La Pension bourgeoise (Eugène SCRIBE - Jean-Henri DUPIN - Théophile Marion DUMERSAN)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase, le 27 Mai 1823.

 

Personnages

 

M. GUILLAUME, marchand de draps

OSCAR, jeune commis marchand

ALEXANDRE FLOQUET, son ami

MADAME GUILLAUME

JOSÉPHINE, fille de M et Madame Guillaume

MARIE, cuisinière de M. et Madame Guillaume

MADAME JOCARD, voisine

 

Rue Saint-Denis, dans la maison de M. Guillaume.

 

Un salon bourgeois. Porte au fond, cheminée à droite, croisée à gauche.

 

 

Scène première

 

M. GUILLAUME, debout, tenant un livre de dépense, MADAME GUILLAUME, assise à une table, et écrivant, à gauche, JOSÉPHINE, assise, et tenant une guitare

 

M. GUILLAUME.

Comment, madame Guillaume, la dépense du mois dernier se monte à trois cents francs ?

MADAME GUILLAUME.

Oui, monsieur Guillaume. Or, vous ne m’aviez donné que deux cent dix francs cinquante ; c’est donc quatre-vingt neuf francs cinquante que vous me redevez.

M. GUILLAUME.

C’est exorbitant ! un ménage tel que le nôtre, dépenser trois cents francs pour la table seulement ! moi, M. Guillaume, un simple marchand de draps ! il faut de l’économie, madame, il en faut.

JOSÉPHINE, raclant de la guitare.

Prêt à partir pour la rive africaine.

MADAME GUILLAUME.

Des économies, vous n’en avez peut-être pas fait assez ! voilà notre fille Joséphine, qui avait une vocation décidée pour le clavecin ; vous lui avez fait apprendre la guitare, parce que cet instrument-là est moins cher à acheter qu’un piano d’Érard. Comme c’est calculé !... un piano qui vous aurait coûté quatorze cents francs, et qui vous aurait peut-être économisé une dot ! car enfin, une demoiselle qui est musicienne, qui est artiste, cela se marie tout seul, tout le monde vous le dira.

JOSÉPHINE.

Oh ! mon Dieu, oui ! ce ne serait pas difficile ; et si mon papa voulait...

MADAME GUILLAUME.

C’est bien, c’est bien !... Une enfant, surtout, qui annonce des dispositions...

JOSÉPHINE, raclant toujours de la guitare, et chantant.

Prêt à partir pour la rive africaine.

M. GUILLAUME.

Dites-lui donc de finir, elle est là qui m’écorche les oreilles et qui me trouble dans mes calculs.

Air : Femmes, voulez-vous éprouver. (Le Secret.)

Faut-il qu’un bourgeois de Paris
Vous chante l’opéra-comique !
Depuis six mois qu’a-t-elle appris
Avec son maître de musique ?
Pour mon argent, qu’il a touché,
Elle chante faux, sans mesure ;
Nous aurions eu meilleur marché
À laisser faire la nature.

JOSÉPHINE, chantant.

Prêt à partir pour la rive africaine.

M. GUILLAUME.

Voyons, Joséphine, assez de beaux-arts comme cela ; va dans ta chambre, et tricote-moi les bas que tu m’as commencés l’hiver dernier ; c’est plus utile, et ça fait moins de bruit.

JOSÉPHINE, à part.

Comme c’est amusant, des bas pour mon papa ! heureusement qu’en travaillant on peut penser à qui l’on veut.

Elle sort.

 

 

Scène II

 

M. GUILLAUME, MADAME GUILLAUME

 

M. GUILLAUME.

Comment ! aucun moyen de diminuer la dépense intérieure ? Dis donc, ma femme, si je retranchais sur la pension que je te fais pour ta toilette ?

MADAME GUILLAUME.

Du tout, monsieur ! et je compte, au contraire, vous prier de l’augmenter ; quand on fait des réformes, il ne faut pas que ce soit sur des choses utiles.

M. GUILLAUME.

Eh bien ! si on renvoyait Germon, le garçon de magasin, qui les dimanches nous sert de domestique ; nous ne garderions que Marie, la cuisinière.

MADAME GUILLAUME.

Non, ce n’est pas déjà trop, et la preuve, c’est qu’il nous faudra, de plus, une femme de chambre pour ma fille et pour moi.

M. GUILLAUME.

Écoutez donc, madame Guillaume, si c’est ainsi que vous entendez les réformes et les réductions, d’après votre système, il faudrait trouver un moyen de faire des économies en augmentant la dépense.

MADAME GUILLAUME.

Sans contredit, c’est justement ce que je cherche... Eh mais ! attendez donc... voilà une idée qui me vient ; si nous faisions comme madame Jocard, notre voisine du second ; si nous prenions chez nous quelques pensionnaires...

M. GUILLAUME.

C’est ma foi vrai ; madame Jocard a l’air de s’en trouver à merveille.

MADAME GUILLAUME.

Je le crois bien, c’est le système le plus économique : nous recevrons chez nous, à notre table, un ou deux pensionnaires, qui nous paieront chacun cent ou deux cents francs par mois, et nous n’avons presque pas besoin d’ajouter à notre dîner. Quand il y a pour trois, il y a pour cinq.

M. GUILLAUME.

C’est juste. Quelle spéculation ! notre maison ne nous coûte plus rien.

MADAME GUILLAUME.

Vous voyez donc bien, monsieur ; jamais une pareille idée ne vous serait venue !

M. GUILLAUME.

Mais aussi, comme je l’ai adoptée, comme je l’ai saisie !... Je vais écrire sur-le-champ dans les Petites-Affiches, et annoncer que M. Guillaume, marchand de draps, rue Saint-Denis, désire trouver un ménage honnête.

MADAME GUILLAUME.

Du tout, du tout ; point de femme, c’est trop difficile, trop exigeant ; il vaut mieux mettre un jeune homme ou un homme seul, on sait ce que cela veut dire. C’est pour vous bien plus avantageux ; vous avez quelqu’un pour jouer aux dames ou aux dominos, et si ma fille et moi voulons sortir...

Air du vaudeville de La Somnambule.

Songez, monsieur, que le pensionnaire
Doit à madame offrir toujours son bras :
Son intérêt est de chercher à plaire
Par des égards, par des soins délicats.
Oui, du mari remplaçant respectable,
De ses devoirs il veut bien se charger,
Et me paraît d’autant plus agréable
Que du moins on peut en changer.

Dans ce moment, surtout, un cavalier nous sera fort utile ; car, depuis quelque temps, j’ai remarqué un jeune homme qui nous suivait toujours à la promenade.

M. GUILLAUME.

Un jeune homme ! serait-ce encore ce M. Joseph ?

MADAME GUILLAUME.

Non, non, ce n’est pas lui ; c’est un autre. Je ne vous en avais pas parlé d’abord, parce que je croyais que c’était pour moi ; mais je suis sûre maintenant que c’est pour ma fille. Le jeune homme est fort bien, et je crains qu’elle ne l’ait remarqué.

M. GUILLAUME.

Diable ! il faut redoubler de soins, de précautions, prendre garde qu’il ne s’établisse la moindre intelligence.

MADAME GUILLAUME.

Sans doute ; et je tremblais toujours dans nos promenades, parce que deux femmes seules, cela n’impose point. Mais maintenant que nous allons avoir un protecteur, un cavalier...

M. GUILLAUME.

C’est juste.

Air du vaudeville de Gilles en deuil.

