La Fête d’Auteuil (Louis DE BOISSY)

Comédie en trois actes et en vers libres.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 23 août 1742.

 

Personnages

 

LE COMMANDEUR

LA COMTESSE, Nièce du Commandeur

DAMON, Frère de la Comtesse, déguisée en Femme

LAURE, déguisée en Marquis

FINETTE, déguisée en Hussard

CRISPIN, Valet de Chambre de Damon

LA FLEUR, Laquais

 

La Scène est à Auteuil, chez le Commandeur.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

LE COMMANDEUR, LA COMTESSE

 

LE COMMANDEUR.

Oui, dans la Fête que j’ordonne,

Je veux faire briller, par l’art qui l’assaisonne,

Le bon goût de mon temps que je vois éclipsé ;

Et que le Bal d’hier, dont tout Paris résonne,

Soit par l’éclat du mien hautement effacé.

Ma Nièce, c’est pour toi qu’aujourd’hui je le donne.

LA COMTESSE.

Pour moi.

LE COMMANDEUR.

Ton Mariage à demain est fixé.

LA COMTESSE.

Quoi ! sitôt ?

LE COMMANDEUR.

Je ne puis par trop de diligence,

Ni par trop de magnificence

Témoigner la joie où je suis,

De voir former une alliance,

Qui doit unir ma Nièce au Fils

Du meilleur, du plus cher de tous mes vieux Amis ;

Il joint l’éclat du sang aux biens si nécessaires ;

Il n’a pas vingt ans accomplis :

En adresse, à personne il ne le cède guères ;

De la figure il remporte le prix ;

C’est le plus beau de tous les Mousquetaires.

De ton premier Hymen les nœuds mal assortis,

Ne t’ont fait éprouver qu’un fâcheux esclavage :

Il faut qu’un second mariage,

Te liant au destin d’un Mari mieux tourné,

De ce malheur te dédommage,

Et te fasse à son tour, sentir tout l’avantage

D’un lien proportionné,

Tel que depuis longtemps mon soin te le ménage.

Le Marquis, c’est l’Époux que je t’ai destiné,

Est tout exprès revenu de Bretagne.

On a peint ta beauté si parfaite à ses yeux,

Que dans l’ardeur qui l’accompagne,

Il a pressé son retour en ces lieux.

Son Père me l’écrit ainsi. L’amour, d’avance...

LA COMTESSE.

Mon Oncle, c’est plutôt un désir curieux

Qui cause son impatience ;

Ce n’est plus l’usage aujourd’hui

De s’enflammer sur le rapport d’autrui,

Pour une Maîtresse inconnue ;

Pour moi, qui suis plus ingénue,

J’avouerai que le bien que l’on m’a dit de lui,

Ne m’a, jusqu’à présent que faiblement émue.

Je n’en crois que mes yeux, ou plutôt ma raison ;

Mon âme, en attendant, demeure suspendue.

LE COMMANDEUR.

Il va se rendre ici, tu changeras de ton ;

Tu fais en vain la résolue,

Ma Nièce, il est fait de façon

Qu’il te subjuguera dès la première vue.

À l’aspect d’un si beau garçon,

Tu voudras qu’au plutôt l’affaire soit conclue,

Adieu, je veux qu’Auteuil l’emporte sur Paris,

Par la Fête et les Jeux que je vais faire éclore.

Je veux, pour rehausser leur prix,

Que la Baronne que j’adore,

Depuis trente ans que j’ai l’honneur particulier

De me dire son Chevalier,

De sa présence les honore.

Je vole, de ce pas, la chercher à Passi,

Et je veux, avec elle, ouvrir le Bal ici.

Il sort.

 

 

Scène II

 

LA COMTESSE, seule

 

Un Hymen si subit m’inquiète et me trouble ;

Je sais que, du Marquis, le mérite est vanté ;

Mais ce mérite est tel que ma crainte redouble.

On exagère sa beauté ;

Par cet endroit, on le cite, on le nomme ;

Qu’on dise simplement d’un homme,

Qu’il est bien fait, qu’il a l’air fin, spirituel,

Ce portrait-là prévient ; mais que par préférence,

On l’appelle le beau, le beau par excellence ;

C’est l’éloge le plus cruel,

À mon gré, qu’on en puise faire :

Pour ces aimables-là, j’ai naturellement

Une haine particulière,

Et qui dit beau, dit sot communément ;

La plupart n’ont qu’un sentiment ;

Celui de s’admirer, celui de se complaire,

De s’aimer seuls fidèlement ;

Et le Ciel, libéral avec juste mesure,

Ne les décore, et ne les enrichit

Des agréments de la figure,

Qu’en rabattant sur les dons de l’esprit.

Je tremble, dans le fond de l’âme,

Que ce Marquis charmant, qui va se présenter,

Ne soit un fat, plus propre à coqueter,

Qu’à faire dans le fonds le bonheur d’une femme :

C’est un point capital, dont je veux m’éclaircir.

Voyons, mon Frère, il pourra me servir

Dans l’embarras où j’ai lieu d’être,

Et je vais le faire avertir

Par Crispin que je vois paraître.

 

 

Scène III

 

LA COMTESSE, CRISPIN

 

LA COMTESSE.

Mon Frère est-il rentré ? je veux l’entretenir.

CRISPIN.

Non, je l’attends, Madame, avec impatience ;

J’ai devancé ses pas par son ordre pressant ;

Je suis surpris qu’il tarde tant :

Le Bal qui l’attirait avec toute la France,

A du céder la place au Soleil éclatant.

Comme il est déguisé sous les traits d’une brune,

Peut-être, a-t-il trouvé quelque bonne fortune ?

Mais on monte à grand bruit et j’entends parler haut.

 

 

Scène IV

 

LA COMTESSE, DAMON, déguisé en femme, CRISPIN

 

DAMON dans la Coulisse.

Crispin ! holà, coquin ! holà, maraud !

CRISPIN.

Oh ! pour le coup, c’est lui, le voilà qui m’appelle

Par mon nom propre, et par mes attributs ;

Maraud, coquin, ces mots désignent mes vertus.

Je cours... Mais il prévient mon zèle.

DAMON, rencontrant Crispin.

Que ne viens-tu, faquin, quand tu m’entends crier ?

CRISPIN.

J’allais, Monsieur...

DAMON.

Viens, suis-moi, que je quitte

Tout cet attirail au plus vite ;

Je suis brisé, rompu par ce maudit panier.

LA COMTESSE.

Mon Frère, arrêtez-vous, que je vous examine :

Comment ! sous nos habits vous êtes tout au mieux

J’admire vos bons airs, et votre bonne mine.

DAMON.

Vous badinez, ma Sœur ; mais sachez que mes yeux

Ont fait au Bal, des conquêtes sans nombre.

LA COMTESSE.

Mon Frère, je le crois, sous le masque et dans l’ombre.

DAMON.

Non, à visage découvert,

Pour ne rien dérober à l’honneur de mes charmes,

J’ai forcé trente cœurs à me rendre les armes.

LA COMTESSE.

Trente cœurs !

DAMON.

Oui, trente cœurs de concert,

Et si vous me fâchez, j’irai jusques à mille :

Tout cède à mes attraits j’ai le destin d’Achille.

Adieu. Je suis accablé de sommeil ;

Vous saurez en détail, ce soir à mon réveil,

Les libertés que j’ai défaites.

LA COMTESSE.

Non, de grâce, aujourd’hui restez comme vous êtes.

Vous serez déguisé pour le Bal de tantôt ;

Vous êtes si bien en cornettes.

DAMON.

Vous vous moquez de moi.

LA COMTESSE.

Non, mon Frère, il le faut ;

Très sérieusement sous cet habit propice

J’attends, et vous pouvez me rendre un grand service.

DAMON.

Mais ne le puis-je pas sans ce déguisement ?

LA COMTESSE.

Il est essentiel au projet que je forme ;

C’est un plaisir enfin que j’exige de vous.

Crispin, un moment laissez-nous.

Crispin sort.

 

 

Scène V

 

DAMON, LA COMTESSE

 

DAMON.

Songez donc que je suis d’une fatigue énorme.

LA COMTESSE.

Le triomphe éclatant qui vous en reviendra,

Vous payera de la peine, et vous en délassera :

Je dis plus, c’est une victoire

Digne de vos appas, et qui manque à leur gloire :

Mon discours vous en convaincra.

DAMON.

Quel est donc ce projet que je ne puis comprendre ?

LA COMTESSE.

En deux mots je vais vous l’apprendre :

Le Marquis en ce lieu doit se rendre aujourd’hui.

DAMON.

Oui, je sais qu’on l’attend pour votre mariage.

LA COMTESSE.

Il ne me connaît pas ; il s’agit devant lui,

De jouer bien mon personnage ;

Et de passer pour moi sous cette robe-là.

DAMON.

L’étrange dessein que voilà !

Jamais rien de si fou n’entra dans une tête.

LA COMTESSE.

Il doit par-là vous plaire. Il est très sage au fonds.

DAMON.

Qui vous porte à cela ? parlez.

LA COMTESSE.

J’ai mes raisons.

C’est un caprice, une folie.

On dit que le Marquis est un aimable, un beau.

Je veux moi qui ne suis tout au plus que jolie,

Je veux voir admirer sa personne accomplie,

En simple spectatrice, et dans l’incognito,

Comme on admire un excellent tableau.

DAMON.

Ah ! vous voilà vous autre femmes :

Le nom de beau vous révolte d’abord,

Jette l’alarme dans vos âmes.

LA COMTESSE.

Mais, Monsieur, dans le fonds avons-nous si grand tort ?

Sied-il aux hommes...

DAMON.

Non, j’en demeure d’accord ;

C’est usurper vos droits, Mesdames,

Et c’est vous attaquer par votre faible.

LA COMTESSE.

Ou notre sort :

Ne pensez pas railler sur ce Chapitre ;

Rien n’est plus révoltant que l’air et le maintien,

Plus mince que l’esprit, plus sot que l’entretien,

De ces beaux par état, des ces charmants en titre ;

Et c’est, à les définir bien,

C’est un être équivoque, une espèce amphibie,

Qui vole notre sexe, et qui masque le sien.

De tous deux à la fois, ah ! qu’il mérite bien,

La juste aversion, la vive raillerie !

Je vous dirai qu’en mon particulier

Je les honore, moi, d’un mépris singulier,

Et d’une forte antipathie,

Que j’aurais de plaisir à les humilier !

DAMON.

Bon ! ma Sœur, jalousie, entre vous, de métier.

Il en faut pas qu’ici je vous le dissimule,

La beauté...

LA COMTESSE.

La beauté ! vous devez la cacher ;

Il n’appartient qu’à nous de l’afficher ;

Chez nous c’est un état, chez vous un ridicule.

DAMON.

Vous nous jetez dans l’embarras ;

Quand un homme est né beau, voulez-vous, pour vous plaire,

Qu’il défigure ses appas :

Qu’il aille...

LA COMTESSE.

Non, je veux, mon Frère,

Qu’il les ignore, ou n’en fasse aucun cas.

DAMON.

Le Marquis, j’en suis sûr, est de ce caractère.

LA COMTESSE.

Voilà ce que je veux savoir,

Par le moyen dont je vous prie :

Pour prélude du Bal qu’on prépare ce soir,

Je vais me déguiser, sans être travestie.

DAMON.

Mais, moi, je le serai d’une façon...

LA COMTESSE.

Jolie.

DAMON.

Quel rôle serez-vous ?

LA COMTESSE.

Mais celui d’une amie.

En badinant, peut-être, que sait-on ?

Il pourrait arriver...

DAMON.

Ah ! ma Sœur, vision !

Extravagance pure ! et changez de pensée ;

Vous voilà bien embarrassée,

Pour choisir un époux, faut-il tant de façon ?

