La Gloire ambulancière (Tristan BERNARD)

Comédie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur les Théâtre de la Comédie des Champs-Élysées, le 10 mai 1913.

 

Personnages

 

ÉDOUARD, mari de la malade

ROBERT, frère de la malade

SAGINET, cousin d’Édouard

CHARLES, cousin d’Édouard

DOCTEUR LEHASQUET

ALPHONSINE, tante de la malade

MADAME LE BLEU, mère d’Édouard

CLARA, belle-sœur de la malade

LA BONNE

DOCTEUR HERCHET

 

La scène est à Paris, dans un salon assez bien meublé.

 

Au fond, une porte donnant sur la chambre de la malade. À gauche, porte de la salle à manger ; à droite, porte donnant sur l’antichambre.

 

 

Scène première

 

LA BONNE, puis MADAME LEBLEU

 

LA BONNE, sortant de la porte du fond.

Madame dort.

MADAME LEBLEU.

Mon fils est près d’elle ?

LA BONNE.

Oui, monsieur est auprès d’elle. Le médecin y est aussi. Il y a donné un carmant.

MADAME LEBLEU.

Un calmant ?

LA BONNE.

Oui, un carmant... Dès qu’elle sera réveillée, que le médecin a dit, on y prendra sa température. On y a déjà pris une fois, vous savez, madame : cinquante-neuf degrés, qu’elle avait !

MADAME LEBLEU.

Cinquante-neuf degrés ?

LA BONNE, tendant le thermomètre.

C’est encore marqué ici.

MADAME LEBLEU, regardant le thermomètre.

Trente-neuf degrés, voyons ! C’est bien suffisant !

LA BONNE, secouant le thermomètre.

Je ne suis pas capable de faire descendre ce machin là.

MADAME LEBLEU.

Donnez-moi ça.

Elle prend le thermomètre et le secoue.

J’étais tranquille chez moi, mon Dieu ! à mille lieues de m’attendre à ça... À quelle heure est-ce arrivé ?

LA BONNE.

Ce matin, madame, à six heures. Et voilà qu’il est bientôt onze heures. Donc, je descends sur les six heures et demie, j’entends du bruit dans la cuisine : ça peut pas être la cuisinière, jamais elle ne descend à si bonne heure... J’ouvre la porte de la cuisine, et qu’est-ce que je vois ? Monsieur qui était en train de faire chauffer des linges... « Je vous ai sonnée au sixième », qu’il me dit. La sonnette ne marche pas ; on l’a « rarrangée » trois fois, il faudrait remplacer le fil : il est pourri perdu. Alors, pour vous finir, je demande à monsieur ce qui arrive. Il me répond que madame a très mal dans le ventre... Je me suis trottée tout de suite chez le docteur...

MADAME LEBLEU.

Quel docteur ?

LA BONNE.

Le docteur Lehasquet.

MADAME LEBLEU.

Ah ! toujours ce petit docteur de rien du tout !

LA BONNE.

Oh ! il est savant, madame !

MADAME LEBLEU.

Il n’a aucune clientèle, je l’ai dit assez souvent à mon fils et à ma belle-fille.

LA BONNE.

Madame, je vas m’en retourner dans la chambre, au cas que monsieur le médecin aurait besoin de moi... Mais devant ça, il faut que je dise à la cuisinière d’entretenir le feu dans la salle à manger.

MADAME LEBLEU.

Pourquoi du feu dans la salle à manger ?

LA BONNE.

Parce qu’il y a déjà deux personnes qui sont là ; c’est plus grand qu’ici, n’est-ce pas ? Alors pour ne pas encombrer, j’ai fait entrer dans la salle à manger monsieur Robert, le frère de madame, et monsieur Saginet, le cousin de monsieur.

MADAME LEBLEU.

Faites-moi le plaisir de leur dire de venir ici. Ce n’est vraiment pas la peine d’entretenir du feu dans toutes les pièces.

LA BONNE.

Bon, madame. Il faudra tout de même qu’il fasse chaud dans la salle à manger au moment du déjeuner. Il est vrai que, dans cette bagarre, on se demande quand et comment on déjeunera.

Elle va dans la salle à manger, à gauche, au moment où Édouard entre par la porte du fond.

 

 

Scène II

 

MADAME LEBLEU, ÉDOUARD

 

ÉDOUARD, sortant de la chambre.

Ah ! ma pauvre maman ! quelle nuit, si tu savais quelle nuit j’ai passée !

MADAME LEBLEU.

Mon pauvre petit !

Elle l’embrasse.

La bonne me disait que ça n’avait commencé qu’à six heures.

ÉDOUARD.

Oui, maman, seulement, nous nous étions couchés à deux heures et demie.

MADAME LEBLEU.

Elle avait souffert jusque-là.

ÉDOUARD.

Mais non, nous avions été souper.

MADAME LEBLEU.

Ah ! tu m’en diras tant ! Si elle va se donner des indigestions !

ÉDOUARD.

Comme tu y vas ! Se donner des indigestions ! Elle n’a pour ainsi dire rien pris.

MADAME LEBLEU

Enfin elle a tout de même mangé quelque chose ?

ÉDOUARD.

