La Frivolité (Louis DE BOISSY)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 23 janvier 1753.

 

Personnages

 

LA FRIVOLITÉ

L’HIVER

MONSIEUR FAUSTER, Suisse

MISS-BLAR, Comédienne Anglaise

LE MARQUIS

ARLEQUIN, déguisé en Maître de Musique

 

La Scène est à Paris, dans l’Hôtel d’une jeune Veuve de Finance.

 

 

Scène première

 

LA FRIVOLITÉ, L’HIVER

 

LA FRIVOLITÉ.

C’est vous, mon bel Hiver ! votre retour m’enchante :

Vous voilà mis d’un goût divin.

L’HIVER.

En Hiver de Paris, qui se pare à dessein.

Pour vous faire sa cour,

Frivolité charmante.

Mon âme était impatiente

De vous revoir dans ce brillant séjour.

Pour avoir ce plaisir, j’ai pressé mon retour ,

Tout cède à ma froideur constante.

Pour vous, j’étends mes droits sur les autres Saisons ;

Je raccourcis l’Automne, et souvent je recule

Les Roses du Printemps, qu’alarment nos glaçons.

Je fais trembler l’Été quelque feu qui le brûle,

Et pour vous je ramène ici les aquilons

Dans le fort de la canicule.

LA FRIVOLITÉ.

C’est me faire un honneur qu’on trouve ridicule,

Vous faites murmurer Paris

Par ce contretemps qui le gèle.

Je vous dirai bien plus : votre glace mortelle

Depuis un temps passe dans les esprits

Et se répand surtout jusques sur les écrits.

Les Spectacles souvent en sont si refroidis,

Qu’on voit le jour d’une Pièce nouvelle

Tous les Spectateurs engourdis

Bâiller à l’unisson, et sortir tout transis.

Votre tyrannie est extrême,

Et le public s’en plaint.

L’HIVER.

Il n’est jamais content :

Il sifflait autrefois, il bâille maintenant,

Au fond cela revient au même,

Et l’Auteur, qui plus est, gagne à ce changement ;

Car la manière est moins brutale,

Il tombe au moins plus doucement,

Et sa pièce meurt sans scandale.

Mais qu’il s’en prenne aux éléments,

Et qu’avec lui l’Univers me condamne,

Je ris de ces emportements,

Pourvu que vous soyez toujours ma partisane.

LA FRIVOLITÉ.

Oui, vous êtes pour moi plus beau que lé Printemps,

Et vous serez toujours ma Saison favorite.

Votre arrivée accroît mes agréments,

De mes sujets, vous ramenez l’élite

Et vous réunissez cent plaisirs différent,

Spectacles, Jeux, Bals, Soupers ravissants

Qui font briller tout mon mérite.

L’HIVER.

D’un si rare bonheur, l’Hiver se félicite,

Mais vous brillez dans tous les temps.

Votre destin est des plus surprenants.

C’est la légèreté, qui forme votre empire.

Votre trône fragile est assis sur les vents,

Et toutefois rien ne peut vous détruire.

LA FRIVOLITÉ.

Mon trône est dans les airs par les Sylphes porté,

Mais, les Gnomes, qui sont l’appui de ma puissance,

L’attachent à la terrer avec solidité ;

Il a pour base l’opulence,

Et mon règne est fondé sur la réalité.

Au milieu de Paris, j’ai pris en conséquence,

La figure, et les traits d’une, jeune Beauté,

Veuve d’un héros de finance,

Qu’elle épousa, par préférence,

Pour rehausser sa qualité

De tout l’éclat d’une fortune immense,

Et dans son riche hôtel, je fais ma résidence !

J’attire ici toute la France,

Dont je suis la divinité.

Légère, vive, gaie, étourdie et coquette,

Je fixe les désirs de ce peuple brillant,

Les Ris composent seuls le culte qu’il me rend.

Et mon autel est ma toilette

Où je reçois ses vœux en minaudant.

L’HIVER.

Comme vous présidez aux talents agréables

Danseurs, Musiciens, Poètes tour-à tour

Doivent faire pour vous éclater leur amour,

Et former un concert de tous les arts aimables.

LA FRIVOLITÉ

Les états les plus sérieux,

Les personnages les plus graves

Sont également mes esclaves,

Même le plus frivole est souvent le, plus vieux.

Le Magistrat que je délasse

Vient, me rendre le soir son hommage badin,

Au Militaire, il dispute l’a place

De mon premier menin :

Et le jeune Marquis qui tous deux les surpasse,

Sur le beau sexe même a le pas dans ma cour,

Il taille, mes pompons, il leur donne la grâce,

Et j’en fais ma Coiffeuse, ou ma Dame d’atour.

L’HIVER.

Il le mérite bien. 

LA FRIVOLITÉ.

Dans ce jour d’importance

Pour mieux étendre ma puissance,

Et mon nom dans tous les pays,

Je viens de me parer de mes plus beaux habits,

J’ai pris mon sceptre en main, et je donne audience.

À tous les étrangers, qui viennent à Paris,

Pour former leur maintien, pour polir leur science,

Et donner aux talents ce brillant coloris

Qui les met dans leur jour, et qu’on ne prend qu’en France,

Je veux, de mes attraits, qu’ils connaissent le prix,

Et qu’à mon éventail, ils soient tous asservis.

L’HIVER.

Votre victoire est trop certaine :

Pour mieux la célébrer, je vais, ma Souveraine,

Rassembler tous mes jeux, qui vous doivent le jour ;

Et je reviens après signaler mon retour

Par un Bal singulier, dont vous serez la Reine.

Il sort.

 

 

Scène II

 

LA FRIVOLITÉ, MONSIEUR FAUSTER

 

MONSIEUR FAUSTER.

Je donne le bon jour à tous vos agréments ;

Madame, vous voyez un Socrate moderne,

Qui pour ne rien savoir, étudia vingt ans,

Et qui honteux d’avoir perdu son temps,

De dépit est parti de Berne,

Pour devenir en France un aimable ignorant.

Tout ce que j’ai, Madame, a pris certainement,

C’est qu’ici bas tout est frivole,

Que la réalité n’est que l’amusement,

Et pour apprendre promptement

Ce joli savoir-là, je viens à votre école.

LA FRIVOLITÉ.

Votre sincérité me plaît.

Vous voyez, quoique tard, le monde tel qu’il est.

