La Pierre philosophale (Thomas CORNEILLE - Jean DONNEAU DE VISÉ)

Comédie en cinq actes mêlée de spectacles.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel Guénégaud, le 23 février 1681.

 

Personnages

 

MONSIEUR MAUGIS, Chimiste, Père de Mariane

MADAME RAIMOND, Mère d’Angélique

LE COMTE DE GABALIS, Seigneur Allemand, Ami du Chevalier et Amant d’une de ses Nièces

LE MARQUIS, Amant de Mariane

LE CHEVALIER, Amant d’Angélique

MARIANE, Fille de Monsieur Maugis, Aimée du Marquis

ANGÉLIQUE, Fille de Madame Raimond, Aimée du Chevalier

TOINON, Suivante de Madame Raimond

CRISPIN, Valet de Chambre de Monsieur Maugis

MONSIEUR DE LA FOREST, Fourbe, qui vient offrir un Secret pour la Pierre Philosophale

CASCARET, Laquais de Monsieur Maugis

DEUX CHEVALIERS DE LA ROSE-CROIX

GNOMES et GNOMIDES, Peuple des Quatre Éléments

SILPHES et SILPHIDES, Peuple des Quatre Éléments

ONDINS et ONDINES, Peuple des Quatre Éléments

SALAMANDRES, Peuple des Quatre Éléments

UNE OMBRE PARLANTE

 

 

AU LECTEUR

 

Les livres de Sujet, ne se font ordinairement que pour des Pièces remplies de Chansons, ou d’un grand Spectacle. Il y a peu de Chant dans celle-ci, et quoique les Ornements en soient singuliers, les Chansons et les Machines demandent moins qu’on donne ce Livre au Public, que la nouveauté de la Matière. Il s’agit de la Pierre Philosophale, de l’Histoire des Chevaliers de la Rose-Croix, et de ce que l’on appelle Cabale ou Sciences secrètes. Je ne dis rien de la Pierre Philosophale. Rien n’est si connu. Elle a donné lieu à un nombre presque infini de Volumes. Milles Gens en parlent, et plusieurs pourtant n’en connaissent que le nom. Les Rose-Croix ont grande relation avec ceux qui la cherchent, et avec une Secte particulière de Gens, qu’on appelle Cabalistes. Il y a seulement cette différence entr’eux, qu’on veut nous persuader que les Cabalistes et les Rose-Croix, ont le secret d’avoir de l’Or, au lieu que les Souffleurs ne sont que Novices, et le sont souvent toute leur vie. Quoiqu’il en soit, on ne doit point s’étonner de voir toutes ces choses jouées dans une même Pièce, puisqu’elles ont grande affinité ensemble. Voici ce que Naudé dit dans son Livre intitulé, Introduction à la France, sur la vérité de l’Histoire des Frères de la Rose-Croix, imprimé à Paris l’an 1623. En 1615, Jean Bringein imprima à Francfort un Livre contenant l’Histoire des Frères de la Rose-Croix. On y apprend que leur premier Fondateur fut un Allemand, né l’an 1378, de Parents fort pauvres quoique Nobles. On y voit ses Voyages en Turquie, et en Arabie, où il s’arrêta en une Ville nommée Damcar, laquelle était seulement habitée de Philosophes, vivants d’une façon toute extraordinaire, et fort versés dans la connaissance de la Nature. Ils se saluèrent par son nom, et lui racontèrent tout ce qu’il avait fait pendant sa vie, sans qu’il leur eût dit, et qu’ils l’eussent appris d’ailleurs. Ils l’assurèrent qu’ils l’avaient longtemps attendu, comme celui qui devait reformer l’Univers, et lui communiquèrent une infinité de Secrets. Il alla ensuite en Barbarie, où il vit la Ville de Fez, et ayant communiqué avec les Sages Cabalistes qui y sont en grand nombre, il s’achemina en Espagne, de laquelle étant chassé parce qu’il y voulait établir les premiers Fondements de son Instauration, il se retira en Allemagne, où il vécut solitairement jusqu’à l’âge de cent six ans, qu’étant encor sain de corps et d’esprit, sans participer à aucune incommodité de maladie, il mourut l’an 1484, laissant son Corps dans sa Grotte, laquelle lui servir de Tombeau, jusqu’à ce que 120 ans après, qui était le temps que ce Sépulcre devait être caché, il fut découvert, et donna sujet de la Congrégation des Frères de la Rose-Croix. C’est la Grotte qui paraît dans la Pièce. Je ne vous dis rien davantage de cette Histoire, il faudrait faire imprimer le Livre de Naudé tout entier. Le Père Garasse dans sa Doctrine Curieuse, en a aussi fait un grand Traité. Il nomme les Auteurs qui en parlent, et dit qu’ils sont appelés Frères de la Croix de Roses, comme qui dirait, les Frères obligés au secret, ou Cabalistes ; que cette Secte a pris son origine en Allemagne, et que c’est la coutume de ce Pays, qu’en toutes les Salles des Hôtelleries, on trouve une Couronne de Roses, ou fraîches ou sèches, pendues au plancher, pour faire connaître qu’on doit garder le silence, et oublier en sortant les paroles licencieuses que la chaleur du Vin a pu faire dire. Il rapport pour preuve de cette ancienne coutume, ce Distique de Martial.

Inde Rozam menfis hospes suspendit amicis
Conviva, ut sub eâ, dicta, tacenda sciat.

Et ajoute que c’est un Proverbe en Allemagne ; Je vous dis cela sous la Rose, pour dire, en secret.