Je cours aux Petites-Affiches,
C’est un journal sans ennemis ;
Petits et grands, pauvres et riches,
Pour leur argent y sont admis.
Si sa vogue jamais ne passe,
C’est qu’en tout temps il fut, hélas !
Non le journal des gens en place,
Mais de tous ceux qui n’en ont pas.

Ensemble.

M. GUILLAUME.

Je cours aux Petites-Affiches, etc.

MADAME GUILLAUME.

Courez aux Petites-Affiches, etc.

M. Guillaume sort.

 

 

Scène III

 

MADAME GUILLAUME, puis MARIE

 

MADAME GUILLAUME.

Si je n’étais pas là pour mettre de l’ordre dans la maison !... Voyons d’abord l’essentiel. Mémoires de la marchande de modes, deux cent vingt francs. Ah ! ah ! il me manquera une cinquantaine de francs... c’est égal, je peux les prendre sur la dépense : avec de l’économie, on s’y retrouvera... Ah ! voilà Marie.

MARIE.

Oui, madame, je viens vous demander mon livre et de l’argent. Avez-vous fait vos comptes ?

MADAME GUILLAUME.

Oui, et monsieur trouve que cela monte bien haut.

MARIE.

Eh bien ! par exemple... faut donc que j’y mette du mien... la maison est déjà assez dure... vrai comme j’existe, je ne gagne que mes gages.

Air du vaudeville du Comédien d’Étampes.

J’ pass’ pour un’ bonne cuisinière,
Et j’ai du talent, Dieu merci ;
Mais toujours le même ordinaire,
On ne se forme pas ainsi.
Jadis j’avais de la science,

À part.

L’ans’ du panier allait son train,

Haut.

Chez vous je vais, en conscience,
Finir par me gâter la main.

MADAME GUILLAUME.

Il va bientôt, peut-être, t’arriver de bons profits. Tiens, voilà pour la dépense du mois ; je te recommande tous ces jours-ci de faire un peu d’extraordinaire, et de monter la maison sur un meilleur pied, pendant quelques jours seulement... entends-tu ?

MARIE.

Est-ce que vous attendez du monde ?

MADAME GUILLAUME.

Peut-être bien !

MARIE.

Alors, vous m’y faites penser ; il y a en bas un jeune homme qui voudrait vous parler.

MADAME GUILLAUME.

Un jeune homme !...

À part.

Est-ce que ce serait déjà ?... mais non, cela n’est pas possible.

Haut.

Dis-lui que mon mari est sorti.

MARIE.

Ça n’y fera rien, il veut parler à vous ou à monsieur, et il ne s’en ira pas qu’il ne vous ait vue.

MADAME GUILLAUME.

C’est donc pour une affaire bien importante ! Mais un jeune homme, et à cette heure-ci... on ne peut pas le recevoir dans un pareil négligé. Fais-le attendre, Marie, je reviens dans l’instant.

Elle sort.

 

 

Scène IV

 

MARIE, seule

 

Dame ! ne tardez pas trop ; moi, j’ai mon ménage à faire et mon pot-au-feu à surveiller. Quand on est à la fois cuisinière et femme de chambre, on n’a pas le temps de s’amuser.

Air : Un homme pour faire un tableau. (Les Busards de la guerre.)

Il me faut être en même temps
À l’antichambre, à la cuisine,
Utile aux gourmands, aux amants,
C’est par moi qu’on aime ou qu’on dîne.
De mon repas quand je fais les apprêts
Un billet doux tomb’ dans ma poche ;
D’un’ main je reçois les poulets,
De l’autre je les mets à la broche.

Ce jeune homme est à se promener dans la rue, en face le magasin.

Allant à la fenêtre.

Monsieur, vous pouvez monter. Tiens, il était à causer avec un autre jeune homme, qui s’est éloigné comme s’il avait peur d’être vu. Qu’est-ce que cela veut dire ?

 

 

Scène V

 

MARIE, OSCAR[1]

 

OSCAR.

Eh bien ! je croyais trouver le maître ou la maîtresse de la maison.

MARIE.

On va venir dans l’instant, monsieur, et l’on vous prie d’attendre.

OSCAR.

Ce ne sera pas pénible si tu me tiens compagnie. Voilà comme il nie faudrait une gouvernante : fraîche et jolie, l’air pudibond et surtout sauvage ; n’est-ce pas, petite mère ?

MARIE.

Laissez donc, monsieur !

OSCAR.

À la bonne heure... non, je t’en prie, résiste-moi ; si tu ne résistes pas, je n’attaque plus ; voilà comme je suis.

MARIE.

Eh bien ! a-t-il l’air mauvais sujet !

OSCAR.

On me l’a dit quelquefois ; je m’en flatte, et j’ose dire que, dans mon quartier, je jouis de quelque réputation. Le jeune Oscar, commis-marchand, rue Vivienne ; connais-tu cela ?

MARIE.

Non, monsieur.

OSCAR.

Je crois bien, dans votre rue Saint-Denis on ne connaît rien ; et puis les marchands de draps, c’est lourd, c’est pesant, c’est la grosse cavalerie du commerce ; nous autres, nous en sommes les troupes légères. Je fais la nouveauté dans tous les genres, ma chère ; et dès que j’en vois un échantillon...

MARIE.

Ah çà, monsieur, je n’ai pas le temps de vous écouter, j’ai mon ouvrage à faire.

OSCAR.

Ne te gène pas, chacun le sien ; j’ai cru que tu avais du temps à perdre ; moi, j’en ai toujours.

MARIE.

C’est ce que je vois ; gardez cela pour vos belles madames.

OSCAR.

Combien tu es dans l’erreur !

Air du vaudeville du Colonel.

Loin du comptoir, quand j’ai brisé ma chaîne,
Soudain je rêve aux plaisirs, aux amours,
Et l’humble bure ou la simple indienne
Me charme plus que les riches atours.
Ce bavolet m’enchante et me stimule,
Je suis heureux... mais quand ma main
Rencontre, hélas ! le satin ou le tulle,
Fi !... je me crois encore au magasin.

MARIE.

Ah çà, vous connaissez donc madame Guillaume ?

OSCAR.

Tiens, si je la connais ! voilà une question... Est-ce que je ne connais pas tout le monde ?

MARIE.

Mais finissez donc, on vient de ce côté.

OSCAR.

Est-elle bourgeoise ! elle craint le scandale... Ah ! diable ! il paraît que c’est la maîtresse de la maison, tenue circonspecte.

 

 

Scène VI

 

MARIE, OSCAR, MADAME JOCARD

 

OSCAR.

Je suis charmé, madame, de l’occasion qui se présente de vous exprimer... Votre cuisinière, c’est-à-dire votre soubrette, m’avait dit...

MARIE, à part.

Eh bien ! qu’est-ce qu’il fait donc ?

À Oscar.

Ce n’est pas là madame !... c’est la voisine d’ici dessus. Vous disiez que vous connaissiez ma maîtresse ?

OSCAR.

Eh sans doute ! je croyais que toutes les tournures de la rue Saint-Denis devaient se ressembler.

La lorgnant. À part.

Dieux ! que c’est commun...

Haut.

Je vous demande pardon, madame, de la galanterie anticipée que le hasard vous a fait intercepter au passage. Madame habite le second ?

MADAME JOCARD.

Monsieur est bien bon : le second, au-dessus de l’entresol, comme qui dirait un troisième ; et M. Guillaume, qui est le propriétaire, me fait payer aussi cher qu’un premier ; mais à Paris, maintenant...

Air du vaudeville de l’Écu de six francs.

