La Peur du mal (Jacques-François ANCELOT - Louis LURINE)

Comédie en un acte, mêlée de chant.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 25 novembre 1833.

 

Personnages

 

LORD HENRI LORD MORTON, pair d’Angleterre

LORD ARTHUR DANLEY, pair d’Angleterre

LORD SPEAR, agent de la cour

UN DOMESTIQUE

LADY MORTON, femme de lord Henri

LADY VALMORE, jeune veuve

POLLY, femme de chambre de lady Morton

 

La scène se passe à Londres, chez lord Morton.

 

Le Théâtre représente un salon, trois portes au fond, dont deux petites : Portes de chaque côté. Deux tables : sur celle de gauche, des journaux ; ce qu’il faut pour écrire, sur celle de droite.

 

 

Scène première

 

LORD MORTON, LORD SPEAR, assis à droite

 

LORD MORTON.

Vous disiez donc, milord ?

LORD SPEAR.

Je disais que, décidément, le gouvernement représentatif en Angleterre est une véritable poule au pot.

LORD MORTON.

Pour la cour, ou pour le peuple ?

LORD SPEAR.

Je ne parle jamais du peuple.

LORD MORTON.

Il ne vous le rend pas, milord, je vous le jure ; car le peuple s’occupe fort souvent de vous.

LORD SPEAR.

Oui, je jouis d’une immense, d’une magnifique impopularité ! mais avouez du moins que je veux me venger en ennemi généreux.

LORD MORTON.

Comment cela ?

LORD SPEAR.

En venant déposer une fraction du pouvoir royal aux pieds du chef de l’opposition.

LORD MORTON, souriant.

Ah ! je conçois.

LORD SPEAR.

Et moi je ne puis vous concevoir, vous, lord Henri Morton, aristocrate par naissance...

LORD MORTON.

Ce n’est pas vous qui m’en ferez un reproche.

LORD SPEAR.

Royaliste par honneur.

LORD MORTON.

Vous seriez heureux qu’il y en et beaucoup comme cela.

LORD SPEAR.

Libéral par goût.

LORD MORTON.

Ceci vous plaît moins.

LORD SPEAR.

Homme du peuple par système.

LORD MORTON.

ce que vous ne comprenez plus, n’est-ce pas, milord ?

LORD SPEAR.

Je l’avoue.

LORD MORTON.

Ce n’est pas avec l’esprit que l’on comprend le dévouement.

LORD SPEAR, à part, en se levant.

Il faut absolument mettre cet homme-là au pouvoir pour changer ses idées.

LORD MORTON, à part.

Ils arriveront où je veux les amener.

LORD SPEAR.

Acceptez-vous nos propositions ?

LORD MORTON.

Non, milord.

LORD SPEAR.

Que voulez-vous donc ?

LORD MORTON.

Je vous l’ai déjà dit, le cabinet se débat en vain contre l’opinion publique.

LORD SPEAR.

C’est-à-dire contre la vôtre et celle de vos amis.

LORD MORTON.

Les conditions de mon entrée au ministère sont unes, parce qu’elles ressortent d’un principe, et non d’un caprice.

LORD SPEAR.

Quoi ! une transaction n’est-elle pas ?...

LORD MORTON.

Impossible. Je n’accepterais qu’avec le choix de mes collègues à ma disposition.

LORD SPEAR.

C’est votre dernier mot ?

LORD MORTON.

Tout-à-fait ! ma motion est prête ; dans l’intérêt du peuple, je crois devoir la prononcer ce soir à la tribune ; mes amis la soutiendront, et vous savez s’ils sont nombreux.

LORD SPEAR, à part.

Allons ! il lui faut trois mois de ministère pour le corrompre, ou le dépopulariser.

LORD MORTON, à part.

Ah ! je réussirai !...

Haut.

Mais quel est ce bruit ?

 

 

Scène II

 

LORD MORTON, LADY MORTON, entrant émue et précédée de deux domestiques, LORD SPEAR

 

LORD MORTON.

Que vois-je, milady ? d’où vient ce trouble, cette émotion ?

LADY MORTON.

Ah ! mon ami, de quel affreux danger lord Arthur Danley vient de me sauver !

LORD MORTON.

Que vous est-il donc arrivé ?

LADY MORTON.

Rien, grâce à lui !

À lord Spear.

Ah ! milord, je vous salue. C’est une bonne fortune de vous trouver ici.

LORD SPEAR.

J’ose à peine accepter ces mots si flatteurs pour moi, tant je crains de les avoir peu mérités.

LADY MORTON.

En ce cas, prenez l’avenir pour le passé, et acceptez toujours.

LORD SPEAR.

On n’est pas plus aimable ! mais, milady, vous parliez de danger ?

LADY MORTON.

Sans le prompt secours de lord Arthur, mes chevaux qui m’emportaient m’auraient brisée contre un monceau de pierres à deux pas d’ici.

LORD MORTON.

Grand Dieu ! vous êtes donc sortie avec ce nouvel attelage ?... je vous avais priée d’attendre encore.

LADY MORTON.

Il a fait l’admiration du Parc : mais, en tournant au coin de la dernière rue, près d’ici, les chevaux se sont effrayés, et le cocher ne pouvait plus les retenir, quand lord Danley, qui passait m’a reconnue, s’est jeté en travers et les a arrêtés au péril de sa vie.

Air de Simple Histoire.

Voyez quel était mon danger !
C’en était fait ; plus d’espérance !
Lord Arthur paraît, il s’élance,
Peut périr, mais, sans y songer,
Lui seul ose me protéger.
Mes chevaux, que sa main arrête,
Frémissent sous son bras vainqueur.
Pardon ! Je tremble encor de peur !
Hélas, le trouble de ma tête
A passé jusque dans mon cœur !

LORD MORTON.

En vérité ?

LADY MORTON.

Il m’a dit n’être pas blessé, mais je crains qu’il n’ait voulu se dérober à l’expression de ma reconnaissance, et je vais envoyer...

LORD SPEAR, à part.

Lord Arthur !... On me l’avait bien dit !

LORD MORTON.

Remettez-vous, remettez-vous ; Lélia : vous êtes dans une agitation !...

LADY MORTON.

Savez-vous que c’était risquer ses jours que se précipiter ainsi sur les chevaux ?

LORD MORTON, l’examinant.

Ah !...

LORD SPEAR, remarquant l’attention de Morton.

Qui aurait hésité en pareil cas ? Et d’ailleurs, lord Danley est homme de courage... puis, quand on a vingt-deux ans, qu’on est pair d’Angleterre et homme à la mode, on n’est pas fâché d’un événement qui donne l’occasion de se montrer zélé et heureux protecteur des femmes.

UN DOMESTIQUE, annonçant.

Lady Valmore.

 

 

Scène III

 

LORD MORTON, LADY VALMORE, LADY MORTON, LORD SPEAR

 

LORD VALMORE.

Eh ! bonjour, ma chère amie !... Que viens-je d’apprendre ? Lord Arthur dangereusement blessé, en vous sauvant !... Cela est-il vrai ?

LADY MORTON.

Blessé !... lui !...

À part.

Que ne me laissait-il périr ?

LORD SPEAR.

Comment, lady Valmore ; que savez-vous ?

LADY VALMORE.

Une foule immense était rassemblée tout près d’ici ; ma voiture ne pouvait avancer ; mes gens se sont informés : « Lord Arthur Danley, dit-on, a sauvé les jours de milady Morton, que ses chevaux emportaient ; mais ensuite il est tombé sans connaissance ! »

LADY MORTON, à part.

Grand Dieu !...

LORD MORTON, à part.

Quelle émotion !

LORD SPEAR.

Il a des soupçons.

LADY VALMORE.

Ah ! ça, vous ne le saviez donc pas ? Moi, qui venais ici pour apprendre la vérité !... Je cours à l’instant m’informer ailleurs...

LADY MORTON.

Oh ! oui, ma chère amie, allez !...

UN DOMESTIQUE, entrant.

Lord Danley envoie savoir des nouvelles de milady, et fait demander s’il peut avoir l’honneur de se présenter chez elle.

LADY MORTON, à part.

Ah !... il n’est donc pas blessé ?...

Haut.

Sans doute, sans doute ! qu’il vienne ! je serai charmée de le voir.

Le Domestique sort.

LADY VALMORE.

Quel bonheur !

LORD MORTON.

Mon Dieu ! milady, quel intérêt il vous inspire !

LADY VALMORE.

Ah ! si vous connaissiez comme moi lord Arthur Danley...

LORD MORTON.

Mais je le connais.

LADY VALMORE.

Oui, vous l’avez vu au Parlement, où il est votre adversaire, où il soutient la monarchie...

LORD MORTON, souriant.

Dites le ministère.

LORD SPEAR.

C’est la même chose.

LORD MORTON.

Pas tout-à-fait !... heureusement pour la monarchie.

LADY VALMORE.

Si vous saviez combien il est aimable et fait pour plaire, vous trouveriez mon inquiétude bien naturelle ; mais vous, milord, vous ne l’avez vu qu’à la chambre haute avec son ennuyeux masque politique ; et vous, ma chère, vous ne le connaissez pas du tout.

LADY MORTON, un peu troublée.

Dans les bals, dans les spectacles, je l’ai rencontré souvent. Il m’a paru... fort bien... Jamais, pourtant, une conversation longue ou intime n’a pu me faire juger cet esprit qui lui vaut de si brillants succès. Vous le connaissez, vous, milady ?

LADY VALMORE.

Et je ne connais rien de plus charmant.

LORD SPEAR.

Oh ! il a enchaîné la mode !... mais de toutes les femmes, celle-là est bien la plus capricieuse, et son choix est parfois difficile à expliquer.

LORD MORTON.

