La Désolation des filous sur la défense des armes (CHEVALIER)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée pour le première fois, à Paris, sur le Théâtre du Marais, en 1661.

 

Personnages

 

LA ROCQUE.

GUILLOT, son valet

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE, filou

LE COMTE DE PLUME SÈCHE, filou

LE MARQUIS DE MÂCHE À VIDE, filou

LE BARON DE LA TRISTE-FIGURE, filou

 

La Scène est dans la rue.

 

 

À MADEMOISELLE C. M.

 

MADEMOISELLE,

Vous serez surprise assurément, quand vous verrez que je vous dédie la Désolation des Filous, ou les Malades qui se portent bien, mais que cela ne vous surprenne point, puisque je ne vois pas à qui la mieux dédier qu’à vous, étant aussi grande voleuse, qui sont voleurs, et je pourrais même passer plus outre, en vous disant que vous volez tous les jours plus de cœurs, de franchises, de libertés, qu’il ne s’est fait de larcins depuis que le monde est monde ; de sorte MADEMOISELLE, que je souhaiterais que comme on m’a défendu de porter des armes, il eût été aussi possible de vous défendre de porter vos charmes, je ne serais pas si fort à plaindre que je suis, et l’on ne me verrait pas malade dans le moment que vous vous portez le mieux du monde, encor si mon mal vous pouvait toucher un peu, j’aurais quelque espèce de consolation, mais je crois que vous êtes de ces malades, qui se portent bien ; et que vous en ferez souffrir encor beaucoup avant que vous en ressentiez la moindre émotion, toutefois mon mal m’est si doux, que je l’endure avec patience, et pour vous le témoigner vous voyez bien que je ne fais point mentir le commun proverbe, qui dit qu’il faut faire le bien contre le mal, puisque je vous fais un présent dans le temps que vous me faites souffrir, cependant, MADEMOISELLE, je connais que j’ai tort de me plaindre de vous, voyant qu’alors que je vous aime, je ne fais que ce que je vois faire à toute la terre, pourquoi voudrais-je donc que vous eussiez plus pitié de moi que de tous les autres, non, non, je laisse tout à votre opinion, et me tiendrai trop heureux si vous daignez seulement agréer cette Comédie de la part de

Votre très humble, et très obéissant serviteur,

 

CHEVALIER.

 

 

Scène première

 

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE, LE MARQUIS DE MÂCHE À VIDE, LE COMTE DE PLUME SÈCHE, LE BARON DE LA TRISTE-FIGURE

 

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Quoique la défense soit faite

Des pistolets, et de la brette,

Qu’on ne porte plus d’arme à feu

Rêvons cherchons, voyons un peu,

Si nous trouverons l’industrie

Qu’il faut pour prolonger la vie,

Il est aisé de deviner

Qu’on ne peut vivre sans dîner,

Et l’homme est fort mal dans son centre

Quand il a la famine au ventre,

Donc si nous voulons l’éviter

Il faut tâcher d’escamoter,

Les premiers qui dans cette rue

Viendront paraître à notre vue,

Les armes étant sans crédit

Servons-nous de tout notre esprit,

L’esprit pour voler a des charmes

Qui valent parfois bien les armes.

LE MARQUIS DE MÂCHE À VIDE.

De quel air nous y prendrons-nous

Ce malheur me met en courroux,

Mon cher Comte de Plume Sèche

Dis de quel bois ferons-nous flèche.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Que diable sais-je de quel bois

Pour moi j’en suis presque aux abois,

La malencontreuse aventure

Baron de la Triste-Figure,

N’as-tu point quelque invention.

LE BARON DE LA TRISTE-FIGURE.

Que faire en cette occasion,

Sans armes je suis une bête.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Quoi tu n’aurais point en ta tête

Quelque moyen pour exceller

Dans l’exercice de voler,

Sans pistolet, et sans épée.

LE BARON DE LA TRISTE-FIGURE.

Mon âme en est préoccupée,

Et si je ne vois pas comment

Y réussir présentement,

Ah, que la faim me rend avide

Mais toi Marquis de la Mâche à Vide,

Ne sais-tu point quelque secret.

LE MARQUIS DE MÂCHE À VIDE.

Je suis au bout de mon rôlet,

Ventre, j’enrage, je déteste.

LE BARON DE LA TRISTE-FIGURE.

Que cette défense est funeste.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Ah, quelle malédiction.

