La Loterie (DANCOURT)

Comédie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 10 juillet 1697.

 

Personnages

 

MONSIEUR SBRIGANY

MARIANE, Fille de Monsieur Sbrigany

LISETTE, Suivante de Mariane

LE FLAMAND

PETRONILLO, Garçon de boutique de Monsieur Sbrigany

BASTIEN, Paysan

LA FRANCE, Valet de Chambre

ÉRASTE, Commis, Amant de Mariane

SIGNOLET, Domestique de Monsieur Sbrigany

LE GASCON

MADAME DE LA CLOCHE

MADEMOISELLE AGATHE

LA PROCUREUSE

LA MARQUISE

LE FINANCIER, Oncle d’Éraste

UN LAQUAIS de la Marquise

 

La scène est dans la maison de Monsieur Sbrigany.

 

 

Scène première

 

MARIANE, LISETTE

 

MARIANE.

Non, te dis-je, il n’y a rien au monde qui soit capable de me faire changer de résolution, et je me donnerai plutôt la mort que de renoncer à la tendresse qu’on m’a fait prendre pour Éraste.

LISETTE.

Ouais, vous le prenez là sur un ton bien héroïque vraiment ; et comment l’entendez-vous donc, s’il vous plaît ? Vous n’êtes à Paris que depuis deux ans, et vous voilà déjà aussi extravagante que si vous y aviez été élevée toute votre vie.

MARIANE.

Et quelle extravagance trouves-tu dans une passion toute légitime ; autorisée par l’aveu de mon père, soutenue par tout le mérite d’Éraste, et qui s’est augmentée de jour en jour par un secret penchant que je ne puis vaincre ?

LISETTE.

Hé mort de ma vie, c’est ce penchant-là que je trouve ridicule. Oh pour cela je ne vous comprends point. Est-il possible qu’une fille Napolitaine formée (je ne dirai pas du plus pur ni du plus noble sang de ce pays-là), mais du plus subtil du moins ? La fille de Monsieur Sbrigany, en un mot connaisse une autre passion que celle de son intérêt, et qu’elle puisse être sensible à quelqu’autre chose qu’à sa fortune ? Allez, Mademoiselle, vous ne méritez pas l’honnête homme de père que le Ciel vous a donné, et si j’étais a sa place...

MARIANE.

Mais que veux-tu donc dire, Lisette ? n’est-ce pas lui qui m’a permis de recevoir les soins et les assiduités d’Éraste ? Il nous destinait l’un pour l’autre, il lui a donné sa parole.

LISETTE.

Oui, quand il a cru avoir besoin de lui pour son établissement et pour son commerce. Éraste est un honnête Commis de la Douane, fort bon garçon, de bonne famille, fort joli homme : votre père et lui étaient associés pour frauder les droits, et pour faire passer des marchandises de contrebande, et vous étiez le nœud de la société vous. Tant que Monsieur Sbrigany n’a été que marchand ce parti-là vous convenait à merveilles : mais à présent cela est bien au dessous de vous. Il fait une Loterie, ce n’est plus un Commis qu’il lui faut pour gendre, c’est un Commissaire.

MARIANE.

Moi, je serais mariée à un commissaire ?

LISETTE.

Pour mariée je n’en jurerais pas : mais tant que la Loterie durera du moins, vous y serez promise. La voilà tirée : quand elle sera finie, le produit à couvert, les lots distribués tant bien que mal, on congédiera le Commissaire ; et selon l’exigence des cas, ou l’occurrence des affaires, on vous promettra dans la suite à quelqu’autre, à qui l’on ne tiendra pas mieux parole. Malepeste c’est un habile homme que votre père, il n’y a rien qu’il ne mette à profit.

MARIANE.

Que je suis malheureuse !

LISETTE.

Vous comprenez bien par là que pour la tranquillité de votre cœur, et pour le bien de vos affaires, il ne faut prendre de l’amour pour personne, et faire bonne mine à tout le monde ; on ne sait pas de qui on peut avoir besoin.

MARIANE.

Mon cœur ne dépend plus de moi, ma pauvre Lisette ; et quelque chose que l’on fasse on ne me réduira jamais à me contraindre, et à épouser un autre qu’Éraste.

LISETTE.

Paix, taisez-vous voici quelqu’un.

 

 

Scène II

 

LE FLAMAND, MARIANE, LISETTE

 

LE FLAMAND.

Jentrir moi librement, Mameselle ! mais jaure bonne grâce di le faire, parce que moi vouloir dire quelque chose à Monsir li Marchand de Loterie.

MARIANE.

Ce n’est pas à moi qu’il faut s’adresser, Monsieur. Lisette faites parler à mon père.

LE FLAMAND.

Non, non, point précipiter vous, Mondame, moi attendre commodément son commodité, moi faire un petit parlement de conversation avec Mameselle.

MARIANE.

Votre conversation me ferait beaucoup d’honneur et de plaisir, Monsieur, mais je n’ai pas le temps d’en profiter. Allons, Lisette, mon père va venir : Monsieur je suis votre servante.

LE FLAMAND.

Adieu donc, Mameselle.

LISETTE.

Votre très humble servante, Monsieur.

 

 

Scène III

 

SBRIGANY, LE FLAMAND

 

LE FLAMAND.

Adieu l’autre Mameselle. L’être beaucoup grandement civilité les Mondames desti pays. Ah bonjour vous Monsir, comment si portir votre personne ?

SBRIGANY.

Fort à votre service, Monsieur ; demandez-vous quelque chose ?

LE FLAMAND.

Oui, Monsir, moi venir faire une petite proposition al Monsir qui fait la Loterie.

SBRIGANY.

C’est moi-même, Monsieur, de quoi s’agit-il ?

LE FLAMAND.

Vous étrancher en sti pays, Monsir ?

SBRIGANY.

Oui, Monsieur, je suis originaire de Naples.

LE FLAMAND.

Naples bon païs, mais grandement fripon. Un Marchand de sti Ville maure une fois emprunté cent pistoles par manière de banqueroute.

SBRIGANY.

Je le crois bien, Monsieur, il y a bien de la mauvaise foi dans le monde.

LE FLAMAND.

Et un autre Marchand de sti Ville encor al Foire de Guibrai aure une autrefois troqué son valise pleine de rien contre mon valise à moi pleine d’argent, et de bonnes baguetelles. Vous connaître point ces fripons-là de votre païs, Monsir ?

SBRIGANY.

Non, Monsieur, je vous assure que je n’ai commercé qu’avec d’honnêtes gens : je fais profession d’une si exacte probité...

LE FLAMAND.

Vous faire pourtant une Loterie, Monsir.

SBRIGANY.

Oui, Monsieur : mais...

LE FLAMAND.

L’être un fort bon marchandise qu’une Loterie, et si vous vouloir bien permettre, Monsir, moi avoir intention de mettre beaucoup al vôtre.

SBRIGANY.

Elle est fermée, Monsieur, mais cela n’empêche pas, si vous voulez, j’ai des boîtes de reste, et de quoi faire de nouveaux lots. Vous êtes le maître, donnez toujours votre argent ; combien voulez-vous de billets ?

LE FLAMAND.

Ah ! Monsir.

SBRIGANY.

Ils sont tous noirs premièrement.

LE FLAMAND.

Oui, Monsir : mais...

SBRIGANY.

Il n’y en a pas un de blanc, Monsieur, autant de billets, autant de lots. Je fais cela pour me divertir.

LE FLAMAND.

Moi le savoir bien le divertissement bien joli, mon foi : mais point vouloir di sti billets noirs moi. Moi entendre un peu la manigance ; moi n’être pas un Parisien, Monsir.

SBRIGANY.

Que voulez-vous donc dire, Monsieur ? et comment l’entendez-vous, s’il vous plaît ?

LE FLAMAND.

Avec votre permission, Monsir, moi l’être un Marchand de Bruxelles ; et comme j’aure des bijoux, des montres, des diamants, des tabletières, moi les prêter à vous pour montre seulement à la Loterie, afin d’attraper les bonnes personnes de sti grande bonne Ville. Après vous me rendre tout, et me bailler mon part de l’attrapement.

SBRIGANY.

Pour qui me prenez-vous, Monsieur, je vous trouve admirable.

LE FLAMAND.

Monsir, Monsir.

SBRIGANY.

Je ne suis point un fripon.

LE FLAMAND.

Moi saure bien que si, Monsir : mais...

SBRIGANY.

Je suis homme d’honneur.

LE FLAMAND.

Et moi l’être bien aussi tout de même, Monsir, Et vous demande en grâce de n’y point beaucoup trop attraper tout le monde dy Paris sti fois-ci, afin que moi puisse l’autrefois encor attraper une bonne partie.

 

 

Scène IV

 

SBRIGANY

 

À ce que je puis voir les étrangers ne sont pas trop dupes, et il n’y a pas de pays au monde ou une Loterie comme la mienne rendît si bien qu’à Paris.

 

 

Scène V

 

LISETTE, SBRIGANY

 

SBRIGANY.

Hé bien, Lisette, as-tu déterminé ma fille à ne plus voir Éraste, et à recevoir favorablement Monsieur Desfourneaux le Commissaire ? nous aurons peut-être besoin de lui, comme tu sais.

LISETTE.