On a servi un peu de caviar, elle y a à peine touché ; de la langouste, elle en a pris un petit morceau ; de la salade de pommes de terre, deux ou trois cuillerées à peine ; un rien de viande froide et du fromage.

MADAME LEBLEU.

Il y a de quoi se charger l’estomac. Moi, je peux tomber malade d’une façon on d’une autre, mais je n’attraperai jamais d’indigestion en allant souper.

ÉDOUARD, légèrement impatienté.

Oui, maman, je sais que tu ne vas pas souper. Mais, qu’est-ce que tu veux ! Nous allons souper quelquefois... Et nous ne nous en sommes jamais mal trouvés.

MADAME LEBLEU.

La preuve !

ÉDOUARD.

Enfin, tu sais bien que c’est une chose qui remonte à plus loin que ça. Elle ne veut pas se soigner. Elle n’a pas... d’habitudes régulières. En dépit des laxatifs, voilà six jours... Je me tuais à lui répéter qu’il faut faire attention à ça, que c’est d’une importance capitale, et que ça finirait par lui jouer un mauvais tour.

MADAME LEBLEU.

Alors, elle a des douleurs violentes dans le ventre ?

ÉDOUARD.

Oui, je crois que c’est le gros intestin, seulement on ne peut pas savoir au juste : le ventre est ballonné. Le docteur a toutes les peines du monde à la palper, il ne peut pas se rendre compte.

MADAME LEBLEU.

C’est un âne, ton docteur !

ÉDOUARD, nerveux.

Ce n’est pas exact. Je t’en prie, maman, je le connais et je sais parfaitement ce qu’il vaut. Je voudrais bien que tu me dises ce qu’on peut faire quand le ventre est ballonné. Quelle heure est-il ?

MADAME LEBLEU.

Il est bientôt onze heures.

ÉDOUARD.

Je n’ai rien pris ce matin.

MADAME LEBLEU.

Eh bien, fais-toi servir quelque chose.

ÉDOUARD.

Je ne serais pas capable d’avaler une miette.

Il va s’asseoir, accablé, sur un canapé au fond.

Moi qui ne peux pas supporter de ne pas me laver en me levant, je ne me suis pas lavé, et, ce qu’il y a de plus fort, c’est que je n’y pense même pas.

Il se lève.

Onze heures ! il va falloir envoyer quelqu’un chez le docteur !

MADAME LEBLEU.

Tu penses à faire venir un docteur en consultation ?

ÉDOUARD.

J’ai demandé au médecin, là, avec des ménagements, tu penses...

MADAME LEBLEU.

Des ménagements ! des ménagements !... Il doit bien se rendre compte qu’il ne suffit pas pour un cas grave...

ÉDOUARD, impatienté.

Enfin j’ai tenu à le ménager tout de même. Je lui ai dit : « Docteur, nous avons parfaitement confiance en vous... »

MADAME LEBLEU.

Ce n’est pas vrai.

ÉDOUARD.

Je le lui ai dit tout de même... « Nous avons parfaitement confiance en vous, mais nous voulons tranquilliser la famille... » Alors il m’a répondu tout de suite : « Très volontiers ; faites venir qui vous voudrez en consultation. » Je lui ai dit : « Docteur, c’est à vous d’indiquer la personne dont vous voudriez avoir l’avis. » Alors, il m’a nommé le docteur Berchet, et il a paru très satisfait.

MADAME LEBLEU.

Je te crois, ces petits docteurs-là ne demandent que ça. Il ne faut pas t’imaginer que ça les ennuie d’appeler un grand docteur en consultation. Ils rendent des services à des gros bonnets et il y en a qui ont l’habitude de se faire payer le même prix que le docteur célèbre à qui on demande son avis... D’ailleurs, tu me feras le plaisir de lui payer, à lui, sa visite ordinaire...

ÉDOUARD.

Je me conformerai aux usages.

Avec émotion.

Ce n’est pas le moment... quand cette pauvre petite est en danger...

Il pleure.

d’agiter des questions de gros sous.

MADAME LEBLEU

Elle n’est pas en danger, sans cela, le docteur aurait dit tout de suite d’envoyer une dépêche à sa mère qui est à Wiesbaden...

ÉDOUARD.

Eh bien, maman, quand je lui ai parlé d’envoyer une dépêche, il n’a dit ni oui ni non... Il m’a dit simplement : « Attendez à ce soir... » Que dois-je faire à ce sujet ? Faut-il que je télégraphie ? J’ai peur de causer une émotion terrible à ma belle-mère.

MADAME LEBLEU.

Eh bien, c’est sa fille. Nous sommes tous ici dans l’inquiétude, elle doit avoir sa part de nos soucis.

ÉDOUARD, tombant assis.

Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !...

MADAME LEBLEU, secouant le thermomètre.

Je ne peux pas faire descendre ce machin-là.

ÉDOUARD.

Attends. Il faut donner un coup sec.

Il prend le thermomètre et le secoue. À Saginet, qui entre.

Bonjour, Aristide !

 

 

Scène III

 

MADAME LEBLEU, ÉDOUARD, SAGINET, ROBERT, puis ALPHONSINE, puis CLARA et CHARLES

 

SAGINET.