C’est au prix de l’or qu’on se loge,
De l’entresol jusqu’au grenier ;
Et qu’un locataire interroge
Les quittances de son loyer,
À voir le total qu’il renferme
On pourrait croire avec raison
Avoir acquis une maison,
Et l’on n’a payé que son terme.

OSCAR, à part.

C’est une locataire, cela ne me regarde pas.

Touchant la guitare et fredonnant.

Quand on attend quelqu’un,
Que l’attente est cruelle...

Il parcourt le papier de musique.

MARIE, à madame Jocard.

Plaignez-vous donc ! vous êtes plus riche que nous, car vous ne dépensez rien, et l’année dernière encore, n’avez-vous pas fait une succession de soixante mille francs ?

MADAME JOCARD.

D’accord !... mais qui sait s’il ne se présentera pas des héritiers pour partager ? On me parlait d’un petit-cousin qui avait des droits égaux aux miens ; heureusement que voilà déjà un an, et qu’on n’en a point entendu parler. Vous comprenez que, s’il existe, c’est à lui à le dire ; moi, je ne suis pas obligée de le faire tambouriner... Ah çà, je m’amuse à jaser, et j’ai affaire avec M. ou madame Guillaume : c’est aujourd’hui le quinze, et comme j’ai été chez mes pensionnaires, qui m’ont donné de l’argent...

MARIE.

Tiens, c’est vrai ; vous venez pour le loyer, il faudra que vous attendiez.

MADAME JOCARD.

Cela m’est impossible, je dois être avant cinq minutes à la place du Châtelet.

MARIE.

Écoutez donc, monsieur est sorti et madame s’habille ; ils ne peuvent pas, à présent, vous faire votre quittance ; par ainsi, vous ne risquez rien de remporter votre argent.

MADAME JOCARD.

Ma cuisinière a emporté ma clef, je ne peux pas rentrer chez moi, et d’ailleurs, comme je vous l’ai dit, j’ai des courses à faire.

MARIE.

Alors, laissez là vos écus ; je les remettrai à monsieur, si toutefois vous avez confiance en moi.

MADAME JOCARD.

Certainement, mam’selle Marie ; je sais que vous êtes une honnête fille ;

Montrant Oscar.

d’ailleurs, il y a des témoins.

Posant un sac sur la cheminée.

Voilà deux cents francs, je reviendrai dans une heure prendre le reçu. Monsieur, j’ai bien l’honneur de vous saluer.

MARIE.

Ah ! dites donc, dites donc, je savais bien que j’oubliais quelque chose. Rendez-moi donc mon four de campagne que je vous ai prêté, j’en ai besoin pour mon dîner d’aujourd’hui.

MADAME JOCARD.

Qu’est-ce que vous me demandez ? Madeleine vous l’a remis hier.

MARIE.

Du tout, à telles enseignes que, pour colorer mon macaroni, j’ai été obligée de prendre le couvercle de ma casserole.

MADAME JOCARD.

Alors, c’est qu’on l’aura donné au portier pour vous le remettre.

Elle sort.

MARIE.

C’est ce que nous allons voir ; et je descends avec elle, car je ne me soucie pas de le payer sur mes gages.

Elle sort.

 

 

Scène VII

 

OSCAR, seul

 

Sont-elles bavardes !... Eh bien ! elles s’en vont ; elles me laissent ; voilà ce qui s’appelle de la confiance, il est vrai qu’il y a des physionomies privilégiées... Ah çà, Oscar, mon Benjamin, il ne s’agit pas de cela ; voyons un peu de quoi il retourne, car dès qu’il est question de rendre service, moi, me voilà. J’ai un ami qui est malheureux, langoureux et peureux, trois mots qui peuvent se réduire à un seul : il est amoureux, mais c’est une passion anonyme et inconnue pour le père de l’objet, pour la mère de l’objet ; bien plus, pour l’objet lui-même ! Il fallait donc se déclarer, s’introduire dans la maison. Comment faire ? Je laisse l’amitié à la porte, c’est-à-dire se promener en long et en large dans la rue, et moi je me présente. Qu’est-ce que je dirai ? je n’en sais rien. Qu’est-ce que je ferai ? je l’ignore. Qu’est-ce que je répondrai ? le ciel en a probablement connaissance, pour moi je ne m’en doute pas. Mais voilà comme je suis ; dans les expéditions périlleuses, je me lance, et mon étoile fait le reste.

Air du vaudeville Les Maris ont tort.

Par les destins trop favorables
Tous mes désirs sont devancés ;
Fortune, à la fin tu m’accables ;
Arrête-toi, c’en est assez ;
Ou du moins daigne me promettre,
Dans tes semaines de faveur,
Un dimanche pour me remettre
De la fatigue du bonheur.

Au fait, c’est peut-être à cette nonchalance de principes que je dois mes succès en tous genres. N’ayant pas de plans, je ne risque jamais de les voir déconcertés ; et, dans cette occasion, le seul projet auquel je m’arrête, c’est de saluer, et de dire tout bonnement : Monsieur... Là ! justement c’est une dame ; ce que c’est que de préparer d’avance ses discours !

 

 

Scène VIII

 

OSCAR, MADAME GUILLAUME, habillée

 

MADAME GUILLAUME, à part.

C’est là le jeune homme qui veut me parler ?

Haut.

Je suis désolée, monsieur ; vous vous êtes ennuyé là à m’attendre...

OSCAR.

Du tout, madame ; je n’avais aucune raison de me plaindre : je ne vous connaissais pas ; mais je vous avoue que maintenant je serais moins patient.

MADAME GUILLAUME, à part.

C’est un jeune homme de la plus haute société !...

Haut.

Et puis-je savoir ce qui me procure l’honneur de votre visite ?

OSCAR.

Madame, c’est une affaire très-pressée, ou du moins qui me paraissait telle, mais j’avoue qu’à présent je ne tiens pas à la terminer, du moins instantanément. Je ne sais pas si je me fais comprendre ; mais, voyez-vous, une femme aimable et un jeune homme comme il faut qui parlent affaires, commerce, vrai, c’est gauche, ça n’est pas naturel ; je ne sais pas, du moins, si cela vous fait cet effet-là.

Air : De sommeiller encor, ma chère. (Fanchon la vielleuse.)

Mais moi, je n’ai pu, de ma vie,
Parler raison à deux beaux yeux,
Et rien qu’en vous voyant j’oublie
Ce qui m’amenait dans ces lieux.
Plus tard, du moins j’aime à le croire,
Le souvenir m’en reviendra.
Je retrouverai la mémoire
Quand votre mari sera là.

MADAME GUILLAUME.

Mais c’est qu’il est sorti.

OSCAR.

Il n’y a pas de mal ; j’attendrai son retour, je ne suis pas pressé ; et si je ne vous importune pas, je vous tiendrai compagnie.

MADAME GUILLAUME, s’inclinant.

Comment donc !

OSCAR.

Il y a des choses bien étonnantes. Croiriez-vous, madame, qu’avant de vous avoir vue j’avais des préventions contre la rue Saint-Denis ? Non, vrai, on est injuste dans notre quartier ; car certainement, pour la tenue et la tournure, nous n’avons rien de mieux dans nos comptoirs.

MADAME GUILLAUME.

Monsieur est dans le commerce ?

OSCAR.

Oui, madame ; le matin, c’est-à-dire jusqu’à deux heures, je suis l’homme des cachemires, et le soir je suis l’homme du monde ; je vais diner chez le traiteur, de là au spectacle. Quand on a une certaine aisance...

MADAME GUILLAUME.

Comment ! monsieur, vous mangez chez le traiteur ?

OSCAR.

Que voulez-vous ? un garçon ne tient pas ménage.