Pas tant que vous le croyez, milord ; la recette est maintenant bien connue. Quelques duels sans danger, quelques chevaux de prix qu’on n’a pas payés ; quelques femmes compromises, dont on n’eut jamais rien ; des habits et des gants, comme personne n’en porte ; quelques impertinences élégantes, adressées à des personnes qui n’en peuvent tirer vengeance ; ajoutez à cela de l’audace, du dédain, placez le tout sur la nullité la plus complète de l’époque, et vous aurez un homme à la mode.

LADY MORTON, à part.

Quelle odieuse injustice !

LADY VALMORE.

Voilà bien les maris ! Ils sont ennemis nés de tout homme à bonnes fortunes.

LORD SPEAR.

Comme les propriétaires sont ennemis des voleurs.

LADY MORTON.

Mais les propriétaires, du moins, de négligent pas le bien qu’ils veulent garder.

LORD MORTON.

Il est des choses qui se gardent elles-mêmes ou qu’on ne garde pas.

LADY VALMORE, à part.

Lord Danley, durant la promenade, n’a pas quitté la portière de ma voiture ; il montait un cheval arabe, que lui seul a pu dompter, et sa tournure élégante attirait tous les yeux. Si vous aviez vu quels regards m’a lancés Mme Dalvis ? c’était à mourir de rire ! En vérité, ces femmes de banquier ont main tenant des prétentions incroyables !

LADY MORTON.

Lord Arthur l’aimerait-il ?

UN DOMESTIQUE, annonçant.

Lord Danley !

 

 

Scène IV

 

LORD MORTON, LORD SPEAR, LADY VALMORE, LORD ARTHUR DANLEY, LADY MORTON

 

LORD ARTHUR.

Combien je vous dois de reconnaissance, milady, pour m’avoir permis de me présenter chez vous !... J’éprouvais une inquiétude...

LADY MORTON.

Oh ! je suis parfaitement bien maintenant ; mais vous-même, milord ?

LORD ARTHUR.

Moi, je suis trop heureux !... je ne m’attendais pas au plaisir de rencontrer ici lady Valmore.

LADY VALMORE.

Que le bruit de votre accident avait épouvantée.

LORD ARTHUR.

Que de bonté !...

À Morton. 

J’offre mes salutations empressées à notre sévère mais loyal censeur ; et je ressens de la joie de voir ici lord Spear : l’agent habile de la cour près du chef de l’opposition !... C’est une espérance peut-être ?

LORD MORTON.

Non, milord ; car, vous l’avez dit, votre adversaire est loyal, et l’habileté échouera devant la franchise et la conviction.

LORD SPEAR, à part.

C’est ce que la suite nous apprendra.

LORD ARTHUR.

Nos ennemis ne se contentent donc pas de nos craintes, ils veulent encore notre estime ?

LORD MORTON.

Ce soir, vous entendrez mon opinion, que je dois développer au parlement. Quel bonheur pour le peuple, si nous l’emportons ! c’est une affaire de la plus haute importance.

LADY VALMORE, à lord Arthur.

Les birka les plus nouveaux doivent-ils encore être peints en brun, et la couleur noisette n’est-elle pas de meilleur goût ?

LORD ARTHUR.

L’une et l’autre sont passées de mode, le bleu domine.

LORD MORTON.

Ah !... j’oubliais que lord Danley se connaît mieux en chevaux et en tilburys...

LORD ARTHUR.

Pardonnez-moi, milord... Vous disiez que la proposition portée au Parlement par le ministère ?...

LORD MORTON.

Sera rejetée à une grande majorité.

LORD ARTHUR, bas, et se penchant vers lady Morton.

Milady...

Il s’arrête,, et semble rendre son attention à Morton.

LORD MORTON.

Le gouvernement sera forcé de la retirer.

LORD ARTHUR, regardant lady Morton.

Oh ! nous n’abandonnerons pas si aisément qu’on le croit une espérance d’où dépend notre gloire.

Bas à lady Morton.

Et tout notre bonheur.

Il laisse voir un billet à lady Morton.

LADY MORTON, à part.

Quelle imprudence !

LADY VALMORE, à Morton.

Y pensez-vous ? lord Arthur n’a pas coutume de s’occuper des choses dont vous lui parlez là.

LORD MORTON, se tournant vers la table.

J’ai consigné ici tout ce que je veux faire comprendre au Parlement.

LORD ARTHUR, bas, se penchant vers lady Morton, sa lettre à la main.

Je vous en conjure...

Elle semble hésiter.

LORD MORTON, prenant des papiers sur la table.

Vous verrez que l’amour du bien public m’inspire seul.

ARTHUR, bas, passant derrière lady Morton, et glissant sa lettre sur la table.

C’est vous seule qui m’occupez !

Après avoir placé sa lettre, il reprend sa place et dit à part.

il faudra bien qu’elle la  prenne !

LADY MORTON, à part.

Qu’a-t-il fait ? Dieu ! si lord Morton voyait cette lettre ?...

Elle saisit la lettre et la cache vivement ; Arthur, qui est place de manière à masquer ses mouvements, s’est retourné du côté des autres interlocuteurs.

LORD ARTHUR.

Il est bien heureux, en vérité, que des hommes de votre mérite se consacrent exclusivement aux affaires ; et j’apprécie plus que personne un dévouement aussi utile à vos compatriotes.

LADY VALMORE.

Depuis un quart d’heure, milord, je vous écoute, et jamais je ne vous vis ainsi ! il est temps que je vous arrache à cette conversation politique, diplomatique et narcotique, qui ferait bientôt du plus aimable de nos dandys le plus ennuyeux de nos hommes d’état.

LORD ARTHUR, souriant.

Vous trouvez donc que je deviens trop raisonnable ?

À lady Morton.

Qu’en pense milady ?

LADY MORTON.

Je pense que cette nouvelle idée sortira peut-être de votre esprit aussi promptement que celles qui déjà l’ont occupé.

LORD ARTHUR.

On commence parla folie ; mais, quand on arrive à la raison, c’est pour toujours.

LADY VALMORE.

Toujours !... eh ! bon Dieu, où allez-vous chercher de pareils mots ?... Je ne les croyais pas dans votre dictionnaire. Voyons, milord, voulez-vous bien me donner la main ?

LORD ARTHUR.

Je suis à vos ordres.

À lord Morton.

Lord Morton me permettra, j’espère, de venir discuter avec plus de détails et les idées et les projets sur lesquels nous ne sommes pas tout-à-fait d’accord ?

LORD MORTON.

Sans doute ; et nous les discuterons mieux encore au Parlement.

LORD ARTHUR.

Mais nous nous entendrons mieux ici ; et si milady daigne m’autoriser à lui présenter quelquefois mes hommages ?...

Lady Morton, fort troublée, s’incline.

LADY VALMORE.

Eh ! sans doute, on vous y autorise ; mais l’heure s’avance, et vous m’avez promis votre main.

Air de la Valse des Comédiens.

Loin de cos lieux le plaisir vous appelle,
Dans Hyde-Park la foule nous attend ;
Chacun de nous à ses goûts est fidèle,
À nous la mode !

À lord Morton.

à vous le parlement !

Ensemble.

LORD ARTHUR.

Loin de ces lieux, etc.

LADY SPEAR, LORD MORTON.

Loin de ces lieux le plaisir vous appelle ;
Dans Hyde-Park la foule vous attend ;
Chacun de nous à ses goûts est fidèle,
À vous la mode, à nous le parlement !

LADY MORTON, à part.

Loin de ces lieux le plaisir les appelle,
Dans Hyde-Park la foule les attend ;
Il jure ici qu’il deviendra fidèle,
Mais qui pourrait compter sur son serment ?

 

 

Scène V

 

LORD MORTON, LORD SPEAR, LADY MORTON

 

LADY MORTON, à part.

Comme je tremble !

LORD MORTON, revenant en scène.

Allons, il vaut mieux que je ne croyais.

LORD SPEAR.

Milord, suis-je bien le porteur de vos dernières volontés ?

LORD MORTON.

Mon parti est irrévocable.

LORD SPEAR.

Adieu donc !... permettez, milady, que j’aie l’honneur de prendre congé de vous.

LADY MORTON, à part, tandis que lord Morton conduit lord Spear.

Oh ! non, non ! jamais !... je lui renverrai sa lettre !

 

 

Scène VI

 

LORD MORTON, LADY MORTON

 

LADY MORTON.

Enfin, nous voilà seuls, Henri : cela nous arrive bien rarement.

LORD MORTON.

Oui, des affaires sans nombre...

LADY MORTON, s’asseyant près de la table à gauche.

Mais en attendant l’heure de la séance, venez ici, mon ami ; causons comme autrefois... comme il y a cinq ans.

LORD MORTON.

Cinq ans ?... ah ! c’est l’époque de notre mariage, à Malte.

LADY MORTON.

Oui !... ne me laissez pas encore seule, je vous en prie !... vous souvient-il qu’alors...

LORD MORTON.

Alors ma je n’étais pas l’esclave de cette responsabilité que situation d’aujourd’hui fait peser sur moi. En ce moment encore une inquiétude nouvelle me tourmente ; si mes amis n’étaient pas tous à la séance, s’ils allaient faiblir ?... Si j’é houais ?... oh ! il faut que je les revoie.

Il cherche ses gants et son chapeau.

LADY MORTON, avec inquiétude.

Vous partez ?...

LORD MORTON.

Je n’ai pas un moment.

LADY MORTON, tristement.

Pour moi.

LORD MORTON.

Il est de la plus haute importance que je les revoie ce matin.

LADY MORTON, avec amertume.

Rien ne peut donc vous retenir ?

LORD MORTON.

Excusez-moi !... je n’ai pas une minute à perdre.

Il sort.

 

 

Scène VII

 

LADY MORTON, seule

 

Et voilà donc quelle serait toute ma vie !... jamais un mot de tendresse ! jamais une heure de confiance !... et tout sacrifier à cet esclavage !... Henri, Henri !... je t’appelais à mon secours, et tu m’as repoussée !... ton affection n’existe plus pour protéger mon cœur contre les séductions, contre... l’amour !

Air : Soldats français (Julien).

