La Devineresse (Thomas CORNEILLE - Jean DONNEAU DE VISÉ)

Comédie en cinq actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel Guénégaud, le 19 novembre 1679.

 

Personnages

 

MADAME JOBIN, devineresse

DUCLOS, associé de madame Jobin

M. GOSSELIN, frère de madame Jobin

DAME FRANÇOISE, vieille servante de madame Jobin

MATHURINE, autre servante de madame Jobin

LA COMTESSE D’ASTRAGON, aimée du Marquis

LE MARQUIS, amant de la Comtesse, et aimé de ma dame Noblet

MADAME NOBLET

M. DE LA GIRAUDIÈRE

LA MARQUISE, aimée du Chevalier

LE CHEVALIER, amant de la Marquise

MADEMOISELLE DU BUISSON, suivante de la Comtesse

M. GILET, bourgeois de Paris

MADAME DES ROCHES

MADAME DE CLÉRIMONT

M. DE TROUFIGNAC, gentilhomme périgourdin

MADAME DE TROUFIGNAC, sa femme

UNE PAYSANNE

 

La scène est chez madame Jobin.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

DUCLOS, MADAME JOBIN

 

DUCLOS.

La chose ne pouvait tourner plus heureusement, et j’espère que nous mettrons enfin votre incrédule monsieur de la Giraudière à la raison. La précaution que vous eûtes hier, de faire dire que vous étiez allée en ville, quand il vint vous demander pour savoir ce que sont devenus ses pistolets, m’a donné le temps de les faire peindre, aussi bien que la table du cabinet où ils doivent être trouvés. J’ai fait plus, j’ai attrapé le portrait de ce M. de Valcreux qui a pris les pistolets, et qui ne les a pris que parce qu’il est persuadé que l’autre ne manquera pas à vous venir demander raison du prétendu vol. Le bon est qu’il croit avoir fait le coup si secrètement que, si vous le devinez, il vous croira la plus grande sorcière du monde. Ainsi vous vous allez mettre en crédit auprès de l’un et de l’autre ; et cela, grâce à mon adresse et à mes soins, qui me donnent de bons espions partout.

MADAME JOBIN.

Eh ! M. Duclos, vous n’y perdez pas. Je vous paie bien, et depuis que je vous ai mis en part avec moi, vous n’êtes plus si.

DUCLOS.

Mon Dieu ! ne parlons point de cela. C’est assez que nous nous trouvions bien l’un de l’autre, et que le grand nombre de dupes qui vous viennent tous les jours établisse votre réputation de tous côtés.

MADAME JOBIN.

Il n’y a que ce diable de la Giraudière qui me décrie. Quoique je lui aie dit des choses assez particulières touchant le passé, et que je lui aie prédit l’avenir le plus juste que j’ai pu par rapport à son humeur, il ne se rend point, et soutient toujours que je ne sais rien.

DUCLOS.

C’est un impertinent ; car, quoiqu’il ne se trompe pas, la vérité n’est pas toujours bonne à dire. Si vous n’êtes pas sorcière, vous avez l’esprit de le paraître, et c’est plus que si vous l’étiez en effet.

MADAME JOBIN.

Mathurine est admirable pour faire tomber les gens dans le panneau. Elle affecte un air innocent qui leur fait croire cent contes qu’elle invente pour les duper.

DUCLOS.

Je l’ai toujours dit, Mathurine est un trésor. Mais, je vous prie, comment va le mariage que la dame jalouse veut empêcher ? Les trois cents louis qu’elle vous promet si son amant n’épouse point la comtesse d’Astragon, sont-ils bien comptés ?

MADAME JOBIN.

Nous avons déjà assez attrapé de son argent, pour nous tenir assurés du reste si le mariage ne se fait pas. Les malheurs que j’en ai prédits à la Comtesse, qui est ma dupe depuis longtemps, l’en ont déjà fort dégoûtée. Elle doit revenir ici pour savoir l’effet d’un prétendu entretien que je dois avoir avec l’esprit familier que je lui ai dit qui m’instruit de tout ; et ce qu’il y a d’avantageux, c’est qu’elle me paie pour cela, comme la dame jalouse me paie pour un charme qui empêche son amant de se marier.

DUCLOS.

Eh ! vous n’êtes pas la seule qui preniez de l’argent des deux côtés. J’en sais qui n’en font aucun scrupule, et qui ne laissent pas de se dire gens de bien.

MADAME JOBIN.

Ne nous mêlons point des autres, ne songeons qu’à nous. Avez-vous ici ce que vous faites peindre pour l’affaire des pistolets ?

DUCLOS.

La Giraudière n’a qu’à venir. Tout est prêt, comme je vous ai dit.

MADAME JOBIN.

Allez. J’aperçois la suivante de notre Comtesse.

Duclos sort.

 

 

Scène II

 

MADEMOISELLE DU BUISSON, MADAME JOBIN

 

MADAME JOBIN.

Qu’y a-t-il, mademoiselle Du Buisson ?

MADEMOISELLE DU BUISSON.

Ah ! madame Jobin, me voilà tout essoufflée. Je suis vite accourue chez vous par la petite porte de derrière, pour vous dire que ma maîtresse vient vous trouver.

MADAME JOBIN.

Que rien ne vous embarrasse. Je suis préparée sur ce que j’ai à lui dire ; et, crédule comme je la connais, elle sera bien hardie si elle se marie après cela.

MADEMOISELLE DU BUISSON.

Oui, mais vous ne savez pas que le Marquis, qu’elle ne serait pas fâchée d’épouser, vient avec elle vêtu en laquais. Comme elle l’assure de consentir à le rendre heureux s’il la peut convaincre que ce que vous débitez n’est que tromperie, il s’est résolu à ce déguisement pour éprouver si votre diable pourra vous en découvrir quelque chose. Tenez-vous sur vos gardes là-dessus.

MADAME JOBIN.

Je suis ravie de savoir ce que vous m’apprenez. Fiez-vous à moi, rompons l’affaire, il y a cinquante pistoles pour vous.

MADEMOISELLE DU BUISSON.

Quand il n’y aurait rien à gagner pour moi, je crois servir ma maîtresse en travaillant contre le Marquis. Il me semble qu’elle ne sera point heureuse avec lui.

MADAME JOBIN.

Est-il des maris qui puissent rendre une femme heureuse ? Il ne faut pas être plus grande sorcière que moi pour dire une vérité en prédisant des malheurs à ceux qui ont l’entêtement de se marier.

MADEMOISELLE DU BUISSON.

Il se trouve de bons maris ; il n’y a qu’à mettre le temps à les bien chercher.

MADAME JOBIN.

C’est à dire que vous n’y renoncez pas.

MADEMOISELLE DU BUISSON.

Eh ! je crois qu’un bon mari est quelque chose de bon.

MADAME JOBIN.

Sans doute. Et notre Comtesse ? Elle ne se défie point de notre commerce ?

MADEMOISELLE DU BUISSON.

Le moyen ? Je lui ai toujours parlé contre vous. Je lui soutiens tous les jours qu’il n’y a que le hasard qui vous fasse quelquefois dire la vérité ; et quand, pour me convaincre d’erreur, elle m’oppose les choses les plus particulières de sa vie, qu’elle prétend que vous avez devinées, elle n’a garde de s’imaginer que c’est par moi que vous les savez. À propos, j’allais oublier de vous avertir qu’après vous avoir parlé présentement à visage découvert, elle doit venir ici tantôt masquée. Je la dois accompagner, masquée comme elle. Je vous serrerai la main, ou ferai quelque autre signe, afin que vous nous connaissiez. Ne manquez pas à lui prédire les mêmes malheurs.

MADAME JOBIN.

Je ferai la sorcière comme il faudra.

 

 

Scène III

 

MADAME JOBIN, MADEMOISELLE DU BUISSON, MATHURINE

 

MADAME JOBIN.

Qu’est-ce, Mathurine ?

MATHURINE.

C’est votre Comtesse.

MADEMOISELLE DU BUISSON.

Je me sauve par la petite porte dérobée, et vous rendrai compte de tout ce que j’aurai entendu dire à son retour.

MADAME JOBIN.

Fais-la attendre ici, Mathurine, et lui dis que je me suis enfermée pour quelque temps.

MATHURINE.

Je suis bien bête, mais il en est encore de bien plus bêtes que moi. Combien de médisances on fait tous les jours du Diable ! On le fait se mêler de mille affaires, où il a bien moins de part que je n’y en ai.

 

 

Scène IV

 

LA COMTESSE, LE MARQUIS, vêtu en laquais, tenant la queue de la Comtesse, MATHURINE

 

LA COMTESSE.

Que fait madame Jobin ?

MATHURINE.

Oh ! madame, il faut que vous attendiez un peu, s’il vous plaît.

LA COMTESSE.

Quelqu’un est-il avec elle ?

MATHURINE.

Non, mais elle s’est renfermée là-haut dans sa chambre noire. Elle a pris son grand livre, s’est fait apporter un verre plein d’eau, et je pense que c’est pour vous qu’elle travaille.

LA COMTESSE.

J’aurai patience. Fais, je te prie, quand elle sortira, que je sois la première à qui elle parle.

Mathurine s’en va.

 

 

Scène V

 

LA COMTESSE, LE MARQUIS

 

LA COMTESSE.

En vérité, M. le Marquis, je souffre beaucoup à vous voir dans cet équipage. Si quelqu’un venait à vous découvrir, que dirait-on ?

LE MARQUIS.

Ne vous inquiétez point pour moi. Je me suis fait apporter en chaise à trois pas de chez madame Jobin. Je vous ai joint à sa porte, et, m’en retournant avec la même précaution, je ne cours aucun péril d’être vu. Il est vrai, madame, que vous m’auriez épargné ce déguisement, si vous donniez moins dans les artifices de votre devineresse, qui ne vous dit toutes les fadaises qui vous font peur, que pour attraper votre argent.

LA COMTESSE.

Vous me croyez donc sa dupe ?

LE MARQUIS.

Est-ce que vous ne lui donnez rien ?

LA COMTESSE.

Il faut bien que chacun vive de son métier.

LE MARQUIS.

Le métier est beau de parler au Diable, selon vous s’entend, madame, car je ne suis pas persuadé que le Diable se communique aisément. À dire vrai, j’admire la plupart des femmes. Elles ont une délicatesse d’esprit admirable ; ce n’est qu’en les pratiquant qu’on en peut avoir, et elles ont le faible de courir tout ce qu’il y a de devins.

LA COMTESSE.

Vous les croyez donc tous des fourbes ?

LE MARQUIS.

Fourbes de profession, qui ne savent rien, et qui éblouissent les crédules.

LA COMTESSE.

Mais, je vous prie, par quel intérêt madame Jobin me voudrait-elle empêcher de vous épouser ?

LE MARQUIS.

Que sais-je, moi ? J’ai quelque rival caché qui me veut détruire, et je ne puis comprendre comment vous souffrez, vous, que votre suivante, mademoiselle Du Buisson, ait plus de force d’esprit que vous. Elle vous dit tous les jours que vous venez consulter une ignorante, et, si vous l’en vouliez croire, vous vous moqueriez de ses extravagantes prédictions.

LA COMTESSE.

Du Buisson est une folle. Il m’est arrivé des choses qu’il n’y a qu’elle au monde qui sache, et madame Jobin nous les a dites de point en point. Je ne sais, après cela, comment Du Buisson peut être incrédule.

LE MARQUIS.

Le hasard l’a pu faire rencontrer heureusement.

LA COMTESSE.

Enfin, M. le Marquis, vous croirez d’elle ce qu’il vous plaira. Je vous aime, et il n’y aura jamais que vous qui me puissiez faire renoncer à l’état de veuve ; mais, après les vérités qu’elle m’a dites cent fois, je la dois croire, et ne prétends point me rendre malheureuse en vous épousant. Vous voyez que je n’oublie rien de ce que je puis faire pour vous. Je l’ai priée d’examiner plus précisément de quel genre de malheur je suis menacée, et si c’est une fatalité qu’on ne puisse vaincre. Ma résolution dépend de ce qu’elle me dira, à moins que vous ne me fassiez connaître qu’elle est une fourbe, et que tout ce qu’elle sait n’est qu’artifice.

LE MARQUIS.

J’en viendrai à bout, madame, et vous en allez avoir le plaisir. Ne manquez point à lui demander de mes nouvelles, je suis sûr que son diable n’en sait point assez pour lui apprendre mon déguisement.

LA COMTESSE.

Il ne lui parle pas toujours quand elle veut, et elle a besoin quelquefois de plusieurs jours pour le conjurer.

LE MARQUIS.

Voilà l’adresse. Elle prend du temps pour s’informer de ce qui lui est inconnu, et elle vous dira que je me serai déguisé quand elle aura pu le découvrir. Et la Giraudière, qui vint chez vous hier au soir ! croyez-vous qu’elle lui fasse retrouver ses pistolets ?

LA COMTESSE.

Pourquoi non ?

LE MARQUIS.

Il ne le croit pas, lui.

LA COMTESSE.

Quand elle ne lui dira point qui les a pris, je ne la croirai pas fourbe pour cela. Est-elle obligée de tout savoir ? Il me semble que c’est bien assez qu’elle ne dise jamais rien que de véritable.

LE MARQUIS.

Je me rends, madame, et je crois présentement madame Jobin la plus grande magicienne qui fut jamais ; car, à moins qu’elle ne vous eût donné quelque charme, vous n’entreriez pas si obstinément dans son parti. Pour moi, je ne sais plus ce qu’il faut faire pour vous détromper.

LA COMTESSE.

Ce qu’il faut faire ? Il faut me faire connaître que, dans les choses extraordinaires qu’elle fait, il n’y a rien de surnaturel, et que je les pourrais faire moi même, si j’avais l’adresse d’éblouir les gens.

LE MARQUIS.

C’est assez ; je trouverai moyen de vous contenter.

LA COMTESSE.

Taisons-nous, elle descend, et je crois l’entendre.

 

 

Scène VI

 

LA COMTESSE, LE MARQUIS, MADAME JOBIN

 

MADAME JOBIN, à Mathurine.

Faites entrer ces dames dans l’autre chambre, j’irai leur parler incontinent.

LA COMTESSE.

Eh bien ! ma chère madame Jobin, as-tu fait de ton mieux pour moi ?

MADAME JOBIN.

Madame, vous ne songez pas que votre laquais est là. Sors, mon ami. Il faut qu’un laquais demeure à la porte.

LA COMTESSE.

Laisse-le ici, je te prie. Quoique je me fie à toi, je mourrais de peur si j’étais seule, et il me faut toujours quelqu’un pour m’assurer.

MADAME JOBIN.

Que n’amenez-vous quelque demoiselle ? J’en aime rois mieux dix qu’un seul laquais. Ce sont de petits esprits qui jasent de tout ; et puis, comme je fais pour vous ce que je me fais presque pour personne, je n’aimerais pas qu’on dit dans le monde que je me mêle de plus que de regarder dans la main.

LA COMTESSE.

C’est un laquais d’une fidélité éprouvée. Ne crains rien de lui. Qu’as-tu à me dire ? Je tremble que ce ne soit rien de bon. J’en serais au désespoir ; car je t’avoue que j’ai le cœur pris.

MADAME JOBIN.

Je n’ai pas besoin que vous me l’avouiez pour le savoir. Mais plus vous avez d’amour, plus cet amour vous doit engager non-seulement à n’épouser pas un homme qui ne peut que vous rendre malheureuse, mais à lui conseiller de ne se marier jamais, car il n’y a rien que de funeste pour lui dans le mariage.

LA COMTESSE.

Que me dis-tu là ? Quoi ! les choses ne se peuvent détourner ?

MADAME JOBIN.

Non ; hasardez si vous voulez, c’est votre affaire. Quand vous souffrirez, vous ne vous en prendrez point à moi.

LA COMTESSE.

Mais encore, explique-moi quelle sorte de malheur j’ai à redouter.

MADAME JOBIN.

Il est entièrement attaché à celui que vous aimez. S’il se marie, il aimera sa femme si éperdument, qu’il en deviendra jaloux à l’excès.

LA COMTESSE.

La jalousie n’est point dans son caractère.

MADAME JOBIN.

Il sera jaloux, vous dis-je, et si fortement, qu’il ne laissera aucun repos à sa femme. C’est là peu de chose, voici le fâcheux. Il tuera un homme puissant en amis, qu’il trouvera un soir causant avec elle ; on l’arrêtera, et il perdra la tête sur un échafaud.

LA COMTESSE.

Sur un échafaud ! Cela est fait, je ne l’épouserai jamais.