Vous avez raison, Monsieur, et la Loterie pourrait devenir tumultueuse sur les fins. Mais voulez-vous que je vous dise, outre que Mademoiselle votre fille est un peu rétive à vos ordres, je doute que la seule protection de Monsieur Desfourneaux puisse vous garantir de l’orage qui se prépare.

SBRIGANY.

Ne te mets pas en peine, il y a de bons lots dans de certaines boîtes.

LISETTE.

Vous avez eu bien de la peine à vous résoudre d’y en mettre.

SBRIGANY.

Oh, pour cela non : il faut avoir de la conscience. Je passe pour honnête homme, et je le suis dans le fonds.

LISETTE.

On le voit bien : mais m’en croirez-vous, Monsieur ? faites distribuer vos petits lots par Madame votre femme. Il y a longtemps qu’elle vous embarrasse, c’est un vrai moyen pour vous en défaire.

SBRIGANY.

Tu crois donc, Lisette...

LISETTE.

Je crois, Monsieur, que nous serions bienheureux tous tant que nous sommes d’en être quittes pour les étrivières.

SBRIGANY.

Tu prends l’alarme mal-à-propos. De quoi se plaindra-t-on ? Je tiens ce que j’ai promis : il n’y a que des billets noirs une fois.

LISETTE.

Cela est vrai, mais il y a bien de petits lots. Que de mouchoirs ! où diantre avez-vous attrapé tout cela ?

SBRIGANY.

Va, va, mon enfant, je n’ai point mal fait de mettre tous ces mouchoirs-là.

LISETTE.

Non, sans doute, ceux qui pleureront la perte de leur argent auront de quoi s’essuyer les yeux du moins, cela sera bien commode.

SBRIGANY.

Tu plaisantes mal à propos. Mais dans le fonds le public ne fera pas si lésé que tu te l’imagines.

LISETTE.

Oui-dà, oui-dà, vous faites aller les choses en conscience, et pour un homme de votre pays vous ne prenez pas trop, assurément : mais il se trouvera des médisants qui diront le contraire, il y aura des mal intentionnés qui le croiront et qui feront comme si cela était. Le peuple a l’esprit si mal tourné quelquefois. Croyez-moi, Monsieur, précautionnez-vous un peu plus que vous ne faites, cela ne saurait vous nuire.

SBRIGANY.

Quelles précautions veux-tu que je prenne ? J’ai fait mettre à la porte une bonne barrière, bien garnie de pointes de fer, et deux gros Suisses, avec des moustaches qui font plus d’effet que des hallebardes.

LISETTE.

N’auriez-vous point quelqu’Ingénieur de vos amis qui pût y faire quelques petites fortifications ? Je crois que cela ne serait pas inutile ; et je me souviens que de certains Officiers cet hiver, en vous donnant leur argent, vous firent entendre...

SBRIGANY.

Ils sont à l’armée les Officiers. Je prends bien mon temps, comme tu vois : s’ils sont fâchés, ils pesteront de loin, je n’en entendrai rien.

LISETTE.

Vous deviez attendre aussi les vacances pour faire pister de loin les gens de Robe. Mais, Monsieur, il y a de certains petits déterminés d’enfants de Paris qui pourraient bien...

SBRIGANY.

Les plus mutins sont de mes amis, j’ai fait un nota à leur numéro, ils auront de bons lots ceux-là, je sais bien ce que je fais, notre barrière nous suffira.

LISETTE.

Nous en allons faire l’expérience. On a déjà donné des boîtes ce matin. Nous verrons comment cela commencera.

SBRIGANY.

Aies un peu l’œil à tout, ma pauvre Lisette, et prends bien garde qu’on ne distribue pas un lot pour l’autre.

LISETTE.

Hé, que craignez-vous ? vous savez bien qu’il n’y a que de petits lots dans les boîtes d’aujourd’hui. Comme c’est toujours la même chose il n’y a point à s’y méprendre.

SBRIGANY.

On pourrait en donner deux pour un, ce ne serait pas mon compte.

LISETTE.

Hé mort de ma vie, laissez faire, de quoi vous embarrassez-vous ? vous en donneriez quinze pour quatre que vous y gagneriez encore.

SBRIGANY.

Il n’importe, fais ce que je souhaite.

LISETTE.

J’y vais. Aussi bien voilà vôtre fidèle garçon de boutique qui a quelque choie à vous dire.

 

 

Scène VI

 

PETRONILLO, SBRIGANY

 

SBRIGANY.

Qu’est-ce que c’est quhaveté, Signor Petronillo.

PETRONILLO.

E niente Signor, ê niente una bagatelle.

SBRIGANY.

Que cosa ê que vol dire una bagatelle ?

PETRONILLO.

Il m’a pris un remords de conscience, Monsir, j’ai paour.

SBRIGANY.

Et de quoi paour ?

PETRONILLO.

D’être pendu, Signor.

SBRIGANY.

Ah l’animai ! et perché pendu ?

PETRONILLO.

Perché, perché ? voi siete un furbo Monsiu.

SBRIGANY.

Moi un fourbe ?

PETRONILLO.

Si signor, un fripon autrement tutt’il mundo il dicé labas, et mi que sabbi ben qui ê la verita, non posso dire il contraire.

SBRIGANY.

Hé, qui diantre peut déjà se plaindre ? à peine ont-ils eu le temps d’ouvrir leurs boîtes.

PETRONILLO.

Lé sta barricada quhaveté fait mettre labac que sa marmurat tutt’il mundo, et se non sarai fourbarie, non sarai bisongna di barricada.

SBRIGANY.

Le beau préjugé, va, va, va al ruo negotio.

PETRONILLO.

Signor, ho una cosa avi dire auparavant.

SBRIGANY.

Qué cosaé ?

PETRONILLO.

Que si non mi date la mia parté de toutes les friponneries fattes et à fare, non posso en conscience, empedir mi d’en fare considenza au public et à la Justice.

SBRIGANY.

Mais voilà des tours qui ne se sont point. Que veut dire cela ?

PETRONILLO.

Ca vol dire que vo signorie ê un grand fripon, et mi un petit. Voi sieté le maître, et mi le garson, voi fourbaté toute la cita, ê io vi furbo.

SBRIGANY.

Ma d’oue ê la tua conscienza, Signor Petronillo.

PETRONILLO.

E andata con la vostra fare un tourno aux Antipodes.

SBRIGANY.

Hé bien finissons, je ne veux point de bruit, je vous donnerai cent pistoles.

PETRONILLO.

Cent pistoles non ê assai, ho scritto trente mille billets, et ho fatto par conséquent trente mille injoustices, çà vaut davantage, datte mi deux cens Louisis d’or, saro contento di voi, et voi serez content de moi.

SBRIGANY.

Je te les promets, et je te les donnerai.

PETRONILLO.

Ah ! vi vingracio lassiate dire il popolo voi siete un honnête homme, mes remords sont finis, je n’ai plus paour.

 

 

Scène VII

 

LISETTE, SBRIGANY, PETRONILLO

 

LISETTE.

On a déjà donné bien des petits lots à bien des gens qui s’en retournent en jurottant, Monsieur : mais voici une boîte qui vous fera jurotter à votre tour je pense.

SBRIGANY.

Comment donc ? qu’est-ce que c’est ?

LISETTE.

Voyez ce billet, tenez je suis sûre que ni votre garçon, ni vous n’avez pas eu intention d’y mettre ce qui y est, et je n’ai pas voulu qu’on délivrât sans vous en avertir.

SBRIGANY lit.

Tu as bien fait. Un gobelet d’or, Petronillo ?

PETRONILLO.

Monsou ?

SBRIGANY.

Vois donc, tu t’es mépris apparemment ?

PETRONILLO.

Non, Monsou, c’est sta manière dont nous sommes convenus.

SBRIGANY.

Ah, ah, mi ricordo.

PETRONILLO.

Tenez, Madame Lisette, D.O.R. non vol pas dire d’or non.

LISETTE.

D.O.R. ne veut pas dire d’or ?

PETRONILLO.

Non, il y a un pâté, prenez garde.

LISETTE.

Hé bien ?

PETRONILLO.

Si la boîte est à une femme, à un Bourgeois, à un homme de robe, D.O.R. et un pâté vol dire doré, entendez-vous.

LISETTE.

Oh bien, ce n’est ni femme, ni Bourgeois, ni homme de Robe, c’est un drôle qui n’entend point de raillerie, et qui jure comme un enragé, parce qu’on le fait attendre.

SBRIGANY.

Il fait du bruit.

LISETTE.

Un bruit de diable. Il sait lire, je vous en avertis, et D.O.R. et un pâté ne voudront pas dire doré pour cet homme-là.

PETRONILLO.

Ça mérite explication ; nous chicanerons, et on s’accommodera, la sciate fare, et dimorate en repos.

 

 

Scène VIII

 

LISETTE, SBRIGANY

 

LISETTE.

Votre Petronillo est un hardi fripon : mais je crains les suites.

SBRIGANY.

Bon les suites, je connais mon monde, va, ne te mets pas en peine. Entre nous, Lisette, partout ailleurs qu’en ce pays-ci je ne risquerais pas une chose comme celle-là ; mais à Paris il n’y a rien à craindre, ce sont gens glorieux pour la plupart, qui ne se plaignent jamais d’être dupes, pour éviter la honte de l’avoir été. Les moins attrapés se moqueront de ceux qui le seront davantage, et ceux qui ne l’auront point été du tout, me sauront gré d’avoir dupé les autres.