Oui, je le sens, l’amour parle, il est là !
Je peux céder à sa coupable ivresse ;
Pour résister, ce cœur qui t’appela,
Voulait encor s’armer de ta tendresse !
Hélas, ce sera donc en vain
Que je recule au seul aspect du crime ?

Quand je m’arrête au milieu du chemin,
Quand je l’appelle, il retire sa main,
Et me laisse au bord de l’abîme !

Arthur ! oh quel nom !... qu’il est puissant !... que de fois, depuis six mois, il a fait rougir mon front !... et pourtant, à peine quelques mots échangés... mais ses regards, ses soins, son amour m’ont suivie dans le monde ; ils m’ont consolée de l’indifférence, et défendue contre les douleurs de l’abandon ! Sa lettre ! la voilà ! ah ! je sais d’avance ce qu’elle renferme !...

Elle lit bas.

Oui, je le savais ! Arthur, vous m’aimez !... je ne suis donc pas seule au monde ! il y a un cœur qui bat à mon approche, qui s’afflige de mon absence, dont le bonheur dépend de moi ; de moi, abandonnée de celui que j’aimais ; de moi, qui sans Arthur n’aurais plus un intérêt dans ce monde !...

Elle va se placer à la table de droite et écrit.

« Oui, Arthur, moi aussi je maudis ces liens qui nous séparent, et qui m’ôtent le bonheur de vivre pour vous seul ! »

Elle continue d’écrire, ferme sa lettre et sonne.

Ah ! comme mon cœur bat !...

Un domestique entre par le fond, elle lui remet sa lettre.

Qu’on porte cette lettre à son adresse !

Le domestique sort, lady Morton revient s’asseoir.

Mon Dieu ! mon Dieu !

 

 

Scène VIII

 

LADY MORTON, POLLY, entrant par la porte de droite

 

POLLY.

Milady avait sonné ?

LADY MORTON.

Oui, mais j’ai remis ma lettre à un domestique.

POLLY.

Je le sais : milady est-elle donc malade ?

LADY MORTON.

Moi !

POLLY.

Vous tremblez, ma chère maîtresse !

Elle s’approche, lady Morton s’appuie sur elle.

LADY MORTON.

Polly !...

Elle pleure.

POLLY.

Vous l’aimez donc bien ?

LADY MORTON, étonnée.

Qui ?

POLLY, à demi-voix.

Lord Arthur.

LADY MORTON, se levant.

Silence, Polly !... qui te l’a dit ?

POLLY.

Votre trouble, vos larmes !... Ne vous suis-je pas dévouée dès l’enfance ? vos peines ne sont-elles pas les miennes ?

LADY MORTON.

Oui, tu m’aimes, toi !

POLLY.

Vous le savez !... mais, milady, si lord Morton !...

LADY MORTON.

Il m’a trompée !

POLLY.

Comment ?

LADY MORTON.

Écoute-moi, Polly, mon cœur est trop plein ; il a besoin de s’épancher ; écoute, et vois combien je suis à plaindre.

POLLY.

Est-il possible ?

LADY MORTON.

Ce monde hypocrite me condamnera, mais, toi du moins, tu m’accorderas ta pitié... Tu le sais, Henri Morton m’avait dit : « Je t’aime, et pour toute la vie ! » Et moi, née à Malte, sous ce ciel étincelant d’amour et de lumière qui échauffe mon beau pays, quand je connus Henri, j’entrais dans ma seizième année, et je lui donnai toute ma tendresse, toutes mes pensées, tout mon avenir, à lui, simple lieutenant, cadet d’une famille qui le voyait avec indifférence ! Eh bien ! Polly, cet amour si tendre, si dévoué, ne fut pour lui qu’un passetemps ; car, lorsque la mort de son frère aîné le fit riche et pair d’Angleterre, que devint sa femme, la pauvre Lélia ? Il m’amena ici sous ce ciel triste et froid comme son cœur, moi qui, pour vivre, avais besoin de soleil et d’amour ! Je fus oubliée dans ces riches appartements, pendant que lui, occupé de je ne sais quelle idée qu’il appelle gloire, que ses amis nomment ambition, il est devenu sourd à ma voix, insensible à ma tendresse ! Que pouvais-je faire, Polly, moi qui ne savais qu’aimer ? J’allais mourir, quand des regards de feu ont cherché mes regards ; quand une âme aimante demanda de l’amour à la mienne. J’ai aimé Polly !... j’ai aimé !... et mon sort à présent dépend de lord Arthur.

POLLY.

Ah ! ma pauvre maîtresse !... que de malheurs je crains pour vous ! Il est si jeune, et l’on dit pourtant que déjà le bonheur de bien des femmes a payé ses plaisirs.

LADY MORTON.

Il ne les aimait pas.

POLLY.

Son cœur...

LADY MORTON.

Est si noble et si bon !

POLLY.

Vous le voyez ainsi, mais les visages sont trompeurs.

LADY MORTON.

Le sien porte l’empreinte de son âme si belle.

POLLY.

Ah ! madame, prenez garde !...

LADY MORTON.

Eh quoi ! toi aussi !... pourquoi calomnier le seul cour qui puisse consoler mes chagrins ?

POLLY.

Je souhaite qu’il n’y ajoute pas !... Mais, j’entends monter, quelqu’un revient ici !... Milady, c’est lui !

Elle va voir à la porte du fond.

LADY MORTON.

Dis-tu vrai ?

POLLY.

C’est lui-même ; je vous laisse.

Elle sort par la porte de gauche.

UN DOMESTIQUE, annonçant.

Lord Arthur Danley.

LADY MORTON.

Qu’il entre.

 

 

Scène IX

 

LADY MORTON, ARTHUR

 

ARTHUR, entrant.

Seule, enfin !

LADY MORTON, troublée et détournant les yeux.

En vérité, milord, je...

LORD ARTHUR, la regardant attentivement.

Que je suis heureux !

LADY MORTON.

Milord !...

LORD ARTHUR, d’un ton gracieux, mais un peu familier.

Ah ! laissez-moi voir ces beaux yeux, qui déjà m’ont appris tout mon bonheur !... ne détournez pas ce visage dont le trouble charmant...

LADY MORTON.

Je n’attendais pas...

LORD ARTHUR.

Pourquoi rougir ainsi ? Est-ce de joie, d’amour ou de colère ?

LADY MORTON a l’air de prendre un parti ; elle lui tend la main, s’assied ; il baise sa main, et s’assied près d’elle.

Je ne mentirai pas à mon cœur, lord Arthur ! Vous écouter est une faute, je le sais ; mais ceux qui m’accuseront n’ont pas lu dans ce cœur : ils ne savent pas combien il faut de chagrins à une aine élevée pour se résigner à être coupable...

LORD ARTHUR.

Voyez ma joie, belle Lélia ! être aimé de vous, de lady Morton, de la femme qu’on cité dans toute l’Angleterre, de celle que tant de soins et d’hommages entourèrent, et qui est depuis si longtemps l’objet de ma tendresse !

LADY MORTON, souriant.

Longtemps... Vous donneriez des doutes sur votre constance, lord Arthur, si vous prétendiez que six mois...

LORD ARTHUR.

Mon impatience était telle, qu’ils m’ont paru de longues années, ces jours d’attente et d’inquiétude.

LADY MORTON.

Puis-je croire à ces sentiments qu’on vous accuse d’accorder si promptement et de retirer si vite ?

LORD ARTHUR.

Oh ! n’achevez pas, belle Lélia ! que ces calomnies ne pas sent point par votre bouche ! elles commenceraient à m’affliger, moi, qui souvent ai ri quand on m’accusait d’inconstance ! Vous, douter de mon amour ! Lélia, ce serait injuste ; j’en suis trop fier et trop heureux.

LADY MORTON.

Mon cœur a tant besoin d’y croire, que mes doutes ne sont peut-être qu’un désir de vous l’entendre affirmer de nouveau.

LORD ARTHUR.

Combien nos fêtes si magnifiques, nos réunions si brillantes vont maintenant s’embellir pour moi !

Air : Jamais je n’aurais la faiblesse.

Lorsque la foule, accourant sur vos traces,
Au sein des jeux qui peuplent nos loisirs,
Admirera vos attraits et vos grâces,
Soupçonnez-vous quels seront mes plaisirs ?
Seul je pourrai comprendre le mystère
De vos regards qui viendront nous charmer ;
À mes rivaux ils diront : je veux plaire !
Ils me diront à moi : je sais aimer !

LADY MORTON.

Le monde ?... oh ! non !... C’est dans la solitude, dans l’échange des idées, dans ces émotions qui viennent de l’âme, que sont toutes les félicités de la vie.

LORD ARTHUR, un peu étonné.

Oui, sans doute, les sentiments les plus tendres...

LADY MORTON.

Sont le seul bien qui satisfasse le cœur et puisse l’occuper... Écoutez-moi, lord Arthur, et connaissez toute mon âme !... Ces fêtes, ces plaisirs, je veux y renoncer.

LORD ARTHUR.

Moi, vous enlever à ce monde, dont vous êtes le plus bel ornement !

LADY MORTON.

Quand l’amour fait oublier à une femme et les devoirs qui lui sont imposés, et les dangers auxquels elle s’expose, peut-il lui rester une pensée pour la vanité ? L’amour n’est une passion qu’autant qu’il efface toutes les autres ; il est tout, ou il n’est rien.

LORD ARTHUR, se rapprochant.

C’est le plus doux des plaisirs, Lélia, mais les autres il ne les exclut pas.

LADY MORTON.

Ah ! je sais qu’il existe dans le monde de ces liaisons qui n’ont pas même pour excuse l’entraînement du cœur ; qui sont à peine une occupation de l’esprit ; qui laissent place à toutes les distractions de la société, à tous les calculs de la vanité et de l’ambition.

Air : Je sais attacher des rubans.