Je ne vais peut-être pas pouvoir rester. J’ai des rendez-vous au magasin.

ÉDOUARD, sans l’écouter, à Robert qui entre.

Ah ! mon pauvre Robert ! Ta sœur est bien malade !

ROBERT.

Calme-toi ! Calme-toi !

ÉDOUARD.

Que dois-je faire avec ta mère ? Faut-il lui envoyer une dépêche à Wiesbaden ?

ROBERT.

Il vaut peut-être mieux attendre. Si on effraie maman... si on la fait revenir et si ce n’est rien...

ÉDOUARD, pénétré.

Ah ! je voudrais bien la voir revenir pour rien et je supporterais joyeusement ses reproches !

Prêtant l’oreille.

Qui est-ce qui vient encore ? Oh ! moi, ça me fait mal de voir du monde.

À Saginet et à Robert.

Des proches, des amis comme vous, ça va encore.

ROBERT.

Ça doit être ma tante Alphonsine.

ÉDOUARD.

Je vais lui demander si je dois envoyer la dépêche.

Entre Alphonsine.

ALPHONSINE, serrant les mains et saluant de la tête, elle est très essoufflée.

Eh bien ? Qu’est-ce qui arrive ?

ÉDOUARD.

Ah ! si nous savions au juste ! Ma femme a été prise d’une crise dans le ventre ce matin à six heures ; le médecin ne se prononce pas. Elle a le ventre ballonné...

ALPHONSINE.

Quel médecin ?

ÉDOUARD, timide.

Le docteur Lehasquet.

ALPHONSINE.

Votre petit docteur !

MADAME LEBLEU.

Tu vois ? Je ne le lui fais pas dire : « Votre petit docteur ! »

ÉDOUARD, avec empressement.

Je vais faire venir quelqu’un en consultation, le docteur Herchet.

ALPHONSINE.

Qui est-ce qui vous l’a indiqué ?

ÉDOUARD.

Mon médecin.

ALPHONSINE, nettement.

Vous ne pouvez pas faire venir Herchet. Vous allez vous mettre mal avec tante Rosalie. Elle ne peut pas souffrir le docteur Herchet depuis qu’il n’a pas voulu se déranger pour son petit garçon...

ÉDOUARD, irrité.

Mais enfin, c’est insensé ! Nous nous trouvons en présence d’une maladie peut-être mortelle et on discute ces misérables questions d’amour-propre ! On m’a indiqué le docteur Herchet, je prendrai le docteur Herchet.

Énergique.

C’est mon devoir de faire appel à l’homme que l’on me désigne comme étant le plus capable et le plus fort.

ALPHONSINE.

Oh ! mais, mon Dieu ! faites ce que vous voulez. Je ne dis plus rien. Tenez, je vais rentrer chez moi. Robert me tiendra au courant, heure par heure, de ce qui se passera chez la malade.

MADAME LEBLEU, à Édouard, à mi-voix.

Retiens-la.

ÉDOUARD.

Ah ! non, par exemple !

MADAME LEBLEU.

Tu verras que si tu ne la retiens pas, ta femme t’en voudra.

ÉDOUARD.

Je lui expliquerai ce qui s’est passé. Elle me donnera raison.

MADAME LEBLEU.

Retiens-la, mon petit, ça vaut mieux !

ÉDOUARD, avec héroïsme.

Ma tante, excusez-moi. Je vous demande pardon. Faites-moi le plaisir de rester.

ALPHONSINE.

Je reste parce que ma sœur est à Wiesbaden et qu’elle ne me pardonnerait pas d’abandonner ma nièce...

À Édouard, ironiquement.

Est-ce qu’il est permis d’entrer dans la chambre ?

ÉDOUARD.

C’est qu’elle dort en ce moment.

ALPHONSINE, même ton.

Bon ! Bon ! J’attendrai.

ÉDOUARD, à Madame Lebleu.

Oh ! maman ! ce qu’elle m’agace ! Tu sais, ce qu’elle m’agace !

MADAME LEBLEU.

Tais-toi ! tu lui diras son fait une autre fois.

ÉDOUARD.

Non, parce que ma colère sera tombée...

SAGINET, s’approchant d’Alphonsine.

Je suis le cousin d’Édouard, madame. J’ai eu l’avantage de vous être présenté il y a trois ans au mariage... C’est un bon petit ménage... Pourvu que ça ne soit pas grave...

Regardant sa montre.

Malheureusement, je ne pourrai pas rester longtemps, je crois que je vais être obligé de m’en aller, j’ai du monde qui m’attend au magasin...

Alphonsine hoche la tête et le quitte. Il va doucement à madame Lebleu.

Je disais que j’avais peur de ne pouvoir rester longtemps ici. J’ai du monde qui m’attend au magasin.

Madame Lebleu hoche la tête et le quitte. Il va à Édouard, qui ne le laisse pas parler, lui tape simplement sur l’épaule et s’éloigne. À Robert.

Je crois que si je m’en vais dans un instant, on comprendra que je n’ai pas pu faire autrement... Vous savez, quand on est dans le commerce...

Robert lui tape sur l’épaule et s’éloigne. Entre Clara.

