La Vengeance italienne (Eugène SCRIBE - Charles-Gaspard DELESTRE-POIRSON - Charles DESNOYERS)

Comédie-vaudeville en deux actes.

Représentée pour la premières fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase Dramatique, le 23 janvier 1832.

 

Personnages

 

LAURA LORENZI, jeune veuve

JULIA, sa sœur

DORSINI, banquier, prétendu de Laura

FRÉDÉRIC DE RHÉTEL, jeune français

SGRIMAZZI, improvisateur

GRÉGQRIO, spadassin

UN DOMESTIQUE

UN SPADASSIN

CAVALIERS invités par Dorsini et Laura

DAMES invités par Dorsini et Laura

SPADASSINS

 

La scène se passe, au premier acte, à Florence, dans la maison de Dorsini. Au deuxième acte, dans le château de Laura, situé sur les bords de l’Arno.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente un salon élégant, chez Dorsini, porte au fond, portes latérales ; la porte à droite de l’acteur est celle qui conduit au salon ; à gauche, le cabinet de Dorsini, une table, et tout ce qu’il faut pour écrire, sur le devant à droite.

 

 

Scène première

 

JULIA, LAURA, UN DOMESTIQUE

 

Elles entrent toutes les deux par le fond. Le domestique les introduit.

JULIA, au domestique.

Vous dites que M. Dorsini...

LE DOMESTIQUE.

Est enfermé dans son cabinet, avec un aide-de-camp du général Championnet, et le payeur de l’armée française.

LAURA.

Et vous ne savez pas quand il sera libre ?

LE DOMESTIQUE.

Non, mesdames... mais je vais guetter le moment de lui annoncer votre arrivée.

Il sort.

 

 

Scène II

 

JULIA, LAURA

 

JULIA.

Eh bien ! ma sœur, qu’as-tu donc ?

LAURA.

Rien... Je suis très satisfaite.

JULIA.

Pourquoi ?

LAURA.

Ne pas savoir quand il sera libre.

JULIA.

S’il est occupé... Il faut bien qu’il donne des fonds à l’armée française qui vient à notre secours... Le général-en-chef n’entend pas raillerie.

LAURA.

S’occuper d’affaires d’intérêt, la veille de notre mariage.

JULIA.

Un banquier... D’ailleurs c’est pour en finir.

Air : J’en guette un petit de mon âge.

Tout au travail, le monde qu’il oublie
De ses calculs n’a pu le déranger ;
C’était pour toi, pour embellir ta vie ;
Mais il t’épouse, et son sort va changer.
Obéissant à des lois moins austères,
Le plaisir seul le réclame aujourd’hui...
Quand pour jamais il renonce à l’ennui,
Il doit mettre ordre à ses affaires.

LAURA.

Non, tu as beau dire, Julia... je ne suis pas contente de M. Dorsini.

JULIA.

Enfin, que lui reproches-tu ?

LAURA.

Il ne m’aime pas.

JULIA.

Lui !

LAURA.

Non ; il ne m’aime pas... comme je voudrais être aimée... Je le quitte hier au soir ; il manque d’arriver un accident à ma voiture ; car à coup sûr, et sans ce jeune homme qui a arrêté mes chevaux, j’étais précipitée dans l’Arno !... et il n’envoie pas seulement chez moi ce matin, s’informer de mes nouvelles.

JULIA.

Il n’en savait rien... pas plus que moi, qui n’ai appris ton aventure que ce matin en m’éveillant.

LAURA.

C’est égal, il devait s’en douter... on se doute de tout quand on aime... par instinct, par pressentiment.

JULIA.

Tu es trop exigeante.

LAURA.

Et toi, tu es trop légère, trop étourdie pour me comprendre.

JULIA.

Il est vrai que nos caractères ne se ressemblent pas... j’ai été élevée en France, et je suis Française dans l’âme.

LAURA.

Moi, je n’ai jamais quitté mon pays, et je suis demeurée toute Italienne.

JULIA.

C’est-à-dire jalouse et vindicative... Vilains défauts !...

LAURA.

Que j’appelle, moi, des qualités : et j’en suis fière... Oui, je suis jalouse, et je ne m’en cache pas... Celui que j’aime en souffrira peut être, et moi aussi... mais dans ces tourments, il y aura du charme, du bonheur, de la passion ! et si je savais que lui même ne fût pas jaloux... ce soir je romprais avec lui.

JULIA.

De ce côté, tu n’as rien à désirer.

LAURA.

Heureusement... car sans cela, et s’il pouvait m’oublier...

JULIA.

Déjà des projets de vengeance.

LAURA.

Sans doute... il n’appartient qu’aux âmes froides, d’endurer paisiblement une injure, une perfidie... et si jamais celui que j’ai préféré à tous, m’était infidèle... si j’en avais la preuve, à l’instant une haine mortelle succéderait à mon amour... je me vengerais cruellement sur le perfide, sur ma rivale... enfin ce sentiment-là est affreux, abominable !... mais que veux-tu ?... c’est plus fort que moi... je suis femme, et... je suis Italienne.

JULIA.

Ah mon Dieu ! tu me fais peur !

« Et je rends grâce au ciel de n’être pas Romaine. »

LAURA.

Songe donc ce que c’est, lorsqu’on aime, et qu’on croit être aimée, de découvrir qu’on a été trahie... Mais toi, tu n’aimeras jamais.

JULIA.

C’est ce qui te trompe... et quand je pense à ce jeune officier qui, l’autre année, à Milan...

LAURA.

Ce Français que tu as connu dans un bal... M. de Rhétel ?

JULIA.

Oui, ma sœur.

LAURA.

Qui t’a fait une déclaration à la première contredanse, et qui l’avait déjà peut-être oubliée à la dernière.

JULIA.

Non pas ; car tout le temps que le général Bonaparte est resté à Milan, il y a eu des bals, des fêtes, et M. de Rhétel dansait toujours avec moi... tu n’y étais pas, tu ne pouvais pas en juger... et quoi qu’il ne fût pas jaloux, je sais moi qu’il m’aimait bien.

LAURA.

Et la preuve ?

JULIA.

La preuve... c’est qu’il a demandé ma main à ma tante, qui l’a refusé... Ça n’est pas sa faute... il n’avait rien que des épaulettes de lieutenant... mais il promettait, ainsi que son petit général, de conquérir l’Italie, et puis après de venir m’épouser.

LAURA.

Et tu y comptes ?

JULIA.

Pourquoi pas ?... Ils ont tenu leur première promesse, ils peuvent bien tenir la seconde... elle n’est pas si difficile.

LAURA.

Je le veux bien... j’admets qu’il t’épouse... Dis-moi, alors, toi, qui ne peux pas comprendre ma jalousie... si, quelques mois après ton mariage, il devenait inconstant... infidèle ?

JULIA.

Tu vas prévoir des choses...

LAURA.

Possibles.

JULIA.

Jamais.

LAURA.

Je te dis que si.

JULIA.

Je te dis que non...

LAURA.

Enfin, si cela était, que ferais-tu ?

JULIA.

Alors...

LAURA.

Alors ?

JULIA.

Je pleurerais.

LAURA.

Et puis ?

JULIA.

Je lui reprocherais sa conduite.

LAURA.

Et puis ?

JULIA.

À force d’attentions, de douceur, de complaisance, je le ferais repentir... je le ramènerais à mes pieds.

LAURA.

Et quand il serait à tes pieds, tu aurais la faiblesse de lui pardonner.

JULIA.

Peut-être bien... on ne peut pas répondre...

LAURA.

Eh bien ! j’en suis fâchée pour toi ; mais je suis pour ce que j’en ai dit... tu n’aimes pas.

JULIA.

Et toi, tu aimes trop...

LAURA.

Il faut être de son pays.

Air : Vive, vive l’Italie !

Vive, vive l’Italie,
Point d’amour sans jalousie ;
Vive, vive l’Italie,
C’est là qu’on aime vraiment.

JULIA.

Je le sens, France chérie,
Tu vaux mieux que ma patrie ;
Car toujours la jalousie
Est un tourment
En aimant.

Ensemble.

LAURA.

Vive, vive l’Italie,
Vive, vive l’Italie !

JULIA.

Je le sens, France chérie,
Tu vaux mieux que ma patrie !

LAURA.

Si ton époux volage
D’une autre admirait les attraits ?

JULIA.

À mes pieds, je le gage,
Bientôt je le ramènerais.

LAURA.

Si, sans être inconstant,
Auprès de chaque objet charmant
Il se montrait galant ?

JULIA.

J’en rirais.

LAURA.

Je me vengerais.

Ensemble.

LAURA.

Vive, vive l’Italie, etc.

JULIA.

Je le sens, France chérie, etc.

LAURA.

Enfin, voici quelqu’un... M. Dorsini, sans doute... mon Dieu non !... pas encore... Je suis d’une colère !...

 

 

Scène III

 

JULIA, LAURA, SGRIMAZZI

 

SGRIMAZZI.

J’ai l’honneur de saluer ces dames.

JULIA.

Quel est cet original ?

SGRIMAZZI.

Oserai-je leur demander si M. Dorsini est sorti ?

LAURA.

Non, monsieur... Encore un importun !

JULIA.

Monsieur est sans doute quelque fournisseur... quelque capitaliste ?

SGRIMAZZI.

Au contraire, je suis poète... poète improvisateur,... le signor Sgrimazzi, dont vous avez peut-être entendu parler.

JULIA.

Ce beau talent, qui parle en vers, et sans s’arrêter, pendant deux heures de suite ?

SGRIMAZZI.

Quelquefois trois... cela dépend du prix.

JULIA.

Votre génie est à l’heure ?

SGRIMAZZI.

Oui, signora... c’est ainsi que l’on nous prend... et j’avais un petit compte à régler avec le signor Dorsini.

JULIA.

Vraiment !

SGRIMAZZI.

Oui, il doit épouser une jeune veuve... une veuve charmante, comme toutes celles qui vont se remarier... et il m’a commandé pour ce soir, veille de son mariage, une improvisation sentimentale et chaleureuse... des vers à un demi-ducat la pièce.

LAURA, d’un air aimable.

Est-il possible !

JULIA, souriant.

Ah ! cela vous intéresse !

SGRIMAZZI.

Mais pour un banquier, et un banquier amoureux.

LAURA, vivement.

Il l’est donc ?

SGRIMAZZI.

Il m’a dit de le dire, et nous disons, nous autres, tout ce qu’on nous commande.

JULIA.

Et vous connaissez celle qu’il épouse ?

SGRIMAZZI.

En aucune façon... cela n’est pas nécessaire ;

Passant entre Julia et Laura.

Nous avons des pensées toutes faites qui servent au moment... nous en tenons un assorti ment complet, et à juste prix, rangé et serré avec ordre, article par article... je ne dirai pas dans mon portefeuille, car je n’écris jamais.

JULIA.

Où donc ?

SGRIMAZZI.

Dans ma tête.

LAURA.

Il faut de la mémoire.

SGRIMAZZI.

La mémoire, signora, la mémoire, c’est le génie de l’improvisateur... c’est notre imagination à nous autres... Aussi ma tête est une espèce de secrétaire poétique composé d’un certain nombre de tiroirs à l’usage des sonnets, tragédies, opéras et poèmes épiques qu’on nous commande... Nous avons le tiroir de la jalousie, celui de l’amour... nous avons le tiroir des princesses désespérées, et des tyrans farouches... nous avons le tiroir des baptêmes... le tiroir des mariages... le tiroir des odes politiques et monarchiques qu’on fait payer aux têtes couronnées qui les écoutent... les chants patriotiques qu’on fait payer aux peuples qui les chantent, et les dithyrambes de gloire qui m’ont servi pour tous les généraux français et autrichiens, depuis Beaulieu et Wurmser jusqu’au général Bonaparte.

Air des Amazones.