Son globe entrer n’est que superficie :

Un ballon gonflé d’air, décoré de clinquant,

Tout est, à mes pompons, fournis par conséquent

Et dépend de ma monarchie.

Elle est universelle, et je n’ai qu’à vouloir.

Le Sage en vain déclame contre,

Il est comme le fou, sujet à mon pouvoir.

Il a beau m’éviter, partout il me rencontre.

Qu’il mesure la Terre, ou soit qu’il vole au Ciel,

Soit qu’il fonde la Mer, je suis toujours son guide,

Et l’Anglais si profond, ou qui passe pour tel,

Creuse dans le frivole, et tombe dans le vide.

Le Français qui tout haut s’honore de mes fers,

Est plus raisonnable et moins dupe,

Son esprit léger ne s’occupe

Qu’à parer ses dehors, à varier ses Jeux

Qu’à goûter le plaisir, sans rechercher sa cause,

Et qu’à prendre, en passant, la fleur de chaque chose.

Par ce système avantageux,

Il en est plus aimable, et cent fois plus heureux.

MONSIEUR FAUSTER.

C’est ce que j’ai senti. Pour marcher sur sa trace,

Donner dans le léger, voler sur la surface,

Je compose un Roman : j’ose vous supplier

D’en agréer la dédicace.

LA FRIVOLITÉ.

Un Roman Suisse ! et me le dédier !

L’honneur est rare, et je m’en glorifie.

MONSIEUR FAUSTER.

Je l’écris en Français, d’un style fort léger.

Il contient votre éloge, ou votre apologie,

Et vous devez le protéger

Le Héros dont l’écris la vie.

Est un Héros paisible ; et son plus grand danger

Est celui de tomber dans une Comédie,

Ou de voir de trop près une Actrice jolie.

LA FRIVOLITÉ.

Mais vu par ce côté, votre ouvrage me rit.

Quel est le titre, je vous prie ?

MONSIEUR FAUSTER.

C’est le Suisse qui rêve, ou la Philosophie

Réduite à rien par un homme d’esprit.

LA FRIVOLITÉ.

Suisse spirituel, et qui rêve à profit ?

MONSIEUR FAUSTER.

Ce paradoxe vous étonne.

Il choque, ouvertement le proverbe reçu.

LA FRIVOLITÉ.

Il est vrai que l’esprit n’est pas une vertu

Dont le grand nombre vous soupçonne.

MONSIEUR FAUSTER.

Voilà précisément ce que j’ai combattu.

Dans mon discours préliminaire.

J’y compare d’abord l’esprit, qui nous éclaire,

Au bel astre du jour, qui répand sa lumière,

Sur tout le monde également,

Et je fais voir après, par des preuves réelles,

Qu’on le transplante en commerçant,

Que du Français, il passe à l’Allemand,

Qu’il s’embarque sur mer, franchir les Dardanelles,

Et circule comme l’argent...

Voilà pourquoi chaque peuple varie.

Eh trafiquant dans les autres climats,

Il en prend l’air, les façons, le génie,

Communique le sien à ces mêmes états.

Les mœurs ainsi par tout se mêlent en partie,

Et forment par degrés un monde tout nouveau,

Nous femmes les témoins d’un prodige si beau.

L’Europe maintenant, et qui plus est, l’Asie

Présentent à nos yeux, un différent tableau.

Le beau sexe n’est plus esclave en Italie,

Et l’on boit du vin en Turquie.

En France l’on s’est mis à l’eau,

Et l’on fait des vers en Russie.

LA FRIVOLITÉ.

Des vers Russes, je crois, doivent être jolis.

MONSIEUR FAUSTER.

Votre commerce, et vos ouvrages

Nous ont polis, nous ont éclairés tous ;

Et pour vous vaincre un jour, dans tous vos avantages,

Nous prenons des armes chez vous.

Votre idiome ailleurs fait du progrès sans cesse,

On le parle dans tout pays,

Comme celui de Rome et de la Grèce.

À Copenhague, on le professe,

Et jusqu’en Amérique, il fait des Beaux-Esprits.

LA FRIVOLITÉ.

Puissent-ils venir mieux dans la nouvelle France,

Que depuis quelque temps ils ne viennent ici !

MONSIEUR FAUSTER.

La révolution n’est pas si loin qu’on pense.

Le règne de l’Esprit, peut, comme la Science ;

Passer dans nos Cantons, et puis au Potosi.

Notre bon goût se forme, et le vôtre commence

À s’altérer dans vos écrits,

Le savoir, parmi vous, tombé dans le mépris,

Fait dans le Nord sa résidence

Et pour les Arts qu’il récompense,

Berlin déjà le dispute à Paris.

LA FRIVOLITÉ.

Nous honorons, d’un accueil favorable,

Plus que jamais, tous les Arts d’agrément.

Nous n’estimons pas moins l’abstrait que l’agréable.

Nous préférons l’Algèbre à la Danse souvent

Neuton, plus que Dupté, nous paraît admirable

Et l’Électricité nous frape uniquement.

Ses invisibles coups, qui tiennent de la fable,

Comme ceux de l’Amour, exercent à présent

Un empire aussi fort, qu’il est inexplicable.

Nous l’employons universellement,

Et dans notre fureur, jusqu’au feu du tonnerre ;

Nous électrisons tout impitoyablement.

Nouveaux Titans, dans cette guerre,

Nous voulons désarmer le Roi du Firmament,

Et soumettre le Ciel au pouvoir de la Terre.

MONSIEUR FAUSTER.

Vous regardez cela comme un amusement.

LA FRIVOLITÉ.

C’est, comme il faut tout voir, par le côté charmant.

Pour l’Érudition, dont la lourdeur accable,

Si nous la négligeons, le mal n’est pas bien grand.

Le gros savoir fait un pédant.

L’esprit lui seul fait l’homme aimable,

Qui chez nous est le vrai savant.

MONSIEUR FAUSTER.

L’Esprit en fait partout.

LA FRIVOLITÉ, d’un ton ironique.

Et qui doivent nous vaincre.

Votre exemple, Monsieur, suffit pour nous convaincre.

MONSIEUR FAUSTER.

Le ton me fait sentir le vrai sens de ces mots.

Il dit en bon Français que nous sommés des sots.

LA FRIVOLITÉ.

Vous l’interprétez mal.

MONSIEUR FAUSTER.