Air du vaudeville du Petit Courrier.

Un jeune homme de mon humeur
Sait préférer, quand il est sage,
Au despotisme du ménage
L’indépendance du traiteur.
Il y règne un désordre aimable,
On a, comme en certains repas,
Le plaisir d’avoir à sa table
Trente amis qu’on ne connaît pas.

MADAME GUILLAUME.

Puisque vous avez à parler affaires avec mon mari, si j’osais aujourd’hui vous inviter à partager notre dîner... vous le trouverez peut-être indigne de vous, mais c’est notre ordinaire, et nous n’y changeons rien.

OSCAR, à part.

Quand je disais que tout me réussit ! au bout d’un quart d’heure de conversation me voilà invité.

MADAME GUILLAUME.

À moins, cependant, que vous ne soyez engagé ailleurs.

OSCAR.

Du tout, madame ; je suis à vous pour aujourd’hui, demain, après-demain, pour tous les jours.

MADAME GUILLAUME.

Eh mais ! cela n’est pas impossible, et si vous le voulez, monsieur, cela ne tient qu’à vous !

OSCAR.

Comment ! il se pourrait ? une invitation perpétuelle, un bail dînatoire, c’est charmant !

MADAME GUILLAUME.

Notre intention, à mon mari et à moi, était de prendre quelques pensionnaires ; et je crois que nous ne pourrions faire un meilleur choix, si toutefois la maison convient...

OSCAR.

Elle me conviendra, madame : un local délicieux, une maîtresse de maison charmante, excellente... tenue bourgeoise, cuisine idem... Vous avez un mari, des enfants ?...Je vous demande pardon d’entrer dans ces détails.

MADAME GUILLAUME.

C’est trop juste, monsieur. Je n’ai qu’une fille.

OSCAR.

Et avez-vous intention de la marier ? Je vous parle de cela, parce que souvent les pensionnaires ne s’entendent pas avec les gendres.

MADAME GUILLAUME.

Du tout, monsieur, il n’en est pas question.

OSCAR.

C’est charmant, et dès aujourd’hui je suis votre convive. Je connais beaucoup de jeunes gens, toute la soierie, et je vous amènerai des amis au mois ou au cachet, comme vous voudrez.

MADAME GUILLAUME.

Certainement nous ne les refuserons pas, surtout présentés par vous. Mais je ne sais si le prix vous conviendra ; notre intention était de demander...

OSCAR.

Tout ce que vous voudrez, madame ; je ne marchande jamais : c’est mauvais genre.

MADAME GUILLAUME.

Eh bien ! croyez-vous que cinquante écus par mois...

OSCAR.

Comment, cinquante écus ? fi donc ! ce n’est pas assez.

À part.

Ça m’est égal, j’ai tout le mois pour payer.

MADAME GUILLAUME.

Comment ! monsieur, vous voudriez...

OSCAR.

Nous n’aurons point de difficulté là-dessus... Mais ne parlons donc point de cela, je vous prie ; je ne vous ai pas caché mon système : je ne peux pas traiter d’affaires d’intérêt avec une jolie femme.

MADAME GUILLAUME, à part.

Il est d’une galanterie et d’une délicatesse !...

Haut.

Justement, j’entends mon mari...

 

 

Scène IX

 

OSCAR, MADAME GUILLAUME, M. GUILLAUME

 

M. GUILLAUME.

Je viens des Petites-Affiches, et notre insertion est faite. Ce qui m’effraye un peu, c’est que j’ai compté au moins quarante annonces du même genre ; et si la moitié de Paris va se mettre en pension chez l’autre, nous aurons de la peine...

MADAME GUILLAUME.

Du tout ; car voici monsieur qui se présente de lui-même ; un jeune homme du meilleur ton, qui est aussi dans le commerce, M. Oscar, un des élégants de la rue Vivienne.

M. GUILLAUME.

Monsieur, soyez le bienvenu ; ma femme vous a expliqué... vous ne trouverez point ici une table somptueuse, mais une cuisine bourgeoise et patriarcale.

OSCAR.

Eh ! sans doute, les dîners de l’âge d’or, la soupe et le bouilli...

M. GUILLAUME.

Oui, monsieur.

OSCAR.

Deux entrées, le rôti et un plat de légumes ; car pour les entremets et le dessert, j’en prendrai parce qu’il y en a, car je n’y tiens pas du tout.

M. GUILLAUME.

Mais, monsieur...

OSCAR.

Ah ! je vois que vous y tenez, il n’y a pas de mal. On m’avait bien dit que la rue Saint-Denis était le refuge et l’asile des bons principes, en tout genre, même en cuisine.

M. GUILLAUME.

Mais, monsieur...

OSCAR.

Concevez-vous la position d’un jeune homme lancé dans le tourbillon des plaisirs, mais isolé au milieu de la capitale ? sans parents, sans amis, les séductions le circonviennent, l’oisiveté le dérange, les mauvaises connaissances le perdent. Mais lorsqu’il a le bonheur d’entrer dans une maison comme la vôtre, il y trouve des plaisirs doux qui l’attachent, des égards qui le retiennent, des conseils qui le dirigent ; il a une société, une famille, je dirais presque un ménage, et réunit ainsi aux plaisirs casaniers de l’homme marié l’indépendance du célibataire.

M. GUILLAUME, à madame Guillaume.

Il n’y a pas moyen de placer un mot... Dis-moi, ma femme, lui as-tu parlé de la partie financière ?

MADAME GUILLAUME.

Oui, il trouve que cinquante écus par mois ne sont pas assez.

M. GUILLAUME.

Je crois bien ! du train dont il va ; surtout s’il mange comme il parle... Ah çà, il serait convenable qu’il payât d’avance.

MADAME GUILLAUME.

Y pensez-vous ? cela ne se fait jamais.

M. GUILLAUME.

C’est un tort que l’on a, parce qu’enfin, c’est beaucoup plus prudent.

MADAME GUILLAUME.

Oui, mais cela n’est pas convenable ; et, pour ma part, je n’oserai jamais...

M. GUILLAUME.

Qu’à cela ne tienne, je m’en charge.

MADAME GUILLAUME.

Y pensez-vous ?

M. GUILLAUME,

Sois donc tranquille ; j’amènerai cela adroitement, et sans avoir l’air d’en parler.

OSCAR, à part.

Qu’ont-ils donc là à chuchoter ?

M. GUILLAUME.

Je causais avec ma femme des affaires de notre maison. Savez-vous, mon cher hôte, que l’argent devient extrêmement rare ?

OSCAR, à part.

Il croit me l’apprendre...

À M. Guillaume.

C’est connu ; nous autres marchands, nous disons toujours cela.

M. GUILLAUME.

C’est ce qui fait que je disais ce matin à ma femme : Dieux ! mignonne, s’il nous arrivait aujourd’hui de l’argent, comme cela ferait bien !...

OSCAR.

Vrai ? Eh bien ! êtes-vous heureux !

Montrant la cheminée.

Il y en a là pour vous.

M. GUILLAUME, allant prendre le sac.

Il serait possible !

À part.

Voyons au moins ce qu’il compte nous donner.

MADAME GUILLAUME, bas à M. Guillaume.

Vous voyez bien, monsieur, avec vos soupçons et votre défiance !

OSCAR, à part, pendant que M. Guillaume compte l’argent sur la table.

Je voudrais bien qu’il m’en arrivât autant. Si je pouvais maintenant prévenir mon ami Alexandre, ce pauvre Pylade qui est en bas dans la rue ; il doit me croire perdu dans...