Les Rose-Croix et Cabalistes étaient des Visionnaires, qui dans leur folie se persuadaient avoir atteint la Sagesse dans le suprême degré. Ils ne connaissaient leur Fondateur que sous le nom de Frère Illuminé de la Rose-Croix, et entr’autres Lois qu’ils s’étaient faites, il y en avait une qui portait que ce mot de Rose-Croix servirait entr’eux comme de Mot du guet, de Caractère ou de Sceau. Beaucoup de leurs visions, et surtout les ridicules pensées qu’ils avaient que chaque Élément était rempli d’Habitants invisibles, et qu’ils pouvaient prendre alliance parmi eux comme Sages, sont répandues dans la pièce. Quantité d’Historiens, et Dupleix entr’autres, ont fait mention des Rose-Croix, et en 1623, on ne parlait d’autre chose à Paris. Quant aux Cabalistes, voici les Auteurs qui en ont traité, Paolus Ricius, Rabi Joseph, Léon Hébraux, Ioannes Reuclinus, Archangélus Burgonvensis, Abrahamus Lévita Hispanus, Picus Mirandulanus, Paracolsus de Pigmis, Nimphis, Silphis et Salamandris. Comme il y a beaucoup de folie parmi ceux qui veulent trouver quelque vérité dans les extravagantes imaginations des Cabalistes, on a cru qu’une Satyre publique était l’unique moyen de les faire revenir dans leur bon sens. C’est par là qu’on corrige plus aisément les faiblesses, et les vices, et c’est par là que la Comédie devient d’une grande utilité. On pourrait dire que M. Maugis est de facile croyance, mais le Théâtre nous représente tous les jours des Gens qui s’entêtent de visions, avec beaucoup moins de fondement. Quoiqu’il en ait point de plus ridicules que celles des Rose-Croix, il est certain qu’on trouve des Fous qui soutiennent leur Histoire. Elle est imprimée, et M. Maugis l’ayant lue, et étant d’un caractère à donner à tout, il était impossible qu’il se défendît de croire ce qu’il voyait traité sérieusement par plusieurs Auteurs. Si cette pièce finit sans que Madame Raimond et lui soient détrompés de la Pierre Philosophale ; il suffit qu’on vienne à bout de leur faire donner leurs Filles à des Gens qui n’y croyant point, trouveront moyen de leur en faire connaître l’abus. Ces deux Mariages étant le but qu’on s’est proposé, tout est fini quand ils sont conclus.

Quant aux Chercheurs de Trésors qu’on tâche à désabuser par l’exemple de M. Maugis, il s’en trouve en France aussi bien qu’ailleurs, et on a fait remuer beaucoup de terre à des gens qui se croyaient fort habiles. Il y en a des Histoires assez récentes que je ne veux pas toucher. C’est la mode en Italie, à cause qu’on y découvre souvent des Trésors des anciens Romains. On dit que Néron employa des sommes immenses à faire chercher ceux de Didon. On a tâché de rendre toutes ces Matières plaisantes, et intelligibles, à ceux-mêmes qui n’en ont pas la moindre teinture. Il était assez difficile de les accommoder au Théâtre, et de traiter d’une manière comique, ce qui paraît être sérieux. On demande par grâce, qu’on écoute avec attention, avant que de porter son jugement, étant impossible que ceux qui n’auront pas suivi le Sujet, condamnent avec connaissance de cause.

 

 

ACTE I

 

La scène s’ouvre dans l’Antichambre de M. Maugis, où Mariane sa Fille paraît avec le Marquis dont elle est aimée secrètement, et qui la vient voir en arrivant d’une Province éloignée, après une absence de trois mois. Elle lui apprend deux choses ; l’une, que son Père lui a déclaré qu’il veut qu’elle se marie dans deux jours, sans que dans la surprise que lui a causé cet ordre, elle ait demandé le nom de l’Époux qu’il lui destine ; et l’autre, que quoique fort vieux, il avait dessein d’épouser la Fille d’une Madame Raimond qui avait pris un Appartement chez lui. Le Marquis voyant que la chose presse, dit à Mariane qu’il va envoyer un Homme de qualité à M. Maugis pour la demander en mariage, et qu’il espère que les avantages de sa naissance et de sa fortune, lui feront donner la préférence. Il la quitte, et Mariane demande à Toinon, Suivante de Madame Raimond, comment va l’amour de M. Maugis avec Angélique sa jeune Maîtresse. Toinon l’assure qu’elle empêchera ce Mariage ; et quand elle est seule, elle fait connaître que si Mariane craint que son Père n’épouse Angélique, elle serait bien dans d’autres alarmes, si elle savait qu’il se ruine à chercher la Pierre Philosophale avec Madame Raimond. Angélique entre, et après avoir dit à Toinon que sa Mère veut absolument la marier à M. Maugis, elle lui marque la crainte qu’elle a que le Chevalier qui s’est fait Chimiste pour avoir accès chez elle, n’ait pas le succès qu’il s’est promis dans ce qu’il prépare depuis quinze jours, pour faire perdre à ce vieux Souffleur la pensée de l’épouser. Elle ajoute, que quoique l’Ami qui doit agir pour ses intérêts, soit prêt à venir jouer son Personnage, elle n’ose s’assurer que les choses aillent selon ses