Mais celui-là, je dois le dire,
Improvise encor mieux que moi,
Et mes tiroirs n’y peuvent plus suffire,
Ils sont épuisés, sur ma foi !
Chaque poète en dit autant que moi,
Ce gaillard-là va trop vite à la gloire,
Et pour lui seul, c’est vraiment un abus,
Consommera tant de chants de victoire,
Que pour personne il n’en restera plus.
On fait pour lui tant de chants de victoire,
Que pour personne il n’en restera plus ;
Pour personne il n’en restera plus.

JULIA.

Vous avez raison.

SGRIMAZZI.

Pour aujourd’hui, grâce au ciel, je n’ai pas à emboucher la trompette guerrière... nous n’avons besoin que de fleurs.

Ô hymen, ô hyménée !

Mais encore... et ce que je venais demander... à quelle heure le bal ?

LAURA.

À huit heures.

SGRIMAZZI.

C’est bien prompt.

JULIA...

Pour un improvisateur...

SGRIMAZZI.

Affaire d’ordre et d’arrangement... j’aurais déjà commencé ce matin... mais j’ai chez moi un de nos alliés.

JULIA.

Un Français...

SGRIMAZZI.

Oui, mademoiselle ; un chef d’escadron, qui est venu depuis hier avec un billet de logement, et qui n’a pas cessé de faire un tapage... il fait des armes, il donne du cor... il joue de la guitare avec la signora Sgrimazzi, ma femme... du reste, charmant jeune homme, joli cavalier... aimable comme on ne l’est pas.

JULIA, bas.

Si c’était !...

SGRIMAZZI.

Et d’une gaîté... il rit toujours.

JULIA, à demi-voix.

Ce n’est pas lui... il pense trop à moi.

LAURA.

Pauvre Julia !

SGRIMAZZI.

Nous sommes amis intimes, quoique je ne le connaisse que depuis hier... et il a toujours sur lui ou sur les autres une foule d’aventures à vous raconter... et cela m’embrouille dans mes tiroirs.

LAURA.

Je conçois... je vous prie cependant de ménager votre verve ; car je veux y avoir recours.

SGRIMAZZI.

Vous, signora ?

LAURA.

Je veux demain, dans un château que j’ai au bord de l’Arno, donner une fête à mes amis, à ma famille... je veux que vous en soyez l’ordonnateur.

SGRIMAZZI.

Vous n’avez qu’à ordonner.

LAURA.

Je vais écrire mes invitations, et vous aurez à ce sujet tous les détails... Si vous voyez M. Dorsini, ne lui en parlez pas... et dites-lui seulement que deux dames l’attendent là.

SGIRIMAZZI.

Je n’y manquerai pas.

Laura et Julia sortent par la porte à droite.

 

 

Scène IV

 

SGRIMAZZI, seul

 

Elles sont charmantes toutes deux... Bonne affaire pour moi... avec cela que j’ai besoin d’argent... Madame Sgrimazzi, ma femme, est si coquette, que tous mes vers, même les plus beaux, ceux qu’on me paie le plus cher... ce dernier sonnet sur la tendresse conjugale... tout ça y a passé, pour lui acheter un chapeau neuf à roses pompons... avec lequel je l’ai rencontrée hier donnant le bras à cet officier-payeur de la 32e demi-brigade... il n’y a pas de mal, je le sais... mais cela vous met en tête des idées biscornues qu’il ne faut pas avoir quand on a, comme moi, aujourd’hui, un chant d’hyménée à improviser... Voyons un peu dans le tiroir de l’hyménée, s’il y aurait quelque chose de neuf...

« Ô hymen ! ô hyménée !
« Dieu charmant qui présides aux pompes nuptiales,
« Où vas-tu, le front ceint de roses virginales ? »

C’est joli...

« Où vas-tu, le front ceint de roses virginales ? »

J’ai déjà dit cela deux ou trois fois... mais c’est égal, ces roses-là pourront encore servir.

Frédéric entre par la porte du fond, introduit par un domestique.

 

 

Scène V

 

FRÉDÉRIC, LE DOMESTIQUE, SGRIMAZZI

 

LE DOMESTIQUE.

Monsieur, veuillez vous donner la peine de vous asseoir.

FRÉDÉRIC.

Merci, merci, mon garçon... Tâche que je voie ton maître le plus tôt possible... je suis pressé.

Il lui donne de l’argent.

LE DOMESTIQUE.

Cela suffit, monsieur.

FRÉDÉRIC.

Ah !... écoute...

Il lui parle bas un instant. Le domestique entre dans le cabinet de Dorsini.

SGRIMAZZI, sur le devant du théâtre.

« Où vas-tu, le front ceint de roses virginales ? »

Se frappant le front.

Ah ! mon Dieu non... je n’y pensais plus... c’est une veuve... il faut remplacer les roses virginales par quelque chose de riche.

FRÉDÉRIC, apercevant Sgrimazzi.

Tiens ! il y a du monde.

SGRIMAZZI.

Justement elle est riche.

Déclamant.

« Où vas-tu, le front ceint de rubis et d’opales ? »

FRÉDÉRIC.

Eh parbleu : c’est lui, c’est mon cher hôte... toujours en train de composer.

SGRIMAZZI.

Allons, il est écrit qu’il viendra toujours m’interrompre.

FRÉDÉRIC.

Bravo !... que je ne vous dérange pas... continuez.

SGRIMAZZI.

Ah ! je vous remercie.

« Ô hymen ! ô hyménée ! »

FRÉDÉRIC.

Du reste, à ce que je vois, vous connaissez le maître de cette maison, M. Dorsini ?

SGRIMAZZI.

Beaucoup... et vous aussi, n’est-ce pas ?

FRÉDÉRIC.

Moi ? pas du tout.

SGRIMAZZI.

Comment se fait-il donc que vous soyez invité au bal qu’il donne ce soir ?

FRÉDÉRIC.

Un bal !... il y a un bal... ici... ce soir ?

SGRIMAZZI.

Vous ne le saviez pas ?

FRÉDÉRIC.

Je viens tout bonnement pour toucher le montant d’une lettre-de-change... J’ai main tenant des lettres-de-change... Cela vous étonne, et moi aussi... Car l’année dernière j’étais lieutenant de cavalerie ; je n’avais rien que ce que l’on gagne au régiment, des dettes, des coups d’épée, et quelques bonnes fortunes... Ce n’est pas que je m’en vante... mais enfin, si l’on m’aime, je ne peux pas l’empêcher : et cet amour-là, mon cher ami, m’a porté bonheur à Millesimo, à Arcole, à Rivoli... Capitaine, puis chef d’escadron... c’était bien pour la gloire, ce n’était rien pour la fortune... Lorsqu’un coup de canon... ce diable de canon est original dans ses préférences ! emporte monsieur Durand, le plus riche fournisseur de l’armée... un cousin à moi, qui ne m’avait jamais parlé de notre parenté, dans la crainte de payer mes dettes... et me voilà millionnaire par droit de succession.

SGRIMAZZI.

Est-ce heureux !... et je me doute que les lettres-de-change...

FRÉDÉRIC.

Viennent du cousin.

SGRIMAZZI.

Et des fournitures.

FRÉDÉRIC.

Air du vaudeville du Baiser au Porteur.

Je ne t’oublierai de ma vie,
Ô mon cousin le fournisseur !
Les dépouilles de l’Italie
Vont de droit à ton successeur.

SGRIMAZZI.

Peut-être celles de la France ;
Car grappillant même sur leurs amis,
Ces messieurs, en fait de finance,
Sont partout en pays conquis.

Mais je crains que vous ne veniez dans un mauvais moment pour M. Dorsini... un bal, ce soir... et demain son mariage.

FRÉDÉRIC.

Il est bien heureux s’il aime, et s’il est aimé... moi, toutes les fois qu’on me parle d’un mariage... cela me fait penser...

SGRIMAZZI.

À quoi ?

FRÉDÉRIC.

À l’unique objet de tous mes vœux... à une jeune personne charmante, d’une il lustre famille, d’une grande fortune... On me l’a refusée l’année dernière... Mais maintenant, avec l’aide de Dieu, et du cousin... c’est pour la retrouver que je me rends à Milan, avec une mission du général...

Bas et avec mystère.

Une mission secrète.

SGRIMAZZI.

Vous me l’avez déjà dit.

FRÉDÉRIC.

C’est vrai... Vous ai-je dit aussi la rencontre que j’ai faite ce matin... une petite ouvrière charmante... une inclination que j’avais eue à Rome... inclination momentanée !... et je la rencontre dans votre maison... au premier !

SGRIMAZZI.

Chez le chanoine ?

FRÉDÉRIC.

Dont elle est la gouvernante... et elle m’a donné à déjeuner... un déjeuner destiné à son prétendu ; car elle veut faire une fin... elle est recherchée, m’a-t-elle dit, par un homme d’épée.

SGRIMAZZI.

Diable ! un homme de cœur !...

FRÉDÉRIC.

Je n’en sais rien... mais pour un homme de tête, j’en suis sûr.

SGRIMAZZI.

Comment... est-ce que par hasard ?...

FRÉDÉRIC.

Je dis cela à vous, en confidence... parce que vous êtes mon ami, et que vous êtes discret... et puis, c’est fini... je suis enchanté qu’elle se marie... je lui ai fait mon présent de noce... une chaîne d’une cinquantaine de louis, que j’ai échangée comme souvenir contre celle-ci

Montrant celle qu’il a autour du cou.

qui en vaut bien deux ou trois... et qu’elle avait peine à quitter, parce qu’elle venait, ainsi que cette amulette

Montrant cette qui est attachée à la chaîne.

de son cher prétendu...

Riant.

Suo caro sposo !

SGRIMAZZI, froidement, et l’interrogeant.

Mon cher monsieur, mon cher ami... comment vous nomme-t-on ?

FRÉDÉRIC.

Frédéric de Rhétel.

SGRIMAZZI.

Me permettrez-vous de vous donner un conseil ?

FRÉDÉRIC.

Comment-donc... vous, mon ami intime !... vous, mon hôte !... qui avez de plus une femme charmante.

SGRIMAZZI.

C’est possible.

FRÉDÉRIC.

C’est entre nous à la vie et à la mort.

SGRIMAZZI.

Vous devez, m’avez-vous dit, rester huit jours à Florence... eh bien ! si vous voulez y réussir, il faudra changer tout-à-fait de manières et de caractère.

FRÉDÉRIC.

Comment, comment !... et pourquoi donc, mon cher ami ?

SGRIMAZZI.

Je vais m’expliquer, mon cher ami... Florence est une ville assez favorable aux bonnes fortunes.

FRÉDÉRIC.

À qui le dites-vous ?

SGRIMAZZI.

Pour mon compte, j’avoue franchement que je n’en ai pas l’expérience.

FRÉDÉRIC.

Comment ! vous qui avez tant d’esprit à votre disposition... qui faites des vers...

SGRIMAZZI.

Je travaille pour les autres, et jamais pour moi... d’ailleurs, en fait de bonnes fortunes, j’ai ma femme, et c’est bien assez.

FRÉDÉRIC.

Une femme très estimable.

SGRIMAZZI.

Oui, mon cher ami.

FRÉDÉRIC.

Que vous n’appréciez peut-être pas assez ; car vous ne savez pas tout ce qu’elle vaut.

SGRIMAZZI.

Il ne s’agit pas d’elle ; mais de vous... Cela fait deux.

FRÉDÉRIC.

Probablement.

SGRIMAZZI.

Ici donc, les hommes à bonnes fortunes doivent être essentiellement discrets.

FRÉDÉRIC.

C’est par-là que je brille... Autrefois, du temps de la monarchie, les Français n’étaient cités dans l’Europe que par leur légèreté et leur indiscrétion... Mais ce n’est plus cela... tout cela est changé par arrêt du directoire, et maintenant que nous avons la gravité, la probité, la fidélité, ou la mort... nous avons toutes les vertus... témoins nos fournisseurs... mon cousin Durand.

SGRIMAZZI.