CLARA, à Édouard, qu’elle embrasse.

Bonjour, frère. Bonjour, maman... Bonjour, madame... Bonjour, Robert...

ROBERT, qui s’est levé avec empressement.

Bonjour, Clara... comment va votre mari ?

CLARA.

Il va bien.

ROBERT.

Nous n’aurons pas le plaisir de le voir ?

CLARA.

Non, il est à Lille.

ROBERT, à demi-voix.

Ah ! bon ! bon !... On ne se voit plus. Vous n’avez pas repris votre jour ?

Clara fait non de la tête.

J’ai tellement de choses à vous dire...

CLARA.

Oui, oui, je les connais, les choses que vous avez à me dire... Et je vous en fais grâce...

ROBERT.

Allons tous les deux dans la salle à manger. On sera mieux.

CLARA.

Restez tranquille. À quelle heure votre sœur a-t-elle eu mal ?

ROBERT, très rapidement, à mi-voix.

Ce matin, à six heures. On n’est pas rassuré. Le médecin ne peut pas la palper, elle a le ventre ballonné... On va demander un docteur en consultation.

Silence.

Venez dans la salle à manger avec moi.

CLARA.

Non, certainement.

ROBERT, suppliant.

Si !... Venez dans la salle à manger avec moi !

CLARA.

Mais non, vous avez été trop mal élevé l’autre jour. Et puis, vous n’avez pas honte de faire la cour aux femmes quand votre sœur est si souffrante ?

ROBERT.

Ça n’est pas grave... Je suis sûr que ce n’est rien... Allons donc causer gentiment dans la salle à manger. Ici, c’est insupportable.

ÉDOUARD, s’approchant.

Robert, mon vieux, il faut que tu ailles chez le docteur Herchet que l’on voudrait avoir en consultation.

ROBERT, ennuyé.

Bien ! Bien ! On pourrait peut-être y envoyer ton cousin Aristide.

ÉDOUARD.

Mais non, c’est un empoté. Il ne trouverait pas le docteur. Il lui courrait après jusqu’à ce soir...

ROBERT, avec un empressement forcé.

J’y vais... J’y vais...

Entre Charles.

Ah ! tiens, voilà le petit Charles. Il est très adroit, lui, tout ce qu’il y a de plus malin... Moi, tu comprends, j’aime mieux rester ici, en cas de besoin...

ÉDOUARD, à Charles.

Charles, tu vas me rendre un service !

Lui serrant la main avec effusion.

Bonjour, mon petit Charles. Tu vas aller chercher le professeur Herchet. Je vais te donner son adresse.

CHARLES, très suffisant.

Je trouverai ! Je trouverai !

ÉDOUARD.

Il vaut mieux que je te la donne. Ce sera plus vite fait... Tu lui diras...

CHARLES, allant vers la porte.

Oui, oui...

ÉDOUARD, lui courant après.

Mais tu ne sais pas ce que tu vas lui dire. Tu lui diras que tu viens de la part du docteur Lehasquet et qu’on l’attend en consultation le plus tôt possible. Tâche de le ramener.

CHARLES.

Sois tranquille. Tu peux compter sur moi. C’est comme s’il était déjà là.

ÉDOUARD.

Tiens, voilà l’adresse.

Il lui tend un papier.

CHARLES.

J’aurais bien trouvé, tu peux être tranquille !

À Madame Lebleu.

Soyez tranquille !

À Alphonsine.

Ayez confiance en moi !

ÉDOUARD, secouant le thermomètre.

C’est effrayant ce que c’est difficile de faire descendre ça ! J’ai beau donner un coup sec...

ROBERT.

Passe un peu ça. Tu n’as pas le truc.

Il secoue le thermomètre. Édouard s’éloigne. À Clara.

Je vais dans la salle à manger. Vous viendrez m’y rejoindre.

CLARA.

Homme insupportable !

Robert sort par la gauche.

ÉDOUARD.

Je vais voir si elle dort toujours et demander au docteur

À Madame Lebleu et à Alphonsine.

si vous pouvez entrer...

Il entre dans la chambre du fond au moment où Saginet va l’aborder. Saginet, inquiet, regarde sa montre et se rassoit.

MADAME LEBLEU.

Je ne sais pas ce qu’ils ont à être entichés de ce petit docteur de rien du tout.

ALPHONSINE.

Je n’en voudrais certainement pas pour soigner mon petit chien... Je leur ai dit bien des fois de prendre mon médecin à moi, le docteur Tostil, un homme de grande valeur, qui vous fait faire des régimes. Jamais de drogues. Pas charlatan du tout.

MADAME LEBLEU.

Moi, j’ai pour médecin...

Dans l’extase.

un homme extraordinaire, qui me soigne depuis trente ans, le docteur Borzade, rue de Clichy. C’est un homme qui se lève à quatre heures du matin. Il a haut comme ça de livres sur son bureau. Il est savant comme on ne l’est pas, et il n’arrête pas d’étudier. Mais, ce petit Lehasquet, il ne sait rien de rien, vous savez.

ALPHONSINE.

Il a dû passer ses examens par protection, et il a fait faire sa thèse de docteur par un pauvre diable du quartier latin. C’est connu.

