR.

Ça étant, j’vais chercher la noce ; attendez moi là, j’sis à vous dans un tour de main.

Il entre dans la maison.

 

 

Scène XIII

 

GERMAIN, seul

 

Voilà qui s’arrange pour le mieux ; à présent nous n’avons plus d’obstacles à craindre, et Fanchon est à nous. En commençant cette expédition, je tremblais d’être exposé à recevoir comme de coutume, quelque petite gratification... Mais je vois avec plaisir que pour cette fois, mes épaules en sortiront saines et sauves.

 

 

Scène XIV

 

GERMAIN, LA VALEUR, LES GENS de la noce et JÉRÔME

 

Pantomime.

La Valeur revient avec toute la noce ; il présente Germain aux forts, qui feignent de le recevoir avec amitié ; à part il recommande à quelques-uns de bien l’étriller, et ils s’en chargent avec plaisir.

On entend dans le lointain Fanchon qui s’accompagne avec sa vielle et chante :

Sans la douce bienfaisance,
Il n’est pas de vrai bonheur.

La Valeur fait remarquer à Jérôme ce refrain qui peint le caractère de Fanchon, et tout le monde se range pour la recevoir.

 

 

Scène XV

 

LES MÊMES, FANCHON entre par le fond, au même instant HYPOLITE paraît au haut de l’escalier

 

LA VALEUR.

Eh ! arrivez donc Mlle Fanchon, y a au moins deux heures que j’vous attendons.

FANCHON.

Je vous en demande pardon, mais je n’ai pas pu venir plutôt.

GERMAIN.

Ah ? c’est vrai, çà.

JÉRÔME.

Allons, pisque vous v’là, réparons l’temps perdu, et baillez nous ben vite queuqu’chose de drôle, de gai...

FANCHON.

Je vais chanter une ronde.

LA VALEUR.

Va pour la ronde ; j’frons chorus, et j’danserons itout.

HYPOLITE.

Observons, mais prenons bien garde que Fanchon me voie, elle ne me pardonnerait pas ma jalousie.

FANCHON.

Air : En revenant d’Auvergne.

L’dieu qui règne à Cythere (bis)
Et qui gouvern’ la terre,
Est, dit-on, un enfant
Séduisant comm’ sa mère
(bis)
Mais plus rusé qu’son frère,
Il l’attrape souvent.
Par maint tour incroyable,
Il se rend redoutable,
Eh bien un trait damnable
L’fait paraître plus aimable,
Gai coco.
(bis)
Ah ! c’est un p’tit diable
Que ce p’tit marmot.
(bis)

Tous reprennent le refrain, et dansent.

On sait qu’monsieur son père, (bis)
N’ayant pas l’don d’lui plaire,
Parc’qu’il était boiteux ;
Pour Mars le militaire,
(bis)
Dans le cœur de sa mère,
Il alluma d’autr’feux ;
Pour comble de martyre,
Vulcain vit son délire ;
Mais ce qu’il trouva d’pire
C’fut d’entendre les dieux dire
Gai coco,
(ter)
Faut s’soumettre à l’empire
De ce p’tit marmot.
(bis)

Ô vous ! gens de tout âge (bis)
Qui voulez qu’dans l’mariage
L’amour fass’ vot’ bonheur,
Sachez que ce dieu volage,
(bis)
Veut pour s’nir en ménage
Qu’on l’traite avec douceur,
Qu’vot’ bonne intelligence
Flatte son espérance ;
Pour fixer sa constance,
Répétez en cadence,
Gai coco.
(ter)
Et dansez la danse
De ce p’tit marmot.
(bis)

JÉRÔME.

Grand merci, Fanchon, vous nous avez dégoisé çà d’une jolie manière. Ah çà, messieurs les crins-crins, à votre tour pendant qu’la vielleuse va se reposer un p’tit brin.

Pantomime.

Jérôme fait asseoir Fanchon, et l’on danse. Pendant ce temps Jérôme lui sert des rafraîchissements ; après la première partie du ballet, la Valeur, qui rôdait de tous les côtés, s’approche.

LA VALEUR.

Eh ben ! donc, est-ce qu’les mariés n’dansont pas aussi.

JÉRÔME.

Il a raison ; pisque c’est pour eux, il faut ben qu’y z’en prennent leur part. Allons mes amis, mettez-vous en train.

Lorsque toutes les danses sont finies, Lafleur, qu’on a su se glisser parmi les gens de la noce, s’approche de la Valeur.

LAFLEUR, bas à la Valeur.

La voiture est arrivée.

LA VALEUR.

V’là qu’est bon.

GERMAIN, de l’autre côté, bas à la Valeur.

Si nous les emmenions en dehors.

LA VALEUR.

Oui, vous ayez là une bonne idée.

GERMAIN.

Écoutez donc, mes amis, on s’lasse d’toujours danser si j’allions en-dehors sur la pelouse, jouer à queuque petit jeu.

JÉRÔME, à la Valeur.

Eh ! dis donc, toi ! c’est y ton avis qu’j’allions jouer...

LA VALEUR, en lui faisant un geste de bastonnade.

Sans doute nous nous amuserons-là d’une autre manière.

JÉRÔME.

Ah çà ! vous autres, suivez-moi tous ; j’allons aller là d’l’autre côté, jouer des p’tits jeux au son de la vielle de Fanchon.

 

 

Scène XV

 

LA VALEUR, MASCARTI, LAFLEUR, HYPOLITE

 

Pantomime.

Tandis que tous les gens de la noce se disposent à sortir Germain va éteindre les lampions en-dehors. La Valeur fait signe à Mascarti de venir : il paraît avec Marianne que la Valeur renvoie. Elle sort avec les gens de la noce ; et Lafleur, pendant ce temps, se félicite du prochain succès de son projet. Lorsque tout le monde sort, Hypolite rentre dans le pavillon pour n’être pas vu, et regarder en-dehors.

LA VALEUR, bas à Mascarti.