LISETTE.

Mais en effet, il y a une espèce de mérite dans ce que vous faites au moins apprendre à vivre à toute une Ville. Votre loterie sera fort instructive pour le public, Monsieur.

SBRIGANY.

Comme je n’ai pas envie d’en faire d’autres, il m’importe peu qu’on se guérisse de la folie qu’on a eue d’y mettre.

LISETTE.

Oh ! par ma foi, après celle-ci il faut tirer l’échelle. On y connaîtra le fonds et le tréfonds de la bonne foi des Loteries ; et je ne crois pas que désormais il soit besoin d’aucune Ordonnance de Police pour les défendre.

SBRIGANY.

Tu prends les choses du bon côté, tout le monde y trouvera son compte de cette manière-là. Mais qui diantre laisse ainsi monter sans avertir ? Que veut cet homme ?

 

 

Scène IX

 

BASTIEN, SBRIGANY, LISETTE

 

BASTIEN.

Serviteur, Monsieur de la Loterie ; c’est un de vos Suisses qui m’a dit d’entrer, et de parler à vous-même, parce que Messieurs vos gens sont des insolents, qui n’ajoutons parsonne, et des baragoins que personne n’entend.

SBRIGANY.

Qu’est-ce qu’il y a ? demandez-vous quelque chose ?

BASTIEN.

Si je demande quelque chose ? oh dame acoutez, c’est le cousin Barthelemy, le fils de ma tante Renée, qui est un de vos Suisses. Je sommes tous deux de Courbevoie, li a six mois qu’il est Archet du Guet ; c’est un drôle qui fera fortune.

LISETTE.

On n’a que faire de votre généalogie, que demandez-vous encore une fois ?

BASTIEN.

Palsangué je demande de gros lots. Tenez, j’ai opinion que je ferai fortune à cette Loterie. Les vegnes et les bleds promettont marvaille dans notre Village, et les femmes y mourront dru comme mouches. Je sis veuf depuis trois semaines, m’est avis que je sommes dans une année de bonheur ; ça dépêchons-nous, vêla ma carte. J’ai six billets au moins, baillez-moi ma boîte.

SBRIGANY.

Comment, comment votre boîte ? numéro deux mil quarante ; allez, mon ami, vous n’aurez votre boîte de quinze jours.

BASTIEN.

De quinze jours ?

LISETTE.

Hé oui de quinze jours, votre tour ne viendra que dans ce temps-là, c’est une règle.

BASTIEN.

Oh tâtigué je me gausse de la règle moi, je n’ai pas le temps de revenir ; j’ai là-bas ma charrette et deux bons chevaux, je vians d’amener du foin, vous ne voudriais pas que je m’en retournasse à vide. Hé morgué ne me faites point languir, baillez-moi ma boîte, je vous baillerai le plaisir de la tirer devant vous.

SBRIGANY.

Mais cela troublera l’ordre que je me suis proposé.

LISETTE.

Que vous importe ; expédiez ce pauvre diable, Monsieur, puisqu’il a amené sa charrette.

BASTIEN.

Hé oui pargué, c’est ça, j’emporterai dedans ce que je gagnerai.

LISETTE.

Ce sera autant de fait, et il ne vous en coûtera pas davantage.

BASTIEN.

Alle a raison.

SBRIGANY.

Qu’il me donne donc sa carte, je vais chercher la boîte.

 

 

Scène X

 

LISETTE, BASTIEN

 

BASTIEN.

Oh palsangué tenez, qu’à ça ne tienne. Morgué vous êtes une bonne pâte de créature. Si j’avais une minagère comme vous, je serais bien aise d’en avoir de la race. Allez, si je gagne ici quelque chose de bon ne vous boutez pas en peine. Mais voyez-vous, je n’aimerais pas à tirer blanque.

LISETTE.

Et le moyen de tirer blanque ; il n’y a que des billets noirs.

BASTIEN.

Ça est vrai. Que des billets noirs dans cette Loterie ! ça est admirable dans cette manière-là plus on y boute, plus on y gagne, c’est un profit tout clair.

LISETTE.

Assurément.

BASTIEN.

Mais votre Monsieur ni songe pas de se ruiner comme ça, que des billets noirs ! faut qu’il ait bonne bourse sthomme-là.

LISETTE.

Il fait cela pour son plaisir, quand il lui en coûterait un millier de pistoles.

BASTIEN.

C’est bien dit, il rattrapera ça d’un autre côté, faut bien amorcer les gens de Paris avec quelque chose, ça li revanra, nan dit qua cette Foire, il leur vend des babioles et des mirlifiches qu’ils achetons comme de bonne marchandise, il en sait bien long, et ils n’en savont guère eux. Je nous gobergeons d’eux quand je les tenons au village.

 

 

Scène XI

 

SBRIGANY, LISETTE, BASTIEN

 

SBRIGANY.

Voilà votre boîte, il a fallu la chercher parmi plus de huit mille, vous êtes bienheureux.

BASTIEN.

Il est pargué vrai, je sis en chance ; je vous demande bien pardon de la peine : est-ce que vous ne seriez pas bien aise que j’eus queuque chose ?

À Lisette.

Ça aidez-moi, voyons si vous avez la patte heureuse.

LISETTE.

Non, non, voyez vous-même ; j’aurai assez de peine d’aller chercher ce qu’il vous faudra.

BASTIEN.

Je vous aurai bien de l’obligation.

SBRIGANY.

Dépêchez-vous donc, nous avons des affaires.

BASTIEN.

Tout à l’heure, baillez-vous patience.

Il baise sa boîte, il l’ouvre, et il en tire un billet, sur lequel il souffle.

SBRIGANY.

Oh ! il est noir, je vous en réponds.

BASTIEN.

Oh je le sais bien, il n’y a point de tricherie. Vêla un P, Monsieur, bon. Petit lot, une paire de Pabouches. Je ne connais point ça, qu’est-ce que c’est des Pabouches ? serait-ce queuque chose de rare ?

LISETTE, apporte des Pabouches.

Tenez voilà ce que c’est.

BASTIEN.

Comment morgué sont des pantoufles ?

SBRIGANY.

Des pantoufles ? quel ignorant ! ce sont des Pabouches, vous dit-on.

BASTIEN.

Hé vantregué je vois bian ce que je vois, ce sont des souliers sans oreilles. Queux semelles, j’aime morgué mieux une paire de sabots que ça, Monsieur de la Loterie.

SBRIGANY.

Hé bien on vous les troquera, ce n’est pas une affaire.

On met tous les lots de Bastien dans sa besace à mesure qu’on les apporte.

BASTIEN.

Des Pabouches. Petit lot, une souricière. Hé palsangué jons des chats cheux nous, que voulez-vous que je fassions d’une souricière !

SBRIGANY.

Vous en ferez ce que vous voudrez, vous êtes le maître.

BASTIEN.

Me vêla bien chanceux.

LISETTE.

Allons, dépêchons, n’oubliez rien ; voilà votre souricière.

BASTIEN, ouvre un troisième billet.

Petit lot. Encor on petit lot, Monsieur de la Loterie.

SBRIGANY.

C’est le hasard qui fait cela, mon enfant, je n’y puis que faire.

BASTIEN.

Un paquet de cure-dents. Mais ventregué c’est folie que de me bailler ça, je ne les cure jamais.

LISETTE.

Tant pis vraiment, vous êtes un malpropre, corrigez-vous de cela ; ne les perdez pas au moins, et faites-en un bon usage.

BASTIEN.

J’annonce. Un pot de pommade de limaçon, quel ustensile est-ce ça ? Un pot de Pommade, à quoi ça est-il bon ?

LISETTE.

À vous décrasser le visage, à vous débarbouiller, cela vous ôtera les grosseurs du teint.

BASTIEN.

Les grosseurs du teint à moi ; Morgué ne m’apportez pas stila, je vous en ferais un masque sur le visage, je vous en avertis.

SBRIGANY.

S’il n’en veut point, qu’il se couche auprès, il nous demeurera, c’est son affaire.

LISETTE.

Il s’en servira pour l’amour de moi : je veux qu’il se fasse beau moi cet enfant-là.

BASTIEN.

Le beau lot que vêla.

Il ouvre le cinquième billet.

Une bouteille d’eau de Cordoue. Une bouteille d’eau ? Mais il faut que vous soyez fou de me bailler ça, la rivière passe au bas de cheux nous.

LISETTE.

C’est de l’eau de Cordoue : vous ne savez ce que vous dites.

BASTIEN.

Hé morgué de liau d’où il vous plaira, liau de la Seine est toute la meilleure, je ne veux point de celle-là.

SBRIGANY.

Il faut bien que vous la preniez, puisqu’elle est à vous.

BASTIEN.

Mais vous vous gobargez de moi, vous dis-je, un demi septier de vin vaut mieux que tout çà. Il n’y a morgué rien là qui soit à mon usage.

LISETTE.

Oh finissez donc. Voyez le reste.

BASTIEN ouvre le dernier billet.

Un bâton de brésil. Un bâton ! Ah palsangué bon pour stila. S’il est bien emmanché je vas m’en sarvir, laissez-moi faire.