Je ne vous parle pas des... étourderies de calcul... mais des vôtres... de vos indiscrétions en amour.

FRÉDÉRIC.

Et moi, je vous réponds, mon cher ami, que de ce côté-là, j’ai fait mes preuves... Pas plus tard encore qu’hier... une grande dame... une dame de distinction, si j’en juge à l’élégance de ses manières et de son équipage... et si j’avais aimé à me faire valoir... j’aurais pu dire bien des choses.

SGRIMAZZI.

Que vous tairez par prudence, et dans votre intérêt.

FRÉDÉRIC.

Dans mon intérêt ?

SGRIMAZZI.

Oui, les indiscrétions peuvent avoir à Florence des suites très dangereuses.

FRÉDÉRIC.

Ah ! très bien... je vous entends, mon cher ami... les duels, n’est-il pas vrai ?... mais c’est notre état à nous autres... nous ne sommes bons qu’à cela.

SGRIMAZZI.

Vous ne me comprenez pas... on ne s’avisera guère d’aller vous chercher querelle, à vous autres, vainqueurs de l’Italie... On a à Florence des moyens plus sûrs et moins dangereux, à l’usage des amants et des maris malheureux... Ces messieurs ont plusieurs manières différentes de se débarrasser d’un rival... le poison, le stylet, les braves.

FRÉDÉRIC.

Les braves ?...

SGRIMAZZI.

Ce que nous appelons i bravi.

Ici un homme à moustaches, avec une longue rapière, paraît au fond du théâtre.

 

 

Scène VI

 

FRÉDÉRIC, SGRIMAZZI, GRÉGORIO

 

GRÉGORIO, parlant au domestique.

Oui c’est moi ; j’ai demandé un rendez-vous à M. Dorsini... il me l’a accordé pour six heures et demie... il est six heures trois quarts, et je n’ai pas besoin d’être annoncé.

Il salue cavalièrement Sgrimazzi... Il traverse le théâtre en faisant sonner sa brette et ses éperons, et entre dans le cabinet de Dorsini.

 

 

Scène VII

 

FRÉDÉRIC, SGRIMAZZI

 

FRÉDÉRIC.

Qu’est-ce que c’est que ce militaire-là ?

SGRIMAZZI.

Ce n’est pas un militaire.

FRÉDÉRIC.

Bah !... quoi donc ?

SGRIMAZZI.

Un de ces gens dont je vous parlais tout à l’heure... un brave.

FRÉDÉRIC.

C’est drôle ! je n’en connais pas de ce régiment-là.

SGRIMAZZI.

C’est la chose du monde la plus simple... vous avez à exercer une vengeance particulière... vous voulez vous débarrasser d’un ennemi, d’un rival... vous faites venir tout bonnement un de ces messieurs, et dans vingt-quatre heures, à l’aide d’une douzaine de gaillards, taillés dans son genre, vous êtes vengé moyennant une certaine rétribution.

FRÉDÉRIC.

Mais c’est affreux ! c’est infâme !

SGRIMAZZI.

Je ne vous dis pas le contraire ; mais cela se fait.

FRÉDÉRIC.

Et l’on autorise en Italie...

SGRIMAZZI.

Non... l’on n’autorise pas... on tolère.

FRÉDÉRIC.

Et c’est déjà mille fois trop... Mais dites-moi, votre M. Dorsini est homme à se servir de semblables moyens ?

SGRIMAZZI.

Non, non, certainement... Du moins, je ne le crois pas... et je l’avoue, je ne puis rien comprendre à la visite qu’il vient de recevoir... Au surplus, voici notre spadassin, je vais lui demander à lui-même.

FRÉDÉRIC.

Comment ! vous parlez à cet homme ?

SGRIMAZZI.

Certainement... à part l’exercice de son état, c’est un bon enfant, et un homme de très bonne compagnie.

 

 

Scène VIII

 

FRÉDÉRIC, SGRIMAZZI, GRÉGORIO

 

Grégorio sort du cabinet de M. Dorsini, il salue de nouveau Sgrimazzi ; il va pour sortir par le fond. Sgrimazzi l’arrête.

SGRIMAZZI.

Pardon, je désirerais avoir l’honneur de causer un instant avec vous.

GRÉGORIO.

Je suis à vos ordres.

SGRIMAZZI.

Vous me voyez fort inquiet de savoir le motif de votre visite à M. Dorsini.

GRÉGORIO.

Simple affaire de politesse. Il va se marier... et comme d’un jour à l’autre, dans sa nouvelle position sociale, il peut avoir besoin de moi et des miens...

SGRIMAZZI.

Comment ?

GRÉGORIO.

Oui, en pareil cas, on est exposé à se voir l’objet de quelques mauvaises plaisanteries... on peut même rencontrer des rivaux.

SGRIMAZZI.

C’est vrai.

FRÉDÉRIC.

Cela s’est vu.

GRÉGORIO.

Je suis venu tout bonnement lui faire mes offres de services. Il les a refusées, en me disant qu’en pareil cas, il faisait ses affaires lui-même.

FRÉDÉRIC.

Ah ! je l’en félicite... j’avais besoin d’apprendre qu’on avait refusé vos services, pour voir M. Dorsini avec plaisir.

GRÉGORIO.

Hein ! qu’est-ce que vous dites, monsieur ?

FRÉDÉRIC.

Sans le connaître, je l’estime déjà.

SGRIMAZZI, bas à Frédéric.

Taisez-vous donc ; vous allez vous faire une méchante affaire.

FRÉDÉRIC.

Que m’importe !

SGRIMAZZI, à Grégorio.

Monsieur est étranger... il est Français... il ignore tout-à-fait nos usages.

FRÉDÉRIC.

Je m’en vante.

GRÉGORIO, riant avec dédain.

Je comprends... monsieur est de ce pays, où, quand on a reçu une insulte, on se fait tuer pour se venger... c’est admirable ! Je ne connais, quant à moi, rien de plus absurde et de plus féroce que le duel.

FRÉDÉRIC.

Monsieur...

GRÉGORIO.

À Florence, monsieur, où l’honneur consiste à ne pas laisser une offense impunie, on a soin que la punition n’atteigne que l’offenseur... et pour cela, il n’y a que notre profession, supplément obligé à l’insuffisance des lois, chevalerie errante du dix-neuvième siècle ; et l’institut, j’ose le dire, le plus moral, le plus utile, et le plus philanthropique.

FRÉDÉRIC, passant entre Sgrimazzi et Grégorio.

Monsieur le chevalier errant...

GRÉGORIO.

Monsieur le Français...

SGRIMAZZI, bas à Frédéric.

Mais taisez-vous donc, au nom du ciel.

GRÉGORIO.

Je vous écoute.

FRÉDÉRIC.

Avez-vous une femme ?

GRÉGORIO.

Je dois épouser, cette semaine, une personne pieuse, qui est la vertu même.

FRÉDÉRIC.

Eh bien ! monsieur le marié... quand vous serez marié... et pourvu que votre femme soit jolie, ce que je vous demande avant tout... je me ferai un point d’honneur de...

GRÉGORIO, regardant la chaîne d’or que Frédéric porte à son cou.

Ah mon Dieu !

FRÉDÉRIC.

Qu’avez-vous donc ?

GRÉGORIO.

Oserais-je vous demander à mon tour d’où vous vient cette chaîne ?

FRÉDÉRIC.

D’une dame qui m’honore de quelque affection... et qui a daigné me la sacrifier.

GRÉGORIO.

C’est impossible... une amulette que je lui avais donnée !

FRÉDÉRIC, riant.

Quoi ! la signora Camilla est votre future !

GRÉGORIO, avec colère.

Corpo di Bacco !

FRÉDÉRIC.

Ce prétendu dont elle me parlait... cet homme d’épée !... Enchanté de la rencontre.

SGRIMAZZI.

Allons, pas moyen de le retenir... où vas-tu ? malheureux jeune homme.

FRÉDÉRIC.

Moi, qui cherchais une occasion de vous faire exercer votre bravoure... la voilà toute trouvée, et pour votre compte.

GRÉGORIO.

Monsieur, je vous ai dit ce que je pensais sur le duel... et si je n’étais retenu par mes principes, et surtout par les devoirs de ma profession... mais je travaille pour les autres et jamais pour moi.

FRÉDÉRIC, à Sgrimazzi.

Juste, comme vous, mon cher ami.

SGRIMAZZI.

Bien obligé.

GRÉGORIO.

Mais si jamais un de ceux qui daignent m’employer m’adressait à vous, ce qui arrivera, je l’espère... je vous prouverai, monsieur, et avec un rare plaisir, que je suis digne de la confiance dont on m’honore.

FRÉDÉRIC.

Il en pâlit de rage.

Air de la Petite Coquette (Amédée de Beauplan).

FRÉDÉRIC.

Quoi ! cet amant jaloux,
Monsieur, c’était vous ?
Pour moi quelle gloire !
Voyons ! de ma victoire
Me punirez-vous ?
Quand nous battrons-nous ?

GRÉGORIO,

Vengeance ! je le jure !
Par vous je fus trop outragé.

FRÉDÉRIC.

Grâce à votre future,
Moi d’avance je suis vengé.

Ensemble.

SGRIMAZZI.

Allons en finirez-vous ?
Craignez son courroux.
De cette victoire
Pourquoi vous faire gloire ?
Mais, mon cher ami, quand vous tairez-vous ?

FRÉDÉRIC.

Quoi ! cet amant jaloux,
Monsieur, c’était vous ?
Pour moi quelle gloire !
Voyons ! de ma victoire
Me punirez-vous ?
Quand nous battrons-nous ?

GRÉGORIO.

Craignez mon courroux !
De cette victoire
C’est trop vous faire gloire ;
Oui, malheur à vous !
Craignez mon courroux.

Il sort.

FRÉDÉRIC.

Ah ! Ah ! vit-on jamais un plus effronté et un plus lâche coquin !

SGRIMAZZI.

Silence... voici M. Dorsini.

 

 

Scène IX

 

SGRIMAZZI, FRÉDÉRIC, DORSINI

 

DORSINI, sortant de son cabinet, et tenant une lettre à la main. À Frédéric.

Mille pardons, monsieur, de vous avoir fait attendre.

FRÉDÉRIC.

Il n’y a pas de mal... j’ai fait ici des connaissances originales... et puis j’étais avec un ami.

DORSINI,

Ah ! c’est vous, Sgrimazzi ?

SGRIMAZZI.

Oui, signor... et je suis chargé de vous prévenir qu’il y a là au salon deux dames qui vous attendent.

DORSINI.

Laura et sa sœur... moi qui venais de leur écrire...

À Frédéric.

Pardon, monsieur.

FRÉDÉRIC.

Comment donc !... ne vous gênez-pas... à la veille d’un mariage, votre prétendue, peut-être...

Il va auprès de la table à droite.

DORSINI.

Précisément.

SGRIMAZZI.

Votre prétendue !... moi qui ne la connaissais pas... et cette fête qu’elle m’a commandée pour demain.

DORSINI.

Qui donc ?

SGRIMAZZI.

Pardon !... c’est une surprise... je ne devais pas vous en parler... mais l’indiscrétion

Montrant Frédéric qui est à sa droite.

cela se gagne.

DORSINI.

Veuillez bien lui porter cette lettre, que j’allais lui envoyer ; et dites-lui que je vais la rejoindre, dès que j’aurai terminé avec monsieur.

FRÉDÉRIC.

Nullement... vous irez sur-le-champ... je reviendrai...

DORSINI.

Non, monsieur, les affaires avant tout... et puisque nous sommes sur ce chapitre... voici, mon cher Sgrimazzi, vos honoraires, pour l’improvisation de ce soir... une cinquantaine de ducats.

SGRIMAZZI.

Trop généreux patron !

DORSINI.

C’est un bon sur votre voisin M. Derville, que vous devez connaître.

SGRIMAZZI.

Le payeur de la 32e demi-brigade !... je crois bien... il est toujours chez nous.

FRÉDÉRIC.