MADAME JOBIN.

Ce malheur ne lui est pas seulement infaillible en vous épousant, mais encore en épousant toute autre que vous : c’est à vous à l’en avertir, si vous l’aimez.

LA COMTESSE.

Il ne faut point qu’il songe à se marier. Sur un échafaud ! Quand il serait le mari d’une autre, j’en mourrais de déplaisir. Mais tout ce que tu me dis est-il bien certain ?

MADAME JOBIN.

Je l’ai découvert par des conjurations que je n’avais jamais faites : j’en ai moi-même tremblé, car il est quelquefois dangereux d’arracher les secrets de l’avenir ; mais je vous l’avais promis, et j’ai voulu tout faire pour vous.

LA COMTESSE.

Quel malheur pour moi de l’avoir aimé ! Je ne l’épouserai point, j’y suis résolue. Mais, dis-moi, me pourrais-tu satisfaire sur une chose ? Je voudrais savoir ce qu’il fait présentement.

MADAME JOBIN.

Que gagnerais-je à vous dire ce que vous croiriez que je n’aurais deviné que par hasard ? Apparemment il ne fait rien d’extraordinaire, et il n’est pas difficile de s’imaginer ce qu’un homme fait tous les matins.

LA COMTESSE.

N’importe ; cela me contentera, et je serai plus ferme à te croire, s’il demeure d’accord d’avoir fait ce que tu m’auras dit de lui.

MADAME JOBIN.

Seriez-vous femme à ne vous point effrayer ?

LA COMTESSE.

Peut-être.

MADAME JOBIN.

Vous n’avez qu’à éloigner ce laquais, vous verrez de vos propres yeux ce que fait présentement votre amant ; mais ne tremblez pas, car celui que je ferai paraître d’abord est un peu terrible.

LA COMTESSE.

Comment ? Le Diable ! La seule pensée me fait mourir de frayeur.

MADAME JOBIN.

Il n’est point méchant, il ne faut qu’avoir un peu d’assurance.

LA COMTESSE.

Je vous remercie de votre Diable ; je ne voudrais pas le voir pour tout ce qu’il y a de plus précieux au monde.

MADAME JOBIN.

Je retourne donc dans ma chambre, et viendrai vous dire ce que j’aurai vu.

Elle sort.

 

 

Scène VII

 

LE MARQUIS, LA COMTESSE

 

LE MARQUIS.

Eh ! madame, que ne l’engagiez-vous à faire paraître son Diable ? Elle vous aurait manqué de parole, ou je vous aurais fait connaître la tromperie.

LA COMTESSE.

Comment ! vous vous seriez résolu à le voir ?

LE MARQUIS.

Assurément.

LA COMTESSE.

Mais elle voulait qu’on vous mît dehors, et j’aurais été la seule qui l’aurais vu.

LE MARQUIS.

N’est-ce pas là une conviction de la fourbe ? Il ne lui faut que des femmes, et un laquais même lui est suspect.

LA COMTESSE.

Vous pouvez garder votre esprit fort ; j’aurai toujours de l’estime et de l’amitié pour vous, mais vous avez beau m’accuser d’être trop crédule, je ne vous mettrai jamais en état de tuer un homme pour moi, ni d’avoir la tête coupée.

LE MARQUIS.

Est-il possible que vous donniez croyance à de pareils contes ?

LA COMTESSE.

Vous n’êtes donc pas persuadé qu’elle m’ait dit vrai ?

LE MARQUIS.

Point du tout. Elle a ses fins que je ne puis deviner, et je garderai ma tête longtemps si elle ne tombe que par ses prédictions.

LA COMTESSE.

Au nom de tout l’amour que vous m’avez témoigné, ne vous mariez jamais.

LE MARQUIS.

Quelle prière !

LA COMTESSE.

Je le vois bien : vous ne serez convaincu de ce qu’elle sait que lorsque vous aurez vu un homme mort à vos pieds. Du moins ce ne sera pas moi qui en serai cause.

LE MARQUIS.

Vous me feriez perdre patience. Je tuerai un homme, moi qui n’eus jamais envie de tuer, parce que votre devineresse l’a prédit ? Fadaise, madame, fadaise ; c’est une ignorante qui ne sait autre chose que tromper ; et il est bien injuste que vous me rendiez malheureux, parce qu’elle vous dit des extravagances.

LA COMTESSE.

Il faut vous entendre dire, c’est une ignorante ; mais si elle peut découvrir que vous vous êtes déguisé pour venir chez elle, que direz-vous ?

LE MARQUIS.

Elle ne le découvrira point.

LA COMTESSE.

Je le crois ; mais enfin si cela arrive, me promettez-vous de ne vous marier jamais ?

LE MARQUIS.

Et si elle ne le découvre point, me promettez-vous de m’épouser ?

LA COMTESSE.

C’est autre chose. L’esprit familier qu’elle consulte n’est pas toujours en humeur de lui parler.

LE MARQUIS.

Elle a raison, madame : vous fermez les yeux, et elle est en droit de vous faire croire ce qui lui plaira.

LA COMTESSE.

Je vous l’ai dit dès l’abord : montrez-moi qu’elle me fait croire des faussetés.

LE MARQUIS.

J’en viendrai à bout. Son diable n’est peut-être pas si fin qu’on ne trouve moyen de l’attraper.

LA COMTESSE.

Mettez-vous plus loin ; j’entends descendre quelqu’un.

 

 

Scène VIII

 

LA COMTESSE, LE MARQUIS, MADAME JOBIN

 

MADAME JOBIN.

J’ai d’étranges nouvelles à vous apprendre.

LA COMTESSE.

Quelles, je vous prie ? Ne me faites point languir.

MADAME JOBIN.

J’ai vu votre amant.

LA COMTESSE.

Eh bien ?

MADAME JOBIN.

Il faut qu’il ait quelque grand dessein, car il était vêtu en laquais, parlant d’action à une dame.

LA COMTESSE.

Qu’est-ce que j’entends ? à une dame ! vêtu en laquais !

MADAME JOBIN.

Il vous le niera ; mais soutenez-lui fortement que cela est, car il n’y a rien de plus certain.

LA COMTESSE.

Je vous crois ; vous ne m’avez jamais rien dit que de véritable.

MADAME JOBIN.

Ils se parlaient de côté en se regardant, et cela est cause que je n’ai pu distinguer les traits de l’un ni de l’autre.

LA COMTESSE.

C’en est assez, je ne vous demande rien davantage pour aujourd’hui ; je suis si troublée, que je ne sais pas trop bien ce que je vous dis.

MADAME JOBIN.

Une autre fois, madame, ne m’amenez plus de laquais.

LA COMTESSE.

À demain le reste. Je n’ai pas la force de vous dire un mot.

Elle sort avec le Marquis.

 

 

Scène IX

 

MADAME JOBIN, DUCLOS

 

MADAME JOBIN.

Le coup a porté ; la Comtesse sort tout interdite.

DUCLOS.

Je l’ai entendue de ce cabinet. Continuez ; je me trompe fort si les trois cents pistoles ne sont à nous. La voilà entièrement dégoûtée du mariage ; songeons seulement à nous tenir sur nos gardes, car le Marquis, enragé de ce qu’elle refuse de l’épouser, emploiera tout pour découvrir notre fourbe, et soit par lui, soit par quelque intrépide qu’il enverra, vous aurez de puissants assauts à soutenir.

MADAME JOBIN.

Je m’en tirerai ; nous avons déjà fait d’autres merveilles.

 

 

Scène X

 

MADAME JOBIN, DUCLOS, MATHURINE

 

MATHURINE.

Madame, voilà une façon de bourgeois qui vous demande.

DUCLOS.

Comment est-il fait ?

MATHURINE.

Il est en manteau, vêtu de noir, de moyenne taille, un peu gros.

DUCLOS.

Je me remets dans ma niche : c’est assurément le brave de volonté dont je vous parlais tantôt. Si c’est lui, je viendrai jouer ma scène ; vous en serez beaucoup mieux payée.

MADAME JOBIN, à Mathurine.

Dis-lui qu’il monte, je l’attendrai.

Duclos et Mathurine sortent.

 

 

Scène XI

 

MADAME JOBIN

 

Dieu merci, je ne manque pas d’exercice, et il me vient tous les jours de nouveaux chalands. Cependant je me trouve sorcière à bon marché. Trois paroles prononcées au hasard en marmottant sont mon plus grand charme, et les enchantements que je fais de mandent plus de grimaces que de diableries.

 

 

Scène XII

 

M. GILET, MADAME JOBIN

 

M. GILET.

Bonjour, madame. On dit que vous savez tout ; si cela est, vous connaissez ma maîtresse.

MADAME JOBIN.

De quoi s’agit-il ?

M. GILET.

Il s’agit qu’elle m’aimait autrefois un peu. Je ne suis pas mal fait, non, et je lui disais de petites choses qui avaient bien de l’esprit.

MADAME JOBIN.

Je n’en doute point.

M. GILET.

J’eusse bien voulu me marier avec elle ; mais depuis que certaines gens qui ont vu des sièges et des combats lui en content, vous diriez qu’elle a honte de me regarder. Je m’aperçois bien qu’ils se moquent de moi avec elle, et j’ai quelquefois de grandes tentations de me fâcher ; mais comme je n’ai jamais été à l’armée, j’ai tant soit peu de crainte d’être battu, et cela est cause que je ne dis mot.

MADAME JOBIN.

C’est être prudent. Mais que n’allez-vous faire une campagne ? vous seriez en droit de parler aussi haut qu’eux.

M. GILET.

Oui, mais.

MADAME JOBIN.

J’entends, vous n’avez point de courage.

M. GILET.

Pardonnez-moi, j’en ai autant qu’on en peut avoir : quand quelqu’un m’a joué un tour, je suis des six mois sans lui parler, et j’ai la fermeté de bien tenir mon courage.

MADAME JOBIN.

Je le crois. Vous le tenez peut-être si bien que vous ne le laissez jamais paraître.

M. GILET.

Je suis naturellement porté à la guerre, et il ne se passe point de nuit que je ne me batte en dormant : je fais des merveilles, et il n’y a pas encore trois jours que m’étant armé de pied en cap dans ma chambre, je fus charmé de ma mine martiale en me regardant dans un miroir. Je m’escrimai ensuite, deux heures durant, contre tous les personnages de la tapisserie, et je sens bien que je chamaillerais vertement contre des gens effectifs ; mais il y a une petite difficulté qui m’arrête.

MADAME JOBIN.

Quelle ?

M. GILET.

Un coup de canon ou de mousquet ne regarde point où il va, et blesse un homme de cœur comme un autre ; cela est impertinent, et je ne sache rien de plus fâcheux pour un brave.

MADAME JOBIN.

À dire vrai, il n’y a point de plaisir à être blessé, et je ne saurais blâmer les gens qui ont peur de l’être.

M. GILET.

Vous voyez bien qu’avoir peur comme je l’ai, ce n’est point là manquer de courage.

MADAME JOBIN.

Au contraire, c’est être capable des grandes choses, que de prévoir le péril ; mais comment vous guérir de cette peur ?

M. GILET.

N’avez-vous pas des secrets pour tout ?

MADAME JOBIN.

Mais encore, que voudriez-vous qu’on fît pour vous ?

M. GILET.

Pas grand’chose, et cela ne vous coûtera presque rien : vous n’avez qu’à faire que jamais je ne puisse être blessé ; et quand je ne craindrai rien, on verra que je serai brave comme quatre.

MADAME JOBIN.

Oh ! cela ne va pas si vite que vous pensez. Jamais blessé !

M. GILET.

Mon Dieu ! c’est une bagatelle pour vous.

MADAME JOBIN.

J’ai quelques secrets, je vous l’avoue, mais il y a de certaines choses difficiles.

M. GILET.

Difficiles ! Vous vous moquez. Combien voit-on de gens charmés à la guerre ? Sans cela seraient-ils si sots que d’aller présenter le ventre aux coups de mousquet ? Parlez franchement, madame Jobin, il y en a bien de votre façon ?

MADAME JOBIN.

Je ne vous déguise pas que j’ai des amis en ce pays-là ; ils ne se sont pas mal trouvés de mon secret ; mais comme il est rare, il coûte un peu cher.

M. GILET.

Ne vous inquiétez point pour l’argent : je suis fils d’un gros bourgeois qui a des pistoles par monceaux ; il s’appelle Christophe Gilet, et si, par votre moyen, je pouvais mettre en crédit le nom des Gilets, fiez vous à moi, je vous ferais riche.

MADAME JOBIN.

Vous avez une physionomie qui m’empêche de vous refuser. J’ai ce qu’il vous faut ; mais au moins n’en parlez à qui que ce soit.

M. GILET.

Je n’ai garde. On croirait que je n’aurais point de courage, quoique j’en aie autant qu’il m’en faut.

MADAME JOBIN.

Holà ! qu’on m’apporte une de ces épées qui sont dans mon cabinet. Elle est enchantée : il ne m’en restera plus que deux, et il me faut plus de six mois à les préparer.

M. GILET.

Et quand je l’aurai, ne faudra-t-il plus que j’aie peur ?

MADAME JOBIN.

Si on vous dit quelque chose de fâcheux, vous n’aurez qu’à la tirer, et incontinent vous ferez fuir ou vous désarmerez vos ennemis.

M. GILET.

La bonne affaire ! Si cela est, je ne craindrai rien, et vous aurez de la gloire à m’avoir fait brave.

MADAME JOBIN.

On ne parlera que de votre intrépidité. La voilà : tenez, quand vous vous trouverez en occasion de dégainer, mettez les quatre premiers doigts sur le dessus de la garde, et serrez le dessous avec le petit doigt. Tout le charme consiste en cela.

M. GILET.

Est-ce de cette façon qu’il faut qu’on la tienne ?

MADAME JOBIN.

Un peu plus vers le milieu. Serrez ferme ; il ne se peut rien de mieux.

M. GILET, allongeant avec l’épée nue.

Ah ! Vous voyez bien que je me suis exercé. Est-ce savoir allonger ?

MADAME JOBIN.

Quand vous ne feriez que frapper votre ennemi à la jambe, le coup irait droit au cœur.

M. GILET.

Et vous m’assurez que je ne serai point tué ?

MADAME JOBIN.

Non, je vous garantis plein de vie, tant que vous tiendrez votre petit doigt de la manière que je vous l’ai montré. Mettez-la à votre côté. Vous prendrez un habit sans manteau, quand vous serez retourné chez vous.

M. GILET.

Oh ! Il ne tiendra pas à l’habit qu’on ne me craigne.

 

 

Scène XIII

 

M. GILET, MADAME JOBIN, DUCLOS

 

MADAME JOBIN.

Où allez-vous, monsieur ? On ne monte point ici sans faire avertir.

DUCLOS.

J’ai à vous parler.

MADAME JOBIN.

Et moi je ne suis pas en humeur de vous entendre.

DUCLOS.

Je suis pressé, et il faut que je vous parle présentement. Monsieur n’a qu’à sortir, s’il lui plaît.

M. GILET.

Il ne me plaît pas, moi.

À part.

Il me semble que j’ai un peu de peur.

DUCLOS.

Je le trouve drôle avec son épée et son manteau.

MADAME JOBIN, à M. Gilet.

Ne prenez pas garde.

DUCLOS.

Mon petit bourgeois, savez-vous que je vous ferai sauter la montée ?

M. GILET.

Peut-être.

À part.

Courage ! Gilet, courage !

MADAME JOBIN.

Mais j’ai une affaire à vider avec monsieur.

DUCLOS.

Je m’en moque.

M. GILET.

Si je n’étais plus sage que vous.

DUCLOS.

Comment ?

MADAME JOBIN, à Duclos.

Point de bruit. Entrons là-dedans ; monsieur voudra bien attendre.

DUCLOS.

Non, je veux rester ici ; et si ce visage de courtaud ne sort tout à l’heure, je m’en vais le jeter par les fenêtres.

M. GILET.

Si je m’échauffe.

À part.

Épée enchantée, je me recommande à toi.

DUCLOS.

Que dis-tu entre tes dents ?

M. GILET.

Ce qu’il me plaît.

DUCLOS, lui donnant un soufflet.

Ce qu’il te plaît ?

M. GILET, à part.

Ne te laisse pas insulter, Gilet.

DUCLOS.

Je pense que tu veux mettre l’épée à la main.

M. GILET, à part.

Ferme. Le petit doigt sous la garde.

MADAME JOBIN, à M. Gilet.

Eh ! monsieur, vous m’allez perdre. Faites-lui grâce, je vous en prie.