Il y a là-haut dans ce pavillon un jeune homme que vous avez vu au boulevard ; c’est le général ennemi, retenez-le prisonnier

MASCARTI.

Je m’en charge.

LA VALEUR, à Lafleur, qui est prêt à sortir.

Eh ben, morguienne, où donc qu’vous allez ?

LAFLEUR.

Mais, n’est-ce pas le moment...

LA VALEUR.

Jus’, et c’est pour çà qu’y faut qu’vous surveillez c’bourgeois-là, y n’aurait qu’à sortir à l’instant z’où c’que...

LAFLEUR.

Eh ! oui, tu as raison.

LA VALEUR.

Si vous l’quittez d’vue, vous m’frez manquer mon coup.

LAFLEUR.

Sois tranquille, je reste ici pour l’observer.

LA VALEUR.

Oui, restez, v’là tout c’que je d’mande.

Il sort.

 

 

Scène XVI

 

MASCARTI, LAFLEUR, HYPOLITE, descend de l’escalier

 

Mascarti l’épie, et a l’air de se promener.

HYPOLITE.

Continuons de les observer, et suivons-les.

MASCARTI, lui barrant le passage.

Eh ! comment, c’est vous ? je ne m’attendais pas à vous rencontrer ici.

HYPOLITE avec intention.

Ma présence vous gêne, peut-être ?

MASCARTI.

Au contraire, je serai charmé de causer un moment avec vous.

HYPOLITE.

Dans tout autre instant, ce sera toujours avec le plus grand plaisir, mais dans celui-ci...

MASCARTI.

J’espère pourtant que vous ne me refuserez pas.

On entend du bruit en-dehors.

HYPOLITE.

Malgré moi, je suis forcé de vous quitter.

Il s’éloigne.

MASCARTI, le suivant.

Non, non, je vous en conjure.

LAFLEUR les arrête tous deux, et les amène sur le bord de la scène ; tandis que le bruit redouble.

Eh ! messieurs, ne sortez pas d’ici, j’entends un vacarme affreux en-dehors.

HYPOLITE.

Je veux voir ce que c’est.

LAFLEUR, le retenant.

Sans doute des gens ivres, et ce serait vous exposer inutilement, que de...

 

 

Scène XVII

 

MASCARTI, LAFLEUR, HYPOLITE, JÉRÔME, accourant

 

JÉRÔME.

Eh ben ! vous autres, vous êtes ben tranquille, pendant qu’on enlève Fanchon.

HYPOLITE.

On enlève Fanchon !

JÉRÔME.

Oh ! c’est une affaire faite, elle est partie.

LAFLEUR, à part.

Partie ! suivons-la bien vite.

Il s’enfuit.

 

 

Scène XVIII

 

JÉRÔME, MASCARTI, HYPOLITE

 

HYPOLITE.

Je vole à sa défense.

JÉRÔME.

Ah ! j’dis, n’prenez c’te peine-là, au train dont vont les chevaux, elle est déjà ben loin.

HYPOLITE.

Savez-vous qui a osé se permettre un tel attentat ?

MASCARTI, à part.

Mais voyez son effronterie.

JÉRÔME.

Ma foi, celui qu’a fait c’coup-là, est un rusé matois ; il nous avait fait un conte pour nous engager de l’aider à en pêcher qu’on n’enlevât Fanchon, et pas du tout, quand j’ons été là-dehors, il a pris c’te pauvre vielleuse, qui n’se méfiait de rien, il l’a campée dans une voiture qui attendait, et fouette cocher.

MASCARTI, à part.

Mais je n’y conçois plus rien.

HYPOLITE

Connaissez-vous cet homme ?

JÉRÔME.

Non, j’savons seulement qu’c’est un hussard qu’avait pris not costume pour faire c’beau coup-là.

HYPOLITE.

Un hussard déguisé ! c’est assez.

À Mascarti.

Je vois monsieur, que vous pourriez mieux que personne nous donner l’explication de cet événement.

MASCARTI.

Moi, monsieur ?

HYPOLITE.

Oui, mais je sens qu’il est inutile de vous la demander, vous ne direz pas à votre rival ce que vous avez fait de l’objet de votre amour.

MASCARTI.

L’objet de mon amour.

HYPOLITE.

Sans doute Fanchon partage vos sentiments, puisque depuis deux mois elle n’a point passé un jour sans aller chez vous...

MASCARTI.

Que dites-vous, monsieur...

HYPOLITE.

La vérité : mais j’aime aussi cette femme perfide, et je l’arracherai de vos mains ; les braves camarades de cet homme me donneront des renseignements, je volerai sur les traces de Fanchon, je saurai la retrouver, et demain nous nous verrons ; adieu monsieur.

Il sort.

 

 

Scène XIX

 

MASCARTI, JÉRÔME stupéfait

 

MASCARTI.

Désabusez-vous, Monsieur ; j’ignore absolument... Il ne n’écoute pas.

JÉRÔME.

Mais morguienne ! c’est une énigme. J’veux être damné si je devine le mot.

MASCARTI.

Ni moi non plus.

JÉRÔME.

Cependant, d’après c’qu’il a dit, vous devez être au fait.

MASCARTI.

Tout à l’heure je le croyais, mais à présent je ne sais plus que penser.

JÉRÔME.

Mais vous connaissez ce hussard ?

MASCARTI.

Beaucoup, et je sais qu’il voulait sauver Fanchon des poursuites de ce jeune homme, qui avait tout préparé pour son enlèvement.

JÉRÔME rit.

Bon ! j’vois qu’i vous a fait l’même conte qu’à nous, et vous avez donné d’dans.

MASCARTI.

Il faut donc qu’égaré par l’amour que lui a inspiré cette vielleuse, il ait profité de l’occasion. Mais non cela n’est pas croyable.

JÉRÔME rit.

Ah ! Ah ! vous avez aussi donné dans le godant.

 

 

Scène XX

 

MASCARTI, JÉRÔME, LA VALEUR, FANCHON, LES GENS de la noce

 

LA VALEUR.