Un camarade à moi... un bon enfant que j’ai revu aujourd’hui avec un grand plaisir... Il paraît que ce gaillard là s’en donne à Florence, et que rien ne lui résiste.

Un domestique entre et remet des papiers à Dorsini, qui va s’asseoir à la table pour les lire.

DORSINI.

Vraiment.

FRÉDÉRIC.

J’avais été chez lui hier en arrivant ; mais il était à la promenade avec sa maîtresse.

SGRIMAZZI, avec inquiétude.

Comment cela ?

FRÉDÉRIC.

Comment !... comment !... comme on se promène... il m’en a parlé ce matin, sans me la nommer, parce que c’est la discrétion même... mais il paraît que c’est une petite brune charmante.

SGRIMAZZI.

Une brune !... et il se promenait hier, avec elle.

FRÉDÉRIC.

Sans doute.

SGRIMAZZI.

Ah mon Dieu ! savez-vous si elle avait un chapeau avec des roses pompons ?

FRÉDÉRIC.

Je lui demanderai... et je vous le dirai.

SGRIMAZZI.

Vous me ferez plaisir.

S’en allant.

Hier, avec elle, à la promenade... moi qui les ai rencontrés... si c’était... Diable de jeune homme, avec ses histoires !... je ne pourrai trouver un seul vers à présent.

Il sort.

 

 

Scène X

 

DORSINI, FRÉDÉRIC

 

DORSINI, se levant.

À nous deux maintenant, monsieur.

FRÉDÉRIC.

C’est d’abord une lettre-de-change de mille écus... ct puis une lettre de crédit que l’on m’a remise pour vous.

Il les lui donne. Dorsini remet la lettre-de-change au domestique, qui entre dans le cabinet.

DORSINI, regardant la lettre.

La maison Bartholomeo de Naples... fort bien... De quelle somme auriez-vous besoin ?

FRÉDÉRIC.

D’une vingtaine de mille francs, pour aller gaillardement d’ici à Milan, et pour y faire un peu figure... car je suis comme vous, je vais me marier.

DORSINI.

En vérité.

FRÉDÉRIC.

C’est un bel état que celui de prétendu !... il est si doux de se dire : « Je vais me marier. »

DORSINI.

C’est comme si on l’était...

Le domestique entre portant trois rouleaux d’or qu’il dépose sur la table, et sort.

FRÉDÉRIC.

C’est mieux encore ; parce qu’on ne l’est pas... et qu’on a l’espoir, la crainte... vous devez connaître cela.

DORSINI.

Parfaitement.

FRÉDÉRIC.

Mais, il y a aussi des inconvénients... il faut être sage... il faut veiller sur soi, s’observer... Vous devez avoir de la peine à Florence ; car la ville me paraît fort agréable, et les femmes charmantes.

DORSINI.

Oui, monsieur.

FRÉDÉRIC.

Je ne puis guère en juger, puisque je ne suis arrivé que d’hier... mais avant même d’entrer dans la ville, et comme si la providence m’eût attendu pour cela, j’ai été le héros d’une aventure délicieuse.

DORSINI.

C’est fort heureux.

FRÉDÉRIC.

N’est-il pas vrai ?

DORSINI, lui présentant les rouleaux.

Voici votre argent.

FRÉDÉRIC, le prenant et continuant à parler.

Imaginez-vous que sur la route, et au bord de l’Arno, je vois venir à moi une voiture élégante, qui avait l’air de sortir de la ville, et qui était lancée comme une flèche... les chevaux furieux avaient pris le mors aux dents... le cocher avait perdu la tête, et ses guides trainaient à terre... je les saisis avec tant de bonheur et tant de force, que j’arrête l’équipage, juste au bord du fleuve.

DORSINI.

Il était temps.

FRÉDÉRIC.

Je m’élance à la portière... je vois une femme seule, évanouie... une femme charmante !... je crie au cocher : à l’hôtel ; et nous arrivons à une habitation délicieuse, où mon inconnue qui était revenue à elle, me reçoit avec une grâce, un charme... et surtout une reconnaissance... Vrai, monsieur, quoique Français, je n’y mets point d’esprit national ; et j’avoue qu’il n’y a rien de comparable à vos compatriotes.

DORSINI.

Et la fin de l’aventure ?

FRÉDÉRIC.

Ah ! monsieur... vous m’en demandez trop.

Air : Comme il m’aimait.

Je suis discret (bis).
N’insistez pas, je vous conjure ;
La belle... mais c’est un secret,
M’offrit des glaces, un sorbet.

DORSINI.

Un sorbet !...

FRÉDÉRIC.

Voilà, je le jure,
Comment a fini l’aventure.
Je suis discret (4 fois).

Deuxième couplet.

Je suis discret (bis).
Mais je ne pourrai, sur mon âme,
Sans me rappeler cette dame,
Prendre ni glace, ni sorbet ;
Vous êtes curieux, je gage...
Mais je n’en dis pas davantage.
Je suis discret (bis).

DORSINI.

Il y paraît (bis).

Vous ne comptez pas votre or ?

FRÉDÉRIC.

Avec vous, inutile... Trois rouleaux de mille francs... c’est le compte.

DORSINI.

Comme vous voudrez... Je vais maintenant à ma caisse, chercher vos vingt mille francs...

Il va à son cabinet... S’arrêtant au moment d’y entrer.

À moins que vous n’aimiez mieux attendre, et rester ce soir à mon bal.

FRÉDÉRIC.

Impossible... des affaires... un rendez-vous.

DORSINI.

Je comprends... on vous a promis un second sorbet.

FRÉDÉRIC.

Je ne dis pas cela.

DORSINI.

Sans doute, vous êtes discret... comme vous le disiez tout à l’heure... et vous faites bien... car on n’est pas ici, comme en France... Je suis à vous, et je reviens...

À part en s’en allant.

Allons, il est un peu fat, et c’est dommage ; car sans cela, il serait fort aimable.

Il rentre dans son cabinet.

 

 

Scène XI

 

FRÉDÉRIC, seul

 

Discret... discret !... ils n’ont que cela à me rappeler... Certainement que je le suis... et j’ai été dans cette occasion, d’une réserve, que j’aurai toujours... parce que le désir de briller, de prouver qu’on a un peu plus d’esprit qu’un autre, vous fait dire bien des choses qu’on devrait taire... mais tout à l’heure... je n’ai rien à me reprocher... pas un mot qui puisse compromettre... Je sais bien après cela que mon silence même pourrait peut-être faire croire... Mais où est le mal ?... il ne la connaît pas, ni moi non plus... et à l’avenir, je jure bien... de ne plus dire... que ce qui sera vrai.

Regardant du côté du salon.

Ah mon Dieu !... qu’est-ce que je vois !... cette taille... ces yeux... celle que j’aime !... c’est bien elle !... elle est ici... Ah ! que je suis heureux !

 

 

Scène XII

 

JULIA, FRÉDÉRIC

 

Au moment où Julia entre en scène, Frédéric court précipitamment se jeter à ses genoux.

FRÉDÉRIC.

Chère Julia !

JULIA.

Ciel ! c’est lui !... Ah ! monsieur, vous m’avez fait une peur !... Mais relevez-vous donc... si on venait...

FRÉDÉRIC.

Vous ici !... quand j’allais vous chercher à Milan.

JULIA.

Je suis venue à Florence, avec ma tante, pour le mariage de ma sœur, qui épouse M. Dorsini.

FRÉDÉRIC.

Toute la famille réunie !... suite de mon bonheur ; car je viens de nouveau demander votre main.

JULIA, à part.

Ah ! j’en étais bien sûre...

FRÉDÉRIC.

Et cette année, on ne me refusera pas... je suis millionnaire... je suis monté en grade ; chef d’escadron... et je serais même colonel, si notre général de brigade ne m’en voulait pas... à cause d’une aventure avec sa femme...

JULIA, vivement.

Comment, monsieur...

FRÉDÉRIC, à part.

Qu’est-ce que je dis-là...

Haut.

Une femme que je ne pouvais pas souffrir... que je n’invitais jamais à danser... ce n’est pas comme vous.

JULIA.

À la bonne heure.

FRÉDÉRIC.

Et le mari s’est formalisé... un mari susceptible... il y en a tant.

JULIA.

Je comprends.

FRÉDÉRIC.

Aussi, une fois marié, je suis décidé à quitter la carrière des armes, pour celle de la diplomatie.

JULIA.

Ah ! que vous aurez raison.

FRÉDÉRIC.

N’est-ce pas ?... c’est ma véritable vocation... les secrets d’état ne sont pas plus difficiles à garder que les autres... la moitié du temps, il n’y en a pas ; et ceux-là, je ne les dirai à personne.

JULIA.

Excepté à moi.

FRÉDÉRIC.

Sans doute... sa femme, c’est un autre soi-même.

JULIA.

Et vous venez donc ce soir à ce bal ?

FRÉDÉRIC.

Eh mon Dieu ! non... M. Dorsini m’avait invité... j’ai refusé.

JULIA.

Quelle maladresse !

FRÉDÉRIC.

J’accepte maintenant, et sans façon... chez un beau-frère... je le lui dirai.

JULIA.

Eh ! non, monsieur, gardez-vous en bien... est-ce qu’on parle ainsi de ces choses-là ? je vous recommande au contraire le plus grand silence.

FRÉDÉRIC.

Dès que vous l’ordonnez, cela ne me coûtera rien... mais à condition que vous danserez avec moi toute la soirée.

JULIA.

Silence !... M. Dorsini.

 

 

Scène XIII

 

JULIA, FRÉDÉRIC, DORSINI

 

DORSINI, présentant des billets de banque à Frédéric.

Voici, monsieur, toute votre somme... !

Frédéric va à la table et écrit. À Julia.

Bonjour, ma jolie belle-sœur... Laura est-elle bien en colère contre moi ?

JULIA.

Votre lettre l’a un peu apaisée.

FRÉDÉRIC, à Dorsini.

Voici mon reçu... et de plus, j’ai réfléchi à votre aimable proposition, et je me fais un plaisir de rester à votre bal.

DORSINI.

Ah ! vous restez !... enchanté... et puis-je savoir quel heureux événement vous a fait changer d’idée ?

FRÉDÉRIC, étourdiment.

Ah ! c’est que, voyez-vous...

Rencontrant un regard de Julia.

Pardon, je ne puis le dire... une aventure... une rencontre... un ordre auquel il m’est doux d’obéir...enfin je reste.

DORSINI, souriant.

C’est l’essentiel... et je devine aisément... vous aurez appris que votre belle inconnue d’hier devait se trouver à mon bal.

JULIA.

Comment ! qu’est-ce que c’est ? hier une inconnue...

FRÉDÉRIC, à Dorsini.

Taisez-vous donc...

À part.

Il y a des gens d’une indiscrétion...

DORSINI, étonné, et les regardant tous deux.

Eh mais ! quel intérêt Julia, ma belle-sœur, peut-elle prendre à cette aventure ?

FRÉDÉRIC.

Aucun certainement... mais il est des choses que devant une demoiselle...

JULIA, à demi-voix, à Frédéric.

Je saurai ce que c’est, monsieur.

FRÉDÉRIC, à part.

Je suis sur les épines...

On entend la ritournelle du chœur.

Heureusement voilà du monde qui vient à mon secours.

 

 

Scène XIV

 

JULIA, FRÉDÉRIC, DORSINI, GENS DU BAL, CAVALIERS et DAMES INVITÉS

 

CHŒUR.

Air : Final du premier acte de Gillette.

Chantons un si doux hyménée
Pour leur plaire unissons-nous tous ;
Puisse durer longtemps la chaîne fortunée
Qui va joindre ces deux époux.

Pendant le chœur, Laura est entrée ; Dorsini la prend par la main ; ils font ensemble le tour de l’assemblée, en saluant tous les invités.

Au moment où Laura arrive sur le devant de la scène, elle lève les yeux sur Frédéric, qui la reconnaît, et fait un geste de surprise.