souhaits. Elle parle en suite des témoignages d’amour que le Chevalier lui donne en soufflant avec sa Mère, pour la guérir insensiblement de la maladie de vouloir faire de l’Or. M. Maugis étant survenu, assure Angélique qu’il a trouvé autant-vaut la Pierre Philosophale, et qu’ainsi il va se préparer à l’épouser pour lui faire part de ses richesses. Angélique montrant peu de joie de cette nouvelle, il lui dit que son âge la dégoûte, mais qu’elle ne doit pas craindre de l’épouser vieux, et que la Pierre Philosophale étant une Médecine universelle qui a la force de rajeunir, il ne prétend point se marier avec elle, qu’il n’ait recouvré ses jeunes années. Après cela, en lui apprenant qu’il marie sa Fille, il lui découvre qu’il a jeté les yeux sur le Chevalier, à qui pourtant il n’en a encore rien dit, ne doutant point qu’il ne soit ravi d’être son Gendre. Angélique qui aime de Chevalier, est fort surprise de ce mariage, et après que Toinon a dit à M. Maugis que le Chevalier est trop gueux pour Mariane, sur quoi il répond que c’est assez qu’il sache souffler, il prie Angélique de vouloir voir son laboratoire. En même temps ils entrent dans une Chambre fort propre. Elle est tout boisée avec des Panneaux. Les Volets de la Cheminée se retirent, et laissent voir un grand Fourneau qui roule jusqu’au milieu de la Chambre. La Table et les Meubles deviennent Fourneaux, et les Panneaux qui tenaient lieu de Tapisserie, ne paraissent plus, en sorte qu’on ne voit que des Creusets en un lieu, où un moment auparavant, on voyait toute autre chose. Les uns sont calciner, les autres pour fondre, quelques-uns pour sublimer et pour distiller, et d’autres pour d’autres usages, avec toutes les sortes de Feux dont se servent les Chimistes. Un peu après on voit entrer Madame Raimond, qui ayant renvoyé Angélique, afin de travailler sans Témoins, ordonne à Toinon de lui donner l’Équipage dont M. Maugis et elle ont accoutumé de se servir. Ils prennent des Robes de Chambre pour conserver leurs Habits, qui pourraient être gâtés en travaillant, par l’Huile, le Charbon, et la fumée. Ils mettent aussi des Masques, avec des yeux de verre, afin que la fumée du Vif-argent ne leur fasse point de mal à la vue. Ensuite, ils visitent tous leurs Fourneaux, et disent en termes de l’Art, l’état où ils sont. Cela est suivi d’une dispute qui naît entre madame Raimond et M. Maugis, pour savoir si le feu doit être plus ardent, ou non, sous le plus avancé de ces Fourneaux. Ils croient voir tous les signes que les Chimistes disent qui doivent paraître, lorsque le grand Œuvre est tout prêt d’être achevé. Ils sautent de joie, et s’embrassent ; et ce Fourneau crevant un moment après, ils passent en un instant d’une extrême joie à une extrême douleur. Ils se querellent, se raccommodent, et prenant de nouvelles résolutions de ne renoncer jamais à la Chimie, ils disent qu’ils ont des Terres et des Maisons à vendre, et que peut-être sans cela, ils auront de quoi fournir à la dépense qu’ils sont obligés de faire, parce que M. Maugis donnant à tout pour se faire riche, attend Crispin son Valet de chambre, qu’il a envoyé à la découverte des Châteaux ruinés, où l’on prétend que sont cachés beaucoup de Trésors, et que ce Valet doit être de retour ce jour-là même. En effet, un peu après que madame Raimond a quitté M. Maugis, Crispin lui vient rendre compte du succès de son voyage, et lui montre de vieilles Pancartes Anglaises, qu’il dit contenir les bouts et côtés de plusieurs Trésors. M. Maugis le renvoie en voyant venir le Chevalier, à qui il conte le malheur de leur Fourneau. Le Chevalier qui commence à jouer le Personnage dont il est convenu avec Angélique pour duper M. Maugis, lui dit qu’un Fourneau crevé est peu de chose, et que si ce qu’on lui a permis d’espérer arrive, ils n’auront plus besoin de la Pierre Philosophale pour se rendre riches et heureux. Il lui parle du feu Comte de Gabalis, si renommé dans les Sciences secrètes ; ajoute, que connaissant le jeune Comte son Fils, venu d’Allemagne en France depuis trois ans, il l’avait tellement pressé de s’ouvrir à lui, qu’il était enfin demeuré d’accord d’être Chevalier de la Rose-Croix. M. Maugis ayant demandé qui sont les Chevaliers qu’il lui nomme, le Chevalier lui donne à lire leur Histoire imprimée depuis fort longtemps, et lui ayant fait connaître en peu de mots le pouvoir qu’ils ont sur la Nature, comme Cabalistes, il lui dit que le Comte de Gabalis doit tirer la nativité de l’un et de l’autre, pour voir s’ils seront dignes d’être admis dans l’Ordre ; qu’ayant déjà connaissance du mérite de M. Maugis par je ne sais quelle révélation secrète, il a résolu de venir chez lui, et qu’il faut qu’il se prépare pour le recevoir. M. Maugis le quitte aussitôt, afin de rêver au Compliment qu’il doit faire au Comte.