SBRIGANY.

Comment, comment donc ?

BASTIEN.

Oh tâtigué, Monsieur l’affronteux, je vous apprendrai à vous gausser des gens de Courbevoie, avec votre bouteille d’iau et vos souricières.

SBRIGANY.

Monsieur, Monsieur le manant, si vous faites ici le moindre bruit.

BASTIEN.

Morgué non je n’en ferai pas ici : mais si je l’attrape jamais queuque part sur le chemin de Neuilly je te rouerai bien pour mes six écus ; va, ne te mets pas en peine.

LISETTE.

Sans colère, Monsieur de Courbevoie, serrez bien toutes vos petites affaires, et...

BASTIEN.

Allez, ça n’est pas bian, vous êtes une redresseuse itou vous, Madame, et je pourrais bien par avanture... Je vous reconnaîtrons queuque jour, et je varrons biau jeu, patience.

LISETTE.

Le petit mièvre ! Allons point d’emportement, soyez sage, portez tout cela dans votre Charrette, et vous en retournez tout doucement de peur de fatiguer vos chevaux, entendez-vous ?

BASTIEN.

Ils ne mangeront morgué d’avoine d’aujourd’hui. Pour six écus de marchandises ! Queu peste de Loterie ? Quand on sait une fois çan que c’est : il faudrait bian avoir le diable au corps pour y remettre.

 

 

Scène XII

 

LISETTE, SBRIGANY

 

LISETTE.

Hé bien, Monsieur, voilà déjà un Paysan corrigé de Loterie, et je gagerais bien que son exemple servira d’instruction à tout son village. Que l’on vous aura d’obligation !

 

 

Scène XIII

 

LA FRANCE, SBRIGANY, LISETTE

 

LA FRANCE.

Monsieur, c’est de la part de mon maître, Monsieur le Baron de Rosebrune.

SBRIGANY.

Y a-t-il quelque chose pour son service, mon enfant ?

LISETTE.

Il envoie chercher ses bottes apparemment ?

LA FRANCE.

Il vous prie, Monsieur, de vouloir bien mettre ce petit billet dans celle d’Angélique.

SBRIGANY.

Ah, ah ! qu’est-ce que c’est que ce billet ?

LA FRANCE.

C’est que Monsieur le Baron est amoureux d’elle, comme vous savez ; elle a une mère capricieuse avec qui nous sommes brouillés, nous ne savons comment faire pour lui donner de nos nouvelles, et mon maître s’est imaginé que dans une boîte de Loterie vous pourriez bien ; si vous vouliez, faire passer son petit billet.

SBRIGANY.

Pour qui me prend-il ? je suis honnête homme, et je ne me mêle point...

LA FRANCE.

Il m’a chargé de vous présenter dix louis d’or pour lever les difficultés que votre honneur pourrait trouver dans cette affaire-là.

SBRIGANY.

Dix louis d’or.

LA FRANCE.

Oui, Monsieur, les voilà.

SBRIGANY.

On fera ce qu’on pourra, donnez. Prends soin de cela toi, Lisette.

LISETTE.

Oui, Monsieur, je ferai votre affaire.

LA FRANCE.

On apportera peut-être la réponse en venant prendre les boîtes, vous voudrez bien vous en charger, s’il vous plaît ?

LISETTE.

On verra. S’il le trouvait quelques difficultés pour la réponse, vous savez bien comme on les lève.

LA FRANCE.

On fera bien les choses.

 

 

Scène XIV

 

LISETTE, SBRIGANY

 

LISETTE.

C’est un assez bon métier, Monsieur, que de faire des Loteries, cela rend de toutes manières.

SBRIGANY.

N’est-il pas vrai ? Mais que veut cette Dame ? il y a là-bas des Suisses, et tout le monde entre.

LISETTE.

Ne vous effarouchez point de cette visite-ci, c’est notre bonne amie la fille de ce Marchand, cette veuve qui fait la femme de conséquence et qui est si folle et si coquette.

 

 

Scène XV

 

MADAME LA CLOCHE, SBRIGANY, LISETTE

 

MADAME LA CLOCHE.

Hé bonjour, mon cher Sbrigany, il y a des siècles que je ne t’ai vu.

SBRIGANY.

Il m’en ennuyait beaucoup, Madame, je vous assure.

MADAME LA CLOCHE.

Hé te voilà aussi ? viens donc me baiser, ma bonne Lisette.

LISETTE.

Madame je suis votre très humble servante.

MADAME LA CLOCHE, à Sbrigany.

Mais dis-moi donc, mon enfant, voilà ta fortune faite, il faudra faire porter la queue à Madame de Sbrigany au moins.

SBRIGANY.

Oh pour cela, Madame...

MADAME LA CLOCHE.

Je l’aime à la folie cette Madame Sbrigany, elle a été femme de chambre de feu ma mère.

SBRIGANY.

C’est bien de l’honneur pour elle, Madame, que...

MADAME LA CLOCHE.

À propos, ne t’avise pas de sortir de chez toi, Monsieur Sbrigany, on t’assommerait, prends-y garde.

LISETTE.

Comment donc, Madame ?

MADAME LA CLOCHE.

Tout Paris dit que tu les voles.

SBRIGANY.

Madame...

MADAME LA CLOCHE.

Que tu les pilles.

SBRIGANY.

Moi, Madame ?

MADAME LA CLOCHE.

Que veux-tu ? ce sont des impertinents, des ridicules qui ne comprennent pas qu’il n’y a rien de plus juste que ce soit aux dépens des dupes que les gens d’esprit s’enrichissent.

LISETTE.

Tout le monde n’a pas l’esprit si bien fait que vous, Madame.

MADAME LA CLOCHE.

Oh ! je me prête fort à cela moi, je suis raisonnable. As-tu fait mes boîtes, Monsieur Sbrigany ?

SBRIGANY.

Vous les aurez quand il vous plaira, Madame.

MADAME LA CLOCHE.

Ne t’avise pas de me traiter comme les autres, je prétends être privilégiée, je suis de tes amies ; si tu me trompais, je ferais plus de bruit que qui que ce soit.

SBRIGANY.

Je vous assure, Madame, que c’est avec toute la fidélité imaginable...

LISETTE.

Oh ! pour cela oui, Madame, il n’y a point de distinction, nous ne favorisons personne.

MADAME LA CLOCHE.

Hélas ! mes enfants, j’en suis persuadée : mais je ne veux point de petits lots, je ne les aime pas, je vous en avertis.

SBRIGANY.

Voulez-vous que je vous donne vos boîtes, Madame ?

MADAME LA CLOCHE.

Non, non, je ne les prendrai que des dernières, je veux te donner le temps de les faire bonnes.

LISETTE.

C’est le pur hasard qui en décide, Madame.

MADAME LA CLOCHE.

Je sais bien, te dis-je : mais vous avez la fureur des petits lots dans ces commencements-ci ; il faut laisser finir les petits mouchoirs, cela passera. Il arrivera quelque aventure... Mon ami Sbrigany n’est pas incorrigible.

SBRIGANY.

Ma foi, Madame, je n’y entends point de finesse.

MADAME LA CLOCHE.

Oh pour cela non, tu es honnête-homme, je te rends justice ; garni bien mes boîtes. J’ai la langue bonne, et de bons amis, tu y feras réflexion. Adieu, mon cher petit bonhomme. Bonjour, Lisette.

LISETTE.

Votre servante, Madame.

 

 

Scène XVI

 

SBRIGANY, LISETTE

 

SBRIGANY.

Lisette ?

LISETTE.

Il faudra refaire la boîte de cette femme-là, Monsieur, nous n’y avions mis que de la bagatelle.

SBRIGANY.

Oui, je la referai : mais il n’en sera ni plus ni moins : et puisqu’elle le prend sur ce ton-là, elle n’aura parbleu que des souricières.

 

 

Scène XVII

 

SIGNOLET, SBRIGANY, LISETTE

 

SIGNOLET.

Oh dame, Monsieur, venez donc là-bas, s’il vous plaît, faire tenir ces nigauds-là qui sont à votre porte.

LISETTE.

À qui en as-tu ? mon pauvre Signolet ; t’ont-ils fait quelque chose ?

SIGNOLET.

Voirement, oui, ils me donnent des taloches, et des coups de pied dans les os des jambes.

SBRIGANY.

Ils ne savent donc pas que tu es du logis apparemment ?

SIGNOLET.

Si fait, Monsieur, Barbe leur a dit ; ils l’avons itou un peu gouspillée, ils m’en avont baillé davantage à moi, et ils disont que tout ça est pour vous, et que je vous l’apporte.

LISETTE.

Cela tournera mal, Monsieur, je l’avais prévu.

SBRIGANY.

Il faut trouver moyen d’y mettre ordre.

SIGNOLET.

Ils faisont enrager votre Italien ce Nicodème de Petronille, ils lui jettont au nez les mouchoirs qu’il leur baille, ils disont qu’ils ne sont que de treize sols pièce, et ils en voulont d’autres.

SBRIGANY.

Il y en a de dix-huit et de vingt, que ne leur en donne-t-il, le bourreau qu’il est, que ne leur en donne-t-il ?

SIGNOLET.

Il dit comme ça qu’il n’est pas encore temps, qu’il faut débiter les plus moindres à cette heure ; et que quand ils feront un peu plus de bruit, il baillera les autres.