FRÉDÉRIC.

Ah mon Dieu !

LAURA, d’un air aimable.

Comment ! monsieur, c’est vous ? Que je suis heureuse de vous rencontrer.

FRÉDÉRIC, embarrassé.

Et moi, donc... j’étais loin de m’attendre...

DORSINI, à Laura.

Vous connaissez monsieur ?

LAURA.

Certainement.

JULIA.

Vous, ma sœur ?

LAURA.

C’est mon libérateur que je vous présente.

DORSINI.

Que dites-vous ?

JULIA, à Frédéric.

Ah ! que je vous remercie !

FRÉDÉRIC, avec embarras.

Du tout, du tout, je vous en prie... ne parlons pas de cela.

LAURA.

Au contraire...

À Dorsini.

Apprenez, mon ami, que sans monsieur, sans son généreux secours, mes chevaux me précipitaient hier dans l’Arno.

DORSINI, avec colère.

Grand Dieu !... qu’entends-je !

LAURA.

Ne prenez pas un air si effrayé... il n’est rien arrivé de fâcheux.

FRÉDÉRIC, à part.

Impossible de l’arrêter, ni de lui faire comprendre...

DORSINI, à Frédéric.

Quoi ! c’était madame ?

FRÉDÉRIC.

Mais oui... je ne reconnaissais pas d’abord...

À demi-voix.

Mais croyez, monsieur, que de tout ce que j’ai dit, il n’y a rien de vrai.

DORSINI, avec colère, et à demi-voix.

Il suffit, monsieur...

Haut, à Laura.

Et vous avez ainsi laissé partir votre libérateur sans lui témoigner votre reconnaissance ?

LAURA.

Non, certainement... monsieur a daigné accepter l’offre que je lui ai faite de venir chez moi, et je l’ai reçu de mon mieux... je lui ai offert...

DORSINI.

Des glaces... un sorbet.

LAURA, riant.

Ah ! vous savez...

DORSINI, à demi-voix, avec colère.

Oui, madame, je sais tout ; et vous n’avez plus besoin de feindre.

LAURA, effrayée.

Qu’est-ce à dire... qu’avez vous ?

JULIA.

Ma sœur, qu’y a-t-il donc ?

FRÉDÉRIC, à part.

C’est fini !... ils ont tous une rage de parler... je n’ai jamais été comme cela.

 

 

Scène XV

 

JULIA, FRÉDÉRIC, DORSINI, GENS DU BAL, CAVALIERS et DAMES INVITÉS, SGRIMAZZI, arrivant par le fond

 

SGRIMAZZI.

Me voilà... me voilà !

Déclamant.

« Ô hymen ! ô hyménée !
« Dieu charmant qui préside aux pompes nuptiales,
« Où vas-tu, le front ceint de rubis et d’opales ?
« Tu vas, d’un pied léger, chez l’heureux Dorsini,
« Tu vas à ses trésors ajouter aujourd’hui
« Des trésors bien plus doux d’amour et de constance. »

DORSINI, à part.

Oui, de constance !...

Allant à Sgrimazzi.

Il suffit, Sgrimazzi, n’allez pas plus loin... il est inutile de parler de ce mariage, que des raisons m’obligent à différer...

Bas à Laura.

Rompu à jamais... tout est fini.

Ici la musique commence. Il va prendre Frédéric par la main, et lui dit à voix basse.

Monsieur, quelles sont vos armes ?

FRÉDÉRIC.

Daignez, m’écouter...

DORSINI.

Vous me suivrez à l’instant au bord de l’Arno.

FRÉDÉRIC.

Je ne demande pas mieux... mais je vous atteste...

DORSINI.

Que vous êtes un lâche.

FRÉDÉRIC.

Excepté cela... je vous accorde tout le reste.

Final.

Ensemble.

Air : C’en est fait, mon honneur (de Philippe).

DORSINI.

Plus d’hymen, de bonheur !
Je sens la jalousie
Et sa sombre fureur
S’emparer de mon cœur...
Trahi dans ma patrie,
Pour un fat étranger,
De tant de perfidie
Je saurai me venger.

LAURA.

Plus d’hymen, de bonheur !
Quelle est cette folie ?
Je le vois, la fureur
S’empare de son cœur.
D’où vient tant de furie
Contre cet étranger ?
De tant de jalousie
Je saurai me venger.

FRÉDÉRIC.

Je voudrais de grand cœur
Guérir sa jalousie ;
Mais je ne puis, d’honneur,
Souffrir tant de fureur.
Ah ! vive ma patrie !
Je vois qu’un étranger
Ne peut, en Italie,
Plaisanter sans danger.

JULIA, montrant Dorsini.

Sous un calme trompeur
Il cache sa furie.
Ah ! pour ma pauvre sœur
Je crains quelque malheur.
Ah ! pour quelque folie
Peut-on ainsi changer ?
De tant de jalousie
Comment le corriger ?

SGRIMAZZI.

Ma tirade, en honneur,
Eût été fort jolie,
Chacun avec fureur
Eût applaudi l’auteur.
Un trait seul de l’envie
A pu tout déranger ;
La palme du génie
En cyprès va changer.

DORSINI, bas à Frédéric.

Sur les bords de l’Arno, demain.

FRÉDÉRIC, gaiement.

Ce lieu m’enchante.

DORSINI, de même.

Au bois des peupliers.

FRÉDÉRIC.

Promenade charmante.

DORSINI.

Sous les coups d’un de nous l’autre devra périr.

FRÉDÉRIC, gaiement.

Mais monsieur... si cela peut vous faire plaisir.

Reprise de l’ensemble.

FRÉDÉRIC.

Je voudrais de grand cœur, etc.

DORSINI.

Plus d’hymen, de bonheur ! etc.

LAURA.

Plus d’hymen, de bonheur ! etc.

JULIA.

Sous un calme trompeur, etc.

SGRIMAZZI.

Ma tirade, en honneur, etc.

CHŒUR.

Cette fête, en honneur !
Eût été fort jolie !
D’où vient que la fureur
Semble agiter leur cœur ?
Quelle est cette folie ?
Hélas ! cet étranger,
Par quelque étourderie,
Vient de tout déranger.

 

 

ACTE II

 

Un salon gothique dans le château de Mme Lorenzi. Au fond, une grande cheminée, au-dessus de laquelle se trouve un tableau représentant Françoise de Rimini, aux deux côtés de la cheminée, une porte. Deux grandes portes latérales. Une croisée à droite de l’acteur. De l’autre côté, et un peu sur le devant, table avec papier, écritoire et plumes. Sur les côtés deux grands tableaux représentant Othello et Gabrielle de Vergy.

 

 

Scène première

 

SGRIMAZZI, FRÉDÉRIC

 

Ouverture lente et mystérieuse. Lorsque la toile se lève, deux sons de cor, dont l’un semble partir du château, et l’autre de l’extérieur. L’ouverture se termine en crescendo, et l’on entend à l’extérieur la voix de Frédéric et celle de Sgrimazzi.

SGRIMAZZI, en dehors.

Non, non, je n’entrerai pas... je veux savoir où l’on me conduit.

FRÉDÉRIC, en dehors.

Taisez-vous donc, Sgrimazzi... entrons toujours.

Ici Frédéric et Sgrimazzi entrent par la porte à gauche, à côté de la cheminée ; et immédiatement après leur entrée, elle est fermée à double tour. Il fait nuit.

FRÉDÉRIC.

Allons, c’est fini, nous voilà prisonniers.

SGRIMAZZI, allant regarder par la fenêtre.

Soixante pieds de hauteur... pas moyen de s’échapper.

FRÉDÉRIC.

C’est bien l’aventure la plus délicieuse...

SGRIMAZZI.

La plus épouvantable...

FRÉDÉRIC.

C’est la première fois de ma vie que je suis enlevé.

SGRIMAZZI.

Et moi aussi ; mais je m’en passerais bien.

FRÉDÉRIC.

Certainement j’ai eu en France bien des bonnes fortunes... mais pas une seule dont les préliminaires ressemblassent à ce qui m’arrive aujourd’hui.

SGRIMAZZI.

Jolis, les préliminaires... arrêtés sur le grand chemin par des hommes masqués... dans votre voiture, où je suis bien fâché maintenant d’avoir accepté une place.

FRÉDÉRIC.

J’ai cru vous rendre service... j’avais affaire ce matin au bord de l’Arno... vous veniez de ce côté.

SGRIMAZZI.

Oui, au château de la signora Lorenzi, qui m’avait ordonné pour aujourd’hui, un bal, une fête... Mon monde, mes musiciens... tout est commandé pour ce soir... et je n’y serai pas... et l’on va m’attendre.

FRÉDÉRIC.

Bah ! vous ne serez pas le seul qu’on attendra aujourd’hui...

À part.

Et Dorsini ! ce duel... je suis désolé... mais ce sera pour demain... quand il y a force majeure... quand il saura que je suis, malgré moi, en bonne fortune.

SGRIMAZZI.

En bonne fortune !... il y tient... Mais malheureux jeune homme, vous rêvez tout éveillé... vous allez vous créer des chimères...

FRÉDÉRIC.

Cela te paraît tel, à toi qui ne t’y connais pas... qui n’en as pas l’habitude... mais moi, je suis sûr de mon fait... c’est une aventure galante.

SGRIMAZZI.

C’est un aguet-pens... une vengeance italienne.

FRÉDÉRIC.

Quelque jeune veuve à l’esprit romanesque.

SGRIMAZZI.

Ou plutôt un mari à l’humeur vindicative... un amant jaloux... un tuteur ; que sais-je... Vous aurez tenu quelques propos indiscrets sur sa femme, ou sa maîtresse, ou sa pupille... vous n’en faites jamais d’autres !

FRÉDÉRIC.

Et tu as raison... Ne parlons pas de cela... Cette aventure-ci me charmait, parce qu’elle me faisait oublier celle d’hier, qui me revient toujours à l’esprit... c’est indigne à moi.

SGRIMAZZI.

Qu’est-ce donc ?

FRÉDÉRIC.

Ce pauvre Dorsini dont j’ai détruit le bonheur !... et me voir forcé encore de menacer ses jours.

SGRIMAZZI.

Qu’entends-je !

FRÉDÉRIC.

Eh oui !... vous ne devinez rien... Nous devions nous battre ce matin au bord de l’Arno... mon ami Derville, que j’ai prévenu, devait être mon témoin.

SGRIMAZZI.

Vous battre !... et pourquoi ?

FRÉDÉRIC, riant.

Pourquoi ? parce que, mon cher ami...

Se reprenant.

Mais non, c’est fini, je ne dirai plus rien, me voilà corrigé. Je serai discret maintenant... et pour changer de conversation, j’ai vu ce matin Derville... je me suis chargé de votre commission d’hier.

SCRIMAZZI.

Ah mon Dieu !

FRÉDÉRIC.

Je lui ai demandé si la dame à qui il donnait le bras l’autre jour, avait un chapeau avec des roses pompons.

SGRIMAZZI, avec crainte.

Eh bien ?

FRÉDÉRIC.

Il a ri, et m’a dit que oui.

SGRIMAZZI, avec désespoir.

Plus de doute... c’était ma femme !

FRÉDÉRIC.

La signora Sgrimazzi ?

SGRIMAZZI.

Oui, monsieur.

On entend un troisième son de cor.

SGRIMAZZI, tremblant.

Ah mon Dieu ! si je n’avais pas peur, comme je serais en colère !... mais je n’en ai pas le temps... Avez-vous entendu ?

FRÉDÉRIC.

Sans doute... c’est un signal... on va venir.

SGRIMAZZI.

On va venir... et pourquoi ?

FRÉDÉRIC.

Belle demande !... on ne nous a pas enlevés pour rien... c’est-à-dire enlevés... toi cela ne te regarde pas... car tu étais dans ma voiture... tu es de trop ici.

SGRIMAZZI.

