La Nouvelle Omphale (DE BEAUNOIR)

Comédie en trois actes, mêlée d’ariettes.

Musique d’Étienne Joseph Floquet.

Représentée pour la première fois, à Versailles, le 22 novembre 1782.

 

Personnages

 

LE SIRE DE MONTENDRE

CAMILLE, Dame de Montendre

LE CHEVALIER DE VALSAC

MARINETTE, suivante de Camille

DE LORME, Valet du Chevalier

RUSTAUT, Concierge du Château

CHEVALIERS de la suite de Montendre

TROUPE DE FAUCONNIERS

TROUPE DE PIQUEURS

TROUPE DE GARDES-CHASSE

 

L’Action se passe en 1590, vers le mois de Novembre, dans le Château de Montendre, en Béarn.
Henri IV, les armes à la main, forçait les barrières du Trône, fermées par les Ligueurs et la Maison d’Espagne.

 

 

ACTE I

 

Le Théâtre représente, sur le côté droit, un château fort, avec fosses, pont-levis, cours et tourelles ; à la tête du pont-levis est une petite cloche.
Le côté gauche est occupé par l’entrée d’une forêt, dont les arbres sont dépouillés de leur feuillage.
Le Théâtre est borné par une hauteur qui domine le château.

 

 

Scène première

 

LE CHEVALIER, DE LORME

 

Le Chevalier et de Lorme descendent la hauteur qui domine le château.

Duo dialogué.

DE LORME.

Quoi ? c’est l’amour
Qui vous ramène
En ce séjour ?

LE CHEVALIER.

Oui, c’est l’amour
Qui me ramène
En ce séjour :
Charme de la chaîne
Mon cœur, en ce jour,
S’y livre, sans retour.

Ensemble.

LE CHEVALIER.

Oui, c’est l’amour
Qui me ramène
En ce séjour.

DE LORME.

Quoi ! c’est l’amour
Qui vous ramène
En ce séjour.

LE CHEVALIER.

C’est dans ces paisibles lieux
Que respire Camille ;
Loin du tumulte de la Ville,
Elle se cache à tous les yeux :
Mais bientôt son jeune cœur
Partageant ma douce ivresse,
Va s’ouvrir à la tendresse,
Et me nommer son vainqueur.

DE LORME.

Quoi ! c’est l’amour
Qui vous ramène
En ce séjour ?

LE CHEVALIER.

Oui, c’est l’amour
Qui vous ramène
En ce séjour.

DE LORME.

Mais, Monsieur, jamais vous ne m’avez parlé de Camille.

LE CHEVALIER.

Comment t’en aurais-je parlé, de Larme ? Je ne l’ai jamais vue.

DE LORME.

Et vous êtes amoureux ?

LE CHEVALIER.

Comme un fol.

DE LORME.

Je le crois.

LE CHEVALIER.

Tu sais qu’hier, à trente lieues d’ici, nous rencontrâmes Monsieur de Montendre son époux...

DE LORME.

Qui vous fit l’accueil le plus honnête ; mais qui, je crois, sera très surpris, et peut-être même très piqué, en apprenant, à son réveil, que, sans l’attendre, sans l’en prévenir même, vous êtes parti au milieu de la nuit pour venir dans son Château.

LE CHEVALIER.

C’est chose convenue : écoute-moi, j’ai soupé hier avec Montendre.

DE LORME.

Je le sais.

LE CHEVALIER.

Pendant tout le repas, il n’a cessé de me vanter la vertu, la sagesse, la fidélité de son épouse ; je n’ai pu m’empêcher de rire de la sécurité. Oui, lui ai-je dit, je conçois aisément, qu’entourée de Pastres et de grossiers Villageois, Camille a pu vous rester fidèle, mais, croyez vous que si elle voyait à ses pieds un Chevalier jeune, aimable, bienfait... Montendre, qui sur ce chapitre n’entend pas la plaisanterie à voulu me prouver la vertu de sa Dame les armes à la main : à peine avons-nous croisé nos épées, que nos amis communs nous ont séparés ; mais j’ai gagé contre eux tous, mon équipage de la campagne prochaine contre les leurs, quoiqu’aujourd’hui même je reparaîtrais devant eux, paré d’une écharpe tissue des mains de Camille. La gageure a été acceptée, et je viens la gagner.

DE LORME, à part.

Nouvelle étourderie.

Haut.

En ce cas, j’ai bien peur de faire la campagne à pied.

LE CHEVALIER.

Tu ris ?...

DE LORME.

Avez-vous entendu parler de Madame de Montendre ?

LE CHEVALIER.

On dit qu’elle est charmante.

DE LORME.

On ajoute qu’elle est aussi sage que belle.

LE CHEVALIER.

Vas, vas, mon pauvre de Lorme, cette sagesse-là ne m’en impose pas.

Ariette.

Je ris d’une belle
Qui brave l’amour ;
L’amour, à son tour,
Soumet la rebelle :
Sous son étendard
Ce Dieu la rappelle,
Et la plus cruelle
Aime un jour plus tard.

Mais ne perdons pas temps ; en amour, comme en guerre tous les moments sont précieux. Surtout de Lorme, gardez vous de laisser soupçonner le retour de Montendre... Fais baisser ce pont.

 

 

Scène II

 

LE CHEVALIER, DE LORME, RUSTAUT

 

De Lorme sonne la cloche qui est à l’entrée du Château : Rustaut paraît aussitôt au haut d’une petite tourelle.

Trio dialogué.

RUSTAUT.

Que demandez-vous ?

DE LORME.

De grâce, ouvrez-nous.

LE CHEVALIER.

Baissez ce pont en diligence
Que nous puissions entrer ici.

RUSTAUT.

Entrer ici ?

LE CHEVALIER, DE LORME.

Oui, oui.

RUSTAUT.

Avant tout faisons connaissance.

LE CHEVALIER.

Baissez ce pont en diligence.

DE LORME.

De grâce, ouvrez-nous.

RUSTAUT.

Qui donc êtes-vous ?

Ensemble.

LE CHEVALIER.

Je suis son fidèle Écuyer.
Je reviens de l’armée.

DE LORME.

Je suis un jeune Chevalier,
Je reviens de l’armée.

RUSTAUT.

J’en ai parbleu l’âme charmée.
Mais on n’entre pas céans,
Dans l’absence de Madame.

DE LORME.

Il vient saluer Madame.

RUSTAUT.

Madame n’est pas céans.

DE LORME.

Permettez nous de l’attendre !

RUSTAUT.

La place est belle, à vous permis.

LE CHEVALIER.

Ouvrez, ouvrez à vos amis.

RUSTAUT.

Amis... Certes, le terme est tendre :
Avant tout faisons connaissance.

LE CHEVALIER.

Baissez ce pont en diligence.

DE LORME.

De grâce, ouvrez-nous.

RUSTAUT.

Qui donc êtes-vous ?

Ensemble.

LE CHEVALIER.

Je suis un jeune Chevalier,
Je reviens de l’armée.

DE LORME.

Je suis son fidèle Écuyer,
Je reviens de l’armée.