LISETTE.

Il sera cause de quelque désordre, Monsieur.

SIGNOLET.

Je crois bien que oui. Il y a itou des Madames dans des carrosses qui juront quasi comme des Monsieurs, parce qu’alles n’avont eu que des savonnettes dans leurs boîtes.

LISETTE.

Il fallait un peu diversifier les lots, elles ont raison.

SBRIGANY.

C’est aujourd’hui le premier jour, on fait comme on peut, cela sera mieux réglé dans la suite.

SIGNOLET.

Descendez donc si vous voulez, ils voulont vous voir pour leur argent, et ly en a qui disent qu’ils seront contents quand ils vous auront chanté pouille à vous-même.

SBRIGANY.

Cela commence mal, ma pauvre Lisette, cela commence mal.

LISETTE.

Cela finira de même, Monsieur, cela finira de même.

SBRIGANY.

Il ne faut pourtant pas quitter la partie, je m’en vais tâcher...

LISETTE.

Hé, Monsieur, à quoi vous exposez-vous ? vous n’y songez pas.

SBRIGANY.

Laisse-moi faire, je ne sortirai pas, et je ne paraîtrai qu’en dedans de la barricade.

LISETTE.

Mais quel orage d’invectives...

SBRIGANY.

Bon, bon, des invectives ; voilà de belles bagatelles ! je tiens le bon bout de mon côté, j’ai leur argent, je me moque de leurs injures.

SIGNOLET.

Je m’en vas donc leur dire que vous allez venir, afin qu’ils se prépariont. Qu’ils allont être aises !

 

 

Scène XVIII

 

MARIANE, SBRIGANY, LISETTE

 

MARIANE.

Ne vous alarmez point, mon père, il y a là-bas du désordre, mais il sera bientôt calmé. Je viens de voir Éraste par ma fenêtre, qui faisait assurément tout ce qu’on peut attendre d’un parfaitement honnête homme. Il parlait de vous d’une manière si avantageuse, il embrassait votre défense avec une ardeur si vive et si sincère...

SBRIGANY.

Voilà qui est bien, je lui suis fort obligé, ma fille. Je vous vois venir ; je l’estime fort : mais je n’en veux point pour mon gendre. Vous avez à l’heure qu’il est, grâce au Ciel et à la Loterie, vingt-cinq mille écus en mariage, j’ai pour vous des vues qui vous passent. Je vous ai défendu de voir Éraste : si je sais que vous lui parliez, ni que vous lui donniez seulement de vos nouvelles, je prendrai des mesures qui vous feront bien voir que je suis le maître. Lisette a dû vous expliquer mes petits sentiments ; si vous ne les avez pas assez bien entendus, qu’elle recommence, je vous laisse avec elle.

 

 

Scène XIX

 

LISETTE, MARIANE

 

LISETTE.

Je vous le disais bien moi que cet homme-là ne songe qu’à votre avancement, vous le voyez.

MARIANE.

Et moi je ne songe qu’à me désespérer. Oui vois-tu ma pauvre Lisette, si tu n’entres un peu dans mes intérêts, si tu ne me fais parler à Éraste...

LISETTE.

Vous faire parler à Éraste moi ? vous voyez avec quelle sévérité votre père vous le défend.

MARIANE.

Il n’en saura rien, je te le promets, il va trouver là-bas de l’occupation. Éraste est vis-à-vis de la porte, fais-lui signe par la fenêtre qu’il monte, je t’en conjure ; ou permets moi que je le lui fasse moi-même, ma chère Lisette, je te le demande en grâce. Aurais-tu la dureté de me refuser.

LISETTE.

Non je ne l’aurai pas. Mort de ma vie que je suis malheureuse d’être si bonne ! L’avarice du père, l’amour de la fille, je me prête à tout dans cette maison-ci, ça toujours été mon défaut, je suis trop facile.

MARIANE.

Tu veux donc bien ma chère enfant...

LISETTE.

Et quand je ne le voudrai pas, cela dépendrait-il de moi ? ne le voilà-t-il pas déjà lui-même ? les habiles gens n’ont que faire de signes, il a deviné votre pensée.

 

 

Scène XX

 

ÉRASTE, MARIANE, LISETTE

 

ÉRASTE.

Mille pardons, charmante Mariane, d’oser ainsi paraître devant vous, quand je sais les défenses qu’on vous a faites : mais l’état on je suis semble devoir tout autoriser. Je vous adore, vous m’avez dit que vous m’aimiez, on nous désespère ; quelles résolutions sont les vôtres ?

MARIANE.

De vous aimer toute ma vie, puisqu’on m’a permis de le faire.

ÉRASTE.

On vous défend de me voir.

MARIANE.

J’obéis mal, comme vous voyez.

LISETTE.

Ces pauvres enfants ! cela fait pitié et envie même tout ensemble.

ÉRASTE.

Ne changerez-vous point de sentiment, belle Mariane ? et ne vous laisserez-vous point éblouir...

MARIANE.

Non, je vous le promets. La nouvelle fortune de mon père est trop peu solide, et trop mal fondée pour me donner aucun ridicule, quand je serais capable d’en pendre, et je crains même que la fausse démarche que son intérêt lui a fait faire.

LISETTE.

La démarche n’est point fausse, ne vous y trompez point l’un et l’autre. Il y a quatre-vingt-mille bonnes livres de profit, je vous en réponds.

MARIANE.

Quel profit !

LISETTE.

Il est réel. Outre ce qu’il gagne sur tous les petits lots, ce n’est pas lui qui donne les gros à ses dépens au moins.

ÉRASTE.

Ce n’est pas lui...

LISETTE.

Non, vous dis-je, il n’est pas si bête, il en a l’honneur et l’argent : mais ce sont des dupes qui en font la dépense.

MARIANE.

Comment donc, que veux-tu dire ?

LISETTE.

Que la belle toilette est destinée pour cette grosse Trésorière, par exemple, et que c’est un Juif de la place des Victoires qui la lui donne.

MARIANE.

Ah ! Lisette.

LISETTE.

Ah ! vraiment il y en a bien d’autres. Cette pendule de cinq cents écus qu’aura ce jeune Académiste, qui pensez-vous qui l’ait payée ?

ÉRASTE.

Mais je ne sais, ma pauvre Lisette, ce ne sont pas là mes affaires.

LISETTE.

La veuve d’un Épicier de la rue des Lombards, qui est amoureuse de lui à la folie.

MARIANE.

Que tu es extravagante avec tes contes.

LISETTE.

Ce ne sont point des contes. Il y a un service de vermeil qu’un jeune... Je ne sais qui Conseiller de... Je ne sais ou nouvellement émancipé, a fait faire pour une espèce de Comtesse Quimpercorentin. Une croix de diamants, de deux cent pistoles, qu’un petit Notaire Bourgeois Gentilhomme a achetée pour une femme de qualité. Voilà un coffre de la Chine qu’on doit remplir d’étoffes des Indes, et qui est destiné par un Partisan, pour la femme d’un Rapporteur, qui a fait prendre un bon tour à une mauvaise affaire ; que sais-je moi ? c’est une nouvelle manière qu’on a imaginée de faire des présents, et de les recevoir avec bienséance, et Monsieur votre père a le profit et le mérite de l’invention.

MARIANE.

Et nous avons le chagrin des injustes résolutions que son trop de bonheur lui fait prendre.

LISETTE.

Ne vous en alarmez point plus que de raison, les choses peuvent changer, et pourvu que vous pariassiez dans ces commencements soumise et obéissante à ce que souhaite votre père, et que votre amant ne se rebute point...

ÉRASTE.

Moi me rebuter ? Il n’est point de difficultés, quelques insurmontables qu’elles puissent être...

LISETTE.

Laissez faire, on vient à bout de tout. L’affaire la plus importante est qu’il ne vous voie point ensemble, puisqu’il l’a défendu ; sortez et reposez-vous...

MARIANE.

Ma pauvre Lisette, j’entends mon père qui revient.

LISETTE.

Tout est perdu, comment allons-nous faire ?

ÉRASTE.

N’y a-t-il point d’endroit ou me cacher ?

LISETTE.

Je n’en sache point : mais vous êtes alerte, nous sommes au premier étage, sautez par la fenêtre.

MARIANE.

Par la fenêtre ? tu es folle, il y a là-bas je ne sais combien de monde.

LISETTE.

Vous avez raison, cela ne serait pas secret.

ÉRASTE.

Songez donc vite ; que deviendrai-je ?

LISETTE.

Mettez-vous dans le coffre de la Chine, vous n’y serez pas fort à votre aise.

ÉRASTE.

Il n’importe, pourvu qu’on ne me voie point.

LISETTE.

Non, non, ne craignez rien. Si l’on envoie ce lot là chez Monsieur le Rapporteur, Madame sa femme ne sera pas la plus mal lotie.

 

 

Scène XXI

 

SBRIGANY, MARIANE, LISETTE

 

SBRIGANY.

Tout va le mieux du monde, mes enfants ; le public est content de moi qu’on ne peut pas davantage. Je te l’avais bien dit, Lisette, ils se moquent les uns des autres : les uns rient, les autres plaisantent, et il n’y a que des vilains et des ladres qui soient fâchés sérieusement, encore n’oseraient-ils le paraître, de peur qu’on ne se moque d’eux.