Mais ce sentiment passager,
Qui glisse à peine sur notre âme,
Peut-il effacer le danger
Auquel il condamne une femme ?
Quand nous sentons au fond du cœur
Les tourments qu’entraîne une faute,
S’il ne nous les paie en bonheur,
L’amour vaut-il ce qu’il nous ôte ?

LORD ARTHUR, lui prenant la main.

Comme vos beaux yeux s’animent, quand vous parlez ! et que votre voix est douce à entendre !

LADY MORTON.

Je sais aussi qu’il existe des hommes qui n’apportent auprès d’une femme que l’intérêt qu’ils prennent à un combat de coqs ou à une course de chevaux, et qui ne sacrifieraient pas l’une à l’autre.

LORD ARTHUR.

Ne calomniez pas nos usages, belle Lélia !... Il y a tant de chances de malheur dans cette vie, qu’il faut tâcher d’avoir pour soi toutes les chances de plaisir : on les perdrait par un sentiment trop exclusif, et puis on risquerait le ridicule.

LADY MORTON.

Qu’importe, si l’on est heureux ? Qu’a-t-on besoin des autres et de leur opinion ? Le seul bonheur de l’amour n’est-il pas d’aimer ?

LORD ARTHUR, lui baisant la main.

Ah ! je le sens près de vous !... Mais votre bonheur ne s’augmentera-t-il pas des succès et des éloges qu’obtiendra celui qui vous est cher ? de l’envie des autres femmes ? de vo triomphes sur elles dans ces fêtes, où vous êtes la plus belle, et où je serai, moi, le plus heureux ? D’ailleurs, ne faut-il pas distraire sa solitude ?

LADY MORTON.

La lecture, les arts ne peuvent-ils donc l’occuper ?

LORD ARTHUR, souriant.

Lire ?... À quoi bon ! N’ai-je pas toute la science qu’il me faut, si je suis assez heureux pour vous plaire ? Non !... quel bonheur de vous voir, à Hyde-Parc, exciter l’envie et l’admiration des promeneurs !... Car vous avez le plus bel attelage gris-pommelé qu’il y ait à Londres, et personne n’a des chevaux arabes comparables aux miens !... Concevez-vous mon frère ? il est amoureux de lady Blumm, qui se promène avec la plus laide paire de rosses des Trois-Royaumes... Mais il dit c’est une savante, ce que nous nommons un bas-bleu !... c’est la pire espèce de femmes, n’est-il pas vrai, belle Lélia ?... Comment se fait-il que vous la voyiez, vous, la femme à la mode, vous, si gracieuse et si jolie ?

LADY MORTON, d’un ton plus froid.

Qu’entends-je, lord Arthur ?... Quoi ! aucune occupation sérieuse n’emploie une partie de votre temps ?

LORD ARTHUR.

N’ai-je donc point le parlement, où je dois mon vote au ministère les jours où il veut faire passer une loi ?... Ah ! nous avons un rude adversaire dans lord Morton !... Puissions-nous être assez heureux pour l’emporter en tout sur lui ?

Il se rapproche ; elle se recule.

Mais il semblerait que vos regards sont devenus plus sévères pour moi !... Lélia, je vous aime ! vous n’en doutez pas, je ?...

LADY MORTON, souriant.

Vous m’aimez ?... mais quelles preuves ?...

LORD ARTHUR.

Sommes-nous donc encore au temps des Amadis, où il fallait, par des exploits incroyables, prouver l’amour qu’on ressentait ?

LADY MORTON, d’un ton un peu moqueur.

On le pourrait encore par de grandes et nobles actions... Mais ce n’est plus la mode... et l’amour aujourd’hui impose tout au plus l’obligation de bien monter à cheval, de choisir le tailleur le plus renommé, et de renouveler souvent ses équipages.

LORD ARTHUR.

Qu’importe les moyens, si l’on arrive au but ?

LADY MORTON, sérieuse.

Serait-il donc vrai, lord Arthur, que vous n’eussiez jamais connu ce sentiment qui vient de l’âme, et qui fait à l’instant disparaître tous les autres intérêts, tous les autres plaisirs ?

LORD ARTHUR, à part.

Mon Dieu ! comme elle est sentimentale !

Haut.

Je vous le répète, Lélia, les plaisirs sont trop peu nombreux pour qu’on renonce volontairement à un seul.

LADY MORTON.

Ainsi vous ne consentiriez pas à chercher dans la retraite celle qui ne verrait au monde que le bonheur de vous aimer ? Vous ne penseriez pas que vivre uniquement pour elle satisferait aux émotions de votre cœur ?

LORD ARTHUR, avec embarras.

La retraite... sans doute...

LADY MORTON.

Et s’il restait à votre esprit des désirs de gloire ou d’ambition de nobles et utiles travaux ne pourraient pas vous rattacher au monde ? des occupations sérieuses ne pourraient pas vous faire oublier ces distractions sans but, ces plaisirs sans intérêt, qui remplissent la vie d’ennuyeuses futilités ? Lord Arthur, l’amour et la gloire, n’est-ce pas assez pour votre âme ?

Il la regarde d’un air étonné.

Ou peut-être n’est-ce pas trop ?

LORD ARTHUR, s’approchant, et avec une gaieté caressante.

Vous êtes la plus jolie femme de Londres ! le plus grand bonheur est d’être aimé de celle qui est l’objet de tant d’hommages, de tant de vœux empressés... Mais, dites-moi, répétez-moi que nul de ces brillants dandys qui vous assiègent n’obtint jamais une préférence.

LADY MORTON a l’air un peu déconcerté de la manière d’être de lord Arthur, et sourit pendant le reste de la scène.

Pourquoi répondrais-je à vos questions ?... Vous ne répondez pas aux miennes ?

LORD ARTHUR.

C’est que jamais on ne m’en adressa de semblables.

LADY MORTON.

Et croyez-vous que j’en aie entendu de pareilles ?

LORD ARTHUR.

Vous devez comprendre l’intérêt que m’inspire le passé.

LADY MORTON.

Vous ne devinez pas celui que je prends à l’avenir.

LORD ARTHUR.

Vous êtes si jolie !

LADY MORTON.

Vous paraissez si frivole !

LORD ARTHUR.

Souvent, sans doute, on vous a parlé d’amour !

LADY MORTON.

Vous êtes si disposé à en parler sans cesse !

LORD ARTHUR.

N’avez-vous aimé que moi seul ?

LADY MORTON.

Est-ce moi seule que vous aimerez ?

LORD ARTHUR.

En pouvez-vous douter ?

LADY MORTON, se levant.

Ah ! parfois il arrive qu’on a un bandeau sur les yeux, et qu’un instant suffit pour le faire tomber.

LORD ARTHUR, se levant aussi.

Que voulez-vous dire ?

LADY MORTON.

Vous ne me comprenez pas ?

LORD ARTHUR.

Non, en vérité.

LADY MORTON.

Air nouveau de M. Doche.

Souvent l’amour n’est qu’un mensonge.
Il promet la félicité ;
Mais un moment chasse le songe,
Et le regret seul est resté !
On s’endormit avec une espérance ;
Puis, au réveil, on cherche en vain...
Loin de nous le bonheur s’élance,
Sans nous dire, hélas, à demain !

LORD ARTHUR à part.

Quel galimatias sentimental !

 

 

Scène X

 

LADY MORTON, LORD ARTHUR, POLLY

 

POLLY.

Milady, Sa Grâce lord Morton, vient de rentrer à l’hôtel.

LADY MORTON, un peu troublée.

Je crains que...

LORD ARTHUR.

Ma visite ne lui semble trop empressée ?... Eh bien ! je vais sortir sans l’attendre, si vous me permettez de vous revoir pendant qu’il siégera ce soir au parlement.

LADY MORTON, avec effroi.

Ce soir ?...

LORD ARTHUR.

Ah ! que penserais-je si vous me refusiez ma première demande ?

S’approchant de manière à n’être pas entendu de Polly.

Vous l’avez dit vous-même, l’amour est tout, ou il n’est rien.

LADY MORTON, rêveuse et inquiète.

Mon cœur a-t-il été compris vôtre !

LORD ARTHUR.

Qu’est-ce que de si beaux yeux ne feraient pas comprendre ?

Il lui baise la main.

À ce soir !...

À part, en sortant.

J’ai peur qu’elle ne soit pédante et romanesque en diable.

Il sort par le fond.

LADY MORTON, à part.

Ah ! ne serait-ce qu’un homme nul et frivole ?

 

 

Scène XI

 

LADY MORTON, POLLY

 

POLLY, s’approchant.

Milady...

LADY MORTON, avec humeur.

C’est toi ? Que veux-tu ? Laisse-moi ; j’ai besoin de solitude, de distractions, que sais-je ?... Je me sens mal à l’aise, je souffre.

POLLY.

Vous souffrez ?... Un médecin, peut-être...

LADY MORTON.

Es-tu folle ? Un médecin ! pourquoi ?... Je n’ai rien ! pour tant je souffre !...

Elle passe la main sur son front.

Il me semblait autrefois que le bonheur était si facile !... Le jour où j’unis mon sort à celui d’Henri Morton, je ne soupçonnais pas que je deviendrais riche, que je serais la femme d’un pair d’Angleterre, et cependant quelle joie inondait mon cœur !... C’est que je croyais que je serais aimée !... Maintenant, cinq années à peine ont passé... et je suis seule !... Polly, toi a qui j’ai ouvert mon cœur, tu ne sais pas, ce nom d’Arthur, qui ce matin me faisait trembler et rougir, eh bien ! à présent, un froid mortel me saisit en y songeant... Si lord Morton soupçonnait ?... Ah ! tantôt j’aurais bravé sa colère... En ce moment, pourquoi donc ai-je peur ?... Tiens, vois-tu, je fré car je crois l’entendre... Je veux l’éviter ; je rentre chez moi. Reste là, Polly reste... j’ai besoin d’être seule.

Elle rentre par la porte de droite.

POLLY, seule.

Oh ! mon Dieu, mon Dieu !