LE MARQUIS DE MÂCHE À VIDE.

Ah, quelle désolation,

Quand j’y pense j’entre en furie

Mais Chevalier de l’Industrie,

Dont l’esprit est grand à tel point.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Messieurs ne vous affligez point,

Je ne suis pas encor si buse

Que je n’aie en moi quelque ruse,

L’industrie a mille secrets

Qui ne nous manquerons jamais,

Je possède les avantages

D’avoir bien fait des personnages,

Et m’en pique sans vanité

J’ai fait l’homme de qualité,

J’ai fait, et le brave, et l’illustre

Après cela j’ai fait le rustre,

J’ai fait le Postillon aux champs

Parfois un de ces gros marchands,

Puis j’ai fait l’Ecclésiastique

J’ai fait le courtaud de boutique

Étant dessus le grand chemin

J’ai fait le pauvre Pèlerin.

Pour vous exprimer mon mérite

J’ai même contrefait l’Hermite,

Ensuite, à mon retour d’Arras

J’y vendis de la mort aux rats.

Si bien qu’il n’est point de rubrique

Que je n’aie mis en pratique,

Je fus depuis solliciteur

Enfin je suis un grand acteur,

J’ai crié jusqu’à des oublies

Pour mieux faire mes fourberies,

En ce temps-là j’étais fort bien

J’étais tout, et ne suis plus rien,

Mais quoi la défense en est cause

Je veux être encor quelque chose,

Et vous faire avouer à tous

Que seul, je vaux tous les filous.

LE MARQUIS DE MÂCHE À VIDE.

Tu ne manques jamais d’adresse

Quand tu veux faire quelque pièce.

LE BARON DE LA TRISTE-FIGURE.

Il est vrai que le Chevalier

Est expert, en notre métier.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Expert, de notre art c’est la perle

La peste que c’est un fin merle,

C’est le plus adroit des Larrons.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Çà voyons ce que nous ferons,

Et tâchons tous à si bien faire

Que nous nous sortions de misère,

Ayez donc toujours l’œil sur moi

Et je vous promets sur ma foi,

Que mes soins et toutes mes veilles

S’en vont produire des merveilles,

Coulez-vous tous en quelque coin

Pour me secourir au besoin,

Surtout ayez en la mémoire

D’avoir quelque jaquette noire,

Que nos femmes, et nos valets

Dans cette Maison soient tout prêts,

Et que chacun de vous devine

Au moindre mot ou moindre mine,

Que votre esprit soit préparé

À tout ce que j’entreprendrai,

Mais j’entends quelqu’un qui s’avance

Cachez-vous avec diligence.

Les trois filous se cachent, et le Chevalier de l’Industrie écoute ce qui se dit.

 

 

Scène II

 

LA ROCQUE, GUILLOT

 

LA ROCQUE.

Hélas que je suis malheureux !

GUILLOT.

Qu’avez-vous ?

LA ROCQUE.

Je suis amoureux.

GUILLOT.

Est-ce un si grand malheur mon Maître.

LA ROCQUE.

Tout autant qu’il le saurait être,

Puisque je me vois maintenant

Fort amoureux et sans argent,

Peut-on voir un malheur semblable.

GUILLOT.

Il est vrai que c’est là le diable,

Car le plus parfait amoureux

N’est qu’une bête étant un gueux,

Quoi Monsieur au clair de la Lune

Espérez-vous faire fortune,

En courant comme un loup-garou

Sans savoir comment ni par où,

Vous achèverez votre course

Encor si votre pauvre bourse,

Avait le ventre bien enflé

Je serais un peu consolé,

Mais hélas Monsieur la pauvrette

Est si malingreuse et si nette,

Et dans un si piteux état

Que jamais rien ne fut si plat.

LA ROCQUE.

C’est là ce qui gêne mon âme

Parce qu’à l’objet qui m’enflamme,

Il doit faire voir ce trésor

Qu’on appelle la toison d’or,

Dont les machines sans pareilles

Passent pour autant de merveilles,

Nous venons de faire dessein

D’aller nous divertir demain,

À cette illustre Comédie.

GUILLOT.