RUSTAUT, vivement.

J’en ai parbleu l’âme charmée.

Rustaut se retire brusquement, et rentre dans le Château, sans les écouter davantage.

 

 

Scène III

 

LE CHEVALIER, DE LORME

 

LE CHEVALIER.

Le maraud !...

DE LORME.

Eh bien ! Monsieur le Chevalier, cette réception de vous paraît-elle pas d’un bon augure ?

LE CHEVALIER.

Certainement. Plus le Concierge est farouche plus la Dame doit-être sensible et douce... Mais quel bruit se fait entendre ?

DE LORME.

Le cor dans la forêt rappelle le Chasseur.

LE CHEVALIER.

Madame de Montendre goûtait sans doute, dans ces bois les plaisirs de la chasse, retirons-nous à l’écart, et épions l’instant de la trouver seule... Les Chasseurs s’avancent ; suis-moi.

 

 

Scène IV

 

CAMILLE, MARINETTE, TROUPE DE CHASSEURS

 

MARINETTE.

Modérez, modérez l’ardeur qui vous enflamme ;
En vain le Cerf est aux abois ;
Obéissez à l’ordre de Madame,
Laissez en paix les habitants des bois.

CHASSEURS.

Obéissons à l’ordre de Madame,
Laissons en paix les habitants des bois.

Rustaut baisé le pont-levis, les Chaleurs rentrent dans le Château.

 

 

Scène V

 

CAMILLE, MARINETTE

 

MARINETTE.

Voulez-vous me permettre à présent de vous gronder ?

CAMILLE.

Pourquoi ?

MARINETTE.

Nous nous promettons de passer une journée charmante ; on rassemble vos Piqueurs, nous nous enfonçons dans la forêt, le Cerf est lancé, et la chasse vous ennuie.

CAMILLE.

Quel charme peux-tu donc trouver à poursuivre de timides animaux ?

MARINETTE.

Je ne sais plus comment vous dissiper.

CAMILLE.

Laisse-moi soupirer ; laisse-moi.

MARINETTE.

Vos soupirs feront-ils revenir Monsieur de Montendre un jour plutôt ?

CAMILLE.

C’est dans cet endroit que je reçu ses adieux ; c’est ici qu’on m’arracha de ses bras ; tout y respiroit alors le bonheur : tout est changé.

Ariette.

Tout me peint dans ces lieux le tourment de mon cœur ;
Ces arbres, ces ormeaux ont perdu leurs feuillages :
Le Rossignol, sous ces ombrages,
Ne vient plus essayer son ramage enchanteur.
La Colombe tendre et fidèle,
S’unit seule à ma peine cruelle.
Oiseaux, qui soupirez, je me plains, comme vous ;
Je viens mêler ma voix à votre doux murmure ;
L’absence est aux tendres Époux
Ce qu’est l’hiver à la Nature.

MARINETTE.

Eh ! Madame, pourquoi toujours ces tristes idées ? La gloire et l’honneur vous ont enlevé Monsieur de Montendre, l’amour et la victoire vous le ramèneront.

CAMILLE.

Ah ! Monsieur de Montendre ne m’aime plus.

MARINETTE.

Vous ne le croyez pas !

CAMILLE.

Il a pu me quitter, m’abandonner au bout de six mois de bonheur... Je me faisais une autre idée de l’hymen...

MARINETTE.

Nous sommes toutes de même.

Ariette.

Commencements,
Sont doux en mariage :
Nouvelle ardeur, flatteurs empressements,
Soins amoureux, doux larcins, tendre hommage,
Y font passer d’agréables moments ;
Mais le bonheur est comme le Printemps.
Heureux qui fait en faire usage !
Tous deux coulent rapidement,
Arrêtons-les sur leur passage :
Et nous répéterons, à l’hiver de nos ans,
Tous les moments
Sont doux en mariage.

 

 

Scène VI

 

CAMILLE, MARINETTE, DE LORME

 

DE LORME.

Un mot, ma belle Demoiselle.

MARINETTE.

Que voulez-vous ?

DE LORME.

Cette charmante personne est-elle Madame de Montendre ?

MARINETTE.

C’est elle même.

CAMILLE.

Que me voulez-vous, mon ami ?

DE LORME.

Madame, un noble Chevalier que je sers et qui arrive de l’armée, ma chargé de vous demander la permission de venir vous présenter les respects.

CAMILLE.

Il arrive de l’armé ?

DE LORME.

Dans l’instant.

CAMILLE.

Dites-lui que je serais charmée de le voir.

MARINETTE, à de Lorme.

Un mot. Est-il jeune ?

DE LORME.

Oui, Mademoiselle.

MARINETTE.

Aimable ?

DE LORME.

Charmant.

MARINETTE.

Est-il loin d’ici ?

DE LORME.

Non Mademoiselle ; je vais vous l’amener dans le moment.

MARINETTE.

Allez nous l’attendons avec impatience.

 

 

Scène VII

 

CAMILLE, MARINETTE

 

MARINETTE.

Réjouissez-vous donc, Madame, un Chevalier jeune, aimable, charmant, qui vient vous apporter des nouvelles de votre époux.

CAMILLE.

Puissent-elles être heureuses ?

MARINETTE.

Eh ! pourquoi voulez-vous qu’elles ne les soient pas ? Le porteur m’en donne d’avance bonne idée.

CAMILLE.

Tais-toi. Le voilà, sans doute.

 

 

Scène VIII

 

CAMILLE, LE CHEVALIER, MARINETTE, DE LORME

 

LE CHEVALIER.

Madame j’aurais cru manquer à tout ce que je dois à Monsieur de Montendre, mon frère d’armes et mon ami, si, passant sur ses terres, je n’étais pas venu rendre mes hommages à son épouse.

CAMILLE.

Il ne vous l’aurait, sans doute, jamais pardonné... Vous arrivez de l’armée, Monsieur ?

LE CHEVALIER.

Oui, Madame.

CAMILLE.

Permettez-moi donc de vous demander, avant tout, des nouvelles de Monsieur de Montendre.

LE CHEVALIER.

Je l’ai laissé, Madame, en parfaite santé.

CAMILLE.

Il ne se disposait pas à revenir ?

LE CHEVALIER.

Henri connait trop le mérite particulier de Monsieur de Montendre, pour lui accorder un congé, dans un moment où il a besoin de tous ses braves.

CAMILLE.

Je dois donc renoncer au bonheur de le voir cet hiver ?

LE CHEVALIER.

Je ne puis vous en laisser concevoir l’espérance.

CAMILLE.

Mais, Monsieur, moins âgé que mon époux, votre bras doit être plus utile au Roi que le sien, cependant vous avez quitté l’armée ?

LE CHEVALIER.

Une commission secrète, qui peut-être eût trop exposé les jours de Monsieur de Montendre, me ramène dans le Béarn.

CAMILLE.

Êtes-vous de cette Province ?

LE CHEVALIER.

Oui, Madame ; mon nom même ne doit pas vous être inconnu : je suis le Chevalier de Valsac, et mes terres touchent à celles de Monsieur de Montendre.

