La Pompe funèbre (Eugène SCRIBE - Jean-Henri DUPIN)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 14 octobre 1815.

 

Personnages

 

VORDAC

GABRIELLE, sa Fille

GERMEUIL, son Neveu

LISETTE, Suivante de Gabrielle

VALSAIN, Colonel

LA JEUNESSE

GOUSPIGNAC, petit Domestique de Vordac

 

La scène est aux environs de Pézenas, dans le château de Wordac.

 

Le Théâtre représente un vieux salon gothiquement meublé.

 

 

Scène première

 

GABRIELLE, GERMEUIL, LISETTE

 

GERMEUIL.

Oui, mademoiselle, votre conduite est fort étrange ; je fais tout ce qu’il faut pour être adoré, et à peine avez-vous seulement une espèce de passion... Arrangez-vous, mais je ne puis m’habituer à ne pas être aimé.

GABRIELLE, froidement.

Mais je vous aime : interrogez Lisette.

LISETTE.

Moi ! mademoiselle, je n’en sais rien, jé bous assure.

GABRIELLE.

Tu me le disais encore ce matin ; je t’ai demandé si j’aimais mon cousin ; tu m’a dis que oui, moi je t’ai cru : m’aurais-tu trompée ? Ce serait bien mal !

GERMEUIL.

Eh ! mademoiselle, c’est votre cœur et non Lisette qu’il faut consulter. Nous autres Parisiens nous n’aimons pas à nous vanter ; mais avez-vous dans la province un jeune homme qui ait cette tournure élégante et facile, ces manières aisées, ces grâces naturelles ; je n’en suis pas plus fier, je sais que tout cela n’est pas moi, et qu’il n’y a qu’un sot qui puisse tirer vanité d’avantages aussi fragiles... Mais enfin, comparez, et j’ose croire que le résultat ne sera pas à mon désavantage. Que m’opposerez-vous ? Est ce le futur époux que monsieur Vordac, votre père, vous destine, et qu’on attend aujourd’hui par le coche ?... Un amant qui arrive par le coche !... Mais il n’arrivera jamais.

Air du Vaudeville des Vélocifères.

Quelque langoureux Corydon,
Que sa province nous décoche :
D’honneur, comment épouse-t-on
Un futur qui vient par le coche ?

LISETTE.

Mais d’où vient votre étonnément ?
L’amour conjugal, d’ordinaire,
Vient par le coche, et bien souvent
S’en va par lé vélocifère.

GERMEUIL.

D’ailleurs, quelque rustre, un monsieur Flourvac, un procureur que personne ne connaît, pas même votre père.

LISETTE.

Je sais qu’il banté lé mérité et les grands viens du futur ;  mais parcé qué votre père lé dit, cé n’est point uné raison. Il a la bérité en horrur et passe dans lé pays pour lé plus grand havleur : enfin, cetté croix d’or dé la défunte, il mé l’a donnée, mais bous né sabez pas à quellé condition.

Air : du Vaudeville de l’Écu de six francs.

C’est pour attester, quand il conte,
La vérité de ses récits.
Depuis ce moment je suis prompte
À me montrer de son avis.
D’autres, suivant d’anciens usages,
Prennent des gens pour les servir :
Moi, je suis ici pour mentir.
Et je ne vole pas mes gages.

Aussi quand il bous a parlé du futur, j’ai dit qué jé lé connaissais, qu’il était charmant, et jé mé l’ai pas bu.

GABRIELLE.

N’importe, c’est le fils d’un ami de mon père.

LISETTE.

D’accord ; mais vos amis doivent passer avant les siens, eh donc !... vous aimez Germeuil et vous l’épousez...

GABRIELLE.

Mais Lisette...

LISETTE.

Si vous né l’aimez pas, vous sérez madame dé Flourvac.

GABRIELLE.

Je l’aime bien un peu... mais...

LISETTE.

Ou bien vous resterez toujours fille.

GABRIELLE, vivement.

Voilà qui est décidé, je l’aime tout à fait... Mais comment refuser cet époux ?

LISETTE.

Rien dé plus simple ; dans toutes les comédies du mondé uné juné personne qui a des principes a toujours un amant dont ellé veut... ses parents lui en offrent un autre dont ellé né beut pas, on né connaît jamais lé prétendu qui est toujours un sot, un imvécile, et qui descend toujours du ciel ou dé la patache... C’est dé rigur. On connaît veaucoup l’amant préféré, qui est toujours un fort veau june homme : survient un balet intrigant ou uné souvrette havile qui trompe lé père, unit les enfants et renvoye lé niais dans sa probince : on fait la noce, on récompense la souvrette, et la pièce est finie : Boilà, depuis Pourceaugnac jusqu’à nos jours, lé plan dé toutes les comédies. Demandez à mousu.

GERMEUIL.

Ah ! mon dieu oui, et monsieur votre père nous traite en écoliers.

Air : Au temps passé.

Un valet, un amant, un père ;
Des rivaux qui sont abusés,
Cela se voit partout, ma chère,
Ce sont des sujets trop usés,
Le neuf me plairait davantage.

LISETTE.

Mais tout est vu, tout est traité ;
Il est si rare, en fait dé mariage,
Dé trouver dé la nouveauté.

Laissons benir le prétendu, et jé bous réponds du succès. Mousu dé Vordac est mentur et pourtant crédule ; il sé dit vrabe et a pur dé son ombre, il né croit pas aux revenants... mais il en a une frayur terrivle, et dans ce bieux château... abec quelques chaînes et quelques esprits, ou même sans esprits, on peut faire un très veau mélodrame ; jé m’en charge

Air : On m’avait vanté la guignette.

Rassurez-vous, jé lé répète,
Je saurai rompre ce lien,
Et quand on s’appelle Lisette,
Tromper les gens né coûté rien.
Je désarmerai votré père,
Sur mon honneur, j’en fais serment

GERMEUIL.

Sur ton honneur, dis-moi, ma chère,
Qui répondra du répondant ?

ENSEMBLE.

Rassurez-vous, je le répète, etc.