Ce dessein est une folie

Comment vous êtes assez fol

Pour faire l’amour sans un sol,

Si vous aviez donc la pistole

Vous feriez diablement le drôle,

C’est avoir l’esprit bien gaillard

Qu’aimer quand on n’a pas le liard,

L’argent fait aller la cuisine

Vive l’amour pourvu qu’on dîne,

On fait mal le passionné

Alors que l’on n’a pas dîné,

De sorte que si bon vous semble

Nous resterons d’accord ensemble,

Que pour être amant sans chagrin

Il faut posséder le douzain,

Je nomme donc votre entreprise

Avec respect une sottise,

Comme vous savez comme Guillot

Qu’un pauvre homme n’est rien qu’un sot

Ainsi jugez ce que vous êtes

Aux entreprises que vous faites.

LA ROCQUE.

Cesse de me pousser à bout

Dis-moi peut-on songer à tout,

Se voyant prêt d’une maîtresse

Qui nous engage avec adresse,

À faire tout ce qui lui plaît,

Ah ! Si tu savais ce que c’est

Qu’aimer nous serions sans conteste.

GUILLOT.

Ah ! Monsieur je le sais de reste

Quoique je ne sois qu’un lourdaud.

J’aimerais peut-être ; et trop tôt,

Mais comme il faut être bien riche

Pour aimer, et n’être pas chiche,

Je quitte là le féminin

Pour ne m’attacher qu’au bon vin.

LA ROCQUE.

Ah ! Guillot si tu savais comme...

GUILLOT.

Mais Monsieur quel était cet homme,

Qui vous a naguère accosté

Quand de vous j’étais écarté.

Dont je n’ai pu par la distance

Avoir aucune connaissance,

À qui vous avez tant parlé.

LA ROCQUE.

Un savant qui m’a consolé,

Sans avoir l’heur de le connaître

Mais Guillot qui m’a fait paraître,

Tant d’esprit, et de jugement

Que j’en suis dans l’étonnement,

Et je n’aurai ni bien ni joie

Jusqu’à ce que je le revoie,

Ah ! Que sa conversation

M’a donné d’admiration,

Il s’est venu mettre en matière

De la plus aimable manière,

Que jamais aucun homme ait fait

Bref, c’est un homme si parfait,

Si charmant par son éloquence

Que je veux avoir connaissance,

De cet incomparable esprit,

Tu sauras Guillot qu’il m’a dit,

Mille choses touchant ma vie

Qui font admirer son génie,

Même il m’a promis en ce jour

Sur le sujet de mon amour,

Un moyen tout à fait extrême

Pour être aimé de ce que j’aime,

Conclusion, je le veux voir

Pour cela de tout mon pouvoir,

Je l’ai supplié plus d’une heure

De dire son nom, sa demeure,

Mais enfin tout notre entretien

S’est fini sans en savoir rien,

Je n’ai pu de lui rien apprendre

Sinon qu’il se doit venir rendre,

En quelque part autour d’ici

J’espère lui parler ainsi.

GUILLOT.

N’est-ce point quelque diable infâme

Qui tâche d’attraper votre âme,

Car assez souvent le démon

Prend justement l’occasion,

Que le malheur nous persécute

Afin de trouver chape-chute.

LA ROCQUE.

Tu me tiens un discours de fol.

GUILLOT.

Il pourrait vous tordre le col,

Le diable est une fine mouche.

LA ROCQUE.

Bref de la nuit je ne me couche,

Qu’après avoir entretenu

Cet habile homme comme j’ai vu,

Un désir curieux m’en presse

Et toi mets toute ton adresse,

À chercher sur ce diamant

Cinquante louis promptement,

Mais garde qu’on ne te le vole.

Il lui donne sa bague.

GUILLOT.

Au diablezot je suis un drôle,

Que l’on n’attrape pas ainsi

Pour fin je le suis Dieu merci,

Autant que filou puisse l’être

En subtilité, je suis maître,

Sachez que je ne suis pas niais

Et que je sais bien tous les biais,

Desquels on se sert pour la grippe

Je sais comme quoi l’on accipe,

Et je sais comme il m’en faut garder

Allez-vous en sans plus tarder,

Et me laissez seulement faire.

Il sort.

LA ROCQUE.

Adieu le ciel te soit prospère.

 

 

Scène III

 

GUILLOT, seul

 

Il me prend pour quelque innocent

J’en duperais moi seul un cent,

Et quand je veux faire un chef-d’œuvre

Je suis un fort rusé manœuvre ?

 

 

Scène IV

 

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE, GUILLOT

 

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Ah ! Votre serviteur mon bon.