LISETTE.

Ma foi, Monsieur, vous êtes plus heureux que sage, et voilà aussi Mademoiselle votre fille que je trouve dans des dispositions tout-à-fait conformes à vos sentiments.

SBRIGANY.

Tout de bon ?

LISETTE.

Oui, Monsieur.

MARIANE, bas.

Ce pauvre garçon étouffera dans ce coffre, Lisette.

LISETTE.

Hé non.

SBRIGANY.

Je suis ravi qu’elle soit raisonnable ; je ne fais rien que pour elle, comme tu sais, et toute la peine que je me donne...

MARIANE.

Prends bien garde qu’on ne mette rien dessus.

LISETTE.

Non, non.

SBRIGANY.

Que dit-elle ?

LISETTE.

Qu’elle vous est fort redevable, Monsieur. Hélas donc, répondez à Monsieur votre père.

SBRIGANY.

La voilà toute je ne sais comment : qu’as-tu ? parles.

MARIANE.

Il vient de me prendre dans le moment un étourdissement épouvantable : trouvez bon, mon père, que je retourne dans ma chambre je vous prie.

SBRIGANY.

Va, mon enfant, je ne te veux pas contraindre.

MARIANE.

Ne laisses pas emporter le coffre au moins.

LISETTE.

Hé non, non, ne craignez rien, il vous demeurera.

 

 

Scène XXII

 

LISETTE, SBRIGANY

 

LISETTE.

Voilà une fille qui prend beaucoup sur elle au moins.

SBRIGANY.

Oui je comprends bien que cela lui fait de la peine.

LISETTE.

Je vous en réponds. Si vous saviez en quel état est ce pauvre Éraste.

SBRIGANY.

Il l’aime beaucoup, j’en suis sûr.

LISETTE.

Assurément. Vous aurez peut-être quelque égard à cela dans la suite ? vous êtes bon père.

SBRIGANY.

Non, je ne prévois pas que j’en fasse mon gendre.

LISETTE.

Le pauvre garçon ! je ne voudrais pas être à sa place.

SBRIGANY.

Ma Loterie va bien, le peuple est docile, tout me réussit, je ferai ma fille grosse Dame.

 

 

Scène XXIII

 

LE GASCON, SBRIGANY, LISETTE

 

LE GASCON.

Que je vous embrasse, mon cher Monsieur de Sbrigany, que je vous embrasse, je suis votre très humble serviteur, ou la peste m’étouffe.

SBRIGANY.

Monsieur je suis le vôtre de tout mon cœur. Tu vois, tout le monde me faire caresse.

LISETTE.

Vous êtes furieusement estimé.

LE GASCON.

Hé donc, mon cher, vous voilà riche comme un traitant en temps de guerre.

SBRIGANY.

Monsieur je suis...

LISETTE.

Ne serait-ce point quelqu’un qui viendrait demander votre fille en mariage.

SBRIGANY.

Cela se pourrait bien, c’est quelque personne de qualité.

LE GASCON.

Vous avez vous seul plus d’esprit que toute la Gascogne ensemble.

SBRIGANY.

Monsieur, j’ai un petit savoir-faire que j’ai toujours conduit avec assez de bonheur.

LE GASCON.

Vous nous damez le pion, Monsieur Sbrigany, vous nous damez le pion pour le savoir-faire.

SBRIGANY.

Oh, Monsieur, il s’en faut bien que j’aie autant de mérite qu’une personne comme vous et...

LE GASCON.

Attraper en gros tout Paris, les plus habiles de chez nous ne le font qu’en détail. Certes je vous en félicite ; je ne vous en estime pas davantage : mais je vous admire.

LISETTE.

Cette homme-là ne vous caressait point de bonne foi, défiez-vous-en.

SBRIGANY.

C’est ce qu’il me semble.

LE GASCON.

Cadedis vous êtes un heureux mortel.

SBRIGANY.

Il est vrai, Monsieur, que je n’ai pas lieu de me plaindre de la Fortune.

LE GASCON.

Vous plaindre de la Fortune ? vous en êtes l’enfant gâté, c’est ce qui vous rend téméraire. Baste, Paris est bon, vos témérités sont heureuses.

SBRIGANY.

Monsieur !

LE GASCON.

Je ne suis pas de Paris moi, comme vous voyez.

LISETTE.

Il n’est pas malaisé de s’en apercevoir.

LE GASCON.

Je suis un cadet de Bordeaux, vif, prompt, colère, et un peu tueur même de mon métier.

SBRIGANY.

Monsieur ?

LISETTE.

Tout vous réussit, Monsieur, le peuple est docile.

LE GASCON.

Nous n’en viendrons pas là, ne vous effarouchez pas. Voilà deux boîtes de votre Loterie de huit billets chacune.

SBRIGANY.

Il faut les ouvrir, Monsieur, et vous donner les lots qui...

LE GASCON.

Je les sais, Monsieur, je devine : petit étui, petite porcelaine, petit mouchoir, petite souricière. Vous êtes un petit mignon qui faites de petites Loteries en miniatures, hem.

SBRIGANY.

Monsieur !

LISETTE.

Puisque vous avez si bien deviné vos lots, Monsieur, je m’en vais vous chercher votre affaire.

LE GASCON.

Non, non, la belle, ne vous pressez pas ; vous croyez nous mener par le nez avec vos mouchoirs, vous vous trompez à mon égard s’entend. Allons l’ami, rendez mes quatre louis, voilà vos deux boîtes.

LISETTE.

Quel diable d’homme est-ceci ?

SBRIGANY.

Mais, Monsieur, vous en usez d’une manière...

LE GASCON.

Je me reproche d’être trop sage, et je me fais violence au moins ; je pourrais m’échapper, prenez garde à moi.

SBRIGANY.

Vos lots sont peut-être meilleurs que vous ne croyez, donnez-vous la peine...

LE GASCON.

Oh cadedis, restituez, vous dis-je, et promptement : si je me fiche, je ferai tapage, et je casserai bien des petits lots ; dépêchons, mes quatre louis.

SBRIGANY.

Les voilà, Monsieur : mais je vous prie que personne ne sache...

LE GASCON.

Non, non, vous êtes galant homme.

LISETTE.

Ma foi, Monsieur, si tout le monde fait de même, il vous demeurera de mauvaise marchandise.

SBRIGANY.

Tais-toi.

LE GASCON.

Voyons ce qui me revient maintenant.

SBRIGANY.

Mais, Monsieur, puisque vous avez repris votre argent...

LE GASCON.

Il m’en faut l’intérêt. Vous avez de la conscience ; vous le gardez depuis six mois, je prendrai sans voir, faites bien les choses, deux livres de tabac pour moi, un éventail pour la fille de mon auberge, et de vos mouchoirs pour le Toulousain mon valet de chambre.

SBRIGANY.

Je n’ai que faire de cela, Monsieur.

LE GASCON.

Je vous en sors à bon marché, ne nous brouillons point, je vous prendrai sous ma protection, et je parlerai bien de vous, au hasard de me décrier.

LISETTE.

Le parti n’est pas mauvais, Monsieur, nous avons besoin d’amis, ne fâchez point cet homme-là.

SBRIGANY.

Hé bien, Monsieur, ne le dites donc à personne, et revenez une autrefois, vous serez content de moi, je vous le promets.

LE GASCON.

Et vous de moi, je vous proteste. Que je ne revienne pas deux fois au moins. Serviteur, l’ami : sans adieu, la belle.

LISETTE.

Votre valet Monsieur. Un Gascon ne fut jamais dupe.

 

 

Scène XXIV

 

SBRIGANY, LISETTE

 

SBRIGANY.

Il faut bien prendre garde que cette aventure ne se sache point.

LISETTE.

Cela serait de mauvais exemple, vous avez raison. Mais, Monsieur, n’auriez-vous point affaire là-bas ? l’œil du maître quelquefois...

SBRIGANY.

Il y a des choses qu’il est bon de ne voir que de loin. Je suis bien ici.

LISETTE, bas.

Oui : Mais, Monsieur... Notre amoureux est mal dans le coffre.

 

 

Scène XXV

 

LA PROCUREUSE, SBRIGANY, LISETTE

 

LA PROCUREUSE.

Allons Monsieur, tôt, dépêchez-moi vite, s’il vous plaît.

SBRIGANY.

Comment, Madame ?

LISETTE va auprès du coffre, qu’elle entrouvre, et elle évente Éraste avec son tablier.

Donnons un peu d’air à notre enfermé, il a chaud dans ce coffre.

LA PROCUREUSE.

On aura beau dire que votre Loterie n’est pas fidèle, Monsieur, que vous êtes un maroufle, je n’en croirai rien pour moi, je vous assure, et je vous rendrai toute la justice qui vous est due.

SBRIGANY.

Je vous suis bien obligé, Madame.

LA PROCUREUSE.

Je n’ai amené que trois crocheteurs avec moi, sera-ce assez, Monsieur ?

SBRIGANY.

Trois crocheteurs, Madame ! hé pourquoi faire ?

LA PROCUREUSE.

Pour emporter mon lot, Monsieur : s’il en faut davantage...

LISETTE.

Trois crocheteurs pour emporter votre lot ? il n’en faudrait qu’un pour déménager toute la Loterie.