 

 

ACTE II

 

Cet Acte se passe encore chez M. Maugis. Le Chevalier instruit Angélique des raisons qui engagent le jeune Comte de Gabalis à s’intéresser dans leur passion. Il lui apprend que ce Comte étant amoureux d’une de ses Nièces, il lui a promis de la lui faire épouser, et s’est chargé de venir à bout du Tuteur de cette Nièce, qui veut s’opposer à son Mariage ; qu’ainsi il a intérêt à le servir, pour obtenir de lui le même service ; et que tout est prêt pour le projet qu’ils ont concerté. Il lui fait connaître que l’Institut des Cabalistes portant qu’ils renonceront aux Femmes, il ne recevra M. Maugis dans la Cabale, c’est à  dire Chevalier de la Rose-Croix, qu’à cette condition ; qu’il n’y a point de moyen plus sûr pour l’obliger de ne plus songer à elle ; et que pour lui, il le trouvera toujours indigne d’être reçu Cabaliste ainsi que M. Maugis, afin qu’il ait liberté d’aimer. Dans la même Scène, il lui explique le mot de Cabale, que le Peuple prend pour une brigue de Gens ligués dans le dessein de quelque entreprise. Angélique de son côté apprend au Chevalier son Amant, que c’est à lui que M. Maugis veut donner sa Fille. Il répond, qu’il lui sera aisé de rompre ce coup par le Comte de Gabalis ; et en même temps Toinon vient les avertir, qu’un de ces gens à Secrets qui promettent des millions pour duper les Faibles, est avec Madame Raimond, et que c’est hasard si une troisième Maison qu’on lui marchande, ne saute bientôt. Le Chevalier dit qu’il n’a feint de s’associer avec elle pour la Chimie, qu’afin d’écarter les Fourbes qui attrapent les Souffleurs ; et que comme elle ne fera rien sans son avis, il l’empêchera de donner dans le panneau. M. Maugis entre, et leur récite le Compliment qu’il a préparé pour le Comte de Gabalis. Tout ce que l’on dit véritablement de la Pierre Philosophale, est renfermé dans ce Compliment. Madame Raimond entêtée du Fourbe qui la veut tromper, vient dire avec joie, qu’un Homme savant qui a parcouru toute la Terre, lui offre une Fiole de Rosée d’Égypte, sans laquelle il est difficile de trouver la Pierre Philosophale ; que c’est elle qui tempère la chaleur quand elle est trop forte dans les Fourneaux, et qu’il est allé chez lui prendre sa Fiole dont il promet de s’accommoder à juste prix. Le Chevalier qui prévoit la fourbe, demande permission à Madame Raimond de disputer sur la Pierre Philosophale contre ce savant Voyageur, quand il viendra apporter la Fiole. Elle se retire, sur ce qu’un Laquais vient donner avis de la visite du Comte de Gabalis que M. Maugis ordonne qu’on fasse monter, après avoir dit à Madame Raimond que c’est un Homme qui n’ignore rien. Le Comte arrive. M. Maugis est surpris de son air jeune, et lui veut faire son Compliment. Il est interrompu par ce Comte, qui prie le Chevalier de se retirer, parce qu’il ne peut parler devant lui des mystères qu’il doit découvrir à M. Maugis. Le Chevalier feint d’être chagrin du malheur qu’il a de se voir chassé ; et après qu’il est parti, M. Maugis est fort étonné de ce que le Comte qui paraît si jeune, l’appelle son Fils. Là-dessus le Comte lui ayant appris qu’il a deux cents ans, il croit qu’il n’a tant vécu que par le moyen de la Poudre de projection ; mais c’est pour lui un nouveau sujet d’étonnement, de voir que le Comte de Gabalis traite la Chimie de bagatelle. Ce Comte l’oblige à tomber d’accord qu’il a souvent été attrapé, et M. Maugis lui fait le récit de toutes les fourberies qu’on lui à faites. Le reste de cette Scène roule sur ce que le Comte de Gabalis lui conseille d’abandonner ses Fourneaux, et lui explique ce que c’est que la Cabale ; qui le rendra riche, jeune, exempt de maladie, et tout cela sans souffler. Il ajoute, qu’il n’y a aucune difficulté à le recevoir dans l’Ordre, qu’il a tiré la figure de sa nativité, et que toutes les Constellations le demandent Cabaliste ; mais que pour le Chevalier, sa nativité n’est point heureuse, et qu’il n’y a point pour lui de Cabale. M. Maugis témoigne sa joie, et demeure ensuite fort embarrassé, quand on lui apprend que pour être Cabaliste, il faut renoncer aux Femmes. Cet Article lui fait peine. Il aime Angélique, et demande s’il ne pourrait point obtenir de Messieurs de la Cabale une Dispense pour l’épouser. Le Comte répond qu’il faut qu’il la voie, afin de juger s’in en peut faire la proposition. On fait venir Angélique, avec qui M. Maugis laisse le Comte. Ce faux Cabaliste quitte alors sa gravité, et parle avec elle du Personnage qu’il joue pour servir le Chevalier, et lui rend compte des sentiments qu’il a déjà inspirés à M. Maugis. Le Chevalier qui les trouve seuls, leur parle un moment, et dit au Comte qu’il ne faut pas seulement qu’il fasse renoncer M. Maugis à l’amour qu’il a pour Angélique, mais qu’il faut aussi qu’il l’empêche de lui donner Mariane, parce qu’il vient de savoir qu’il a ce dessein. Angélique étant rentrée, M. Maugis paraît de nouveau. Le Chevalier se retire, feignant d’être au désespoir de ce que le Comte de Gabalis lui donne l’exclusion touchant la Cabale dans laquelle il ne peut le faire entrer. Le Comte déclare à M. Maugis qu’il a trouvé Angélique incapable des Secrets des Sages, et qu’il doit perdre la pensée de l’épouser ; mais il lui apprend qu’il lui est permis de se marier ailleurs. Il commence alors à lui découvrir que les quatre Éléments sont peuplés d’Habitants invisibles, chacun composé des plus pures parties de son Élément ; au lieu que les Hommes sont composés des quatre Éléments mêlés ensemble ; que les Habitants de l’Air s’appellent Silphes ; ceux de l’Eau, Ondins ; ceux de la Terre, Gnomes ; et ceux du Feu, Salamandres. Il lui fait connaître qu’il peut prendre parti parmi eux, les Dames Élémentaires étant ordinairement fort amoureuses des Hommes ; que ces Peuples ont accoutumé de vivre des mille années ; et pour comble de bonheur, il ajoute, qu’en faisant la figure de sa nativité, il a découvert celle d’une Fille qu’il a, qui pourrait bien mériter un Silphe. M. Maugis est ravi de voir sa Fille en état d’entrer comme lui dans la Cabale, et promet au Comte d’aller ce jour-là même chez lui pour avoir un plus grand éclaircissement de ce qu’il doit espérer pour Mariane. Le Comte s’en va fort satisfait d’avoir ôté à M. Maugis l’envie de se marier avec Angélique. Mariane, à qui le Marquis avait dit au Premier Acte qui l’allait faire demander pour lui par un Homme de qualité, prend le Comte pour une Personne considérable qu’il devait envoyer, à son Père, et se présente pour en savoir des nouvelles, aussitôt qu’il est sorti. M. Maugis lui apprend qu’il lui destinait le Chevalier, mais que depuis il s’est offert un Parti bien plus important. Mariane qui explique cela au Marquis, répond en Fille soumise, et croit avoir grand sujet d’être contente du choix que son Père a fait pour elle. Tout ce qu’il lui dit d’un Mari d’air, qui est le Silphe que le Comte lui a laissé espérer pour Gendre, elle l’entend du Marquis, à qui la naissance doit avoir donné un air galant que les Personnes d’un moindre rang n’ont presque jamais. Ainsi elle quitte M. Maugis sans être éclaircie du dessein qu’il a.