GUILLOT, à part.

Voici quelque attrape-minon.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE, à part.

Il faut de vrai que je t’attrape.

GUILLOT, à part.

Il croit déjà mordre à la grappe,

Je suis le vôtre de bon cœur.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Ah ! Vous me faites trop d’honneur,

Et je vous en suis redevable

Mais comme je suis secourable,

Je viens ici pour votre bien.

GUILLOT.

Pour mon bien, vous ne tenez rien,

Si c’est mon bien, qui vous amène

Vous n’avez qu’à prendre la peine

Bientôt de vous en retourner.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

C’est tout à fait mal raisonner,

Par ce bien je crois faire entendre,

Que mon dessein est de vous rendre

Mon service, effectivement.

GUILLOT.

Je vous entends présentement,

Mais aux offres que vous me faites

Puis-je demander qui vous êtes.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Qui je suis, homme de savoir

Homme qui sait tout sans rien voir.

Qui sais et tout dire et tout faire

Enfin homme extraordinaire,

Je sais quel est votre souci

Et ce qui vous amène ici,

Je sais quelles sont toutes choses

Les effets de toutes les causes,

Je sais le présent l’avenir

Je sais les malheurs prévenir,

Je sais de plus que votre maître.

GUILLOT.

Mais quelqu’un vous l’a dit peut-être.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Sans me rien dire je sais tout.

GUILLOT.

Toutes choses de bout en bout.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Toutes les sciences sont nôtres.

GUILLOT.

Que diables savant donc les autres,

Quel métier est le vôtre, enfin.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Vous saurez que je suis devin.

GUILLOT.

De quel vin, du vin de Sancerre

De Chablis, de Beaune, d’Auxerre.

Car vous voyez un altéré

Qui boit comme un désespéré,

Quelque bon vin que j’aperçoive,

Il faut aussitôt que je le boive,

Et je vous vais boire des yeux

Si vous ne vous expliquez mieux,

Dépêchez donc car j’ai la mine.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

N’est-il pas devin qui devine,

Quoi suis-je un esprit mal tourné.

GUILLOT.

Ah ! Le bon métier de damné,

Car on ne peut sans diablerie

Sans sortilège et sans magie,

Nullement en venir à bout.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Ah ! Vous vous trompez, point du tout,

Ne montre-t-on pas la science

Qui nous donne la connaissance,

De ces choses sans nous damner.

GUILLOT.

Puisque vous savez deviner

Devinez un peu quelle affaire

Mon maître m’a chargé de faire.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Si vous en voulez voir l’effet

Vous serez bientôt satisfait,

Pour vous le dire en trois paroles

Vous cherchez cinquante pistoles,

Dessus un certain diamant

Parlai-je véritablement,

De plus il faut que je vous die

Que c’est pour voir la Comédie,

Où votre maître a fait dessein

De mener des Dames demain,

N’est-ce pas ce qui fait sa peine

Et ce qui dans ce lieu vous mène.

GUILLOT.

Parbleu vous l’avez deviné

Votre esprit est bien raffiné,

Pour savoir un secret semblable

Il faut du moins parler au Diable.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

C’est là mon moindre effort d’esprit.

GUILLOT.

Il faut que quelqu’un vous l’ait dit.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Quoi doutez-vous de ma science.

GUILLOT.

Vous en avez en abondance,

Et vous y savez triompher

Plus que tous les Diables d’Enfer.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Je veux vous indiquer un homme

Qui vous donnera votre somme,

Lorsque vous le désirerez.

GUILLOT.

Monsieur que vous m’obligerez,

Enseignez-le moi je vous prie,

Je suis à vous toute ma vie,

Que les affligés sont contents

Quand ils trouvent d’honnêtes gens,

Sans vous je ne savais que faire.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Appelons-le pour cette affaire,

C’est un homme de probité

Médecin expérimenté,

Rempli d’esprit et d’éloquence

Qui ne fait rien qui ne balance,

Mais pour vous servir promptement

Donnez-moi votre diamant,

Pour lui présenter à la vue.

GUILLOT, lui donne son diamant.

Savez-vous la porte, et la rue,

Car vous pourriez vous égarer

Peut-être en allant lui montrer.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Ah ! Non je ne suis pas personne

Qu’il faille qu’aucune soupçonne,

Je vous le rends de tout mon cœur.

GUILLOT, le refusant.