Voyez d’abord celui qu’on vous propose,

Et si son air vous indispose,

Sans un plus long détour, et sans autre examen,

Imitez mon exemple et romprez votre hymen :

Vous savez qu’on voulait me donner une femme,

Jeune à la vérité, mais laide à faire peur ;

À son premier aspect je reculai d’horreur,

Et je lui dis, bon soir, Madame,

Je ne serai jamais que votre serviteur.

LA COMTESSE.

Mon sexe me prescrit toute une autre conduite,

Je ne dois pas allez si vite ;

Il me convient d’agir plus sagement.

DAMON.

En exigeant de moi cette métamorphose,

Votre esprit se conduit bien plus étourdiment ;

C’est peu que vous risquiez, moi-même je m’expose.

LA COMTESSE.

Mon Frère, au sérieux vous prenez trop la chose ;

Traitez-la plus gaiement : ce n’est qu’un tour de Bal.

DAMON.

C’est un tour dont j’augure mal,

Le jour...

LA COMTESSE.

Le justifie.

DAMON.

Et le lieu...

LA COMTESSE.

L’autorise.

DAMON.

Mais mon Oncle...

LA COMTESSE.

Est absent, et tout nous favorise.

DAMON.

Je vois qu’il faut se rendre, en dépit qu’on en ait.

Le sort conduise à bien notre folle entreprise.

LA COMTESSE.

Oui, ma gaité vous le promet.

 

 

Scène VI

 

DAMON, LA COMTESSE, CRISPIN

 

CRISPIN.

Excusez si je vous dérange.

Mais le Marquis arrive...

DAMON.

Il arrive !

CRISPIN.

Oui, Monsieur.

LA COMTESSE.

Comment déjà !

CRISPIN.

Madame, il est beau comme un Ange,

Et son petit Housard est joli comme un cœur.

LA COMTESSE, à Damon.

Avant de nous montrer, courons à ma Toilette.

Mon Frère, en cet instant, tout est bien considéré,

Vous n’êtes pas encore assez belle à mon gré.

Hâtons-nous, il faut que je mette

Le dernier lustre à votre éclat.

Le moment est critique, et le pas délicat.

DAMON.

Oui, des plus délicats ; vraiment, je le confesse.

Si près du péril qui me presse,

Tout brave que je suis, ma Sœur, le cœur me bat.

LA COMTESSE.

Rassurez-vous, venez vous mettre sous les armes ;

Contre le beau Marquis, vous devez disputer,

D’agréments et de charmes ;

Et si vous voulez l’emporter,

Ou des grâces, du moins partager l’avantage,

Vous n’en sauriez trop emprunter,

Ni des secours de l’art faire un trop prompt usage.

DAMON, à la Comtesse.

Allons donc rehausser l’éclat de mon visage,

Et tâcher décemment de vous représenter :

Toi, Crispin, je te fais une défense expresse

De m’appeler ton Maître, ou bien Monsieur,

Je prends l’état et le nom de ma Sœur.

CRISPIN, à Damon.

Cela suffit, Madame la Comtesse.

Et Madame s’appellera ?

LA COMTESSE.

Mademoiselle, ou bien Hortense,

Et je tiendrai le rang de simple connaissance.

Gardez-toi de rien dire, et retiens bien cela.

CRISPIN.

Mademoiselle, et vous, Monsieur, comptez sur mon silence.

DAMON.

Monsieur !

CRISPIN.

Madame, ah ! votre serviteur

Ne fera plus de ces méprises.

DAMON.

Ayez plus de mémoire, ou, butord, vos sottises...

CRISPIN.

Madame, et vous, de grâce, ayez plus de douceur.

Damon sort avec la Comtesse.

 

 

Scène VII

 

CRISPIN, seul

 

Quel est donc leur dessein ? je n’y puis rien comprendre ;

Mais le Marquis paraît leste, vif, empressé.

 

 

Scène VIII

 

LAURE, déguisée en Marquis, FINETTE, déguisée en Housard, CRISPIN

 

CRISPIN, à Laure.

Monsieur, dans ce Salon, Madame va se rendre,

Et vous venez d’être annoncé.

Ayez, dans ce fauteuil, la bonté de l’attendre.

LAURE.

C’est assez, je l’attends.

CRISPIN, à part.

De ce jeune Housard,

Les yeux mutins, et la mine friponne,

Me rappellent des traits, que j’ai vus autre part,

Et sa ressemblance m’étonne.

Il sort.

 

 

Scène IX

 

LAURE, FINETTE

 

FINETTE.

Je suis seule avec vous. Je puis parler sans fard.

En vérité, Mademoiselle,

Je ne vous conçois pas, dans vos hardis projets.

Je frémis de la suite, et j’en crains les effets.

LAURE.

Finette tremble ?

FINETTE.

Oui, pour vous.

LAURE.

Et pour elle.

Moi, j’augure bien du succès,

Et ce Plumet me donne une audace nouvelle.

FINETTE.

Moi, sous ce fier bonnet, j’ai presque le fripon.

J’aurais plus de courage avec un de dentelle.

Dites-moi, s’il vous plaît, pourquoi prendre le nom

De votre Marquis infidèle ?

Pourquoi, sous ces habits, venir dans la maison

De l’Oncle de votre Rivale ;

À la veille du jour et de l’heure fatale,

Qui doit former leur union ?

LAURE.

Pour leur jouer, Finette, un tour de ma façon.

Dans ce déguisement, qui cause tes alarmes,

J’écoute, de mon cœur, beaucoup moins de dépit.

Et l’ardeur de venger la gloire de mes charmes,

Que l’enjouement de mon esprit.

FINETTE.

L’enjouement ! pouvez-vous employer ce langage,

Quand le Marquis vous fait le plus sensible outrage ;

Il vous aime, il vous rend un hommage assidu ;

Il vous demande en mariage

À vos Parents dont il est bien reçu ;

Et pour gagner son Père, entreprend son voyage ;

Puis l’ingrat, tout à coup, sans vous dire pourquoi,

Vous quitte pour une autre, et moins belle, je gage.

LAURE.

La Comtesse d’Erval a plus de bien que moi,

Et si, pour l’épouser, il me manque de foi,

Si quatre mois d’absence en ont fait un volage,

Je ne dois pas m’en plaindre, il a suivi l’usage,

Qui, d’un tel changement, a fait presque une loi,

Et veut que la plus riche obtienne l’avantage.

FINETTE.

Moi, j’irais dans son cœur enfoncer un poignard,

Ou, le Sabre, à la main, l’attendant au passage,

Je le tue...

LAURE.

Pour le coup, tu parles en Housard.

J’en veux avoir raison d’une façon plus sage.

Comme l’amour pour lui me touche faiblement,

Il n’entre point dans mon ressentiment,

Ni désespoir, ni fureur, ni tristesse.

Je n’en veux point aux jours de mon Amant,

Je ne viens point percer le cœur de la Comtesse.

Non, le mouvement qui me presse

N’est qu’un désir malin de m’en venger gaiement ;

Et c’est au Bal d’hier, que j’en dois la pensée.

Cette vengeance est plus sensée :

Je trouve, en l’exerçant, l’art de me réjouir ;

Je l’ai, cette nuit commencée,

Et de matin ici, je viens pour la finir.

FINETTE.

Mais songez-vous bien, je vous prie,

Que le Marquis que l’on attend,

Et dont vous êtes la copie,

Peut arriver à chaque instant,

Et dérange l’économie

De ce projet qui vous rit tant.

LAURE.

Non, dans ce jour je l’en défie,

Ses pas sont retenus, grâce aux soins que j’ai pris.

FINETTE.

Retenus ! pourquoi donc, aurait-il une affaire ?

LAURE.

Oui, généreusement, je la prête au Marquis.

FINETTE.

Daignez-vous expliquer. Quel est donc ce mystère ?

LAURE.

C’est un vrai tour de Page, et de bon cœur j’en ris,

Sortant du Bal...

FINETTE.

Eh bien ?

LAURE.

Par mes avis,

J’ai fait mettre aux arrêts notre beau Mousquetaire,

Qui plus que toi, doit être surpris.

FINETTE.

Par quel hasard, parlez, charmante Laure ?

LAURE.

Par un trait singulier, que j’ai mis à profit.

Tu sais que pour aller au Bal de cette nuit,

Où tout Paris était, et dont il parle encore,

Je me suis déguisée en homme sans dessein.

Mon travestissement, comme le tien, enfin,

N’est que l’ouvrage du caprice.

Par un coup heureux du destin,

Il m’a rendu plus de service,

Causé plus de plaisir, que s’il avait été

Le fruit d’un complot médité.

Dans la foule du Bal, après t’avoir perdue,

Le Marquis démasqué dans un coin écarté,

Est le premier objet, qui m’a frappé la vue.

Comme il entretenait avec vivacité,

Un autre Mousquetaire assis à son côté,

Je me suis approchée, et sans être connue

Sous cet habit qui me cachait,

J’ai prêté doucement une oreille attentive,

Et j’ai distinctement entendu qui disait :

« Oui, mon cher, on poste j’arrive

« Pour épouser demain la Comtesse d’Erval ;

« Choisi par son vieux Oncle, au sortir de ce Bal,

« Dans sa maison d’Auteuil, où notre hymen s’apprête,

« Pour la première fois, j’irai voir ma conquête ;

« Je sais qu’on m’y prépare un somptueux régal,

« Et puis, sans vanité, te prier d’une Fête,

« Dont je serai le Héros principal.

À peine, du Marquis, ai-je ouï ces paroles,

Que j’ai conçu dans le moment,

Une vengeance des plus folles.

FINETTE.

Je vous écoute avidement.

LAURE.

Je préviens, j’avertis tout bas adroitement,

Un de leurs Officiers, qui vient à ma rencontre,

Que le Marquis vient d’avoir sur le champ,

Avec son Camarade un démêlé sanglant ;

En même-temps du doigt à ses yeux je les montre,

Ajoutant que tous deux, d’un coup d’œil menaçant,

Se sont donné le mot, pour se battre en sortant.

Le hasard, qui m’est favorable,

Veut, pour rendre la chose encore plus vraisemblable,

Qu’ils se lèvent alors en se serrant la main ;

Mon homme, qui les voit, à ce geste équivoque,

Ne doute plus de leur dessein ;

Il marche sur leurs pas ; l’Amant dont je me moque,

À la porte se voit arrêté le premier.

L’Officier, sans vouloir l’entendre,

Dans leur Hôtel le force à se rendre,

Et jusqu’à nouvel ordre, on l’y tient prisonnier.

Le plaisir que j’en ai, ne saurait se comprendre ;

Et juge, à ses dépens, si je sais m’égayer.

FINETTE.

Vraiment à se venger, votre amour n’est pas gauche,

Et le trait est malin autant que singulier.

LAURE.

De ceux qui le suivront, ce n’est-là qu’un ébauche.

Le Bal d’Auteuil succède à celui de Paris.

J’y viens sur nouveaux frais, sous les mêmes habits ;

J’y viens rire aux dépens de l’Ingrat qui m’offense ;

J’y viens goûter de plaisir sans égal,

De le doubler en son absence,

Et de remplir son rôle auprès de la d’Erval ;

Je veux les plaisanter tous deux à toute outrance.

Le désoler d’abord, est mon but capital,

Et pour le mieux jouer, prenant sa ressemblance,

Sous son nom en ces lieux, je deviens son Rival.

La raillerie est la reconnaissance,

Et le juste tribut qu’on doit à l’inconstance.

On ne peut autrement la confondre aujourd’hui

Qu’elle a le goût du siècle pour appui.

D’une vengeance sérieuse,

L’éclat rejaillirait sur moi plus que sur lui.

Que dis-je ? il en serait plutôt enorgueilli ;

Elle lui serait trop flatteuse.

Le rendre ridicule, est le meilleur parti.