GERMEUIL et GABRIELLE.

Aux soins d’une telle soubrette
Je m’en rapporte et je fais bien,
Et quand on s’appelle, etc.

LISETTE.

Mais boici mousu botré père.

 

 

Scène II

 

GABRIELLE, GERMEUIL, LISETTE, VORDAC, une ligne et un panier à la main

 

VORDAC.

Air : Ah le bel oiseau.

D’être ceinte d’un laurier
Je crois que ma ligne
Est digne ;
J’apporte dans ce panier
Un plat dé mon métier.
À parler sans vanité,
J’ai la main assez heureuse,
Ma pêche est, en vérité,
La pêche miraculeuse.

ENSEMBLE.

D’être ceinte d’un laurier
Voyons, etc.

GERMEUIL

Comment, monsieur, vous avez pris tout cela à la ligne ?

VORDAC.

J’en prends ordinairement vien d’autres ! Un jour, jé mé rappelle... demandez à Lisette.

LISETTE.

C’est vrai, j’y étais.

VORDAC.

Mais aujourd’hui c’est encore pire, c’est d’un sul coup j’ai bêche ces deux cents goujons : c’est un brochet qué j’ai pris, qui vénait sans doute d’en faire son déjûner, dé sorte qu’en l’ouvrant...

 

 

Scène III

 

GABRIELLE, GERMEUIL, LISETTE, VORDAC, GOUSPIGNAC

 

GOUSPIGNAC.

Mousu ; il y a là bas un paysan qui dit qué bous lui debez un vrochet et un plat dé goujons dont il réclame le payement.

VORDAC.

C’est von, tais-toi... C’est lé petit garçon qui tenait le panier pendant qué jé pêchais... Qu’on lé fasse dîner à la cuisine avec les restes de mes gens...

Il sort.

Mais qué bois-je ? point dé toilette et lé futur arribe à midi... Son domestique nous l’a annoncé hier.

GERMEUIL.

Air.

Y pensez-vous, mon aimable cousine
N’a pas besoin de tant d’apprêts ;
C’est à l’époux qu’on lui destine,
S’il veut plaire, à faire des frais.

LISETTE.

Et, s’il n’est pas content de la future,
D’autres, bravant le préjugé,
Seront enchanté, je vous jure,
De la trouver en négligé.

VORDAC.

Errur, ma chère, la parure fait tout. J’ai un [...] havit de satin rosé qui m’a balu jé né sais convient dé conquêtes

À Germeuil.

Si ma fille n’était pas là, jé t’en dirais de velles...

GERMEUIL.

Comme il mentirait !...

VORDAC.

C’est qué, tel qué bous mé boyez, jé suis encore très aimable ; démandez à Lisette...

LISETTE.

Moi, monsu, jé l’ai entendu dire, mais jé n’en sais rien.

VORDAC.

Friponne, tu dissimules !

Air du Vaudeville de la partie carrée.

En me formant, dame nature,
De tous ses dons me fit présent :
J’eus, à vingt ans, d’Adonis la figure,
Je suis un Hercule à présent.

Lisette rit.

Dès qué la veauté le regarde,
Vordac, soudain, sais prouver ce qu’il vaut.

Caressant Lisette.

LISETTE.

Ah ! finissez, monsu, ou prenez garde,
Je vais vous prendre au mot.

VORDAC, à part.

Diable ! ellé connaît mon faible... Allons à botre miroir ; moi, abec mon havit, uné perruque, jé serai en état dé récéboir mon gendre. Cé pauvre Flourvac !... J’ai fait placer uné bédette sur la tourelle et l’on sonnera du cornet à bouquin dès qué quelqu’un paraîtra dans la campagne ; le pont-levis est baissé, et tous mes bassaux sous les armes...

LISETTE.

Lé concierge et lé jardinier...

VORIDAC.

Feront feu à son arrivée, dé sorté qu’il fera son entrée dans un tourvillon dé poudré et dé poussière.

LISETTE.

Ce sera fort agréable. Eh ! mais, qué nous beut Gouspignac ?

 

 

Scène IV

 

GABRIELLE, GERMEUIL, LISETTE, VORDAC, GOUSPIGNAC

 

GOUSPIGNAC.

Air : Le Port Mahon est pris.

Mousu, grandé nouvelle !
Sachez qu’à l’instant la sentinelle
A bu de la tourelle
Benir près du canal
Un cheval.

TOUS.

Un cheval !

GOUSPIGNA.

Vers cé noble manoir,
Il vient, comme on peut voir,
Et franchit la distance
Avec vraiment tant dé pétulance
Qué maintenant, jé pense,
Il est au pied du mur,
Lé futur.

TOUS.

Le futur !

VORDAC.

Eh donc ? pourquoi n’ai-jé pas entendu lé coup dé fusil ?

GOUSPIGNAC.

J’ai fait tout cé qué j’ai pu, mais il n’a jamais boulu partir.

VORDAC.

C’est un malhur... Eh bien ! tu bas l’introduire... Ah... ! tu iras abertir tous mes bassaux... Ah ! et puis tu biendras me friser... Ah ! et puis tu iras réciter mon petit compliment.

Tout le monde sort excepté Gouspignac.

 

 

Scène V

 

GOUSPIGNAC, VALSAIN, en habit bourgeois

 

GOUSPIGNAC.

Mousu, botre veau père ba benir ; il bous prie d’attendre dans cette salle.

Il sort.

VALSAIN, seul.

Ils me prennent vraiment pour le futur ! La méprise est assez vraisemblable. Je me suis chargé d’une jolie commission !... Ces gens-là sont sans doute dans la joie ; ils attendent avec impatience un gendre, et j’irais leur apprendre !... D’ailleurs, obligé de fuir à la suite d’une affaire d’honneur, je ne saurais trop tôt gagner la frontière, et il faudrait ici m’arrêter !... raconter... !

Air nouveau de Monsieur Doche.

S’il faut parler avec franchise,
Je redoute un tel entretien,
Et puisqu’il faut qu’on les instruise

Voyant de l’encre et du papier sur une table.