Non je suis votre serviteur,

Je n’y trouve rien à redire

Ce que j’en dis n’est que pour rire,

Et suis tellement innocent

Que même je veux être absent,

Alors que vous ferez la chose

Sur vous seul mon espoir repose,

Car vous ferez le tout fort bien

Sans que je me mêle de rien,

Votre nom Monsieur je vous prie.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Le Chevalier de l’Industrie.

GUILLOT.

Ce Gentilhomme est de renom

Car il s’appelle d’un beau nom.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE, appelant un autre filou en Médecin.

Holà Docteur Illustrissime

Vous peut-on dire un mot sans crime.

 

 

Scène V

 

LE COMTE DE PLUME SÈCHE en Médecin, LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE, GUILLOT

 

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Oui vous aurez attention

Honneur, salut dilection,

Désirez-vous quelque Ordonnance.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE, bas à Plume Sèche.

Voilà la fourbe qui s’avance,

Je tiens déjà le diamant

Amuse-le quelque moment,

Dis-lui s’il parle de pistoles

Que sa cervelle est des plus folles,

Car quittant tous deux, par malheur,

Peut-être il crierait au voleur,

Et n’ayant rien pour nous défendre

On nous pourrait aisément prendre,

Demeure donc, et ne crains rien

Je vais faire.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE lui parle à l’oreille.

Je t’entends bien.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Appelle-moi de ce nom drôle.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Va-t’en je jouerai bien mon rôle,

Fais-le-moi venir maintenant.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE, parlant à Guillot.

Allez recevoir votre argent.         

À part.

Moi je vais avec mon adresse

Travailler à finir la pièce.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

LE COMTE DE PLUME SÈCHE, GUILLOT

 

LE COMTE DE PLUME SÈCHE, à Guillot.

Monsieur approchez-vous de moi

Avant que d’entrer dans l’emploi,

Afin que l’on y remédie

Contez-moi votre maladie.

GUILLOT.

Moi Monsieur je me porte bien.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Ah ! Votre mal ne sera rien,

Pourvu que vous soyez docile

À prendre un remède facile,

Donc pour vous guérir proprement

On vous prépare un lavement,

Holà Monsieur l’Apothicaire

Que l’on apporte le clystère,

Il faut que cette injection

Prépare la purgation.

Un Apothicaire sort une Seringue à la main.

GUILLOT.

À quoi diable tout ce mystère

Ils me vont flûter le derrière,

Si je ne fais le résolu

Apothicaire malotru,

Vous me paierez cette folie.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Allons vite qu’on le lie,

L’Apothicaire lui donne le lavement dans le nez, et s’en va.

GUILLOT.

Ah ! Le chien de médicament

Ils m’ont fait boire un lavement,

Médecin que le Diable emporte

Me payerez-vous de cette sorte.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Ne songez point à ce métal

C’est ce qui fait tout votre mal.

GUILLOT.

Hélas tout ce qui fait ma peine

C’est que ma bourse n’est pas pleine,

Remplissez-la-moi promptement

Et j’oublierai le lavement,

Je pardonne à l’Apothicaire

L’affront qu’il a voulu me faire,

Mais qu’on me donne bien, et beau

Ou de l’argent ou mon Anneau.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Comme ce pauvre homme extravague.

GUILLOT.

Rendez-moi s’il vous plaît ma bague,

Ou bien me donnez de l’argent.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Ô bons Dieux, que son mal est grand,

Véritablement la folie

Est une étrange maladie.

GUILLOT.

Mes cinq cent livres s’il vous plaît

On vous paiera bien l’intérêt.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Qu’entends-je, hélas quelle boutade

Monsieur que vous êtes malade,

Tâchez de revenir à vous.

GUILLOT.

On me met donc au rang des fous,

Alors que mon bien je demande.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Que son extravagance est grande.

GUILLOT.

Quoi l’on traite d’extravagant

Quiconque emprunte de l’argent,

Que le Diable vous extravague

Si vous ne me rendez ma bague.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Ah ! Que son esprit est perdu.

GUILLOT.

Vous en avez menti cocu.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Chassez de votre fantaisie

Cette incommode frénésie,

Et rappelez votre raison.

GUILLOT.