Je compte y parvenir par ma trame joyeuse,

Et l’Inconstant, cent fois, en sera mieux puni.

FINETTE.

La Comtesse, de vos malices,

N’est donc dans votre plan, que le second objet ?

LAURE.

Sans la connaître, ah ! que mon cœur la hait !

Ses yeux son innocents, mais ses biens sont complices

De l’affront dont j’ai lieu de rougir en secret :

Je lui réserve plus d’un trait,

Et par les plus mauvais offices,

Je prétends lui payer le tort qu’elle me fait.

Je brûle de la voir, pour juger en effet,

Si mon ennemie est si belle ;

Elle le sera bien, si je la trouve telle.

J’espère, par mon art, par mes airs séducteurs,

D’abuser ses esprits crédules,

Et je lui dirai des douceurs,

Pour mieux trouver ses ridicules.

Ce jeu sera pour moi des plus flatteurs.

Quelle serait ma joie en ce jour favorable,

Si pour elle feignant un amour imposteur,

Je pouvais au fond de son cœur,

En faire naître un véritable,

Et disparaître après sans la tirer d’erreur !

Quel coup ! il comblerait sa peine et mon bonheur.

FINETTE.

Votre esprit va trop loin dans tout ce qu’il projette,

Et je crains qu’il ne soit la dupe de son feu.

Belle Laure, excusez ma franchise indiscrète ;

Mais vous vous écartez un peu

De cette prudence parfaite,

Dont vous avez toujours si bien suivi les lois.

LAURE.

Tout est permis un jour de Bal, Finette,

Et pour venger d’ailleurs, l’injure qui m’est faite,

On doit me pardonner d’y manquer une fois.

FINETTE.

Presqu’infailliblement vous serez reconnue.

LAURE.

Non, dans ces lieux, on ne m’a jamais vue.

FINETTE.

Le Marquis...

LAURE.

N’est connu que du seul Commandeur.

FINETTE.

Eh ! n’est-ce pas assez pour vous remplir de peur.

LAURE.

Que la crainte chez toi fasse place au courage.

Je sais qu’il vient de quitter ce Village,

Pour aller voir la Baronne à Passi.

Dans ce moment tout me seconde ici.

FINETTE.

J’ai dans cette maison, le destin plus contraire.

LAURE.

Pourquoi donc ?

FINETTE.

Ce Valet qui vient de vous parler...

LAURE.

Achève...

FINETTE.

Il me connaît, et pour révéler

Entièrement un tel mystère,

J’eus autrefois le malheur de lui plaire.

LAURE.

Pour le coup tu n’as pas tout le tort de trembler.

FINETTE.

Peste soit des Amants ! Cette sotte engeance

Qui s’offre toujours à nos yeux,

Partout où nous voulons éviter leur présence,

Et qu’on ne peut trouver, quand on court après eux.

LAURE.

Il faut, à le bien fuir, mettre tout art soigneux.

Ma rivale, est longtemps. Dans mon désir bizarre

De lui faire la cour, je suis impatient.

FINETTE.

Pour vous mieux recevoir, sans doute elle se pare.

 

 

Scène X

 

LAURE, LA COMTESSE, FINETTE

 

LA COMTESSE, à part, au fond du Théâtre.

Pour contempler seule un instant,

Ici cet Adonis charmant,

Exprès j’ai devancé mon frère.

L’éclat de sa beauté frappe, je suis sincère ;

Mais elle m’éblouit cependant sans me plaire.

Je n’en puis dire les raisons.

LAURE, à Finette.

Sa toilette est bien longue !

LA COMTESSE, à part.

Un peu mieux, là, voyons,

Qu’en face je le considère.

C’est trop beau pour un homme ; il me voit. Avançons.

Je croyais en ces lieux rencontrer la Comtesse.

Et Monsieur est apparemment

Monsieur le Marquis qu’elle attend.

LAURE.

Oui, Madame, c’est moi.

LA COMTESSE, à part.

Son air, je le confesse,

Est poli, mais bien froid.

Haut.

Il la faut avertir.

LAURE.

Madame, elle l’est.

LA COMTESSE.

Dès qu’elle sait cette nouvelle,

Sur le champ elle va venir.

LAURE.

Je brûle de la voir, et de l’entretenir.

LA COMTESSE, à part.

Il dit qu’il brûle, ah ! d’un ton qui me gèle.

À Laure.

Je puis, Monsieur, vous assurer pour elle,

Qu’elle sera sensible à votre empressement.

Le voisinage qui nous lie,

Garantit ce discours.

LAURE.

Je vous en remercie.

Vous me flattez moi-même infiniment,

Par cette obligeante assurance,

Qui d’avance m’annonce un accueil gracieux.

LA COMTESSE.

C’est celui qu’on vous doit partout comme en ces lieux.

LAURE.

Je réponds, à ces mots, par une révérence ;

Les compliments m’embarrassent beaucoup.

LA COMTESSE, à part.

Je ne vous en fais pas. Il m’accorde à ce coup

Un salut de Seigneur dont il faut que je rie ;

Sur sa protection, j’ai tout lieu de compter.

À Laure.

Chacun doit la féliciter

Sur le choix...

LAURE.

Madame est trop polie.

LA COMTESSE, à part.

Il est en me parlant, modeste par orgueil ;

Il ne m’honore pas seulement d’un coup d’œil.

À Laure.

Je suis franche, Monsieur, et votre abord annonce...

LAURE.

Épargnez-moi...

LA COMTESSE.

Monsieur a de l’aversion

Pour les louanges.

LAURE.

Oui.

LA COMTESSE.

Vous les méritez.

LAURE.

Non.

LA COMTESSE, à part.

Ah ! cet aimable est dans chaque réponse

D’une grande précision ;

Il faut qu’il n’aime pas ma conversation.

LAURE, à part.

L’ennuyeux entretien ! je suis lasse d’attendre.

LA COMTESSE.

Le Commandeur n’est pas ici.

LAURE.

J’en suis instruit.

LE COMTESSE.

Il reviendra ce soir.

LAURE.

On me l’a dit.

On ne saurait vous rien apprendre.

Vous savez tout, Monsieur.

À part.

Voilà mon jeune sot,

Qui ne peut soutenir le moindre tête à tête ;

À chaque phrase il vous arrête,

Et cela pour ne dire mot :

Je ne crois pas sitôt qui fasse ma conquête.

À Laure.

La Comtesse est longtemps. On ouvre, quelqu’un vient.

Ah ! c’est-elle qui vous prévient.

 

 

Scène XI

 

LAURE, LA COMTESSE, DAMON

 

LAURE, à Damon.

Madame, pardonnez à mon impatience ;

Je ne puis trop presser l’instant de mon bonheur ;

Je trouve dans le nœud flatteur,

Qui de nos deux Maisons va former l’alliance,

Tout ce qui peut toucher et fixer mon désir,

La raison, le devoir, la gloire et le plaisir.

LA COMTESSE, à part.

Mais il devient galant ; ma surprise est extrême.

DAMON.

Ce nœud, Monsieur, m’honore trop moi-même ;

Depuis longtemps nos Parents sont amis ;

Leur désir mutuel est de nous voir unis ;

Je me fais une loi d’y conformer mon âme.

LAURE.

Moi, je m’en fais, en vous voyant, Madame,

Je men fais une joie, une félicité ;

Votre douceur, votre beauté...

DAMON.

Pour ma douceur, je vous la passe ;

Pour ma beauté, Monsieur, oh ! j’en fais peu de cas :

À cet égard, je vous demande grâce.

LA COMTESSE.

Madame ne s’en pique pas,

Et n’a pas sur ce point notre faible ordinaire.

LAURE.

Elle est faite pour s’en piquer.

DAMON.

Je me rabats, Monsieur, sur le bon caractère.

LA COMTESSE.

La louer là-dessus, c’est presque la choquer.

LAURE.

Je cours risque en ce cas souvent de lui déplaire.

LA COMTESSE.

Mais vous pourriez fort bien, sans donner dans le faux,

Comtesse, vous pourriez vous piquer d’être belle,

Quand les hommes du temps se piquent d’être beaux.

LAURE.

Ces hommes-là sont méprisables,

Et leur orgueil est des plus sots.

LA COMTESSE.

Il est très vrai qu’ils sont bien haïssables.

LAURE.

Je suis tout le premier à blâmer leurs défauts.

LA COMTESSE.

Vous les blâmés !

LAURE.

Très fort.

DAMON.

Je les trouve excusables ;

Car enfin après-tout...

LAURE.

Ah ! Madame, pardon ;

Mademoiselle en ce point a raison.

DAMON, à la Comtesse.

Il pense comme vous, et vos goûts sont semblables.

LA COMTESSE.

Non, non, je ne crois pas nos sentiments pareils.

LAURE.

Cette espèce de gens est des plus condamnables.

Ils se corrigeraient, s’ils croyaient mes conseils ;

Mais leur nombre est petit.

LA COMTESSE.

Des plus considérables.

Le monde est plein de ces aimables,

Et de ces Narcisse nouveaux,

Qui plus parés que nous, s’admirent d’un front calme :

Sur les modes du jour, prononcent en Héros,

En tout de la beauté nous disputent la palme,

Et sont moins nos Amants qu’ils ne sont nos Rivaux.

LAURE.

Je suis avec raison trop partisan des femmes,

Pour n’être pas choqué d’un abus si criant :

Pour nous comme pour vous, il est humiliant.

Le culte que l’on rend aux Dames,

Est un hommage juste autant que naturel.

De la beauté Déesses souveraines,

Seules vous méritez notre encens éternel ;

Nous devons vous offrir nos plaisirs et nos peines,

Et quand l’audace d’un mortel

Ose dans le grand jour, où chacun vous contemple,

Élever Autel contre Autel,

Et devenir le Dieu du Temple :

Saisissez-vous du Criminel,

Et sans pitié faites-en un exemple.

DAMON.

Vous prenez vivement nos intérêts à cœur.

LAURE.

Comme les miens, et mon ardeur

N’y met aucune différence.

DAMON.

Eh bien ! qu’en dites-vous, Hortense ?

LA COMTESSE.

Monsieur plaisante.

LAURE.

Non, ce n’est pas mon humeur.

DAMON.

Je le crois plus sincère.

LA COMTESSE.

En secret du coupable,

Moi, je pense plutôt qu’il est le protecteur.

LAURE.

C’est m’offenser. J’en suis, je le jure d’honneur,

L’ennemi le plus implacable.

Plus le Ciel a sur nous répandu sa faveur,

Plus, des ces dons heureux, nous vous devons l’hommage,

Et nous montrer soumis devant notre vainqueur.

Nous devons profiter d’un si doux avantage,

Non, pour nous applaudir de nous-mêmes charmés,

Mais pour vous plaire davantage ;

Et nous rendre à vos yeux plus dignes d’être aimés.

DAMON, bas à la Comtesse.

Mais ce jeune homme est adorable

Autant par son esprit, et par ses sentiments

Que pour l’éclat de sa figure aimable,

Et vous devez vous rendre en ces moments.

LA COMTESSE, bas à Damon.

Taisez-vous ; ce n’est-là qu’un hypocrite,

Qui sait se contrefaire et n’a qu’un faux mérite.

DAMON, à Laure.

Des Dames tout le corps entier

Publiquement, Monsieur, doit vous remercier

De prendre si bien sa défense.

LAURE.

Je sui zélé pour lui ; qui l’outrage m’offense,

Et je ne fais aucun quartier.

DAMON.

Monsieur voudrait-il faire un tour de promenade ?

Il verra notre parc.

LAURE.

Votre avis est le mien.

DAMON.

Le point de vue est beau.

LAURE.

Je me trouverai bien,

Partout où vous serez.

Elle donne la main à Damon.

LA COMTESSE, à part.

Ah ! politesse fade !