Si je vous gêne, je ne demande pas mieux que de m’en aller...

FRÉDÉRIC.

Cela sera bien peut-être ; car j’ai là un doux pressentiment qui ne me trompe jamais.

SGRIMAZZI.

Moi, j’en ai un qui me fait frémir.

FRÉDÉRIC, parcourant le salon.

Pauvre homme !

Examinant le tableau qui est au-dessus de la cheminée.

Tiens, qu’est-ce que c’est que ce tableau-là ?

SGRIMAZZI, s’approchant.

Attendez-donc... Françoise de Rimini... un jaloux qui assassine son rival et sa maîtresse infidèle.

FRÉDÉRIC.

À merveille !...

Regardant sur le mur à droite.

Ici un Othello.

SGRIMAZZI, regardant à gauche.

Et là... une Gabrielle de Vergy.

FRÉDÉRIC.

Beau coloris... belle perspective !

SGRIMAZZI.

Oui, une perspective rassurante !

Air : L’Hymen est un lien charmant.

Voyez donc ces maris jaloux...
Dans tous leurs traits quelle furie !

FRÉDÉRIC.

Vois comme Hédelmone est jolie !

SGRIMAZZI.

Quels regards ils lancent sur nous !
Messieurs, calmez votre courroux.

FRÉDÉRIC.

Si quelqu’un a pu vous déplaire,
Ah ! croyez-moi, ce n’est pas lui.
Messieurs, je suis célibataire,
Je mérite votre colère.

SGRIMAZZI.

Moi, comme vous, je suis mari ;
Ah ! n’immolez pas un confrère...
Moi, comme vous, je suis mari ;
Vous respecterez un confrère.

FRÉDÉRIC.

Ces femmes italiennes ont un singulier goût pour la décoration de leur boudoir... Silence ! la porte s’ouvre... j’entends marcher.

SGRIMAZZI.

Voici le moment critique... pauvre Sgrimazzi !... où t’a conduit ta mauvaise étoile ?

La porte à droite de la cheminée s’ouvre.

FRÉDÉRIC, regardant de ce côté.

C’est bien cela !... une robe blanche qui se dessine dans l’ombre... c’est une femme !...

SGRIMAZZI, regardant.

Une femme !... c’est ma foi vrai !... est-ce qu’il aurait raison ?

 

 

Scène II

 

SGRIMAZZI, FRÉDÉRIC, UNE FEMME, avec un demi-masque, entre suivie de quelques affidés couverts de manteaux noirs

 

FRÉDÉRIC, bas à Sgrimazzi.

Elle est masquée... mais sa taille, sa démarche... hein ?... qu’en dites-vous ?

SGRIMAZZI.

Je dis que pour un tête à tête, je n’aime pas

Montrant les affidés.

ces témoins qui l’accompagnent.

FRÉDÉRIC.

Elle a l’air distingué.

SGRIMAZZI.

Oui... j’aime mieux l’air que les accompagnements.

LA JEUNE DAME, désignant Frédéric.

Je veux parler à monsieur.

FRÉDÉRIC.

À moi ?

LA JEUNE DAME, s’avançant.

Qu’on me laisse seule avec lui.

Les affidés restent dans le fond.

SGRIMAZZI.

Et que va-t-on faire de moi ?

LA JEUNE DAME.

Vous, signor Sgrimazzi...

SGRIMAZZI.

Je suis connu...

LA JEUNE DAME.

Vous allez vous rendre sous escorte au bord de l’Arno, au bois de peupliers... vous y trouverez le signor Dorsini... vous lui direz que M. Frédéric de Rhétel l’attend ici, dans ce château, où vous l’amènerez.

SGRIMAZZI.

Pardon, belle inconnue... mais je me permettrai de vous dire que j’ai des affaires personnelles pour aujourd’hui... une fête chez une dame de la plus haute distinction.

LA JEUNE DAME,

Vous m’obéirez... il y va de votre tête.

SGRIMAZZI.

C’est différent... les affaires avant tout.

FRÉDÉRIC.

Je commence à n’y rien comprendre.

SGRIMAZZI, bas à Frédéric.

Le signor Dorsini... si c’est là le rendez-vous que vous espériez.

FRÉDÉRIC, gaiement.

Que veux-tu ?... cela fera deux rendez-vous.

LA JEUNE DAME, à deux de ses acolytes.

Qu’on l’emmène...

À Sgrimazzi.

Songez à mes ordres... zèle, discrétion... et surtout prompt retour.

SGRIMAZZI.

Oui, signora...

À part.

Diable de Français dont je ne peux pas me séparer !... Si jamais je me rencontre avec lui... Je pars, signora, et je reviens... parce qu’il est des lieux... où malgré soi,... l’on revient toujours... C’est fini, la verve n’y est plus !...

Il sort.

 

 

Scène III

 

LA JEUNE DAME, FRÉDÉRIC

 

FRÉDÉRIC.

Enfin, il est parti, et je puis vous témoigner à la fois, mon étonnement, et le plaisir que j’éprouve.

LAURA, ôtant son masque.

Me reconnaissez-vous, monsieur ?

FRÉDÉRIC.

Madame Lorenzi...

LAURA.

Moi-même, qui, pour la seconde fois, vous reçois chez moi.

FRÉDÉRIC.

Ah ! ce château vous appartient !

LAURA.

Cette seconde visite vous plaira peut-être moins que la première... car, cette fois, vous aurez plus de peine à vous vanter de votre bonne fortune.

FRÉDÉRIC.

Moi, madame ?

LAURA.

C’est ce que vous avez déjà fait... oserez-vous le nier ?

FRÉDÉRIC.

J’ai raconté simplement à M. Dorsini l’aimable accueil que j’ai reçu de vous.

LAURA.

Mais l’air et le ton dont vous avez fait ce récit ne lui ont-ils pas fait supposer que j’avais cessé de mériter son amour ?... vous ne répondez pas ?

FRÉDÉRIC, avec embarras.

Je ne dis pas que peut-être... il ait pu interpréter...

LAURA.

Vous m’avez donc calomniée... et indigne désormais du nom d’honnête homme, vous avez menti.

FRÉDÉRIC, avec indignation.

Madame !

LAURA.

Ah ! je puis vous flétrir d’un tel outrage... vous l’avez mérité !... mais moi, à qui vous en avez fait un plus grand encore, en quoi vous avais-je offensé ? et vous m’avez déshonorée aux yeux de celui que j’aimais, et dont j’étais aimée... vous avez rompu mon mariage.

Air : Époux imprudent, fils rebelle.

D’un imposteur si la voix ennemie
Vous attaque dans votre honneur,
Laisserez-vous son audace impunie ?
Non, j’en réponds... votre juste fureur
Saura punir le calomniateur.
Mais est-il moins digne de blâme,
Est-il moins digne, selon vous,
Et de mépris, et de courroux,
Si sa victime est une femme ?

FRÉDÉRIC.

Ah ! vous avez raison... je suis bien coupable !... ma vie entière se passera à réparer mes torts.

LAURA.

Et quelle réparation pouvez-vous me donner ?... me rendrez-vous l’estime et le cœur d’un époux ?... me rendrez-vous la considération publique, que la rupture de ce mariage m’enlève sans retour ? Je perds tout à la fois, et par un seul mot de vous... et c’est dans l’ivresse et dans la joie de votre âme : c’est gratuitement, sans que rien vous y obligeât, que vous vous êtes joué de mon existence et de mon avenir !... que vous m’avez vouée pour la vanité d’un moment, à la honte et au malheur de toute ma vie !... et les lois qui défendent votre honneur seraient muettes, dès qu’il s’agit de nous !... un tel outrage resterait impuni !...

FRÉDÉRIC.

Non... et dussé-je subir la honte que j’ai méritée, je proclamerai hautement, et devant tout le monde, mon infamie et mon indigne mensonge.

LAURA.

Et qui persuaderez-vous ?... qui croira à vos serments ?... le monde, Dorsini lui-même, ne verront-ils pas dans un tel dévouement, une nouvelle preuve des liens qui vous attachent à moi !...

FRÉDÉRIC.

Ah ! il n’est que trop vrai... ma faute est irréparable.

LAURA.

Vous ne m’avez donc laissé qu’un seul moyen d’attester la vérité... de prouver à Dorsini, au monde entier, mon indifférence et ma haine pour vous... et ce moyen, s’il ne me justifie pas... me vengera du moins.

FRÉDÉRIC.

Mais enfin, ce moyen quel est-il ?

LAURA.

Ces messieurs vont vous en instruire.

FRÉDÉRIC.

Ces messieurs.

LAURA.

Après cela, je vous l’ai dit... je ne craindrai plus que vous vous vantiez de cette entrevue... c’est la dernière... adieu.

Elle sort.

FRÉDÉRIC.

La dernière, soit... mais tout cela ne m’explique pas...

UN DES AFFIDÉS, après beaucoup de révérences.

Monsieur, vous avez une demi-heure pour mettre ordre à vos affaires.

Tirant sa montre et regardant l’heure.

Il est huit heures et demie... à neuf heures précises, on sera à vos ordres.

Frédéric veut parler, l’affidé lui fait un profond salut, et sort avec ses compagnons. La porte se referme ; on entend tirer les verrous.

 

 

Scène IV

 

FRÉDÉRIC, seul, après un instant de silence

 

Une demi-heure !... Sgrimazzi avait raison... je ne connaissais pas encore les Italiennes, et je vois que maintenant je n’aurai pas beaucoup de temps pour les étudier... C’est dommage... cette expression de colère allait bien à sa figure... et quand elle a dit : Je me vengerai du moins, en attachant sur moi, ses grands yeux noirs, qui lançaient des éclairs... elle était belle, très belle... Malgré cela, j’aime mieux les Françaises... et je n’ai jamais vu de femme pareille que dans les romans d’Anne Radcliffe...

Réfléchissant.

Cependant, je dois en convenir, elle est bien malheureuse... je suis bien coupable envers elle... et c’est très vrai, dans la position où elle est, elle n’a qu’un seul moyen de prouver évidemment qu’elle ne m’aime pas, et ce moyen est de...

Avec colère.

Moyen absurde... moyen qui n’a pas le sens commun ; et si elle était là, je lui prouverais qu’elle en a vingt autres de se venger, de se consoler... mais elle n’est pas là ; elle ne viendra plus : je suis en son pouvoir !... Tout est fermé ; et seul ici, sans armes, contre une bande de condottieri !... Ah ! ce n’est pas ainsi que je devais mourir !... et cette mort qui me semblait si belle sur un champ de bataille !... cette mort à laquelle on court en chantant, quand le canon gronde, et quand on vous regarde !... ici, seul, sans témoins, dans ce vieux château, elle me semble affreuse ! et quand j’y pense, la vie était si belle encore ! elle pouvait l’être davantage !... j’avais des amis, une patrie... enfin, j’avais Julia... elle m’aimait !... demain, peut-être, elle eût été ma femme... et quel avenir, quel bonheur eût été le nôtre !... et mon indiscrétion... mon affreux caractère a tout détruit... ce misérable défaut, je n’ai pu m’en corriger !... malgré moi, j’y retombais sans cesse... eh bien ! aujourd’hui j’en suis puni... c’est bien fait... supporte donc lâche... supporte donc les résultats de ta folle conduite... et puisque tu n’as pu l’empêcher, aie le courage du moins de te résigner à ton sort.

Air de Renaud de Montauban.

C’en est fait, et je dois bannir
En même temps la crainte et l’espérance ;
Mais il me reste, hélas ! un souvenir...
Ô mon pays ! c’est à toi que je pense.
Moi, qui devais vivre et mourir pour toi,
Je suis parjure... ah ! j’en verse des larmes !...
Si demain on prenait les armes,
Demain on se battrait sans moi...
Ils iraient se battre sans moi.

Que faire ?... le temps me paraît à la fois si lent et si rapide...

Regardant la table.

Ah ! des plumes... du papier !... Oui, j’oubliais... ils me l’ont dit... il faut mettre ordre à ses affaires.