CAMILLE.

Il m’a souvent parlé de vous ; il vous aime et vous estime... vous ne comptez pas, sans doute, repartir sur le champ ?

LE CHEVALIER.

Non, Madame.

CAMILLE.

Serait-ce trop exiger que de vous demander ce jour entier ?

LE CHEVALIER.

C’est en faire le plus doux de ma vie.

CAMILLE.

Vous me pardonnerez donc l’importunité de mes questions ? Les moindres détails sont intéressants pour une épouse sensible.

LE CHEVALIER.

Je suis tout à vos ordres.

CAMILLE.

Donnez-moi la main ; vous avez, sans doute, besoin de repos.

LE CHEVALIER, à part.

J’espère bien troubler le vôtre.

Camille et le Chevalier rentrent dans le Château, de Lorme s’apprête à les suivre, Marinette l’arrête.

 

 

Scène IX

 

MARINETTE, DE LORME

 

MARINETTE, à part.

Cet homme, ou je suis bien trompé, m’a tout l’air d’un fat ; il faut que je m’en amuse...

Haut.

Halte-là brave Écuyer d’un Chevalier charmant, laissons entrer nos Maîtres et causons un instant.

DE LORME.

Très volontiers...

À part.

Elle m’en veut ; elle est gentille ; mon Maître en conte à la Dame, la Soubrette m’appartient de droit.

MARINETTE.

Votre Maître me paraît très aimable.

DE LORME.

C’est moi qui l’ai élevé.

MARINETTE.

Je vous en fais mon compliment.

DE LORME.

Parlons à cœur ouvert, Mademoiselle ; nous allons passer quelque temps dans ce Château, vous en êtes fort aise...

MARINETTE.

Vous croyez ?

DE LORME.

J’en suis sûr ; et vous ne serez pas fâchée que je vous donne une idée des bonnes et mauvaises qualités de mon Maître.

MARINETTE.

Je n’en ai pas besoin.

DE LORME.

Vous n’en avez pas besoin ?

MARINETTE.

Non, Monsieur... Je le connais aussi bien que vous.

DE LORME.

Vous l’avez déjà vu ?

MARINETTE.

Jamais.

DE LORME.

On vous en a parlé.

MARINETTE.

Jamais.

DE LORME.

Et vous le connaissez aussi bien que moi ?

MARINETTE.

Oui, Monsieur... Il est jeune, Militaire et Français ; c’est-à-dire, brave, volage et charmant.

DE LORME.

Vous avez la pénétration vive.

MARINETTE.

Il est vrai.

DE LORME.

En ce cas vous allez deviner que déjà je tremble de rester en ces lieux.

MARINETTE.

Pourquoi donc ?

DE LORME.

Je vais être continuellement exposé au feu de ces deux yeux ; il y fera chaud, Mademoiselle.

MARINETTE.

Rien n’épouvante un brave Guerrier.

DE LORME.

Ma foi, Mademoiselle, mon cœur ne demande qu’à capituler, et je vous dirai même, en secret, qu’il est tout prêt à se rendre à discrétion.

MARINETTE.

C’est une belle chose que la guerre.

DE LORME.

Je vous en réponds.

MARINETTE.

Surtout quand on est bien courageux.

DE LORME.

Devant qui parlez-vous !

MARINETTE.

Je ne connais pas de plus bel habit que celui de soldat.

DE LORME.

Je le crois bien, ma reine.

MARINETTE.

Je me suis toujours senti un faible pour les Militaires.

DE LORME.

Hé bien ! ma belle, dites un mot, et je suis tout à vous.

MARINETTE.

Les Guerriers sont volages...

DE LORME, se jetant à ses genoux.

Ne craignez rien ; je jure à vos pieds que vous n’aurez pour rivale, que la gloire...

 

 

Scène X

 

MARINETTE, DE LORME, RUSTAUT

 

Rustaut, qui pendant la Scène précédente guettait Marinette et de Lorme, sort du Château, s’avance doucement, et frappe un grand coup sur l’épaule de de Lorme.

RUSTAUT.

Tout beau, tout beau, Monsieur le brave ; ne vous échauffez pas tant.

DE LORME, se relevant.

Le maroufle a la main pesante.

RUSTAUT.

Quel est ce gentil damoiseau ?

MARINETTE, bas.

C’est un fat...

DE LORME, bas.

Quel est donc ce brutal ?

MARINETTE, bas.

C’est un sot.

RUSTAUT.

Monsieur le beau garçon, vous êtes très gentil, très agréable ; mais je suis bien aise de vous prévenir que j’aime Mademoiselle Marinette, que j’en suis aimé, que je dois l’épouser, que je ne me soucie pas qu’on lui conte fleurette de trop près, et que ceux que j’y trouve, je les assomme... Entendez-vous ?

DE LORME.

Oui, Monsieur.

RUSTAUT.

Je m’appelle Rustaut, et non Monsieur.

DE LORME,

Eh bien, soyez persuadé, mon cher Rustaut...

RUSTAUT.

Votre cher... Ah ! nous n’en sommes pas encore là, il faudra faire connaissance auparavant, et je vous préviens que je n’aime pas les freluquets... Pour vous, Ma demoiselle Mariette, je n’ai point encore d’ordres à vous donner ; mais, je vous prie, si vous voulez que je vous tienne ma parole, de ne pas manquer à la vôtre.

MARINETTE.

Tu t’effarouche d’un rien, mon pauvre Rustaut.

RUSTAUT.

C’est que je connais ces blondins aux propos doucereux.

Ariette.

Sans offenser sa douce amie,
On peut être soupçonneux ;
Point de belle sans amoureux,
Point d’amoureux sans jalousie.
Quand toujours
À ses amours
Une belle
Sera fidèle,
Traitez les jaloux
De vrais loups-garous.
Mais si la traîtresse,
Riant de sa foi,
Vous trompe sans cesse,
Chantez comme moi ;
Sans offenser la douce amie,
On peut être soupçonneux :
Point de belle sans amoureux ;
Point d’amoureux sans jalousie.

Ensemble.

MARINETTE.

Comptez un peu sur ma sagesse.

DE LORME.

Ah ! comptez plus sur ma sagesse.

RUSTAUT.

Je compte plus sur ces deux yeux.

DE LORME, à demi-voix.

Le vilain homme ma princesse !

MARINETTE, à demi-voix.

Pour un époux choisi-on mieux ?

Duo.

MARINETTE.

Vas tes soupçons injurieux
Alarment par trop ma tendresse ;
Un amant triste et soupçonneux,
Irrite l’amour et le blesse.
Bannis, bannis ta jalousie,
Connais mieux tout ce que tu vaux.

RUSTAUT.

Ah ! si mes soupçons amoureux
Alarment par trop ta tendresse,
D’un amant triste et soupçonneux,
Daigne ménager la faiblesse,
Non, je n’ai plus de jalousie,
Je connais tout ce que tu vaux.

Duo.

MARINETTE.