Non, j’entends l’ironie :

Vos pièces de tout temps, ainsi que vos propos

De la bêtise, en tout, nous ont fait les Héros ;

Et votre raillerie, aux Spectateurs crédules,

Offre un Tableau chargé de nos vieux ridicules,

Tels qu’ils n’existent plus que dans vos seuls cerveaux.

Moi, plus juste, d’une âme franche,

Je ris de vos travers nouveaux,

Et je viens prendre ma revanche.

Comme Berne, Paris a ses originaux.

Cette Ville qui toujours franche

Ne doit plus se moquer de nos treize Cantons,

Madame, et vos Marquis valent bien nos Barons.

LA FRIVOLITÉ.

Aux Étrangers, toujours nous donnons l’avantage

MONSIEUR FAUSTER.

Madame s’il vous plaît, trêve de persiflage.

LA FRIVOLITÉ.

Non en votre faveur nous sommes prévenus.

Le défaut du Français est d’outrer là-dessus.

Les mœurs de ses Voisins sont toujours les plus sages.

Il a adopté leurs Arts, leurs Écrits, leurs Usages.

Fait pour servir en tout de modèle brillant,

Il en perd le mérite, et par cette manie

D’un bon Original, il devient très souvent

Une fort mauvaise Copie.

MONSIEUR FAUSTER.

Je blâme cet excès vraiment,

Il forme en elle un autre ridicule.

Lorsqu’un voisin fait bien, on doit prendra son ton,

Ou plutôt enchérir sur ce qu’il a de bon.

Mais quand servilement on le suit sans scrupule,

On est alors son singe, et non pas son émule.

Au portrait du Français, j’ajouterai ce trait,

Dans mon Roman que je retouche,

Je vous implore à ce sujet.

Adoucissez pour moi le critique farouche.

Les Dames aujourd’hui font le fort d’un Écrit ;

Et dès qu’il est vanté par une belle bouche,

L’ouvrage a de la vogue, et l’Auteur réussit.

LA FRIVOLITÉ.

Sans avoir lu, je donne mon suffrage,

De Maison, en Maison, j’irai prôner l’ouvrage.

Je forcerai tous mes amis,

Les uns à l’acheter, les autres à le vendre,

Pour mieux l’accréditer, je doublerai le prix,

En même temps j’aurai soin de répandre

Qu’il est d’un étranger. C’est pour le faire prendre,

Monsieur, un titre qui suffit.

Je réponds du succès, ou du moins du débit.

L’un a de l’air de l’autre, et l’on peut s’y méprendre.

La réussite, ou le grand bruit,

Aujourd’hui d’une Comédie,

Du seul manège, est en secret le fruit,

La première semaine, en foule on s’extasie ;

La seconde, elle baisse, et n’offre rien de neuf,

La troisième, elle perd la vie,

Voilà, j’en excepte Cénie,

Voilà nos grands succès depuis quarante-neuf.

MONSIEUR FAUSTER.

Mille remerciements. Une Dame s’avance.

J’attendrai qu’elle ait fait, pour vous dire bonsoir,

Et je m’éloigne un peu par bienséance.

LA FRIVOLITÉ.

C’est une Anglaise, et de ma connaissance.

Je ne saurais trop bien la recevoir.

 

 

Scène III

 

LA FRIVOLITÉ, MONSIEUR FAUSTER, MISS-BLAR

 

MISS-BLAR.

Vous faites aujourd’hui les honneurs de la France,

Recevez donc ma révérence.

Avant que de partir, j’ai voulu vous revoir,

Madame.

LA FRIVOLITÉ.

Vous partez, Miss-Blar !

MISS-BLAR.

En diligence ;

Et sans avoir le temps d’aller même en Provence.

LA FRIVOLITÉ.

Mais pour dissiper, pour bannir l’esprit noir,

Qui, vous travaille dès l’enfance,

L’air de Paris, est l’air par excellence,

Vous l’avez dû sentir déjà.

MISS-BLAR.

Moi ! point ; jusques ici,

Madame, il a mal réussi.

LA FRIVOLITÉ.

Vous méritez que je vous gronde.

Que ne me croyez-vous ? C’est votre fan ce aussi.

Il fallait vous répandre au milieu du grand monde,

Me suivre dans son tourbillon.

MISS-BLAR.

Dans l’espoir de ma guérison,

Madame, je m’y suis jetée en furieuse ;

J’ai d’abord entrevu quelque petit rayon ;

Mais pst, il s’est éteint. J’ai trouvé, malheureuse !

Que malgré tous ses airs, et sa prétention,

La bonne Compagnie est la plus ennuyeuse.

La tristesse est assise à côté du bon ton.

LA FRIVOLITÉ.

C’est dans ion sein pourtant que le plaisir habite

Avec les Jeux badins qui marchent à sa suite,

Et la gaieté, son adorable Sœur.

MISS-BLAR.

La sienne n’est point vraie, et puisqu’il faut le dire,

Elle est au fonds de l’âme aussi triste que moi.

C’est l’ennui déguisé, qui s’efforce à sourire,

Et non pas la gaieté, qui rit de bonne foi.

LA FRIVOLITÉ.

Voulez-vous qu’elle éclate en Bourgeoise Maussade ?

MISS-BLAR.

Oui, c’est la meilleure façon.

Quand elle a besoin d’art, la joie est bien malade.

MONSIEUR FAUSTER, s’approchant.

Sa plus grande ennemie est la réflexion.

Pardon, si je me mêle à l’entretien, Mesdames.

Mais je suis Médecin, surtout celui des femmes.

Sans être de la Faculté

J’ai traité bien des fois, guéri plus, d’une belle.

À Miss-Blar.

De vôtre mal, d’un coup d’œil, je démêle

L’origine et la qualité.

Milady pense trop. La pensée est mortelle.

Elle fait haïr la clarté

C’est le poison de la santé.

MISS-BLAR.

Savoir quel est mon mal, c’est une bagatelle,

Mais le guérir, Monsieur, c’est la difficulté.

MONSIEUR FAUSTER.

La Recette en est simple autant que naturelle.

Sitôt que de la vie, on se sent dégoûté,

On se doit sur le champ débarrasser la tête

Du Jugement qui nous maigrit ;

Déraisonner beaucoup, parler sans être instruit,

Rire sans cause, aller sans que rien nous arrête,

Se réduire à l’instinct qui nous guide à profit.

MISS-BLAR.

Ah ! Peut-on exister, si l’on ne réfléchit,

Votre recette est révoltante :

C’est végéter comme une plante.