Victoire ! Victoire, nous avons gagné la bataille.

MASCARTI.

Que vois-je ? La Valeur et Fanchon.

JÉRÔME.

Est-ce que j’ai donc la berlue, i m’semble qu’c’est eux.

FANCHON.

Ah ! monsieur, que j’ai d’obligations à ce brave homme.

MASCARTI, à Jérôme.

Vous disiez qu’il l’avait enlevée.

FANCHON.

C’est lui qui m’a sauvée.

JÉRÔME.

Mais j’vous dis que j’lai vu d’mes deux yeux la mettre dans la voiture qu’est aussitôt partie au grand galop.

LA VALEUR.

Mille bombes ! il est aussi dupe que les autres.

MASCARTI.

Mais explique-nous donc ce mystère.

LA VALEUR.

Lorsque nous sommes sortis d’ici en colonne, nous avons trouvé en-dehors l’ennemi qui s’est mis en mouvement aussitôt qu’il nous a vus ; moi, j’ai fait former ces braves gens-ci en bataillon quarré, et j’ai placé Mlle Fanchon au centre comme une batterie cachée.

MASCARTI.

Fort bien, mon cher la Valeur.

LA VALEUR.

Voici le meilleur : Comme l’obscurité avait empêché les ennemis de reconnaître mes dispositions, au moment où ils allaient fondre sur nous, moi j’ai couru sur Marianne la vielleuse. Trompez par cette fausse attaque, ils m’ont suivi ; aussitôt j’ai jeté un mouchoir sur la tête de Marianne ; je l’ai saisie et portée dans un fourgon de l’ennemi, qui croyant avoir fait une capture merveilleuse, est parti an grand galop, nous laissant le champ de bataille et Mlle Fanchon.

JÉRÔME.

Tiens, c’est Marianne qu’ils ont emmenée...

FANCHON.

Elle-même.

JÉRÔME.

Oh ! le bon tour !

MASCARTI.

Mais cette pauvre Marianne...

LA VALEUR.

Elle n’a rien à craindre ; son âge lui servira de sauvegarde.

FANCHON, à la Valeur.

Malgré tout ce que vous m’avez dit, je ne puis croire qu’Hypolite...

MASCARTI.

Il sort d’ici.

FANCHON.

Quoi ! il m’aurait caché son véritable nom et ce serait lui qui...

MASCARTI.

À propos, il m’a dit que depuis deux mois environ vous êtes tous les jours venue chez moi.

LA VALEUR.

Oh ! ce n’est ni le temps, ni le lieu d’entrer en pourparler. L’ennemi peut s’apercevoir de notre ruse, et revenir en force nous surprendre ; ainsi dépêchons-nous de faire notre retraite en bon ordre.

JÉRÔME.

Morguienne, j’vous accompagnons tous, crainte de queuque accident.

LA VALEUR.

Oui, mes amis venez tous avec nous ; vous protégerez notre marche. Mais afin de pouvoir vus reconnaître, prenons pour mot de ralliement Fanchon et vertu.

Pantomime.

Ils se mettent en marche, selon les ordres de la Valeur, qui commande et place militairement les hommes et les femmes de la noce, qui servent d’escorte a Fanchon.

 

 

ACTE III

 

Le théâtre représente l’intérieur du jardin de Mascarti. Sur un des côtés est un corps-de-logis, avec un pavillon attenant ; de l’autre, une petite porte.

 

 

Scène première

 

LA VALEUR, MASCARTI

 

Pantomime.

Au lever du rideau, la valeur et Mascarti se promènent en parlant très vivement ; Mascarti témoigne autant de surprise que d’attendrissement, en écoutant la Valeur.

LA VALEUR.

Oui, mon colonel, c’est. Mlle Fanchon qui vous a se couru, et comme vous l’a dit ce M. Hypolite, elle est venue tous les jours ici ; mais c’était pour s’assurer si vous ne manquiez de rien.

MASCARTI.

Quelle générosité !

LA VALEUR.

C’est elle aussi qui ; pendant que la maladie vous avait ôté la connaissance, vous a fait transporter dans cette mais son, dont elle a paye le loyer pour trois campagnes.

MASCARTI.

Ah ! je suis enchanté que la fortune me permette aujourd’hui de lui témoigner ma reconnaissance.

LA VALEUR.

N’allez pas lui dire que c’est moi qui vous ai appris...

MASCARTI.

Sois tranquille, je te le promets ; mais toi-même, garde le silence : qu’elle ne soupçonne pas que je suis instruit ayant que j’aie trouvé le moyen de m’acquitter d’une manière digne d’elle.

LA VALEUR.

Je serai muet.

MASCARTI.

Quand à toi, mon brave camarade, ton zèle recevra sa, récompense.

LA VALEUR.

Je la refuse mon colonel ; en est-il qui vaille celle qu’à chaque instant je trouve-là.

Il montre son cœur.

MASCARTI.

Tu m’enchantes, mon ami.

LA VALEUR.

Mon colonel, j’ai une grâce à vous demander.

MASCARTI.

Une grâce ?

LA VALEUR.

C’est vous, qui de simple soldat, m’avez fait maréchal-des-logis ; eh bien ! mon colonel, ayez-la-bonté de n’accorder votre protection pour me faire obtenir de l’avancement.

MASCARTI.

Explique-toi.

LA VALEUR.

Je ne suis que l’amoureux de Mlle Fanchon ; je voudrais devenir son époux : vous voyez, mon colonel, que je ne demande qu’à monter en grade.

MASCARTI.

Oui ; mais Fanchon connaît-elle tes sentiments ?

LA VALEUR.

Elle a demandé une trêve, mais la saison est trop avancée pour que je tienne longtemps la campagne, et je me verrai forcé de me retirer dans mes quartiers d’hiver.

MASCARTI.

Que veux-tu que je fasse pour toi ?

LA VALEUR.

Que vous interposiez vos bons offices.

MASCARTI.