M. GILET.

Non, il faut. Poltron, tu recules ! Voilà ton épée qui tombe. Tu vois, je t’ai désarmé, et il ne tient qu’à moi de te tuer.

MADAME JOBIN.

Ne le faites pas. Vous l’avez vaincu ; c’est assez de gloire pour vous.

DUCLOS.

J’enrage. Mon épée m’échapper des mains !

M. GILET.

La veux-tu reprendre ? Je ne crains rien, moi ; et je suis tout prêt à recommencer.

MADAME JOBIN.

Non pas, s’il vous plaît. Donnez-moi l’épée, je vous la rendrai après que monsieur sera parti.

M. GILET.

Qu’il revienne donc, car je veux qu’il sorte dans le même instant.

DUCLOS.

Adieu, nous nous reverrons.

M. GILET.

Quand tu voudras ; mais je t’avertis que si je te sangle le moindre coup, il ira droit au milieu du cœur.

Duclos s’en va.

 

 

Scène XIV

 

M. GILET, MADAME JOBIN

 

M. GILET.

Que je suis heureux ! Mon épée, ma chère épée, il faut que je te baise et rebaise.

MADAME JOBIN.

Êtes-vous content de moi ?

M. GILET.

Si je le suis, madame Jobin ? Vous êtes la reine des femmes. Voilà ma bourse, prenez ce qu’il vous plaira, je ne vous saurais trop bien payer.

MADAME JOBIN.

Je ne cherche qu’à obliger les honnêtes gens, et je n’ai jamais rançonné personne. Vous agissez si franchement avec moi, que trente louis me suffiront. Je ne veux rien de vous davantage.

M. GILET.

Trente louis ! En voilà quarante, en dix belles pièces : j’en aurais donné volontiers deux cents. Quand on m’a rendu un service, je n’ai jamais de regret à l’argent.

MADAME JOBIN.

Je suis fâchée que vous ayez reçu un soufflet ; mais...

M. GILET.

Cela n’est rien, et puis ce n’est point la faute de l’épée. Je vois bien que si je l’eusse tirée plus tôt, on ne m’aurait point donné le soufflet.

MADAME JOBIN.

Assurément.

M. GILET.

Comme je vais tenir tête à mes petits messieurs les fanfarons qui se mêlent de me railler !

MADAME JOBIN.

Écoutez, M. Gilet, si vous m’en croyez, vous ne tirerez point l’épée ici. Outre que ce serait une nouveauté qui donnerait lieu de soupçonner quelque chose, vous ne manqueriez point à tuer quelqu’un, et un homme tué met les gens en peine.

M. GILET.

Vous avez raison.

MADAME JOBIN.

Il vaut mieux que vous alliez à l’armée. Vous tuerez là autant d’ennemis que vous voudrez ; et comme les belles actions sont aisées à faire quand on ne court aucun risque, dès votre première campagne vous pouvez devenir mestre de camp.

M. GILET.

Mestre de camp !

MADAME JOBIN.

La fortune est belle.

M. GILET.

Je n’en serai point ingrat. Comment ! on verrait le nom de Gillet dans la gazette ? Que de joie pour mon bonhomme de père ! Je cours trouver mon tailleur. Il a toujours des habits tout prêts, et je brûle de me voir en brave.

MADAME JOBIN.

Vous paraîtrez un vrai Mars.

M. GILET.

Je le crois. Mais voici un homme qui entre bien brusquement. Voulez-vous que je le fasse sortir ?

 

 

Scène XV

 

LA GIRAUDIÈRE, M. GILET, MADAME JOBIN

 

LA GIRAUDIÈRE.

Me faire sortir, moi ?

M. GILET.

Hé !

LA GIRAUDIÈRE.

Comment, hé ? Quelle figure est-ce là ?

M. GILET, touchant son épée.

Figure ! Si l’épée joue son jeu...

MADAME JOBIN, à M. Gilet.

Sortez. Voulez-vous le tuer sans qu’il se défende ? Vous savez qu’il lui est impossible de vous résister.

M. GILET.

À l’armée ! Mestre de camp ! Serviteur.

Il sort.

 

 

Scène XVI

 

LA GIRAUDIÈRE, MADAME JOBIN, MATHURINE

 

LA GIRAUDIÈRE.

Jouez-vous ici la comédie ?

MADAME JOBIN.

C’est un fou qui m’étourdit, il y a une heure, de ses visions. Mais, je vous prie, que venez-vous faire chez moi ? Je suis toute surprise de vous y voir.

LA GIRAUDIÈRE.

J’ai une chose à vous demander.

MADAME JOBIN.

À moi ! À une ignorante ! Vous savez bien que je ne sais rien, et vous le dites partout.

LA GIRAUDIÈRE.

Si vous me parlez juste sur un vol qui m’a été fait depuis deux jours, je vous promets de ne dire jamais que du bien de vous.

MADAME JOBIN.

On vous a donc volé quelque chose ?

LA GIRAUDIÈRE.

Oui, une paire de pistolets, qui sont les meilleurs du monde, et que je voudrais avoir rachetés le double de ce qu’ils m’ont coûté. Faites-les moi trouver ; je suis à jamais de vos amis.

MADAME JOBIN.

Moi ? je ne suis point assez habile pour faire retrouver les choses perdues.

LA GIRAUDIÈRE.

Mes pistolets, je vous en conjure.

MADAME JOBIN.

Comment pourrais-je vous dire où ils sont ? Je me mêle de la bonne aventure, comme beaucoup d’autres qui sont aussi ignorantes que moi ; mais faire retrouver des pistolets !

LA GIRAUDIÈRE.

Voulez-vous être toujours en colère ?

MADAME JOBIN.

Vous le mériteriez bien. Qu’on m’apporte un bassin plein d’eau. Un verre me suffirait, mais je veux que vous voyiez vous-même les choses distinctement ; et afin que vous ne croyiez pas que j’aie aucun intérêt à vous éblouir, je vous déclare que je ne veux point de votre argent.

LA GIRAUDIÈRE.

Je sais comme il faudra que j’en use.

MADAME JOBIN.

Voici ce qu’il faut.

Bas à Mathurine.

Est-on là tout prêt.

MATHURINE, bas.

Parlez hardiment, rien ne manquera.

MADAME JOBIN.

Approchez. Regardez dans ce bassin. Ne voyez-vous rien ?

LA GIRAUDIÈRE.

Non.

MADAME JOBIN.

Penchez vous de la manière que je fais, et regardez fixement sans détourner les yeux du bassin. Ne voyez vous rien ?

LA GIRAUDIÈRE.

Rien du tout.

MADAME JOBIN.

Rien du tout ? Il faut donc que vous ne regardiez pas bien, car je vois quelque chose, moi.

LA GIRAUDIÈRE.

Vous voyez ce qu’il vous plaît, mais cependant c’est moi qui dois voir.

On laisse tomber un zigzag du haut du plancher qui tient une toile sur laquelle sont peints deux pistolets sur une table.

Ah ! je commence. Oui, je vois mes pistolets, ils sont sur la table d’un cabinet où il me semble être quelquefois entré. Je... je ne vois plus rien ! Où diable faut-il que je les aille chercher ? Je ne puis me remettre le cabinet.

MADAME JOBIN.

Il me semble que j’ai assez fait pour vous, de vous faire voir le lieu où vous trouverez vos pistolets.

LA GIRAUDIÈRE.

J’aimerais bien mieux que vous m’eussiez fait voir le voleur. Je ne serais point en peine de les retirer.

MADAME JOBIN.

J’ai commencé, et il ne faut pas faire les choses à demi pour vous. Regardez encore dans le bassin ; mais n’en détournez pas la vue, car la figure de celui qui a pris vos pistolets n’y paraîtra qu’un moment. Que voyez-vous ?

LA GIRAUDIÈRE.

Rien encore.

Le même zigzag fait voir un portrait.

Ah ! je vois... c’est Valcreux, un de mes plus intimes amis. Je lui cachai une épée il y a quelque temps, il a voulu à son tour me faire chercher mes pistolets. Je cours chez lui.

MADAME JOBIN.

Vous y pouvez aller en toute assurance. L’épreuve que je viens de faire n’a jamais manqué.

LA GIRAUDIÈRE.

Vous ne perdrez rien à ce que vous aurez fait pour moi. J’ai du crédit, et ce ne vous sera pas peu de chose d’avoir converti un incrédule de mon caractère.

Il sort.

 

 

Scène XVII

 

MADAME JOBIN, MATHURINE

 

MADAME JOBIN.

Voilà qui va bien. Il semble à demi gagné, et s’il peut une fois l’être tout à fait, il voit la Comtesse, et je ne doute point que ce qu’il lui dira de l’incident du bassin ne la confirme dans l’entêtement où elle est de mon prétendu savoir. Tandis que j’ai un moment à moi, il faut aller donner ordre à ce qui doit éblouir les autres dupes qu’on m’a promis de m’amener aujourd’hui.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

MADAME JOBIN, MADAME NOBLET

 

MADAME JOBIN.

Je vous suis bien obligée, madame, de toutes vos libéralités. Je me sens portée d’inclination à vous servir, et quand.

MADAME NOBLET.

Non, madame Jobin, ce que je viens de vous donner ne sera compté pour rien, et les trois cents louis ne vous en seront pas moins payés, si le mariage que je vous ai priée de rompre ne se fait point.

MADAME JOBIN.

J’ai travaillé de tout mon pouvoir.

MADAME NOBLET.

J’en suis convaincue. J’ai de fidèles espions chez le Marquis. Ils m’ont dit que la Comtesse lui a déclaré qu’elle ne l’épouserait jamais ; et je vois bien que c’est là l’effet du charme que vous m’aviez promis d’employer.

MADAME JOBIN.

Il est bien fort ; et s’il peut le vaincre, il faut que son étoile ait bien du pouvoir.

MADAME NOBLET.

Que ce commencement me donne déjà de joie ! Je ne me sens pas ; et si j’empêche le Marquis de se marier, je me tiendrai la plus heureuse femme du monde.

MADAME JOBIN.

Je vous l’ai promis : vous serez contente.

MADAME NOBLET.

En vérité, madame Jobin, il y va de votre intérêt de m’obliger. Vous m’avez assuré il y a longtemps que mon vieux mari mourrait avant qu’il fût peu. Le Marquis m’a trouvé de l’esprit, et quelque mérite ; j’ai pris plaisir à le voir ; je l’ai aimé sans lui en rien dire, parce que j’ai cru être bientôt en état de pouvoir disposer de ma personne, et vous êtes la seule cause de cet amour. Il s’est rendu si puissant, que la perte du Marquis serait pour moi le plus cruel de tous les malheurs. Le mariage de la Comtesse accommode ses affaires ; et quand il m’en parle, il me siérait mal de lui faire voir que je suis jalouse, puis que, mon bonhomme vivant toujours, il n’y a aucune prétention qui me soit permise ; mais enfin, sur ce que vous m’avez dit bien des fois, je me flatte de jour en jour qu’il mourra, et dans la pensée que le Marquis n’aura aucune répugnance à m’épouser, je ne puis souffrir qu’il pense à une autre. Rompez ce malheur, je vous en prie. Il y va de ce que je puis avoir de plus cher, puisqu’il y va de tout mon repos. Comme il ne me croit que son amie, il ne me soupçonne pas d’agir contre lui.

MADAME JOBIN.

Il n’a garde de vous soupçonner. Quel intérêt croirait-il que vous y prissiez ? Votre vieux grison ne décampe point. Cependant vous pouvez être son amante en tout honneur, car je vous réponds du veuvage dans quelques mois.

MADAME NOBLET.

C’est pour cela. Nous n’avons qu’un peu de temps à gagner. Je me tiens sûre qu’il me préférerait à toute autre ; mais il n’y a pas moyen de s’expliquer avant d’être veuve.

MADAME JOBIN.

Dormez en repos. Je prends l’affaire sur moi, tôt ou tard je la ferai réussir.

MADAME NOBLET.

N’épargne rien, je te prie, ma chère madame Jobin. Je n’aurai point de fortune qui ne soit à toi.

MADAME JOBIN.

Mon Dieu, ce n’est point par intérêt. Quand une femme a eu quelque temps l’incommodité d’un vieux barbon, il est bien juste de lui aider à se marier selon son cœur.

MADAME NOBLET.

Adieu, quelqu’un entre ; nous en dirons davantage la première fois.

Elle sort.

 

 

Scène II

 

MADAME JOBIN, M. GOSSELIN

 

MADAME JOBIN.

Que demandez-vous, monsieur ? Mais que vois-je ! Est-ce que mes yeux me trompent ? Non. Quoi ! mon frère, après dix années d’absence.

M. GOSSELIN.

Ne m’approche pas, tu m’étoufferais peut-être en m’embrassant, ou tu me ferais entrer quelque démon dans le corps.

MADAME JOBIN.

Un démon, moi ?

M. GOSSELIN.

Tu en sais bien d’autres.

MADAME JOBIN.

Me voilà en bonne réputation auprès de vous ; mais encore, qui vous a donné cette pensée ?

M. GOSSELIN.

Qui me l’a donnée ? Tous ceux qui ont été ici seulement deux jours, et qui reviennent ensuite au pays. On n’y parle d’autre chose que des diableries dont tu te mêles, et on ne veut plus me laisser procureur fiscal, parce qu’on dit que je suis le frère d’une sorcière.

MADAME JOBIN.

Nous viderons cet article. Laissez-moi cependant vous embrasser.

M. GOSSELIN.

Ne m’embrasse pas, te dis-je ; je ne veux non plus de toi que du diable, à moins que tu ne renonces à toutes tes sorcelleries. C’est de quoi je me suis chargé de te prier au nom d’une famille que tu déshonores.

MADAME JOBIN.

Que vous êtes un pauvre homme !

M. GOSSELIN.

Tu devines bien, je suis un pauvre homme. J’ai des procès qui me ruinent, et je suis venu à Paris en poursuivre un qui peut-être me mettra à la besace.

MADAME JOBIN.

Eh bien ! mon frère, il faut faire solliciter pour vous : j’ai de bons amis.

M. GOSSELIN.

Je n’ai que faire de toi, ni de tes amis.

MADAME JOBIN.

Voilà comme sont la plupart des hommes : ils donnent dans toutes les sottises qu’on leur débite ; et, quand une fois ils se sont laissé prévenir, rien n’est plus capable de les détromper. Voyez-vous, mon frère, Paris est le lieu du monde où il y a le plus de gens d’esprit, et où il y a aussi le plus de dupes. Les sorcelleries dont on m’accuse, et d’autres choses qui paraîtraient encore plus surnaturelles, ne veulent qu’une imagination vive pour les inventer, et de l’adresse pour s’en bien servir. C’est par elles que l’on a croyance en nous. Cependant la magie et les diables n’y ont nulle part. L’effroi où sont ceux à qui on fait voir ces sortes de choses les aveugle assez pour les empêcher de voir qu’on les trompe. Quant à ce qu’on vous aura dit que je me mêle de deviner, c’est un art dont mille gens qui se livrent tous les jours entre nos mains nous facilitent les connaissances. D’ailleurs, le hasard fait la plus grande partie du succès dans ce métier. Il ne faut que de la présence d’esprit, de la hardiesse, de l’intrigue, savoir le monde, avoir des gens dans les maisons, tenir registre des incidents arrivés, s’informer des commerces d’amourettes, et dire sur tout quantité de choses quand on vous vient consulter. Il y en a toujours quelqu’une de véritable, et il n’en faut quelquefois que deux ou trois dites ainsi par hasard pour vous mettre en vogue. Après cela, vous avez beau dire que vous ne savez rien, on ne vous croit pas, et bien ou mal on vous fait parler. Il se peut faire qu’il y en ait d’autres qui se mêlent de plus que je ne vous dis ; mais, pour moi, tout ce que je fais est fort innocent. Je n’en veux à la vie de personne ; au contraire, je fais du plaisir à tout le monde ; et, comme chacun veut être flatté, je ne dis jamais que ce qui doit plaire. Voyez, mon frère, si c’est être sorcière qu’avoir de l’esprit, et si vous me conseilleriez de renoncer à une fortune qui me met en pouvoir de vous être utile.

M. GOSSELIN.

Tu as bonne langue, et, à t’entendre, il n’y a point de diablerie dans ton fait ; mais je crains bien.

MADAME JOBIN.

Écoutez, mon frère, n’en croyez que vous. Demeurez seulement un jour avec moi, et vos yeux vous éclairciront de la vérité. Vous allez même en avoir le plaisir tout présentement. Cachez-vous.