MONSIEUR FAUSTER

Le grand nombre l’imite, et le bon sens nous dit

Qu’il vaut mieux vivre sot, que mourir plein d’esprit.

MISS-BLAR.

Pour moi je suis votre Servante.

Ne vivre que pour mettre une coiffe, un panier,

Ah ! j’aimerais autant orner un Espalier.

MONSIEUR FAUSTER.

Ne pensez donc qu’à l’agréable

Et, ne faites, je cherche un terme favorable,

Ne faites que frivoler,

Si de ce mot, il m’est permis d’user.

LA FRIVOLITÉ.

Voilà depuis trois mois ce qu’ici je lui crie,

Dissipés votre esprit, sans jamais l’occuper.

MISS-BLAR.

Vous m’impatientez, comment me dissiper !

Rien ne m’amuse, et tout m’ennuie.

MONSIEUR FAUSTER.

Il ne faut pas se rebuter.

Comme l’oiseau que rien ne lie,

Parcourez, sans vous arrêter

Le Cercle des plaisirs, que chaque instant varie.

MISS-BLAR.

Ces plaisirs ! Je les cherche , et je n’en trouve point.

MONSIEUR FAUSTER.

La promenade est un remède...

MISS-BLAR.

Qui me fatigue au dernier point.

MONSIEUR FAUSTER.

La Table ?...

MISS-BLAR.

M’est à charge.

LA FRIVOLITÉ.

Et le Bal ?...

MISS-BLAR.

Il m’excède.

MONSIEUR FAUSTER.

Le Jeu ?...

MISS-BLAR.

M’est odieux.

LA FRIVOLITÉ.

Le Spectacle ?...

MISS-BLAR.

Importun.

MONSIEUR FAUSTER.

Votre mal est tenace. En cet état funeste

À votre place, moi, je jouerais de mon reste.

C’est peu de folâtrer, pour chasser l’esprit brun :

Il faut extravaguer jusqu’à la frénésie.

MISS-BLAR.

Eh, je n’ai pas le sens commun,

Depuis que j’ai quitté le sein de ma Patrie.

C’est un mauvais contrepoison.

J’étais malade à Londres à force de raison.

Et je meurs à Paris d’un excès de folie.

MONSIEUR FAUSTER.

Madame, il vaudrait mieux mourir

Cinquante fois plutôt d’un excès de plaisir.

À ce propos, parlez, je vous supplie,

À Londres n’avez-vous rien aimé ?

MISS-BLAR.

Non, jamais,

Et j’ai porté cher moi la froideur à l’excès.

MONSIEUR FAUSTER.

Contre votre mélancolie,

Je sais donc en ce cas un remède certain.

Prenez...

MISS-BLAR.

Quoi donc ? Achevez, je vous prie.

MONSIEUR FAUSTER.

Prenez vite un Amant pour votre Médecin.

Ses soins sauront bientôt, je vous le certifie,

Vous donner du goût pour la vie,

Et faire succéder le plaisir au chagrin.

LA FRIVOLITÉ.

Il est de bon conseil.

MISS-BLAR.

Ah ! je l’en remercie ;

Le remède, Madame, est pire que le mal.

MONSIEUR FAUSTER.

Mais comment jugez-vous qu’il vous sera fatal,

N’ayant point essayé...

MISS-BLAR.

Non pas, Monsieur, à Londres.

MONSIEUR FAUSTER.

En France, Milady, l’auriez-vous éprouvé ?

MISS-BLAR.

Me taire, c’est assez répondre.

LA FRIVOLITÉ.

Chère Miss, votre cœur s’en est-il bien trouvé ?

MISS-BLAR.

Au mieux le premier jour ; je crus alors renaître.

Il se fit dans mon âme un changement nouveau.

Pour la première fois, le jour me parut beau,

Et je goûtai le bonheur d’être.

MONSIEUR FAUSTER.

Le second jour ?

MISS-BLAR.

Mon plaisir s’altéra.

Mon Amant fut absent, mon cœur en soupira.

Le troisième, il revint, et chassa ce nuage,

Le quatrième, il parut moins ardent,

Et mon amour troublé s’alarma vivement.

Le cinquième, il devint volage

Et, tour mon bonheur disparût,

Une Rivale eut l’avantage.

J’en fus témoin. Mon désespoir s’accrut,

Et dans mon cœur trahi ne laissa que la rage.

LA FRIVOLITÉ.

Vous êtes mal tombée, et c’est un grand dommage.

J’en connais un, qui serait plus constant.

MISS-BLAR.

En quatre mots ; voilà mon histoire finie.

Tout calculé bien justement

Je n’ai vécu que trois jours dans ma vie.

LA FRIVOLITÉ.

D’un nœud léger, tissu pour un moment,

Il fallait avec lui vous lier seulement.

Vous avez contre ma défense

Formé le sot lien d’un tendre attachement,

Et vous en recevez le juste châtiment.

Mais quel est donc le petit Maître ?...

MISS-BLAR.

C’est votre favori, ce fripon de Marquis,

Qu’ici pour mon malheur, vous m’avez fait connaître.

Adorateur de mon Pays.

Dans ma personne, il en parut épris.

Nous fumes joints d’estime, autant qu’on le peut être.

Par un moyen qui réussit souvent,

Je me flattais de fixer ta tendresse,

Malgré tout mon amour, j’ai très exactement

Conservé toute ma sagesse.

MONSIEUR FAUSTER.

C’est un effort bien surprenant.

MISS-BLAR.

Cela tient un peu du miracle,

Monsieur, particulièrement

Dans une fille de Spectacle.

De cet aveu, vous êtes étourdi !

Le préjugé sur vous...

MONSIEUR FAUSTER.

Non ; je sais le combattre ;

Mais je vous croyais Milady.

MISS-BLAR.

Souvent je le suis au Théâtre.

MONSIEUR FAUSTER.

Vous pourriez l’être ailleurs par un titre plus fort.

MISS-BLAR.

Jamais je ne m’allie avec aucun Milord.

Notre profession à Londres est glorieuse.

Le défaut de mérite est seul déshonorant.

Une Actrice de nom, quand elle est vertueuse,

Peut aspirer chez nous au parti le plus grand,

On, y rougit du vice, et non pas du talent.

MONSIEUR FAUSTER.

Moi, je l’honore infiniment.

Il devient entre nous un nœud de sympathie.