Regardant par la fenêtre.

Le voilà ; il a établi son quartier général de l’autre côté de la rue, et il lit les affiches pour se donner une contenance.

Il essaie de se faire voir à travers les carreaux.

M. GUILLAUME, qui a compté, bas à madame Guillaume.

Deux cents francs, sais-tu que c’est fort beau ! Tu peux risquer le rôti ; un petit rôti, pas cher.

Allant à Oscar, qu’il salue.

Monsieur, je suis aussi satisfait que possible de vos manières, et je regarde votre installation comme une chose terminée.

MADAME GUILLAUME.

Puisque vous voilà d’accord, venons maintenant à l’affaire qui vous amenait. Vous vouliez, disiez-vous, en causer avec mon mari ?

OSCAR.

À quoi bon ? nous aurons le temps d’en parler, puisque nous allons dîner tous les jours ensemble.

M. GUILLAUME.

C’est juste. Ah çà, je vous préviens que nous dînons à trois heures précises.

OSCAR.

Non pas ; moi, je dîne à cinq ; c’est bien meilleur genre ; et puis, au moins, on a le temps d’avoir faim. C’est donc convenu, à cinq heures à table ; par exemple, on a le quart d’heure de grâce, c’est de rigueur ; mais jamais plus tard que cinq heures et demie. Aussi, à compter d’aujourd’hui, je vous promets un appétit toujours exact et toujours renaissant.

M. GUILLAUME, à sa femme.

Ce n’est pas rassurant, dis donc, ma femme !

MADAME GUILLAUME.

N’allez-vous pas faire attention à cela ?

Haut.

Il faut alors retarder le dîner.

M. GUILLAUME.

C’est que mon estomac... qui n’était pas averti du contre-ordre...

OSCAR.

Vous en dînerez mieux... Qu’est-ce que nous avons ?

MADAME GUILLAUME.

Air : Vers le temple de l’hymen. (Amour et mystère.)

Si l’on avait su plus tôt...

OSCAR.

Moi, de tout je m’accommode.

M. GUILLAUME.

D’abord, le bœuf à la mode ;
De plus, je crois, le gigot.

OSCAR.

Non, du tout, je le déteste,
C’est trop bourgeois ; mais, du reste,
Un dîner simple et modeste,
Gibier, volaille et poisson.

À M. Guillaume.

Ce que vous voudrez vous-même ;
Avant tout, moi, ce que j’aime,
C’est un dîner sans façon.

Et surtout, par exemple, je vous le recommande, que le café soit bien chaud.

M. GUILLAUME, à part.

Jusqu’au café ! c’est trop fort.

Haut.

Permettez, monsieur, permettez ; le café, je n’en prends jamais.

OSCAR.

Vrai ?...

M. GUILLAUME.

Oui, monsieur.

OSCAR.

Ah ! c’est fâcheux. Eh bien ! alors rien qu’une tasse.

M. GUILLAUME, bas à sa femme.

Ah çà, s’il compte ainsi mettre ma maison au pillage, les deux cents francs y passeront bien vite, et au delà.

MADAME GUILLAUME, bas à M. Guillaume.

Mais taisez-vous donc, monsieur ; taisez-vous, de grâce ! Vous vous effrayez d’un rien, et vous ne savez pas vivre.

M. GUILLAUME, de même.

Parbleu ! je ne lui ferai pas ce reproche-là.

 

 

Scène X

 

OSCAR, MADAME GUILLAUME, M. GUILLAUME, ALEXANDRE

 

ALEXANDRE.

Arrivera ce qui pourra : je ne sais pas ce qu’il est devenu, et je me lasse d’attendre.

OSCAR, se retournant.

Que vois-je ? mon ami Alexandre ? mon bon ami, qui me rend visite ! Qui diable t’a dit que j’étais ici ?

ALEXANDRE, étonné.

Moi ?... personne... c’est que j’étais là...

À M. Guillaume.

Monsieur... j’ai bien l’honneur... j’étais dans la rue, et j’avais cru voir...

OSCAR.

Il m’aura vu à travers les carreaux ; est-ce étonnant ? Eh bien ! ne te gêne pas, mets là ton chapeau. Voulez-vous me permettre, monsieur et madame Guillaume, de vous présenter mon meilleur ami.

ALEXANDRE, à part.

Je n’en reviens pas ; il a un aplomb...

À M. et à madame Guillaume.

Monsieur et madame, c’est moi qui suis...

MADAME GUILLAUME, le regardant.

Ah ! mon Dieu !...

Bas, à M. Guillaume.

Je n’en saurais douter ; c’est lui ; c’est ce jeune homme, dont je vous parlais, qui nous suivait dans toutes les promenades, et qui faisait les yeux doux à ma fille.

M. GUILLAUME, de même.

Il se pourrait !

MADAME GULLAUME, de même.

Mais prenez garde à ce que vous allez faire : c’est l’ami intime du pensionnaire, et nous sommes obligés à des égards ; heureusement qu’il va s’en aller.

OSCAR, à Alexandre.

Ah çà, mon ami, tu n’as pus d’engagements ? tu nous feras le plaisir de dîner avec nous, là, sans laçons ; le repas de famille.

À M. et madame Guillaume.

J’espère qu’il me sera permis, une fois par hasard, d’amener un ami, ça ne se refuse jamais.

MADAME GUILLAUME.

Mais, monsieur...

OSCAR.

Parlez : si vous aimiez mieux que je paie au cachet ; moi je le préfère, parce que je serai plus libre.

M. GUILLAUME.

Monsieur, certainement, je ne prétends vous priver d’aucune liberté ; et vous pouvez, si vous voulez...

OSCAR.

À la bonne heure, voilà qui est parler. Ainsi, un couvert de plus pour monsieur, et, bien entendu, un petit extraordinaire ; il faut donner à votre cuisinière une occasion d’exercer ses talents ; je suis sur que cette nouvelle va l’animer d’un noble feu... À propos de feu, du café pour deux, et surtout qu’il soit bien chaud !

M. GUILLAUME, hors de lui.

Du café pour deux, madame !

MADAME GUILLAUME, à voix basse.

De grâce, modérez-vous.

M. GUILLAUME, plus fort.

Du café pour deux...

D’un ton plus doux.

Tâche qu’il y en ait pour moi.

OSCAR.

Mais vous n’en preniez pas.

M. GUILLAUME.

Oui, mais à cause de l’occasion, comme dit ma femme : quand il y a pour deux, il y a pour trois.

Bas à sa femme.

Ce sera toujours cela de rattrapé.

MADAME GUILLAUME.

Sans doute, et pour que ces messieurs en soient contents, je vais le préparer moi-même.

OSCAR.

Vous êtes charmante, et comme je vous le disais tantôt...

Il continue à parler bas.

M. GUILLAUME.

Mais où est donc mon journal ?

OSCAR, qui le tient à la main.

Ne le cherchez pas, je l’ai là ; je vous l’enverrai dès que je l’aurai lu.

M. GUILLAUME, à part.

Voilà qui est commode ! il n’y a rien d’agréable comme un pensionnaire ; il reçoit chez moi, il commande mon dîner, il lit mon journal...

Regardant Oscar, qui cause bas.

Je crois même qu’il en conte à ma femme...

Haut.

Madame Guillaume, madame Guillaume ! viendrez-vous ?...

MADAME GUILLAUME.

C’est que monsieur me proposait de nous conduire ce soir, moi et ma fille, à l’Ambigu-Comique... au Remords...

M. GUILLAUME, à part.

Au Remords !... eh bien, par exemple !... finir la soirée par une loge au spectacle ; il ne manquait plus que cela !