 

 

ACTE III

 

Cet acte se passe chez le Comte de Gabalis. Mariane y rencontre le Marquis, et croit qu’il vient le remercier de ce qu’il l’a obtenue pour lui de son Père. Le Marquis lui dit, que bien loin d’avoir travaillé à son bonheur, le Comte lui a parlé pour un autre, et qu’il n’en saurait douter, puisque la Personne qu’il a employée auprès de M. Maugis, n’étant venue le trouver qu’après que le Comte l’avait déjà entretenu en particulier, la proposition qu’on lui avait faite de son Mariage avait été rejetée ; que c’était pour cette raison qu’elle le voyait chez le Comte qu’il connaissait depuis quelques temps, et à qui il avait dessein de demander pour quel Amant il s’intéressait. Mariane fort surprise de ce que les choses allaient autrement qu’elle n’avait cru, répond qu’elle ne sait plus pourquoi son Père l’a amenée chez le Comte, puisque ce n’est point pour lui qu’il lui a parlé ; qu’il lui a donné ordre de l’attendre, tandis qu’il est allé le chercher dans son Cabinet, et qu’elle le prie de la laisser seule, afin qu’elle puisse s’éclaircir de ce Mariage si avantageux dont il l’a flatté. Le Marquis sort en voyant entrer M. Maugis. Cette Scène a un Jeu particulier, sur ce que M. Maugis déclare à sa Fille que ce n’est point à un Homme qu’il prétend la marier. Il lui parle enfin du Silphe, Habitant de l’Air ; et nommant en suite les Peuples des trois autres Éléments, ces noms paraissent si extraordinaires à Mariane, qu’elle est presque persuadée que M. Maugis a perdu l’esprit. Il est très chagrin de son côté, du peu de cas qu’elle fait d’un Amant Élémentaire ; et apercevant le Chevalier, il le laisse avec sa Fille, en le priant de lui faire bien connaître ce que le Comte de Gabalis peut pour sa fortune. Le Chevalier commence à lui expliquer l’Énigme du Silphe, et lui faisant voir par là qu’il faut pour ses intérêts, que si elle aime quelqu’un, elle lui fasse confidence de son amour, il l’assure que ce Quelqu’un-là sera le Silphe dont on vient de lui parler. Pour obtenir plus aisément cette confidence, il lui déclare qu’il aime Angélique, et que rien ne coûtant à un Amant, il a fait préparer des Machines de toutes manières chez le Comte de Gabalis, pour le succès d’un dessein qui lui assure la possession de sa Maîtresse. Leur entretien est interrompu par l’arrivée de Madame Raimond. Mariane se dérobe par un faux Degré, et Madame Raimond dit avec empressement au Chevalier, qu’ayant appris de Crispin qu’il avait conduit son Maître chez le Comte de Gabalis, elle lui amène le Voyageur qui veut vendre la Rosée d’Égypte ; que plusieurs autres Personnes la veulent avoir, et qu’elle est perdue pour eux, s’ils le laissent échapper. Le Chevalier fait venir M. Maugis, et en disant qu’il commence à croire que la Pierre Philosophale ne se peut trouver, il donne lieu à une dispute, dans laquelle on agite quantité de choses pour et contre la possibilité de faire de l’Or. Cependant comme on ne s’accommode point de la Rosée, et que le Chevalier pousse à bout le Fourbe qui la vient offrir ; M. Raimond qui le trouve trop savant pour le croire un Affronteur, sort après lui, et va le rejoindre. M. Maugis et le Chevalier étant restés seuls, et M. Maugis lui témoignant un peu de dégoût de la Cabale, à cause du Vœu qui lui fait perdre Angélique, le Chevalier feint de porter envie à sa fortune, et lui représentant les avantages dont il va jouir, il l’affermit dans la résolution de ne plus penser à sa Maîtresse. Il se retire quand il voit venir Crispin, que M. Maugis avait renvoyé chez lui pour lui apporter les Papiers Anglais, afin que le Comte les lui expliquât, par le privilège qu’ont les Cabalistes d’entendre toute sorte de Langues. M. Maugis découvre à Crispin que le Comte le doit faire devenir invisible. Crispin lui veut faire croire que ce Secret ne fera que lui causer de fâcheux chagrins, et est renvoyé par le Comte de Gabalis, qui lui rend ses Papiers, après les avoir regarder un moment. Sitôt que Crispin est sorti, le Comte dit à M. Maugis, qu’il ne doit point s’embarrasser de Trésors, puisque sa réception dans la Cabale le va rendre maître de la Nature. Il lui fait connaître que les Gnomides ont la garde des trésors, et que la moindre d’entr’elles lui en fera plus découvrir qu’il ne lui en faut pour se satisfaire. Il tombe de là sur les Mariages Cabalistiques, et sur les Grands Hommes qui en naissent. La Scène finit par les Cérémonies qu’il lui dit être essentielles pour le faire Chevalier de la Rose-Croix. Il l’assure que plusieurs de ses Frères qui sont là présents, quoiqu’on ne les voie pas, lui en ont donné le pouvoir, et qu’il se rendrait Invisible aussi bien qu’eux, si c’était un autre qui la reçut Chevalier. La Décoration du Théâtre est un Jardin, dans lequel on voit un Dauphin, et une Grotte. Le Comte ordonne à M. Maugis de monter sur le Dauphin, et lui fait lever les yeux en haut pour voir un autre Jardin qui paraît délicieux. Il lui dit que c’est dans ce Jardin élevé que l’on va lui donner l’Ordre ; que comme il n’y a aucun chemin qui puisse y conduire, le Dauphin qui représente l’Eau, l’y va transporter ; que deux petits Gnomes, qui sont les Habitants de la Terre, doivent l’y accompagner, et cela, pour marquer le pouvoir des Chevaliers de la Rose-Croix sur l’un et l’autre Élément. Dès qu’il commence à monter, des Vases qui ornaient le Jardin, s’élèvent, et paraissent Hommes. M. Maugis est fort étonné de cette métamorphose. Le Comte lui dit qu’il n’y a point eu de Vases, et que ce sont des Chevaliers de leur Ordre, mais que ses yeux n’étaient point assez perçants pour les découvrir. Il ajoute, qu’il les voit selon les Habits qu’ils portent dans les Parties du Monde où ils demeurent ordinairement, parce qu’étant répandus par toute la Terre, un de leurs Statuts les oblige de s’habiller à la mode du Pays où ils se trouvent. . Maugis étant à demi monté, un Gnome et une Gnomine se montrent à côté de lui, et lui donnent chacun une main. Il est reçu dans le Jardin, élevé par un Salamandre et par un Silphe, l’un Habitant du Feu, et l’autre de l’Air. Ils le mettent sur un Siège de gazon au milieu de ce Jardin. Le Siège s’élève, élève M. Maugis dans le même temps. Il en montre quelque crainte, et on lui donne enfin un Bonnet avec un Manteau couvert de Roses. Le Comte lui dit que ce n’est pas tout, et qu’il va être conduit en un moment dans la Grotte où a été enterré le premier Chevalier Invisible, Fondateur de l’Ordre. On le voit sortir par le bout de ce Jardin élevé, et on l’aperçoit presque aussitôt dans cette Grotte, qui est une espèce de Caverne qui paraît au dessous du Jardin. M. Maugis qui le considère, la reconnaît pour être semblable à celle dont il a lu la description dans l’Histoire imprimée des Chevaliers de la Rose-Croix. On y voit un Soleil dans le fond. Au milieu est un Tombeau, avec un Globe de la Terre au-dessus, deux Lampes antiques aux côtés, des Glaces en triangle, des Livres, des Clochettes, et ces trois Inscriptions sur le devant.

Après six-vingts ans je serais découverte.
Vivant, je me suis réservé pour ce Sépulcre abrégé de lumière.
Auprès de ce Tombeau notre Compagnie se renouvellera toujours.

Après qu’il a été un peu de temps dans la Grotte, le Comte le prie d’en sortir. La Grotte se referme incontinent, et M. Maugis en fait paraître une fort grande surprise. Il dit qu’il n’a fait que quatre pas pour arriver jusqu’au Comte, et qu’il ne sait comment il a repassé en un moment d’Allemagne en France, étant certain que la Grotte dont il sort est en Allemagne. Le Comte répond, qu’en lui donnant des yeux pénétrants, il lui a fait voir le Tombeau de leur premier Frère, comme s’il avait été auprès ; mais que c’est peu que la vue de cette Grotte, et qu’à présent qu’il est initié Cabaliste, il va préparer tout ce qu’il faut pour faire paraître devant lui les plus agréables des Demoiselles Élémentaires, afin qu’il en choisisse une selon son goût. M. Maugis témoigne avoir du penchant pour les Gnomides, parce qu’elles sont Gardiennes des Trésors.