Il s’assied et écrit.

Maintenant surtout que je suis riche... Pauvres millions de mon cousin Durand... je ne vous aurai pas gardés longtemps ! Ah ! si je l’avais su !...

Il se lève.

Quelle duperie d’avoir de l’ordre, de l’économie !... m’en voilà corrigé, cela ne m’arrivera plus... heureusement j’en aurai bien disposé, et cela console...

Il se remet à écrire.

Encore un mot...

Relisant.

Est-ce tout ?... oui, voilà tout ce que j’avais à écrire... maintenant l’adresse...

Au moment où il va l’écrire, on entend le bruit des verrous.

J’entends du bruit !... on vient... ce sont eux... du courage !...

S’arrêtant.

Eh bien ! non... on a beau faire... on sent malgré soi le cœur, dont les battements redoublés...

Avec reproche.

Un officier... un soldat de l’armée d’Italie !

Entendant ouvrir la porte.

Allons, allons, que du moins ils ne s’en aperçoivent pas... ne donnons point cette satisfaction-là à des lâches... sachons les braver, et regarder la mort en face... Que vois-je !

La porte à droite de la cheminée s’est ouverte ; Julia paraît.

 

 

Scène V

 

JULIA, FRÉDÉRIC

 

JULIA, paraissant à la porte.

Silence.

FRÉDÉRIC.

Vous, Julia : dans ces lieux.

JULIA, s’avançant.

Je viens vous sauver.

FRÉDÉRIC.

Est-il possible !... je savais bien que les femmes ne pouvaient pas toutes m’abandonner.

JULIA.

Vous êtes ici, dans un château qui appartient à ma sœur.

FRÉDÉRIC.

Oui, je sais qu’elle a la bonté de m’y recevoir.

JULIA.

J’ai tout appris par elle... les soupçons, la colère de Dorsini... son mariage rompu... et tout cela par votre faute... par votre indigne conduite.

FRÉDÉRIC.

Ah, daignez m’écouter !

JULIA.

Dès ce moment mon parti a été pris, et j’ai renoncé à vous.

FRÉDÉRIC.

Julia !

JULIA.

Oui, monsieur... rien ne me fera changer de résolution... je vous rends vos serments... je ne veux plus vous revoir... mais j’ai voulu du moins veiller sur vos jours.

FRÉDÉRIC, avec joie.

Est-il possible !

JULIA.

Quand j’ai entendu entrer dans la cour du château, cette voiture si exactement fermée... quand j’ai vu surtout la figure sinistre des gens qui l’accompagnaient... j’ai conçu un horrible soupçon... un soupçon que maintenant encore j’ai peine à prendre pour une réalité... et j’ai tremblé...

FRÉDÉRIC, vivement.

Pour moi !... ah ! que je suis heureux !

JULIA, se reprenant.

Une femme a peur de tout... un rien l’effraie.

FRÉDÉRIC.

Pas toutes.

JULIA.

J’aurais tremblé de même pour les jours d’un indifférent, d’un étranger... j’aurais fait tout au monde pour le sauver.

FRÉDÉRIC.

Et comment avez-vous osé l’entreprendre ?

JULIA.

Un moyen bien simple, bien facile... un de ces braves qui vous ont enlevé était là, de garde, à la porte de cette chambre... c’est, je crois, celui qui commande aux trois autres.

FRÉDÉRIC.

Ah ! ils ne sont que quatre !... Par saint Bonaparte, si j’avais seulement là ma bonne épée !...

JULIA.

Il ne s’agit pas de cela, monsieur... ces gens-là n’ont contre vous, ni haine, ni colère... ils ne vous en veulent pas plus qu’à un autre... on leur a donné vingt-cinq ducats...

FRÉDÉRIC, d’un air piqué.

Vingt-cinq !... rien que cela ?... un chef d’escadron !

JULIA.

En leur offrant le double... mes chaînes, mes bijoux, mes parures de demoiselle.

FRÉDÉRIC.

Et vous croyez que je souffrirai...

JULIA.

Eh ! monsieur, il s’agit bien de cela...

FRÉDÉRIC.

C’est de l’argent mal placé... vrai, je ne le mérite pas.

JULIA, vivement.

C’est possible !... mais qu’importe !... dans quelques minutes, ils vont venir... ils vous emmèneront... mais, au lieu de suivre leurs instructions, ils vous rendront à la liberté... et alors, fuyez, quittez ces lieux... et oubliez-moi.

FRÉDÉRIC.

Maintenant, moins que jamais... et je ne sais comment vous remercier de tant de générosité.

JULIA.

Profitez-en.

FRÉDÉRIC.

Impossible.

JULIA.

Et pourquoi ?

FRÉDÉRIC.

C’est que la mort qui me menace, fût-elle encore plus prochaine et plus terrible... je ne quitterai pas ces lieux, si vous ne me pardonnez... si vous ne me permettez de vous aimer toujours... de vous revoir.

JULIA.

Jamais.

FRÉDÉRIC, d’un ton décidé.

Alors, je reste... et ce n’est pas votre sœur, c’est vous qui serez cause de ma mort ! Toute la famille y aura contribué.

JULIA.

Monsieur... au nom du ciel !... par grâce !

FRÉDÉRIC.

Ma grâce !... c’est moi qui l’implore, et vous qui la refusez... si vous m’aimez, je pars.

JULIA.

Ah mon Dieu !... eh bien ! monsieur... eh bien !... partez... mais c’est pour vous sauver la vie.

FRÉDÉRIC.

Elle m’est chère maintenant.

JULIA.

Mais à condition que vous tâcherez de vous corriger de votre amour propre, de votre indiscrétion, de votre... légèreté.

FRÉDÉRIC.

Cette fois-là est la seule ; et je ne sais pas comment cela s’est fait !... Mais pour ce qui est de la fidélité, de la constance... je peux hardiment vous attester...

JULIA.

Taisez-vous... l’on vient...c’est votre guide et ses gens.

 

 

Scène VI

 

GRÉGORIO, JULIA, FRÉDÉRIC

 

GRÉGORIO, suivi de deux estafiers qui restent au fond près de la porte.

Voici l’instant, signora... il faut partir.

JULIA.

Vous savez nos conventions ?

GRÉGORIO.

C’est dit ; je suis payé... et un homme d’honneur, un homme tel que moi, n’a que sa parole... Où est le prisonnier ?

JULIA.

Prêt à vous suivre...

Elle prend Frédéric par la main.

Le voici !... Venez.

Elle l’amène près de Grégorio, et leurs yeux se rencontrent.

FRÉDÉRIC.

Que vois-je !

GRÉGORIO.

Vous ici, mon gentilhomme !

FRÉDÉRIC.

Moi-même, coquin.

GRÉGORIO.

Et c’est lui que j’allais délivrer...

À Julia.

Rien de fait, signora.

JULIA.

Que voulez-vous dire ?

GRÉGORIO.

Que j’ai une autre dette avec monsieur... une dette personnelle... et par saint Janvier, mon patron, je suis heureux de pouvoir l’acquitter, en faisant mon devoir.

JULIA.

Vous, grands dieux !... et comment ?

GRÉGORIO.

Ne m’a-t-il pas outragé ce matin, moi, et ma profession !... profession que j’exerce avec honneur !... ne m’a-t-il pas supplanté près de la signora Camilla, ma prétendue ?

FRÉDÉRIC.

Et lui aussi qui ne peut pas se taire.

JULIA.

Comment ! monsieur, encore ?... au moment où vous me juriez...

FRÉDÉRIC.

Et je vous jure encore qu’il ne sait ce qu’il dit.

JULIA.

Ah ! si je n’écoutais que ma colère, je devrais... mais, coupable ou non, j’ai juré de le sauver...

À Grégorio.

et j’ai votre promesse.

GRÉGORIO.

C’est vrai... mais auparavant j’en avais fait une autre... une promesse antérieure... et c’est celle-là que je tiendrai : parce qu’en fait de serments, il faut de l’ordre ; sans cela, on ne s’y reconnaîtrait pas.

JULIA.

Non, vous ne repousserez pas mes prières !... et vous aussi, Frédéric, je vous en supplie, joignez-vous à moi... daignez lui parler.

FRÉDÉRIC.

Moi, lui demander la vie !... je n’oserais plus m’en servir, si je la devais à un coquin de son espèce... et je l’engage au contraire à ne pas me manquer : car, si j’en réchappe, je lui promets la potence à lui, et à tous les siens.

GRÉGORIO, voulant tirer son épée.

Je ne sais qui me retient.

JULIA.

Au nom du ciel !

GRÉGORIO.

Soyez tranquille... j’ai mon mot d’ordre... et le devoir avant tout... il faut, m’a-t-on dit, attendre que le seigneur Dorsini soit ici... et alors, et au signal qu’on doit me donner...

JULIA.

Je l’empêcherai bien... je cours près de ma sœur !...

Grégorio va ouvrir la porte latérale à gauche.

FRÉDÉRIC, à demi-voix, à Julia qui est appuyée sur un fauteuil à droite.

Julia, ma bien-aimée Julia... pensez quelquefois à moi... Adieu... du courage... moi-même j’en ai besoin...car vous laisser ainsi...

Apercevant le bouquet qui est à sa ceinture, et dont il s’empare.

Ah ! voilà qui m’en donnera ; il ne quittera mon cœur que quand il aura cessé de battre.

Air du vaudeville de la Haine d’une Femme.

Non, ce n’est point une chimère,
De mon sort vous prenez pitié ;
Je suis aimé, j’ai pu vous plaire,
Tout mon malheur est oublié.
Laissez-moi cet heureux délire,
Le trépas même en peut être charmé ;
En expirant je puis encor sourire,
Je suis aimé,
Je suis aimé !
Je puis mourir, je suis aimé !

Grégorio et les spadassins lui ont montré de la main la porte à gauche. Il s’y élance ; Grégorio et ses gens y entrent après lui ; la porte se referme.

 

 

Scène VII

 

JULIA, seule

 

Frédéric ! Frédéric !... Oh ! je ne puis croire encore à tout ce qui se passe à tout ce que l’ai vu... non... non... je m’effraie à tort... me sœur n’a jamais eu cette affreuse pensée... j’en suis sûre... et cependant c’est fait de lui, a dit cet homme, au moment où Dorsini paraîtra dans le château... Mais Dorsini a rompu avec ma sœur... il a juré de ne plus la voir... il ne viendra pas... non, il ne viendra pas... Ah juste ciel ! c’est lui !

 

 

Scène VIII

 

DORSINI, JULIA

 

DORSINI, entrant par la porte à droite de la cheminée, à la cantonade.

C’est bien, c’est bien.

JULIA, allant à lui.

Vous, monsieur, dans ces lieux ?

DORSINI.

Il le faut bien, puisque c’est ici... chez elle... quelle audace ! quelle impudence !... que l’on ose me donner rendez-vous.

JULIA.

Et qui donc ?

DORSINI.

Ce Français... ce lâche qu’aujourd’hui j’ai attendu vainement au bord de l’Arno.

JULIA.

M. Frédéric ?... Ne l’accusez pas... des spadassins l’ont enlevé, conduit dans ce château !

DORSINI.

Des spadassins !

JULIA.

Il est condamné...

DORSINI.

Condamné !... mais Julia on vous a trompée... quelle loi, quel tribunal aurait ce droit ?... excepté moi, qu’il a outragé, qui donc pourrait en vouloir à ses jours ?

JULIA.

Qui ?... celle qu’il a calomniée ; dont par son indiscrétion il a détruit pour jamais le repos et le bonheur... et le plus cruel de tout cela, c’est que ce n’est point ma sœur, c’est moi qu’il aime, qu’il a toujours aimée... moi qu’il a demandée en mariage... c’est moi seule qui devrais avoir des droits sur lui.

DORSINI.

Que dites-vous ?

JULIA.

Oui, monsieur, c’est moi... et là tout à l’heure encore, il me jurait...