À Oscar.

Air du vaudeville Les Blouses.

Pardon, monsieur, si j’emmène ma femme.

MADAME GUILLAUME, à Oscar et à Alexandre.

Pardon, messieurs, si je vous laisse ainsi.

M. GUILLAUME, à madame Guillaume.

J’ai quelques mois à vous dire, madame.

OSCAR.

Allez, allez, vous êtes maître ici.

M. GUILLAUME, à part.

À son aspect le courroux me transporte ;
De ses façons je suis tout effrayé ;
Je le mettrais de bon cœur à la porte...
C’est bien heureux pour lui qu’il ait payé.

Ensemble.

OSCAR, à Alexandre.

Je suis, tu vois, fort bien avec la femme,
Et pas trop mal avec le cher mari.
Oui, c’est de moi qu’il faut qu’on se réclame
Je suis enfin presque le maître ici.

ALEXANDRE.

Il est, ma foi, fort bien avec la femme,
Et pas trop mal avec le cher mari.
Oui, c’est de lui qu’il faut qu’on se réclame,
Je vois qu’il est plus que le maître ici

M. GUILLAUME, à madame Guillaume.

Je sens déjà le courroux qui m’enflamme,
Quel rôle fais-je, enfin, pour un mari ?
Sans différer, ah ! suivez-moi, madame,
Car, après tout, je suis le maître ici.

MADAME GUILLAUME, à M. Guillaume.

Eh ! mais vraiment, quel courroux vous enflamme ?
Ignorez-vous qu’il faut être poli ?
Soyez-le donc ; songez que votre femme
A dû compter un peu sur son mari.

M. et madame Guillaume sortent.

 

 

Scène XI

 

OSCAR, ALEXANDRE

 

ALEXANDRE.

Ah çà, mon ami, explique-moi ce que cela veut dire. Comment ! cette maison, où, il y a une heure, nous ne savions comment faire pour nous introduire, tu en es maintenant seigneur et maître, tu ordonnes et disposes à ton gré, et de quel droit ?

OSCAR.

De quel droit ?

Du droit qu’un esprit vaste et ferme en ses desseins,

ou si tu l’aimes mieux, par droit de conquête, ce qui revient au même. J’avoue que d’abord je voulais te servir, les intentions étaient pures. Mais maintenant je ne vois pas pourquoi je ne continuerais pas pour mon compte. La maison est bonne ; je trouve madame Guillaume charmante, et son mari est déjà de mes amis, autant s’établir ici qu’ailleurs.

ALEXANDRE.

Et si dans un instant on te renvoie...

OSCAR.

Est-ce que c’est possible ? est-ce que tu ne comprends pas que je fais partie intégrante du logis ? Je suis presque du mobilier. En un mot, je remplis en ces lieux des fonctions qui consistent à venir dîner tous les jours, à découper à table, à raconter des histoires, à être l’ami de monsieur, le chevalier de madame ; c’est ce qu’on appelle en Italie le sigisbé, dans la haute société l’ami de la maison, et dans la bonne bourgeoisie le pensionnaire.

ALEXANDRE.

Comment ! tu t’es mis en pension chez madame Guillaume ! c’est un coup de maître... Mais comment paieras-tu ?

OSCAR.

Eh bien, n’es-tu pas là ? Nous partageons cela en amis, en frères ; je suis pour les démarches et toi pour l’argent, j’ai fait les avances et tu feras les frais.

ALEXANDRE.

Certainement, je ne demande pas mieux, mais c’est que je n’ai pas d’argent.

OSCAR.

Je le sais bien ; mais tu es héritier, et à Paris on prête sur tout, même sur une succession.

ALEXANDRE.

Une succession comme celle-là ! qu’on ne sait où trouver... Voilà un mois seulement que j’ai appris, à Gisors, que M. Floquet, mon grand-oncle, était mort depuis un an, ce qui est très négligent à lui, et puis ensuite que tout son héritage consistait en un portefeuille de soixante mille francs, dont s’est emparée une unique héritière qui est venue s’établir à Paris ; où veux-tu que je la trouve pour réclamer ma moitié ? Paris est si grand, et ma succession est si petite !

OSCAR.

Il est vrai qu’il s’en perd tous les jours de plus considérables que la tienne ; mais il faut toujours se mettre en règle.

ALEXANDRE.

Oh ! j’ai tous mes papiers, tous mes titres ; ils ne me quittent pas ! et que je trouve seulement notre héritière, le procès ne sera pas long.

OSCAR.

Peut-être.

ALEXANDRE.

Mais j’ai parlé à un avoué.

OSCAR.

C’est ce que je te disais, raison de plus ; et puisque l’héritage est incertain, il faut tâcher que le mariage ne le soit pas. Mademoiselle Joséphine est fille unique, et on n’a pour elle aucun projet de mariage, j’ai déjà découvert cela ; ainsi il faut te présenter.

ALEXANDRE.

Oui, mon ami, je me présenterai.

OSCAR.

Nous séduisons ensuite le père et la mère.

ALEXANDRE.

Oui, mon ami, oui, je séduis... Mais, si nous commencions par la fille...

OSCAR.

Je ne m’y oppose pas.

ALEXANDRE.

Tu parleras pour moi. Ô ciel ! la voici... Mon ami, ne m’abandonne pas ; aide-moi un peu, seulement pour commencer, c’est tout ce que je te demande.

 

 

Scène XII

 

OSCAR, ALEXANDRE, JOSÉPHINE

 

JOSÉPHINE, à part en entrant.

Marie m’a dit qu’il y avait un pensionnaire d’arrivé, et qu’on avait recommandé à tout le monde de lui obéir comme au maître de la maison ; cela va être bien amusant !

ALEXANDRE.

Mademoiselle...

JOSÉPHINE.

Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce que je vois là ? Comment ! monsieur, c’est vous qui êtes le pensionnaire pour qui on a recommandé tant d’égards ?

OSCAR, qui lit le journal.

Oui, mademoiselle ; M. Alexandre, mon ami, mon camarade, qui n’est point étranger à vos climats, car il a habité aussi la rue Saint-Denis.

ALEXANDRE, bas à Oscar.

Laisse-moi dire maintenant.

Haut.

Oui, mademoiselle, j’ai été quelque temps dans une maison de rubanier, aux Trois-Colombes, ici près ; et j’avais moi-même l’intention de m’établir dans cette partie-là...

JOSÉPHINE.

Et qui vous en a empêché ?

ALEXANDRE.

Mais c’est que...

Se retournant vers Oscar.

Dis donc, mon ami...

OSCAR, à Joséphine.

Une passion invincible, insurmontable... Il voyait souvent passer, devant sa boutique, une jeune personne charmante. Il ne pouvait s’empêcher de la regarder, de l’admirer !...

ALEXANDRE.

Laisse-moi dire maintenant.

Oscar se rassied.

Oui, mademoiselle, de l’admirer ; je la suivais aux Tuileries, au spectacle ; mais jamais je n’ai pu lui parler, jamais je n’ai osé demander si mon assiduité ne lui déplaisait pas. Je vous le demande, à vous-même, qu’est-ce que cette jeune personne a dû penser ?

JOSÉPHINE.

Mais je crois qu’avant tout elle aurait voulu savoir dans quelles intentions...

ALEXANDRE, à Oscar.

Dans quelles intentions, hein, mon ami ?

OSCAR, à Joséphine.