 

 

ACTE IV

 

Cet Acte se passe encore chez le Comte de Gabalis, Angélique et Mariane y viennent ensemble, après avoir pris leurs mesures avec le Chevalier, qui ayant su l’amour du Marquis, lui donne moyen de se déguiser en Silphe. Les Fiançailles de M. Maugis avec telle Demoiselle Élémentaire qu’il voudra choisir, se devant faire dès ce même jour, et la même Cérémonie étant résolue pour celles de Mariane, elle se rend chez le Comte pour obéir à son Père, qui l’envoie chercher par le Chevalier. Elle doit choisir parmi les Silphes, les Ondins, les Gnomes, et les Salamandres, tel Mari qu’elle voudra, et le Marquis se déguisant parmi eux en Silphe, il lui est aisé de contenter son amour. Angélique accompagne Mariane chez le Comte, non seulement afin qu’elle ait le plaisir d’être témoin de ces Fiançailles qu’on lui doit faire voir d’un lieu secret, mais pour jouer une Scène qui doit produire un effet favorable au Chevalier. Cette Scène est de faire quelques caresses à M. Maugis. Sitôt qu’il aura donné sa foi à une des Demoiselles Élémentaires, afin que ces caresses obligeant l’Amante Élémentaire à être jalouse, elle ait sujet de le menacer, et que ces menaces le forcent à rompre entièrement avec Angélique. Mariane apprend dans cette première Scène, que son Père travaille à la Pierre Philosophale avec Madame Raimond, et entre dans le secret d’Angélique, qui en se défaisant de M. Maugis, ne se tient pas assurée que sa Mère lui veuille donner le Chevalier pour Mari. Toinon fait connaître qu’elle y a déjà beaucoup de penchant ; et le Marquis paraissant en Silphe, elles s’écrient sur la nouveauté de son équipage. Il dit à Angélique et à Mariane, qu’il leur vient donner un avant goût de la Comédie qui se prépare, en attendant qu’il se montre parmi les Peuples des quatre Éléments, lorsqu’il sera question de la Cérémonie des Fiançailles. Tous ces apprêts qui sont un effet de l’amour du Chevalier, font voir combien cet amour a de violence. La crainte qu’il a que M. Maugis ne le surprenne ainsi assemblés, fait qu’il prie le Marquis de se retirer, et de mener Angélique dans le Cabinet, d’où sans être vue, elle doit voir tout ce qui se passera. M. Maugis entre, à qui Mariane fait le récit d’une prétendue apparition du Comte, afin qu’une chose si extraordinaire autorise le prompt changement qu’elle fait paraître en consentant à s’accommoder d’un Silphe, après avoir d’abord rejeté la proposition que M. Maugis lui en avait faite. L’arrivée de Madame Raimond cause un nouvel embarras. M. Maugis prie le Chevalier de mener sa Fille au Comte, et attend seul Madame Raimond. Elle lui fait d’abord des reproches de ce qu’il faut toujours le venir chercher chez le Comte de Gabalis, et l’excite à venir ranimer son Laboratoire, dont les feux languissent ; mais comme il est rempli d’autre chose, il lui répond d’une manière peu satisfaisante, et lui parle enfin de la Cabale, et des avantages qu’on peut en tirer. Elle le traite de visionnaire, et de ridicule. Ils s’échauffent jusqu’à rompre non seulement le Mariage arrêté entre lui et Angélique, mais encore toute sorte de société pour la Chimie. Madame Raimond lui dit, que si le Comte de Gabalis a deux cents ans, comme il en a assuré Crispin, il ne saurait être rajeuni que par la Pierre Philosophale, qu’il l’a sans doute trouvée, et qu’il faut que ce soit pour cela qu’il rompt avec elle ; mais qu’elle la trouvera bien sans lui ; que l’argent de sa Maison est tout prêt, que le Chevalier lui en fournira de son côté, et que quand ils ne parviendraient pas au grand Œuvre, on lui est venu offrir des Secrets qui les feront riches ; qu’un Homme est tout prêt à lui faire part de la Pistole volante ; qu’un autre lui veut apprendre le Secret d’un Allemand, qui a attrapé l’Esprit universel répandu parmi les airs ; et que ce qui lui plaît encore davantage, c’est un Descendant en droite ligne du célèbre Raimond-Lulle qui a fait le gros Rubis de la Couronne d’Angleterre, et qui lui donnera la méthode de faire aussi des Rubis. M. Maugis se moque de tous ces Secrets, et Madame Raimond se retire, en lui disant qu’il ne doit jamais espérer aucun commerce, ni avec elle, ni avec sa Fille. Le Comte de Gabalis paraît avec Mariane qu’il ramène, sitôt que M. Maugis est seul. Il lui dit que le moment heureux étant arrivé dans lequel il doit partager la gloire qui est réservée aux Sages, il va remplir ses yeux de lumière, afin qu’ils soient capables de voir les Peuples des quatre Éléments ; qu’il choisira comme il lui plaira, lui une Femme, et Mariane un Mari ; et que quand leur choix sera fait, ces différents Peuples s’uniront sans jalousie pour se réjouir de leur bonheur. Après leur avoir ainsi parlé, on voit tout-à-coup une Machine, composée des quatre Éléments, de la grandeur d’un Mont-Parnasse. Le bas représente la Terre, sur laquelle est un Gnome, et une Gnomide. Un peu plus haut, on remarque l’Eau par ses bouillons, car on la voit effectivement rouler. Un Ondin et une Ondine sont sur cet Élément. L’Air est au-dessus, avec un Silphe, et une Silphide ; et en regardant encore plus haut, on y découvre le Feu, au milieu duquel sont deux Salamandres de l’un et de l’autre Sexe. Mariane choisit le Marquis qui s’est déguisé en Silphe. M. Maugis qui le croit véritablement un Silphe, applaudit au choix ; et comme il a su que les Gnomides gardent les Trésors, il en choisit une, mais il est chagrin de la trouver si petite. Elle promet de se faire grande, et M. Maugis lui donne la main. Le Comte les avertit, que quoi qu’il ne soient point encore mariés, la main donnée les unit ensemble si étroitement, qu’ils ne sont plus en pouvoir de s’en dédire ; et en même temps il ordonne aux Peuples des quatre Éléments, qui ne se sont point encore rendus visibles, et se joindre à ceux qui ont paru sur la Machine, afin d’augmenter la joie de ces doubles Fiançailles.

Ils s’avancent tous, et donnent des marques de leur allégresse, en chantant ces Vers.

Les Sages, par un choix heureux,
Aujourd’hui nous couvrent de gloire.
Chantons, célébrons la victoire
Que l’Amour remporte sur eux.

Après que l’on a chanté ces Vers, l’un des Éléments s’adressant à la petite Gnomide, chante ce qui suit.

Vous, sur qui de cet heureux choix
Vient de tomber la préférence,
Joignez les charmes de la Danse
Au Concert que forment nos voix.

La petite Gnomide danse un Menuet ; après quoi, le Marquis qui représente le Silphe, vient auprès de Mariane, et chante ces Vers en la regardant.

Je suis d’un Élément léger ;
Mais avec tant d’appas, c’est en toute assurance
Que vous pouvez vous engager.
L’Amour qui sous vos Lois se plaît à me ranger.
Ne vous répond que trop de ma persévérance.

Les quatre Éléments dansent en suite, et leur Danse étant finie, un Salamandre et un Ondin, chantent ces Paroles ensemble.