Moi ; près de lui, je me trouve fort mal ;

J’ai pensé juste, et par ma mascarade

J’ai déjà démasqué mon homme avant le Bal.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

CRISPIN, seul

 

De ce petit Hussard le minois me tracasse ;

Sa figure quoi que je fasse,

Me revient toujours dans l’esprit.

Il pourrait bien ne l’être qu’à crédit ;

Je ne sais qu’en penser. Sa ressemblance est telle,

Avec une Finette, à qui pendant trois mois

J’en ai compté vivement autrefois,

Qu’on la croirait sa sœur jumelle :

Il serait plaisant qu’en effet ce fut elle ;

Mais pourquoi pas ? tout est possible à la rigueur :

Une Soubrette au fond n’est pas inaltérable

Dans les principes de l’honneur.

Non, Finette n’a pas l’assurance et le cœur

Qu’il faut pour un rôle semblable :

Une fille d’ailleurs que j’ai trouvé aimable,

Et pour qui j’ai brûlé d’une parfaite ardeur,

De s’oublier ainsi, n’est pas capable :

Mon cher Crispin, de grâce, je vous prie,

Ne vous flattez pas là-dessus :

On a vu trébucher de plus grandes vertus.

Ces contradictions brouillent ma fantaisie ;

Pour m’éclaircir dans mes doutes confus,

Il ne faut pas agir avec étourderie.

Cherchons et revoyons le fripon de plus près :

Pour le mieux découvrir, interrogeons-le exprès :

Pesons le pour, examinons le contre,

Et nous déciderons après.

Bon, je n’irai pas loin, le voilà qui se montre.

 

 

Scène II

 

CRISPIN, FINETTE

 

FINETTE, à part.

Ah Ciel ! voilà Crispin ! la fâcheuse rencontre !

Comment sortir de ce pas ci ?

Le hussard pour le coup est pris par un parti ;

D’une juste frayeur je sens mon âme émue.

CRISPIN.

D’un œil juste, et d’un esprit mûr,

Considérons-le bien dans tous ses points de vue,

Pour en porter un jugement plus sûr.

FINETTE, à part.

De l’air dont il m’observe, et parcourt ma personne,

Je vois que le coquin vivement me soupçonne ;

Voilà ce qu’aujourd’hui je voulais éviter.

CRISPIN, à part.

Ce sont les yeux, le nez, la bouche de Finette,

Et sa ressemblance est parfaite ;

C’est elle, je n’en puis douter.

FINETTE, à part.

Ne perdons pas la tête, et défendons la place

En cette rude extrémité ;

Pour mieux combattre l’effronté,

Il faut payer d’une plus grande audace,

Et nous armer le front d’une mâle fierté.

CRISPIN, à part.

Avec quelle assurance il me regarde en face !

Quelle mine guerrière, et qu’il est bien campé !

L’air dont il tien son sabre, est si fier qu’il me glace :

Ce n’est plus elle, et je me suis trompé.

FINETTE, à part.

Il vient de faire une grimace,

Qui déconcerte mon sang froid :

Son maintien seul fait rire aussitôt qu’on le voit.

CRISPIN, à part.

Son visage devient moitié gai, moitié tendre,

Et je ne sais plus où j’en suis :

De ma Soubrette, ah ! voilà le souris :

C’est elle maintenant je ne puis m’y méprendre,

Il paraît plus petit et mieux fait à tout prendre ;

Son corps paraît exprès moulé pour ses habits,

Et son aisance en tout a lieu de me surprendre.

Non, non, ce n’est plus elle, et je change d’avis.

FINETTE, à part.

Le voilà dérouté grâce à mes attitudes.

CRISPIN, à part.

Pour finir mes incertitudes,

Allons, de lui parler, hasardons le parti :

Accostons-le d’abord avec cet air poli,

Ce maintien libre, et ces façons légères

Que nous avons nous autres Militaires,

Pour avoir plutôt fait connaissance avec lui.

À Finette.

Jeune et brave Hussard, sans nul compliment fade,

Votre air prévient si fort, vous êtes si joli,

Que l’on se fait un plaisir infini

De donner dans votre embuscade ;

Et d’un si charmant ennemi

L’on fait bientôt son plus cher camarade.

FINETTE, à part.

Soutenons cette attaque-ci

Par un fier et profond silence.

CRISPIN.

Vous ne répondez mot. Serait-ce par mépris :

Avec moi devez-vous agir de la sorte ?

Vous avez tort... Cet air, et le fer que je porte,

Disent assez ce que je suis :

J’ai, glorieusement, fait plus d’une campagne :

Si vous êtes, Monsieur, un brave d’Allemagne,

Apprenez que je suis un vaillant du pays ;

Je pense même avoir l’honneur de vous connaître,

Et nous nous sommes vus ailleurs.

FINETTE.

Cela peut être.

Dans un Parti que j’ai surpris,

Dans ma dernière course, au fond de la Bohême,

Avec les Gougeats que j’ai pris,

J’ai fort bien pu te dépouiller toi-même.

CRISPIN.

Si vous êtes vaillant, vous n’êtes pas poli :

Mais vous, Monsieur, qui me parlez ainsi,

De votre nom, voudriez-vous m’instruire ?

FINETTE.

Je suis, puisqu’il faut te le dire,

Je suis ce brave et fier Zaski,

Que son goût pour la France ici vient de conduire.

J’ai suivi le Marquis en qualité d’ami ;

Officier de Hussards, plus craint que le tonnerre,

Je brave les saisons, quand je campe la nuit,

Le Ciel seul est ma tente, et la Terre est mon lit ;

Mon sabre et mon coursier sont tout mon train de guerre :

Je joins à la valeur, la fuite et les détours ;

La retraite pour moi devient une victoire ;

J’illustre le pillage, et j’en tire ma gloire ;

J’imite, en ravageant, un torrent dans son cours ;

Je ne me laisse jamais joindre,

Pour être sûr de vaincre et d’imposer des lois,

J’évite le grand nombre, et j’attaque le moindre ;

J’enlève des Partis, je pille des Convois,

Et je répands souvent l’alarme ;

Sans poudre ni canon je livre des assauts,

Et n’ayant que ce fer pour arme,

Je force une muraille, et prends des Châteaux ;

J’emporte tout dans mon passage ;

Je fais couler le sang de toutes parts,

Rien n’arrête mon bras ; je brûle, je saccage,

Je ravis, je détruis, je massacre, et je pars.

Il prend la fuite.

CRISPIN.

Arrêtez-vous sied-il, après tant de carnage,

De battre en retraite, intrépide Héros.

FINETTE.

La valeur d’un Hussard est de fuir à propos.

CRISPIN.

Et celle des Crispins, dont j’ai suivi la trace,

Est toujours de fermer les chemins aux Hussards :

Je ne leur fais aucune grâce,

Et je tombe sur les fuyards ;

Avec ce fier courage, et cette noble audace,

Si naturelle à tous ceux de ma race.

FINETTE, à part.

Je sais qu’ile st poltron, feignons d’avoir du cœur,

Pour soutenir mon rôle, et pour lui faire peur.

À Crispin, mettant le sabre à la main.

Dans ma fuite toujours, malheur à qui m’arrête ;

Gardez-toi d’approcher ; ne retiens plus mes pas,

Ou, par la mort, avec ce coutelas,

Je te ferai l’honneur de te trancher la tête.

CRISPIN.

Ma tête me sied bien, et nous la défendrons :

Mais, croyez moi plutôt ensemble composons.

Par un seul mot, daignez me satisfaire,

Sur une question que je m’en vais vous faire.

FINETTE.

Je n’écoute jamais qu’après m’être battu.

CRISPIN.

Et moi, je ne me bats, qu’après être entendu.

Seigneur Zaski, votre fierté m’étonne,

Et si vous êtes brave, autant que l’est votre air,

Non, vous n’êtes plus la personne

Pour qui d’abord je vous prenais.

Vous en avez pourtant la voix comme les traits.

Auriez-vous une Sœur ?

FINETTE.

Non, je suis fils unique.

CRISPIN.

J’aurais en ce cas-là regret de vous tuer ;

Et ce discours me laisse sans réplique.

Je ne sais plus comment vous bien évaluer.

Le Marquis appelle dans la coulisse.

Zaski !

CRISPIN.

L’on vous appelle, et nous nous retirons.

Nous observons en tout l’exacte bienséance.

Adieu, Hussard charmant, mais douteux dans le fonds ;

Je n’ai fait avec vous qu’ébaucher connaissance,

Je me flatte dans peu que nous nous reverrons ;

Vous parlerez alors ; ou nous féraillerons.

Il sort.

 

 

Scène III

 

LAURE, FINETTE

 

LAURE.

Je te cherche partout, et ma joie est parfaite.

Je viens l’épancher dans ton sein ;

Tu ne dois plus être inquiète.

Tout a favorisé mes vœux et mon dessein :

Eh bien une autre fois m’en croiras-tu, Finette ?

Tu vois qu’ils ont un succès plein.

Dis, parles, comme moi n’es-tu pas satisfaite ?

De la réception qu’ici l’on nous a faite ?

Ma Rivale est surtout dans une bonne foi,

Qui me ravit autant qu’elle m’étonne :

Elle m’épousera sans peine, je le vois ;

Elle a déjà du goût pour ma personne ;

Mais dans le fonds la chose est trop bouffonne.

Partages mes transports, et ris-en comme moi.

FINETTE.

Je ne saurais. Crispin, puisqu’il faut vous l’apprendre.

LAURE.

Finette, rends justice à mes talents.

Conviens, avoue en même temps

Que des yeux bien plus fins auraient pu s’y méprendre.

N’ai-je pas bien joué le rôle de Marquis ?

Attrapé tous ces airs difficiles à prendre,

Penchés avec aisance, et décemment hardi ?

FINETTE.

Moi, j’ai fait le Hussard au mieux, dont bien m’a pris ;

Sans quoi Crispin qui me soupçonne...

LAURE.

Laisses-là ton Crispin.

FINETTE.

Le péril me talonne.

LAURE.

Pour trois heures de temps que nous serons ici,

Ne va pas dans l’esprit, te mettre ce souci,

Parlons uniquement de ce qui m’intéresse,

Tu viens de voir cette Comtesse

Dont la beauté fait du bruit à Paris,

Mérite-t-elle cette gloire ?

Et complaisance à part, là, qu’en penses-tu, dis ?

Est-elle digne, à ton avis,

D’obtenir sur moi la victoire ?

Sans vouloir trop m’en faire accroire,

Ni trop rabaisser ses appas,

Entre nous, ne la vaux-je pas ?

Lui fais-je aucun tort ?

FINETTE.

Quelle idée !

Par la comparaison vous êtes dégradée.

Sentez mieux tout le prix de ce que vous valez,

Charmante Laure, en vous vous rassemblez,

Ce qui ne se réunit guères,

Les grâces, l’agrément et l’exacte beauté,

Vous joignez la douceur à la vivacité,

Et sans l’étudier, vous savez l’art de plaire.

LAURE.

Tu me flattes au fonds, mais tu me fais plaisir.

FINETTE.

On a beau vous flatter, on ne saurait mentir.

À l’égard de votre Rivale,

En ridicule il n’est rien qui l’égale ;

Elle se met d’un goût, oh ! qui n’est pas commun.

Comme elle se présente ! et quel salut grotesque !

Son air est emprunté, sa taille gigantesque,

Son visage en un mot comme on n’en voit aucun.

LAURE.

Il n’est pas tout-à-fait si dépourvu de grâce.

Elle a de belles dents : son teint est un peu brun.

FINETTE.

Oui, par ma foi d’aussi bruns qu’il s’en fasse.

Au rang des laides, moi, hardiment je la place ;

Elle est laide en tout point, de loin comme de près.

Oui, laide exactement. Sa vue est un supplice.

LAURE.

Tu charges pour le coup ; voilà de tes excès.