La peste soit du vieux barbon,

Quoi Monsieur de la Médecine

Nous prendrons donc ici racine,

Çà délivrez-moi promptement

De l’argent ou mon diamant,

Et laissons-là l’extravagance.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Cet homme est plus mal qu’on ne pense,

Hélas ! Que j’ai pitié de lui

N’avez-vous rien pris d’aujourd’hui.

GUILLOT.

Non, mais je suis tout prêt à prendre

L’argent qu’on me fait tant attendre,

Ah ! Qu’on fait ici de façons

Donnez-moi tout en patagons,

En Louis ou bien en Louise

Pourvu que l’argent soit de mise,

En écus d’or, en écus blancs

En pièces de quarante francs,

Ou me le payez en monnoie

Je n’en aurai pas moins de joie,

Nous serons tous deux satisfaits.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Nous ne le guérirons jamais.

GUILLOT.

Voilà donc ta chanson première

Épouvantail de chènevière.

Comment nous ne conclurons rien.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Ah ! Que ne vous portez-vous bien.

GUILLOT.

Je me porte mieux que toi traître

Je l’enverrais volontiers paître,

Si je tenais mon diamant.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Il n’a plus aucun jugement.

GUILLOT.

Quoi donc nomme-t-on fol en France

Tous ceux qui n’ont point de finance,

Si celui qui n’a point d’argent

Passe pour être extravagant,

J’en vois bien à la Comédie

Malade de ma maladie,

Ah ! Médecin des Médecins

Guérissez-nous, nous serons sains.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Ah ! Je crois son mal incurable.

GUILLOT.

Et moi je crois ton âme au Diable,

En retenant présentement

Et l’argent, et le diamant,

Pourquoi le retiens-tu donc.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Parce...

GUILLOT.

Nous jouons ici quelque farce,

Personne, n’en saurait douter.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Je vais vous médicamenter,

Afin que votre mal s’apaise.

GUILLOT.

Cinq cent francs me feraient bien aise.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Votre bras, voyons votre pouls

S’il est, ou trop vite, ou trop doux.

GUILLOT.

Monsieur je n’ai ni poux ni puce

Feu ma mère qu’on nommait Luce,

Eut grand soin de me les tuer

Dépêchez donc d’effectuer,

Tous les effets de vos paroles

Me donnant cinquante pistoles.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Sans doute qu’il est aux abois.

GUILLOT.

Je ne veux que de l’or de poids.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Ah ! Pauvre tête sans cervelle

Comment est-ce qu’on vous appelle.

GUILLOT.

M’appeler je suis diligent

Quand c’est pour prendre de l’argent,

Il n’est pas besoin qu’on me huche

Vous me prenez pour une cruche ;

Me parlant de cette façon

J’irais dix ans pour un teston.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Ce n’est pas pour cela pauvre homme

Mais dites-moi comme on vous nomme.

GUILLOT.

De l’argent, mon nom est Guillot.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Votre nom est un nom bien sot,

Et je n’en vois point un si dogue

Au lieu de notre synagogue,

Pour en avoir un à gogo

On vous nommera virago.

GUILLOT.

Que m’importe comme on me nomme

Pourvu qu’on me donne ma somme.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Incontinent.

GUILLOT.

Dieu soit loué.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE appelle ses compagnons.

Je vais appeler Macaé,

Macaé la chandelle noire

Et le bonnet blanc comme ivoire,

Vous serez guéris des premiers.

GUILLOT.

Ah ! Ce sont ici des Sorciers,

On ne parle que de magie.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE lui donne une bougie, et lui donne un bonnet blanc en forme de pain de sucre.

Tenez en main cette bougie.

GUILLOT.

Moi pourquoi la tenir Monsieur.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Il le faut.

GUILLOT.

Ah ! Je meurs de peur.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Voici toute notre cabale.

GUILLOT.

Ou plutôt la troupe infernale.

 

 

Scène VII

 

Les trois autres filous viennent en robe noire, un bonnet blanc en forme de pain de sucre, et une bougie à la main, criant tous à la fois en tournant autour de Guillot, Virago, Macaé, Abdénago, et après avoir fait trois tours autour de lui, ils sortent et le laissent là, lequel demeure fort surpris.

 

 

Scène VIII

 

GUILLOT, seul planté tout droit, son bonnet en tête, et sa bougie en main

 

Ah ! Que d’inutiles paroles

Pour donner cinquante pistoles,

Comment loin de me les compter

On s’amuse à viragoter.

 

 

Scène IX

 

LA ROCQUE, GUILLOT

 

LA ROCQUE.