Le spectacle est assez beau
De nous voir unis ensemble.
On le trouvera nouveau ;
Mais il me semble
Que le feu peut souffrir l’eau,
Lorsque l’Amour les assemble.

Après ces Chants et ces Danses, les Éléments répètent

Les Sages, par un choix heureux,
Aujourd’hui nous couvrent de gloire.
Chantons, célébrons la victoire
Que l’Amour emporte sur eux.

M. Maugis fort content de toutes ces marques de réjouissance, prie le petite Gnomide de changer de taille. Elle répond que la Terre étant son Élément, elle y va rentrer pour en sortir telle qu’il souhaite. Elle disparaît aussitôt, et une grande Personne s’élève peu à peu de terre. On en découvre d’abord le visage, et un peu après, tout le corps. Pendant ce temps, on chante les Vers qui suivent.

Croissez, Gnomide, croissez,
Il faut satisfaire un Sage.
Ses vœux sont adressés,
Croissez, Gnomide, croissez.
Hâtez-vous, paraissez, croissez, croissez, paraissez.
Quel éclat ! Que sur terre elle aura davantage !
Tous ses traits paraîtront assez,
Croissez, Gnomide, croissez,
Hâtez-vous, hâtez-vous, croissez,
C’est assez.
Auprès de cette taille, auprès de ce visage,
On verra peu d’objets qui ne soient effacés,
C’est assez, c’est assez, c’est assez, c’est assez.

M. Maugis qui aperçoit une grande Femme au lieu d’un Enfant, est si étonné de cette métamorphose, qu’il a de la peine à croire ses yeux. La grande Gnomide, pour lui donner des marques de son amour avant que de l’épouser, lui parle d’un vieux Château dont les ruines enferment de l’Or, des Perles, et des Diamants en abondance, dont elle a dessein de le rendre maître, et lui dit qu’un Gnome l’y conduira au commencement de la nuit, et qu’il n’a qu’à se munir d’un Flambeau, et d’Instruments propres à ouvrir la terre. Elle l’avertit de ne point avoir de peur, quoi qu’il puisse voir d’extraordinaire dans ce Château, et il demande la permission de s’y faire accompagner d’un Valet. Il l’obtient ; et la Gnomide, après avoir feint de le rajeunir en lui passant la main sur le visage, lui déclare que comme toutes les Demoiselles Élémentaires aiment avec autant de fidélité que de passion, elles sont jalouses au dernier point, et ont droit, pour se venger, de tordre le cou aux Infidèles. Cette menace fait tremble M. Maugis, qui craint d’autant plus, qu’il voit entrer Angélique suivie de Toinon. Elles feignent toutes deux de le trouver rajeuni, et demandent par quel Charme il ne paraît pas avoir vingt-cinq ans. Il donne dans le panneau, et croyant être revenu dans sa première jeunesse, il saute de joie, et demeure tout à fait persuadé du pouvoir de la Cabale. Angélique, suivant ce que le Chevalier a concerté avec elle, fait quelques caresses à M. Maugis. Il n’ose y répondre, dans la peur qu’il a d’être vu de la Gnomide. Il lui baise enfin la main, et la renvoie pour mettre son cou hors de péril. Le Comte de Gabalis qui entre aussitôt après, feint comme Angélique de le trouver rajeuni, et lui conseille de reprendre ses vieux traits, parce qu’après l’avoir vu si longtemps Barbon, on le prendrait pour Magicien, si tout-à-coup il paraissait jeune. Il ajoute, que c’est une nécessité absolue qu’il se fasse rendre ses traits de vieillesse, quand M. Maugis lui parle d’envoyer chercher Crispin pour le mener au Château où est caché le Trésor de la Gnomide, parce que ce serait mettre les Secrets de la Cabale entre les mains d’un Valet, qui le voyant rajeuni, ne manquerait pas à le publier. M. Maugis inquiet d’avoir baisé la main d’Angélique, demande au Comte si les Demoiselles Élémentaires deviennent jalouses pour de légères caresses. Le Comte les peint très portées à la vengeance dès la moindre marque d’infidélité. M. Maugis croit être perdu, et fuit le Comte, qui s’offre à lui faire voir la Salamandre qu’il a épousée. Elle a le même pouvoir que la Gnomide, et peut remettre sur son visage toutes les rides que l’on y a vues.

 

 

ACTE V

 