 

 

Scène XII

 

POLLY, LORD MORTON, entrant par le fond, et s’asseyant à gauche

 

LORD MORTON.

Ah ! c’est vous, Polly ; approchez. Il est venu quelqu’un ici ?

POLLY.

Je ne sais pas.

LORD MORTON.

Je vous le répète, il est venu quelqu’un, et vous le savez. La voiture de lord Arthur attendait à quelque distance ; il vient lui-même de sortir à pied de cet hôtel. Parlez, Polly ; vient-il souvent ici en mon absence ?

POLLY.

Jamais.

LORD MORTON.

Écoute, Polly ; quand je te rencontrai à Malte, tu n’étais encore qu’un enfant pauvre et malheureux.

POLLY.

Oui, je m’en souviens.

LORD MORTON.

Alors je te recueillis, et tu fus élevée comme un enfant de la maison : n’est-il pas vrai ?

POLLY.

Oui.

LORD MORTON.

Ton cœur était bon, mais la misère aurait pu le dépraver ; grâce à mes soins, tu es une fille sage, et tout le monde t’estime ici.

POLLY.

Je le crois, milord.

LORD MORTON.

Une nuit, ce me semble, la chaumière de ton père fut incendiée ; je la relevai.

POLLY.

Oui.

LORD MORTON.

Quelques fautes de jeunesse allaient flétrir les frères ; une peine infamante pesait déjà sur eux, je prononçai un seul mot, et ils furent libres.

POLLY.

Cela est vrai.

LORD MORTON, se levant.

Voilà donc ce que j’ai fait !... Eh bien ! aujourd’hui tu peux me payer de mes soins, de ma protection, de mes sacrifices.

POLLY.

Moi, milord ?

LORD MORTON.

Polly... on me trompe ici !

POLLY.

Et qui donc vous tromperait ?

LORD MORTON.

Vois-tu, Polly, moi, je préfère le malheur qui tue à l’incertitude qui fait mourir. Tiens, deux mille guinées pour toi, si tu me prouves qu’on m’a trompé.

POLLY.

Jamais !

LORD MORTON.

C’est-à-dire jamais rien qui réponde à mes bienfaits de tous les jours, jamais de reconnaissance ?

POLLY.

Je n’ai pas dit cela !

LORD MORTON.

Eh bien ?

POLLY.

J’ai dit seulement qu’on ne vous trompe pas.

LORD MORTON.

L’oses-tu bien ?... Lord Arthur est-il venu ?... Parle, mais parle donc !

POLLY, tremblante.

Oui !

LORD MORTON.

Souvent ?

POLLY.

Aujourd’hui pour la première fois.

LORD MORTON.

Pour la seconde ; car je l’ai vu ici ce matin. Sais-tu si quelque lettre, quelque message l’avait mandé ?

POLLY.

Je l’ignore.

LORD MORTON.

Tu mens !... Elle a écrit !... tu as porté la lettre.

POLLY.

Non, pas moi.

LORD MORTON.

Je saurai qui !

Se radoucissant.

Au reste, peut-être n’est elle pas coupable ?

POLLY.

Non, non !... soyez-en sûr, ô mon maitre ! Ah ! si j’osais parler !...

LORD MORTON.

Parle !...

POLLY.

Si vous saviez combien elle a pleuré votre abandon, comme elle vous aime, et comme elle regrette ces jours si beaux de notre pays, où vous étiez toujours ensemble ?

LORD MORTON.

Tu crois ?

POLLY.

Je le jure !... Ah ! milord, revenez à elle ! ne l’abandonnez pas pour ces intérêts qui, depuis votre séjour à Londres, occupent tout votre temps.

LORD MORTON, qui paraît avoir réfléchi.

Tu as raison, enfant, oui, tu as raison !...mes vœux sont, en effet, de retrouver ici le repos que les affaires m’ont en levé : puisse-il n’être pas trop tard !... Polly, garde le silence sur mes soupçons ; oublie-les même !... Avertis ta maîtresse que je suis ici, que je reste, que je l’attends... va !

Polly entre à droite

 

 

Scène XIII

 

LORD MORTON, seul

 

Comme ils ont été froids !... Le ministère en a gagné sans doute !... Les autres doutent du succès ; ils laisseront faire !... Quelques-uns m’envient ma popularité ; ils craignent, si je réussis une fois encore, qu’elle ne s’augmente : oh ! j’ai bien vu qu’ils faibliraient !... Le ministère l’emporterait-il ?... eh bien ! je n’irai pas être témoin de son triomphe !... Ici d’autres intérêts me réclament ! ici, du moins, je serai tranquille, heureux !... Tranquille !... lord Arthur, deux fois dans un jour !

 

 

Scène XIV

 

LORD MORTON, LADY MORTON, suivie de deux domestiques qui portent deux flambeaux et les posent sur les deux tables

 

LADY MORTON.

Vous restez, m’a-t-on dit ?

LORD MORTON.

Est-ce que cela vous contrarie ?

LADY MORTON.

Non !... mais cela me surprend un peu.

LORD MORTON.

Une autre société vous serait plus agréable peut-être ? quelques-uns de vos jeunes adorateurs ?...

LADY MORTON.

Seriez-vous jaloux ?...

LORD MORTON.

Il me semble que je vous laisse bien libre.

LADY MORTON.

Oui !... Autrefois, Henri, vous étiez jaloux, et vous me le disiez ; mais, à présent, que vous importe ? Vous laissez toute liberté à votre femme ; et, puisqu’elle n’a pas rencontré en vous la perfection qu’elle cherchait, vous ne trouvez pas mauvais, à ce qu’il paraît, qu’elle tâche de la découvrir ailleurs ?

LORD MORTON.

Mais cela pourrait mener loin.

LADY MORTON.

Pourvu qu’on arrive.

LORD MORTON.

Oh ! les femmes se mettent en chemin avec une confiance !... On est partie jeune, brillante, honorée, et, à la moitié de la route, on est déjà vieille, dédaignée, incapable de comprendre un homme distingué lorsqu’il revient.

LADY MORTON.

Et pourquoi l’a-t-il abandonnée ? pourquoi n’avoir pas fait la route ensemble ?

LORD MORTON.

Oh !... laissons cela !... La morale ne vous amuserait pas plus que la politique.

LADY MORTON, après un moment de silence, et s’asseyant à gauche.

Votre dernier discours a fait grand bruit, milord ; on parle beaucoup de vous.

LORD MORTON.

Oui, presqu’autant que de Hunt et de Cobbett !... Sot métier !

LADY MORTON.

La gloire s’use donc aussi, Henri ? Il serait pourtant bien triste, après vous être privé du bonheur de votre ménage, de vous trouver un jour seul, vieux et délaissé comme ces femmes dont vous parliez tout à l’heure, et qui se trompent dans leurs amours.

LORD MORTON, s’approchant d’elle.

Ah ! vous me faites sentir que j’ai eu des torts !... Si vous saviez que de dégoûts !

LADY MORTON, d’un ton affectueux.

Moi, qui vous croyais si heureux !

LORD MORTON, de même.

Heureux... Oui, autrefois nous l’étions ensemble.

LADY MORTON.

Nous nous aimions alors !

LORD MORTON.

Vous y avez donc songé depuis ?

LADY MORTON.

Le moyen de l’oublier ! Ce sont les seuls jours que je compte dans ma vie ; ce sont mes seuls jours de bonheur !... Ah ! Henri ! pourquoi m’avez-vous abandonnée ?

LORD MORTON.

Je vous suis donc quelque chose encore ?

LADY MORTON.

Pensez-vous que je ne me souvienne jamais ?

LORD MORTON.

Eh bien ! c’est une leçon pour la vie !... il n’y avait que toi dans le monde qui pusses me pardonner !... je resterai !... veux-tu bien me garder ?... nous passerons toute la soirée ensemble.

LADY MORTON, se levant.

Une soirée d’il y a cinq ans, à Malte !... Oh ! oui, oui.

LORD MORTON.

Tu le veux bien ?

LADY MORTON.

Si je le veux ?... oh ! tu ne sais pas quels sentiments ces mots viennent de réveiller dans mon cœur ! quelles pensées ils ont tout-à-coup chassées de mon esprit !

LORD MORTON.

Vraiment ?

LADY MORTON.

Oh oui, Henri !... j’ignore ce qui se passe en moi, mais il me semble maintenant que le vrai bonheur est là !

Air de l’Angélus.

J’étais triste, je t’accusais,
Mais enfin, tarissant mes larmes,
D’un bonheur que tu méprisais,
Ton cœur veut retrouver les charmes,
Avec un mot tu me désarmes !
Quand je pleurais sur l’avenir,
Pour moi le passé recommence !...
Et c’est par un doux souvenir
Que je renais à l’espérance !

LORD MORTON.

Chère Lélia !...

LADY MORTON, à part.

Et lord Arthur qui va venir ?... Oh, non, non plus de lord Arthur !

Elle va à la table de droite et sonne.

LORD MORTON.

Vous aviez sans doute des projets pour ce soir ?... quelque invitation ?

LADY MORTON.

Je vais me dégager.

Polly est entrée, lady Morton s’est placée à la table de droite.

LORD MORTON.

Écrivez, chère amie, je vois là des journaux que je vais parcourir.

Il se place à la table de gauche.

LADY MORTON, à demi-voix à Polly.

Tu porteras cela toi-même.

POLLY, bas en voyant l’adresse.

Que vois-je ?

LADY MORTON, souriant et à demi-voix.

C’est pour qu’il ne vienne pas : ne crains rien !... Que dira-t-il ? que je le trompais ?... non, je me trompais moi-même ! tu lui parleras.

LORD MORTON.

Ah ! vous recevez la gazette de Bombay ?

LADY MORTON.

C’est par hasard.

Bas à Polly.

S’il insistait, dis-lui que lord Morton passe ici la soirée, aujourd’hui, demain, tous les jours ; dis bien que je ne veux recevoir personne.

Polly sort par le fond, lady Morton s’approche de son mari.