Écrire est le meilleur moyen.
Ce fut sans doute un ami tendre,
Qui, pour ménager la douleur,
Aux yeux imagina d’apprendre
Ce qu’il craignait de dire au cœur.

Il se met à la table et écrit.

« Je suis le colonel Valsain : un affaire qui serait trop longue à vous expliquer, m’obligeait à passer chez mon père, que je n’avais pas vu depuis dix ans. Je rencontre en route un homme d’assez mauvaise mine, un procureur qui m’apprend qu’il allait à Pézenas épouser votre fille ; nous nous arrêtons à l’auberge des Trois Rois... et là... »

Se levant.

Je ne sais trop comment lui dire le reste... Son gendre, le plus grand ladre de la terre, s’échauffe tellement avec notre hôtesse sur le prix du souper, qu’en rentrant il lui prend un coup de sang... À peine a-t-il eu le temps de me charger d’aller au château... Mais, qu’entends-je ?... m’aurait-on suivi ?... Déjà, près d’ici, j’ai pensé me trouver dans la même auberge avec le gouverneur de la province, qui sans doute a mon signalement.

 

 

Scène VI

 

VALSAIN, GOUSPIGNAC, LE CONCIERGE et LE JARDINIER

 

Air.

CHŒUR.

Amis, rendons honnur
Au gendre
Que monseignur
Viens dé prendre
Célévrons le bonhur
Que nous promet notre nouveau seignur.

GOUSPIGNAC, avec des gants et un bouquet.

Dé Chine à Tombac,
Dé Rome à Cognac,
Nul n’a plus dé tact
Qué mousu Florvac.
Par un doux mic-mac,
La june Vordac
Apparaît, et crac,
Son cœur fait tic-tac.

Gniaqu’ gniaqu’ mousu Flourvac
Pour dompter chaque
Beauté qu’il attaque,
Gniaqu’ gniaqu’ mousu Flourvac
Qui fasse faire crac
Aux cœurs faire tic-tac.

CHŒUR.

Gniaqu’, etc.

VALSAIN.

Allons, on me prend décidément pour Flourvac !

 

 

Scène VII

 

VALSAIN, GOUSPIGNAC, LE CONCIERGE, LE JARDINIER, VORDAC, avec volubilité

 

VORDAC.

Vien ! fort vien, mes enfants ! Pardon, mon gendre, dé bous aboir fait attendre... Souffrez qué jé bous embrasse... Plus jé bous regarde... Eh ! c’est vien lui ; boilà tous les traits de feu son père, et jé l’aurais reconnu entré mille : jé crois cépendant qué bous ressemblez aussi à mon nebeu Germeuil... À moins qué cé soit plutôt à un dénos anciens boisins... Oui, c’est vien cela, à cé june Valsain qui, dépuis dix ans, est à la guerre : charmant june homme, vrabe comme mon épée, immensément riche... !

VALSAIN.

Mais, monsieur...

VORDAC.

Et mes flurs, mes vouquets, qu’en dites-boùs... Lé compliment du petit... charmant, n’est-ce-pas ? Il était dé moi... Et mon château dé Vordac, qué bous en semble ? les velles tourelles ! comme elles sont noires... et des boûtes et des souterrains... Nous y abons quelquefois des purs à faire plaisir... Croyez-bous qué l’intendant dé la probince boulait m’acheter cé château pour en faire une résidence royale ?... Demandez à Lisette... Bous lui demanderez.

VALSAIN.

Mais, monsieur, souffrez que...

VORDAC, l’interrompant vivement.

On m’en offrait cinq cent mille francs... six cents mille même... jé n’ai pas boulu... J’ai bingt autres châteaux...

VALSAIN.

Il n’en a pas un.

VORDAC.

Mais jé tiens à celui-ci, bous lé berrez... Ah çà ! bous goûtez abec nous ? J’entends ma fille, sa toilette est terminée, et jé bais bous présenter.

À part.

Jé suis enchanté du maintien, des sentiments, et dé la conversation dé mon gendre.

VALSAIN, à part.

Allons, ce pauvre Vordac n’est pas changé. Je suis fâché de m’en aller ; j’ai du plaisir à le voir.

 

 

Scène VIII

 

GERMEUIL, LISETTE, GABRIELLE, VORDAC, VALSAIN

 

VORDAC.

Quatuor d’Adolphe et Clara.

C’est que ma fille
Est vraiment fort gentille,
Chacun l’adore et voudrait, j’en suis sûr,
Pouvoir entrer dans la famille
Et faire ici le rôle de futur.

LISETTE, GERMEUIL.

Sur le futur ne levez point les yeux,
Prenez surtout l’air le plus dédaigneux.

VORDAC.

Allons, avancez-vous, mon gendre,
Prenez un air galant et tendre.

GABRIELLE.

Quel air a-t-il ?

LISETTE.

Tout l’air d’un gendre.

GERMEUIL.

Son habit, son habit, surtout,
Est loin d’être du dernier goût.

VORDAC, à Germeuil.

Abancez.

À Gabrielle.

Abance.

GABRIELLE.

Ah ! je tremble.

VALSAIN.

Oui, je tremble !

VORDAC, les mettant en face l’un de l’autre.

Que vous ensemble ?
Ai-je bon goût ?

VALSAIN, GABRIELLE, se regardant.

Que vois-je !

GABRIELLE, VALSAIN.

Mais il n’est pas mal du tout.
Elle n’est pas mal du tout.

VALSAIN.

C’est que sa fille
Est vraiment fort gentille ;
Elle doit être aimable, j’en suis sûr,
Et puisqu’on veut me voir de la famille
Ma foi, je reste et je fais le futur.

GERMEUIL, LISETTE.

Nous trouverons un moyen prompt et sûr
Pour nous priver de monsieur le futur.

Ensemble (Germeuil, Lisette, Gabrielle, Vordac).

GERMEUIL, LISETTE.

Dissimulons avec finesse,
Comptez toujours sur { ma tendresse.
                                   { sa     
Je vous promets que mon adresse
Chassera ce nouvel amant.