Pour être heureux pendant la vie,
Ne voyons plus qu’il ne faut.
Je n’aime que mon cher Rustaut,
Il est l’objet de ma tendresse :
Je le chérirai sans cesse ;
Rustaut
N’est pas un sot.

RUSTAUT et DE LORME.

Pour être heureux pendant la vie,
Ne voyons pas plus qu’il ne faut.
On n’enlève point à Rustaut
Le digne objet de sa tendresse,
On le chérira sans cesse ;
Rustaut
N’est point un sot.

 

 

ACTE II

 

Le Théâtre représente une Salle base du Château.

 

 

Scène première

 

CAMILLE, LE CHEVALIER

 

À la levée de la toile, Camille et le Chevalier sont assis.

CAMILLE.

Laissons-là ces propos, Chevalier ; ils sont très galants, mais ils ne me conviennent pas, ils pourraient même m’offenser : parlons de Henri ; tout ce que vous m’avez dit, me pénètre d’estime et d’admiration pour ce grand Roi.

LE CHEVALIER.

La rigueur de la saison le retient dans ce moment sous ses tentes, mais il n’attend que le retour du Printemps pour voler a de nouvelles Victoires.

CAMILLE.

Et Monsieur de Montendre s’est-il trouvé à toutes ces actions ?

LE CHEVALIER.

Il n’a jamais quitté les côtés du Roi.

CAMILLE.

Ne me cachez rien, de grâce ; n’a-t-il pas été blessé ?

LE CHEVALIER.

Non, Madame ; aucun de ses lauriers n’a été arrosé de son sang

CAMILLE.

Ils m’ont au moins coûté bien de pleurs.

LE CHEVALIER.

Que n’étais-je ici pour les essuyer ?

CAMILLE.

Vous ! Chevalier...

LE CHEVALIER.

Moi-même, Madame. Ah ! Monsieur de Montendre connaît bien peu le prix de son bonheur. Qu’il vole à la victoire ; près de vous un myrte vaut tous les lauriers.

CAMILLE.

Est-ce bien un Chevalier Français qui parle ainsi ?

LE CHEVALIER.

L’honneur n’exclu pas la tendresse ; et qui peut vous vous voir et conserver la liberté ?

CAMILLE.

Mon intention n’est pourtant pas de vous la ravir.

LE CHEVALIER.

Ah ! Madame, connaissais mieux le pouvoir de vos charmes.

CAMILLE.

Parlons de Monsieur de Montendre, votre frère d’armes, votre ami...

LE CHEVALIER.

Que j’envie son bonheur !

CAMILLE.

Si la tendresse de son épouse lui suffit, personne sans doute n’est plus heureux que lui.

LE CHEVALIER.

Si l’amour le plus rendre et le plus soumis donnaient des droits sur votre cœur, on pourrait les lui disputer.

CAMILLE.

Que voulez-vous dire, Monsieur ?

LE CHEVALIER.

Eh ! Madame, ne m’entendez-vous pas... Jouissez de votre triomphe... Je vous aime... Je vous adore...

Camille se levant avec fierté et s’éloignant du Chevalier.

Du dialogué.

CAMILLE.

Ciel ! Ô Ciel ! est-ce à moi
Que ce discours s’adresse ?

LE CHEVALIER.

L’hommage de ma foi
Vous irrite et vous blesse ;
L’amour que vous faites naître
Offense-t-il votre cœur ?

CAMILLE.

Apprenez à me connaître.

LE CHEVALIER.

Sans l’amour point de bonheur.

Ensemble.

CAMILLE.

Craignez ma juste fureur.

LE CHEVALIER.

Connaissez le vrai bonheur.

LE CHEVALIER.

Faut-il qu’à vos genoux ?

CAMILLE.

Levez-vous, levez-vous.

LE CHEVALIER.

L’hommage de ma foi
Vous irrite et vous blesse.

CAMILLE.

Ciel ! Ô Ciel ! est-ce à moi,
Que ce discours s’adresse ?
Éloignez-vous de mes yeux,
Ou redoutez ma colère.

LE CHEVALIER.

Non, je ne puis vous déplaire,
Votre cœur dément vos yeux,
Pourquoi feindre ?...

CAMILLE.

Téméraire...

LE CHEVALIER.

Pourquoi feindre ?...

CAMILLE.

Téméraire...

Ensemble.

CAMILLE.

Éloignez-vous de mes yeux,
Éloignez-vous de ces lieux,

LE CHEVALIER.

Votre cœur dément vos yeux,
Et je reste dans ces lieux.

LE CHEVALIER.

Eh bien ! Madame, il faut vous obéir, il faut m’éloigner un instant.

Prenant une arquebuse qui est dans le Salon.

Peut-être à mon retour vous trouverai-je moins cruelle.

 

 

Scène II

 

CAMILLE, MARINETTE

 

MARINETTE.

Que vois-je, Madame ? Le Chevalier vous quitte, et vous paraissez émue : Vous aurait-il annoncé quelque fâcheuse nouvelle ?

CAMILLE.

Le Chevalier... Ne me parlez jamais de cet homme.

MARINETTE.

Que voulez-vous dire ?

CAMILLE.

L’insolent... à osé te parler d’amour... Et d’un ton...

MARINETTE.

Et c’est-là ce qui cause votre colère ?

CAMILLE.

N’est-ce donc pas assez ?

MARINETTE.

Vous êtes belle, il est jeune ; il se trouve tête-à-tête avec vous, il vous parle d’amour ; mais tout cela me paraît dans l’ordre.

CAMILLE.

Taisez-vous. Son audace sera, punie ; qu’on dépêche à l’instant même un Courier à Monsieur de Montendre ; qu’il vienne venger l’affront que je reçois.

MARINETTE.

Ne faites point d’éclat, Madame ; gardez-vous-en bien : il est des secrets même innocents qu’un mari doit toujours ignorer.

CAMILLE.

Monsieur de Montendre connaît mon cœur ; toujours il m’a rendu justice ; jamais je n’aurai pour lui de secrets.

MARINETTE.

Eh bien ! soit, Madame, troublez par un éclat inutile la félicité de votre époux, armez son bras pour venger une injure imaginaire ; mais longez que cet audacieux Chevalier est jeune, Français, qu’il ne manque pas sans doute de courage, et que vous’ exposez les jours de Monsieur de Montendre.

CAMILLE.

Tu me fais frémir...

Ariette.

MARINETTE.

Épouses, sachez vous taire :
L’hymen est assez soupçonneux ;
Que le voile du mystère
Couvre toujours les yeux ;
Jamais une épouse sage
Ne doit sans nécessité,
De son heureux ménage,
Troubler la tranquillité.
Souvent, un aveu trop sincère,
A rompu les plus doux nœuds.
Épouses, etc.

CAMILLE.

Mais qui donc punira cet indigne Chevalier de son audace ? Qui me vengera ?

MARINETTE.

Qui vous vengera ? moi.

CAMILLE.

Toi !

MARINETTE.

Moi-même : il n’est qu’une arme à employer contre un fat, c’est le mépris, ou l’ironie, plus cruelle encore. Humilions sa vanité, amusons-nous de lui, et vous serez vengée.