Gosselin entre dans un cabinet.

 

 

Scène III

 

MADAME JOBIN, UNE PAYSANNE

 

LA PAYSANNE.

Bonjour, madame. Est-ce vous qui savez tout, et qui s’appelle madame Jobin ?

MADAME JOBIN.

Oui, mamie, c’est moi.

LA PAYSANNE.

Je vous prie, madame, de me donner vite ce que je vous viens demander, car il faut que je m’en retourne trouver ma tante qui m’attend chez son mari qui sert chez une des plus grandes marquises de la cour. Je lui ai dit que j’allais voir ma cousine qui nourrit un enfant dans ce quartier, et je suis vitement accourue ici.

MADAME JOBIN.

Eh bien ! qu’est-ce que vous voulez ?

LA PAYSANNE.

Ce que je veux ?

MADAME JOBIN.

Oui.

LA PAYSANNE.

Oh ! me v’là bien chanceuse. Parce que je suis villageoise, vous ne voulez rien faire pour moi.

MADAME JOBIN.

Non, ma mie ; je ferai autant pour vous que je ferais pour une princesse.

LA PAYSANNE.

Faites-le donc, je vous prie.

MADAME JOBIN.

Vous ne m’avez pas dit ce que vous voulez.

LA PAYSANNE.

Je vois bien qu’on m’a trompée. Je croyais que c’était à madame Jobin que je parlais.

MADAME JOBIN.

Je suis madame Jobin.

LA PAYSANNE.

Vous n’êtes donc point celle qui devine ?

MADAME JOBIN.

Je suis celle qui devine.

LA PAYSANNE.

Si vous l’étiez, vous auriez déjà deviné ce que je veux ; car, voyez-vous, la madame Jobin que je veux dire, al’ devine tout. J’ai vu quelquefois de bien grandes dames chez le seigneur de notre village, et comme je suis curieuse, je venais écouter ce qu’ils disaient, et ils disaient que vous deviniez tout.

MADAME JOBIN.

Ils disaient vrai : il n’y a rien que je ne devine.

LA PAYSANNE.

Que ne devinez vous donc pour moi ? Je ne vous demande pas ça pour rien, et vous êtes assurée que je vous paierai ; car, comme vous savez tout, vous savez bien que quelqu’un m’a donné de l’argent sans l’avoir dit à ma mère.

MADAME JOBIN.

Eh ! oui, je le sais bien, et que ce quelqu’un là vous aime.

LA PAYSANNE.

Ah ! vous avez deviné, et puisque vous le savez, vous savez le reste.

MADAME JOBIN.

Oui, je sais le reste, et que vous aimez ce quelqu’un.

LA PAYSANNE.

Est-ce qu’il ne faut pas l’aimer, puisqu’il m’aime ? Il me le dit tous les jours pus de cent fois ; il se lamente, il fait de grands soupirs, et dit qu’il mourra si je ne lui donne mon amiquié ; et comme il est un fort beau jeune monsieur, je ne voudrais pas être cause de sa mort.

MADAME JOBIN.

Il y aurait de la cruauté. Mais que faites-vous pour l’empêcher de mourir ?

LA PAYSANNE.

Eh ! je lui dis que je l’aime.

MADAME JOBIN.

Et ne faites-vous rien davantage ?

LA PAYSANNE.

Dame, il n’y a encore que deux jours que je lui ai dit, car je voulais savoir s’il m’aimait du bon du cœur ; mais quand je lui dis ça, il est si aise, si aise !

MADAME JOBIN.

Je le crois ; il vous trouve bien gentille ?

LA PAYSANNE.

Oh ! oui. Il m’appelle sa petite bouchonne, et me dit tant de jolies petites choses !

MADAME JOBIN.

Voilà qui va bien, pourvu...

LA PAYSANNE.

Il m’a promis qu’il m’épousera...

MADAME JOBIN.

Et quand ?

LA PAYSANNE.

Vous le savez bien, et c’est pour ça que je viens ici.

MADAME JOBIN.

Écoutez, ma fille, n’allez pas lui rien accorder que vous ne soyez sa femme.

LA PAYSANNE.

J’érois pourtant bien envie de lui pouvoir accorder ce qu’il me demande.

MADAME JOBIN.

Gardez-vous-en bien.

LA PAYSANNE.

Pourquoi ? il n’y a pas de mal à ça. Presque toutes les grandes dames en ont, et toutes les grandes filles de notre village ; et je venais vous prier de m’en faire avoir aussi.

MADAME JOBIN, à part.

Je suis à bout, je ne sais plus par où m’y prendre. J’aurais plutôt fait donner une personne d’esprit dans le panneau.

LA PAYSANNE.

Combien faut-il que je vous donne pour ça ? S’il les faut payer par avance, j’ai apporté une pièce d’or.

MADAME JOBIN.

Je sais fort bien ce que vous souhaitez avoir, et je m’en vais vous le dire si vous voulez.

LA PAYSANNE.

Et je vous en prie.

MADAME JOBIN.

Oui, mais je ne pourrai plus rien faire pour vous, car, quoique je devine tout, il faut que les gens qui me demandent quelque chose me le disent eux-mêmes, afin de montrer le consentement qu’ils y apportent.

LA PAYSANNE.

Je vous dirai c’est ça, après que vous me l’érez dit. N’est-ce pas tout un ?

MADAME JOBIN.

Il y a bien de la différence.

LA PAYSANNE.

Je n’oserais vous le dire. Faites queuque chose pour l’amour de moi. Tenez, v’là ma pièce d’or, je vous la donne putôt tout entière.

MADAME JOBIN.

Ne craignez rien. Personne ne nous entend.

LA PAYSANNE.

Je suis trop honteuse. Rendez-moi ma pièce, j’aime mieux n’en point avoir.

MADAME JOBIN.

De quoi dites-vous que vous aimez mieux ne point avoir ?

LA PAYSANNE.

Je dis que j’aime mieux ne point avoir de tétons que d’en demander.

MADAME JOBIN.

Voilà ce que c’est. Ce sont des tétons que vous demandez ; et dès que je vous ai vue, je mourais d’envie de vous en promettre ; mais pour vous en faire venir, il fallait vous entendre prononcer le mot. Ce n’est pas pourtant un mot si terrible à dire.

LA PAYSANNE.

Je le dis bien quand je suis toute seule aveuc Bastiane. Ils commencent déjà à lui pousser.

MADAME JOBIN.

Allez, ma fille ; avant qu’il soit trois ou quatre mois, assurez-vous que vous aurez des tétons.

LA PAYSANNE.

Quoi ! j’en érai ? Que me v’là aise ! Je n’ai donc pus guère de temps à n’être point mariée, car le fils du seigneur de notre village m’a dit qu’il m’épouserait dès que j’en érois.

MADAME JOBIN.

Revenez dans cinq ou six jours, je vous donnerai des biscuits que je ferai faire, car il faut du temps et de l’argent pour cela ; et dès que vous en aurez mangé, vos tétons commenceront à grossir.

LA PAYSANNE.

On disait bien que vous étiez une bien habile madame. Adieu, je vous remercie ; je ne donnerai de mes biscuits à personne. Si mes compagnes ont de ce qu’ils me feront venir, ce ne sera toujours qu’après moi.

Elle sort.

 

 

Scène IV

 

LE CHEVALIER, MADAME JOBIN

 

MADAME JOBIN.

Ah ! monsieur le Chevalier.

LE CHEVALIER.

Je regardais une fort agréable paysanne qui sort.

MADAME JOBIN.

Vous le voyez, j’ai commerce avec toute sorte de monde. Mais qu’avez-vous donc fait depuis si longtemps ?

LE CHEVALIER.

J’ai été jaloux comme le diable, et aussi malheureux que vous l’aviez prédit.

MADAME JOBIN.

Le métier d’amant est un peu rude.

LE CHEVALIER.

La jeune veuve dont je vous ai dit que j’étais si amoureux, après m’avoir donné force assurances de sa tendresse, s’est avisée de recevoir des visites qui m’ont chagriné. J’en ai soupiré, je m’en suis plaint ; ces marques d’amour ont passé chez elle pour tyrannie. Elle en a vu mes rivaux encore plus souvent ; et enfin, par le conseil d’une de ses parentes qui est dans mes intérêts, j’ai voulu voir si, en m’éloignant, je ne lui ferais point changer de conduite. Je lui ai marqué que je partais pour me mettre dans l’impossibilité de l’accabler de mes plaintes ; la fierté l’a empêchée de me retenir. Je suis parti en effet ; et, après avoir passé deux jours à vingt lieues d’ici, où plusieurs personnes qui lui écrivent m’ont vu, je suis revenu en secret, et je demeure caché à Paris depuis six jours, afin qu’elle me croie toujours à la campagne. La chose a réussi comme nous l’avions pensé. Mon absence lui a fait peine ; elle voit mes rivaux et plus rarement et plus froidement, et souhaite d’autant plus mon retour, que la parente dont je vous ai parlé l’a piquée à son tour de jalousie. Elle lui a fait croire que, pour me consoler de mes chagrins, je pourrais bien voir quelque aimable personne au lieu où elle me croit, et en devenir amoureux. Cette crainte lui a fait prendre la résolution de vous venir voir, aujourd’hui, pour savoir de vous ce qu’elle doit croire de moi. J’en ai été averti par sa parente, et vous voyez qu’il est en votre pouvoir de me rendre heureux, en lui persuadant qu’on ne peut l’aimer avec plus de passion que je fais.

MADAME JOBIN.

Qu’elle vienne seulement, je réponds du reste.

LE CHEVALIER.

J’ai à vous dire qu’elle ne manque pas d’incrédulité sur le chapitre des diseurs de bonne aventure, et que vous viendrez difficilement à bout de lui persuader ce que vous lui direz à mon avantage, si vous ne la préparez à vous croire par quelque chose d’extraordinaire.

MADAME JOBIN.

Ne tient-il qu’à y mêler un peu de ma diablerie ? Attendez. Ce qui me tombe en pensée l’étonnera, et ne sera pas mal plaisant.

 

 

Scène V

 

LE CHEVALIER, MADAME JOBIN, MATHURINE, DAME FRANÇOISE

 

MADAME JOBIN.

Mathurine, faites-moi descendre dame Françoise.

MATHURINE.

La voilà. Nous étions ensemble sur la montée.

MADAME JOBIN.

Approchez, dame Françoise : j’ai à vous dire deux mots.

Elle lui parle à l’oreille.

DAME FRANÇOISE.

Bien, madame, je m’y en vais tout à l’heure.

MADAME JOBIN.

Écoutez encore.

DAME FRANÇOISE.

Je ne manquerai à rien.

MADAME JOBIN.

Faites tout comme la dernière fois, et que Duclos se tienne prêt. Mathurine vous fera entrer quand il en sera temps.

Mathurine et dame Françoise s’en vont.

 

 

Scène VI

 

LE CHEVALIER, MADAME JOBIN

 

LE CHEVALIER.

Afin que vous ne preniez pas mon aimable veuve pour quelque autre, elle m’a donné son portrait, il faut vous le faire voir. Examinez-le, il n’y a rien de plus ressemblant.

MADAME JOBIN.

Vous avez lieu d’en être touché, c’est une fort belle brune.

LE CHEVALIER.

Écoutez, madame Jobin : si vous l’obligez une fois à vous croire, je crains qu’elle ne vous mette à de trop fortes épreuves, car sa parente m’a averti qu’elle vient particulièrement vous trouver à la prière d’une comtesse qu’elle a vue depuis une heure, et qui l’a fortement assurée qu’elle ne vous demandera rien que vous ne fassiez.

MADAME JOBIN.

Est-elle tout à fait persuadée que vous n’êtes point à Paris ?

LE CHEVALIER.

Ses gens m’ont vu monter à cheval. Elle a écrit au lieu où je lui ai marqué que j’allais ; on lui a mandé qu’on m’y avait vu, et hier encore elle reçut une lettre d’un de nos amis communs de ce pays-là, qui feignait qu’il me venait de quitter tout accablé de douleur. Je l’avais prié en partant de lui écrire de cette sorte, afin que mon retour lui fût caché. Ainsi elle ne doute point que je ne sois encore à vingt lieues d’elle.

MADAME JOBIN.

Puisque cela est, je veux lui faire naître l’envie de vous voir. Voici un miroir que j’avais fait préparer pour une autre affaire, je m’en servirai pour vous. Quand votre marquise sera ici, et que vous m’aurez entendu faire une manière d’invocation, vous n’aurez qu’à venir derrière ce miroir, baisant son portrait. Elle vous saura bon gré de cette marque d’amour.

LE CHEVALIER.

Mais comment me verra-t-elle, si je suis derrière le miroir ?

MADAME JOBIN.

Ne vous mettez en peine de rien. Vous vous retirerez après quelques baisers donnés au portrait ; et si je vous demande quelque autre chose, vous le viendrez faire.

LE CHEVALIER.

Elle a de la défiance et de l’esprit, prenez garde.

MADAME JOBIN.

Fiez-vous à moi : je ne ferai rien mal à propos.

 

 

Scène VII

 

LE CHEVALIER, MADAME JOBIN, MATHURINE

 

MATHURINE.

Voilà une belle dame qui demande si vous êtes seule.

LE CHEVALIER.

Si c’était elle !

MADAME JOBIN.

As-tu remarqué si elle est blonde ou brune ?

MATHURINE.

Elle est brune.

MADAME JOBIN.

Sortez vite, vous n’aurez qu’à nous écouter. Souvenez-vous seulement de ce que je vous ai dit du miroir.

Le Chevalier sort.

 

 

Scène VIII

 

MADAME JOBIN, MATHURINE

 

MADAME JOBIN.

Toi, fais-la venir, et te tiens ensuite auprès de moi. Je te ferai signe quand il faudra faire entrer dame Françoise. Voyons si la dame qu’on me peint si incrédule conservera toujours sa force d’esprit. C’est elle assurément, elle ressemble au portrait.

 

 

Scène IX

 

LA MARQUISE, MADAME JOBIN, MATHURINE

 

LA MARQUISE.

Enfin, madame, vous me voyez chez vous. Vous êtes à la mode, et il faut bien suivre le torrent comme les autres.

MADAME JOBIN.

Je sais si peu de chose, madame, que vous aurez peut-être regret à la peine que vous vous donnez.

LA MARQUISE.

On m’a dit de grandes merveilles de vous, et j’ai vu encore aujourd’hui une de mes amies qui renonce à ce qui la flatterait le plus, parce que vous l’avez assurée qu’il lui en arriverait de grandes disgrâces.

MADAME JOBIN.

Je ne sais qui c’est ; mais si je lui ai prédit quelque malheur, elle doit le craindre ; je ne trompe point.

LA MARQUISE.

Quand vous tromperiez, vous sauriez toujours beaucoup, puisque vous sauriez tromper d’habiles gens.

MADAME JOBIN.

Il me faudrait plus d’adresse pour cela que pour leur dire la vérité.

LA MARQUISE.

Voyons si vous pourrez me la dire. Voilà ma main.

MADAME JOBIN.

Toutes les lignes marquent beaucoup de bonheur pour vous.

LA MARQUISE.

Passons, cela est général.

MADAME JOBIN.

Vous êtes veuve, et parmi beaucoup d’amants que vous avez, il y en a un qui vous touche plus que les autres, quoiqu’il soit le plus jaloux.

La Devineresse fait signe à Mathurine, qui sort ensuite.

 

 

Scène X

 

LA MARQUISE, MADAME JOBIN

 

LA MARQUISE.

C’est quelque chose que cela.

MADAME JOBIN.

Il est absent depuis quelque temps, et vous l’avez assez maltraité pour craindre que l’éloignement ne vous le dérobe.

LA MARQUISE.

Cela peut être.

MADAME JOBIN.

N’en craignez rien, il n’aime que vous, et vous rendra la plus heureuse femme du monde, si vous l’épousez.

LA MARQUISE.

Ce commencement n’est point mal ; mais franchement je suis d’une croyance un peu dure, et si vous voulez me persuader de votre savoir, il faut que vous me disiez plus qu’aux autres.

 

 

Scène XI

 

LA MARQUISE, MADAME JOBIN, MATHURINE

 

MATHURINE.

Voilà une femme qu’on vous amène. Elle dit qu’elle est venue de bien loin pour vous trouver.

MADAME JOBIN.

Ne saviez-vous pas que madame était ici ? Courez lui dire qu’elle revienne dans une heure, je n’ai pas le temps de lui parler.

MATHURINE.