Entre Lehasquet, venant de la chambre du fond.

 

 

Scène IV

 

MADAME LEBLEU, ALPHONSINE, CLARA, LE DOCTEUR LEHASQUET

 

MADAME LEBLEU.

Ma belle-fille dort toujours, docteur ?

LE DOCTEUR LEHASQUET.

Elle est encore assoupie.

Il est entouré par Madame Lebleu, Alphonsine et Clara.

MADAME LEBLEU.

Docteur, vous savez, s’il y a danger, parlez-moi franchement pendant que mon fils n’est pas là.

ALPHONSINE.

À moi aussi, docteur. Je suis la tante de la malade mais j’ai beaucoup de sang-froid, il faut me parler.

CLARA.

Vous pouvez me parler. Je suis la belle-sœur de la malade et je ne suis pas une femmelette... Parlez-moi.

LE DOCTEUR LEHASQUET.

Mais, mesdames, je vous assure que je ne peux encore rien vous dire. La palpation est difficile.

ALPHONSINE, d’un air averti.

Elle a le ventre ballonné.

LE DOCTEUR LEHASQUET.

Justement. Tout est sensible. Allez vous prononcer dans ces conditions ! Est-ce de la typhlite, de l’appendicite ?

CLARA.

C’est peut-être simplement nerveux ?

LE DOCTEUR LEHASQUET.

Nerveux ! Nerveux ! Qu’est-ce que cela veut dire, nerveux ? Ce n’est qu’un mot qui n’explique rien... Va-t-elle nous faire une fièvre muqueuse ? Ya-t-elle nous faire une crise de paratyphus ? Si je me trouvais en présence d’une appendicite certaine, j’essaierais des applications de glace. Il y a d’autres affections pour lesquelles le traitement à la glace est contre-indiqué.

CLARA.

Le docteur Herchet va peut-être nous le dire... Attendons le docteur Herchet...

LE DOCTEUR LEHASQUET.

Espérons surtout que jusqu’à son arrivée les muscles du ventre se relâcheront un peu et nous permettront – à lui comme à moi – une palpation exacte. Pour le moment, mesdames, il n’y a qu’à attendre.

MADAME LEBLEU.

C’est bizarre, ces affections intestinales... Moi, j’ai surtout des rhumatismes à la jambe droite... On m’a recommandé le salicylate...

Le docteur ne répond rien.

Je crois que c’est bon, le salicylate, n’est-ce pas, docteur ?...

LE DOCTEUR LEHASQUET.

C’est le médicament classique... Il a ses avantages comme il a ses inconvénients.

CLARA.

Moi, c’est drôle, je n’ai jamais eu de rhumatismes, mais j’ai quelque chose de plus curieux : une petite toux sèche tous les soirs pendant une heure, quelquefois davantage... Ce n’est pas que ce soit très douloureux, mais ça chatouille, ça chatouille, c’est gênant... J’ai été obligée de faire chambre à part pour ne pas empêcher mon mari de dormir... On m’a recommandé une chose qui, paraît-il, est très bonne : des gargarismes au menthol... Je crois que ça n’est pas mauvais, n’est-ce pas, docteur ?

LE DOCTEUR LEHASQUET.

C’est un traitement qui me parait judicieux, mais on ne peut guère se prononcer sans examiner la gorge.

Clara ouvre la bouche toute grande.

...Et il faut des réflecteurs et des instruments spéciaux.

ALPHONSINE.

Moi, heureusement, je n’ai pas de ces petits tracas-là. Et si je n’avais pas, de temps en temps, de l’urticaire, je serais parfaitement tranquille...

D’un ton enjoué.

Pour l’urticaire, pas de poisson, n’est-ce pas, docteur ?

LE DOCTEUR LEHASQUET.

Le moins possible.

ALPHONSINE, minaudière.

N’y a-t-il pas un remède préventif qui vous permette de manger de bonnes choses sans risquer d’attraper de vilains boutons ?

LE DOCTEUR LEHASQUET, un peu sèchement.

On n’en a pas encore trouvé, madame... Je vous demande pardon, mesdames, j’ai besoin de téléphoner. Je crois que c’est de ce côté-ci !

MADAME LEBLEU.

Oui, oui, c’est par là.

LE DOCTEUR LEHASQUET.

Au revoir, mesdames.

Il sort.

MADAME LEBLEU.

Il ne sait rien !

CLARA.

Si, il sait, mais il ne veut rien dire. Il ne veut pas donner de consultations pour rien.

ALPHONSINE.

Et pourtant, ce sont les seules qu’il ait l’occasion de donner.

 

 

Scène V

 

MADAME LEBLEU, ALPHONSINE, CLARA, CHARLES, qui entre en coup de vent

 

CHARLES, très agité.

Voici le docteur Herchet ! il est chez un client, tout près. Et il sera ici dans cinq minutes, avec son auto. Je l’ai eu d’une façon épatante... Figurez-vous que j’arrive chez lui. Son domestique me dit qu’il n’y est pas. « Où est-il ? Je veux le savoir. » On m’indique le nom d’un client. J’arrive chez le client. « Il me faut le docteur ! » Je le vois. Je lui dis ce qui est. Nous descendons ensemble. Il m’emmène dans son auto. L’auto le dépose chez un autre client, m’amène ici, et va le rechercher... Voilà qui a été un peu expédié ! Où est Édouard, que je lui raconte ça ?