Dans quelles intentions ? les intentions les plus respectables, les plus légitimes ; sans cela serais-je son ami ? Oui, mademoiselle, jeune et dans l’âge de plaire, avec une fortune encore équivoque, mais des espérances certaines, il veut se choisir une compagne, une amie, qui embellisse son ménage, qui préside à son magasin.

ALEXANDRE, à Oscar.

C’est bien ! je tiens la fin.

À Joséphine.

Oui, mademoiselle, c’est là mon seul vœu, mon seul espoir, je n’en eus jamais d’autre, j’offre une main actuelle et une fortune à venir. Pensez-vous que la personne dont je vous parlais tout à l’heure voulût bien accepter l’une et l’autre ?

JOSÉPHINE.

Mais, monsieur, pour répondre pour elle, il faudrait d’abord la connaître.

ALEXANDRE, embarrassé.

La connaître ? dis donc, Oscar...

OSCAR.

La connaître ? Eh ! mademoiselle, se connaît-on soi-même ?

ALEXANDRE.

J’y suis...

OSCAR.

Oui, mademoiselle, c’est vous !

ALEXANDRE, à Oscar, l’interrompant.

Je te dis que j’y suis.

À Joséphine.

C’est vous-même !

OSCAR, se rasseyant.

Ah ! l’y voilà !... Je savais bien qu’à nous deux nous en viendrions à bout.

ALEXANDRE, à Joséphine.

C’est vous que j ai toujours aimée ! Et, maintenant que vous savez mon secret, je ne sais pas de quoi je serais capable, si je n’obtenais de vous une réponse favorable.

Il se jette à ses genoux.

OSCAR, toujours les yeux sur le journal.

C’est bien !... maintenant que le voilà lancé...

 

 

Scène XIII

 

JOSÉPHINE, ALEXANDRE, à ses pieds, OSCAR, dans le fauteuil, M. GUILLAUME, paraissant dans le fond

 

M. GUILLAUME.

Que vois-je ! ce jeune homme aux pieds de ma fille !... Et vous, mademoiselle, que faites-vous là ?

JOSÉPHINE.

J’écoutais... On m’a recommandé d’avoir des égards pour le pensionnaire.

M. GUILLAUME.

Le pensionnaire ! le pensionnaire, le voilà. Et quand même ce serait... Allons, rentrez, mademoiselle.

Joséphine rentre dans sa chambre.

Parbleu, monsieur, je vous admire, vous êtes là, tranquillement...

OSCAR.

Je me dépêchais d’achever le journal, afin de vous l’envoyer.

GUILLAUME, hors de lui.

Air : Qu’il est flatteur d’épouser celle. (Le Jaloux malade.)

On croit peut-être que j’ignore...

OSCAR, lui présentant le journal.

Tenez, l’article est très bien fait.

M. GUILLAUME.

Quoi ! monsieur, vous osez encore...

OSCAR.

Par malheur, il n’est pas complet.

M. GUILLAUME.

Un pareil commerce m’irrite.

OSCAR, montrant le journal.

On l’interrompt juste au plus beau.

M. GUILLAUME.

Mais j’en empêcherai la suite.

OSCAR.

La suite au prochain numéro.

M. GUILLAUME, à part.

Je ne sais ce qui me retient.

Bas à Oscar.

Vous sentez comme moi que monsieur votre ami ne peut pas rester.

OSCAR.

Un instant. Je l’ai invité à dîner, et il dînera. Je n’irai pas payer un cachet pour rien !

M. GUILLAUME.

Quoi ! vous prétendez que je garde dans ma maison ?...

OSCAR.

Je n’ai pas dit cela ! Apres dîner, il faudra bien qu’il s’en aille ; je l’exige même ;

À Alexandre.

entendez-vous, jeune homme ?

À M. Guillaume.

mais il faut qu’il dîne, pour la règle et les principes !

M. GUILLAUME.

Mais je vous ferai observer que d’ici au dîner il y a encore une heure et demie.

OSCAR.

C’est ma foi vrai ! je n’y pensais pas !

Montrant Alexandre.

Il a peut-être besoin de prendre quelque chose... Dis donc, mon ami, ne te gène pas, tu n’as qu’à parler.

Air : Mon cœur à l’espoir s’abandonne. (Caroline.)

Du madère ou du malvoisie,
Choisis.

À M. Guillaume.

Nous en avons, je crois.

À Alexandre.

Surtout, point de cérémonie,
Tu peux agir comme chez toi.

ALEXANDRE.

Mais, mon ami, je te supplie...

OSCAR.

Voyez-vous, il fait des façons !
Allons, je ferai ta partie,
Et tous les deux nous trinquerons.
Et tous les trois nous trinquerons.

Ensemble.

OSCAR.

Du madère ou du malvoisie,
Choisis. Nous en avons, je crois.
Surtout point de cérémonie
Tu peux agir comme chez toi.

ALEXANDRE.

Du madère ou du malvoisie,
J’aime assez tous les deux, je crois.
Je bannis la cérémonie
Et fais ici comme chez moi.

M. GUILLAUME.

Du madère ou du malvoisie !
C’en est fait de nous, je le vois ;
Ils vont, et sans cérémonie,
Tout mettre au pillage chez moi.

Oscar et Alexandre sortent par le fond.

 

 

Scène XIV

 

M. GUILLAUME, seul

 

C’est cela ! ils vont mettre ma cave à contribution, même avant le dîner ; par exemple, il faudra savoir si, dans l’intervalle des repas, je suis obligé de subvenir à la consommation intermédiaire du pensionnaire. Je consulterai là-dessus, parce qu’il me semble, à moi, qu’on n’a pas le droit d’exiger... eh ! parbleu, je suis bien bon ! s’il ne l’a pas, il le prendra ; il prend tout ici.

Air du Ménage de garçon.

Il est plus maître que moi-même,
Dans ma maison je ne suis rien ;
Pour partager le rang suprême,
J’avise un excellent moyen :
Si ma femme veut le permettre,
D’après ce que je vois ici,
En pension je vais me mettre,
Afin de commander aussi.

On entend du bruit dans l’intérieur de la maison.

Eh ! mais, il me semble qu’on parle bien haut dans le magasin ; est-ce que ce serait encore quelque événement de sa façon ?

 

 

Scène XV

 

M. GUILLAUME, MADAME GUILLAUME

 

M. GUILLAUME.

Eh bien ! qu’est-ce, madame Guillaume ? et quelle est la cause de cette rumeur soudaine ?

MADAME GUILLAUME.

Dites encore du mal du pensionnaire !... s’il ne s’en était pas mêlé !...

M. GUILLAUME.

C’est justement là-dessus que je veux vous parler. Je trouve, madame, que le pensionnaire se mêle ici de tout, et je n’entends pas...

MADAME GUILLAUME.

À merveille ! pour quelques mots qu’il m’a adressés, je vois déjà que vous êtes jaloux.

M. GUILLAUME.

Non, madame, mais je suis maître de maison ; je suis père, je suis époux...

MADAME GUILLAUME.

Allons, encore des idées que vous vous faites !

M. GUILLAUME.

Que je me fais ?

MADAME GUILLAUME.

Oui, monsieur ; mais nous discuterons cela plus tard ; apprenez que vous avez oublié de vous rendre chez le commissaire.

M. GUILLAUME.

Moi ! chez le commissaire !

MADAME GUILLAUME.

C’est une formalité indispensable ; quand on a des pensionnaires, il faut faire sa déclaration pour attester la moralité des personnes qu’on reçoit.

M. GUILLAUME.

Eh bien ! on n’a qu’à m’attendre !

MADAME GUILLAUME.

Oui, mais c’est qu’il y a une forte amende, et que vous l’avez encourue.