Si vous l’aviez vue, vous auriez eu pitié d’elle. Elle est si incommodée, que je n’ai pas eu le cœur de la renvoyer.

 

 

Scène XII

 

LA MARQUISE, MADAME JOBIN, MATHURINE, DAME FRANÇOISE, vêtue en dame, et extraordinairement enflée

 

MATHURINE.

La voilà. Regardez comme elle est bâtie ; je n’en ai jamais vu une de même.

LA MARQUISE.

Elle mérite que vous l’expédiiez promptement. Écoutez-la, j’aurai patience.

MADAME JOBIN.

Il me fâche de vous faire perdre du temps.

DAME FRANÇOISE, à la Marquise.

Madame, votre réputation est si grande, que je suis venue vous prier...

LA MARQUISE.

Vous vous méprenez, madame ; ce n’est pas moi qui suis madame Jobin.

DAME FRANÇOISE.

Pardonnez-moi, je suis si troublée du mal que je souffre !

LA MARQUISE, à madame Jobin.

Guérissez-la, vous ferez une belle cure, et après cela il y aura bien des gens qui croiront en vous.

MADAME JOBIN.

J’en viendrais peut-être plus aisément à bout que les médecins.

DAME FRANÇOISE.

Je n’en doute point. Je les ai presque tous consultés, et même ceux de la faculté de Montpellier ; mais ils ne connaissent rien à mon mal, ils disent qu’il faut que ce soit un sort qu’on m’ait donné.

MADAME JOBIN.

Il y a bien de l’apparence.

DAME FRANÇOISE.

Faites quelque chose pour moi. On m’a dit que vous ne saviez pas seulement deviner, mais que vous guérissiez quantité de maux avec des paroles.

MADAME JOBIN.

Le vôtre est un peu gaillard.

DAME FRANÇOISE.

Je ne demande pas que vous me désenfliez tout à fait, je ne veux qu’un peu de soulagement.

LA MARQUISE, à madame Jobin.

Vous ne devez pas refuser madame. Ce ne sera pas une chose si difficile pour vous que de la guérir. On en publie de bien plus surprenantes que vous avez faites.

MADAME JOBIN, à la Marquise.

Dites le vrai. Celle-ci vous paraît au dessus de mon pouvoir ?

LA MARQUISE.

J’avoue que je vous croirai une habile femme, si vous faites un pareil miracle.

MADAME JOBIN.

Il faut vous en donner le plaisir. Aussi bien il y a de la charité à ne pas laisser souffrir les affligés.

LA MARQUISE.

Quoi ! vous guérirez cette enflure en ma présence ?

MADAME JOBIN.

En votre présence, et vous l’allez voir. Je prétends qu’avant que madame sorte d’ici, il ne lui en reste pas la moindre marque.

LA MARQUISE.

C’est dire beaucoup.

DAME FRANÇOISE, à madame Jobin.

Eh ! madame, ne me promettez point ce que vous ne sauriez tenir. Il y a plus de trois ans que le mal me tient, et je serais bien heureuse si vous m’en pouviez guérir en trois mois. Les médecins et les empiriques y ont employé tous leurs remèdes.

MADAME JOBIN.

Je vais vous faire voir que j’en sais plus qu’eux. Mais il faut que vous trouviez quelqu’un assez charitable pour recevoir votre enflure, car, comme elle vient d’un sort qui doit avoir toujours son effet, je ne puis la faire sortir de votre corps qu’elle ne passe dans celui d’un autre, homme ou femme, comme vous voudrez, cela n’importe.

LA MARQUISE, à madame Jobin.

Vous vous tirez d’affaire par là. Personne ne voudra recevoir l’enflure ; vous en voilà quitte.

DAME FRANÇOISE.

C’est bien assez que vous ne me sachiez guérir, il me fallait pas vous moquer encore de moi.

MADAME JOBIN.

Je ne me moque point de vous. Trouvez quelqu’un, et je vous désenfle.

DAME FRANÇOISE.

Où le trouver ? Il ne tiendrait pas à de l’argent. Si votre servante veut prendre mon mal.

MATHURINE.

Moi, madame ? Je ne le ferais pas quand vous me donneriez tout votre bien. Qu’est-ce qu’on me croirait, si on me voyait un ventre comme le vôtre ? On ne dirait pas que ce serait votre enflure.

LA MARQUISE.

Vous avez une fille d’or : elle craint les médisants.

MADAME JOBIN.

Il n’y a ici que des gens d’honneur.

LA MARQUISE, à dame Françoise.

Je voudrais voir cette expérience. Ne connaissez-vous personne qui pût se laisser gagner ? On fait tant de choses pour de l’argent !

DAME FRANÇOISE.

Je chercherai. Mais il faut du temps pour cela. Attendez. J’ai là-bas le valet de mon fermier. Peut être voudra-t-il bien faire quelque chose pour moi.

LA MARQUISE.

Vite, qu’on appelle le valet du fermier de ma dame.

MATHURINE.

J’y cours.

MADAME JOBIN.

Si ce valet veut, je ne demande qu’un demi-quart d’heure, et Madame se trouvera désenflée.

LA MARQUISE.

Je le croirai quand je l’aurai vu.

 

 

Scène XIII

 

LA MARQUISE, MADAME JOBIN, DAME FRANÇOISE, DUCLOS, vêtu en paysan, sous le nom de Guillaume, MATHURINE

 

DAME FRANÇOISE.

Écoute, mon pauvre Guillaume.

DUCLOS.

Oh ! la servante m’a dit ce que c’est, mais je vous remercie de bien bon cœur. J’aurais trop peur de crever si j’étais enflé comme vous, ou de ne désenfler jamais.

DAME FRANÇOISE.

Mais, écoute-moi.

DUCLOS.

Tout franc, madame, on ne fait point venir les gens à Paris pour les faire enfler.

DAME FRANÇOISE.

Outre dix pistoles que je te donnerai dès aujourd’hui, je te promets de te nourrir toute ta vie sans rien faire.

DUCLOS.

Dix pistoles, et je ne ferai rien ? C’est quelque chose.

LA MARQUISE.

Tiens, en voilà encore six que je te donne, afin que tu aies meilleur courage.

DUCLOS.

Vous me faites prendre, mais pourtant je voudrais bien n’être point enflé.

MADAME JOBIN, à Duclos.

J’ai à te dire que quand j’aurai fait passer l’enflure, ce ne sera pas comme à Madame, tu ne souffriras pas son mal ; et puis tu n’auras qu’à m’amener quelque misérable qui prendra ta place. C’est pour faire la fortune d’un gueux fainéant.

DUCLOS.

Puisque cela est, vous n’avez qu’à faire, me voilà prêt ; mais ne m’enflez guère, je vous en prie.

MADAME JOBIN.

On ne s’en apercevra presque pas. Viens. Mets-toi là.

Elle les fait asseoir l’un et l’autre.

DAME FRANÇOISE.

Je tremble.

LA MARQUISE, à part.

Cela va loin, et je ne sais presque plus où j’en suis.

MADAME JOBIN, les touche tous deux, et prononce quelques paroles barbares.

Qu’on ne dise rien.

DAME FRANÇOISE.

Ah ! ah !

DUCLOS,

Ah ! ah !

DAME FRANÇOISE.

Eh ! madame, eh ! eh !

DUCLOS.

Ah ! ah ! ah ! Quel tintamarre je sens dans mon corps ! je crois que l’enflure va venir.

DAME FRANÇOISE.

Ah ! ah ! ah ! Je sens que l’enflure s’en va, eh ! eh ! eh ! je désenfle, ah ! ah ! ah !

DUCLOS.

Ah ! oui, l’enflure ; eh ! oui, l’enflure vient, j’enfle.

DAME FRANÇOISE.

Je désenfle, ah ! je désenfle. Eh ! eh ! eh !

DUCLOS.

J’enfle ! j’enfle ! holà ! holà ! Ah ! j’enfle, j’enfle, j’enfle ; ah ! ah ! ah ! c’est assez ; que l’enflure arrête ; en voilà la moitié davantage que madame n’en avait. On m’a trompé, et je suis plus gros qu’un tonneau.

DAME FRANÇOISE, se levant.

Ah ! madame, que me voilà soulagée !

MADAME JOBIN, à la Marquise.

Eh bien ! madame, qu’en dites-vous ?

LA MARQUISE.

Il y a plus à penser qu’à dire.

DAME FRANÇOISE.

Suis-je moi-même, et ce changement est-il bien croyable ? Je ne souffre plus ; je suis guérie. Quelle joie ! ce n’est pas assez que trente louis qui sont dans ma bourse. Prenez encore cette bague en attendant un autre présent. Adieu, madame, j’ai impatience de m’aller montrer, je crois que personne ne me reconnaîtra. Suis-moi, Guillaume.

DUCLOS.

Je ne suis pas si pressé moi. Vous êtes plus légère, et je suis plus lourd. On va se moquer de moi. La belle opération ! Hi ! hi ! hi ! hi !

MATHURINE.

Te voilà bien empêché ! trouve quelque gueux ; il y en a mille qui seront ravis d’avoir ton enflure.

Duclos et dame Françoise sortent.

 

 

Scène XIV

 

LA MARQUISE, MADAME JOBIN, MATHURINE

 

LA MARQUISE.

Qu’ai-je vu ? Est-ce que mes yeux m’ont trompée ?

MADAME JOBIN.

Vous avez vu, madame, un petit essai de ce que peut une femme qui ne sait rien.

LA MARQUISE.

J’en suis immobile d’étonnement, et quand ce serait un tour d’adresse, à quoi il n’y a pas d’apparence, je vous admirerais autant de l’avoir fait que si tout l’enfer s’en était mêlé. Mais puisque vous pouvez tant, ne vous amusez point à des paroles pour moi. Je voudrais voir quelque chose de plus fort sur ce qui regarde mon amant.

MADAME JOBIN.

Vous êtes en peine de ce qu’il fait, où il est ?

LA MARQUISE.

Je vous l’avoue.

MADAME JOBIN.

Le voulez-vous savoir par vous-même ? Deux mots prononcés le feront paraître ici devant vous.

LA MARQUISE.

Je ne serais point fâchée de le voir, mais.

MADAME JOBIN.

Vous balancez ? N’ayez point de peur. La vue d’un amant n’est jamais terrible.

LA MARQUISE.

Et ne verrai-je que lui ?

MADAME JOBIN.

Selon qu’il est seul présentement, ou en compagnie.

LA MARQUISE.

Voyons. Il me serait honteux de trembler. Il se divertit peut-être agréablement sans penser à moi.

MADAME JOBIN.

Esprit qui m’obéis, je te commande de faire paraître la personne qu’on souhaite voir.

À Mathurine.

Tirez ce rideau. Il ne saurait tarder un moment.

On voit paraître le Chevalier dans un miroir.

LA MARQUISE.

C’est le Chevalier ! Le voilà lui-même. Que fait-il ?

MADAME JOBIN.

Il a les yeux attachés sur un portrait.

LA MARQUISE.

C’est le mien, je le reconnais au ruban.

MADAME JOBIN.

Vous devez être contente, il le baise avec assez de tendresse.

LA MARQUISE.

Que je suis surprise ! Mais il est déjà disparu. La joie de le voir m’a peu duré.

MADAME JOBIN.

Vous n’avez point d’amant si fidèle, ni qui vous aime avec tant d’ardeur.

LA MARQUISE.

Je n’en doute point après ce que vous m’avez fait voir. Mais n’y a-t-il point moyen de le rappeler au près de moi ?

MADAME JOBIN.

Rien n’est si aisé. Écrivez-lui qu’il parte sur l’heure, il prendra la poste, et vous le verrez dès ce soir même.

LA MARQUISE.

Dès ce soir même ! Et il nous faut le reste du jour pour lui envoyer ma lettre.

MADAME JOBIN.

Laissez-moi ce soin, j’ai des messagers à qui je fais faire cent lieues en un moment. Vous aurez réponse avant que vous ne sortiez d’ici.

LA MARQUISE.

J’aurai réponse ? Voyons jusqu’au bout. Voilà des choses dont je n’ai jamais entendu parler.

MADAME JOBIN.

Avancez la table. Il y a une écritoire dessus. Il faut, s’il vous plaît, que vous écriviez ce que je vais vous dicter. « Il m’ennuie de votre absence. Mandez-moi  par ce porteur si vous vous résoudrez à la finir, et si je puis vous attendre ce soir chez moi. » Cela suffit, c’est à moi à cacheter ce billet. Il y faut un peu de cérémonie que vous ne pourriez voir sans frayeur. Je reviens dans un moment.

Elle sort.

 

 

Scène XV

 

LA MARQUISE, MATHURINE

 

LA MARQUISE.

J’ai fait l’esprit fort, mais je commence à n’être pas trop rassurée.

MATHURINE.

Il n’y a rien à craindre. C’est une manière de chat-huant qu’elle a là dedans, à qui elle va parler. Il est laid, mais il ne fait jamais de mal à personne.

LA MARQUISE.

J’avoue que tout ce qu’elle fait me confond.

MATHURINE.

Elle est bien habile, et si je vous avais dit.

 

 

Scène XVI

 

LA MARQUISE, MADAME JOBIN, MATHURINE

 

MATHURINE.

À l’heure qu’il est, il faut que votre billet soit rendu.

LA MARQUISE.

Quoi ! si promptement ?

MADAME JOBIN.

Vous allez le voir. Par tout le pouvoir que j’ai sur toi, je t’ordonne de faire paraître de nouveau celui que nous avons déjà vu.

Le Chevalier paraît une seconde fois dans le miroir.

LA MARQUISE.

Il revient ! Il a mon billet. Quels transports de joie !

MADAME JOBIN.

Ces marques d’amour vous fâchent-elles ?

LA MARQUISE.

Il prend la plume.

MADAME JOBIN.

C’est pour vous écrire. Dès le moment que mon porteur aura sa réponse, il quittera le corps qu’il a pris, et viendra vous la mettre entre les mains.

LA MARQUISE.

À moi ? Qu’il ne m’approche pas, je vous prie.

MADAME JOBIN.

Rassurez-vous. Elle tombera à vos pieds sans que vous voyiez personne.

LA MARQUISE.

On lui apporte de la lumière ; il la cachette. Il s’en va. Tout le corps commence à me frissonner.

MADAME JOBIN.

Il me semble que les choses se passent assez doucement. Vous n’avez rien vu que d’agréable, et je vous ai épargné tout ce qui aurait pu vous faire peur.

LA MARQUISE.

Il est vrai ; mais, quoique je ne sois pas naturellement timide, j’ai vu tant de choses que je ne croyais pas faisables, que je ne m’assure presque pas d’être moi-même.

MADAME JOBIN.

Au moins faites-moi la grâce de ne rien dire. Il y a de certains esprits mal tournés. Mais mon porteur a fait diligence. Voici la réponse. Prenez.

On voit tomber une lettre du haut du plancher.

LA MARQUISE.

Comment ? toucher à ce qui a été apporté par un esprit !

MADAME JOBIN.

Lisez. Le charme a eu son effet, et vous ne devez pas craindre qu’il aille plus loin.

LA MARQUISE lit.

C’est son écriture !Qui l’eût jamais cru ? « Je pars sur l’heure, madame, et doute fort que votre porteur vous voie avant moi. Un amant attendu de ce« qu’il adore devance toujours le plus prompt courrier. » Adieu, madame, je suis si interdite de ce qui m’arrive, qu’il m’est impossible de raisonner. Je vous reverrai. Si je ne vous marque pas ma reconnaissance dès aujourd’hui, vous ne perdrez rien au retardement.

MADAME JOBIN.

Vous en userez comme il vous plaira. Je vous demande seulement le secret.

La Marquise sort.

 

 

Scène XVII

 

MADAME JOBIN, MATHURINE

 

MADAME JOBIN.

Conduis-la des yeux, et ne nous laisse pas surprendre. Elle s’en retourne fort étonnée. Jamais magie n’a mieux opéré.

MATHURINE.

Parlez en toute assurance, elle est partie ; et je crois que, si l’on s’en rapporte à elle, il n’y aura jamais eu une plus grande sorcière que vous.

 

 

Scène XVIII

 

LE CHEVALIER, MADAME JOBIN, MATHURINE

 

MADAME JOBIN.

Eh bien ! qu’est-ce, monsieur le Chevalier ? Vous ai-je servi ?

LE CHEVALIER.

Je te dois la vie, et je ne saurais trop payer ce que tu as fait pour moi. Voilà dix louis que je te donne, en attendant ce que je ne te veux pas dire aujourd’hui.

MADAME JOBIN.