CAMILLE.

Et comment ? 

MARINETTE.

Je ne sais... Attendez... Où est-il ?

CAMILLE.

Il est allé chasser dans le parc.

MARINETTE.

Chasser dans le parc... C’est un peu fort, mon brave Chevalier, c’est un peu fort ; venir tout exprès pour nous en conter, et brûler nos terres : nous y mettrons bon ordre. Hé bien ! s’il a l’audace en rentrant de tirer sur un des oiseaux de la Fauconnerie, faites-le sur le champ conduire à la Tour.

CAMILLE.

Mais...

MARINETTE.

Laissez-moi réfléchir... Je vous réponds d’une vengeance pleine et entière.

 

 

Scène III

 

MARINETTE, seule

 

Allons, Marinette, de la présence d’esprit, il s’agit de venger l’honneur de ton sexe, et d’apprendre à Messieurs les galants qu’on peut encore résister à leurs attraits vainqueurs.

Vaudeville.

Chevaliers langoureux,
Blondins doucereux,
Il est encor des belles,
À leurs devoirs fidèles,
Près de qui les amants
Perdent soupirs et temps,

Époux bien amoureux,
Maris généreux,
Il est encor des Dames,
Brulant d’honnêtes flammes,
Près de qui les amants
Perdent soupirs et temps.

Époux impérieux,
Maris soupçonneux,
Si l’on vous fait outrage ;
Hélas ! c’est votre, ouvrage ;
Car, sans vous, les amants
Perdraient soupirs et temps.

Mais j’aperçois mon fat, il revient avec son digne Écuyer ; cachons nous dans ce cabinet, et tâchons de surprendre le secret de leur cœur.

Elle rentre dans un cabinet de côté.

 

 

Scène IV

 

LE CHEVALIER, DE LORME

 

LE CHEVALIER

Elle n’y’est plus.

DE LORME, à part.

...Tant mieux...

Haut.

Croyez-moi, Monsieur, délogeons au plus vite de ce maudit Château, nous n’y sommes pas en force, vous avez l’envoyé malgré moi votre suite et vos équipages ; je crains à tout moment qu’il ne nous arrive quelqu’événement fâcheux.

LE CHEVALIER.

Tais-toi... Je veux revoir Camille.

DE LORME.

Ne m’avez-vous pas dit qu’elle avait reçu votre déclaration avec toute la hauteur... le dédain...

LE CHEVALIER.

Je m’y attendais Cette première résistance est d’étiquette, elle me plaît même et ne me décourage pas.

Ariette.

Je n’ai point trouvé de cruelles,
Et je n’en trouverai jamais.
L’amour en me prêtant ses ailes,
M’a laissé, dérober les traits.
Dès que je parais,
Je trouble les Belles.
La prude rougit,
La sage pâlit,
La jeune sourit,
Et chacune dit,
Tu n’as pas trouvé de cruelles
Et tu n’en trouvera jamais.

DE LORME, à part.

Quelle modestie !

LE CHEVALIER.

Écoute, de Lorme, vas trouver Madame de Montendre de ma part

DE LORME.

Je vous jure que je n’en ferai rien.

LE CHEVALIER.

Poltron.

DE LORME.

Tant que vous voudrez.

LE CHEVALIER.

Faisons mieux, Marinette m’a l’air d’une bonne fille.

Marinette sort du cabinet, et s’avance doucement, et sans être vue, jusqu’auprès d’eux.

 

 

Scène V

 

LE CHEVALIER, MARINETTE, DE LORME

 

DE LORME.

Oh ! pour celle-là, je vous en répond ; elle n’est ni fière, ni dédaigneuse, et connaît tout le prix d’un joli homme.

LE CHEVALIER, souriant.

Elle m’aime.

DE LORME.

Non, Monsieur.

LE CHEVALIER.

Que peux-tu donc dire ?

DE LORME.

On ne mérite pas son bonheur quand on est indiscret ; mais si je voulais parler... Suffit... Tout le monde ne rencontre pas des cruelles, et je connais quelqu’un qui pourrait dire, j’ai paru, j’ai plu, j’ai vaincu.

LE CHEVALIER.

Le fat !... Puisque tu es si bien dans les bonnes grâces de Marinette, engages-là à me procurer un nouveau tête à-tête avec sa maîtresse, dis-luis, qu’elle peut compter sur ma reconnaissance et ma discrétion...

MARINETTE, se montrant.

J’y compte bien aussi.

LE CHEVALIER.

Ah ! c’est toi, ma chère Marinette...

MARINETTE.

Moi-même, qui, sensible aux maux des tendres amants, viens vous consoler et partager vos peines.

LE CHEVALIER.

Fais-moi donc raison de l’indifférence et des mépris de ta maîtresse ?

MARINETTE.

Eh quoi ! charmant Chevalier, vous ne connaissez pas mieux les femmes ? Vous n’avez pas plus de pénétration ! Ne voyez-vous donc pas que cette froideur de Camille pourrait bien être feinte.

LE CHEVALIER.

Je m’en doutais.

MARINETTE.

Pensez-vous qu’intérieurement elle ne rend pas justice à votre mérite

LE CHEVALIER.

Je le crois... Mais ses mépris m’ont trop offensé, je n’ai point accoutumé les belles a tant de résistance, il faut qu’elle en soit punie ; je partirai sans la revoir.

MARINETTE.

Seriez-vous bien assez cruel ?

LE CHEVALIER.

Suis-je fait pour essuyer des refus ?

MARINETTE.

Pardonnez à la pudeur, un instant de résistance.

LE CHEVALIER.

Non, non, je suis trop offensé.

DE LORME.

Laissez-vous fléchir.

MARINETTE.

Vous ne l’aimez donc pas ?

LE CHEVALIER.

Mais... Si...

MARINETTE.

Et vous voulez l’abandonner...

LE CHEVALIER.

Eh bien, Marinette, je lui pardonne ; mais qu’elle sache qu’un second refus...

MARINETTE.

Ne craignez rien ; écoutez-moi : Monsieur de Montendre en partant pour l’armée, nous a entourées de surveillants qu’il faut tromper. Vous ne pouvez vous voir sans user de stratagème, et voici celui dont nous sommes convenues. Sortez dans la cour du Château, et tirez sur un des oiseaux de la Fauconnerie. Madame feindra d’être vivement piquée d’une pareille insulte, elle ordonnera à ses Gardes de vous conduire à la Tour du Château, vous vous défendrez pour la forme, et vous vous y laisserez enfermer.

À demi-voix.

Alors cette nuit, sans témoins et sans crainte, nous irons vous y entretenir, et soulager l’amertume de votre captivité.

LE CHEVALIER.

Oh ! ma chère Marinette, que ne te dois-je pas ! Prends cette bague, et sois bien assurée que je ne m’en tiendrai pas là.

MARINETTE.

À vous permis... Mais ne perdez pas de temps.

Le Chevalier sort.

 

 

Scène VI

 

MARINETTE, DE LORME

 

DE LORME.