Regardant sur la table.

Que vois-je ! une lettre de lui !

Elle lit.

« Par suite d’une faute impardonnable, condamné à perdre la vie en pays étranger, n’ayant ici, ni famille, ni amis, je suis forcé de supplier M. Dorsini de vouloir bien être mon exécuteur testamentaire. »

DORSINI.

Moi !

JULIA, continuant.

« Je lègue tous mes biens et toute la fortune qui me revient de mon cousin Durand, à mademoiselle Julia Manzoni... que cette fortune, que j’espérais partager avec elle, serve au bonheur d’un autre... mais quel qu’il soit, il ne pourra jamais l’aimer comme je l’aimais... »

DORSINI.

Achevez.

JULIA, lui donnant la lettre.

Tenez, monsieur, lisez vous-même.

DORSINI, lisant.

« De plus, je déclare sur mon honneur, et au nom de toute la croyance qui est due aux dernières paroles d’un mourant, je déclare que j’ai calomnié madame Lorenzi... j’ai commis ainsi un mensonge indigne d’un galant homme... C’est pour l’expier que je vais mourir. »

Laura est entrée sur cette dernière phrase.

 

 

Scène IX

 

DORSINI, LAURA, JULIA

 

DORSINI, courant à elle.

Ah ! madame, ah ! Laura !... en proie à un premier mouvement de fureur, je n’ai écouté que ma jalousie... je vous ai outragée... mais tout me montre clairement la vérité... tout me prouve que je suis seul coupable... Laura, me pardonnez-vous ?

LAURA, froidement.

Non, monsieur... il n’est plus temps.

JULIA.

Ô ciel !

LAURA.

Celui qui a pu me soupçonner un instant n’est plus digne de moi.

JULIA.

Même quand il reconnait ses torts.

DORSINI.

Quand il veut les expier.

LAURA.

Votre conviction à vous ne me suffit pas... et aux yeux du monde, devant qui, hier encore vous avez brisé tous nos nœuds, il faut pour vous et pour moi-même une réparation solennelle, éclatante.

JULIA.

Que voulez-vous de plus ?... y a-t-il quelque chose de mieux que cette lettre ?

LAURA.

Peut-être... et si je réussis, seulement alors...

On entend la ritournelle du chœur.

JULIA.

Ah mon Dieu : quel est ce bruit ?

 

 

Scène X

 

DORSINI, LAURA, JULIA, SGRIMAZZI

 

SGRIMAZZI, à Laura.

Madame, madame, voici tout votre monde... vos invitations.

DORSINI.

Quoi ! vous ne les avez pas décommandées ?...

LAURA.

Non, monsieur.

JULIA.

Comment ! un bal, une fête, en ce moment !... il s’agit bien de cela... qu’on les renvoie.

LAURA.

Pourquoi donc ? cela entre dans ma vengeance... Il me faut des témoins... et je l’espère vous ne me refuserez pas d’en être... Vous avez mes ordres, Sgrimazzi ?

SGRIMAZZI, à Dorsini.

Oui, signora... je demanderai de l’indulgence... l’improvisation a été si rapide.

LAURA.

Il suffit... faites entrer.

SGRIMAZZI.

Je suis à vos ordres, moi, et mes tiroirs.

Les portes du fond s’ouvrent ; tous les invités en habit de fête paraissent et entourent Laura, Julia et Dorsini. Pendant ce temps le théâtre s’éclaire de tous côtés.

 

 

Scène XI

 

DORSINI, LAURA, JULIA, SGRIMAZZI, CHŒUR DES PERSONNES DE LA VILLE, CAVALIERS et DAMES

 

Air : Chantons ce mariage (du Philtre).

CHŒUR.

Ce soir, amis, le bal, la comédie,
Tous les plaisirs pour nous ;
La beauté nous convie
À ce gai rendez-vous.

LAURA.

Je vous avais invités, mes chers amis...

DORSINI, vivement.

Pour vous faire part de notre mariage.

LAURA, de même.

Mariage qu’il faut encore différer... Mais en attendant, nous avons un petit intermède à vous offrir... intermède de la composition du signor Sgrimazzi.

SGRIMAZZI, s’inclinant.

Trop d’honneur, signora... Du signor Sgrimazzi, et d’un collaborateur qui désire garder l’anonyme. Prenez vos places.

Tout le monde se place sur le côté droit du théâtre, les dames assises devant ; les hommes debout, derrière.

Laura et Julia occupent les premiers sièges ; Dorsini est debout auprès de Laura.

SGRIMAZZI.

Mélodie.

Mesdames et messieurs, silence, s’il vous plaît !
Pour peu qu’à mon génie Apollon soit en aide,
Nous allons vous donner ce soir un intermède
Neuf, joyeux et piquant... dont voici le sujet :
Un jeune et beau Français, à la tête étourdie,
(On en trouve par fois) par une calomnie,
Compromet la vertu d’une femme d’honneur.
Elle veut se venger... et dans le fond du cœur
Elle conçoit d’abord l’idée italienne
D’employer contre lui le bras d’un spadassin...
Mais bientôt la pitié plus forte que la haine
La fait se raviser et changer de dessein...
Elle sait qu’un Français, qui rarement recule,
Peut bien braver la mort, mais non le ridicule.
Et pour punir d’un fat les propos insensés,
Il faut qu’une frayeur utile et salutaire
Le corrige... et l’instruise au grand art de se taire.
Je vous ai mis au fait... vous êtes tous placés ;
J’ai dit... nous commençons... silence ; paraissez.

 

 

Scène XII

 

DORSINI, LAURA, JULIA, SGRIMAZZI, CHŒUR DES PERSONNES DE LA VILLE, CAVALIERS et DAMES, la porte de gauche s’ouvre, et paraît FRÉDÉRIC, les yeux bandés, les mains liées, et conduit par deux hommes qui se retirent immédiatement

 

FRÉDÉRIC, parlant à voix haute.

Eh bien ! puisque vous me conduisez à l’esplanade du château... y arriverons-nous aujourd’hui ?... y sommes-nous enfin ?

SGRIMAZZI.

Oui, mon cher ami... nous y voilà.

FRÉDÉRIC.

Ah ! c’est vous, Sgrimazzi... si j’avais les mains libres, et si ces messieurs le permettaient, je vous donnerais une poignée de main.

SGRIMAZZI.

On m’a permis de vous voir encore à vos derniers moments.

FRÉDÉRIC.

C’est aimable... on a ici une foule d’attentions... Eh bien ! puisque vous voilà... vous ferez mon épitaphe... je vous charge de l’improviser à loisir, pour qu’elle soit bien... je vous charge aussi de faire mes adieux à mon ami Derville, et à votre femme... je suis bien fâché de vous avoir dit sur elle...

SGRIMAZZI, vivement et l’interrompant.

Ne parlons pas de cela.

FRÉDÉRIC.

Heureusement, cela restera entre nous.

SGRIMAZZI, de même, et comme pour le faire taire.

C’est bon... c’est bon, vous dis-je.

FRÉDÉRIC.

C’est juste... ce sont des affaires de famille... et devant ces figures de spadassins

Montrant les dames qui sont en face.

qui sont là en face de nous... elles sont affreuses, n’est-il pas vrai ?

SGRIMAZZI.

Taisez-vous donc.

FRÉDÉRIC.

Je vais peut-être me gêner... Allons, mes amis, dépêchons-nous... Sgrimazzi... où est-il ?

SGRIMAZZI, à sa gauche.

À côté de vous.

FRÉDÉRIC.

Vous êtes brave... avec ces maladroits, c’est le poste dangereux ; et je ne voudrais pas y être... Un mot encore... vous trouverez dans le salon... le salon d’Othello et de Françoise de Rimini...

SGRIMAZZI.

J’y suis...

FRÉDÉRIC.

Vous trouverez sur la table, à gauche, une lettre adressée à M. Dorsini... veillez à ce qu’elle lui soit remise... et puis dites à Mme Lorenzi, que je regrette d’avoir fait manquer son mariage... de l’avoir calomniée.

SGRIMAZZI.

Ce que vous avez dit n’était donc pas vrai ?

FRÉDÉRIC.

Et non, par malheur... j’ai menti... Ce qui me désole maintenant... car enfin, si j’avais dit la vérité, je mourrais avec moins de regrets.

JULIA.

Ah ! l’indigne !...

FRÉDÉRIC.

Mais, dites-lui en même temps que c’est une femme susceptible...une femme cruelle, barbare... avec laquelle il n’y a pas moyen de vivre... et que je ne lui pardonne pas ma mort... pas pour moi, ça m’est égal... mais pour une foule de personnes qui ne s’en consoleront jamais... Cette pauvre Julia, sa sœur !

JULIA.

Eh bien ! par exemple !...

Elle veut aller à lui ; Laura la retient.

FRÉDÉRIC.

Qu’elle me pardonne, celle-là... c’est la seule que j’aie offensée... et cependant Dieu m’en est témoin, c’est la seule que j’aimais... Allons, êtes-vous prêts ?

SGRIMAZZI fait signe aux dames, qui se lèvent, et se rangent en demi-cercle autour de Frédéric.

Ils le sont.

FRÉDÉRIC.

J’espère du moins que je ne mourrai pas comme un quinze-vingt... qu’il me sera permis de voir la mort en face, et de commander le feu.

SGRIMAZZI, lui déliant les mains.

On vous le permet.

FRÉDÉRIC.

À la bonne heure... Adieu, Julia, adieu, tout ce que j’aime.

Il a tiré de son sein le bouquet de Julia, et d’une main il le met sur son cœur.

Et vous, mes braves... là, au cœur... visez juste... si vous pouvez...

De l’autre main, il ôte lentement son bandeau, en disant.

En joue !... feu !

CHŒUR.

Votre folie
Pouvait vous coûter la vie.
Plus de terreur ;
Renaissez au bonheur.

FRÉDÉRIC, regardant autour de lui, ébloui par l’éclat des lumières, et étourdi par le bruit et la musique.

Où suis-je ?... qu’est-ce que cela signifie ? s’est-on moqué de moi ?

CHŒUR.

Votre folie
Pouvait avait vous coûter la vie.
Plus de terreur ;
Renaissez au bonheur.

FRÉDÉRIC aperçoit Sgrimazzi, court à lui, et le prenant au collet.

Pourquoi ne suis je pas mort ?

SGRIMAZZI.

Le voilà fâché qu’on ne l’ait pas tué.

FRÉDÉRIC.

Oui, morbleu ! cela vaut mieux que d’être mystifié... et si une aventure comme celle-là se savait en France...

LAURA.

Qui pourrait le dire ?... personne, excepté vous... et l’on sait que vous êtes discret.

FRÉDÉRIC.

Je le serai désormais... je le jure... la leçon a été bonne... j’en ai encore une sueur froide.

DORSINI.

Vous êtes mort si bravement.

FRÉDÉRIC.

Oui... quand on est là on fait de son mieux... Mais c’est égal ; c’est un mauvais moment,

À Laura.

et je vous en voudrai longtemps.

LAURA.

Air : Je n’ai point vu ces bosquets de lauriers.

Oublions tout : vous me rendez l’honneur,
Moi, je dois vous rendre la vie.
Plus de rancune, et qu’à l’instant ma sœur
Tous les deux nous réconcilie.

FRÉDÉRIC, transporté.

C’est encore un rêve, je crois...
Pour une telle récompense
Qui ne voudrait mourir vingt fois !
C’est après la mort, je le vois,
Que la félicité commence.

Mais pour cela, il faudrait être aimé... c’est là la question... et je n’en sais plus rien...

JULIA.

Vraiment !

FRÉDÉRIC.

Rien du tout.

JULIA.

Je vois alors que vous vous corrigez, et que vous devenez discret... Voilà ma main.

CHŒUR GÉNÉRAL.

Vive, vive l’Italie !
Point d’amour sans jalousie...
Vive, vive l’Italie !
C’est là qu’on aime vraiment.

PDF