M. GUILLAUME.

La ! encore une dépense qu’il m’aura occasionnée !

MADAME GUILLAUME.

Rassurez-vous ; M. Joseph, le clerc du commissaire, est venu tout à l’heure pour cela au magasin.

M. GUILLAUME.

M. Joseph, celui qui vous faisait une cour si assidue ?

MADAME GUILLAUME.

Oui ; mais comme il est aussi de la connaissance de M. Oscar (car, c’est charmant, il connaît tout le monde), il l’a invité à dîner, et tout va s’arranger.

M. GUILLAUME.

M. Joseph ! M. Joseph dîne ici ?... Eh bien ! par exemple ! vous ne savez pas que, l’autre semaine, je lui ai écrit de ne plus mettre les pieds chez moi ; et il a répondu au commissionnaire que la première fois qu’il me rencontrerait... Ce n’est pas que je le craigne ; mais enfin, c’est un homme que je ne veux pas voir ; et puisqu’il dîne ici, je n’ai plus qu’un parti à prendre, c’est d’aller dîner chez le restaurateur. Voyez un peu, madame, la belle économie !

Air : Cœur infidèle, cœur volage. (Blaise et Babet.)

Ensemble.

M. GUILLAUME.

Vous le voyez, c’est votre faute ;
Accueillir chez nous un tel hôte !
Qu’il craigne à la fin ma colère,
Car je sors de mon caractère.

MADAME GUILLAUME.

Monsieur, c’est plutôt votre faute,
Accueillir chez nous un tel hôte !
Craignez à la fin ma colère,
Car je sors de mon caractère.

 

 

Scène XVI

 

M. GUILLAUME, MADAME GUILLAUME, MARIE

 

MARIE, accourant.

Monsieur Oscar ! quelle aventure !
(Il s’ mêle de tout en ce lieu)
Il vient d’ renverser la friture ;
Et v’là la cheminée en feu !

M. GUILLAUME.

Et la maison qui n’est pas assurée !

Ensemble.

Oui, madame, c’est votre faute ;
Accueillir chez nous un tel hôte !
Voyez la belle économie !
Allons éteindre l’incendie.

MADAME GUILLAUME.

Oui, monsieur, c’est votre faute ;
Accueillir chez nous un tel hôte !
Voyez la belle économie !
Allons éteindre l’incendie.

 

 

Scène XVII

 

M. GUILLAUME, MADAME GUILLAUME, MARIE, OSCAR, une serviette autour du corps, et tenant à la main un plat où est une volaille, ALEXANDRE, JOSÉPHINE

 

OSCAR.

Rassurez-vous, rassurez-vous ; j’ai sauvé le rôti !

M. GUILLAUME et MADAME GUILLAUME.

Et le feu ?

OSCAR.

C’est déjà fini ; ces braves pompiers vous l’ont éteint en un clin d’œil.

Air de Turenne.

Au beau milieu du fou qui les menace,
Ils étaient là comme en leur élément ;
Enchanté de leur noble audace,
J’ai fait monter dix flacons de vin blanc.

M. GUILLAUME.

À des pompiers donner tout mon vin blanc !
Ne pouvaient-ils, c’était tout bénéfice.
Boire de l’eau, puisqu’ils en ont exprès ?

OSCAR.

Sachez, monsieur, qu’ils n’en boivent jamais,
De crainte de nuire au service.

Mais on ne peut pas boire sans manger, et je les ai invités à dîner au magasin.

M. GUILLAUME, dans le dernier désespoir.

Six pompiers à dîner !

Il prend le sac d’argent qui est sur la table, et le donnant à Oscar.

Tenez, monsieur, tout calculé, j’aime mieux vous le rendre.

OSCAR, étonné.

Qu’est-ce que c’est que cela ?

M. GUILLAUME.

Deux cents francs que je vous donne pour aller dîner où bon vous semblera, pourvu que ce ne soit pas chez moi.

OSCAR, toujours étonné.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

 

 

Scène XVIII

 

LES MÊMES, MADAME JOCARD

 

MADAME JOCARD.

Eh mon Dieu ! que de monde ! On m’avait bien dit, mon voisin, que vous alliez prendre des pensionnaires, exprès pour m’ôter mes clients et pour me ruiner ; du reste, chacun est maître chez soi, et ce n’est pas de cela qu’il s’agit : je viens vous demander mon reçu.

M. GUILLAUME.

Comment ! votre reçu !

MADAME JOCARD.

Oui, le reçu de mon terme ; j’ai ce matin apporté l’argent à Marie, qui a dû vous le remettre.

MARIE.

Eh ! oui, monsieur, madame Jocard est déjà venue.

ALEXANDRE.

Ô ciel ! madame Jocard ! Vous êtes madame Jocard elle-même ?

MADAME JOCARD.

Oui, monsieur.

ALEXANDRE.

Qui avez hérité d’un grand-oncle, demeurant à Gisors, le respectable M. Floquet ?

MADAME JOCARD.

Oui, monsieur.

ALEXANDRE.

Dieux ! quelle rencontre !...

À Oscar.

Mon ami ! c’est elle !

OSCAR.

Notre héritière !

Jetant à M. Guillaume la bourse qu’il tient toujours.

Ah ! madame ! enchanté de faire votre connaissance ! Voici mon ami, le jeune Floquet, votre parent, votre cohéritier ; liens touchants de la nature et du sang, que vous avez de pouvoir !... son acte de naissance ;

Passant à madame Jocard le papier que lui donne Alexandre.

le contrat de mariage de son père surtout... lorsque brisés depuis longtemps, un hasard sympathique vous renoue à l’improviste !...

De même.

l’acte de liquidation, celui de partage, tout est en règle. Mais nous avons des égards, des sentiments, quoique héritier, nous savons ce qu’on se doit entre parents, et nous vous donnons, pour payer nos trente mille francs, tout le temps convenable.

MADAME JOCARD.

Plus de doute, c’est lui.

M. GUILLAUME, à Alexandre.

Quoi ! vous héritez de trente mille francs ?

OSCAR.

Qu’il vient mettre aux pieds de votre fille ; le repas d’aujourd’hui devient le repas de noce. Tout le monde y est invité, amis ou non, n’est-il pas vrai ?

JOSÉPHINE.

Mon père !...

MADAME GUILLAUME.

Mon ami !...

ALEXANDRE.

Dois-je dire mon père ?

M. GUILLAUME.

Eh oui, sans doute ; le moyen de faire autrement !...

OSCAR.

À merveille ! rien ne sera changé dans la maison ; vos enfants et moi, nous nous mettons en pension chez vous.

M. GUILLAUME.

Du tout, j’en ai assez comme cela ; qu’ils prennent leur ménage.

OSCAR.

À la bonne heure !...

À Alexandre.

Mon ami, c’est chez toi que je me mettrai en pension.

Air : Allons, partons. (Azémia.)

Allons, allons nous mettre à table !
Que chacun aujourd’hui,
Convive aimable,
Soit comme chez lui.

OSCAR, à M. Guillaume.

Air : L’amour qu’Edmond a su me taire.

Dans mes façons expéditives,
Je suis loin d’avoir votre goût :
Vous craignez les nombreux convives,
Et moi, je les aime beaucoup.

Bas au public.

Aussi, comme c’est moi qui prie,

Désignant M. Guillaume.

Pour qu’il enrage, venez tous
Chaque soir, sans cérémonie,
Vous mettre en pension chez nous.

TOUS.

Allons, allons nous mettre à table, etc.


[1] Tout ce rôle doit toujours être débité avec la plus grande volubilité.

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