SBRIGANY.

Vous me faites trembler : qu’est-ce que c’est donc que ce lot, Madame ?

LA PROCUREUSE.

Un buffet garni d’argent, Monsieur. Je suis bien heureuse ; il y avait longtemps que j’avais envie d’avoir de la vaisselle.

LISETTE.

Je ne crois ma foi pas que vous en ayez encore de cette affaire-ci. Un buffet garni de vaisselle d’argent ! nous n’avons point de ces babioles-là dans notre Loterie, Madame, vous n’y songez pas.

SBRIGANY.

Vous rêvez, je pense, avec votre vaisselle d’argent.

LA PROCUREUSE.

Je rêve moi, je rêve. Ah ! vraiment voici qui est admirable. Oh ! je ne viens ici qu’à bonnes enseignes, et voilà un billet qui fera bien foi que je ne rêve point.

SBRIGANY.

Si cela est sur votre billet on vous le donnera : mais je ne crois pas...

 

 

Scène XXVI

 

PETRONILLO, SBRIGANY, LA PROCUREUSE, LISETTE

 

PETRONILLO.

Venio vous dire, Signor, que non ho piu di petits mouchoirs, tutti sont distribués.

SBRIGANY.

Tenez, tenez Madame, voilà celui qui a écrit les billets, il reconnaîtra bien son écriture.

LA PROCUREUSE.

Il la reconnaîtra s’il veut, j’aurai mon buffet assurément.

PETRONILLO.

Que cosa ê que parlate d’un buffet, Madame qué, qué...

LA PROCUREUSE.

Qué, qué. Je n’entends point votre baragoin : mais je sais lire, vous allez voir.

LISETTE.

Il y a du mal entendu là-dedans ; il se trouvera un pâté, sur ma parole.

LA PROCUREUSE.

Il me semble qu’il ne faut que des yeux ; et j’en ai de beaux et de bons, Dieu merci. Voyez... Un buffet garni d’argent.

PETRONILLO.

Un buffet ? E un busc, Madame, ê un busc.

LA PROCUREUSE.

Un busc ?

PETRONILLO.

Oui, Madame, garni de petits filets d’argent. La fortune vi favorise : ê un des meilleurs lots de tutte la Loterie.

LA PROCUREUSE.

Un busc, un busc ! Ah ! quelle effronterie ! quelle volerie ! un busc pour un buffet ! Je suis perdue, je suis trahie, je suis ruinée, je suis assassinée.

SBRIGANY.

Non, Madame, on ne vous fera point de tort, nous sommes gens d’honneur. Donnez un busc à Madame, Lisette.

LISETTE.

Ferai-je monter vos trois crocheteurs pour emporter votre lot, Madame ?

LA PROCUREUSE.

Vous n’avez que faire de rire, vous n’en êtes pas où vous pensez, on vous fera bien soutenir : mon mari est Procureur, vous allez voir de belles écritures. Ces fripons-là avec leur busc.

PETRONILLO.

Sta visionnaire avec son buffet. Que le Procureur n’écrive point, Madame, et qu’il vous apprenne à lire.

LISETTE.

La Procureuse est bien fâchée de n’avoir point de vaisselle.

 

 

Scène XXVII

 

LA ROSE, ivre, SBRIGANY, LISETTE, MADEMOISELLE AGATHE, PETRONILLO

 

LA ROSE.

Qu’est-ce que c’est donc que çà, Monsieur Sbrigany ? on a bien de la peine à vous parler ; vous devenez un homme rare depuis vôtre Loterie.

SBRIGANY.

Quel veut encore cet ivrogne-ci ? Petronillo, défais m’en, je t’en prie.

PETRONILLO.

Si Signor, non voi mettez pas en peine.

LA ROSE.

Que de biens, que de grandeurs, que de richesses ! Approchez-donc, Madame Agathe, On ne vous demande pas crédit sur rien ; voilà des fonds, comme vous voyez.

MADEMOISELLE AGATHE.

Hélas ! mon cher Monsieur de la Rose, je n’en doute point : mais quand on a donne sa marchandise, on est bien aise...

PETRONILLO.

Quella marchandise, Madama, que volete. De quoi est-il question, Monsù ?

LA ROSE.

Il est question... Qui est cet animal-là, Monsieur Sbrigany ?

SBRIGANY.

Monsieur, c’est...

PETRONILLO.

Non mi son un animal, Monsù, son le garçon de Monsù Sbrigany.

LA ROSE.

Le garçon de Monsieur Sbrigany ?

PETRONILLO.

Oui, Monsù, entendez-vous ?

LA ROSE, lui donnant un soufflet.

Oh bien taisez-vous, garçon, j’ai affaire à votre maître.

PETRONILLO.

Mais, Monsù, je fuis ici pour...

LA ROSE, lui donnant un coup de pied.

Hé ventrebleu, taisez-vous donc, vous êtes bien incorrigible.

LISETTE.

Voilà un ivrogne qui sera difficile à gouverner.

PERTONILLO, en s’en allant.

Monsù, Monsù, il ne faut point pousser les gens de sta manière.

SBRIGANY.

Doué, va, Petronillo, ne me quitté pas.

PETRONILLO.

C’est à vous que Monsù a affaire, my retourno là-bas, sta conversation me fatigue.

 

 

Scène XXVIII

 

LA ROSE, SBRIGANY, LISETTE, MADEMOISELLE AGATHE

 

LA ROSE.

Ce coquin-là me paraît insolent, mettez-moi cela dehors.

SBRIGANY.

Je ne sais pas qui vous êtes, Monsieur : mais on ne vient point dans une maison insulter ainsi...

LA ROSE.

Vous avez l’esprit mal tourné, Monsieur Sbrigany, je ne vous frappe point vous ; si je vous frappais, vous pourriez vous plaindre : mais...

SBRIGANY.

Si vous me frappez, Monsieur.

LA ROSE.

Mais écoutez, cela pourrait bien arriver sans miracle au moins, je n’ai pas le vin bon, je vous en avertis, et je viens d’en boire copieusement, demandez à Madame Agathe.

LISETTE.

Il ne faut point de témoins pour cela, on le voit bien.

LA ROSE.

Nous sommes à table depuis neuf heures du matin, et nous avons bu à vôtre santé... Allez, vous nous avez bien de l’obligation.

SBRIGANY.

Je vous en remercie, Monsieur : mais...

LA ROSE.

Vous n’en serez point ingrat, je le sais bien. N’avez-vous pas là le petit mémoire de la dépense de notre déjeuné, Madame Agathe ?

MADEMOISELLE AGATHE.

Oui, Monsieur, il n’y amie dix-huit livres, et un louis d’or qu’on m’a dit de mettre pour ce que ces Messieurs boiront encore en vous attenant, cela fera trente deux francs tout juste.

LA ROSE.

Que trente-deux francs ! elle donne les choses pour rien cette Madame Agathe. Allons, payez cette bagatelle-là, Monsieur Sbrigany.

SBRIGANY.

Que je paie votre déjeuné moi ?

LA ROSE.

Oui : mais en déduction, on vous en tiendra compte.

SBRIGANY.

Ah, ah ! voici qui est admirable, et en déduction de quoi, s’il vous plaît.

LA ROSE.

Hé palsangbleu de la Loterie. Nous sommes quatre vivants qui avons huit billets dans la même boîte, vous comprenez bien...

SBRIGANY.

Hé bien, Monsieur ?

LA ROSE.

Nous sommes venus ce matin pour la prendre, et on nous a remis à trois semaines.

LISETTE.

On ne vous a rien fait qu’on ne fasse aux autres, Monsieur, il faut de la règle.

LA ROSE.

On sait bien cela, Madame, on ne se plaint point, on veut bien attendre : mais encore ne se séparera-t-on pas comme des coquins ; nous avons déjeuné aux dépens de la société, et vous ferez s’il vous plaît les avances.

SBRIGANY.

Moi ?

LA ROSE.

Qui palsangbleu vous. Nous n’avons pas trente sols dans notre poche.

SBRIGANY.

Ce ne sera pas moi qui en donnerai pour vous, je vous assure.

LA ROSE.

Ce ne sera pas vous ? et qui diable sera-ce donc ? il faut pourtant bien payer Madame Agathe ; elle veut être payée cette Madame Agathe.

MADEMOISELLE AGATHE.

Assurément.

SBRIGANY.

La paiera qui voudra, ce ne sont pas mes affaires.

LA ROSE.

La paiera qui voudra ? oh la paiera qui ne voudra-pas ; car ce sera vous, sur ma parole, ou bien...

SBRIGANY.

Monsieur, Monsieur.

LISETTE.

Le Gascon a donné des mémoires à cet ivrogne-là, Monsieur.

LA ROSE.

Mais voyez un peu ce fripon qui veut affronter une honnête Madame, après qu’on a mangé son bien.

SBRIGANY.

Mais Monsieur, de quel droit...

LA ROSE.

Oui, c’est bien dit, de quel droit retenez-vous notre boîte, et l’argent de Madame ? Écoutez, l’ami, ne nous chagrinons point, il y a de nos Messieurs qui veulent souper encore à compte, cela vous fera des frais, prenez-y garde.

SBRIGANY.

Ma pauvre Lisette.

LISETTE.