Eh bien ! je lui parlerai, et je souhaite réussir.

LA VALEUR.

Eh ! tenez, je l’aperçois.

 

 

Scène II

 

FANCHON, MASCARTI, LA VALEUR

 

FANCHON.

Pardonnez, monsieur ; la liberté que je prends.

MASCARTI.

Vous me faites grand plaisir.

FANCHON.

Je viens m’informer de votre santé ; car je suis cause que vous vous êtes couche un peu tard.

MASCARTI.

Vous êtes trop bonne, je me porte à merveilles.

Avec intention.

La soirée d’hier m’a fait plus de bien que vous ne pouvez penser.

FANCHON.

J’en suis enchantée ; je viens aussi remercier le bon la Valeur du service qu’il m’a rendu.

LA VALEUR.

Trop heureux Mlle Fanchon d’avoir pu assurer votre retraite.

Bas à Mascart.

Mon colonel, si vous...

MASCARTI, bas à La Valeur.

Laisse-moi faire.

FANCHON.

Sans vous, M. La Valeur, j’étais en grand danger.

MASCARTI.

Quand on est jeune et jolie, on est souvent exposée à de semblables dangers et vous devriez songer à vous en garantir.

FANCHON.

Hé par quel moyen ?

MASCARTI.

En unissant votre sort à celui d’un galant homme, qui imposerait silence aux prétentions de tous les autres.

FANCHON.

Le moyen me paraît fort bon, et je pourrai bien en faire usage.

MASCARTI.

Eh bien, puisque çà ne vous déplait pas, je veux vous proposer un mari ; un brave homme plein d’honneur...

LA VALEUR.

Et d’amour, mille bombes.

FANCHON.

Je devine que c’est vous, M. la Valeur.

LA VALEUR.

Et vous devinez juste.

MASCARTI.

Eh ! bien, Fanchon, acceptez vous ?

FANCHON.

Je le voudrais, afin de prouver à la Valeur toute ma reconnaissance ; mais la chose est impossible.

MASCARTI.

Fanchon, vous avez tort de refuser ce brave militaire.

FANCHON.

Après le service qu’il m’a rendu, je pourrais paraître coupable d’ingratitude, si je ne m’expliquais pas sans détour. Apprenez que j’aime, que je suis aimée, et que l’hymen ya couronner l’amour.

LA VALEUR.

Allons, voilà toutes mes batteries enclouées.

MASCARTI.

Sérieusement, vous allez vous marier.

FANCHON.

Sons peu de jours, l’épouse Hypolite.

MASCARTI.

Hypolite !

LA VALEUR.

Ce maraudeur qui voulait vous enlever.

FANCHON.

Je vous l’ai déjà dit, vous êtes dans l’erreur.

LA VALEUR.

Eh ! non mille bombes ! j’ai bien reconnu son valet-de chambre avec lequel il conspirait, et je mettrais ma tête à la bouche du canon, que ce prétendu Hypolite, qui s’est toujours montré au boulevard comme un petit bourgeois, est logé dans un superbe hôtel au faubourg Saint-Germain ; en un mot, que c’est M. Berin...

FANCHON, l’arrêtant.

Chut.

La Valeur fait un signe d’intelligence.

Je ne puis croire ce que vous me dites, Hypolite m’a toujours assuré qu’il demeurait à la Courtille, chez M. Melval.

MASCARTI.

M. Melval

À part.

quel soupçon.

LA VALEUR, à Mascarti.

Chez M. Melval.

MASCARTI, bas à la Valeur.

De la discrétion.

FANCHON.

Pourquoi cette surprise ? oui, cet ami qui a pris soin de lui, car depuis long temps il a perdu ses parents.

MASCARTI, à part.

Courons vite éclaircir mes doutes.

Haut.

Pardon, aimable Fanchon, je suis forcé de vous quitter ; mais je reviendrai bientôt, et je désire vous retrouver.

FANCHON.

Monsieur, j’attendrai votre retour.

À part.

Je suis en chantée qu’il s’éloigne.

MASCARTI, bas à La Valeur.

Garde-toi de trahir mon secret.

Haut.

Sans adieu, Fanchon. Je ne serai pas longtemps.

Il sort.

 

 

Scène III

 

LA VALEUR, FANCHON

 

FANCHON.

Ah ! je suis ravie que votre colonel soit sorti, car après ce que Hypolite lui a dit hier, je pense qu’il ne manquera pas de se rendre ici, et je suis venue pour prévenir les suites de sa jalousie.

LA VALEUR.

Ne craignez rien, car je vous le répète encore, Hypolite et M. Bérinville, c’est le même.

FANCHON.

Je suis certaine que vous vous trompez ; mais en me parlant de M. Bérinville, vous me faites souvenir qu’il faut que je fasse parvenir à M. Mascarti la quittance que vous avez rapporté : les événements d’hier m’ont empêché d’y songer. Il faut aussi que je profite de l’absence de votre maître pour aller savoir des nouvelles de Marianne.

LA VALEUR.

Ils l’auront mise en liberté, quand ils se seront aperçus de ma ruse.

FANCHON.

Je vais passer par la petite porte du jardin, afin d’être revenue avant l’arrivée d’Hypolite.

LA VALEUR.

Eh ! laissez-là votre Hypolite, et songez que la Valeur vous aime.

Pantomime.

Fanchon sort.

 

 

Scène IV

 

LA VALEUR, seul

 

Cependant, en y réfléchissant, je pense que ma position est fort bonne. Si, comme je le crois, Hypolite est M. Bérinville, sa tactique n’est pas à craindre, il n’épousera pas Fanchon. Si, au contraire, Hypolite a été élevé par M. Melval, il est vraisemblable que c’est le fils de mon colonel, et le fils de mon colonel n’épousera pas une vielleuse. Delà, je conclus qu’en attendant que tout ceci s’éclaircisse, je dois suspendre les hostilités, et rester en observation.

 

 

Scène V

 

LA VALEUR, LAFLEUR

 

LA VALEUR, apercevant Lafleur.