Bottez-vous ce soir pour aller chez elle. J’ai joué mon rôle ; le reste dépend de vous. Je ne vous recommande point le secret.

LE CHEVALIER.

J’y suis plus intéressé que toi : n’appréhende rien. Adieu, je me réglerai sur le billet envoyé, et me tirerai d’affaire comme je le dois.

 

 

Scène XIX

 

MADAME JOBIN

 

À la fin, me voilà seule : il faut profiter de ce moment.

 

 

Scène XX

 

MADAME JOBIN, M. GOSSELIN, MATHURINE

 

MADAME JOBIN.

Venez, mon frère. Que dites-vous de mon commerce ? Vous en devez être instruit.

M. GOSSELIN.

J’avoue qu’il y a ici de grandes dupes, si un peu d’adresse les sait éblouir.

MADAME JOBIN.

Vous n’avez encore rien vu. Venez avec moi ; et quand je vous aurai montré certaines machines que je fais agir dans l’occasion, vous me direz si dans la suite de votre procès vous ne voudrez vous servir ni de mon argent ni de mes amis.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LE MARQUIS, MATHURINE

 

LE MARQUIS.

Peut-on voir madame Jobin ?

MATHURINE.

Est-ce que vous avez quelque chose de si pressé à lui dire ? Dame ! elle a bien des gens à qui parler.

LE MARQUIS.

Je prendrai patience. Il me suffit de savoir qu’elle soit chez elle.

MATHURINE.

Ils sont cinq ou six là-haut qui attendent à la porte, et qu’elle fait entrer l’un après l’autre dans son cabinet. Elle leur montre là du plus fin.

LE MARQUIS.

On dit qu’elle en sait beaucoup.

MATHURINE.

Oh ! il n’y a point de femme plus habile qu’elle.

LE MARQUIS.

J’ai ouï assurer qu’elle ne se trompe jamais.

MATHURINE.

Elle n’a garde.

LE MARQUIS.

Comment ?

MATHURINE.

Je ne dis rien. Vous n’avez qu’à lui demander ce que vous voudrez.

LE MARQUIS.

Elle sait donc tout ?

MATHURINE.

Vraiment oui.

LE MARQUIS.

C’est-à-dire, qu’elle a toujours quelque diable en poche.

MATHURINE.

Elle ne me montre pas tout ce qu’elle a. Je vois  seulement un gros vilain oiseau dans sa chambre, qui ne manque point à voler sur son épaule dès qu’elle l’appelle. Il lui fourre son bec dans l’oreille, pour lui jargonner je ne sais quoi. Il a un bien laid langage que je n’entends point ; mais il faut bien qu’elle l’entende elle, car, après qu’ils ont été ainsi quelque temps, elle n’a plus qu’à ouvrir la bouche pour prédire le passé, le présent et l’avenir.

LE MARQUIS.

Eh ! n’as-tu vu que cela ?

MATHURINE.

Oh ! bien autre chose ! Mais elle ne sait pas que je l’ai vu.

LE MARQUIS.

Et c’est ?

MATHURINE.

Vous l’iriez dire, et puis on me chasserait.

LE MARQUIS.

Je l’irais dire ?

MATHURINE.

Voyez-vous, je ne gagnerais jamais autant autre part. Il y a bien des profits avec elle. J’oblige d’honnêtes gens qui sont pressés de la consulter ; je les fais monter avant les autres, et vous savez bien, monsieur.

LE MARQUIS.

Ne crains rien de moi. Voilà deux pistoles pour assurance que je ne parlerai point.

MATHURINE.

Vous êtes brave homme, je le vois bien, et il n’y a point de hasard à vous dire tout. Quand elle veut faire ses grandes magies, elle s’enferme dans un grenier où elle ne laisse jamais entrer personne. Je m’en fus, il y a trois jours, regarder ce qu’elle faisait par le trou de la serrure. Elle était assise, et il y avait un grand chat tout noir, plus long deux fois que les autres chats, qui se promenait comme un monsieur sur ses pattes de derrière. Il se mit après à l’embrasser avec ses deux pattes de devant, et ils furent ensemble plus d’un gros quart d’heure à marmotter.

LE MARQUIS.

Voilà un terrible chat !

MATHURINE.

Je ne sais s’il vit que je regardais par la serrure, mais il vint tout d’un coup se jeter contre la porte, et je la croyais enfoncée, tant il fit de bruit. Ce fut bien à moi à me sauver.

LE MARQUIS.

Comment est-ce qu’on t’appelle ?

MATHURINE.

Mathurine, monsieur, à votre service.

LE MARQUIS.

Écoute, Mathurine : je suis curieux, et je sais plusieurs secrets qui approchent fort de ce que fait madame Jobin. Elle t’emploie et quelques autres encore dans les magies ? Vingt pistoles ne tiennent à rien : Je te les vais donner tout présentement, si tu veux m’apprendre de quelle manière.

MATHURINE.

Je pense, monsieur, que vous vous moquez. Vous êtes secret, et je ne m’aviserais pas de vous rien cacher, si elle m’avait employée à quelque chose. Mais c’est avec des paroles qu’elle fait tout ; et, si vous voulez savoir comment, il faut que vous trouviez moyen de faire amitié avec son chat, car il n’y a que lui qui le puisse dire.

LE MARQUIS.

Tu crains.

MATHURINE.

Tenez. Voilà une dame qui sort de son cabinet ; demandez-lui si elle en est satisfaite. Je vais cependant lui faire savoir qu’on l’attend ici, afin qu’elle dépêche ceux qui sont là-haut.

Elle sort.

 

 

Scène II

 

LE MARQUIS, MADAME NOBLET

 

MADAME NOBLET.

Ah ! monsieur le Marquis !

LE MARQUIS.

Quoi ! c’est vous, madame ?

MADAME NOBLET.

Vous voyez comme l’impatience de vous obliger m’a fait passer par dessus tous mes scrupules. Quelque aversion que j’aie eue toujours pour les gens qui se mêlent de deviner, vous m’avez priée de voir madame Jobin, et j’ai voulu y venir sur l’heure.

LE MARQUIS.

Je vous suis fort obligé.

MADAME NOBLET.

Qui vous aurait cru ici ? Je traversais cette chambre pour reprendre l’autre escalier ; sans cela, je ne vous eusse pas rencontré.

LE MARQUIS.

Eh bien ! madame, la Devineresse ?

MADAME NOBLET.

Je me dédis. Je croyais bien vous aider à la convaincre de ne savoir dire que des faussetés ; mais, après ce que j’ai entendu, il faut se rendre. Elle m’a dit des choses. Je n’en doute point, il y a là-dessous du surnaturel.

LE MARQUIS.

Voilà qui va bien. Tout ce que vous êtes de femmes, elle vous fait donner dans le panneau. C’est en quoi consiste son plus grand charme.

MADAME NOBLET.

La comtesse d’Astragon a du mérite, et j’aurais beaucoup de joie de vous la voir épouser. Mais, comme vous êtes de mes plus particuliers amis, j’avoue que ce mariage me causerait de la peine, tant je suis persuadée, sur ses menaces, qu’il ne pourrait que vous rendre malheureux.

LE MARQUIS.

À cela près, je voudrais que madame la Comtesse voulût m’épouser.

MADAME NOBLET.

Écoutez, la fatalité qu’elle trouve attachée à votre personne n’est peut-être pas pour toujours. Elle peut ne regarder que le temps présent ; et, cela étant, si vous laissiez passer un an ou deux sans vous marier, vous pourriez ensuite épouser qui vous voudriez, et ne craindre rien.

LE MARQUIS.

Je vous assure, madame, que je ne crains rien du tout. Peut-on faire cas d’une ignorante ?

MADAME NOBLET.

Pourquoi vous trouvé-je donc ici ?

LE MARQUIS.

Je n’y viens pas pour rien savoir d’elle, j’y viens pour lui faire voir qu’elle ne sait rien.

MADAME NOBLET.

Je le veux croire. Cependant la curiosité m’engage à revoir demain madame Jobin. Elle m’a donné son heure ; et, si elle me satisfait autant qu’aujourd’hui, j’aurai de la peine à m’en détromper. Mais adieu. Voici une dame qui ne veut pas se faire connaître ici, et je ne veux pas non plus qu’elle me connaisse.

Elle sort.

 

 

Scène III

 

LA COMTESSE, LE MARQUIS

 

LA COMTESSE, avec un autre habit, et se démasquant dès que madame Noblet est sortie.

Je vous ai fait attendre longtemps.

LE MARQUIS.

Madame Jobin donne audience là-haut à trois ou quatre personnes, et nous ne lui aurions pas encore parlé quand vous seriez venue aussitôt que moi. Mais, je vous prie, madame, que vous a dit votre amie que nous avons rencontrée en venant ici, et qui vous a fait descendre de mon carrosse pour vous entretenir dans le sien ?

LA COMTESSE.

Ce que je sais qu’on vous a dit qui vient d’arriver chez la Jobin, touchant l’aventure du miroir et de la dame enflée, dont vous vous êtes bien donné de garde de me parler.

LE MARQUIS.

J’enrage de vous entendre conter ce qui ne peut être. Tout ce que vous voyez de gens vous disent merveille de la Jobin, et je ne trouve personne qu’elle n’ait trompé.

LA COMTESSE.

Vous êtes son ennemi, et vous n’apprenez d’elle que ce qu’il vous plaît. Pour moi qui la connais par moi-même, je la crois comme si tout ce qu’elle me prédit était arrivé.

LE MARQUIS.

Mais, madame, raisonnons un peu. Ce qu’elle dit qui m’arrivera à moi ne doit m’arriver que par la malignité de l’astre qui a présidé à l’instant de ma naissance. Mille et mille autres sont nés dans le même instant et sous le même astre. Est-ce que tous ces gens-là doivent ne se marier jamais, ou sont-ils obligés de tuer un homme ?

LA COMTESSE.

Vous le prenez mal. Il y a une fatalité de bonheur ou de malheur attachée à chaque particulier, et cette fatalité ne dépend point du moment de la naissance. Mille gens périssent ensemble dans un vaisseau ; mille autres sont tués dans un combat : ils sont tous nés sous différentes planètes et en divers temps, et il ne laisse pas de leur arriver la même chose.

LE MARQUIS.

Je vois bien, madame, que les raisons ne vous manqueront jamais pour défendre votre incomparable madame Jobin. Ah ! si vous m’aimiez...

LA COMTESSE.

Je vous aime, et c’est pour cela que je résiste à vous épouser.

LE MARQUIS.

Quel amour !

LA COMTESSE.

La complaisance que j’ai de venir encore ici avec vous, vous en marque assez. Je vais me masquer. Je parlerai languedocien, et j’appuierai le roman que vous avez inventé. Si madame Jobin s’y laisse surprendre, je me rends, et votre amour sera satisfait ; mais je suis fort assurée qu’elle connaîtra que nous la trompons.

LE MARQUIS.

J’en doute, à moins qu’elle ne me reconnaisse pour m’avoir vu tantôt en laquais.

LA COMTESSE.

Elle n’a presque pas détourné les yeux sur vous ; et puis, cet ajustement et cette perruque vous donnent un autre visage que vous n’aviez.

 

 

Scène IV

 

LA COMTESSE, LE MARQUIS, MADAME JOBIN, MATHURINE

 

MATHURINE, à la Devineresse, en entrant.

Voilà un honnête gentilhomme qui vous attend il y a longtemps.

LE MARQUIS, à part, à la Comtesse.

Gardez-vous bien de vous laisser voir.

MADAME JOBIN.

Je suis fâchée de n’avoir pu descendre plus tôt.

LE MARQUIS.

Tant de gens vous viennent chercher de tous côtés, qu’en quelque temps que ce soit on est trop heureux de vous parler.

MADAME JOBIN.

Je voudrais pouvoir satisfaire tout le monde, mais on me croit bien plus habile que je ne suis.

LE MARQUIS.

Nous venons à vous, madame et moi, avec une entière confiance, car on nous a tant dit de merveilles.

MADAME JOBIN.

Laissons cela. De quoi s’agit-il ?

LE MARQUIS.

Je suis de bonne maison, pas tout à fait riche. La personne que vous voyez est la plus considérable héritière du Languedoc ; je l’ai enlevée ; nous nous sommes mariés. Son père me veut faire mon procès : il cherche sa fille, elle se cache ; on s’emploie pour l’obliger à nous pardonner, on n’en peut venir à bout ; il est question de le fléchir. Vous faites des choses bien plus difficiles : tirez-nous d’affaire, il y a deux cents pistoles pour vous.

LA COMTESSE.

La fauto n’es pas tan grando. L’amour fa fairé quado jour dé pareillos causos, et vous nou serez pas fachado dé nous abé rendut lou répaux.

MADAME JOBIN.

Ce que vous voulez n’est pas entièrement impossible.

LE MARQUIS.

Je sais que le moindre de vos secrets suffira pour nous. Voilà trente louis dans une bourse : prenez-les d’avance, et nous secourez.

LA COMTESSE.

Yeu vous dounaray de moun coustat. Fasex mé ben remetré anbé moun peire.

MADAME JOBIN.

Il est en Languedoc ?

LE MARQUIS.

Il fait ses poursuites au parlement de Toulouse.

MADAME JOBIN.

Nous le gagnerons. Il faudra peut-être un peu de temps pour cela.

LA COMTESSE.

N’importe.

MADAME JOBIN.

Je vais vous dire ce que vous ferez : écrivez-lui.

LA COMTESSE.

El deschiro mas letros sans voulé légi.

MADAME JOBIN.

Quand j’aurai fait quelques cérémonies sur le papier, écrivez. Pourvu qu’il touche la lettre, vous verrez la suite.

LA COMTESSE.

Yeu faray ben quel la touquara.

MADAME JOBIN.

C’est assez.

LE MARQUIS, à la Comtesse.

Que j’ai de joie ! Nous voilà hors d’embarras. Madame dira quelques paroles sur le papier, et avec le temps le papier touché fera son effet.

LA COMTESSE.

Dounay mé promptement d’aquel papié.

MADAME JOBIN.

Je vous en apporte dans un moment.

LE MARQUIS, à la Devineresse.

Deux mots, je vous prie, avant que vous nous quittiez. Nous nous sommes mariés par amour ; on veut que ces sortes de mariages ne soient pas heureux. Que pouvons-nous attendre du nôtre ?

MADAME JOBIN, regardant fixement le Marquis.

Assez de bonheur, au moins cela me paraît ; car je m’arrête plus aux traits du visage qu’aux lignes des mains. Je vous en parlerais plus assurément si ma dame voulait se montrer.

LA COMTESSE.

Dispensax mé, yeu vous pregué ; yeu ay milo rasous que me deffendon de me laisse veiré.

LE MARQUIS.

En faisant le charme pour le papier, n’en pourrez vous pas faire quelqu’un qui vous découvre ce que je voudrais savoir ?

MADAME JOBIN.

Vous serez content, laissez-moi faire.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

LE MARQUIS, LA COMTESSE

 

LE MARQUIS.

Me tiendrez-vous parole, madame ? La Devineresse n’a pu deviner ; elle nous croit mariés, et je ne suis plus menacé de perdre la tête.

LA COMTESSE.

Nous verrons ce qu’elle dira à son retour.

LE MARQUIS.

Elle nous dira qu’il n’y a point de bonheur qui ne nous attende, et vous apportera du papier charmé. Du papier charmé ! Y a-t-il rien de plus ridicule ?

LA COMTESSE.

Je crois qu’il aurait l’effet que nous lui avons de mandé, si ce que vous lui avez dit était véritable. Mais ne nous réjouissons point avant le temps : quand elle aura consulté l’esprit familier qu’elle a, je jurerais bien que la tromperie lui sera connue.

LE MARQUIS.

La Jobin a un esprit familier !

LA COMTESSE.

Elle en a un, et elle ne peut avoir appris que par lui cent choses secrètes qu’elle m’a dites.

LE MARQUIS.

Et si elle vous apporte du papier charmé, sans que son esprit familier l’ait avertie de la pièce que nous lui faisons ?

LA COMTESSE.

Je vous promets alors de me démasquer, de lui faire confusion de son ignorance, et de vous épouser sans aucun scrupule.

LE MARQUIS.

Me voilà le plus content de tous les hommes. Madame Jobin est aussi peu sorcière que moi, et son esprit familier n’est autre chose que la faiblesse de ceux qui l’écoutent. Vous l’allez voir ; il me semble que je l’entends.

 

 

Scène VI

 

LE MARQUIS, LA COMTESSE, MADAME JOBIN

 

LE MARQUIS.

Eh bien ! Le papier ?