Le Théâtre représente la Salle d’un vieux Château ruiné. L’herbe qui y a cru en plusieurs endroits, fait assez voir que ces Ruines sont vieilles. Quelques Pierres à demi détachées de leur place, semblent prêtes à tomber. Elles ont même éboulé en un endroit proche de la Voûte, et fait un trou assez grand, au travers duquel on voit l’air ; et comme il fait nuit lorsque l’on y vient, on remarque le Croissant au-delà du Château. La Voûte de cette Salle qui a été aussi ruinée par le temps, laisse voir le Ciel et les Étoiles. On découvre une Porte surbaissée, qui paraît conduire dans un autre Lieu qu’on doit avoir pratiqué sous terre. La grande Gnomide paraît d’abord avec le Marquis, qui tient une Lanterne sourde, pour n’être pas sans lumière dans un Lieu si sombre. Elle se réjouit avec lui, de ce que les Aventures Cabalistiques vont se terminer par les menaces qu’elle doit faire à M. Maugis quand il aura trouvé le Trésor, pour l’obliger à signer ses Articles de Mariages, dans le besoin qu’il aura de lui pour le remettre bien avec elle. Le Comte de Gabalis, qui paraît aussi avec une Lanterne sourde un moment après, leur dit qu’il a posté tous ses Gens, et que rien ne manquera de tout ce que le Chevalier et lui ont concerté. Le Marquis demande si le Chevalier ne viendra pas. Le Comte répond qu’il a pris heure pour amener Madame Raimond ; que la Porte secrète de ce vieux Château n’est connue que de lui seul, et que ce sera quelque chose de plaisant, de voir M. Maugis forcé de descendre par le trou. La Gnomide après avoir su que tout ce qui doit composer le Trésor est préparé, dit qu’elle ne manquera point de se montrer à M. Maugis sitôt que le Chevalier les aura fait avertir que Madame Raimond sera prête d’arriver. Dans ce moment ils découvrent de la lumière par le trou, et ne doutant point de la venue de M. Maugis, ils vont se cacher pour lui chercher le Trésor. M. Maugis à qui la Gnomide ne fait montrer que le trou pour entrer dans le Château, paraît dans le haut avec Crispin qui tient un Flambeau, et les Instruments qu’elle l’a averti de faire apporter pour remuer la terre. Le Gnome qui les a conduits jusques à ce trou, s’échappe aussitôt, et les laisse seuls. Cette descente leur paraît fort difficile, à cause de la hauteur. Crispin en est alarmé. M. Maugis le rassure, et dit qu’il faut un peu hasarder pour se faire riche. Ils regardent avec le Flambeau, et aperçoivent des Pierres qui avancent, et sur lesquelles il leur est aisé de mettre les pieds. Crispin oblige son Maître à descendre le premier, et se couche de son long pour lui tenir le Flambeau le plus bas qu’il peut. M. Maugis étant descendu, Crispin qui tremble de peur de rencontrer des Esprits, lui conseille de chercher le Trésor tout seul, et ne pouvant le persuader, il attache le Flambeau à sa ceinture, le côté de la flamme derrière son dos, et descend de cette sorte. Quand il est en bas, il donne toutes les marques de frayeur dont un Valet peut être capable, et prie son Maître de le laisser respirer avant qu’ils aillent chercher le Trésor. À peine ont-ils fait quelques pas ensemble, qu’ils voient voler des Hiboux. La crainte de Crispin redouble. M. Maugis dit que les Cavernes sont le séjour ordinaire des Hiboux. Crispin prétend que ce sont des Diables. Cependant les Hiboux volent autour d’eux avec des battements d’ailes qui leur font craindre qu’ils n’éteignent leur Flambeau. Ils en veulent cacher la flamme, ce qu’ils ne peuvent sans se brûler ; et enfin malgré toutes leurs précautions, un des Hiboux éteint le Flambeau avec ses ailes. L’obscurité leur donnant de la frayeur, ils veulent regagner le trou par où ils sont descendus. Comme ils en approchent, la Muraille s’ouvre, et ils aperçoivent une Figure toute en feu. Elle est de relief, et paraît aussi brûlante que si elle était composée de charbons ardents. Crispin tombe à la renverse, et M. Maugis s’enfuit d’un autre côté. Cette Figure leur ayant causé toutes les frayeurs imaginables, disparaît un eu après. Crispin veut s’en retourner. M. Maugis qui témoigne moins de peur, apprend à Crispin que la Gnomide l’a préparé à ne s’étonner de rien, et qu’il ne saurait douter que ce ne soit elle qui vient de chasser le Spectre, et qui est cause qu’ils commencent à voir un peu clair, quoiqu’ils ne découvrent aucune lumière. Ils cherchent dans la Muraille s’il n’y a point quelque fente où le Trésor soit caché ; et en tâtonnant, Crispin reçoit un soufflet par une main qui sort de cette Muraille. Il crie, et demande à M. Maugis s’il n’a point aussi reçu un soufflet. Dans cet instant les lumières se retirent, et l’on voit paraître dans la Muraille des Lettres en feu. Elles forment ces paroles. Levez la Pierre qui est au milieu de cette Salle. M. Maugis qui va chercher cette Pierre, dit que le Trésor est trouvé, et qu’il n’y a plus qu’à ouvrir la terre. Ils prennent tous deux des Instruments pour cela, et à peine la Pierre est-elle levée, qu’il sort de ce trou un grand nombre de Reptiles. M. Maugis et Crispin se sauvent vers la Muraille chacun d’un côté, et il en sort deux Serpents ailés qui jettent du feu, et qui sifflent. Leur frayeur est grande. M. Maugis commence à trembler, et pris la Gnomide de venir à son secours. Crispin voyant la lumière qui revient, court vers le trou pour s’échapper sans son Maître ; mais il n’a pas sitôt le pied sur la première des Pierres qui doivent lui servir à remonter, qu’il trouve un autre Serpent qui se roule sur tout ce passage. M. Maugis prend cela pour un bon signe, et dit que puisqu’on les force à demeurer, c’est une marque qu’on ne veut pas qu’ils sortent de ce Château qu’avec le Trésor. Tous les Serpents étant disparus, et M. Maugis s’approchant du lieu d’où ils ont tiré la Pierre, il dit qu’il y voit un Mort qui lui paraît habillé comme un Sénateur Romain, et qu’on ne doit point douter qu’il ne soit couché sur le Trésor. Crispin conseille à son Maître de laisser les Morts en paix. M. Maugis qui s’obstine à le lever, oblige Crispin à le prendre d’un côté, tandis qu’il le prend de l’autre. Ils l’apportent sur le devant du Théâtre, et le Mort s’y tient debout. Il parle ensuite, et leur apprenant que le Trésor est à l’endroit même d’où ils l’ont tiré, il leur ordonne de le venir embrasser pour remerciement. Crispin le va embrasser après son Maître, et ne trouve entre ses mains que l’Habit du Mort. La frayeur qu’il a, n’empêche pas qu’il n’accompagne M. Maugis à l’endroit marqué pour le Trésor. Ce Trésor s’élève, et ils découvrent des Vases, et quelques Coffrets pleins de Diamants. Ils veulent les emporter, mais tous leurs efforts étant inutiles pour les tirer du lieu où ils sont, la Gnomide avertie que madame Raimond va venir, se montre à M. Maugis, et lui reprochant l’infidélité qu’il lui a faite en baisant la main d’Angélique, elle lui déclare qu’il ne doit espérer aucun Trésor qu’il ne l’ait satisfaite sur cette injure. M. Maugis lui promet de ne plus voir Angélique que pour la traiter avec le mépris le plus outrageant. La Gnomide lui répond qu’elle va voir s’il tiendra parole ; que comme les Habitants Élémentaires savent tout ce qui se passe sur la terre, elle ne peut ignorer que Madame Raimond lui amène cette Angélique dans le Château, et qu’il prenne garde à ce qu’il dira, parce qu’elle est près quand on la croit loin. Elle se retire, et Madame Raimond entre, menée par le Chevalier, et accompagnée de sa Fille. Les mépris que fait paraître M. Maugis, sont cause qu’elle la promet au Chevalier, et M. Maugis lui-même le prie de se marier avec Angélique. Ils sortent tous, et Crispin les suit, aimant mieux sortir en compagnie, que de remonter par le trou avec son Maître. Le Comte de Gabalis, et le Marquis comme Silphe, se montrent un peu après. Le Comte lui dit, qu’ayant vu son embarras par les lumières qui ne manquent point aux Cabalistes, il est venu aussitôt, et qu’en arrivant, il a trouvé la Gnomide qui sortait fort indignée contre lui, et jurant de se venger. M. Maugis craint la colère de cette Gnomide, et prie le Comte et le Silphe de faire sa paix. Le Marquis lui promet de l’adoucir, pourvu qu’il consente que le lendemain il épouse Mariane. M. Maugis lui en donne sa parole, et ils sortent du Château pour retourner chez le Comte, qui l’engage à venir signer sur l’heure des Articles selon l’usage de la Cabale, entre Mariane et le Marquis, qu’il croit toujours Silphe.

PDF