GABRIELLE.

Mais il a l’air doux et sensible.
Quoi c’est là, serait-il possible,
Ce futur qu’on dit si terrible ?
On le prendrait pour un amant.

VORDAC.

Ils vont s’aimer à la folie.
Ma fille lui paraît jolie,
Et lé futur, jé lé parie,
À déjà lé cœur d’un amant.

VALSAIN.

Je sens que c’est une folie ;
Mais la future est si jolie,
Ma foi, puisque chacun m’en prie,
Je reste, et je suis son amant.

VORDAC.

Allons, mon gendre, embrassez donc ma fille :
Entré futur, un baiser est permis.

Il les force à s’embrasser.

VALSAIN.

Décidément, je suis de la famille.

Ensemble.

{ Ah ! que pour moi ce baiser à de prix !

GABRIELLE.

{ Vraiment malgré moi j’obéis.

GERMEUIL, à part.

Morbleu ! j’enrage. Ah ! quelle audace !

LISETTE, VALSAIN.

Mais c’est son époux qui l’embrasse :
Il ordonne, il faut qu’on embrasse.

VORDAC.

Ils sé sont plus, j’en étais sûr.

Ensemble.

GERMEUIL.

Dissimulons, etc.

LISETTE, GABRIELLE.

Mais, etc.

VORDAC.

Ils vont, etc.

VORDAC.

Comment, mon cher Flourvac, n’abez-bous pas abec bous botre la Jeunesse, l’antique domestique du papa ?

VALSAIN.

Ah ! la Jeunesse ? je l’ai laissé à Tartas... Il viendra aujourd’hui.

VORDAC.

Fort vien. Jé bous présente Germeuil, mon neveu, lé june homme du meillur ton, la coquéluché dé toutes les femmes dé Tartas, Cacellas, Pézenas, Carpentras et dé la vanlieue.

VALSAIN.

Mon cher cousin, enchanté... Je serai trop heureux de profiter de vos leçons.

GERMEUIL.

De mes leçons !... Prenez donc garde, cousin : ce que vous dites est d’une maladresse... Ce n’est que de ma cousine que vous devez prendre des leçons...

Galamment.

Qui, mieux qu’elle, peut instruire dans l’art d’aimer ?

LISETTE,

Qué d’esprit !... boyez la différence :

VALSAIN.

L’art d’aimer m’est inutile, c’est l’art de plaire dont j’aurais besoin, et je ne puis mieux m’adresser qu’à vous.

GABRIELLE, bas à Lisette.

Mais, Lisette, il s’exprime fort bien ?

VALSAIN.

Air : De ton baiser. (Blangini.)

Contre l’Amour en vain l’on veut combattre ;
Vous paraissez, il est déjà vainqueur ;
Heureux celui qui doit avoir ce cœur,
Mais plus heureux celui qui le fait battre.

VORDAC.

Ah ! çà, mon gendre, point dé gêne ici ; chacun son goût, ma fille fait dé la musique, moi, jé suis chassur, et mon nébeu fait des armes... Bous poubez choisir parmi tous ces amusements.

VALSAIN.

Mais je les choisis tous... Je chante avec mademoiselle ; je chasse avec le beau-père, et je me bats avec le cousin.

GABRIELLE.

Germeuil n’en fait pas tant.

VORDAC.

Et les veillées dont jé vous conterai mes exploits, ou vien des histoires dé rebenans : croyez-bous aux histoires dé rebenants ?

VALSAIN.

Parbleu, j’y crois : j’en fais.

VORDAC.

Ma fille, Lisette, lé goûter. Elle est charmante, ma fille ; elle a été élebé dans uné maison d’éducation à Paris, quatré millé francs dé pension, et cependant ellé baque aux soins du ménage.

Lisette, Gabrielle, Germeuil s’éloignent.

VORDAC, tirant Valsain à l’écart.

Telle qué bous la boyez, les plus hauts partis dé la probince sé sont présentés pour ellé.

En confidence.

Lé préfet dé Carpentras... lé directur des douanes mé l’abait démandé pour son fils... Lisette bous lé dira.

VALSAIN.

Pardon, mais je crois que ce dernier n’a qu’une fille, même d’un certain âge...

VORDAC.

Bous croyez... C’était alors pour lé fils dé sa fillé... Mais tenez, lé général Valsain, l’hommé lé plus riche du pays, briguait mon alliance... Et son fils lé colonel m’a écrit dernièrement uné lettré charmante... Lisette l’a lue.

VALSAIN.

En êtes-vous bien sûr ?

À part.

Je l’ignorais.

VORDAC.

Comment sûr ! Jé bous montrerai la lettre

VALSAIN.

Et vous avez refusé ?

VORDAC.

Non : c’est qué lé june homme est mort... Uné affaire terrible, un duel qu’il a eu dernièrément.

VALSAIN.

Je croyais au contraire qu’il avait tué son homme.

VORDAC.

Errur, errur, jé bous l’affirme et bous lé confirme ; mais boici lé goûter. As-t-on été au marché ?

Lisette et Gouspignac apportent la table.

VORDAC.

Air : Six mois de constance.

Dé cé goûter qué jé vous donne,
Mon jardin seul a fait les frais ;
Et, pour moi, Bacchus et Pomone
Sont prodigues dé leurs bienfaits :
Eh ! sandis, quellé maigré chère !

GOUSPIGNAC.

C’est-là l’ordinaire répas.

VORDAC.

Mais, qu’importé. – Veux-tu té taire :
Les amoureux né mangent pas.

ENSEMBLE.

À ce goûter que je vous donne,
Va présider la bonne humeur ;
Le plaisir toujours assaisonne
Un repas offert de bon cœur.

Ils se mettent à table.

À propos, bous êtes benu en poste ? Je bais toujours la poste. Jé mé rappelle, entre autres une abenture... la plus particulière qui soit jamais arribé. Nous galoppions sur la grandé routé, près dé Versas, quand il bient un coup dé bent tellement fort, qué les chebaux, la boiture et moi nous nous troubons transportés à deux lieues dé là... demi-poste.