Si vous jouez la Comédie,

En plusieurs Langues, moi, j’en fais facilement,

En Français, en Anglais, tout comme en Allemand.

Nous sommes Étrangers, le hasard nous rassemble ;

Marions nos accents et nos talents ensemble.

Tout-à-coup, dans mon cœur, je sens naître pour vous,,

Mestris, une estime amoureuse.

Il se jette à ses genoux.

MISS-BLAR.

Que faites-vous ?

MONSIEUR FAUSTER.

Devant une Actrice fameuse,

Un Auteur doit toujours fléchir les deux genoux.

Nous devons, à votre art, nos succès les plus doux.

MISS-BLAR.

Ah ! Levez-vous, Monsieur. J’aperçois mon perfide.

La colère, à sa vue, est mon seul sentiment ;

Et pour savoir, ici, quelle raison le guide ;

Je m’en vais dans ce coin me cacher un moment.

MONSIEUR FAUSTER.

Acceptez ma main, je vous prie.

Je vous y tiendrai compagnie.

Il s’éloigne avec elle.

 

 

Scène IV

 

LA FRIVOLITÉ, LE MARQUIS, MISS-BLAR, MONSIEUR FAUSTER, cachés

 

LE MARQUIS, à la Frivolité.

Je viens verser ma joie en votre sein ;

Madame, elle est immense, et rien ne peut la rendre :

Ils ne partiront pas. Ils demeurent enfin.

Nous allons les revoir, nous allons les entendre.

LA FRIVOLITÉ.

Qui donc ? Expliquez-vous. Je crains de me méprendre.

LE MARQUIS, parodiant Serpilla du Joueur.

La charita, la charita.

LA FRIVOLITÉ. Elle chante.

Comment ! nous entendrons encore, Bella mia,

Se fon tuo sposo.

LE MARQUI S.

Demain, ma Souveraine,

Ils reparaîtront sur la Scène.

LA FRIVOLITÉ.

J’irai donc avec eux y triompher demain.

Ma joie au moins, à la vôtre est égale.

LE MARQUIS.

Ah ! vive l’Italie et son Trio divin.

LA FRIVOLITÉ.

La Mandoline, la Timbale.

LE MARQUIS, contrefaisant les Bouffons.

Et le Violon, zin, zin, zin.

LA FRIVOLITÉ, les parodiant aussi.

Pa, ta, pon, et trin, trin.

Ce prompt retour, que je n’osais attendre ;

Est une victoire pour nous.

Puis-je la célébrer par des transports trop fous ?

LE MARQUIS, contrefaisant le rire de Manelli, dans le Joueur.

Ali ! ah ! bouffonnons, rions tous.

Moi, pour modèle, je veux prendre,

Dans ses plaisants éclats, l’agréable Joueur.

LA FRIVOLITÉ.

Moi, Serpilla, dans son souris moqueur.

Elle que je chéris, dont l’adieu fut si tendre,

Qu’elle versa des pleurs, et nous en fit répandre.

LE MARQUIS, parodiant l’air, vuo dirlo basso, basso, du Maître de Musique.

Écoutez tout bas, tout bas,

Je suis fou de ses appas ;

Et pour faire un grand fracas,

Nous irons tous à l’Opéra.

Ma main la cla, claquera.

MISS-BLAR, s’approchant et l’interrompant.

Quel secret dues-vous-là !

LE MARQUIS.

Je lui disais en confidence,

Que je vous adore, Miss-Blar.

MISS-BLAR.

C’est Serpilla plutôt qui vous lie à son Char,

Vous voulez déguiser en vain votre inconstance.

LE MARQUIS.

Votre cœur ne doit pas en paroître jaloux.

Je folâtre avec elle, et soupire avec vous.

MISS-BLAR.

Mon cœur veut tout ou rien. Ce partage m’offense

Sur le choix, il faut prononcer.

LE MARQUIS.

Je ne prononce point entre Londres et Florence

De vos talents divers, je ne puis me passer.

J’apprends à chanter d’elle, et de vous à penser.

C’est ainsi, de vos dons, que j’enrichis la France.

MISS-BLAR.

Ciel ! quel injuste Arrêt ! Mais j’en appelle.

LA FRIVOLITÉ.

À qui ?

MISS-BLAR.

À la raison, qui prendra ma défense.

LA FRIVOLITÉ.

La raison, comme vous, est étrangère ici.

MISS-BLAR.

J’implore donc votre puissance.

LA FRIVOLITÉ.

C’est mon esprit qu’il a suivi,

Et je confirme la Sentence.

MISS-BLAR.

Je n’attendais pas moins de la Frivolité,

Protectrice de l’inconstance,

Et digne sœur de la légèreté.

MONSIEUR FAUSTER.

Voilà bien le Français, dont elle est le génie.

La nommer, c’est le définir.

Son transport l’autre jour était l’Anglomanie,

Rien, sans l’habit. Anglais, ne pouvait réussir.

Au-dessus de Corneille, il mettait Shakespeare

Une nouvelle frénésie

Aujourd’hui vient de le saisir ;

C’est la fureur des accords d’Italie.

MISS-BLAR.

Ce mal épidémique a gagné tout Paris.

J’en enrage.

LA FRIVOLITÉ.

Et moi j’en ris.

MISS-BLAR.

La chose est en effet très digne de risée.

Vous y perdez.

LE MARQUIS.

Nous y gagnons.

En changeant de plaisirs, nous les multiplions.

MISS-BLAR.

Quelle rivale, ingrat, m’avez-vous opposée ?

LA FRIVOLITÉ.

Mais, mais, j’admire en vous ces exclamations !

Cette Musique Italienne

Que vous rabaissez tant, soumet tous les Pays,

Elle est par conséquent et la sienne et la vôtre.

MISS-BLAR.

Non, je la méconnais, défigurée ainsi.

LA FRIVOLITÉ.

Nous voulons justement en embellir la nôtres

Cet alliage a déjà réussi.

MISS-BLAR.

Ah ! plutôt par ce pot pourri,

Vous la dénaturez, et gâtez l’une et l’autre.

C’est un chef-d’œuvre ailleurs, mais un vrai monstre ici.

LE MARQUIS.

Pour vous guérir de cette idée étrange,

Je la veux toute seule établir sans mélange ;

Et je veux qu’à sa gloire, un autel soit dressé

Sur les derniers débris et d’Armide, et d’Issé.