Mademoiselle Marinette...

MARINETTE.

Monsieur de Lorme...

DE LORME.

Vous avez préparé le bonheur de mon Maître.

MARINETTE.

Il est vrai.

DE LORME.

Je vous aime.

MARINETTE.

Je le crois.

Duo dialogué.

DE LORME.

Vous connaissez ma tendresse,
Il faut me prouver votre amour.

MARINETTE.

Ah ! ménagez ma faiblesse ;
Comment vous prouver mon amour ?

DE LORME.

Je suivrai mon Maître à la Tour :
Permettez que pour vos beaux yeux
Je m’y faffe enfermer, ma reine.

MARINETTE.

Vous y serez trop dangereux.

DE LORME.

Vous me refusez, inhumaine.

MARINETTE.

Ah ! ménagez ma faiblesse.

DE LORME.

Je suivrai mon Maître à la Tour.

MARINETTE.

Vous connaissez ma tendresse.

DE LORME.

Il faut me prouver votre amour.

MARINETTE.

Laisserai-je ma Maîtresse
Se rendre seule à la Tour.

DE LORME.

Je vous entends, ma Princesse,
Et suis content du détour.

MARINETTE.

Vous riez de ma faiblesse.

DE LORME.

Les Belles m’ont toujours payé d’un doux retour.

Ensemble.

MARINETTE.

Pardonnez à ma pudeur,
Ce moment de résistance.
Pardonnez à l’honneur
Ce moment de rigueur

DE LORME.

Je pardonne à la pudeur,
Ce moment de résistance.
Je pardonne à l’honneur
Ce moment de rigueur.

 

 

Scène VII

 

LE CHEVALIER, MARINETTE, DE LORME, TROUPE DE GARDES-CHASSE.

 

On entend derrière le Théâtre un coup d’arquebuse, aussitôt le Chevalier rentre dans le Salon, l’épée, au poing, se défendant contre les Gardes-de-Chasse : qui le poursuivent et veulent le désarmer. De Lorme se joint au Chevalier.

GARDES-CHASSE.

Rendez les armes,
Rendez les armes,
Ou nous allons tirer sur vous.

LE CHEVALIER.

Rendre les armes !
Rendre les armes !
Malheureux, craignez mon courroux.

Ensemble.

LE CHEVALIER, DE LORME.

Rendre les armes !
Rendre les armes !
Malheureux craignez mon } courroux.
                                    son }

GARDES-CHASSE.

Rendez les armes,
Rendez les armes,
Ou nous allons tirer sur vous.

MARINETTE.

Rendez les armes,
Rendez les armes,
Chevalier, craignez leur courroux.

 

 

Scène VIII

 

CAMILLE, LE CHEVALIER, MARINETTE, DE LORME, RUSTAUT, PIQUEURS, GARDES-CHASSE

 

CAMILLE.

Secondez ma juste colère,
Qu’on désarme ce téméraire.

LE CHEVALIER, posant aux pieds de Camille son épée que Rustaut ramasse.

Pour me ravir ma liberté,
Il suffit de vos charmes.
Je braverai leurs impuissantes armes,
Je me soumets à la beauté ;
Puisque j’ai pu vous déplaire ;
Que je sois privé du jour :
Je renonce à la lumière,
Qu’on me conduire à la Tour.

CAMILLE.

Qu’on le conduise à la Tour.

Ensemble.

LE CHEVALIER, DE LORME.

Ah ! quel heureux détour !
Ma victoire est certaine.
Sous l’ombre de la haine.
Qu’elle cache d’amour !
Charmant retour.
Dans ce séjour.
Dans ce séjour
L’amour viendra briser ma chaîne.

CAMILIE, MARINETTE.

Ah ! quel heureux détour !
Ma vengeance est Certaine.
Il se livre à ma haine.
Sous l’ombre de l’amour.
Oui, sans retour,
Dans ce séjour.
Rien ne pourra briser sa chaîne.

TRUSTAUT, PIQUEURS.

De l’audace en ce jour,
Qu’ils reçoivent la peine.
La vengeance et la haine,
Veillent ca ce séjour :
Sombre séjour,
Rien ne pourra briser sa chaîne.

Ensemble.

CAMILLE.

Loin du jour,
Qu’on les conduise à la tour.

LE CHEVALIER, DE LORME.

C’est l’amour
Qui nous conduit à la tour,

MARINETTE.

C’est l’amour
Qui vous conduit à la tour.

TRUSTAUT, PIQUEURS.

Loin du jour,
Conduisons-les à la tour.

 

 

ACTE III 

 

Le Théâtre représente l’intérieur d’une Tour ; elle n’est éclairée que par une lampe posée sur une petite table. Au haut de la Tour règne intérieurement une balustrade.

 

 

Scène première

 

LE CHEVALIER, DE LORME

 

À la levée, de la toile le Chevalier et de Lorme, enfermés dans la Tour, l’examinent, mais avec des sentiments opposés, le Chevalier paraît très gai, et de Lorme mélancolique.

DE LORME.

Monsieur ?

LE CHEVALIER.

De Lorme.

DE LORME.

Comment trouvez-vous ce boudoir ?

LE CHEVALIER.

Charmant.

DE LORME.

Affreux.

Duo.

LE CHEVALIER.

Le Myrte va ceindre ma tête,
L’amour va couronner mes feux ;
Ce Dieu lui-même dans ces lieux.
Amène ma conquête.
Séjour de la douleur et de l’obscurité,
Je vous préfère
Aux champs de Gnide, aux bosquets de Cythère ;
Tout s’embellit par la beauté.
Le Myrte va ceindre ma tête,
L’amour va couronner mes feux :
Ce Dieu lui-même dans ces lieux
Amène ma conquête.

DE LORME.

Viens, ma Marinette,
Consoler ton amoureux,
Dans ces tristes lieux
Tout l’inquiète.
Quand on attend
L’objet qu’on aime ;
On se déplait même
Dans un lieu charmant.
Viens, ma Marinette,
Consoler ton amoureux,
Dans ces tristes lieux
Tout l’inquiète.

LE CHEVALIER.

De Lorme... j’entends du bruit.

DE LORME.

Vivat, Monsieur, on ouvre la porte.

LE CHEVALIER.

C’est Camille !

DE LORME.

Pas tout-à-fait.

 

 

Scène II

 

LE CHEVALIER, DE LORME, RUSTAUT

 

Rustaut entre et pose sur la table un quartier de pain noir et une petite cruche d’eau.

RUSTAUT.

Mon brave Chevalier, Madame, attentive à vos besoins, ma chargé de vous apporter à souper, et voilà votre provision pour ce soir.

DE LORME.

Où donc ?

RUSTAUT.

Là.

DE LORME.

Comment, là.

RUSTAUT.

Le pain n’est pas trop blanc, mais il a bon goût ; pour l’eau, voyez comme elle est claire, sa, vue seule invite à boire.

DE LORME.

Quoi ! malheureux, du pain, de l’eau ?

RUSTAUT.

Du pain, de l’eau. Vous n’avez rien à m’ordonner, mon brave Chevalier ?