Autrefois, Henri, c’était une affaire de nous séparer ; aujourd’hui c’en est une de nous réunir. Au reste, je ne veux plus qu’il y ait entre nous le moindre mystère.

Elle va s’appuyer sur le dossier du fauteuil de son mari.

Il faut, mon ami, que je vous raconte ce qui est arrivé à une jeune femme dont le cœur, encore honnête, mais profondément blessé par l’indifférence de celui qu’elle avait aimé... Vous ne m’écoutez pas, Henri ?

LORD MORTON, lisant la gazette.

Pardonnez-moi !... c’est que je trouve là une nouvelle d’une importance... parlez toujours, je vous écoute.

LADY MORTON, le regardant.

Cette jeune femme in prudente eut le bonheur de retrouver à temps l’ami qui seul pouvait diriger sa conduite, et l’empêcher de se perdre dans la route dangereuse où s’égarait son inexpérience...

LORD MORTON, la gazette à la main.

Non, indubitablement, non !... les documents fournis par milord-duc sont faux !... c’est se jouer du parlement.

LADY MORTON, blessée.

Ah !... vous êtes au Parlement, et vous oubliez que je suis près de vous !

Elle se recule.

LORD MORTON.

Concevez-vous, ma chère, que les gazelles soient mieux instruites que nous ?

LADY MORTON, souriant avec amertume.

Mais, en effet, le public pourrait apprendre avant vous ce qu’il vous importerait de savoir.

LORD MORTON, se levant.

Vous me permettez, n’est-ce pas de prendre et d’emporter ce papier ? il contient un fait si grave !...

LADY MORTON, avec humeur.

Au nom du ciel, emportez-les tous, et que je n’en revoie jamais un seul !

LORD MORTON.

Je ne vous demande qu’un instant, il faut absolument que je voie le ministre.

LADY MORTON, à part.

Ah !... il est incorrigible !

LORD MORTON.

Conçoit-on une pareille audace ? controuver des faits ! c’est incroyable !...

Il prend son chapeau, et sort.

LADY MORTON.

Et ils osent ensuite vous accuser !

 

 

Scène XV

 

LADY MORTON, seule

 

D’eux tous il n’en est pas un qui soit capable d’aimer !. Henri !... j’allais lui ouvrir mon cœur, lui tout avouer !... Pour la seconde fois je revenais à lui !... il ne s’est pas seulement soucié de m’entendre ! puis, quand il m’aura lui-même poussée dans l’abîme, il me maudira !... Pourquoi ce malheur constant, inévitable, sans remède, pour nous pauvres femmes ?

Air : Aux bravés hussards du deuxième.

Hélas ! quel destin est le nôtre ?
En vain mon cœur demandait un appui ;
Je suis seule !... et l’un après l’autre,
Tous mes songes heureux ont fuit...
Placée entre un double supplice,
À mes côtés je ne vois que douleur !
Faut-il toujours qu’une femme choisisse
Entre le crime ou le malheur ?

Ah ! j’entends du bruit : c’est peut-être lord Morton qui revient !... mais je n’ai pas le courage de le recevoir !... non, non !... il m’a repoussée !... il ne retrouvera plus ce qu’une gazette lui a fait dédaigner !...

Elle va vers la porte, et dit en dehors.

Qu’on ne laisse entrer personne.

Lord Arthur paraît.

Eh quoi !... c’est vous !

 

 

Scène XVI

 

LADY MORTON, LORD ARTHUR, en toilette

 

LORD ARTHUR.

Ne m’attendiez-vous pas ?

LADY MORTON.

Une lettre de moi ne vous a-t-elle pas appris que lord Morton ?...

LORD ARTHUR.

Et ma réponse ne vous a-t-elle pas dit que votre excuse n’était point recevable ?

LADY MORTON.

Comment ?

LORD ARTHUR.

Pendant que je lisais votre billet, la voiture de lord Morton a passé sous mes fenêtres ; il se rendait au Parlement, je me suis dit : ceci est curieux, et mérite d’être vérifié.

LADY MORTON.

Milord, je n’ai pas reçu votre réponse.

LORD ARTHUR.

Je l’ai donc devancée, il m’a suffi d’un instant de réflexion et d’un coup d’œil jeté en passant au Parlement pour m’assurer que lord Morion me laisserait le temps de causer tranquillement avec vous. Et d’abord, madame, vous serez assez bonne pour me dire qui a dû passer la soirée ici.

LADY MORTON, blessée.

Qui ?... mais personne autre que lord Morton.

LORD ARTHUR.

Vous savez que ce prétexte n’est plus admissible ; passons à un autre ! car, après m’avoir promis cette soirée, il faut quelque motif pour me congédier ainsi et changer d’idée si précipitamment.

LADY MORTON.

Je vous répète, milord, qu’excepté mon mari, je ne comptais voir personne ce soir.

LORD ARTHUR.

Votre mari ?...

LADY MORTON.

Qu’une gazelle a déterminé à courir auprès du ministre.

LORD ARTHUR, riant.

S’il en est ainsi, je ferai désormais inonder votre appartement de tous les journaux de la Grande-Bretagne.

Air : Vaudeville de la Robe et les Bottes.

Qu’il n’en soit pas un seul qu’on lui dérobe !
Dans son salon, dans sa chambre, au boudoir,
Le Star, le Sun, le Standard et le Globe,
L’endormiront matin et soir.
Quoiqu’au sommeil cela doive suffire,
Il dormirait encor plus sûrement, 
Si je pouvais le condamner à lire
Le journal da gouvernement.

LADY MORTON.

Milord !

LORD ARTHUR.

Ah ! vous avez raison, il ne faut pas être si cruel !... D’ailleurs ne croyez pas que je me laisse prendre à une fable pareille !... vous me trompez, il devait sortir, il est sorti, et vous attendiez quelqu’un : ce n’était pas pour rester seule chez vous, que vous refusiez de me recevoir.

LADY MORTON.

Mais, milord, puisque je l’affirme.

LORD ARTHUR.

Mais, madame, c’est impossible !

Il jette ses gants sur la table de gauche.

LADY MORTON.

Qu’entends-je ?... quelle idée avez-vous donc ?

LORD ARTHUR.

Oh ! soyez tranquille !... seulement je ne veux pas être dupe.

LADY MORTON, essuyant une larme.

Ah ! milord...

LORD ARTHUR.

Je ne demandais pas mieux que de vous croire ce matin, quand vous me disiez que je n’avais pas de rival.

LADY MORTON.

Et vous doutez maintenant ?

LORD ARTHUR.

Voyez donc comme vous êtes émue !

LADY MORTON.

Moi !

LORD ARTHUR.

Vous tremblez, vous êtes interdite.

LADY MORTON.

Et vous supposez, lord Arthur, que quand vous êtes là, froid, soupçonneux, doutant de mes paroles, il me faut autre chose pour trembler et rougir ?

LORD ARTHUR.

Mettez-vous à ma place ! cette lettre si étrange, cette rupture si subite !... convenez que vous êtes bien capricieuse, et qu’une explication est nécessaire.

LADY MORTON.

Ah ! j’ai bien mérité toutes ces humiliations !

LORD ARTHUR.

Moi je tiens tant à être aimé !... et quand j’ai pu douter... Mais vous êtes irritée ?

LADY MORTON.

Non, milord, ce n’est pas contre vous, c’est contre moi même, contre cette situation cruelle où une femme est placée !... Cet amour qu’on lui demande, ces dangers qu’elle affronte, ces torts qu’elle se donne pour celui qu’elle aime, sont autant de motifs pour cesser de lui plaire en perdant son estime !... Ah ! milord, quelle leçon !... Ce matin, avec amertume, j’ai osé lui dire j’aime !... et déjà ce soir il a douté de moi, il m’a insultée !

LORD ARTHUR.

Oh ! pardon, Lélia, pardon ! Ne soyez pas injuste et cruelle envers moi, envers vous-même. Dites-moi, répétez-moi que vous m’aimez, et tous mes soupçons seront dissipés.

LADY MORTON.

Et sais-je moi-même à présent ce qui se passe dans mon cœur ?

LORD ARTHUR, à part.

Voilà bien la plus capricieuse lady des Trois-Royaumes.

LADY MORTON, à part.

Et c’est pour cette âme vaine et glacée que j’ai pu me compromettre !

LORD ARTHUR.

N’est-ce point une erreur ?... Il me semble entendre la voix de lord Morton.

LADY MORTON.

Grand Dieu ! que faire ? s’il vous trouve ici, à cette heure.

LORD ARTHUR.

Ordonnez, milady.

LADY MORTON, allant à la porte de gauche.

Cet escalier dérobé... Ah ! la porte est fermée ; pas de clef... S’il vous reste pour moi, milord, quelque sentiment de pitié, vous passerez dans cette pièce.

Elle indique la petite porte à côté de la porte du fond.

LORD ARTHUR.

J’obéis...

Il entre.

LADY MORTON, revenant au milieu du théâtre.

Trembler, rougir !... et pour qui ? Oh ! que je suis à plaindre !

 

 

Scène XVII

 

LADY MORTON, LORD MORTON

 

LORD MORTON.

J’arrive un peu brusquement, mais j’ai vu de la lumière, et j’ai pensé...

LADY MORTON.

Que vous pouvez à toute heure entrer chez moi ? Vous vous en êtes souvenu un peu tard.

LORD MORTON.

Voici les cartes qu’on m’a remises. Vous vous priviez pour moi de toutes ces visites ? C’est me faire sentir vivement ma faute ; car j’ai mal agi... mais je me corrigerai.

LADY MORTON.

Nous ne sommes plus assez jeunes pour nous corriger ; et puis, vous le savez, chez vous la politique est une passion irrémédiable.

LORD MORTON.

Allons, battu là-bas, repoussé ici !... Dieu me pardonne, il est des jours où l’on serait tenté de se jeter dans la Tamise.

LADY MORTON.