MADAME JOBIN.

Qu’en feriez-vous ? Madame n’a point de père ; vous ne l’avez ni enlevée ni épousée ; et, ce qui est davantage, vous ne l’épouserez jamais.

LA COMTESSE.

Yeu vous ay ben dit, moussou, qua quo ero la plus habillo fenno que ya quesso al mundo.

LE MARQUIS.

J’avoue que je n’ai point enlevé madame ; mais je ne l’épouserai jamais ?

MADAME JOBIN.

Non assurément.

LE MARQUIS.

Et la raison ?

MADAME JOBIN.

Je ne me suis pas mise en peine de la demander, mais il est aisé de vous la faire savoir. Voulez-vous que je fasse paraître l’esprit qui me parle ? Vous l’entendrez.

LE MARQUIS.

Je vous en prie.

LA COMTESSE.

Pareissé l’esprit !

MADAME JOBIN.

Afin que vous en souffriez la vue plus aisément, vous ne verrez qu’une tête qu’il animera ; mais ne témoignez pas de peur, car il hait à voir trembler, et je n’en serais pas la maîtresse.

LA COMTESSE.

Noun pas témougna de pou !

LE MARQUIS, à la Comtesse.

Pourquoi en avoir ? Je serai auprès de vous.

MADAME JOBIN.

C’est faire le brave à contretemps ; vous pourriez bien avoir peur vous-même, et je ne sais si vous vous tireriez bien d’avec l’esprit.

LA COMTESSE.

Anen, anen, moussou, yeu n’ay qué faire ni d’esprit ni de testo, per estrè asségurado, car saven tout aissei.

LE MARQUIS.

Je remets madame chez elle, et vous viens retrouver incontinent. Préparez votre plus noire magie, vous verrez si je suis homme à m’épouvanter.

Il sort avec la Marquise.

 

 

Scène VII

 

MADAME JOBIN

 

Il y va de mon honneur de bien soutenir mon rôle : voici un homme piqué au jeu ; il ne me laissera point de repos si je ne le persuade lui-même que je suis sorcière. Ils sont partis, mademoiselle du Buisson, vous pouvez entrer.

 

 

Scène VIII

 

MADEMOISELLE DU BUISSON, MADAME JOBIN

 

MADEMOISELLE DU BUISSON.

Dites le vrai, madame Jobin, je suis accourue bien à propos ?

MADAME JOBIN.

J’avoue que, si vous fussiez venue un moment plus tard, j’eusse donné jusqu’au bout dans l’enlèvement. Comment deviner qu’ils me faisaient pièce ? Je n’avais pas assez examiné le Marquis dans son habit de laquais pour le reconnaître en cavalier ; vous m’aviez dit que vous accompagneriez la Comtesse quand elle viendrait masquée ; je ne voyais personne avec elle ; elle parloit languedocien ; c’étaient bien des choses pour ma prétendue magie.

MADEMOISELLE DU BUISSON.

Il faut que ce fâcheux de Marquis l’ait persécutée pour venir pendant que j’étais dehors. J’ai su en rentrant qu’elle avait changé d’habit, et qu’elle était sortie avec lui dans son carrosse, sans aucune suite. Cela m’a donné du soupçon ; je n’ai point douté que ce ne fût pour venir masquée chez vous. Jugez si j’ai perdu du temps.

MADAME JOBIN.

Il n’en est que mieux que la chose ait ainsi tourné.

MADEMOISELLE DU BUISSON.

Je tiens le mariage rompu ; ma maîtresse n’en veut déjà plus recevoir de visites.

MADAME JOBIN.

Ce qu’il y a de plaisant, c’est qu’une dame me paie pour empêcher le mariage du Marquis, et que le Marquis emploie bonnement cette même dame pour me venir éprouver.

MADEMOISELLE DU BUISSON.

Il est tombé en bonne main. Je crois voir quelqu’un. Adieu, je m’échappe. Vous aurez toujours de mes nouvelles dans le besoin.

Elle sort.

 

 

Scène IX

 

MADAME JOBIN, DUCLOS

 

DUCLOS.

Je vous ai trouvé une admirable pratique. J’en ris encore, aussi bien que de la scène de l’enflure, où, comme vous savez, je n’ai pas mal joué mon rôle.

MADAME JOBIN.

Et cette pratique, l’amenez-vous ?

DUCLOS.

Non, ce ne sera que demain. C’est la plus crédule de toutes les femmes, et vous n’aurez pas de peine à la duper. Elle a un amant, en tout bien tout honneur, comme beaucoup d’autres ; mais elle ne laisse pas de lui donner pension. Cela accommode le cavalier, qui a cependant une petite amourette ailleurs. La dame s’est aperçue de quelques visites, le chagrin l’a prise, et c’est là dessus que je lui ai persuadé de vous venir voir. Comme je me suis fait de vos amis, elle m’a prié de l’amener ; si vous lui dites, mais d’une manière où il entre un peu de diablerie, que son amant ne la trompe point, elle vous croira, et laissera le cavalier en repos. Il m’a promis un présent si j’en viens à bout, et c’est travailler de plus d’un côté.

MADAME JOBIN.

Nous y penserons. Il suffit que nous ayons du temps jusqu’à demain. Ce qui presse, c’est l’amant de notre comtesse d’Astragon. Il vient de partir d’ici avec elle, fort surpris d’un tour de magie qu’il n’attendait pas. Il va revenir, et il nous embarrassera toujours si nous ne trouvons à l’éblouir par quelque chose de surprenant.

DUCLOS.

Rien de plus aisé. Faisons ce qui épouvanta si fort dernièrement ce cadet breton qui faisait tant le hardi.

MADAME JOBIN.

Je crois que notre Marquis n’en sera pas moins effrayé. Allez préparer tout ce qu’il faut pour cela.

Duclos s’en va.

 

 

Scène X

 

MADAME JOBIN, MADAME DESROCHES, MATHURINE

 

MATHURINE.

Madame, voilà ce monsieur qui vous avait dit qu’il reviendrait.

MADAME DESROCHES.

Je vous quitte ; mais vous souviendrez-vous assez du son de ma voix ? Si vous voulez que je revienne chanter.

MADAME JOBIN.

Non, madame, je vous ai entendue assez.

À Mathurine.

Dis là-dedans qu’on se tienne prêt.

Mathurine et madame Desroches sortent.

 

 

Scène XI

 

LE MARQUIS, MADAME JOBIN

 

MADAME JOBIN.

Eh bien ! monsieur, votre Languedocienne ?

LE MARQUIS.

Elle a eu peur. Cela est pardonnable à une femme. Vous m’avez surpris, je vous l’avoue ; je ne croyais pas que vous pussiez deviner que nous vous trompions, et je trouve cela plus étonnant que si vous nous aviez fait voir votre démon familier.

MADAME JOBIN.

Il sera toujours fort malaisé qu’on me trompe. Je pratique certains esprits éclairés.

LE MARQUIS.

Laissons vos esprits, cela est bon à dire à des dupes. J’ai couru le monde, et je sais peut-être quelques secrets que vous seriez bien aise d’apprendre. Il est vrai que tout ce que je vous ai dit de la dame languedocienne n’était qu’un jeu : elle est femme d’un gentilhomme qui est venu ici poursuivre un procès, et vous avez parlé en habile devineresse, quand vous avez dit que je ne l’avais ni enlevée ni épousée. Entre nous, par où avez-vous pu le savoir ?

MADAME JOBIN.

Par la même voie qui me fera découvrir, quand je le voudrai, si ce que vous me dites présentement est vrai ou faux.

LE MARQUIS.

Vous voulez encore me parler de vos esprits ? Est-ce avec moi qu’il faut tenir ce langage ? J’ai cherché inutilement en mille lieux ce qu’on dit que vous faites voir à bien des gens ; et il y a longtemps que je suis revenu de tous ces contes. Je vous parle à cœur ouvert, faites-en de même. Avouez-moi les choses comme elles sont ; je ne suis pas homme à vous empêcher de gagner avec les sots ; chacun doit faire ses affaires en ce monde, et depuis le plus grand jusqu’au plus petit, tous les personnages qu’on y joue ne sont que pour avoir de l’argent.

MADAME JOBIN.

Comment, de l’argent ! Pour qui donc me prenez-vous ? Il n’y a point d’illusion dans ce que je fais ; je tiens ma parole à tout le monde ; et je voudrais la tenir au Diable, si je lui avais promis quelque chose.

LE MARQUIS.

Je le crois : il faut bien tenir parole aux honnêtes gens ; mais encore un coup, madame Jobin, avouez moi que votre plus grande science est de savoir bien tromper : je vous en estimerai encore davantage ; je louerai votre esprit ; et, si vous me voulez apprendre vos tours d’adresse, je vous les paierai mieux que ne font les faibles à qui vous faites peur par là.

MADAME JOBIN.

C’est trop m’insulter : gardez de vous en trouver mal ; je n’ai aucun dessein de vous nuire, mais on pourrait prendre ici mon parti ; et quoique vous ne voyiez personne, on vous entend.

LE MARQUIS.

Vous parlez à un homme assez intrépide. Je me moque de tous vos diables : faites-les paraître, je les mettrai peut-être bien à la raison.

La Devineresse paraît en furie, marche avec précipitation, regarde en haut et en bas, marmotte quelques paroles, après quoi on entend le tonnerre, et on voit de grands éclairs dans la cheminée.

Quelle bagatelle ! Je ferai tonner aussi quand il me plaira. Mais il me semble que j’ai vu tomber quelque chose. Encore ? Un bras et une cuisse ?

MADAME JOBIN.

Il faut voir le reste.

LE MARQUIS.

Je le verrai sans trembler.

Les autres parties du corps tombent par la cheminée.

MADAME JOBIN.

Peut-être. De plus hardis que vous ont eu peur. D’où vient ce silence ? Vous êtes tout interdit.

LE MARQUIS.

Je ne m’étais pas attendu à cette horreur. Un corps par morceaux ! Assassine-t-on ici les gens ?

MADAME JOBIN.

Si vous m’en croyez, monsieur, vous sortirez.

LE MARQUIS.

Moi, sortir !

MADAME JOBIN.

Ne le cachez point : vous voilà ému ?

LE MARQUIS.

J’ai eu un peu d’émotion, je vous le confesse ; mais elle ne m’est causée que par le malheur de ce misérable.

MADAME JOBIN.

Puisque son malheur vous touche tant, je veux lui rendre la vie.

Elle fait signe de la main : le tonnerre et les éclairs redoublent, et pendant ce temps les parties du corps s’approchent, se rejoignent, le corps se lève, marche et vient jusqu’au milieu du théâtre.

Vous reculez ; vous baissez les yeux ; vous vous faites une honte de me dire que vous avez peur. Je veux oublier que vous m’avez insultée, et faire finir la frayeur où je vous vois.

Elle parle au corps dont les parties se sont jointes.

Retournez au lieu d’où vous venez, et remettez-vous dans le même état où vous étiez avant le commandement que je vous ai fait de paraître.

Le corps s’abîme dans le milieu du théâtre.

LE MARQUIS.

Où donc est tout ce que j’ai vu ? Il me semble qu’un homme a fait quelques pas vers moi, je serais bien aise de lui parler. Qu’est-il devenu ?

MADAME JOBIN.

La voix vous tremble ! Vous m’aviez bien dit que vous étiez intrépide.

LE MARQUIS.

J’ai vu des choses assez extraordinaires pour en avoir un peu de surprise ; mais pour de la peur, vous me faites tort si vous le croyez.

MADAME JOBIN.

Vous avez pourtant changé de visage plus d’une fois. Que serait-ce si je vous avais fait voir ce que vous avez tant cherché inutilement ?

LE MARQUIS.

Je vous donne cent pistoles, si vous le faites.

MADAME JOBIN.

Vous en mourriez de frayeur.

LE MARQUIS.

Je ne me dédis point de cent pistoles. Si vous pouvez me montrer le Diable, je dirai que vous êtes la plus habile femme du monde.

MADAME JOBIN.

Revenez demain, et faites provision de fermeté.

LE MARQUIS.

Quoi ! c’est tout de bon ?

MADAME JOBIN.

C’est tout de bon. Nous verrons si vous soutiendrez sa vue. Viendrez-vous !

LE MARQUIS.

Si je viendrai ? Oui. Mais répondez-moi que ma vie sera en sûreté.

MADAME JOBIN.

Elle y sera, pourvu que la peur ne vous l’ôte pas.

LE MARQUIS.

Ne puis-je amener personne avec moi ?

MADAME JOBIN

Non ; il faudra que vous soyez seul.

LE MARQUIS.

Adieu, madame, vous aurez demain de mes nouvelles.

Il sort.

 

 

Scène XII

 

MADAME JOBIN

 

Il y pensera plus d’une fois, s’il vient. Il n’est hardi qu’en paroles, et puisqu’il a déjà tremblé du corps par morceaux, le Diable que je prétends lui montrer le fera trembler bien autrement.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

LE MARQUIS, LE CHEVALIER

 

LE MARQUIS.

Comment, Chevalier, vous à Paris !

LE CHEVALIER.

Un billet de la Marquise, que je reçus hier sur les deux heures par un exprès qu’elle m’avait envoyé, m’a fait revenir si promptement.

LE MARQUIS.

On veut qu’elle soit venue hier consulter madame Jobin sur votre chapitre ; qu’elle vous y ait vu dans un miroir, baisant son portrait.

LE CHEVALIER.

Il est vrai que je baisais toujours son portrait dans ma solitude.

LE MARQUIS.

Qu’elle vous ait écrit dans le même temps pour vous ordonner de revenir ; qu’un esprit vous ait porté sa lettre, et qu’il ait apporté votre réponse un quart d’heure après.

LE CHEVALIER.

Que m’apprenez-vous ? Il est certain qu’à moins qu’être diable on ne saurait avoir fait plus de diligence que moi.

LE MARQUIS.

Vous croyez donc que c’était un diable ?

LE CHEVALIER.

Peut-être me faites-vous un conte pour vous divertir ; mais ce qui est très vrai, c’est que je baisais le portrait de la Marquise un moment avant que sa lettre me fût rendue.

LE MARQUIS.

Vous le baisiez. On vous a écrit, et vous avez fait réponse sur l’heure. Je ne sais plus que vous dire.

LE CHEVALIER.

Je ne suis pas moins surpris que vous.

LE MARQUIS.

Madame Jobin est de vos amis. Elle vous dira ce qui en est.

LE CHEVALIER.

Je ne sais si c’est une chose dont je doive chercher à être éclairci. Mon principal intérêt est de savoir d’elle si je n’ai point à craindre quelque changement de la Marquise.

LE MARQUIS.

On m’a dit qu’elle ne tarderait pas à revenir. Je vais vous laisser l’attendre. Comme il faut que je sois seul pour ce que j’ai à lui dire, je prendrai mon heure.

LE CHEVALIER.

Si ce n’est que pour moi que vous sortez, je vous quitterai la place.

LE MARQUIS.

Non, rien ne me presse, et je serai même bien aise de ne lui parler pas si tôt.

Il sort.

 

 

Scène II

 

LE CHEVALIER, MADAME JOBIN

 

LE CHEVALIER.

Ah ! vous voilà, madame Jobin. Je vous attendais.

MADAME JOBIN.

Eh bien ! notre affaire ?

LE CHEVALIER.

Elle ne peut mieux aller. Hier, après vous avoir quittée, je me fis mener en chaise roulante à deux lieues d’ici. Les vitres étaient levées, j’avais le nez couvert d’un manteau, et il était impossible de me reconnaître. Le soir approchant, je pris la poste, et allai mettre pied à terre à la porte de la Marquise. Heureusement, soit pour m’attendre, soit pour regarder, elle était à sa fenêtre. Elle m’aperçut, et je lui entendis faire un cri. Je montai, et la trouvai un peu interdite. Elle ne voulait presque point souffrir que je l’approchasse, tant elle avait peur que je ne tinsse de l’esprit qui m’avait donné sa lettre. Mais je la rassurai par mille choses que je lui dis. Mille protestations d’amour suivirent ; et si elle me tient parole, il ne me reste plus que trois jours à soupirer.

MADAME JOBIN.

Elle vous épouse ?

LE CHEVALIER.

Oui ; son portrait baisé a fait des merveilles, et elle ne peut trop payer ma fidélité.

MADAME JOBIN.

Je suis ravie que mon adresse vous ait fait heureux.

LE CHEVALIER.