MADAME LEBLEU.

Il est dans la chambre de sa femme. Je vais le prévenir.

ALPHONSINE.

Et vous entrez dans la chambre ?

MADAME LEBLEU.

Mais oui, il faut bien que j’aille le prévenir.

ALPHONSINE.

J’y vais avec vous.

MADAME LEBLEU.

Ce n’est pas la peine que nous y entrions à deux.

ALPHONSINE.

Je tiens tout de même à voir ma nièce.

MADAME LEBLEU.

Bien ! Bien !... Ce que j’en disais, c’était dans l’intérêt de la malade.

Elle entre dans la chambre suivie d’Alphonsine. À ce moment, Robert sort de la porte de droite, en agitant le thermomètre.

ROBERT, à Clara, à mi-voix.

C’est bien ! Je vous retiens, vous !...

CHARLES, à Robert.

Je viens de ramener le docteur Herchet. Il est en train de donner des ordres à son chauffeur... Figurez-vous que j’arrive chez lui : il n’y était pas ; le domestique ne voulait pas me dire chez quel client il se trouvait. Seulement, ça ne prend pas avec moi. J’ai fini par lui sortir les vers du nez. J’arrive chez le client. J’attrape mon docteur de force et je l’ai ramené dans son auto.

ROBERT.

Très bien, très bien ! Mes félicitations.

CHARLES.

Je vais le guetter sur le palier.

Il sort par la droite.

 

 

Scène VI

 

ROBERT, CLARA, SAGINET, assis au fond

 

ROBERT, à Clara, à mi-voix.

Vous allez venir par là avec moi.

CLARA.

Vous êtes ennuyeux, vous savez.

ROBERT.

Ou ce qui serait mieux, notre présence ici n’est pas nécessaire, n’est-ce pas ? c’est que vous veniez tout bonnement avec moi jusque chez moi. C’est à deux pas.

CLARA.

Qu’est-ce que vous voulez que j’aille faire chez vous ?

ROBERT.

C’est très important. Je suis en train de m’installer et il y a très longtemps que je voulais vous demander – comme vous êtes une personne de beaucoup de goût – de me donner des conseils pour mon ameublement.

CLARA.

Voyons, nous n’allons pas nous en aller d’ici pendant que votre sœur est malade.

ROBERT.

Mais ce n’est pas si grave que ça.

CLARA.

Cette pauvre Berthe ! elle n’est que ma belle-sœur, je l’aime comme une sœur.

ROBERT.

Ça n’a rien d’étonnant. Ainsi vous n’êtes pas ma belle-sœur et je vous aime plus qu’une sœur.

CLARA.

Oui, vous m’aimez surtout autrement.

ROBERT.

Mais non, je vous assure. J’ai pour vous beaucoup de tendresse et beaucoup de respect... Venez dans la salle à manger. Qu’est-ce que vous craignez ? Je n’ai que des choses très convenables à vous dire.

CLARA.

Alors vous pouvez me les dire ici.

ROBERT.

Ici, il y a du monde. Ce qu’on dit n’a pas le caractère d’intimité que je souhaite, même pour des paroles : très convenables. C’est curieux que vous ne me compreniez pas.

CLARA.

Mais si, je vous comprends.

ROBERT.

Vous ne croyez pas à ma sincérité.

CLARA.

Mais si, j’y crois... Ça lui a pris subitement. Avant, elle n’avait jamais rien eu... C’est curieux...

ROBERT, distraitement.

C’est curieux. Venez dans la salle à manger...

 

 

Scène VII

 

ROBERT, CLARA, SAGINET, LA BONNE, puis ÉDOUARD, puis CHARLES, puis MADAME LEBLEU

 

LA BONNE, sortant de la chambre.

Voilà une automobile. C’est bien possible que ça soye la sienne au docteur.

Elle sort par la droite.

ÉDOUARD, entrant par le fond, à Charles qui entre par la droite.

Voilà le docteur !

CHARLES.

Je te crois que voilà le docteur ! C’est à moi que tu dois ça ! Sans vouloir me donner de gants, ça n’a pas été commode... Il n’était pas chez lui, figure-toi.

Édouard essaie de s’éloigner, mais Charles le retient.

Je me trouve en présence d’un domestique dont il n’y avait rien à tirer. Comment je suis arrivé à savoir chez quel client il était, ça, c’est presque impossible à imaginer ! Je l’ai cueilli, je l’ai pour ainsi dire porté dans son auto et je l’amène...

MADAME LEBLEU, sortant de la chambre.

Je n’ai jamais vu faire tant de bruit dans une chambre de malade que cette Alphonsine... Oh ! je sors, parce que je n’y tiens plus !... Elle est à se regarder dans la glace, à se mettre de la poudre... Elle ne peut pas voir une glace sans se mettre de la poudre.

ÉDOUARD.

Dis donc, maman, qu’est-ce qu’il faut que je donne au docteur ?