Oui, des jours où tout manque à-la-fois ; où l’on ne voit rien qui puisse donner du prix à la vie !... Vous veniez donc près de moi pour oublier des défaites parlementaires ?

LORD MORTON.

Ah ! vous savez que je suis allé au Parlement ?

LADY MORTON, avec embarras.

Je m’en doute !... Et si vous y aviez obtenu autant de succès que d’habitude, je ne vous aurais plus revu.

LORD MORTON.

Lord Arthur Danley a paru à la Chambre, mais seulement une minute, et comme pour s’assurer des personnes présentes.

LADY MORTON.

Ah !...

LORD MORTON.

J’y pense !... En rentrant, j’ai cru reconnaître encore sa livrée à quelques pas de l’hôtel.

LADY MORTON.

Mais il est donc partout ?

LORD MORTON.

Vous aviez défendu votre porte pour tout le monde ?

LADY MORTON.

Mais, oui...

LORD MORTON.

Pour tout le monde ?

LADY MORTON.

Allons, faites maintenant le mari espagnol.

LORD MORTON.

Sans être ridicule, je pourrais à bon droit me plaindre si vous receviez un fat qui, m’a-t-on dit, vous poursuit en tous lieux.

LADY MORTON.

Il est tard 1, milord ; et si vous permettez...

LORD MORTON.

Vous me renvoyez ?

LADY MORTON.

Savez-vous qu’il vaudrait mieux être la femme du dernier paysan de l’Angleterre que celle d’un lord qui croit m’honorer en me donnant ses moments perdus ?

LORD MORTON.

Mais je ne vous vis jamais ainsi : votre caractère s’aigrit, Lélia !... Des caprices, de l’humeur, quand je reviens près de vous !

LADY MORTON.

Après m’avoir laissée revenir !... exiger que je me reprenne d’amour à heure fixe.

LORD MORTON.

J’en conviens, je vous ai négligée !... mais c’est que du moins je comptais sur vous... Au fond de mon cœur, je n’ai pas cessé de vous aimer par-dessus tout !... dites, le pensez-vous ? Aujourd’hui, encore, j’ai été plus malheureux que vous ne croyez... Funeste habitude de cacher tout ce que j’éprouve là !... Sans elle, vous auriez vu combien je souffrais des visites de ce jeune fat... car, je vous aime, Lélia, je n’aime que vous.

LADY MORTON, à part.

Sa bonté me touche, et je souffre.

LORD MORTON, allant s’asseoir près de la table à gauche.

Voilà, ma chère Lélia, ce que j’avais à vous dire ; c’est ma seule excuse, mon seul droit à un généreux pardon.

Il voit les gants de lord Arthur sur la table.

Ah !...

À part.

Il est venu ici !...

LADY MORTON.

Qu’avez-vous donc !

LORD MORTON, se levant.

Rien... mais comment, vous êtes par ma faute, et à cause de moi, restée seule toute la soirée ?

LADY MORTON.

Sans doute.

LORD MORTON.

Vous étiez seule, et vous fermiez votre porte, n’est-il pas vrai ?

LADY MORTON.

Mais, milord !...

LORD MORTON.

Mais milady, je veux m’assurer au juste des obligations que je vous ai, des sacrifices que vous me faites...

LADY MORTON.

De grâce, Henri !...

LORD MORTON.

Par exemple, comme je vous le disais tout à l’heure, j’étais inquiet des soins empressés d’un homme dont l’impudente fatuité a déjà compromis plus d’une femme...Mais vous m’assurez que j’ai tort.

LADY MORTON.

Vous voilà donc soupçonneux et jaloux !

LORD MORTON.

C’est qu’en effet la moralité de ce siècle est si grande, qu’on mari jaloux est quelque chose d’énormément risible ! On peut trembler pour sa fortune, pour une place, une ambition ; mais pour sa femme, jeune, jolie, qu’on aime... Fi donc ! c’est bien ridicule, n’est-ce pas ?

LADY MORTON.

Il y a de l’ironie dans tout ce que vous me dites, Henri.

LORD MORTON.

J’aurais tort si je prenais la chose au sérieux, si je disais : Vous me trompez, milady, vous me trompez !

LADY MORTON.

Ciel !

LORD MORTON.

Vous avez joué votre réputation et l’honneur de votre mari contre le caprice d’un jeune fou !...Et maintenant, savez-vous ce qui me reste à faire ?... il faut que je le tue, ou qu’il me tue !

LADY MORTON.

Au nom du ciel, milord !

LORD MORTON.

Les femmes qui prennent un amant tel que lui ne craignent pas le bruit et l’éclat... Demain, vous lirez dans la gazette : Lord Morton a été tué par Lord Arthur Danley.

LADY MORTON, tombant sur un fauteuil près de la table de droite.

Je me meurs.

LORD MORTON.

Et vous vous consolerez avec lui ou avec un autre, n’est-il pas vrai ? Répondez... mais répondez donc !

Il s’approche d’elle, lui prend le bras, et s’aperçoit qu’elle est évanouie.

Elle ne m’entend plus... Quand je pense au jour où je plaçai tout mon avenir sur l’amour de cette femme !... Et à présent, tout est fini !...

Il sonne.

Mais elle ne revient pas !...

Il sonne de nouveau Polly entre ; elle tient à la main une lettre qu’elle glisse dans son tablier en voyant lord Morton ; il s’en aperçoit.

Ah !...

POLLY, donnant des soins à lady Morton.

Ma pauvre maîtresse !...

LORD MORTON.

Donnez-lui des secours !...

POLLY.

Hélas !... je l’avais prévu !...

LADY MORTON, se ranimant.

Éloigne-moi d’ici !...

LORD MORTON.

Non, restez !... Polly, remettez-moi cette lettre que vous teniez en entrant.

POLLY.

Milord...

LORD MORTON.

Remettez-la-moi, vous dis-je ; c’est pour milady, sans doute ?... Je la lui donnerai.

Polly remet la lettre.

Maintenant, sortez.

LADY MORTON, bas à Polly.

Je suis perdue !... il est là !...

Elle indique la porte par où est entré lord Arthur ; Polly sort part le fond.

LORD MORTON.

Cette lettre est de lui, madame : écoutez.

Il lit.

« Avec quel bonheur j’avais vu ces mots tracés par votre main ! oui, moi aussi, je maudis les liens qui nous séparent et qui m’ôtent l’espoir de vivre pour vous seul... »

Il froisse la lettre.

Eh bien ! milady, avais-je tort ?... Retirez-vous à présent !... retirez-vous !... je ne répondrais pas d’être maître de moi !

LADY MORTON.

Ô mon Dieu ! que devenir ?

Elle rentre par la porte de droite.

 

 

Scène XVIII

 

LORD MORTON, seul

 

Il paiera de sa vie !... Et quand je l’aurai tué, que retrouverai-je ? une femme qui me haïra de tout l’amour qu’elle avait pour lui, de tout l’éclat qu’aura causé sa faute !... et quel avenir ? il ne peut plus y avoir rien d’heureux ! La gloire, la renommée, la puissance, tout cela m’a trahi comme elle !... Je l’ai perdue cette femme que j’aimais pour courir après l’objet d’une ambition qui m’échappe aussi !... Ah ! si j’en finissais avec cette vie trompeuse ?...

 

 

Scène XIX

 

LORD SPEAR, entrant par le fond, LORD MORTON

 

LORD MORTON.

Qu’est-ce donc ?

À lord Spear qui entre.

Que me voulez vous, milord ? qui vous amène à cette heure ?

LORD SPEAR.

Une décision royale.

LORD MORTON.

Que m’importe ?

LORD SPEAR.

De grâce, lisez !

LORD MORTON, après avoir lu, avec un éclair de joie.

Ministre et président du conseil !

LORD SPEAR.

Vous voyez.

LORD MORTON.

Quoi ! malgré mon échec au Parlement !...

LORD SPEAR.

Cet échec d’un instant ne prouve rien ; vous n’en êtes pas moins l’homme le plus influent de l’Angleterre. La cour la jugé ainsi, et en voici la preuve.

LORD MORTON, avec indifférence.

Oui !

LORD SPEAR.

Êtes-vous satisfait ?

LORD MORTON, à part.

Que me fait cela maintenant !

LORD SPEAR, à part.

Qu’a-t-il donc ?

Haut.

Vous ne répondez pas, milord ?

LORD MORTON, traversant avec agitation et prenant la droite.

J’ignore encore si je pourrai accepter.

LORD SPEAR.

Comment ?

LORD MORTON.

Dans une heure on saura ma réponse.

LORD SPEAR.

Est-il possible ! Quoi ! c’est lorsqu’on accepte toutes vos conditions !... Quelle anxiété secrète.

LORD MORTON.

Milord !...

LORD SPEAR.

Je vois que ma présence deviendrait importune ; il faut donc me retirer sans connaître...

LORD MORTON.

Je vous l’ai dit, milord, dans une heure tout sera fini : revenez alors !... vous saurez tout.

LORD SPEAR, à part.

Il y a là-dessous quelque chose que je découvrirai.

Haut.

Permettez-moi, milord, de sortir, en vous saluant premier ministre.

 

 

Scène XX

 

LORD MORTON, seul

 

Premier ministre !... jamais mon ambition n’avait tant espéré ! Et c’est dans ce moment !... ah ! si je me délivre de cette vie qui me fatigue, ne diront-ils pas à présent : il s’est tué, parce que l’éclat d’une si brillante fortune à troublé sa raison ! Il n’était pas de force à porter un si lourd fardeau !... Que faire ?... que résoudre ?... Dieu ! la voilà !

 

 

Scène XXI

 

LORD MORTON, LADY MORTON, entrant par la porte de droite

 

LORD MORTON.

Quoi, madame !... c’est vous qui me cherchez ?

LADY MORTON, très calme.

Oui, milord.

LORD MORTON.

Savez-vous, milady, jusqu’où ma colère pourra ! t aller ? Savez-vous qu’il y a des maris qui, en pareil cas, ont vengé leur outrage sur celle qui les avait offensés ? qu’il y en a qui ont tué leur femme ?