Qu’est-ce que...

LΑFLEUR.

Je vous trouve enfin !

LA VALEUR.

Comment ! il a l’effronterie de paraître ici ?

LAFLEUR.

Ah ! ah ! père Futé ! vous avez cru que je ne parviendrais pas à vous découvrir !

LA VALEUR.

Apprenez que je ne me suis jamais caché à l’approche de l’ennemi.

LAFLEUR.

Vous avez pensé que vous échapperiez à la juste vengeance que je dois tirer de l’outrage que vous m’avez fait.

LA VALEUR.

Morbleu ! je ne croyais pas que l’on pût vous outrager.

LAFLEUR.

C’en est trop, et vous mériteriez qu’à l’instant même...

La Valeur fait un geste qui effraye Lafleur.

Mais je respecte la maison de M. Mascarti.

LA VALEUR.

C’est fort bien ; mais suivez-moi, et à deux pas d’ici...

LAFLEUR.

Un moment.

LA VALEUR.

Vous m’avez jeté le gant, j’accepte le combat, et je veux bien vous faire l’honneur de vous couper les oreilles.

LAFLEUR.

Prenez-y garde, j’ai la main malheureuse.

LΑ VALEUR.

Vous voulez peut-être dire maladroite.

LAFLEUR.

Je tue mon homme

LA VALEUR.

Moi, je le corrige.

LAFLEUR.

Doucement, doucement, il faut que je commence par savoir si j’ai réellement sujet de me plaindre de vous.

LA VALEUR.

Ah ! vous n’en êtes pas sûr !

LAFLEUR.

Sans doute ; si j’en étais sûr, vous...

LA VALEUR.

Je...

LAFLEUR.

Vous verriez que j’aurais bientôt pris mon parti.

LA VALEUR.

En homme prudent, n’est-ce pas ? Mais sachons donc en quoi vous croyez avoir à vous plaindre de moi ; est-ce parce, que je vous ai fait la guerre, et que je vous ai battu.

LAFLEUR, d’un ton dédaigneux.

Nous étions antagonistes, il n’y a pas de mal à cela ; vous avez employé une mauvaise ruse.

LA VALEUR.

Qu’appelez-vous une mauvaise ruse.

LAFLEUR.

Oh ! bien bonne, excellente pour vous, et vous avez été plus adroit que moi.

LA VALEUR.

Parbleu ! cela n’était pas difficile vous avez donné dans l’embuscade comme un sot.

LA FLEUR, vivement.

Comme un sot !

LA VALEUR.

Oui, comme un sot, je le répète.

LAFLEUR.

Et moi, j’en conviens.

LA VALEUR.

Allons au fait ; pourquoi n’en voulez-vous ?

LAFLEUR.

Allons, allons, point d’humeur ; et loin de vous fâcher, de ma franchise convenez que c’est en me faisant une fausse promesse, que vous êtes parvenu à me soulever 25 louis.

LA VALEUR.

Oui, je conviens que j’ai employé la ruse...

LAFLEUR.

Cet argent n’ayant pas été légitimement gagné vous voyez bien...

LA VALEUR.

Oui, je vois que vous êtes aussi attaché à l’argent qu’à la vie. Eh bien ! je vous rends votre bourse.

LAFLEUR.

Bon ! c’est là ce que je voulais.

LA VALEUR.

La voilà ! je n’eus jamais l’intention de la garder.

LAFLEUR.

Eh bien ! ai-je eu tort de me modérer ; quel reproche j’aurais à me faire de vous avoir tué. Ah ! je me doutais bien que vous étiez un galant homme.

LA VALEUR.

Et moi, que vous étiez un poltron.

LAFLEUR, en sortant.

Si votre malheur veut que l’occasion s’en présente, vous apprendrez à vos dépends qu’on ne m’attrape pas deux fois.

Il s’éloigne.

FANCHON, dans la coulisse.

Venez, venez, Marianne, M. Mascarti sera bien aise de vous voir.

LA VALEUR.

Eh ! voici la bonne Marianne.

LAFLEUR, prêt à sortir.

Que vois-je ! Fanchon ; profitons de l’occasion, vite à mes gens.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

LA VALEUR, MARIANNE, FANCHON, entre par la petite porte

 

LA VALEUR.

Eh bonjour ma pauvre Marianne, que je vous embrasse.

MARIANNE.

M’embrasser ? quand je devrais vous arracher les yeux.

FANCHON.

Allons, plus de colère.

MARIANNE.

C’est affreux ! c’est abominable, m’avoir fait enlever !

LA VALEUR.

Ah ! mille bombes, vous auriez tort de m’en vouloir.

MARIANNE.

Comment l après m’avoir joué un tour...

LA VALEUR.

Qui n’était pas dans mon plan, les gens de la noce vous le diront.

MARIANNE.

Oui, oui, Jérôme n’a raconté comment cela s’est fait.

LA VALEUR.

Vous l’ayez donc rencontré ?

FANCHON.

Il a eu la bonté de venir me voir tout à l’heure avec ses amis, et maintenant ils sont au cabaret voisin.

LA VALEUR.

Eh çà ! dis-moi donc, Marianne, les coquins ont dû être bien déconcertes, quand ils ont vu leur méprise.

MARIANNE.

En arrivant, sans m’écouter, on n’a enfermée dans une chambre et ce n’est que ce matin qu’on s’est aperçu de l’erreur, lorsque M. Méricour est arrivé.

FANCHON.

M. Méricour ? ce n’est donc pas M. Bérinville ?

MARIANNE.

Bérinville, je ne connais pas ce nom.

LA VALEUR.

C’était pourtant bien sou valet de chambre.

MARIANNE.

Tout ce que je puis vous dire, c’est que j’ai vu ce jeune seigneur qui dînait hier au boulevard, et qui a appelé Fanchon.

FANCHON.

Eh bien ! c’est M. Méricour.

MARIANNE.