Dans les bonnes qu’il faut, tu ne te tiens jamais.

Pour moi, mon caractère est de rendre justice,

Même aux personnes que je hais.

Quelque soit l’intérêt qui contre elle m’inspire,

Je ne puis m’empêcher de dire,

Qu’elle a des façons, et même dans ses traits

Certaine douceur naturelle ;

Qui frape en bien, et qui prévient pour elle.

Son esprit y répond.

FINETTE.

Oui, franchement j’augure

Qu’il va de pair, et qu’il suit la figure,

Il soutient assez mal la conversation.

LAURE.

Il brille peu d’abord, ce n’est pas un génie ;

Mais à l’user je le crois bon.

FINETTE.

Que ne me parlez-vous plutôt de son amie ?

C’est elle qui paraît avoir beaucoup d’esprit,

Et qui par sa beauté, doublement l’enlaidit.

LAURE.

Oh ! n’en fais pas l’éloge, je t’en prie.

Sa beauté n’est pas de mon goût.

Je ne saurais souffrir son tour d’esprit surtout.

FINETTE.

Vous m’étonnez ; qu’a-t-il donc qui vous blesse.

LAURE.

Il est enclin à juger mal d’autrui ;

Et sous un air poli cache un fond de rudesse.

Sur l’entretien seul d’aujourd’hui,

Je gagerais qu’elle est d’un caractère

Dur et fâcheux, à vivre mal aisé.

Elle se montre en tout d’un avis opposé

Au point, qu’elle a déjà le don de me déplaire,

Autant que me rivale, et peut-être un peu plus.

La chose dans mon cœur n’est pas encore bien claire.

Je ne sais qui des deux l’emporte là-dessus.

FINETTE.

Pouvez-vous bien les mettre en la même balance ?

Vous jugez la première, avec trop de rigueur,

Et traitez la Comtesse avec trop d’indulgence ;

C’est elle qui doit seule exciter votre aigreur.

LAURE.

Elle l’excite aussi : depuis que je l’ai vue,

De moitié tout au moins ma haine s’est accrue.

Heureusement pour moi j’ai prévenu son cœur ;

Et j’en ai pour garant son trouble, sa rougeur,

Son embarras en ma présence ;

À m’écouter sa complaisance ;

En me regardant sa douceur :

Son zèle même à prendre ma défense.

Le temps presse. Je veux achever mon bonheur ;

Il faut, pour la punir, et combler ma vengeance.

Il faut m’assurer de ses vœux.

L’aveu que j’en attends est trop cher à ma haine,

Avant que de quitter ces lieux,

Finette, il faut que je l’obtienne.

Un hasard favorable à propos me l’amène.

Laisses-nous seules toutes deux ;

Je m’en vais profiter de ce moment heureux.

Finette sort.

 

 

Scène IV

 

LAURE, DAMON

 

LAURE.

Madame, je me félicite

De pouvoir un instant être seul avec vous ;

Et si près du bonheur de me voir votre époux,

Je puis vous témoigner combien votre mérite

Me fait sentir le prix d’un bien si doux.

Puis-je me flatter qu’une chaîne,

Où je mets ma félicité,

Pour vous ne soit pas une peine,

Et ne trouve en vos vœux nulle difficulté ?

DAMON.

Un lien que mon Oncle approuve et fait lui-même,

N’en doit pas trouver dans mon cœur.

Pour moi, qui m’en rapporte à sa prudence extrême,

Le devoir n’est jamais une peine, Monsieur.

LAURE.

Madame, voilà le langage

Que tient toujours une personne sage,

Qui règle ses désirs sur ceux de ses parents.

Mais pardon, si j’ose vous dire

Que j’exige un peu plus que de tels sentiments.

DAMON.

Il me semble, Monsieur, qu’ils doivent vous suffire,

Et qu’un Hymen formé par la raison,

Et qu’entre nous tout rend sortable,

Ne demande de moi que la soumission.

Un autre sentiment serait peu convenable,

Et ma réserve est de saison.

LAURE.

Ne pas déplaire à votre vue,

Est le bonheur modeste où mon cœur se réduit.

Sans blesser votre retenue,

C’est un bien dont par vous je puis me voir instruit.

DAMON.

Pour une première entrevue

Vous demandez, Monsieur...

LAURE.

Ce qu’on doit m’accorder.

Je borne toute mon instance

À savoir simplement (puis-je moins demander ?)

Si votre cœur pour moi n’a pas de répugnance.

DAMON.

Non, je n’en sens aucune.

LAURE.

Aveu trop précieux !

Ma personne a trouvé grâce devant vos yeux.

Quel doux présage pour mon âme !

Quelque flatteur pourtant que soit ce bien, Madame,

Je ne suis pas encore satisfait pleinement,

Il manque à mon bonheur...

DAMON.

Ah ! le tour est charmant.

LAURE.

Mon estime pour vous m’autorise et me pousse,

À souhaiter un nouveau bien.

Ce que mon cœur désire au fond n’est presque rien,

C’est une pente faible, imperceptible et douce,

C’est un goût commencé.

DAMON.

Du goût !

Le terme...

LAURE.

Ne doit pas vous révolter du tout,

Et ce goût si senti, si parfait dans les femmes,

Que peint si bien la douceur de leurs yeux,

Qui le demande, et l’inspire encore mieux ;

N’est pas fait pour causer de la frayeur aux Dames.

C’est cette convenance, et ce rapport d’humeurs,

L’union des esprits et le lien des cœurs,

L’enchantement des sens, la volupté des âmes,

Le charme des Amants, le bonheur des Époux ;

Il ranime leurs vœux, renouvelle leurs flammes,

Épure leurs plaisirs, et les augmente tous.

Ma bouche pour toute assurance

Ne demande qu’un peu...

DAMON.

Qu’un peu !

LAURE.

Qu’est-ce entre nous ?

Qu’un peu de ce penchant si doux dès sa naissance,

De ce goût si flatteur...

DAMON.

Si flatteur et si doux !

Vous n’êtes pas content qu’on soit sans répugnance,

Vous demandez encore qu’on ait du goût pour vous.

LAURE.

L’effort n’est pas de conséquence ;

Ce goût est peu de chose en soi ;

L’intervalle est petit. Que votre complaisance

S’étende un peu plus loin pour moi.

Vous n’avez, pour combler la joie où je me vois,

Qu’un pas à faire ; allons, Comtesse aimable,

Vous êtes en si beau chemin,

Et pour franchir plutôt ce pas si désirable,

Souffrez qu’en ce moment je vous donne la main.

DAMON.

Votre bras est trop secourable.

LAURE.

Vos sens ont tort d’être alarmés.

Ne vous refusez pas à ma juste prière ;

Ajoutez seulement, dites que vous m’aimez.

Un mot de plus ne coute guère.

DAMON.

Comment ! pour vous le goût n’est pas assez,

Vous voulez qu’on vous aime encore !

Mais je vois que de l’air dont vous enchérissez,

Vous prétendrez bientôt qu’on vous adore.

Voilà, Messieurs, comme vous êtes tous :

Qu’on vous accorde une demande,

C’est un droit, un titre chez vous,

Pour presser aussitôt, pour exiger de nous

Une faveur encore plus grande.

LAURE.

Madame, je n’exige pas,

Je sollicite et je vous prie.

DAMON.

Je ne vis jamais dans un tel embarras.

LAURE.

Je vous conjure, et vous supplie ;

J’attends ce mot comme un bien souverain.

Il lui baise la main.

DAMON.

Mais en me suppliant, vous baisez la main,

Ma surprise s’accroît.

LAURE.

C’est un baiser d’estime.

Pardonnez ce transport au motif qui m’anime.

DAMON.

Marquis, en vérité ; vous êtes trop pressant :

J’ai pensé dire séduisant.

LAURE.

Et vous Comtesse, et vous, vous êtes trop cruelle.

Pour fléchir votre âme rebelle

Je me jette à vos pieds, j’implore vos bontés.

DAMON.

Que faites vous ; Ah ! Monsieur, arrêtez ;

La chose est pour moi très nouvelle.

LAURE.

Elle ne doit pas l’être, étant aimable et belle.

DAMON.

C’est, je puis vous le protester,

Et tout en moi le justifie,

La première fois de ma vie,

Qu’un homme m’a rendu ces hommages flatteurs.

LAURE.

Je vous le jure aussi, Madame,

Vous êtes la première femme,

À qui j’ai demandé de pareils faveurs.

DAMON.

Je n’en crois rien au fond de l’âme,

Et vous êtes fait de façon...

LAURE.

Précisément c’est par cette raison :

Je retombe à vos pieds.

DAMON.

Levez-vous donc de grâce.

LAURE.

Non, je ne quitte plus vos genoux que j’embrasse,

Que je n’aie obtenu l’aveu de mon bonheur.

Tournez vers moi vos yeux pleins de douceur,

Et que j’attende ici de votre bouche même

Ces mots charmants : oui ; Marquis, je vous aime.

DAMON.

Non, je vous prie à ce sujet ;

Ne me pressez pas davantage.

LAURE.

Qui peut vous obliger ?...

DAMON.

Une raison très sage.

Je sens que vous allez m’arracher mon secret,

Et la rougeur déjà me couvre le visage.

LAURE.

Vous m’enchantez par ce langage,

Comblez mon espoir tout-à-fait.

Achevez.

DAMON.

Je vais donc... Mais on vient, c’est Hortense.

LAURE, à part.

Pour le coup de bon cœur je maudis sa présence.

 

 

Scène V

 

LAURE, DAMON, LA COMTESSE

 

LA COMTESSE, à Laure.

Non, restez, Monsieur le Marquis ;

Dans les termes où vous en êtes,

L’attitude n’a rien qui ne soit très permis ;

Mais peut-être vos cœurs ont des choses secrètes

Dont ils veulent s’entretenir,

Je me retire.

DAMON.

Non, vous me ferez plaisir

De demeurer, Mademoiselle,

Monsieur est avec moi respectueux, poli,

Mais trop passionné.

LA COMTESSE.

Pour respectueux, oui.

Sa posture en était une preuve fidèle.

S’il demandait, c’était en suppliant.

LAURE.

Près de l’objet aimé, doit-on être autrement ?

LA COMTESSE.

L’objet aimé ! déjà voilà ce qu’on appelle

Un feu prompt au-delà de toute expression.

Je souhaite, Monsieur, que votre passion

N’ait pas le sort des ardeurs violentes,

Que l’on ne voit jamais durables ni constantes.

LAURE.

Elle en sera l’exception,

J’espère un jour d’en convaincre Madame.

Elle sort.

 

 

Scène VI

 

DAMON, LA COMTESSE

 

DAMON.

Eh bien, de tout ceci, que pensez-vous dans l’âme ?

N’êtes-vous pas satisfaite à présent ?

Le Marquis en votre présence

N’a pas de ses transports caché la violence ;

Vous êtes en état d’en juger sainement.

LA COMTESSE.

Il est sorti bien brusquement.

DAMON.

Oh ! vous êtes piquée. Au moins en confidence,

Convenez avec moi qu’il s’y prend joliment,

Vivement, qui plus est : l’attaque était si forte,

Je vous l’avoue en bonne foi,

Que soit mérité en lui, soit faiblesse chez moi,

Ou soit l’effet de l’habit que je porte,

Je me défendais mal, et malgré ma vertu,

Oui le Diable m’emporte,

Mon secret m’échappait, quand vous avez paru.

LA COMTESSE.

Ce Marquis, selon vous, est donc bien redoutable ?

DAMON.

L’effet de ma beauté n’est pas moins formidable :

Sa défaite à mes yeux, n’a coûté qu’un moment ;

Par ma foi mon triomphe, est trop beau, trop brillant :

J’étais bien convaincu que j’étais très aimable,

Mais je ne croyais pas l’être à ce point frappant ;

Il est juste, ma Sœur, que je vous remercie.