MADAME LEBLEU.

Je ne sais pas, moi : il t’enverra sa note.

ÉDOUARD.

Non, il faut que je lui remette tout de suite un billet de cent francs.

MADAME LEBLEU.

Tu es fou ? Un billet de cent francs ?... Trente francs, c’est bien suffisant.

ÉDOUARD.

Non, il faut que je lui donne au moins cinquante francs... Ce qui m’ennuie, c’est que je n’ai pas de billet de cinquante francs.

Il regarde dans sa poche.

Je n’ai qu’un louis et six pièces de cent sous... Tu n’as pas de billet de cinquante francs ?

MADAME LEBLEU.

Non, je n’ai pas d’argent sur moi.

ÉDOUARD, à Saginet.

Tu n’as pas de billet de cinquante francs sur toi ?

SAGINET.

Non, je n’en ai pas... Je crains bien, tu sais, que je sois obligé de m’en aller, parce qu’il y a mon courrier qui m’attend à la maison...

ÉDOUARD.

Voilà le professeur Herchet !

 

 

Scène VIII

 

ROBERT, CLARA, SAGINET, ÉDOUARD, CHARLES, MADAME LEBLEU, LE DOCTEUR HERCHET

 

LE DOCTEUR HERCHET, entrant.

Mon confrère Lehasquet n’est pas ici ?

MADAME LEBLEU, CLARA et ÉDOUARD, s’approchant de lui en même temps.

Il est en train de téléphoner, docteur.

LE DOCTEUR HERCHET.

Ah ! voulez-vous le faire prévenir que je suis ici ?

ÉDOUARD, avec empressement.

Robert, vas-y donc !

CHARLES.

J’y vais ! J’y vais !

Il sort par la droite.

ÉDOUARD, écartant madame Lebleu et Clara, avec satisfaction.

C’est moi qui suis le mari de la malade, docteur.

LE DOCTEUR HERCHET.

Très bien !

ÉDOUARD.

Figurez-vous que, cette nuit, ou plutôt ce matin, vers six heures, ma femme a été prise de douleurs...

LE DOCTEUR HERCHET.

Mon confrère va m’expliquer, monsieur.

Il se retourne du côté de madame Lebleu.

MADAME LEBLEU.

Je suis la belle-mère de la malade, monsieur.

ÉDOUARD, impatienté, derrière le docteur.

C’est bon ! C’est bon !

CLARA.

La belle-sœur de la malade.

ÉDOUARD.

Ça va bien ! ça va bien !

SAGINET, à Édouard.

Présente-moi, veux-tu ?

ÉDOUARD, après un geste de refus, prenant son parti.

Mon cousin... monsieur Saginet...

LE DOCTEUR HERCHET, intéressé.

Monsieur est sans doute parent de monsieur Saginet, le conseiller d’État ?

ÉDOUARD, vivement, écartant Saginet.

Non, non, aucun rapport.

Rapidement.

Monsieur est fabricant d’oiseaux pour chapeaux de dames... Mais voilà le docteur Lehasquet...

Entre Lehasquet, suivi de Charles.

 

 

Scène IX

 

ROBERT, CLARA, SAGINET, ÉDOUARD, MADAME LEBLEU, LE DOCTEUR HERCHET, CHARLES, LE DOCTEUR LEHASQUET

 

LE DOCTEUR LEHASQUET, à Herchet.

Bonjour, mon cher maître. Voulez-vous que nous voyions tout de suite la malade ?

LE DOCTEUR HERCHET.

Mais oui, mais oui, je suis là pour ça.

Ils se dirigent vers la chambre de la malade, suivis d’Édouard. Madame Lebleu va pour les suivre.

ÉDOUARD.

Maman, il vaut peut-être mieux que tu n’entres pas. Ça va faire beaucoup de monde dans la chambre.

MADAME LEBLEU.

Bien, bien ! Mais alors, fais sortir Alphonsine !

ÉDOUARD.

Je vais lui dire de sortir : je ne sais pas si elle sortira.

Ils entrent dans la chambre.

CHARLES, à madame Lebleu.

S’il y a une opération urgente à faire, je me charge de tout. J’irai chercher une automobile, je retiendrai une chambre à la maison de santé... Comment a-t-on fait pour ne pas effrayer Irma à l’idée qu’il allait arriver un médecin en consultation ?

MADAME LEBLEU.

Édouard a été très adroit. Il lui a dit que le docteur avait justement un de ses amis qui était venu le demander pour aller chez un autre malade en consultation, alors que Lehasquet en avait profité pour demander un avis à cet homme qui était un spécialiste des maladies d’intestins. Elle a très bien pris ça et a eu l’air de le croire.

À Clara.

Tu vois, il devait faire sortir Alphonsine, mais il-ne lui a rien dit, j’en suis sûre. Et moi, qui suis la belle-mère de la malade, je ne suis pas dans la chambre pendant que les médecins y sont... De quoi est-ce que j’ai l’air ?

Madame Lebleu va s’asseoir sur une chaise à droite de la scène. Clara suit, s’assoit à gauche. Robert s’assoit à côté d’elle.

ROBERT, à mi-voix.