Enfin voici l’heure venue

Que je dois posséder la vue,

De cet homme tout merveilleux

Qui se doit trouver en ces lieux ;

Mais que vois-je, quelle figure

C’est Guillot, ah ! Quelle aventure,

Dis-moi que fais-tu là Mago

Tu ne réponds rien.

GUILLOT.

Virago.

LA ROCQUE.

Qu’est-ce que ce maraud veut dire

Je ne suis pas d’humeur de rire,

Ne fais pas ici l’enjoué Parle-moi juste.

GUILLOT.

Macaé.

LA ROCQUE.

Quoi l’insolence de ce traître

Va jusqu’à railler de son Maître.

GUILLOT.

Abdenago.

LA ROCQUE.

Dis promptement

Qu’as-tu fait de mon diamant.

GUILLOT.

Son diamant, quelle incartade

Monsieur que vous êtes malade,

Vous êtes à ce que je vois

Pour le moins aussi mal que moi.

LA ROCQUE.

Ma bague et point de raillerie.

GUILLOT.

À la méchante maladie,

Monsieur il faudrait y songer.

LA ROCQUE.

Tu me veux donc faire enrager,

Stupide et détestable bête

Si ma somme n’est toute prête,

Je te vais accabler de coups.

GUILLOT.

Mon maître et moi, sommes deux fous,

Chassons de démon d’avarice

Qui cause tout notre supplice,

Je suis un homme fort subtil

Depuis quand ce mal vous tient-il,

Présentement une saignée

Vous serait fort bien ordonnée,

Mais il vous faut auparavant

Un lavement dans le ponant.

Il lui tâte le pouls.

LA ROCQUE.

C’est trop, il faut perdre la vie.

GUILLOT.

Arrêtez là votre furie

Laissez-moi parler un moment

Et vous aurez contentement.

LA ROCQUE.

Armons-nous donc de patience,

Savoir ce que dit et pense

Ce pendard, ce maudit garçon.

GUILLOT.

Monsieur comment vous nomme-t-on.

LA ROCQUE.

Tu ne sais pas comme on m’appelle

La Rocque, tête sans cervelle

Patientons sans dire mot.

GUILLOT.

Votre nom est un nom bien sot

Et je n’en vois point un si dogue,

Au lieu de notre synagogue

Pour en avoir un à gogo,

On vous nommera virago.

LA ROCQUE.

Voyons si par ce qu’il veut faire,

Nous découvrirons le mystère.

GUILLOT, donne un bonnet et une bougie à son Maître comme à lui. Le regardant.

Mettez en tête ce bonnet,

Mon maître est beau marmouset,

S’il en fut jamais à la foire

Tenez cette chandelle noire.

LA ROCQUE.

Tenons et voyons-en l’effet.

Guillot, fait autour de son maître comme les Filous avaient fait autour de lui, disant les mêmes mots, Virago, Macaé, Abdénago.

LA ROCQUE, continue.

Et bien as-tu tout dit, tout fait

Si je n’apprends tes artifices,

Il faut qu’à présent tu périsses

Oui tu te vois voir à ta fin.

GUILLOT.

Monsieur suspendez mon destin,

Et je m’en vais tout vous apprendre,

Tantôt venant ici me rendre

Pour aller emprunter l’argent

Qu’il fallait sur ce diamant,

J’ai rencontré le plus brave homme

Qui soit de Paris jusqu’à Rome,

Monsieur c’est un homme divin

Il m’a dit qu’il était devin,

Cet esprit extraordinaire

Savait tout ce que j’allais faire,

Mais si bien qu’il me l’a tout dit

Ah ! Monsieur est un bel esprit,

On ne peut aller au contraire

Va je te ferai ton affaire,

M’a-t-il dit, car un Médecin

Qui demeure en ce lieu prochain,

Te donnera dessus ton gage

Ce que tu veux et davantage,

Là-dessus j’ai fort bonnement

Mis en ses mains mon diamant,

Et lui d’une voix argentine

Holà Docteur en médecine

Descendez un peu jusqu’en bas

Et puis s’étant parlé tout bas,

Ils se sont séparés l’un l’autre

En disant, Monsieur je suis vôtre,

Et moi croyant qu’au Médecin,

L’autre avait mis ma bague en main,

Monsieur votre nom je vous prie

Ai-je dit, Sieur de l’Industrie,

En partant a-t-il répondu.