TOUS.

Ah ! pour celui là !

VORDAC.

Attendez... Cé n’est rien... Lé plus plaisant, c’est qu’on boulait mé faire payer posté entière ; comme si les chebaux abaient fait la route à pied... Non ; parale d’honnur. Demandez à Lisette, ellé y était.

LISETTE, détachant la croix d’or qu’elle a au cou.

Ah ! pour celle là, mousu, j’aime mieux bous la rendre.

VALSAIN.

Que dit-elle donc ?

VORDAC.

Rien, rien. C’est qu’elle aime à rire.

 

 

Scène IX

 

GERMEUIL, LISETTE, GABRIELLE, VORDAC, VALSAIN, GOUSPIGNAC

 

GOUSPIGNAC.

Mousu, jé bénais bous diré...

VORDAC, à Valsain.

C’est un petit élèvé, jé lui montre la langue française ; jé lé forme surtout à la prononciation ; il n’a presqué plus l’accent. Il est d’une des vonnes familles du pays ; allons, Gouspignac, parlez haut.

GOUSPIGNAC.

C’est qué j’ai bu des gens dé moubaise mine rôder au tour du châtos.

VALSAIN, à part.

Est-ce à moi qu’on en voudrait ?

VORDAC, à Gouspignac.

Plus bas, plus bas.

GOUSPIGNAC, très haut.

Et commé la semaine dernière, nous avons remboyé ces créanciers qui benait saisir lé châtos...

VORDAC.

Taisez-bous, taisez-bous. Le châtos ! Est-ce ainsi qué jé bous ai appris à parler ?

À part.

Boyons cé qué cé peut être.

Haut.

Jé bais chez lé notaire, et j’espère qué cé soir vous direz adieu à botre liverté.

VALSAIN.

Il ne croit peut être si bien dire. Je vous suis ; tâchons de savoir si ce n’est pas moi qu’on cherche.

 

 

Scène X

 

GERMEUIL, LISETTE, GABRIELLE

 

LISETTE, bas à Gabrielle.

Bous lé boyez, il n’y a pas un moment à perdre.

GABRIELLE.

Que veux-tu que je fasse ?

LISETTE.

Lui déclarer nettément qué bous né l’aimez pas, parcé qué bous aimez Germuil.

GABRIELLE.

Mais... oui, je l’aime... car...

LISETTE.

Un vel amour qui commence par, mais... et qui finît par... car...

GERMEUIL.

C’est qu’il serait plaisant que vous aimassiez Flourvac... Non, vrai, aimez-le, ce sera délicieux.

GABRIELLE.

Air Des habitants des Landes.

Quoi ! supposer que je l’aime :
D’où peut naître un tel soupçon ?
Je le vois d’aujourd’hui même.

LISETTE.

Ce n’est point une raison.

GABRIELLE.

Quoi ! l’ami de mon enfance
Par moi serait oublié !

LISETTE.

Une ancienne connaissance
Est une titre en amitié ;
Mais l’amour
Aime les amis d’un jour.

LISETTE.

Il est un moyen dé nous prouver lé contraire ; renvoyez-le.

GABRIELLE.

Sans doute, je le renverrai.

GERMEUIL.

Vous ferez bien, car je saurais le contraindre à sortir... Mais justement le voici : nous vous laissons seule.

GABRIELLE.

Non, Lisette, ne me quitte pas.

Germeuil et Lisette sortent.

 

 

Scène XI

 

VALSAIN, GABRIELLE

 

VALSAIN, à part.

Je n’ai vu personne...

Haut.

Sachons si son cœur est engagé... Vous me fuyez, mademoiselle.

GABRIELLE.

Non, monsieur.

À part.

Lui dire je vous hais, c’est si impoli... Il faut que ce que je vais faire ne soit pas bien, car jamais mon cœur m’a battu aussi fort.

VALSAIN.

Je me retire si ma présence vous est importune.

GABRIELLE.

Importune... Au contraire.

VALSAIN, vivement.

Au contraire ?... Elle vous fait donc plaisir ?

GABRIELLE.

Plaisir !... ce n’est pas cela que je voulais dire... Je suis bien aise de vous voir, parce que j’ai à vous parler.

VALSAIN.

Et moi,... j’ai tant de choses à vous dire !

GABRIELLE.

Je ne sais comment vous le faire entendre.

VALSAIN.

Je ne sais comment m’expliquer.

GABRIELLE.

Dites toujours, je comprendrai peut-être.

VALSAIN.

Je suis aussi embarrassé que vous.

GABRIELLE, vivement.

Ah ! mon Dieu, est-ce que vous me bairiez, et que vous n’oseriez pas me le dire ?

VALSAIN.

Vous haïr !... Eh ! qui le pourrait ! Dès qu’on vous voit, ne faut-il pas vous aimer ?... Mais parlez, je veux tout devoir à vous-même, et rien à l’obéissance... Si vous avez fait un choix, vous n’avez à redouter mi contrainte, ni violence, je partirai avec le regret de vous avoir connue, je sentirai tout ce que j’aurai perdu ; j’en mourrai peut-être,... mais vous n’entendrez de moi ni plainte, ni murmure.

GABRIELLE, à part.

Mourir si jeune ! un si joli cavalier !

Haut.

Mon Dieu ! monsieur je serais bien fâchée de causer votre mort.

VALSAIN.

Est-ce là tout ce que vous vouliez me dire ?

GABRIELLE.

Mais, pas tout à fait.

VALSAIN.

Dites toujours, je comprendrai peut-être.

GABRIELLE.

Je n’aurai jamais la force d’avouer... mais ne pouvez-vous pas deviner !

VALSAIN.

Elle est charmante !

Duo de monsieur Boulanger.

VALSAIN.

Tournez vers moi ces yeux si doux.

GABRIELLE.

Hé bien, hé bien, qu’y voyez-vous ?

VALSAIN.

De l’amitié, peut-être.

GABRIELLE.