LADY MORTON, de même.

Je le sais, milord.

LORD MORTON, de même.

Savez-vous que, moi aussi, j’ai eu des désirs de vengeance ?

LADY MORTON, de même.

Je l’ai pensé.

LORD MORTON.

Et vous êtes venue !... et vous voilà ici !

LADY MORTON.

Sans doute, milord, la vie doit être chère à vingt ans ; mais c’est à de certaines conditions ; et il peut arriver, même à cet âge, que la mort soit un bien, qu’elle soit la seule espérance...

LORD MORTON, étonné.

Le croyez-vous ainsi ?

LADY MORTON, toujours très calme.

Veuillez m’écouter et m’accorder un instant.

LORD MORTON.

Comment ?

LADY MORTON.

Oui, écoutez-moi, Henri !

LORD MORTON, avec un mouvement de colère.

Ah !...

LADY MORTON.

Laissez-moi encore prononcer ce nom... c’est ainsi que je vous appelais dans nos jours de bonheur ; et, vous le savez, Henri, la femme de lord Morton, pair d’Angleterre, n’a pas été heureuse.

LORD MORTON.

Je le croyais, cependant.

LADY MORTON.

Oui, j’avais de l’or, des diamants, un hôtel !... mais, dans cet hôtel, lord Morton était séparé de moi ; j’étais seule ici sans qu’un mot de tendresse vînt animer ma solitude. Quand j’avais paré mon front de ces riches bijoux, aucun regard d’amour ne venait payer le soin que j’avais pris pour m’embellir ; cet or, cette fortune, qui me savait gré d’en faire un noble usage !... Votre abandon, Henri, c’était la mort !

LORD MORTON.

Se pourrait-il ?

LADY MORTON.

Dans mon enfance, la tendresse de ma mère et de mes sœurs avait charmé ma vie : tous ces liens, ils s’étaient brisés quand je dus vous suivre. Henri, j’ai bien souffert, j’ai bien pleuré, et cela pendant quatre ans !... Que de fois j’essuyai mes larmes pour courir joyeuse au devant de vous, de vous qui ne voyiez ni mes chagrins, ni ma joie, et qui passiez près de moi indifférent et préoccupé, sans vous souvenir que vous deviez être tout pour la pauvre Lélia.

LORD MORTON.

Ah ! le ciel m’est témoin que jamais une autre que vous n’occupa mon cœur !... je n’ai pas trahi mes serments, moi !...

LADY MORTON.

Laissez-moi poursuivre, lord Morton, car ce moment est solennel, et doit décider de tout un avenir !... Tandis que j’étais ainsi délaissée par le seul homme que je devais aimer, tout ce que Londres renferme de séductions, de plaisirs, de gens frivoles, se pressait autour de moi ! Ils m’offraient leurs joies à la place de mes chagrins ; ils s’efforçaient de m’entraîner dans le tourbillon de leurs folies... et je cherchais en vain à côté de moi une main amie qui voulût m’aider à résister, qui essayât de me retenir !

LORD MORTON, avec émotion.

Ce que vous dites, Lélia, je l’ai déjà pensé !... mais le malheur est plus amer encore quand il est mérité ; et j’ai senti trop tard tout ce que j’ai perdu par ma faute.

LADY MORTON, avec hésitation.

Maintenant...

LORD MORTON.

Maintenant tout est fini !

LADY MORTON.

Je sais que j’ai... des torts.

LORD MORTON, s’animant par degrés.

Que vous avez enfin détaché votre cœur de celui qui causa vos chagrins ; que vous lui avez rendu le mal qu’il vous a fait ; que vous avez été bien au-delà, car il vous avait laissée honorée, innocente et paisible ; et un divorce, milady, et un duel avec votre amant le laisseront malheureux, coupable et déshonoré !...

Concentrant sa douleur et d’un ton plus calme.

Pour tant, milady, par respect pour celle que j’aimais, et à qui je dus d’heureux jours ; pour obtenir le pardon des torts qui ont amené nos malheurs, aucun mot de vengeance, aucune injure ne viendra vous offenser !... Que tout se termine ici !... que ce soit notre dernière entrevue !!... Avant peu, par le divorce ou autrement, vous serez libre et heureuse près d’un autre !... Adieu, milady !...

Il fait un mouvement pour s’éloigner.

LADY MORTON.

Encore quelques instants, milord.

LORD MORTON, hésitant.

Vous exigez ?...

LADY MORTON.

Je vous en prie !... Vous souvient-il que ce matin, mais vous ne vouliez pas m’écouter, je vous racontais qu’une jeune femme, profondément blessée de l’abandon de celui qu’elle aimait, bien convaincue qu’elle avait sans retour perdu sa tendresse, après avoir repoussé longtemps les séductions qui l’environnaient, avait été au moment de se laisser entraîner à un amour qui l’aurait perdue ?

LORD MORTON.

Oui, je m’en souviens... Eh bien ?

LADY MORTON.

Eh bien ?... vous ne m’avez pas écoutée alors... Veuillez m’entendre à présent.

LORD ARTHUR, sortant de la pièce où il était caché.

Deux heures d’attente !... Ah ! ils sont ensemble !...

Il écoute à travers la porte qu’il tient entr’ouverte.

LADY MORTON.

Ne croyez pas, milord, que cette femme ait jamais eu l’idée de condamner sa vie au mensonge, à la fausseté... son âme est trop haut placée pour subir ce honteux supplice !... Non !... Du jour où elle aurait mis ses espérances de bonheur dans une affection nouvelle, elle serait venue dire à l’homme qu’elle avait tant aimé : « Un autre a obtenu cet amour que vous dé daignez ; rendez-moi mes serments, vous qui avez manqué à tous les vôtres, et que ces liens, que votre indifférence a rompus, soient aussi brisés par la loi. » 

LORD MORTON, avec émotion.

Il y consent, milady !...vous le savez.

LORD ARTHUR, à part.

Un aveu au mari !... Cette femme-là ne fait rien comme une autre.

LADY MORTON.

Maintenant tout est changé.

LORD MORTON.

Que dites-vous ?

LADY MORTON.

Je dis que cette femme, entraînée peut-être par le dépit, dont la tête a pu s’égarer un moment, éblouie par les dehors éclatants d’un brillant étourdi, d’un jeune fat...

LORD ARTHUR, à part.

Merci !

LORD MORTON.

Achevez.

LADY MORTON.

Cette femme, coupable seulement d’imprudence, a interrogé son cœur : elle a senti qu’elle s’était trompée en croyant qu’il pouvait exister pour elle un autre bonheur que celui qu’elle avait perdu.

LORD MORTON.

Serait-il vrai ?

LADY MORTON.

Alors, au lieu des reproches qu’elle voulait faire, des lois qu’elle voulait dicter, de la liberté qu’elle voulait obtenir, elle est venue se livrer à la colère de son mari, et lui dire...

LORD MORTON.

Qu’a-t-elle dit ?

LADY MORTON, très émue.

Elle a dit :

Air : T’en souviens-tu.

De mon destin soyez encor le maître !
J’ai bien longtemps pleuré votre abandon ;
Pour moi ces pleurs vous parleront peut-être,
Lorsque j’implore un généreux pardon.
De faux plaisirs un moment éblouie,
À leur ivresse, hélas, j’allais céder !...
Votre amour seul peut embellir ma vie,
Je viens ici vous le redemander !

Polly entre doucement par la porte de gauche, et fait signe à lord Arthur de la suivre.

LORD MORTON, la prenant dans ses bras.

Ma Lélia d’autrefois !

LADY MORTON.

Mon Henri !

LORD ARTHUR, à part en sortant avec Polly par la porte de gauche.

Voilà un congé comme je n’en ai jamais reçu.

LORD MORTON.

Ah ! tu as tout retrouvé !

En ce moment lady Morton voit la fuite de lord Arthur, et elle fait un mouvement de joie.

Mais j’entends du bruit.

UN DOMESTIQUE, annonçant.

Lady Valmore et lord Spear !

 

 

Scène XXII

 

LADY MORTON, LORD MORTON, LORD SPEAR, LADY VALMORE

 

LADY VALMORE.

Oui, ma chère, moi qui viens adresser mon compliment à lord Morton.

LADY MORTON.

Comment ?

LADY VALMORE.

Je suis heureuse d’être la première qui félicite la femme du premier ministre d’Angleterre.

LADY MORTON.

Est-il vrai ?

LORD MORTON.

Oui, milady, le roi m’a choisi...

LORD SPEAR.

Ainsi, j’obtiens la réponse que je venais chercher ? vous acceptez ?...

LADY MORTON, à part avec découragement.

Encore !...

LADY VALMORE.

Premier ministre !... est-ce que cela se refuse ?

LORD MORTON, qui a jeté les regards sur sa femme.

Peut-être, milady !...

LORD SPEAR, à part.

Que dit-il ?

LORD MORTON, à lady Morton.

Air : T’en souviens-tu.

Vers les honneurs je m’ouvrais une route,
Mais, près du but, je viens de m’éveiller !
En y touchant je comprends ce qu’il coûte,
Vaut-il le prix qu’il faudrait le payer ?
De vains succès un moment éblouie,
Mon âme, hélas, allait encor céder !...
Ton amour seul doit embellir ma vie,
Je viens ici te le redemander.

LADY MORTON, se jetant dans ses bras.

Ah !... toujours à toi !...

LORD MORTON, remettant son brevet à lord Spear.

Lord Spear, veuillez rendre cela au Roi ; je refuse !... partez !... moi je reste !

LORD SPEAR, à part.

Je comprends.

LADY VALMORE.

Voilà qui est bien étrange.

LORD SPEAR, à part.

À quoi tient pourtant le destin des royaumes ! voilà un ministère manqué, parce qu’un mari a peur d’être...

LADY VALMORE, s’approchant.

Comment ?

LORD SPEAR.

Lord Arthur vous expliquera cela.

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