LA COMTESSE.

Finissez la plaisanterie.

DAMON.

Il faut avouer entre nous ;

Que la condition d’une femme jolie

Est amusement, est un métier bien doux.

D’un Cavalier bien fait, l’hommage nous réveille,

Et son langage séducteur

En même temps flatte l’oreille,

Charme l’esprit, intéresse le cœur.

LA COMTESSE.

Mon frère, ce jargon ne plaît qu’à des Coquettes,

Telle que vous seriez, de l’humeur dont vous êtes,

Si vous étiez vraiment du sexe dont je suis ;

Mais une femme raisonnable

Est au-dessus d’une attaque semblable,

Et n’y répond que par un froid mépris.

DAMON.

Je vous plains en ce cas, votre état est terrible.

Je viens de l’éprouver moi-même en cet instant :

Mes Dames, quel rôle pénible

De résister, pour peu qu’on ait le cœur sensible,

Aux fleurettes d’un homme aimable, vif, pressant !

Le combat d’un seul jour me paraît étonnant,

Et la victoire à la longue impossible.

Tout badinage à part, le Marquis est charmant

Par les qualités de son âme,

Plus que par sa beauté, que par son agrément ?

Il est rempli d’honneur, d’esprit, de sentiment,

Il a tout ce qui peut rendre heureuse une femme.

LA COMTESSE.

L’apparence vous trompe, et je m’y connais mieux ;

Il s’est contrefait â vos yeux ;

Mais grâce à mon heureuse étoile

Ou plutôt par l’effet de mon déguisement,

Il s’est offert à moi d’abord sans aucun voile

Tel qu’il est naturellement ;

Et je n’ai vu dans lui, mon rapport est fidèle,

Qu’un petit fat tout plein, tout occupé de soi.

DAMON.

Non, il est né modeste, et sa pudeur est telle

Qu’en me baisant la main il a rougi pour moi.

LA COMTESSE.

Il a rougi d’orgueil, d’abaisser tous ses charmes,

Jusqu’à rendre des soins qu’il croit seul mériter.

Pour moi, je m’applaudis de mes sages alarmes.

J’ai bien fait de les écouter.

Si pour ce que je suis il m’avait reconnue,

Il aurait devant moi déguisé ses défauts,

Comme il a fait à votre vue,

Et m’aurait imposé par un mérite faux.

DAMON.

Mérite faux !

LA COMTESSE.

Très faux, vous dis-je ;

Son caractère, l’est aussi,

Son cœur, ses sentiments ; oui, tout est faux chez lui,

Puisqu’à le déclarer, votre discours m’oblige.

DAMON.

Quelle preuve avez-vous de tant de faussetés ?

LA COMTESSE.

Quand à vos pieds je l’ai surpris tout transporté,

Qu’il y faisait l’aveu d’une si belle flamme,

Était-ce là des vérités ?

Vous flattez-vous qu’il soit épris de vos beautés ?

Rendez-vous justice, Madame ;

Et jugez par ce trait qui révolte si fort,

Jugez enfin si c’est à tort,

Que de fausseté je le blâme.

 

 

Scène VII

 

DAMON, LA COMTESSE, CRISPIN

 

CRISPIN.

Mes Dames, en ces lieux votre Oncle est de retour.

LA COMTESSE.

Il n’a pas fait longtemps sa Cour.

À part.

Il vient pour augmenter l’embarras de mon âme.

CRISPIN.

Il veut vous dire un mot à toutes deux.

DAMON.

Je fuis et ne veux pas me montrer à ses yeux

Dans cet équipage de femme.

Il sort avec Crispin.

 

 

Scène VIII

 

LE COMMANDEUR, LA COMTESSE

 

LE COMMANDEUR.

Je suis parti fort gai, je reviens plus joyeux ;

D’abord commence par m’apprendre

Si le Marquis est arrivé.

LA COMTESSE.

Mon Oncle, il l’est.

LE COMMANDEUR.

Tant mieux, comment l’as-tu trouvé ?

Charmant, sans doute.

LA COMTESSE.

Mais...

LE COMMANDEUR.

Fort bien je dois t’entendre.

Il t’a paru plus beau que les Amours.

LA COMTESSE.

Mon Oncle...

LE COMMANDEUR.

Il suffit, va ton trouble

M’en dit plus que tous les discours.

Mon contentement en redouble ;

Ce nœud va prolonger le fil de mes vieux jours,

Jusqu’à demain je ne saurais remettre

Un lien si parfait que je brûle de voir ;

Je veux absolument qu’il se fasse ce soir.

LA COMTESSE.

Ne pressez rien, Monsieur, et daignés me permettre...

LE COMMANDEUR.

Discours ! Je sais comment je dois l’interpréter.

LA COMTESSE.

Vous vous trompés, mon Oncle, et la chose mérite...

LE COMMANDEUR.

C’est me dire tout bas que je la précipite.

LA COMTESSE.

Vous ne daignez pas m’écouter.

LE COMMANDEUR.

Tu voudrais, je le vois, qu’elle fût déjà faite ;

Mais elle le fera dans peu ;

Le Notaire est mandé, tu seras satisfaite,

Et pour rendre aujourd’hui la Fête plus complète,

Je prétends avec toi rendre heureux mon Neveu.

LA COMTESSE.

De son bonheur je suis flattée ;

Vous allez donc, Monsieur, le marier aussi ?

LE COMMANDEUR.

Oui, depuis que je t’ai quittée,

Je viens de lui trouver un excellent parti ;

Il est bien au-dessus de celui

Qu’il a refusé l’autre année ;

Je me flatte dans cette journée

Qu’il le prendra d’un ton plus radouci.

Je sais que son penchant n’est pas pour la jeunesse,

À cet égard j’approuve sa sagesse,

Et dans son goût je l’ai servi :

Celle dont il s’agit est une beauté mûre ;

Mais fraîche, et d’un éclat qui n’est point effacé :

Ah ! c’est un port, un air, une figure,

Telle qu’on en voyait dans le siècle passé ;

Elle joint à l’esprit une grande naissance ;

Et si j’ose le dire encor,

Une plus distinguée et plus haute opulence ;

Pour mon Neveu, c’est un trésor.

LA COMTESSE.

Peut-on savoir qu’elle est cette rare personne ?

LE COMMANDEUR.

C’est, puisqu’il faut te dire enfin son nom.

LA COMTESSE.

La Baronne !

LE COMMANDEUR.

Oui, pourquoi cette exclamation ?

LA COMTESSE.

Mais elle est d’admiration.

LE COMMANDEUR.

On doit vraiment, quand je la nomme,

Se sentir pénétrer de vénération ;

Je ne vois point de Gentilhomme

Qui ne doive envier le bonheur de Damon.

LA COMTESSE.

Mais je ne doute point qu’un si grand Mariage

N’ait dans ce jour son approbation.

LE COMMANDEUR.

Il n’aurait pas cet avantage,

Si j’avais pu pour moi former cette union ;

Mais n’étant pas permis à ma tendresse,

De la prendre pour femme, au défaut de ce nom,

Je veux avoir du moins la consolidation

Et la douceur de l’avoir pour ma Nièce.

LA COMTESSE.

Un dédommagement, Monsieur, de cette espèce

Est touchant pour mon frère.

LE COMMANDEUR.

Il sera trop heureux ;

En elle il trouve tout, beauté, vertu, richesse,

Elle a ce soir un air si radieux,

Qu’il ne pourra la voir sans en être amoureux.

LA COMTESSE.

Viendra-t-elle bientôt ? mon Oncle, vous suit-elle ?

LE COMMANDEUR.

Dans son Char qu’on attelle

Elle va fendre l’air, pour voler en ces lieux,

Je ne la vis jamais plus belle ;

Elle a des fleurs dans ses cheveux,

On la prendra pour Flore.

LA COMTESSE, à part.

Ou plutôt pour Cibelle.

LE COMMANDEUR.

De cette agréable nouvelle,

Je m’en vais informer ton frère promptement ;

Il sera transporté de joie.

LA COMTESSE.

Assurément.

LE COMMANDEUR.

Dans la mienne il faut que j’embrasse

Le beau Marquis premièrement :

Puis, de vos deux Hymens, que je presse l’instant.

LA COMTESSE.

Un mot, auparavant, de grâce.

LE COMMANDEUR.

Adieu, nous n’avons pas le temps de discourir,

Un jour de Noce, il faut agir ;

Et ma présence est par tout nécessaire :

J’ai pour le Bal, le Souper, le Notaire,

Vingt ordres à donner, mille sons à remplir :

À parler au Marquis, à prévenir ton frère...

LA COMTESSE.

Moi, j’ai, mon Oncle, à vous entretenir.

LE COMMANDEUR.

À recevoir comme elle le mérite

La Baronne qui va venir,

Avec tout son train et sa suite ;

Je n’ai pas un moment à perdre, et je te quitte ;

Nous causerons demain plus à loisir.

Il sort.

 

 

Scène IX

 

LA COMTESSE, seule

 

Demain ! et ce soir ma noce sera faite !

Il ne serait plus temps : voilà qui m’inquiète

En vérité mon Oncle est un homme étonnant,

Et rien n’égale au fond l’embarras où me jette

Son ridicule empressement :

Il n’est plus question de jouer ni de rire :

La chose est sérieuse, elle est conduite au point

Qu’il me faut épouser, sans oser m’en dédire,

Un homme, absolument, qui ne me convient point.

Non, non, mon cœur n’y peut souscrire.

Voyons mon Frère, et trouvons le moyen

De rompre de concert son Hymen et le mien.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LA COMTESSE, DAMON

 

LA COMTESSE.

Non, mon Frère, pour lui j’ai trop de répugnance,

Vous parlez inutilement.

DAMON.

Ah ! sans mon sot déguisement

Le Marquis, à vous plaire aurait mis sa science.

Et vous l’auriez trouvé charmant.

LA COMTESSE.

Imaginons, tâchons tous deux, mon Frère,

De trouver un expédient

Qui m’aide à me tirer d’affaire

Avec le Marquis doucement.

DAMON.

Mais selon mon peu de lumière,

Pour en sortir avec honneur,

Il en est un très simple ; épousez-le, ma Sœur,

Vous n’avez rien de mieux à faire.

LA COMTESSE.

Quoique de vos conseils, je fasse très grand cas,

Voilà celui que je ne suivrai pas,

C’est à quoi, sans retour, je suis bien résolue.

DAMON.

Un refus si bizarre est pour moi tout nouveau ;

Encore un coup, ma Sœur, ouvrez la vue.

Voyez le Marquis dans son beau,

Ou plutôt dans son vrai. Sans flatter le Tableau,

Trouverez-vous jamais un époux qui l’approche ?

LA COMTESSE.

Pour lui trêve d’éloge, et pour moi de reproche :

On voit que le Marquis vous a dit des douceurs,

Vous l’en payez toujours par quelques traits flatteurs ;

Et vous avez l’âme reconnaissante.

DAMON.

Votre seul intérêt m’oblige à le louer,

Quand vous seriez fondée à me désavouer,

Qu’il n’aurait pas les vertus que je vante,

Vous êtes malgré vous forcée à l’épouser

Dans ce jour solennel, dans cette heure pressante,

Où tout pour votre hymen vient de se disposer :

Vous en pouvez le refuser,

Sans percer, d’un trait effroyable,

Mon Oncle, qui s’en fait un honneur des plus grands ;

Sans vous donner en même temps

Un ridicule épouvantable.

LA COMTESSE.

Je préfère, Monsieur, tout pesé mûrement,

Le ridicule d’un moment

Au malheur de toute la vie.

Mais pour trancher d’un mot un propos qui m’ennuie,

Je ne serai jamais la femme du Marquis,

Trop d’oppositions règne dans nos esprits :

Et si votre Sœur vous est chère,

Elle vous fait une prière ;

Voyez sans attendre plus tard,

Voyez mon Oncle de ma part,

Dites-lui qu’un dégoût invincible me porte...