LA ROCQUE.

Ah ! Mon diamant est perdu,

Maudit Chien que tu m’es funeste.

GUILLOT.

Écoutez, s’il vous plaît le reste,

Après Monsieur le Médecin

M’a dit que je n’étais pas sain,

Et qu’en un mot ma maladie

Était justement la folie,

Quand j’ai demandé de l’argent

Il m’a traité d’extravagant,

Enfin ce Médecin maussade

M’a dit que j’étais fort malade,

Et tout aussitôt ordonné

Qu’un lavement me fut donné,

Certain maudit apothicaire

M’est venu prendre par derrière ;

Et m’a voulu clystériser

Mais m’en voyant formaliser,

Il a crié, que l’on le lie

Pour le guérir de sa folie,

Pour apaiser son Vertigo

Qu’on fasse venir Virago,

Macaé, des noms de grimoire

Qui sont dans l’infernale Histoire

Si bien qu’il les a fait venir

Disant qu’il me voulait guérir,

Le Chevalier de l’Industrie

Était aussi de la partie,

Et là tous d’un ton enroué

Criaient Virago, Macaé,

Tournant autour de ma personne

Moi voyant cela je m’étonne,

Abdenago, le Chevalier

Se prêtaient tous deux le collier

Virago, Macaé ce semble

S’étendaient tout de même ensemble,

Ainsi Monsieur ils m’ont joué

Le Virago, le Macaé,

Le Médecin et l’Industrie

Étaient tous de la fourberie.

LA ROCQUE.

Ah ! C’en est trop maraud tais-toi,

Que je suis malheureux, suis-moi,

Allons chercher sans plus attendre,

Quelque ami pour les aller prendre.

 

 

Scène X

 

Les Filous : LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE, LE MARQUIS DE MÂCHE À VIDE, LE COMTE DE PLUME SÈCHE, LE BARON DE LA TRISTE-FIGURE

 

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Et bien ai-je subtilement

Escamoté le diamant,

Messieurs qui ne vous en déplaise

J’entends et le pair et la presse,

Et je suis peut-être un des adroits

Qui soit parmi les fins matois.

LE COMTE DE PLUME SÈCHE.

Moi Médecin d’apprentissage

Ai-je mal fait mon personnage.

LE BARON DE LA TRISTE-FIGURE.

Et quand mon rôle j’ai joué

N’ai-je pas bien fait Macaé.

LE MARQUIS DE MÂCHE À VIDE.

Messieurs ; puisque chacun se loue

Dans le personnage que je joue,

Sans dire pâle Matago

J’ai fort bien joué Virago, Paix-là.

 

 

Scène XI

 

LA ROCQUE, LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE, GUILLOT, et un de ses amis

 

LA ROCQUE.

Furetons dans ces rues

Ce sont ici les avenues,

Où nous pourrons prendre au collet

Ceux qui m’ont volé mon valet,

Mais gardons-nous de nous méprendre

Un rare esprit me doit attendre,

En quelque part autour d’ici

Et je pense que le voici,

Monsieur, la rencontre agréable

Mon bonheur n’a point de semblable,

De vous trouver au rendez-vous.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Ah ! Le mien est beaucoup plus doux

Mais trêve de galanterie.

GUILLOT, lui regardant au nez.

Ah ! Chevalier de l’Industrie,

Qui m’avez pris mon diamant

Rendez-le tout présentement,

Autrement devin qui devine

On vous donnera sur l’échine.

LA ROCQUE.

Guillot, en es-tu bien certain.

GUILLOT.

Oui Monsieur, c’est notre devin.

LA ROCQUE.

Allons vite qu’on me le rende.

GUILLOT.

Puis après il faut qu’on le pende.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Monsieur traitez-moi doucement

Vous l’aurez tout présentement.

LA ROCQUE.

Dépêchons donc et sans mystère.

LE CHEVALIER DE L’INDUSTRIE.

Le voilà, mais Monsieur j’espère,

Un pardon.

GUILLOT.

Le Chevalier de l’Industrie s’enfuit.

Gardez-vous-en bien

Il faut qu’il ait du ros de Chien,

Ah ! Vous aurez de la batille

La malepeste comme il drille,

Mais puisqu’il ne nous nous manque rien

Les malades se portent bien,

Allons voir nos chères poupines

Et les menons voir les Machines.

PDF