Eh ! quoi ! vous y voyez cela !

VALSAIN.

Si je puis m’y connaître,
L’Amour respire en ces yeux là.

GABRIELLE.

Quoi ! l’Amour ! son erreur me fait peine :

Tendrement.

Vous n’y voyez pas de la haine ?

Ensemble.

VALSAIN.

Quoi ! de la haine !

GABRIELLE, plus tendrement.

Oui, de la haine.

GABRIELLE.

Et pourtant c’est cela qu’ils veulent exprimer.

VALSAIN.

Haïr ainsi, c’est presque aimer.

Ensemble.

GABRIELLE.

Son erreur me fais peine,
Mais comment, dans ce jour,
Quand je veux exprimer la haine,
Mes yeux expriment-ils l’amour ?

VALSAIN.

D’honneur, elle est charmante
Et dans ce jour,
Cette haine qui m’enchante,
À tous les traits de l’amour.

VALSAIN.

Vous m’aimez donc ? quel sort heureux !

GABRIELLE.

Mais non.

VALSAIN.

Vous l’avez dit.

GABRIELLE.

Ce sont mes yeux ;
Pour vous ma haine est extrême.

VALSAIN.

Haïssez-moi toujours de même ;
Répétez ce mot affreux.

GABRIELLE, tendrement.

Je vous hais.

VALSAIN.

Encor mieux.

GABRIELLE, plus tendrement.

Je vous hais.

VALSAIN.

Mieux encore.

GABRIELLE.

Moi, je vous hais, je vous abhorre.
Et je sens que chaque jour
Je vous haïrai plus encore.

ENSEMBLE.

Voilà, voilà parler sans détour.

Tendrement.

J’en fais ici la promesse,
Je vous haïrai sans cesse,
Jusqu’à mon dernier jour.

 

 

Scène XII

 

VALSAIN, GABRIELLE, VORDAC

 

VORDAC.

Fort vien mes enfants, ne vous dérangez pas...

VALSAIN.

Monsieur, je suis désespéré.

VORDAC.

Je suis enchanté... Sandis, bous allez bîte en chemin, jé n’aurais pas agis mieux, moi qui m’en pique.

VALSAIN.

Je ne sais comment cela s’est fait...

VORDAC.

Jé lé sais vien moi.

Air : Dans la paix et l’innocence.

Votre cœur tout haut soupire,
Le sien soupire tout bas.

GABRIELLE.

Mon père, qu’osez-vous dire ?...

VORDAC.

Ah ! vous n’en conviendrez pas ;
Le petit dieu de Cythère
Ne dit jamais ni oui ni non,
C’est un Normand.

VALSAIN.

À moins, beau-père.
Que ce me soit un Gascon.

VORDAC.

Cé n’est pas tout : grandé noubelle, lé goubermur dé la province arribe dans un démi-quart d’hure...

VALSAIN.

Grands dieux ! le gouverneur...

VORDAC.

On aperçoit sa boiture au vout dé l’allée, et jé compté sur bous, mon gendre, pour lé récévoir... Eh ! où allez vous ?

Il le prend par le bras et ne le quitte plus.

VALSAIN, embarrassé.

Monsieur...

À part.

Je n’ai pas un instant à perdre.

 

 

Scène XIII

 

VALSAIN, GABRIELLE, VORDAC, LISETTE, GERMEUIL, GOUSPIGNAC

 

LISETTE.

Mossou, la boiture du goubermur est à la porté du châtos.

VORDAC, à Gouspignac.

Qué tous mes gens soient sous les armes, et bous allez ouvrir...

GERMEUIL.

Le gouverneur ! que peut-il venir faire chez vous ? c’est la première fois...

VORDAC.

Sandis ! il vient signer au contrat... quel honnur !...

VALSAIN, à part.

Non pas ; je crois qu’il vient dans un autre dessein.

Haut.

Souffrez que je me retire... Je ne me sens pas bien... Je suis malade... indisposé...

VORDAC.

N’importe, bous pouvez toujours signer... Mon neveu aussi, tout lé monde signéra...

VALSAIN, prenant son chapeau.

Je vous assure qu’il m’est impossible... Une affaire indispensable... Pardon monsieur... mademoiselle... dans une demi-heure je reviens.

VORDAC.

Non, vous ne partirez pas... Germeuil, réténez-le...

VALSAIN.

Je partirai vous dis-je.

VORDAC.

Sandis ! jé mé fâcherai... car enfin... sans raison.

VALSAIN, troublé.

La raison... la raison, c’est que dans l’état où je suis, impossible de signer.

VORDAC.

Capédébious ! je fus fiancé un jour de vataille... Demandez à Lisette,... et quoique vlessé mortellement, j’eus encoré lé courage dé signer.

VALSAIN.

Blessé... blessé... mortellement... Si je n’étais que cela

VORDAC.

Et cadédis, qu’êtes bous de plus ?

VALSAIN, hors de lui et impatienté.

Ce que je suis ?... je suis.

À part.

Parbleu celle-là sera digne du beau-père.

Haut.

Ce que je suis ?... je suis mort... Oui, monsieur, mort d’hier au soir...

VORDAC.

Hein ?... Ah ça ! pour qui nous prend-il ?

VALSAIN, vivement.

Ma pompe funèbre doit avoir lieu aujourd’hui, et vous sentez que je ne puis y manquer, j’y suis nécessaire... désolé de ce contretemps.

Il sort par le côté et les laisse tous stupéfait.

 

 

Scène XIV

 

GABRIELLE, VORDAC, LISETTE, GERMEUIL

 

VORDAC.

Ah ça ! conçoit-on pareille extravagance, et à quel propos ?... Jé n’ai dé ma vie entendu semvlavle gasconade !

LISETTE.

Et pourtant lé terroir est fertile à Pézenas, au sein de la Gasecogne.

GABRIELLE, d’un air piqué.

Certainement... Monsieur de Flourvac pouvait trouver une autre manière de retirer sa parole, on ne le forçait point à m’épouser, au contraire... car je ne lui ai point caché à quel point je le haïssais.