DAMON.

Non, non, je ne me charge point

D’un ambassade de la sorte.

LA COMTESSE.

Au plaisir que j’attends, l’amitié vous exhorte,

Mon Frère, qui plus est votre intérêt s’y joint,

Vous en avez une raison très forte.

DAMON.

Non, je n’en ferai rien, vous vous moquez de nous.

LA COMTESSE.

Ma bonté qui vous le conseille,

S’offre à vous rendre la pareille,

Expliquez-vous pour moi, je parlerai pour vous.

DAMON.

Comment ! pour moi ! quel est donc ce langage ?

LA COMTESSE.

Oui, je m’exprime assez bien.

Je m’ouvrirai pour vous sur votre mariage ;

Vous vous expliquerez, vous, pour moi sur le mien.

DAMON.

Mon mariage, à moi ! mais je n’y conçois rien ;

Le vôtre apparemment vous a brouillé la tête.

LA COMTESSE.

Un nuage plutôt vous offusque l’esprit ;

Si vous n’en êtes pas instruit,

Sachez, avec le mien, que votre hymen s’apprête,

Mon Oncle à son retour, lui-même me l’a dit.

DAMON.

De quoi s’avise-t-il ! mais quel est donc la femme

Dont il veut m’honorer ?

LA COMTESSE.

C’est une belle Dame,

Fort riche, et dont les qualités

Ne doivent pas en vous trouver un cœur revêche,

Vous l’allez voir brillante arriver en calèche,

Et vos premiers regards en seront enchantés.

C’est la Baronne.

DAMON.

Ah ! Ciel ! mais je la croyais morte.

LA COMTESSE.

Songez qu’elle est charmante.

DAMON.

Eh fi ;

Que le char qui l’amène, au plutôt la remporte,

Et mon Oncle avec elle, et toute son escorte :

Il faut absolument qu’il radote aujourd’hui.

Ah ! qu’il garde plutôt pour lui

Sa Cléopâtre surannée ;

Il a toujours pour moi parfaitement choisi ;

Il voulait me donner un monstre l’autre année,

Il m’offre un siècle celle-ci.

LA COMTESSE.

Vous n’avez pas de goût pour les jeunes personnes.

DAMON.

Oh ! j’en ai beaucoup moins pour les vieilles Baronnes,

Ciel ! comment me tirer de-là ?

Mon sort est dans ce jour d’une bizarrerie...

LA COMTESSE.

J’en vois un moyen sûr ; mon Frère, épousez-la.

DAMON.

Le plaisant conseil que voilà !

J’aimerais mieux rester fille toute ma vie.

LA COMTESSE.

Mais mon Oncle a promis pour vous, il le faudra ;

Et vous l’affligeriez d’une étrange manière.

DAMON.

Qu’il s’afflige tant qu’il voudra,

Je ne m’en embarrasse guère.

LA COMTESSE.

Ouvrez les yeux. Voyez la Baronne en son beau ;

Voyez son opulence, et ses vertus sans nombre.

DAMON.

Le nombre de ses ans est son plus grand fardeau,

Et son éloge me rend sombre ;

Hors de saison vous badinez toujours.

LA COMTESSE.

Je vous imite, et vous rends vos discours.

DAMON.

Comme vous le pourrez, ma Sœur, sortez d’intrigue ;

Pour moi que cet habit fatigue,

Dans ma chambre au plutôt je vais m’en dépouiller,

Pour me mettre en état de chercher un asile.

LA COMTESSE.

Si vous prétendez fuir, ce soin est inutile ;

Mon Oncle qui veut vous parler

Dans votre appartement vous attend de pied ferme.

DAMON.

Cet homme est pour le coup né pour me désoler :

Non, il n’est point d’expression, de terme,

Qui puisse rendre bien mon embarras nouveau,

Ni mon juste dépit qui va jusqu’à la rage.

Je n’ai jamais senti mieux l’avantage

Ni l’utilité d’un chapeau ;

De cet habit gênant, connu mieux l’esclavage,

Qu’à présent que par lui je suis pris au passage ;

Sans vos caprices fous qui me l’ont fait garder,

Je ne me verrais pas, morbleu, dans ces entraves,

Si capable d’intimider,

Et d’arrêter en tout l’audace des plus braves.

LA COMTESSE.

Si vous voulez m’aider, je pourrai...

DAMON.

Discours vain !

Dans le malheur qui m’accompagne,

Mon unique ressource est de charger Crispin

De me trouver bien vite un habit de campagne.

Dans le pavillon du Jardin,

Adieu, je vais l’attendre et cacher ma figure

Jusqu’au moment où je puisse quitter

Cette impertinente parure,

Que j’ai trop lieu de détester ;

Monter vite à cheval, voler à tire d’ailes,

Loin d’un lieu que j’abhorre, et chercher à Paris

Où me mettre à couvert des nœuds mal assortis,

Des sœurs que le bon sens trouve toujours rebelles,

Des Parents, des Oncles maudits,

Et des Baronnes éternelles.

Il sort.

 

 

Scène II

 

LA COMTESSE, seule

 

Je lui pardonne, et je ris qui plus est,

Du comique transport de sa vive colère :

Son hymen aujourd’hui n’a pas l’air de se faire,

Et sa suite, du mien, peut déranger l’apprêt.

Le Marquis... Mais je vois son Hussard qui paraît.

Ah ! fuyons un objet dont je haïs la présence,

Tout ce qui tient à lui me choque et me déplaît,

Et peut-être qu’ici ce Valet le devance.

Elle sort.

 

 

Scène III

 

CRISPIN, FINETTE

 

CRISPIN.

Je t’ai forcée enfin à rompre le silence ;

Friponne, c’est donc toi... Mais sous de tels habits

Dites-moi quel motif vous porte

À vous mettre, Madame, aux gages d’un Marquis.

FINETTE.

Une raison aussi juste que forte,

Ne raille pas à ce sujet.

CRISPIN.

Je n’ai garde. Un Marquis galant, jeune et bienfait,

Pour son Valet-de-chambre a pris dans son voyage

Une brune charmante, à peu près de son âge.

Belle matière à rire ! il a fort bien choisi :

Par des filles toujours un Maître est mieux servi ;

Je le vois qui paraît. Je lui cède la place,

Et dans l’antichambre je passe.

Dès qu’il sera parti, je reviens en ces lieux,

Vous prier de vouloir me conter votre histoire ;

Je crois que les détails en sont très curieux,

Et qu’ils sont tous à votre gloire.

Il sort.

 

 

Scène IV

 

LAURE, FINETTE

 

FINETTE.

Crispin, Mademoiselle...

LAURE.

Et quoi toujours ta peur.

FINETTE.

Eh, non, non, ce n’est plus une fausse terreur ;

C’est une vérité. Crispin m’a démasquée,

Et pour nier la chose, elle était trop marquée.

LAURE.

Tant pis, c’est vraiment un malheur.

FINETTE.

Nous n’avons pas de temps à perdre, fuyons vite.

Vous devez partager la frayeur qui m’agite.

LAURE.

Crispin est-il instruit de mon secret, dis ?

FINETTE.

Non.

Je mourrais mille fois plutôt que de le dire ;

Rien n’a pu triompher de ma discrétion.

LAURE.

La chose étant ainsi, Finette, je respire.

FINETTE.

Il m’attend.

LAURE.

Vingt louis que tu vas lui donner,

Ralentiront son ardeur curieuse ;

Moi, je ne veux qu’une heure au plus pour terminer

Ici mon entreprise heureuse.

Du progrès que j’ai fait, j’ai lieu de m’étonner :

J’ai déjà conduit la Comtesse

Au point où mon désir brûlait de la mener :

Et j’ai presque arraché l’aveu de sa tendresse :

Non, je n’aurais jamais pu croire, pu penser

Qu’on sentît un attrait, si vif dans son espèce,

À toucher un objet que l’on veut offenser ;

Que la vengeance au fonds fût si délicieuse,

Et que le goût qu’on trouve à l’exercer

Eût presque le piquant d’une flamme amoureuse.

FINETTE.

Quel goût peut-on avoir à converser,

À cajoler une rivale ?

À moins qu’adroitement feignant de l’embrasser,

On n’ait de l’étouffer la douceur sans égale.

LAURE.

Fi, c’est une douceur trop noire, et mon plaisir

Est moins cruel, est plus doux à sentir ;

Abuser ma rivale est la vengeance aimable

Dont en secret je me plais à jouir.

Mon âme pour la mieux haïr,

Trouve, à s’en faire aimer, un bien inexprimable :

Grâce à mon art je viens d’y réussir,

D’un véritable Amant j’ai tenu de langage.

FINETTE.

Près d’elle, sans vous démentir,

Comment avez-vous pu jouer ce personnage ?

LAURE.

Je l’ai joué sans peine, avec goût, qui plus est ;

De moi je suis très satisfaite,

Je te dirai bien plus, Finette,

Je le suis beaucoup d’elle, et plus on le connaît,

Plus elle y gagne, plus son caractère plaît,

Elle a l’âme excellent, elle le cœur sensible,

Et je dois l’estimer autant que je la hais.

FINETTE.

Votre cœur sur son compte est incompréhensible.

LAURE.

On voit qu’en tout ses sentiments sont vrais ;

Sa franchise a crû tels ceux que je lui montrais ;

Mais la plus incrédule en aurait fait de même,

Tant dans la vérité, je les représentais :

Dans l’instant que je la trompais,

J’étais moi-même en secret pénétrée,

Et dans la passion je suis si bien entrée,

Que je croyais sentir tout ce que je feignais,

Mon âme jusques-là s’était même égarée,

Que son air me touchait, quand je l’attendrissais.

FINETTE.

C’est un raffinement qui me passe à l’entendre.

 

 

Scène V

 

LAURE, FINETTE, LA FLEUR

 

LA FLEUR.

Monsieur le Commandeur, Monsieur, dans cet instant,

Vous cherche dans le Parc, il est impatient

De vous embrasser.

LAURE, à part.

Ciel ! que vient-il là m’apprendre ?

À Lafleur.

Je vais répondre à son empressement.

LA FLEUR.

Je dois vous dire aussi que le Notaire,

Pour signer le Contrat, est là qui vous attend.

LAURE, à part.

Autre embarras, et nouvel incident.

À Lafleur.

Je suis vos pas.

À part.

J’aurai grand soin de n’en rien faire.

Lafleur sort.

 

 

Scène VI

 

LAURE, FINETTE

 

FINETTE.

Tout vous fait un devoir du départ à présent.

Le Contrat est dressé, le Notaire vous presse,

Vous en pouvez parer ce coup-là qu’en fuyant ;

Car vous ne voulez pas épouser la Comtesse ?

LAURE.

Je la quitte à regret, et rien n’est plus piquant,

Mais non, j’ai tort de m’en affliger tant,

Je dois tout au contraire en paraître ravie :

Loin de me nuire en cet instant,

Mon départ va plutôt combler ma raillerie.

Quand on n’attend que moi pour la cérémonie ?

Rien dans le fond ne sera plus plaisant

Que de disparaître au plus vite :

Je vais tous les embarrasser :

Le Commandeur qui compte m’embrasser :

Va se désespérer en apprenant ma fuite ;

Tout le monde sera confus :

Le souper et le Bal seront interrompus :

Mais sur tout le Comtesse en sera consternée ;

On va la croire abandonnée.

Elle aura perdu son Époux

Avant d’avoir conclu son hyménée ;

Une seconde fois, par ce trait des plus fous.