Voilà de mauvais pensionnaires, défaites-vous-en, Monsieur, et tout au plus vite.

SBRIGANY.

Hé bien, Monsieur, je vais vous donner la boîte, et vous vous accommoderez avec Madame.

LA ROSE.

Comment la boîte ? nous ne voulons point troubler la règle, Monsieur Sbrigany, il n’est pas question de cela, mes camarades sont engagés chez Madame Agathe, il faut qu’ils en forcent, agréez ou payez, voilà de quoi il s’agit.

MADEMOISELLE AGATHE.

Je suis du quartier, je connais Monsieur, je ne veux que sa parole, pourvu qu’il réponde...

LA ROSE.

Voilà une personne bien accommodante.

SBRIGANY.

Mais, mais.

LA ROSE.

Point de bruit, Monsieur Sbrigany, point de tumulte, je n’aime pas le désordre, je vous respecte, je vous considère. Mais si vous ne contentez Madame Agathe je vous casserai bras et jambes avant que de sortir, voyez si cela vous accommode.

SBRIGANY.

Je crierai au voleur, Monsieur, je vous en avertis.

LA ROSE.

À la bonne heure, il me viendra du secours. Vous n’êtes pas aimé, Monsieur Sbrigany, il y a là-bas des gens qui m’aideront.

LISETTE.

Il a raison, Monsieur, le public n’est pas content, il faut filer doux.

SBRIGANY.

Mais si toutes les boîtes de la Loterie déjeunent comme celà à mes dépens, me voilà ruiné, ma pauvre Lisette.

MADEMOISELLE AGATHE.

Ne vous faites point tirer l’oreille, allons, voisin, faites bien les choses.

SBRIGANY.

Hé bien, Madame, ne demandez rien à ces Messieurs, j’en fais mon affaire.

LA ROSE.

Voilà un galant homme, je vous l’avais bien dit, Madame Agathe. Sans adieu, Monsieur Sbrigany, nous nous reverrons dans trois semaines ; tu nous apprêteras à déjeuner, il n’y a rien à perdre comme tu vois.

SBRIGANY.

Je ne paierai pas celui-là au moins.

LA ROSE.

Non, non, non, cela ne serait pas juste, mettez seulement huit gros lots dans la boîte, ou faites testament, la petite société est fort brutale, il est bon de vous en avertir. En vous remerciant, Monsieur Sbrigany.

 

 

Scène XXIX

 

LA MARQUISE, SBRIGANY, PETRONILLO, LISETTE, UN LAQUAIS

 

LA MARQUISE, à son laquais.

Faites monter Champagne avec vous, il vous aidera.

LE LAQUAIS.

Je m’en vais lui dire de venir, Madame.

SBRIGANY.

Vous demandez quelque chose apparemment, Madame.

LA MARQUISE.

Je viens quérir mes lots, Monsieur Sbrigany, pour les mouchoirs et les petites porcelaines vos garçons en feront leur profit, je ne veux que le coffre de la Chine.

SBRIGANY.

Il faut vous donner ce qui vous appartient, Madame.

LISETTE.

Le coffre de la Chine. Serait-ce déjà le nôtre ?

LA MARQUISE.

Le voilà apparemment, il est fort beau : mais je ne crois pas qu’il puisse tenir dans mon carrosse.

PETRONILLO.

Non ê pas celui-là, Madame.

LA MARQUISE.

Tant mieux, il me paraît un peu trop grand pour la place ou je le veux mettre dans mon cabinet.

PETRONILLO.

Vous en aurez un plus petit, lasciate faire.

SBRIGANY.

Nous en avons à choisir, Madame. Lisette apportez un de ces petits tiroirs où sont ces coffres de la Chine.

LA MARQUISE.

Des coffres dans de petits tiroirs ! comment donc cela ?

LISETTE apporte un tiroir plein de boîtes.

Prenez, Madame, vous n’en serez point embarrassée, un de ceux-là tiendrait dans votre poche.

LA MARQUISE.

Mais vraiment, je ne veux point de cela, vous vous moquez de moi, ce sont des boîtes.

SBRIGANY.

Non, non, Madame, ils s’ouvrent comme un coffre, vedette. Voilà un beau morceau de la Chine, Madame.

LA MARQUISE.

Je n’en veux point, vous dis-je, il y a un coffre sur mon billet. En voilà un, je l’aurai, je n’en serai point la dupe.

LISETTE.

Oh pour celui-là non, Madame, on me l’a donné en garde.

SBRIGANY.

Il n’est pas à moi, Madame, je vous assure.

LA MARQUISE.

Il n’est pas à vous, Monsieur ? pourquoi donc le mettre dans votre Loterie ?

PETRONILLO.

Non ê pas celui-là, Madame, ê celui-ci ; son mi qui ai écrit les billets, je pouis répondre de mon intention.

LISETTE.

Oui ; qu’on le prenne à foi et à serment, vous perdrez votre procès, Madame.

SBRIGANY.

Voici tout à propos la personne à qui appartient le coffre, vous allez bien voir qu’on vous dit vrai.

 

 

Scène XXX

 

LE FINANCIER, LA MARQUISE, SBRIGANY, LISETTE, PETRONILLO

 

LA MARQUISE.

C’est mon cousin le Financier, si je ne me trompe.

LE FINANCIER.

C’est la Marquise ma cousine : hé ! que faites-vous ici, ma chère enfant ?

LA MARQUISE.

J’y dispute mes droits contre ces gens-là.

LISETTE.

Et nous défendons les vôtres, Monsieur. Madame veut faite emporter vos meubles, elle a pris du goût pour votre coffre de la Chine.

LE FINANCIER.

Il serait fort à son service, si la destination n’en était faite. Voilà des étoffes que je fais apporter pour voir ce qu’on y en pourra mettre de pièces.

LISETTE.

Il n’en tiendra guère à l’heure qu’il est, il est bien plein.

LE FINANCIER.

Vous nous aiderez à les choisir, Madame. Allons, voyons Monsieur Sbrigany : Approchez le coffre, Seigneur Petronillo, aidez-lui vous autres.

LISETTE.

Hoi me, que deviendra tout ceci.

SBRIGANY.

Miséricorde, un homme caché ! c’est pour me voler, ah ! pendard.

 

 

Scène XXXI

 

ÉRASTE, LE FINANCIER, LA MARQUISE, SBRIGANY, LISETTE, PETRONILLO

 

ÉRASTE.

Arrêtez, Monsieur, et prenez garde à ce que vous faites.

LA MARQUISE.

C’est Éraste.

LE FINANCIER.

Mon neveu.

SBRIGANY.

Éraste caché chez moi, qu’est-ce que cela signifie ? Parle, n’avais-je pas défendu...

LISETTE.

Vous avez défendu qu’il vît votre fille : mais vous n’avez pas défendu qu’il se mît dans le coffre.

SBRIGANY.

Comment, coquine ?

LISETTE.

Le coffre est à Monsieur, de quoi vous plaignez-vous ? Monsieur est son oncle.

LE FINANCIER.

Vous, mon neveu, ainsi caché dans un coffre chez un Marchand !

ÉRASTE.

Vous cesserez de vous étonner, mon oncle, quand vous saurez que je suis amoureux de la charmante Mariane, que son père me l’avait promise, et que...

 

 

Scène XXXII

 

SIGNOLET, LA MARQUISE, LE FINANCIER, SBRIGANY, ÉRASTE, LISETTE, PETRONILLO

 

SIGNOLET.

Hé vite, et tôt, sauvons-nous, Monsieur.

SBRIGANY.

Qu’est-ce ? qu’y a-t-il ?

SIGNOLET.

Décampez, vous dis-je, on va mettre le feu à la maison.

LISETTE.

Le feu à la maison !

SIGNOLET.

Ils enfonçont la barricade, ils ont arraché à un des Suisses un côté de moustache, qui ne tenait qu’avec de la colle, et ils l’ont reconnu, c’est le crieur de gazette : ils sont plus de trente après ses trousses.

LISETTE.

Le pauvre diable, ils l’assommeront.

SIGNOLET.

Non, non, ils l’allont noyer, je pense, et puis ils disont qu’ils reviendront nous brûler nous autres. Oh dame, acoutez, ça serait chagrinant, bâillons-nous-en de garde.

SBRIGANY.

Miséricorde, que deviendrai-je ?

LE FINANCIER.

On trouvera le moyen d’apaiser le désordre ; tout le monde murmure de ce que vous gagnez trop à votre Loterie : remettez cet argent dans le commerce ; faites un gros lot de vingt mille écus; à condition d’épouser votre fille, et la donnez à mon neveu ; nous avons des amis, on vous trouvera de la protection.

SBRIGANY.

Mais, Monsieur, me répondez-vous que par ce moyen...

LE FINANCIER.

Je me charge de l’événement, ne craignez rien.

SBRIGANY.

Je ferai tout ce que vous voudrez, vous n’avez qu’à dire.

LE FINANCIER.

Contentons d’abord les plus mutins avec de l’argent, ou de bonnes nippes : on prendra demain des mesures pour le reste.

LISETTE.

Ils ne sont pas malheureux si elles réussissent. Profitez de l’exemple, Messieurs : et si jamais quelque Napolitain est assez hardi pour faire une Loterie, que les Parisiens ne soient pas assez fous pour y mettre.

PDF