Ah ! vous ne pouvez pas vous figurer sa surprise en me voyant. Cependant il fini par rire de notre rencontre inattendue ; mais son domestique est furieux, et a juré qu’il s’en vengerait.

LA VALEUR.

Qui ? M. Lafleur ?

MARIANNE.

Justement. Après m’avoir ramené ce matin, il est allé à Moulin-Joli, dans l’espérance d’y trouver encore le père Futé.

 

 

Scène VII

 

LA VALEUR, MARIANNE, FANCHON, LAFLEUR, GERMAIN, et AUTRES DOMESTIQUES qui entrent furtivement par la petite porte

 

LA VALEUR.

C’est-là sans doute qu’il aura appris qui j’étais ; car il sort d’ici.

FANCHON.

Ô ciel ! il vous aurait ?...

LA VALEUR.

Ne vous alarmez pas, aimable Fanchon M. Lafleur n’est point à craindre ; c’est un soldat d’antichambre...

LAFLEUR.

Rendez-vous ; la résistance est inutile.

LA VALEUR.

Me rendre ! ah ! mille bombes ; tu vas payer ton audace.

Pantomime.

La Valeur veut tirer son sabre ; il est arrêté et saisi, ainsi que Fanchon et Marianne, Tandis que l’on emmène Fanchon on attache la Valeur et Marianne.

LAFLEUR.

Adieu, mon camarade, j’espère que vous ne m’en voudrez pas d’avoir pris ma revanche. Je sais que mon maître doit venir ce matin remercier M. Mascarti. Ainsi, faites-moi le plaisir de le prévenir que Fanchon est en notre pouvoir.

LA VALEUR.

En ton pouvoir, mille millions d’escadrons !

LAFLEUR.

Vous lui ferez grand plaisir ; car il ne se doute pas de cette expédition-ci. Adieu, mon brave.

LA VALEUR.

Mille boulets te fracassent.

LAFLEUR.

Vous qui faite si bien la guerre, apprenez à vous garantir des surprises.

Ils sortent.

 

 

Scène VIII

 

LA VALEUR, MARIANNE, attachés à un arbre

 

LA VALEUR.

Le coquin s’en va, et je ne puis pas l’assommer : Ah ! La Valeur ! La Valeur ! quelle honte pour toi, prisonnier au milieu de ton camp ! ils n’ont ficelé comme une carotte de tabac. Ah ! mille bombes ! cent mille millions de tonnerre !

MARIANNE.

Eh ! M. La Valeur ! pendant que vous jurez, ils s’en vont.

LA VALEUR.

Justement, c’est là ce qui me fait jurer.

MARIANNE.

Ils emmènent Fanchon.

LA VALEUR.

Ah ! ne m’en parlez pas, la colère me suffoque. J’enrage d’être vaincu par un poltron.

MARIANNE.

Si nous appelions.

LA VALEUR.

Hé qui diable voulez-vous qui nous entende ? Il n’y a personne, dans cette maison, qui est isolée. Les scélérats ! les brigands !

MARIANNE.

Vous avez bien raison, ce sont des brigands.

LA VALEUR.

Des voleurs, des assassins ; ils me le payeront ; ils se souviendront d’avoir attaché la Valeur, la Valeur, qui, à lui seul, a tenu tête à douze houlans. Par la bouche du canon, je jure...

MARIANNE.

Paix, j’entends du bruit.

JÉRÔME.

Eh ! ben, d’queu côté c’est-i donc !

LA VALEUR.

C’est la voix de Jérôme ! Jérôme, Jérôme.

 

 

Scène IX

 

LA VALEUR, MARIANNE, FANCHON, JÉRÔME, PLUSIEURS FORTS

 

FANCHON.

Ah ! mes amis, que je vous ai d’obligation.

MARIANNE.

Est-il possible, Fanchon ?

FANCHON.

Ah ! ma pauvre Marianne.

LA VALEUR.

Comment, mille bombes, elle est sauvée.

JÉRÔME.

Eh ! oui, morguienne ! j’nous sommes trouvés là pour la désenlever, et rosser les enleveux... Mais comme y vous avait ficelé.

Pantomime.

Pendant cette scène, Marianne et La Valeur ont été dé tachés par Jérôme et par les forts.

LA VALEUR.

Ah ! Mlle Fanchon, vous n’imaginez pas comme je souffrais d’être prisonnier, et de ne pouvoir les assommer, ou de mourir pour vous.

FANCHON.

Cela n’était pas nécessaire. Sachant que Jérôme et ses camarades étaient dans le voisinage, j’ai feint de me laisser conduire sans résistance jusqu’à la voiture : là, j’ai appelé à mon secours ces braves gens, qui n’ont pas eu de peine à m’arracher des mains de mes ravisseurs.

JÉRÔME.

Ah ! mille z’yeux ! comme j’les avons frottés.

LA VALEUR.

Quel dommage que je n’aie pas été là. Mais quel tumulte se fait entendre ; serait-ce eux qui reviendraient.

MARIANNE.

Vous me faites trembler.

JÉRÔME.

Ah ! n’ayez pas peur, j’leur ont ôté l’envie de recommencer.

LA VALEUR.

N’importe, il fa t s’en méfier ; laissez-moi faire. Je voudrais qu’ils reviennent : vous allez voir ; cachez-vous, mes amis, et ayez soin de ne vous montrer que quand je vous le dirai.

JÉRÔME.

C’est dit, vous v’là encore not’ général.

Pantomime.

La Valeur les fait tous cacher.

 

 

Scène X

 

LA VALEUR, MASCARTI

 

Pantomime.

Mascarti sort du pavillon, en faisant signe à ceux qui sont dedans d’attendre et de ne pas se montrer. La Valeur le regarde et ne sait que penser de l’air de mystère avec le quel il s’approche de lui.

LA VALEUR.

Et c’est mon colonel.

MASCARTI.

La Valeur.

LA VALEUR.

Mon colonel.

MASCARTI.

Veille sur ce pavillon.

LA VALEUR.

Oui mon colonel. Est-ce que ce seraient eux ?