LE CHEVALIER.

Sors.

RUSTAUT.

Bon appétit, bonsoir, et bonne nuit.

Il chantonne en s’en allant.

Pour la tête,
Pour le cerveau
Vive la diète,
Vive l’eau.

Il ferme avec un grand bruit les serrures et les verrous.

 

 

Scène III

 

LE CHEVALIER, DE LORME

 

Ils se regardent un instant en silence.

DE LORME.

Hé bien, Monsieur, Le Chevalier ?

LE CHEVALIER.

Hé bien, mon pauvre de Lorme.

DE LORME.

Quel sombre réduit ! quel triste souper !

LE CHEVALIER.

Il n’est pas délicat.

DE LORME.

On se moque de nous ?

LE CHEVALIER.

Non, je ne puis le croire.

DE LORME.

Quelles preuves vous en faut-il donc ?

LE CHEVALIER.

Camille me jouerait...

DE LORME.

Tout nous l’annonce assez : est-ce là la collation qu’on envoie à deux amans heureux ? Croyez-vous qu’on puisse parler bien haut d’amour, quand on meurt de faim ?

LE CHEVALIER.

On ouvre cette porte ?

DE LORME.

Oh ! pour le coup c’est Marinette.

 

 

Scène IV

 

LE CHEVALIER, MARINETTE, DE LORME

 

Marinette entre par une petite porte opposée à celle par laquelle Rustaut est sorti.

LE CHEVALIER.

Tu dissipes enfin mes craintes.

MARINETTE.

Vous touchez à l’instant du bonheur.

LE CHEVALIER.

Mais Camille ne paraît pas ?

MARINETTE.

La timidité la retient encore : elle craint.

LE CHEVALIER.

Et que peut-elle craindre ?

MARINETTE.

Un amant trop heureux est rarement constant et souvent indiscret.

LE CHEVALIER.

Ah ! Marinette, qu’elle me connaît peu, personne au monde n’est plus discret que moi : demande à de Lorme.

DE LORME.

Si nous avons un défaut, c’est d’être trop modestes, et d’une constance ! ah...

LE CHEVALIER.

Ma chère Marinette vas la trouver, rassures-la, dis lui bien...

MARINETTE.

Eh, que ne lui ai.je pas dit ?

LE CHEVALIER.

Tu peux lui jurer...

MARINETTE.

Les serments ne la contenteront pas.

LE CHEVALIER.

Que veut-elle donc ?

MARINETTE.

Des preuves ?

LE CHEVALIER.

Et quelles preuves ?

MARINETTE.

Vous allez rire de la fantaisie.

LE CHEVALIER.

C’est enfin... Où vas-tu ?

Marinette sort et reparaît aussitôt avec un rouet et une quenouille.

MARINETTE.

Vous voyez ce rouet.

LE CHEVALIER.

Hé bien ?

MARINETTE.

Hé bien, il faut que vous filiez cette quenouille.

LE CHEVALIER.

Moi, filer !

MARINETTE.

Vous-même.

LE CHEVALIER.

Mais Camille est donc folle ?

MARINETTE.

Un peu.

LE CHEVALIER.

Un Chevalier.

MARINETTE.

Un Chevalier.

LE CHEVALIER.

Non, non, je me déshonorerais... Tu ris.

MARINETTE.

Sans doute ; d’ailleurs, qui le saura ?

LE CHEVALIER.

Je ne suis pas même par où m’y prendre.

MARINETTE.

L’amour est un grand maître, il vous l’enseignera.

LE CHEVALIER.

Quoi, Marinette ! absolument.

MARINETTE.

Absolument. Votre bonheur est attaché à cette épreuve ; voyez.

LE CHEVALIER.

Il faut bien s’y résoudre. Hercule a filé pour Omphale ; se déshonore-t-on en marchant sur les traces d’Hercule ?

Marinette sort et reparaît avec une seconde quenouille et un fuseau.

MARINETTE.

Monsieur de Lorme.

DE LORME.

Mademoiselle Marinette.

MARINETTE.

Vous voyez cette quenouille ?

DE LORME.

Oui, Mademoiselle.

MARINETTE.

Il faut aussi mériter votre bonheur.

DE LORME.

Je vous entends... Mais un mot, s’il vous plaît.

MARINETTE.

Que voulez-vous ?

DE LORME.

L’amour est le Dieu du plaisir ?

MARINETTE.

Il est vrai.

DE LORME.

Le croyez-vous bien gai quand il est réduit au pain et à l’eau.

MARINETTE.

Nous ne pouvons mieux vous traiter sans donner quelque soupçon à Rustaut... Mais l’amour vous dédommagera.

DE LORME.

Il suffit.

MARINETTE.

À merveilles... Ne perdez pas de temps. Camille, contente de votre complaisance, ne tardera pas à venir vous en récompenser... Bon courage.

 

 

Scène V

 

LE CHEVALIER, DE LORME

 

Le Chevalier et de Lorme prennent chacun un rouet, et filent à l’envi l’un de l’autre, en chantant la Ronde suivante.

LE CHEVALIER.

Aux pieds d’une beauté cruelle,
Jeunes amants soupirez-vous ?
Pour soumettre la plus rebelle,
Prenez son écharpe et ses goûts.
Flattez amants, flattez toujours.
On sait plaire aux Belles
En les prenant pour modèles.

LE CHEVALIER, DE LORME.

Filons, filous pour nos amours ;
C’est filer nos plaisirs, c’est filer nos beaux jours.

DE LORME.

Mais on peut relever la tête,
Dès qu’on a le titre d’époux.
À votre tour, ma Marinette,
Vous apprendrez à filer doux.
Flattez amants, flattez toujours.
On fait plaire aux Belles
En les prenant pour modèles.

LE CHEVALIER, DE LORME.

Filons, filons pour nos amours
C’est filer nos plaisirs, c’est filer nos beaux jours.

 

 

Scène VI

 

CAMILLE, LE CHEVALIER, MARINETTE, DE LORME

 

Camille et Marinette paraissent sur la balustrade qui règne au haut de la Tour.

LE CHEVALIER.

Quelqu’un paraît sur cette balustrade ?

DE LORME.

Ce sont nos belles.

LE CHEVALIER.

Ah ! Madame, c’est vous ? Vous voyez, je vous obéis.

CAMILLE.

Vous voyez, Chevalier, je vous tiens parole.

LE CHEVALIER.

Descendez donc, de grâce...

CAMILLE.

Non, non, je sens trop combien, avec tant de mérite, vous feriez dangereux. Je me contente d’admirer vos hauts faits.

MARINETTE.

Voyez, Madame, voyez avec quelle grâce il tourné ce rouet, comme ce fil s’arrondit sous ses doigts délicats.

LE CHEVALIER.

Qu’entends-je ?

DE LORME.

On se moque de nous.

CAMILLE.

Continuez donc, illustre Chevalier, est-ce que ma présence vous gêne ? Vous sembliez tant la désirer.

LE CHEVALIER.

Cruelle... Vous abusez de mon imprudence.