LISETTE.

Mais pourquoi avait-il l’air troublé ?...

GERMEUIL, à Lisette.

Il a eu peur de moi.

LISETTE, de même, avec intention.

Un rien lés effrayé, jé vous l’avais dit.

VORDAC, en riant.

J’y suis... On a cé matin parlé de rébénants ! il a voulu nous faire pur... Sandis ! il n’a point trouvé son homme.

 

 

Scène XV

 

GABRIELLE, VORDAC, LISETTE, GERMEUIL, GOUSPIGNAC

 

GOUSPIGNAC.

Mossou, lé gouvernur n’a pas voulu entrer dans lé chatos, il a dit sulement qu’il benait bous faire sa visite dé condoléancé... mais qu’il respectait trop botre doulur pour oser la trouvler...

VORDAC.

Hein ?... qué dit cé pétit garçon ?

GOUSPIGNAC.

Il a sulement griffonné ces mots au crayon...

Il donne un papier.

VORDAC.

Boyons.

Il lit.

« Mon cher Vordac, jé mé rendais au châtos du général Valsain, mon ami, pour lui communiquer une noubelle importante qui concerne son fils, lorsqu’à l’auverge des Trois Rois, j’ai appris l’accident arrivé hier à votre gendré. »

S’interrompant.

Comment, lé gouvernur !

Continuant.

« Mais d’après les renseignements qu’on m’avait donnés sur sa mauvaise réputation et ses murs... renseignements dont jé boulais bous faire part... Jé régardé l’avent ré commé un vonhur pour vous ; d’ailleurs, mon ami, mous sommes tous mortels... »

TOUS.

Ah ça ! qu’est-ce qui dit donc ?

VORDAC, lisant.

« Croyez qué jé partage votré peiné et qué sans l’affaire indispensavle qui m’appelle chez le général, jé mé férais un dévoir d’assister à le cérémonie qui doit avoir lieu aujourd’hui. »

Commençant à s’effrayer.

Voilà en bérité qui est fort extraordinaire... Lisette, qu’en dis-tu ?

LISETTE.

Jé dis qué céla n’est pas possivle.

GERMEUIL.

Et sans doute.

 

 

Scène XVI

 

GABRIELLE, VORDAC, LISETTE, GERMEUIL, LA JEUNESSE

 

VORDAC.

Mais qué bois-je ?... Sandis ! si jé né mé trompe, c’est La Jeunesse... lé domestique dé mon impertinent dé gendré.

LISETTE.

Quand jé bous lé disais ; nous allons savoir cé qui en est.

LA JEUNESSE.

Le pauvre homme ! ce que c’est que de nous !... Il est vrai que c’est la faute de son humur acariâtre. Me préserve le ciel d’en dire du mal... Mais c’était bien le plus grand avare...

Pleurant.

VORDAC.

Comment... c’était... Est-cé qué par hasard... il n’existerait plus ?...

LA JEUNESSE.

Vous l’avez dit... C’est hier au soir en se disputant.

VORDAC.

Hier au soir... et nous l’abous bu cé matin.

GERMEUIL.

Il sort d’ici.

GABRIELLE.

Il a déjeuné avec nous !

LA JEUNESSE, effrayé.

Il a déjeuné avec vous... vingt personnes vous diront...

VORDAC, tremblant.

C’est qué lui-même a dit en effet... qu’il était mort hier au soir.

LA JEUNESSE.

Il vous l’a dit... Voilà une aventure à faire dresser les cheveux sur la tête.

LISETTE.

Jé n’en ai jamais entendu dé pareilles... Depuis que mousu nous conte des histoires de rebenants.

VORDAC, tremblant.

Dé rebenants... Finissez donc avec vos idées... Je n’aime pas les têtes faivles. Moi...

À la Jeunesse.

Ah ! çà mon ami, rassuré-toi... là... est-tu vien sûr ?... Parlé-moi franchement, est-tu sûr qu’il soit mort ?

LA JEUNESSE.

Ah ! mon dieu, pire que cela.

VORDAC, se sauvant près des femmes.

Comment piré qué cela.

LA JEUNESSE.

Il est enterré... c’est aujourd’hui...

VORDAC.

Justément il nous a quitté pour aller à sa pompé funèbre...

GABRIELLE.

La pompe funèbre... Il n’y a plus de doute, c’en est un...

LISETTE.

Cé n’est pas étonnant qué çà rebienne, l’âme d’un procureur.

VORDAC, tremblant tout à fait.

Encore uné fois... Lisette... finissez abec bos remarques... bous effrayez ma fille... et point dé lumière dans cet appartement, il fait un somvre... Allez donc chercher un flamveau.

LISETTE.

Ma foi, mousu... jé n’ose.

VORDAC.

Oh ! la poltronne... et toi, ma fille ?

GABRIELLE.

Je n’ose.

VORDAC.

Eh ! sandis, allez-y toutes deux.

Elles sortent.

Comme les femmes sont craintives !...

Criant.

Né soyez pas longtemps, nous né sommes qué trois ici... Ah ! mon dieu : il a promis dé rebenir dans uné demi-hure... S’il allait tenir sa parole... Ah ! mon dieu, jé crois qué j’entends du vruit.

Air : La Signora malade.

Malgré moi jé frissonne.

GERMEUIL.

Quelle peur vient vous saisir.

On entend sonner une demie.

VORDAC.

Ciel ! la pendule sonne,
S’il allait rebenir !

 

 

Scène XVII

 

GABRIELLE, VORDAC, LISETTE, GERMEUIL, LA JEUNESSE, VALSAIN

 

VALSAIN, paraissant dans le fond du théâtre, en grand uniforme.

Ah ! quel heureux événement ;
Je puis me montrer à présent.

VORDAC.

Ah ! c’est lui !!...

TOUS, en se sauvant.

C’est lui !

 

 

Scène XVIII

 

VALSAIN.

Est-ce moi qu’on évite ?
Pourquoi prendre la fuite ?
Que veut dire cela ?