Je vais la rendre veuve au moins pour la journée :

J’ai prévenu le Marquis dans son cœur

Je suis trop sure qu’elle m’aime,

Je ne puis mieux punir l’ingrat lui-même,

Qu’en la laissant dans une erreur

Qui doit nourrir pour moi sa flamme,

Et lui fermer, à lui, le chemin de son âme :

Partons vite, avec soin je la dois éviter :

Mais j’entends quelqu’un, ah ! c’est elle.

FINETTE.

Crispin la suit, ma frayeur est mortelle.

LAURE, à part.

Sort fatal ! malgré moi je me vois arrêter.

 

 

Scène VII

 

LAURE, DAMON, FINETTE, CRISPIN

 

DAMON, à Crispin au fond du Théâtre.

Viens, pour partir en diligence,

Viens m’aider à quitter, ventrebleu, ces habits,

Qui trop longtemps me tiennent en souffrance.

CRISPIN, bas à Damon.

Mettez dans vos discours un peu plus de décence,

Madame, voilà le Marquis.

À part.

Bon, je vois avec lui notre Hussard femelle.

DAMON, à part.

Je suis pris : et pour moi la journée est cruelle. 

FINETTE, à part.

Sauvons nous.

CRISPIN.

Il s’enfuit, ses efforts sont vains,

Je vais lui couper les chemins.

Il court après Finette.

 

 

Scène VIII

 

LAURE, DAMON

 

DAMON.

Ma présence, Monsieur, paraît vous interdire.

LAURE.

Madame, point du tout ; pouvez-vous me le dire ?

DAMON.

Oui, vraiment, Monsieur, je le dois.

Plus je vous parle et plus je l’aperçois,

Vous êtes agité, votre âme en vain déguise.

LAURE.

Mais permettez que je vous dise

Que vous l’êtes aussi ; votre air...

DAMON.

Si je le suis.

C’est par contagion. À votre égard Marquis,

Vous l’êtes en un point qui cause ma surprise ;

Vous n’êtes plus le même tantôt,

Convenez-en, soyez sincère.

Pour me nier la chose, elle parle trop haut.

LAURE.

Madame, il est trop vrai, je voulais vous le taire.

Le cas où je me trouve est si particulier...

Que je ne sais comment... il faut que je réponde,

Je suis... d’honneur... l’unique... le premier,

À qui la pareille chose arrive dans le monde.

DAMON.

Que vous est-il survenu de fâcheux ?

Vous m’alarmez, parlez.

LAURE.

Je n’ose.

DAMON.

Je le veux,

Expliquez-vous, c’est trop me laisser incertaine.

LAURE, à part.

Puisqu’elle m’y contraint, faisons-lui mes adieux,

De façon qu’elle s’en souvienne,

Quittons en rivale ces lieux.

À Damon.

Que direz-vous de moi, Madame,

Quand l’hymen avec vous est prêt à me lier,

Après les soins que je viens d’employer,

Pour m’établir par degrés dans votre âme,

Je vais mal reconnaître, et je vais mal payer

L’accueil que dans ce jour vous m’avez fait vous-même.

DAMON.

Où tend, Monsieur, ce début singulier ?

LAURE.

Tant de bontés, mon cœur ne peut les oublier ;

Mais la nécessité, mais un pouvoir suprême,

Qui n’a d’égard a rien, sous qui tout doit plier,

Me force d’être ingrat, malgré ma résistance.

Pour vous le déclarer, je n’ai que cet instant :

Je cède à sa rigueur qui me fait violence,

Madame, Adieu, je pars.

DAMON.

Vous partez !

LAURE.

Sur le champ,

Tout précipite mon voyage.

DAMON.

Le jour, l’instant, Monsieur, de votre Mariage.

LAURE.

C’est-là ce qui fait justement

Mon embarras, ma peine inexprimable.

DAMON, à part.

Jouons bien la fierté qu’il faut dans ce moment

Haut.

Ah ! vous aviez raison d’être agité vraiment,

On n’a jamais rien dit, ni rien fait de semblable.

LAURE.

Je proteste...

DAMON.

Il suffit, j’aurais tort d’insister,

À mon tour je dois respecter

La puissance supérieur,

Qui vous fait un devoir de me quitter sur l’heure ;

Partez, Monsieur, je ne vous retiens plus,

Ne perdez pas, en discours superflus,

Des instants chers.

LAURE.

Si vous étiez instruite ;

Bien loin de la blâmer, ah ! vous loueriez ma fuite,

Et vous me trouveriez peut-être à plaindre aussi.

Tout ce qu’en vous quittant, je puis vous dire ici,

C’est que mon âme en tout rend justice à la vôtre,

Vous méritez un sort plus doux,

Nous ne sommes pas nés par malheur l’un pour l’autre,

Et le Marquis est peu digne de vous.

DAMON.

Ah ! qu’il mérite bien qu’au fond je le méprise !

LAURE.

Oui, Comtesse avec vous j’en demeure d’accord,

Et qui plus est, je le souhaite fort.

DAMON.

Ces mots de votre part augmentent ma surprise.

Quoi ! vous souhaitez mon mépris ?

Il faut que votre cœur fortement me haïsse.

LAURE.

Je le devrais, mais je ne puis.

DAMON.

Vous le devez ! ô ciel ! quelle injustice !

Il est vrai que nous haïssons

Presque toujours ceux que nous offensons.

LAURE.

Qu’à tort, de moi, vous faites cette plainte !

Il est des situations,

Où nous offensons par contrainte,

Et sans pouvoir haïr, quoique nous le devions ;

Voilà l’état où je me trouve.

DAMON.

Vos discours sont toujours des Énigmes pour moi.

On n’offense pas malgré soi.

Ces contradictions...

LAURE.

Sont celles que j’éprouve :

Mais c’est trop à vos yeux cacher la vérité,

Je vois paraître en vous tant de sincérité ;

Je reconnais tant de mérite,

Que par estime et par probité,

Je vous dois, du Marquis, avant que je vous quitte,

Découvrir l’infidélité :

Je veux qu’auprès de vous elle me justifie.

L’inconstant m’abandonne au mépris de sa foi.

DAMON.

Il vous abandonne, vous ?

LAURE.

Moi,

Rien n’égale sa perfidie,

Évitez un destin pareil ;

J’ose vous donner ce conseil,

Moins en rivale qu’en amie.

DAMON.

Vous ma rivale, ah ! Ciel.

LAURE.

Je la suis à regret.

Ce nom vous éclaircit de tout ce que j’ai fait ;

Vous voyez l’obstacle invincible

Qui s’oppose à notre union.

DAMON.

C’est à présent qu’elle est possible.

LAURE.

Mais je suis fille.

DAMON.

Et moi, je suis garçon.

LAURE.

Garçon !

DAMON.

Oui, puisqu’il faut que je le confesse,

Je suis frère de la Comtesse,

Qui, pour vous éprouver, m’a fait prendre son nom.

LAURE, à part.

Douce surprise ! ah ! quel trait de lumière !

DAMON.

Par un événement si doux,

Qui me ravit et qui m’éclaire,

Je vois justifier le penchant que pour vous

Vos qualités d’abord ont fait naître en mon âme :

Mon amitié si change en un parfait amour,

Je vous aimais Marquis, je vous adore femme.

C’est à moi d’embrasser vos genoux à mon tour,

Mon cœur, à ses transports, peut à peine suffire.

En ces instants si fortunés,

Fixez sur moi vos yeux, ah ! vous les détournez,

De ma félicité seriez-vous donc fâchée ?

LAURE.

Non, je ne suis que trop touchée,

Ma bouche vous l’avoue, et mon front en rougit.

DAMON.

Pouvez-vous l’être trop ? ce discours me ravit.

De plaisir mon âme en soupire,

Tantôt ici vous m’avez dit

Tout ce que je devais vous dire.

Nos yeux étaient déçus par l’erreur des habits,

Mais vos cœurs étaient mieux instruits,

Par le secret indistinct qui les savait conduire,

Sans nous tromper, nous nous sommes mépris.

C’est à vous maintenant de faire

Ce tendre aveu que vous me demandiez.

Il est mieux à sa place, et m’est trop nécessaire,

Pour mon bonheur je l’attends à vos pieds.

LAURE.

Quelle était mon erreur fatale ?

De mon courroux, vous éteignez l’éclat,

J’ai cru punir en vous une rivale,

Et c’est vous dont l’amour me venge d’un ingrat.

DAMON.

Ma fortune m’enchante ; il n’est rien qui l’égale.

 

 

Scène IX

 

LAURE, DAMON, LE COMMANDEUR, LA COMTESSE

 

LA COMMANDEUR.

Ciel ! que vois-je ? une Dame au pied d’un Cavalier ?

Ô ! siècle ! ô temps ! ô mœurs ! renversement entier !

DAMON, se relevant avec transport.

Ah ! mon Oncle ! ah ! ma Sœur ! prenez par à ma joie.

LE COMMANDEUR.

Quoi ! cette belle est mon neveu.

DAMON.

Oui, pour ma gloire.

LE COMMANDEUR.

Il n’est pas mal, parbleu.

DAMON.

Rien n’est égal au bien que le hasard m’envoie.

Mon Oncle, embrassez-moi.

LA COMMANDEUR.

Mais es-tu fou, Damon ?

LAURE.

Je le suis de plaisir, je le suis de raison.

Vous vouliez aujourd’hui me donner une femme,

Mais j’ai bien mieux choisi que vous.

À la Comtesse.

Vous, ma sœur, rassurez votre âme.

Je vais pour vous épouser le Marquis.

LE COMMANDEUR.

De tout ce que j’entends je demeure surpris.

Comment ! ce beau garçon serait-il une Dame ?

DAMON.

Oui, la plus accomplie en tout.

Jugez, en la voyant, si je suis d’un bon goût.

LA COMTESSE, à Damon.

Pourquoi donc, du Marquis, faire le personnage ?

DAMON.

Pour punir cet Amant volage,

Je suis l’heureux vengeur de l’infidélité.

LAURE, à la Comtesse.

De le fixer, vous aurez l’avantage.

LA COMTESSE.

Je n’ai pas cette vanité ;

Je renonce à l’Hymen, et m’en tiens au veuvage.

LE COMMANDEUR.

Cette aventure est digne de mon temps ;

Et j’ai toujours aimé les incidents.

DAMON.

Approuvez donc mon choix sans tarder davantage.

LE COMMANDEUR.

Oui pour la rareté j’y donne mon suffrage ;

J’en suis pourtant fâché pour la Baronne à qui...

DAMON.

Avec son mérite à son âge,

Peut-elle manquer de parti ?

À Laure et à la Comtesse.

Mes Dames, à présent baisez-vous l’un et l’autre.

LA COMTESSE.

Avec plaisir.

LAURE, courant à l’embrassade.

Mon cœur doit prévenir le vôtre.

LA COMTESSE.

Je vous aime bien mieux pour sœur que pour mari.

LAURE.

Et moi, sincèrement je l’aime mieux aussi.

DAMON.

Dansons tous.

LE COMMANDEUR.

Volontiers

 

 

Scène X

 

LAURE, DAMON, LE COMMANDEUR, LA COMTESSE, CRISPIN, FINETTE

 

CRISPIN, conduisant Finette par le bras.

Triomphe, honneur, victoire,

Et place au vainqueur des Hussards,

Il doit sur lui fixer tous les regards.

LAURE, à Finette.

Le sort de ta maîtresse est changé pour sa gloire,

Je n’ai plus de rivale, et je trouve un époux.

Finette auprès de moi partage un bien si doux,

Et chasse l’effroi de ton âme.

FINETTE, à Crispin.

Suis-je justifiée en ce moment, fripon ?

CRISPIN.

Crispin, à ta vertu, fait réparation,

Et je t’estime assez pour te prendre pour femme.

FINETTE.

Pour te punir, je couronne ta flamme.

CRISPIN.

Allons, suis moi, marche mon prisonnier.

Je vais traiter ce soir les Hussards sans quartier.

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