MASCARTI.

Qui, eux ? Empêche qu’on y entre.

MASCARTI.

Oui, mon colonel. Vous les avez donc rencontrés.

MASCARTI.

Et qu’on en sorte.

LA VALEUR.

Oui, mon colonel.

MASCARTI.

Songe qu’il y a une issue par ce pavillon.

LA VALEUR.

Oui, mon colonel, je vais monter la garde. Mais auparavant sachez...

MASCARTI.

Fais ce que je te dis.

LA VALEUR.

J’obéis.

MASCARTI.

La Valeur.

LA VALEUR.

Mon colonel.

MASCARTI.

Tu ne soupçonnes pas ce qu’il y a dans la maison ?

LA VALEUR.

Eh ! bien, ce sont eux ; et c’est pour cela vous dire...

MASCARTI.

Eh ! mais, où est donc Fanchon ?

LA VALEUR.

Elle est ici.

MASCARTI.

Où donc ?

LA VALEUR.

En sureté, dans le fond du jardin.

MASCARTI.

Bon ! enfin tout se réunit pour me faire oublier mes malheurs ; je touche au terme de la félicité, et bientôt tous que je voulais mes vœux seront remplis. J’ai retrouvé mon Édouard chez M. Melval, et...

LA VALEUR.

Qui vive !

MASCARTI.

Eh ! bien, qu’as-tu donc ?

LA VALEUR.

Qui vive !

MÉRICOUR, en dehors.

Je demande M. Mascarti.

LA VALEUR.

Halte-là ! mon colonel, un officier demande à vous parler !

MASCARTI.

Fais entrer.

LA VALEUR.

Passez.

 

 

Scène XI

 

LA VALEUR, MASCARTI, MÉRICOUR, en uniforme de colonel

 

MÉRICOUR, à la porte.

Quel appareil militaire !

Il avance.

quand j’entrerais dans une forteresse ?

LA VALEUR, quand il est passé.

Que vois-je ! c’est mon rival du boulevard.

MASCARTI.

Votre serviteur, monsieur.

MÉRICOUR.

J’ai bien l’honneur de vous saluer.

MASCARTI.

Puis-je savoir ce qui me procure le plaisir...

MÉRICOUR.

Un double motif m’amène. Je viens, s’il est possible, réparer les torts que l’apparence me donne envers vous.

LA VALEUR, s’avançant.

Oui, mon colonel, c’est M. Méricour qui...

MASCARTI.

Silence, la Valeur.

MÉRICOUR.

Permettez qu’il continue, car j’ai beaucoup d’obligations à ce brave homme ; c’est son exemple qui m’a servi de leçon ; j’ai rougi d’outrager la vertu, tandis qu’il était son défenseur.

LA VALEUR, à part.

Voilà qui me raccommode avec lui.

MÉRICOUR.

Achevez, mon camarade.

LA VALEUR.

Je vous demande pardon, non officier ; mais si je ne me trompe, c’est d’après vos ordres qu’un certain coquin nommé Lafleur, a enlevé Mlle Fanchon.

MASCARTI.

Quoi, Monsieur.

MÉRICOUR.

Oui, je dois l’avouer ; étourdi comme on l’est à mon âge, et égaré par mon amour, je me suis permis hier une action dont je suis honteux aujourd’hui, et ayant appris par Marianne l’intérêt que vous prenez à cette vielleuse, je venais vous prier de m’aider à obtenir mon pardon.

MASCARTI.

Monsieur, votre démarche...

LA VALEUR.

N’est pas franche du tout.

MASCARTI.

Comment, la Valeur !

MÉRICOUR.

Eh quoi ! brave homme, vous doutez de mon repentir.

LA VALEUR.

Eh ! mille bombes ! qui n’en douterait pas, puisque tout à l’heure encore votre Lafleur est venu jusques dans nos retranchements enlever Mlle Fanchon et me garrotter.

MÉRICOUR.

Tout à l’heure, dites-vous ? c’est sans mon ordre. Ah ! monsieur, je vous prie d’agréer mes excuses, et d’être persuadé que je désavoue un pareil attentat.

MASCARTI.

Quoi ! ce matin, ici même ?

LA VALEUR.

Oui, mon colonel, voilà ce que je voulais vous conter tout à l’heure, et c’est pour cela que j’ai fait cacher Mlle Fanchon dans le fond du jardin.

MÉRICOUR.

Elle est ici ! ah ! que je la voie, et que j’obtienne l’oubli de mes erreurs.

LA VALEUR.

En avant, mes amis, voilà le général ennemi qui demande à capituler.

 

 

Scène XII

 

LA VALEUR, MASCARTI, MÉRICOUR, FANCHON, MARIANNE, JÉRÔME, LES FORTS

 

Pantomime.

Ils paraissent tous. La Valeur fait avancer Fanchons et reculer les autres.

LA VALEUR.

En arrière, vous autres et silence.

MÉRICOUR.

Je dois, aimable Fanchon, vous paraître bien odieux ; car je suis plus que coupable que je ne croyais ; je viens d’apprendre qu’on s’est permis envers vous un second attentat ; puis-je espérer que mon repentir suffira pour vous désarmer ?

FANCHON.

Je vous avoue monsieur, que vous ayant vu arriver, je me suis rapprochée de ce bosquet ; j’ai tout entendu, et j’ai oublié vos torts pour ne me souvenir que de votre procédé en ce moment.

MÉRICOUR.

Aussi généreuse qu’aimable, en vous perdant ou est encore forcé de vous adorer.

MASCARTI.

Monsieur, on est excusable d’avoir des torts, quand on sait aussi bien les réparer.

MÉRICOUR.

Monsieur vous ne connaissez encore qu’une partie des miens.

MASCARTI.

Que voulez-vous dire ?

MÉRICOUR.

Je suis votre persécuteur, Méricour de Bérinville.

FANCHON, à part.

Ô ciel ! tout va se découvrir.

MASCARTI.

Le fils de mon ami ?