MISS-BLAR.

Français dénaturé, quel transport vous égare !

Priver la Nation d’un si bel ornement ?

Pouvez-vous sans frémissement

Former un projet si barbare ?

Ces Opéra de sentiment

Dont la mélodie est si tendre,

Vous les sacrifiez, Monsieur ?

LE MARQUIS.

Oui, forcément ;

Nous n’avons plus d’Acteurs aujourd’hui pour les rendre,

Le dernier des Romains est prêt à nous quitter.

Nous n’avons pas le temps d’attendre

Qu’il ait des successeurs pour les représenter.

De cette perte-là, toi seul, tu nous consoles,

Orphée Italien ! pour exprimer ton chant,

Notre Orchestre suffit : un accompagnement,

Un coup d’archet dit plus que deux cens mots frivoles.

Tu vas nous procurer encore un bien plus grand.

Nos Opéra nouveaux, par ton moyen charmant,

Pourront à l’avenir se passer de paroles.

MONSIEUR FAUSTER.

On en fait joliment encor :

Les Fêtes de l’Hymen, Monsieur, et Zélindor,

Pour les Ballets Français, sont deux bonnes écoles.

MISS BLAR.

Vous serez donc réduits au Concert seulement,

Quand vous supprimerez leurs actions falotes.

LA FRIVOLITÉ.

Non, la frivolité est toute dans les notes.

Je dois à leurs accords un nouvel agrément,

Qui redoubla pour eux le zèle qui m’allume :

Ils font dialogués si merveilleusement,

Que dans l’Orchestre seul, je trouve heureusement

Un Acteur accompli, qui jamais ne s’enrhume.

MISS-BLAR.

Mais rire à l’Opéra, ce n’est pas la coutume.

LA FRIVOLITÉ.

On rit tous les jours, sans façon,

Aux Français, que je-crois d’aussi bonne maison.

MISS-BLAR.

Ah ! ne plaisantez pas, c’est commettre une offense

Contre sa dignité, qui proscrit le badin.

LE MARQUIS.

La dignité du magasin !

MISS-BLAR.

Oui, je rougis pour lui de l’indécence.

LE MARQUIS.

L’indécence de l’Opéra

Est dans la mauvaise Musique.

Celle qu’un amateur, toujours admirera

Est la plus noble sans réplique.

MISS-BLAR.

Tous ces prétendus amateurs

Qui la vantent par air, avec un ton de maître,

À Paris en font les honneurs,

Sans avoir bien souvent celui de la connaître.

LA FRIVOLITÉ.

Vous avez contre nous trop de prévention.

Pour être Juge en notre Cause

Monsieur est d’une Nation,

Qui toujours neutre, agit sans passion.

Je m’en rapporte à lui, qu’il décide la chose.

MONSIEUR FAUSTER.

Je crains...

LE MARQUIS.

Monsieur, point d’appréhension.

Vous ne pouvez jamais que m’être favorable.

MONSIEUR FAUSTER.

Je vais en ce cas-là tâcher d’être équitable.

Votre Opéra Parisien

Me fait priser Lulli, mais Quinault davantage.

L’intérêt de la Scène est son premier soutien,

Et le Poète sait si bien,

De la tendresse, exprimer le, langage ;

Que le cœur avec lui devient Musicien.

À l’égard du Chant italique

Comme j’ai calculé ses accords séducteurs,

Et vu son action d’un œil philosophique

J’applaudis tout haut sa Musique.

Et ris tout bas du jeu de ses Acteurs.

LE MARQUIS.

Rire tout bas ?

MONSIEUR FAUSTER.

Sans doute un homme raisonnable

Craint d’éclater, Monsieur, et rit modestement.

LA FRIVOLITÉ.

Est-ce en bien ? est-ce en mal ?

MONSIEUR FAUSTER.

Un arrêt sagement

S’interprète toujours dans un sens favorable.

MISS-BLAR.

Il s’en tire fort joliment,

Et sa décision est d’autant plus louable,

Qu’au fond chaque parti doit, en être content.

Adieu. Je sors moins triste, après ce jugement.

LA FRIVOLITÉ.

Amenez une Troupe Anglaise,

Et revenez ici pour y jouer.

Qu’elle soit bonne, ou qu’elle soit mauvaise,

Vous verrez tout Paris déserter la Française,

Et vous venir en foule applaudir et louer.

MISS-BLAR.

La proposition me touche.

Madame, j’attendrai que vous sachiez l’Anglais.

LE MARQUIS.

Il ne faut que paraître aux regards du Français :

Il est au fait, avant qu’on ait ouvert la bouche.

MISS-BLAR.

Comme vous aimez le badin

Nous jouerons donc là Pantomime,

Et nous approcherons, Monsieur, du Baladin,

Pour mieux mériter votre estime.

LA FRIVOLITÉ.

On est sûr de l’avoir dès qu’on est singulier.

LE MARQUIS.

Nous avons tant pleuré, qu’il faut nous égayer.

Je ne vous, offre pas ma main pour vous conduire.

Vous avez dans Monsieur un meilleur Écuyer.

MONSIEUR FAUSTER, à Mis-Blar.

Madame, avec transport j’accepte cet office

Un autre plus charmant : dont j’ose vous prier,

Comblerait tous mes vœux, si vous m’étiez propice,

Je m’en acquitterais. Que l’hymen nous unisse.

Nous sommes faits pour nous lier.

La Raison est Anglaise, et le Bon sens est Suisse.

LE MARQUIS.

Et l’Esprit est Français, qui n’en est point jaloux.

Il fait compliment à l’époux,

Quand sa maîtresse se marie,

Sûr que le lendemain, apaisant son courroux,

Elle sera sa bonne amie.

MISS-BLAR, à Monsieur Fauster.

Monsieur, je vous donne ma main.

Pour vous qui tournez tout, Marquis, en raillerie,

Vous n’aurez point de lendemain.

Je pars, de tous vos traits, parfaitement guérie.

LE MARQUIS.

Le dépit seul vous dicte ce Discours ;

Quand je blesse quelqu’un c’est pour toute la vie.

MISS-BLAR.

Non, je vous fais, Monsieur, mes adieux pour toujours ;

Rien ne m’attire plus au sein de cette ville.

Des talents étrangers, votre esprit amateur.

N’en saisit, dans sa folle ardeur,

Que le frivole, ou l’inutile.