Vous n’êtes pas gentille. Je suis très malheureux à cause de vous... Ce n’est pas humain, ce que vous faites. On ne fait pas souffrir un homme comme ça. Venez jusque chez moi, vous verrez, j’ai besoin, besoin de vos conseils. Autrement, savez-vous ce qui arrivera ? Je me meublerai sans goût et horriblement.

CLARA.

Je vous en prie ! Vous me direz ça une autre fois, mais ne me parlez pas comme ça, à mi-voix, maman va se demander ce que cela veut dire...

ROBERT.

Eh bien, écoutez, allons dans la salle à manger.

CLARA.

Mais non, mais non !

ROBERT.

Mais si ! Mais si ! Allons dans la salle à manger, sous un prétexte quelconque. Dites que vous allez téléphoner, et j’irai vous y rejoindre. Puisque vous ne voulez pas venir jusque chez moi, allons dans la salle à manger. Qu’est-ce que vous risquez ?... Je veux vous parler simplement.

CLARA.

Oh ! qu’il est embêtant ! Allons, je vais aller dans la salle à manger, mais je vous assure que je n’y resterai pas plus de cinq minutes.

ROBERT.

Eh bien, oui, venez ! venez !

Clara se lève. À ce moment, la porte du fond s’ouvre. Sortent les docteurs et Édouard derrière eux.

ÉDOUARD.

Voulez-vous venir par ici, messieurs ? Tenez, si vous voulez, dans la salle à manger.

ROBERT.

Bon !

MADAME LEBLEU, s’approchant du docteur Herchet.

Est-ce que vous pensez qu’il y a lieu à une opération, docteur ?

LE DOCTEUR HERCHET.

Nous allons voir, madame, nous allons en parler avec mon confrère.

Ils entrent dans la salle à manger, suivis d’Édouard.

MADAME LEBLEU.

Oh ! du moment qu’il envisage la possibilité d’une opération, c’est qu’il y en aura une.

CHARLES, vivement.

C’est moi qui m’occupe de la maison de santé...

MADAME LEBLEU, à Édouard, qui revient.

Qu’est-ce qu’ils ont dit ?

ÉDOUARD, marchant avec un peu d’agitation, entouré de madame Lebleu, Clara, Robert, Saginet, qui le suivent en troupeau.

Ils n’ont rien dit devant la malade ; mais, tu sais, ils n’ont toujours pas pu la palper, le ventre était dur ! dur !... Ils n’ont pas voulu parler devant elle, bien entendu ; je leur ai tout expliqué, je leur ai dit qu’elle n’avait pas d’habitudes régulières, qu’il y avait six jours que ça n’était pas arrivé... Oh ! que c’est énervant ! que c’est énervant ! que je voudrais que cette consultation soit finie !... Je leur ai dit qu’elle avait tout fait pour faire cesser cet état de choses anormal, qu’elle avait pris des laxatifs, tous les laxatifs indiqués dans les journaux et tous ceux qui lui avaient été indiqués par des personnes de sa connaissance... Ils n’avaient pas l’air très rassurés, tu sais, les docteurs... Oh ! mon Dieu !

On entend du bruit dans la chambre du fond.

Qu’est-ce que c’est ? On fait du bruit dans la chambre, maintenant ?

ALPHONSINE, ouvrant la porte brusquement.

Elle est sauvée ! Elle est sauvée !

ÉDOUARD.

Elle est sauvée ?

ALPHONSINE.

Oui, la vue du docteur a produit son effet... À peine était-il sorti que...

Triomphalement.

enfin ça y est ! elle est sauvée ! Oh ! je suis contente ! Et elle est jolie ! Venez la voir, elle n’a jamais été si jolie... Elle qui était si pâle, elle qui avait des sueurs froides tout à l’heure, elle est rose ! elle est reposée ! elle est souriante ! Venez ! Venez !

CLARA.

Oh ! que je suis contente ! Si vous saviez, je suis heureuse ! Je suis contente !

ROBERT.

Eh bien, maintenant que vous êtes délivrée de tout souci, venez un peu jusque chez moi, vous ne resterez que quelques minutes seulement.

CLARA.

Je viendrai... Oh ! Elle est sauvée ! Je suis heureuse...

Elle va à la porte, à Édouard.

Ah ! qu’elle est jolie ! Ah ! qu’elle est jolie !

ROBERT, tendant le thermomètre à Saginet.

Prenez ça...

Il suit Clara dans la chambre, où sont entrées madame Lebleu et Alphonsine.

LE DOCTEUR HERCHET, sortant de la salle à manger, suivi de Lehasquet, à Édouard.

Eh bien ! ne vous effrayez pas ! Mais, après mûr examen, le principe de l’opération nous paraît s’imposer...

ÉDOUARD.

Elle est sauvée, docteur !

LE DOCTEUR HERCHET.

Comment ? Elle est sauvée ?

Il entre dans la chambre suivi de Lehasquet.

ÉDOUARD, à Saginet qui veut entrer dans la chambre.

Non, pas toi, mon vieux... Il y a tellement de monde...

Il entre dans la chambre. Saginet s’assoit sur une chaise et secoue machinalement le thermomètre.

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