MÉRICOUR.

Je vous demande pardon, si l’on vous a poursuivi pour le remboursement des six cents livres que mon père vous avait prêtées.

FANCHON, bas à Méricour.

Ne parlez pas de cet argent.

MÉRICOUR.

Pourquoi donc ?

MASCARTI.

Les circonstances ne m’ont pas permises...

MÉRICOUR.

C’est mon intendant qui, ayant trouvé votre billet dans mes papiers, s’est permis de vous poursuivre à mon insu.

FANCHON, à part.

Ah ! le maudit bavard.

MÉRICOUR.

Et je l’ignorerais encore sans la lettre que vous n’avez fait l’honneur de m’écrire, en m’envoyant les vingt-cinq louis que...

MASCARTI.

Les vingt-cinq louis ? ce qu’il y a de bien certain, monsieur, c’est que je ne vous ai envoyé ni lettre ni argent.

MÉRICOUR.

Cependant, j’ai reçu...

MASCARTI.

Oui, je crois sans peine que vous avez reçu ce remboursement, c’est un mystère dont je vais vous donner l’explication. Vous eûtes soin, ma chère Fanchon, de cacher votre bienfaisance sous le voile du mystère, mais voulant que chacun la connût, j’ai fait rassembler de vos compatriotes, auxquels j’ai fait part de votre générosité et de mes projets.

Il va ouvrir la porte.

Venez, venez présenter à M. Bérinville la bienfaitrice de votre père, et votre épouse.

 

 

Scène XIII

 

LES MÊMES, HYPOLITE, sortant du pavillon, SAVOYARDS et SAVOYARDES

 

Pantomime.

À la vue d’Hypolite, Fanchon surprise, semble chercher Édouard et son épouse. Hypolite la prend par la main, et la présente à M. Méricourt, qui est stupéfait. Fanchon est immobile d’étonnement ; ce qui se passe lui semble un songe. Marianne et la Valeur sont ravis.

MASCARTI, à Méricourt.

Oui, monsieur, vous voyez la femme généreuse dont la bienfaisance m’a sauvé la vie.

FANCHON, d’un ton suppliant.

M. Mascarti.

MASCARTI.

Et c’est elle, j’en suis certain, qui vous a fait remettre une somme que je me désolais de ne pouvoir payer.

MÉRICOUR.

Je l’admire, en voyant qu’elle possède autant de vertus que de beauté.

FANCHON.

Ah ! cessez de me prodiguer des éloges...

HYPOLITE.

Qui vous sont bien dus ; mais daignez mettre le comble à vos bienfaits, en m’accordant le nom de votre époux.

FANCHON.

J’avais promis de donner ma main à Hypolite, mais en devenant Édouard, le fils de M. Mascarti, vous me dégagez de ma parole, et je n’ai pas l’orgueil de prétendre unir mon sort au vôtre.

HYPOLITE.

C’est en vain que vous voudriez résister à mes instances ; mon père, mes amis, joignez-vous tous à moi. Rendez vous, aimable Fanchon, et après avoir sauvé mon père, ne me privez pas du seul plaisir que j’aye de vous prouver ma reconnaissance.

Pantomime.

Tout le monde presse Fanchon de consentir à épouser Hypolite ; Fanchon résiste toujours ; Hypolite tombe à ses pieds. Au nom de ses moustaches, qu’il lui a sacrifiées, La Valeur la conjure de se rendre. Mascarti lui demande le bonheur de son fils. Fanchon cède enfin, et se précipite dans les bras de son amant.

FANCHON.

Je ne puis résister ; comment ne pas donner ma main à celui qui possède mon cœur.

HYPOLITE.

Rien n’égale ma félicité : le même jour où j’obtiens une épouse adorée, j’ai retrouvé un père dont je me croyais privé pour toujours.

MASCARTI, aux Savoyards.

Allons, braves montagnards, soyez les témoins du bonheur de mon fils, et les interprètes de ma reconnaissance pour la généreuse Fanchon.

JÉRÔME.

Ah ! quel dommage que l’père la Joie n’soit pas ici, il nous chanterait la chanson qu’il a chantée au Moulin-Joli. Eh ! je m’rappelle que j’l’ai z’achetée pour un sou : j’vais vous la réciter en plein chant italien, comme l’père la Joie, et vous verrez qu’elle vient comme Mars en Germinal.

Air.

Lis’ qui n’avait pour richesse
Que sa beauté, que son cœur,
Avait enflammé de tendresse
L’fils uniqu’ d’un grand seigneur.
Plein d’amour v’là qu’il l’embrasse
Ah ! dit-elle, fuyant d’ses bras,
Monsieur, pour une fois passe,
Mais qu’ça ne r’commence pas.
(bis)

LE CHŒUR, en dansant.

Monsieur, pour une fois passe,
Mais qu’ça ne r’commence pas.
(bis)

JÉRÔME.

L’seigneur avait bien envie

Cependant de r’commencer,

Mais aussi sag’ que jolie
Lis’ s’obstinait á r’fuser.
D’l’hymen la chaine éternelle
Mit fin à son embarras :
On n’entendit plus la belle
Dir’ qu’çà ne r’commence pas.
(bis)

LE CHŒUR.

On n’entendit plus la belle
Dir’ qu’çà ne r’commence pas.
(bis)

JÉRÔME.

Voilà qu’instruit de l’affaire
Soudain arrive l’papa :
« Mon fils ! auriez vous dû faire
« Un mariag’comm’ celui-là ? 
« Sans tirer à conséquence 
« J’vous pardonne ce faux pas ;
« Mais cachez mon indulgence
« Pour qu’çà ne r’commence pas.
(bis)

Reprise de l’air.

Sans tirer a conséquence
Il pardonna ce faux pas ;
Ah ! cachons son indulgence
Pour qu’çà ne r’commence pas.
(bis)

LE CHŒUR.

Ah ! cachons son indulgence
Pour qu’çà ne r’commence pas.
(bis)

Ballet.

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