 

 

Scène XIX

 

LISETTE, GABRIELLE, sortant du cabinet

 

LISETTE, un flambeau à la main.

Ah ! Moussou, nous boilà.
Ciel ! c’est lui, lé boilà.

Elle aperçoit Valsain, pousse un cri, laisse tomber le flambeau et s’enfuit. Valsain retient Gabrielle par la main.

VALSAIN.

C’est elle ! la voilà.
Et pourquoi loin de moi vouloir porter vos pas ?

GABRIELLE.

Faut-il rester ou fuir ? Mon dieu, quel embarras !

 

 

Scène XX

 

VALSAIN, GABRIELLE

 

VALSAIN.

Air de Paul et Virginie.

Ah ! daignez, je vous supplie,
M’écouter un seul instant.

GABRIELLE.

Éloignez-vous, je vous prie ;
Ah ! Monsieur le revenant.

VALSAIN.

Doit-on, quand on est jolie,
Craindre l’ombre d’un amant ;
Voulez-vous prendre encor la fuite ?
Fais-je encor battre votre cœur ?

GABRIELLE.

Oui, je le sens, mon cœur palpite,

Ensemble.

{ Mais ce n’est plus de frayeur.

VALSAIN.

{ Rien n’égale mon bonheur.

 

 

Scène XXI

 

GABRIELLE, VALSAIN, VORDAC, GERMEUIL, LISETTE, LA JEUNESSE, PAYSANS avec des flambeaux et des fourches

 

VORDAC, dans le fond.

Air du carillon de Dunkerque.

Amis, faisons usage
Dé tout notre courage,
Et né tremvlons aucun,
Car nous sommes vingt contre un.
Quoi ! ma fille a l’audace
Dé lui parler en face ;
Jé n’eus pas cru d’honnur,
Qu’elle eut autant dé cur.

CHŒUR.

Amis, etc.

LA JEUNESSE.

Eh bien ! où est-il donc ?

VORDAC.

Là, né lé bois-tu pas ?

LA JEUNESSE.

Ce n’a jamais été là mon maître... Un procureur avec des épaulettes...

VORDAC, étonné.

Comment ! cé n’est pas lui...

Haut, faisant le brave.

Ah ! sandis, nous allons boir... Eh vien ! bous autres abez bous pur ?... quand je suis là.

À Valsain.

Mousu, peut on saboir d’où bous benez, ou si bous êtes mort ou bibant.

VALSAIN.

Monsieur, je puis vous répondre que j’existe.

VORDAC.

Votre parole d’honnur...

VALSAIN.

Je vous la donne, et vous pouvez y croire,

Gasconnant.

quoiqué jé sois aussi du pays ; car je suis lé colonel Valsain, que vous connaissez si bien, le fils du général, votre plus proche voisin.

TOUS.

Valsain !...

VORDAC.

Quand jé bous disais qué bous abiez tort d’aboir pur.

VALSAIN.

Tout ce qu’on vous a dit sur Flourvac n’est que trop véritable, et vous saurez ce qui a donné lieu à cette erreur... Une affaire d’honneur, qui heureusement vient d’être arrangée, me permet de reparaître sous mon vrai nom, et de vous demander la main de votre fille...

VORDAC.

Serait-il brai ?

GERMEUIL.

Quoi ! monsieur, c’est sérieusement que vous épousez ma cousine !...

VALSAIN, fièrement.

Oui, monsieur, très sérieusement.

GERMEUIL.

À la bonne heure, car je n’aime pas qu’on plaisante sur ces choses-là.

LISETTE.

Et Germeuil, mademoiselle, bous né l’aimiez donc que pour rire.

GABRIELLE, avec intention.

Il paraît lui... ne m’aimait pas sérieusement.

VORDAC.

Boici uné des plus velles abentures dé ma bie ; comvien jé bais la raconter ! En l’arrangeant un peu jé la rendrai incroyable.

À Valsain.

Jé mé suis pas vien sûr à présent qué bous m’ayez demandé Gavrielle... Mais bous mé la demandez à présent... Un peu plus tôt, un peu plus tard... Sandis, la date n’y fait rien... Jé bous ai toujours desiré pour gendre ; demandez à Lisette.

 

 

Vaudeville

 

VORDAC.

Air : Mon père m’a donné un mari.

Vivent les Gascons, mes amis,
Car en Gascons le monde
Avonde ;
Et la Garonne, à mon abis,
Coule, sandis,
En tous pays.

CHŒUR.

Vivent, etc.

VORDAC.

En lurons lé pays brilla ;
On connaît la baleur gasconne.
Et l’esprit chez nous régnera,
Tant qu’ couéléra la Garonne.

CHŒUR.

Vivent, etc.

GERMEUIL.

De la mer, on dit qu’autrefois
Sortit Vénus, votre patronne ;
Sexe trompeur, pour moi, je crois,
Qu’elle sortit de la Garonne.

CHŒUR.

Vivent, etc.

GABRIELLE.

Ici, croyez-en mon serment,
À vous, lorsque mon cœur se donne,
Jé ne ments pas, et cépendant
Jé suis des bords de la Garonne.

CHŒUR.

Vivent, etc.

VALSAIN.

Ce vert-galant, toujours en train,
Henri fut de race gasconne,
Depuis, amour, gloire et bon vin,
Sont tous natifs de la Garonne.

CHŒUR.

Vivent, etc.

GOUSPIGNAC.

Qué dé marchands dé bins en gros,
Qué, dans Paris, nul né soupçonne,
Et qui font leurs bins dé Vordeaux,
Abec dé l’eau dé la Garonne.

CHŒUR.

Vivent, etc.

LISETTE, au public.

Plus d’un auteur, en s’emvarquant,
Croit déjà, sans qué rien l’étonne,
Voire dans l’Hypocrène ; quand
Il ne voit qué dans la Garonne.
Faites qué lé nôtre aujourd’hui,
Chez nous boyage
Sans naufrage,
Et que la Garonne, pour lui,
Né soit pas lé fleuve d’ouvli.

CHŒUR.

Faites, etc.

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