Il prend, des miens, la licence facile,

Sans en avoir la profondeur :

Le batelage d’Italie,

Sans en posséder l’harmonie.

Opulent par lui-même, il néglige son bien,

Pour faire un sot emploi du nôtre qu’il envie ;

Et croyant s’enrichir, il se réduit à rien.

LA FRIVOLITÉ.

Vous partez mécontente !

MISS-BLAR.

Oui, puisqu’il faut répondre,

J’étais venue en France apprendre expressément

La décence, le goût, la grâce et l’agrément ;

Pour les joindre à la force, où nous primons à Londres,

Mais je me fuis méprise infiniment.

Vos Spectacles changés ne sont plus une École.

On ne voit plus régner chez eux

Qu’un plagiat qui me désole,

Et qu’un déplacement affreux

C’est l’Opéra que par tout on copie.

On chante au Théâtre Français

Ou comme lui plutôt on crie

Des vers bouffis, faits pour mugir exprès,

La troupe Italienne en tout le parodie ;

Et lui dérobant ses Moutons

Ne quitte plus la Bergerie.

Pour avoir sa revanche, il a pris leurs bouffons.

L’amour qu’on a pour eux devient le goût unique.

Tout paraît travesti, tout est lazzis, chansons

Comme on outre le jeu, l’on charge la Musique,

Et tout Paris n’est plus qu’un Opéra Comique.

MONSIEUR FAUSTER.

Pour moi, qui de sang froid, voit tout également,

Je vous quitte, Monsieur, plein d’estime et de zèle.

Je sais que vôtre esprit ne s’égare un moment,

Que pour reprendre après plus sûrement

Le chemin du bon goût dont il est le modèle.

Pour être bien, Messieurs, restés toujours Français

N’imitez que vous-même, et vous serez parfaits.

En revenant.

Je reviens sur mes pas vous dire une nouvelle

Tout à coup il se lève une aurore si belle,

Qu’elle a rendu le jour à votre chant.

Nouveau Titon, il rajeunit par elle

Embelli des accords, que vous chérissez tant,

En conservant toujours sa grâce naturelle,

Le Beau sexe surtout est son grand partisan.

Je vous en félicite. Adieu, Bonjour, Bon an.

Il sort.

 

 

Scène V

 

LA FRIVOLITÉ, LE MARQUIS

 

LA FRIVOLITÉ.

Pour combattre l’éclat de cette réussite

Redoublons nos transports pour nôtre favorite

Célébrons son retour par un brillant duo.

LE MARQUIS.

Souffrez plutôt par un trio

Que nôtre amour envers elle s’acquitte.

LA FRIVOLITÉ.

À deux un trio ! rêvez-vous ?

LE MARQUIS.

Il est de la façon d’un Serin de Bergame.

Mais le voici qui vient, Madame,

Pour l’exécuter avec nous.

 

 

Scène VI

 

LA FRIVOLITÉ, LE MARQUIS, ARLEQUIN, déguisé en Maître de Musique

 

ARLEQUIN tout essoufflé, l’habit en désordre.

Ouf, Madame, pardon. Souffrez que te respire.

Je n’en puis plus, je viens d’être le spectateur

D’un combat qui tient du délire.

On m’a même forcé d’y devenir Acteur.

L’image encore est présente à mon cœur ;

J’en frémis d’épouvante, et j’en crève de rire.

LA FRIVOLITÉ.

Quel combat ?

ARLEQUIN.

Au Café. C’est le Champ de bataille.

Les deux partis, en sont venus aux mains.

D’abord on s’escarmouche, on raille.

Sur nôtre musico, tombent les traits malins

L’un dit que ce chanteur pour qui l’on se chamaille,

Miaule dans le haut, et jappe dans le bas.

L’autre, avec nos accords exalte ses éclats.

LE MARQUIS.

C’est une grande voix, pour peu qu’on la travaille.

ARLEQUIN.

Nos railleurs insistaient, mais ils ont du dessous,

Dans l’instant qu’une basse taille,

Qui sortait du gros corps d’un Lulliste jaloux,

Crie, aux pieds de Lulli, profanes, tombez tous,

Et devant lui baissez la Nuque.

Ah ! taisez-vous vieille perruque

Lui réplique, un cousis, qui s’échauffe pour nous.

Ne parlez plus de Musique Française.

Votre petit Lulli ne va pas aux genoux

Du grand, du divin Pergolèse.

Petit Lulli dit l’autre écumant de courroux.

Un tel blasphème est indigne de grâce.

À la tête, à ces mots, il lui jette une tasse.

LA FRIVOLITÉ.

Ô ! Ciel ! pour nos amis, je frémis de l’affront.

ARLEQUIN.

Notre gascon l’esquive, et son bras furibond

Lui lance un tabouret, au milieu de la face :

Qui nous venge, et qui le terrasse.

À ce beau coup, notre parti vainqueur

Bat des mains, pousse un cri de joie

Et l’ennemi confus en pousse un de douleur.

LE MARQUIS.

Je respire.

ARLEQUIN.

Ce n’est qu’un prélude, Monsieur,

De la Guerre, aussitôt le signal le déploie.

Le Café se divise ; ils jurent, nous chantons

Leur bataillon ferré vient fondre sur nos troupes.

On voit bientôt voler les verres, les soucoupes,

Les carafes, les carafons,

Les biscuits, et les macarons.

De toutes parts le sang coule et se mêle

Parmi les flots de thé, d’orgeat et de cannelle.

LA FRIVOLITÉ.

Ce récit, sur mon front, fait dresser mes cheveux.

ARLEQUIN.

Four arrêter l’horreur d’un combat ruineux,

La Reine du Café sort de son Trône, en larmes,

Loin de se rendre à son aspect

Ils la décoiffent sans respect

Ni pour son rang ni pour ses charmes.

Dans la mêlée, elle perd son bonnet,

Et son mari qui veut leur arracher les armes,

Est inhumainement plongé dans un baquet.

LE MARQUIS.

Voilà du grand tragique.

LA FRIVOLITÉ.

Au fort de la bagarre,

Que faisiez-vous Signor ?

ARLEQUIN.

Tapi seul dans un coin ;

J’étais de la bataille, un paisible témoin

Quand, ce Chantre maudit, ce Lulliste barbare

M’aperçoit par malheur, et dit, ah ! le voilà

Cet Amphion en A, mi, la,

Qui de, nos démêlés, est la cause bizarre.