CAMILLE.

Qu’il me sera glorieux, de montrer à tout le monde l’ouvrage d’un si brave guerrier !

MARINETTE, avec ironie.

Surtout que votre fil soit égal et fin.

DE LORME.

Ah ! la traitresse !

LE CHEVALIER.

Ah ! Madame, cessez d’insulter à ma faiblesse ; pouvez-vous me la reprocher ? Mon crime est de vous adorer ; et c’est ainsi que vous récompensez le plus tendre amour.

Quatuor dialogué.

MARINETTE.

« Dans ce Château, charmant bijoux,
« On ne fait pas l’amour, mais on le file.
« Filez, filez, Chevalier de Camille.

CAMILLE.

« Hercule, aux pieds d’Omphale, a filé comme vous.

LE CHEVALIER.

On me brave, on m’outrage.

DE LORME.

On se rit de nos maux.

CAMILLE.

Le plus noble courage
S’endort dans le repos.

LE CHEVALIER.

Je succombe à ma rage.

MARINETTE.

La quenouille sied bien dans les mains d’un Héros.

CAMILLE.

On reconnaît votre courage
À de si nobles travaux.

MARINETTE.

Doux Chevalier, reprenez votre ouvrage.

Le Chevalier jette loin de lui le rouet et la quenouille.

CAMILLE.

Tel Hercule en filant, brisait tous ses fuseaux.

MARINETTE.

« Dans ce Château, charmant bijoux,
« On ne fait pas l’amour, mais on le file.

Ensemble.

CAMILLE, MARINETTE.

« Filez, filez, Chevalier de Camille.
« Hercule, aux pieds d’Omphale, a filé comme vous.

LE CHEVALIER, DE LORME.

Tremblez, tremblez, imprudente Camille.
Frémissez des effets de { son juste courroux.
                                       { mon

RUSTAUT, PIQUEURS.

Noble et doux Chevalier, modérez ce courroux.

Rustaut ouvre le guichet de la porte de la Tour et accompagné de plusieurs Piqueurs, le moquent du Chevalier.

LE CHEVALIER.

Madame... Vous avez un époux ?

CAMILLE.

Vous l’aviez oublié, Chevalier.

LE CHEVALIER.

Madame... Je suis un imprudent, je mérite toute votre colère ; mais, de grâce, ne poussez pas plus loin votre vengeance.

CAMILLE.

Reconnaissez-vous vos torts ?

LE CHEVALIER.

Oui, Madame, qui, je les reconnais. Comment puis-je les réparer ?

MARINETTE.

Nous ne sommes pas méchantes ; achevez votre quenouille.

LE CHEVALIER.

J’aimerais mieux mourir.

MARINETTE.

Faites pour la liberté ce que vous faisiez pour l’amour.

LE CHEVALIER.

Quoi ! Madame, rien ne peut vous désarmer.

CAMILLE.

Marinette a prononcé votre punition ; elle est assez douce, et je ne la démens pas.

Camille se retire.

MARINETTE.

Si vous travaillez bien, c’est l’affaire d’une heure au plus et votre quenouille filée, vous êtes libre. Pour ne vous pas faire perdre de temps nous nous retirons Adieu.

 

 

Scène VII

 

LE CHEVALIER, DE LORME

 

Silence du désespoir.

LE CHEVALIER.

De Lorme... répondras-tu, maraud ?

DE LORME.

Monsieur.

LE CHEVALIER.

Tu me vois désespéré, et tu ne cherche pas même à calmer ma rage ? Que dis-tu de cette aventure ?

DE LORME.

Nous l’avons bien méritée.

LE CHEVALIER, avec colère.

Nous l’avons méritée !

DE LORME.

C’est de moi, dont je parle.

LE CHEVALIER.

Comment sortirons-nous d’ici ?

DE LORME.

Je ne sais... de fortes serrures, d’énormes verrous, d’épaisses grilles...

LE CHEVALIER.

Il faut donc y mourir.

DE LORME.

Si vous vouliez...

LE CHEVALIER.

Quoi ?

DE LORME.

Achever cette maudite quenouille.

LE CHEVALIER.

L’achever !...

DE LORME.

Modérez-vous... songez qu’à chaque instant Monsieur de Montendre peut arriver, que s’il vous trouve dans cet état, vous êtes perdu à jamais, au lieu qu’en travaillant bien une heure, nous serons en liberté, hors de ce maudit Château, et prêt à donner le démenti de notre aventure à tout l’univers.

LE CHEVALIER.

Tais-toi...

Ariette.

Est-il pour un noble cœur
Un plus cruel affront ? un plus cruel outrage ?
Je succombe à la douleur ;
La douleur abat mon courage.
Vous, dont je bravais le pouvoir,
Ô vous, dont j’outrageais les charmes ;
Jeunes beautés, voyez mes larmes,
Triomphez de mon désespoir.
Est-il pour un noble cœur.
Un plus cruel affront ? un plus cruel outrage ?
Je succombe à ma douleur ;
La douleur abat mon courage.

Pendant que le Chevalier chante cette Ariette, de Lorme achève rapidement sa quenouille, prend le rouet du Chevalier, et se met en devoir de filer aussi la sienne.

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR DE MONTENDRE, CAMILLE, LE CHEVALIER, MARINETTE, DE LORME, RUSTAUT, CHEVALIERS de la suite de Sire de Montendre, PIQUEURS et GARDES-CHASSE

 

La porte du fond de la Tour s’ouvre, Monsieur de Montendre paraît accompagné de Camille, de Marinette et de plusieurs Chevaliers, suivis de Rustaut et de tous ses Piqueurs et Gardes-Chasse.

LE CHEVALIER.

Ciel ! que vois-je ! c’est Monsieur de Montendre... Où me cacher ?...

MONSIEUR DE MONTENDRE, courant à lui et l’embrasant tendrement.

Dans les bras de l’amitié... Je viens te délivrer mon pauvre Chevalier, Madame de Montendre l’a traité un peu durement : lui pardonnes-tu ?

LE CHEVALIER, faisant un mouvement pour se jeter aux genoux de Camille.

Je dois tomber å ses pieds.

CAMILLE, l’arrêtant.

Que faites-vous, Chevalier ? relevez-vous, et croyez qu’il est encore des Dames qui connaissent tous les charmes de l’honneur et de la vertu... Soyez plus juste, aimez-nous-moins, mais estimez-nous d’avantage.

LE CHEVALIER.

Vous me voyez comme tous mes torts.

MONSIEUR DE MONTENDRE.

Mon ami, plus on connait les Dames et plus on les estime...

LE CHEVALIER.

Ariette.

Belle Camille, à votre voix,
De ma raison j’ai retrouvé l’usage.
Sexe charmant, je reconnais vos droits
Recevez mon nouvel hommage.
De la vertu, suivez toujours les lois ;
Jeunes beautés, quand on est belle et sage,
On peut compter qu’on est belle deux fois.

CHŒUR GÉNÉRAL.

Jeunes beautés, quand on est belle et sage,
On peut compter qu’on est belle deux fois.

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