Assommons ce coquin. Aussitôt dit, aussitôt fait.

Il se jette sur moi comme un Tigre farouche.

Pour me justifier, je veux ouvrir la bouche :

Il me la ferme d’un soufflet.

Tout son parti l’imite, et me rosse à forfait.

LE MARQUIS.

Et le nôtre ? achevez, votre malheur me touche.

ARLEQUIN.

Il vole à mon secours, m’arrache de leurs mains,

Et m’élevant malgré leurs efforts inhumains

Sur ses bras, qui pour moi sont un Char de victoire,

Il me porte en triomphe, au milieu de Paris,

Jusques dans ce Palais, où quittant mes amis,

J’entre, chargé de coups, et tout couvert de gloire.

LE MARQUIS.

Se peut-il qu’on vous ait aussi peu respecté ?

Ah ! j’en rougis pour ma patrie !

LA FRIVOLITÉ, à Arlequin.

Quoi ? vous êtes, Monsieur, ce Fausset si vanté ?

ARLEQUIN.

Non, Madame, je suis une taille accomplie.

LE MARQUIS.

Chanteur, danseur, rimeur en même temps,

Il compose lui seul des Opéra burlesques,

Il fait des, vers Gascons, des airs Toscans

Madame, et des Ballets Teudesques.

ARLEQUIN.

J’en tiens ici de sûrs garants.

Voilà pour vous, Madame, une chanson d’élite.

Et voici pour nous trois un morceau triomphant.

LE MARQUIS.

Nous y parodions chacun un Instrument.

LA FRIVOLITÉ.

Pour assurer la réussite

Il faut l’accompagner d’un Ballet Allemand.

ARLEQUIN.

En attendant, Madame, un Danseur Moscovite.

LA FRIVOLITÉ chante.

Air.

Coumo l’ausel près ol niou,
Mon cor crido que fat pietat.
Auzi que sa piou, piou,
Per aber la libertat.

Trio.

LA FRIVOLITÉ.

Que la Vielle Instrument de ma Gloire,

La Flûte, le Basson, célèbrent ma Victoire.

LE MARQUIS et ARLEQUIN répètent ensemble.

Que la Vielle Instrument de ma Gloire,

La Flûte, le Basson, célèbrent sa Victoire.

Ils sortent tous trois à reculons en saluant le Public à la manière des Bouffons.

 

 

Divertissement

 

Le piou piou

 

Coumo l’auzel près dins un niou,
Mon cor crido que sa piétat,
Mon cor crido que sa piétat
Mon cor crido que sa piétat, que sa piétat
Mon cor crido que sa piétat que sa piétat :
Auzi que sa piou, piou, piou, piou, piou, piou
Per aber la libertat.
Auzi que sa piou, piou, piou, piou, piou, piou,
Per aber la libertat
Per aber la libertat
Per aber la libertat
Per aber la libertat.

Coumo l’auzel près dins un niou
Mon cor crido que sa piétat,
Mon cor crido que sa piétat, que sa piétat,
Mon cor crido que sa piétat, que sa piétat, piétat, piétat a que sa piétat.

 

Divertissement Allemand

 

Le Théâtre représente un jardin, une terrasse dans le fond, ornes de vases et de berceaux : des Allemands et des Allemandes paraissent en différentes attitudes, les hommes tenant des pots de bière, et les femmes des Wuiderkome[1]. Deux des Allemands descendent la terrasse par des escaliers qui font des deux côtés, et viennent chanter les Couplets suivants.

Les Paroles suivantes sont de Monsieur Favard.

Ah ! que c’est un blesseir télectaple,
Ah ! qu’il en toux te pousoir à taple,
Quand on unit Bachis et l’Amour.
Trinquier et zoupirer tour-à-tour.
L’Amour vainquier, de ma Catin
Coule en zon keir, A sec le fin :
Ah ! etc.

CHŒUR.

Ah ! qu’il est toux te pousoir à taple
Trinqueir et zoupirer tout-à-tour.

Second Couplet.

Soyès touchours en réchouissance,
Aimons, pusons, et faisons les fous :
Que chacun à l’envi chante et danse,
Tous les pleizirs seront avec nous ;
Que la quaité
La folupté,
Chasse d’ici,
Le noir souci.

Soyons toujours, etc.

Après ces Couplets les Allemandes commencent leurs danses ; les hommes boivent, une Allemande seule attire tous les hommes et les force à danser avec elle, après quoi succèdent plusieurs pas de deux. Une Allemande interrompt la danse par ses Couplets, ensuite elle en chante, en Duo avec un Allemande.

Un Amant
Allemand,
Franchement,
Constamment,
S’engage ;
Mais il rend son hommage.
Froidement :
Le François
À l’excès
Est ardent,
Inconstant,
Et volage,
Mais toujours amusant :
L’imposteur,
Est flatteur ;
Il trahit
Et séduit ;
Tout perfide qu’il est
Il plaît.
Lorsque ses feux
Sont heureux,
À d’autres vœux,
D’autres nœuds,
Il s’abandonne ;
Mais sitôt qu’il friponne,
L’on est deux.
Point de gêne,
De peine
De pleurs,
Tous les cœurs :
N’ont pour charme,
En France que des fleurs.

 

Vaudeville

 

En trio.

Chantons la gaieté,
Et la Frivolité.
Pour devenir un peuple agréable,
Que le goût Français soit imité.

Qu’un air engageant, un air affable
Nous tienne lieu de sincérité ;
Chantons, etc.

Qu’on traite de préjugé, de fable,
Tout ce qui gêne la liberté ;
Chansons, etc.

Trouvons tout divin ou misérable
En jugeant avec légèreté
Chantons, etc.

Que Thémis diète ses lois à table,
Ou dans l’alcôve une beauté
Chantons, etc.

Quittons le solide et le durable
Pour le clinquant de la nouveauté
Chantons, etc.

En France on préfère au raisonnable
L’enjouement et la vivacité
Chantons, etc.

Des grâces c’est le séjour aimable,
Les cœurs y perdent leur liberté.
Chantons, etc.

Que le Public nous soit favorable,
Si de notre Pièce il est flatté
Venez en gaieté
Voir la Frivolité.

Un Allemand vient inviter à danser la Frivolité ; Pas de deux, ensuite la contredanse générale, dans le goût Allemand, qui termine le Divertissement.


[1] Sorte de verre dans lequel les Allemands boivent.

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