Je reconnaîtrai ce que vous avez fait pour moi. Mais je puis dire que vous avez aussi travaillé pour vous, car cela vous met dans une réputation incroyable. La Marquise a dit à quelqu’un ce qui s’était passé hier chez vous. Ce bruit a couru, et j’ai déjà vu quatre ou cinq de mes amis qui m’ont demandé s’il était vrai que je fusse hier à vingt lieues d’ici.

MADAME JOBIN.

N’allez pas les détromper.

LE CHEVALIER.

Ce serait me perdre. Je leur jure à tous que j’étais absent, et que je pris la poste sur une lettre que je reçus à deux heures. Mais, adieu ; je vous viendrai trouver à minuit quand j’aurai longtemps à vous parler, car vous avez toujours tant de pratiques.

MADAME JOBIN.

Vous n’en devez pas être fâché, je les dois à ce que vous avez publié de moi.

Il sort.

 

 

Scène III

 

M. GILET, avec un habit d’officier, MADAME JOBIN

 

M. GILET.

Ah ! ma chère madame Jobin, me reconnaissez-vous bien ?

MADAME JOBIN.

Je regarde. Comment ! c’est M. Gilet.

M. GILET.

En poil et en plumes. Avec cet habit, voyez, ne peut-on pas devenir mestre de camp ?

MADAME JOBIN.

Et par-delà même.

M. GILET.

Je n’en trouvai point hier à ma fantaisie chez mon tailleur. J’ais fait faire celui-là exprès. Il a travaillé toute la nuit. Voyez-moi partout. Est-ce là un air ?

MADAME JOBIN.

Admirable, d’un de ces hommes de guerre qui se sont trouvés à cinquante assauts.

M. GILET.

Je m’y ferai voir. Franchement, l’habit fait bien le soldat. Celui-ci m’inspire une envie de dégainer. Je me donne au Diable, à l’heure qu’il est, si je ne tuerais pas cent hommes.

MADAME JOBIN.

Il ne faut pas être si brave dès le premier jour.

M. GILET.

J’irai loin, ou il n’y aura point de guerre. Trois ou quatre sots qui avaient un peu de familiarité avec moi m’ont dit impertinemment qu’il fallait que je fusse fou de m’être fait habiller ainsi. J’ai tiré l’épée, le petit doigt (comme vous me l’avez appris) ferme. Ils m’ont regardé, se sont retirés en feignant de rire, et pas un d’eux n’a osé branler.

MADAME JOBIN.

Je le crois. Ils n’y auraient pas trouvé leur compte.

M. GILET.

L’épée est divine. Quel trésor ! avec ce petit doigt là, je défierais tout un escadron.

MADAME JOBIN.

Vous en viendrez à bout ; mais ne laissez pas de vous modérer jusqu’à ce que vous soyez à l’armée.

M. GILET.

J’aurai bien de la peine à me retenir.

 

 

Scène IV

 

M. GILET, LE CHEVALIER, MADAME JOBIN

 

LE CHEVALIER, à madame Jobin.

Deux mots, je vous prie, pour une chose dont j’avais oublié de vous avertir.

Il lui parle bas.

MADAME JOBIN.

J’y prendrai garde.

LE CHEVALIER.

En voyez-vous assez bien la conséquence ?

MADAME JOBIN.

Il ne me faut pas tant dire.

LE CHEVALIER.

Songez-y bien, au moins.

MADAME JOBIN.

C’est assez.

LE CHEVALIER.

S’il arrivait par hasard.

M. GILET, au Chevalier.

Pourquoi importuner madame Jobin, quand elle vous dit que c’est assez ?

LE CHEVALIER.

Je vous trouve bon de le demander !

M. GILET, tirant l’épée.

Ah ! vous faites l’entendu ?

MADAME JOBIN.

Eh, M. Gilet !

M. GILET.

Non, point de quartier, il faut que je l’estropie.

LE CHEVALIER.

Comment, venir sur moi l’épée à la main ?

Il le pousse.

M. GILET laisse choir son épée.

Vous poussez trop fort. Diable ! attendez.

LE CHEVALIER, ramassant l’épée de M. Gilet.

Il ne faut pas faire l’insolent quand on ne sait pas mieux se battre que vous.

M. GILET, à part.

Est-ce que j’ai mis mon petit doigt de travers ?

LE CHEVALIER, à madame Jobin.

Il est heureux d’être ici, je le traiterais ailleurs comme il le mérite ; mais je ne veux pas vous faire de bruit. Voilà son épée.

MADAME JOBIN.

Vous m’obligez fort d’en user ainsi.

Il sort.

 

 

Scène V

 

M. GILET, MADAME JOBIN

 

MADAME JOBIN.

Vous ne sauriez être sage, M. Gilet.

M. GILET.

J’ai vu l’heure que j’allais être frotté. Je ne sais comment cela s’est fait, car j’appuyais du petit doigt sous la garde, d’une fermeté !...

MADAME JOBIN.

Ne voyez-vous pas que je vous faisais signe de reculer ? Il n’avait garde qu’il ne vous battît.

M. GILET.

Pourquoi ?

MADAME JOBIN.

C’est que je lui ai donné une épée enchantée aussi bien qu’à vous. Il y a trois mois qu’il a la sienne, et les premiers qui en ont battent les autres.

M. GILET.

Je savais bien que je ne m’étais pas trompé à mon petit doigt. Peste ! il allongeait à coup sûr ; et si j’eusse fait le sot, j’en avais au travers du corps.

MADAME JOBIN.

Vous voyez bien qu’il ne faut pas vous jouer à tout le monde.

M. GILET.

À présent que me voilà averti, je garderai tout mon courage pour l’armée. Je pars demain droit en Allemagne.

MADAME JOBIN.

Vous ferez très bien. Quand les ennemis auraient quelques épées enchantées, il n’y en a point qui vaillent les miennes.

M. GILET.

Adieu, madame Jobin, jusqu’à ce que vous me voyiez mestre de camp.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

MADAME JOBIN, M. GOSSELIN

 

MADAME JOBIN.

Mathurine !

M. GOSSELIN.

Elle était là-bas quand je suis monté

MADAME JOBIN.

Ah ! c’est vous, mon frère ?

M. GOSSELIN.

Je viens de parler à mon procureur. Il dit que dans trois ou quatre jours il sera temps de solliciter.

MADAME JOBIN.

Je vous promets de vous trouver des amis. Vous ne ferez plus scrupule de recevoir du secours d’une sœur sorcière ?

M. GOSSELIN.

Ne savez-vous pas que je suis devenu moi-même sorcier ? J’aidais hier à faire remuer le corps qui effraya tant votre Marquis.

MADAME JOBIN.

Il faisait le brave, et eut grande peur ; je vois tous les jours de ces braves-là. Ils parlent bien haut quand il ne faut que parler, mais la moindre vision les épouvante.

M. GOSSELIN.

Il veut pourtant voir le Diable. Croyez-vous qu’il vienne ?

MADAME JOBIN.

Il aura repris du courage depuis hier.

M. GOSSELIN.

Après l’avoir vu trembler comme il a fait, je le divertirais bien s’il avait affaire à moi.

MADAME JOBIN.

Eh bien ! faites le Diable pour lui ; je m’en fierai plus volontiers à vous qu’à personne.

M. GOSSELIN.

Comment, le Diable ?

MADAME JOBIN.

Vous avez la taille merveilleuse pour cela. Un diable ragot ne fait pas la moitié de l’impression que vous ferez. Demeurez toujours ici : vous gagnerez plus avec moi qu’à être procureur fiscal.

M. GOSSELIN.

Quitter ma charge de procureur fiscal pour faire le Diable ?

MADAME JOBIN.

Allez, ce n’est peut-être pas trop changer d’état.

M. GOSSELIN.

Vous m’instruirez quand vous serez seule. Je ne serai point fâché de me réjouir de votre Marquis.

Il sort.

 

 

Scène VII

 

LA GIRAUDIÈRE, MADAME JOBIN

 

MADAME JOBIN.

M. de la Giraudière me venir voir encore aujourd’hui !

LA GIRAUDIÈRE.

Madame Jobin, je suis converti. Mes pistolets retrouvés m’ont fait croire tout ce que je ne croyais point de vous ; et l’on ne me saurait faire plus de plaisir que de m’en dire du bien.

MADAME JOBIN.

Voilà un grand changement.

LA GIRAUDIÈRE.

Comment diable ! j’apprends tous les jours des choses qui me font voir que vous êtes la plus habile de toutes les femmes. Vous vîtes hier une Languedocienne ?

MADAME JOBIN.

Oui, qui croyait me duper par une histoire d’enlèvement.

LA GIRAUDIÈRE.

Rien n’est plus naturel que d’avoir découvert la tromperie. Avez-vous su qui c’était ?

MADAME JOBIN.

L’esprit que j’allai consulter sur sa fausse histoire me l’aurait appris si j’eusse voulu ; mais que m’importait de le savoir ?

LA GIRAUDIÈRE.

C’était la comtesse d’Astragon.

MADAME JOBIN.

Quoi ! je lui dis les choses comme son amie, et elle se défie de moi ?

LA GIRAUDIÈRE.

Elle est bien éloignée de s’en défier ; mais un peu de complaisance pour son amant.

MADAME JOBIN.

Qu’elle l’épouse, je ne lui en parlerai jamais. Je sais pourtant bien ce qui en arrivera.

LA GIRAUDIÈRE.

Elle est résolue à n’en rien faire ; et pour vous le témoigner, je dois tantôt l’aller prendre pour l’accompagner ici.

MADAME JOBIN.

Qu’a-t-elle à y faire ?

LA GIRAUDIÈRE.

Elle veut vous demander un secret pour oublier le Marquis.

MADAME JOBIN.

Si elle vient pour cela, je n’ai rien à dire. Il faut la servir.

LA GIRAUDIÈRE.

Il m’a raillé sur mes pistolets : j’aurai une joie qu’on le puisse chagriner. Mais, ma chère madame Jobin, à présent que me voilà convaincu de ce que vous savez, j’ai aussi quelque chose à vous demander pour moi.

MADAME JOBIN.

Qu’y a-t-il ?

LA GIRAUDIÈRE.

Je suis un bon gros garçon qui aime la joie. Rien n’y est si contraire que l’attachement ; et, ce que je voudrais, ce serait que vous me donnassiez un secret pour être aimé de toutes les femmes que je trouverais aimables. Naturellement je suis le plus inconstant de tous les hommes. Ne m’en blâmez point, c’est le moyen de n’avoir jamais à soupirer. À le bien prendre, y a-t-il une vie plus misérable que celle d’un amant constant ? Pour bien connaître l’amour, il faut aimer tout, les belles et les agréables, les grandes et les petites, les grasses et les maigres, les brunes et les blondes, les enjouées et les tristes ; elles ont toutes quelque chose de différent dans leur manière d’aimer, et c’est cette différence qui empêche qu’on ne s’ennuie en aimant.

MADAME JOBIN.

Vous êtes d’assez bon goût.

LA GIRAUDIÈRE.

J’ai de la pratique, et je connais les femmes. Il en est qui par fierté n’aiment point, ne voulant pas qu’aucun homme au monde puisse dire qu’il ait de l’avantage sur elles ; il y en a d’insensibles par nature ; il y en a que rien ne peut faire changer, quand elles ont une fois donné leur cœur ; d’autres ont des aversions naturelles pour l’amant ou pour l’amour ; et, comme la gloire de se faire aimer de toutes ces sortes de femmes est d’autant plus grande que la chose paraît impossible, c’est pour cela que je vous demande un secret.

MADAME JOBIN.

Je ne veux pas vous dire que je n’en ai point ; mais, comme je ne puis lui donner une entière force sans conjurer les esprits les plus difficiles à gagner, cela ne se fait pas tout en un jour, et vous ne vous apercevrez peut-être de plus de six mois que j’aie obtenu pour vous ce que vous m’engagez à demander.

LA GIRAUDIÈRE.

Mais dans six mois m’assurez-vous que je me ferai aimer de toutes les femmes qui me plairont ?

MADAME JOBIN.

Je vous en assure ; et même dès aujourd’hui je pourrais vous faire voir quelques-unes de celles dont vous voudrez être aimé.

LA GIRAUDIÈRE.

Ah ! je vous en prie.

MADAME JOBIN.

Ce qui m’embarrasse, c’est que les esprits qu’il faut que j’emploie sont commis à la garde d’un trésor, où ils voudront peut-être que vous mettiez quelque grande somme.

LA GIRAUDIÈRE.

Si soixante ou quatre-vingts louis que j’ai dans ma bourse les accommodent, ils sont à eux.

MADAME JOBIN.

S’ils n’y songent point, à la bonne heure... Je voudrais ne vous faire rien coûter.

LA GIRAUDIÈRE.

Vous vous moquez, j’ai du bien, et l’on me voit faire une assez belle dépense pour mes plaisirs. Travaillez pour moi, je n’aurai point de regret à ma bourse.

MADAME JOBIN.

Vous verrez des choses qui vous surprendront ; mais, comme elles ne seront pas excessivement terribles, je crois que vous aurez le cœur assez ferme.

LA GIRAUDIÈRE.

C’est mon affaire ; si je m’effraie, tant pis pour moi.

MADAME JOBIN.

Demeurez ici. J’entre là-dedans pour faire une première conjuration, où je ne reçois jamais personne. Je reviens dans un moment.

Elle sort.

 

 

Scène VIII

 

LA GIRAUDIÈRE

 

Après avoir traité si longtemps de dupes tous ceux qui voyaient madame Jobin, me rendrais-je bien moi-même sa dupe ? L’argent demandé pour ses diables du trésor me fait craindre quelque tour d’adresse. Il faut voir, ne fût-ce que par curiosité. Mes pistolets et la fausse Languedocienne découverte sont des choses qui doivent me persuader. J’ai de bons yeux, quitte à ne me vanter de rien si elle me trompe.

 

 

Scène IX

 

LA GIRAUDIÈRE, MADAME JOBIN

 

MADAME JOBIN.

J’ai fait l’invocation la plus nécessaire, et l’obscurité va régner ici.

Une nuit paraît.

LA GIRAUDIÈRE.

Qu’est ceci ?

MADAME JOBIN.

Vous avez peur ?

LA GIRAUDIÈRE.

Point du tout. Mais je ne serais pas fâché de voir clair.

MADAME JOBIN.

Voici la Lune. Comme elle nous prête sa clarté pour tous nos mystères, il faut qu’elle la continue ici, pendant que je vais conjurer l’Enfer de faire paraître le bouc.

LA GIRAUDIÈRE, voyant paraître une figure de bouc.

Je sais qu’il est en vénération parmi vous.

MADAME JOBIN.

C’est assez qu’il ait paru. Vous allez voir cinq ou six du nombre des belles qui vous aimeront.

Elle prononce un mot inconnu, et il passe une figure de caprice.

Ce n’est pas là ce que je demande.

Un démon paraît avec une bourse ouverte.

Vous voyez pourquoi ils se font prier. Je voulais vous épargner votre argent, mais.

LA GIRAUDIÈRE.

Cette bourse ouverte est un langage significatif. Vous savez que je leur avais destiné la mienne. La voilà.

MADAME JOBIN.

Donnez, ils ne la prendraient pas de votre main.

Une autre figure paraît ici ayant une épée à ses pieds.

Par l’épée que celui-ci vous montre sous les pieds, il vous avertit d’ôter la vôtre. J’avais oublié de vous dire qu’on ne paraît jamais devant eux l’épée au côté.

LA GIRAUDIÈRE.

Ôter mon épée ? Ce genre de respect est assez nouveau.

MADAME JOBIN.

Donnez-la-moi, je vous en rendrai bon compte.

LA GIRAUDIÈRE.

Volontiers ; aussi-bien elle me serait assez inutile contre des esprits. Sont-ils contents ?

MADAME JOBIN.

Oui, et vous allez voir quelques unes des maîtresses que vous aurez. Les figures qui les suivront vous en feront si clairement connaître l’humeur, que je n’aurai rien à vous en dire. Regardez.

Plusieurs figures de femmes paraissent ici l’une après l’autre.

LA GIRAUDIÈRE.

Voilà une belle femme et qui ne manque pas d’embonpoint. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, la table qui vient après elle est bien garnie ; cela marque que la bonne chère ne lui déplaît pas : tant mieux, nous ferons de bons repas ensemble. Cette autre, assez belle, quoique un peu maigre, ne se trouverait pas mal de ce que la première a de trop. Elle doit être d’un tempérament colère. Ce lion le marque.

MADAME JOBIN.

Je vous avais bien dit que vous pourriez vous instruire par vous-même.

LA GIRAUDIÈRE.

Que je suis charmé de cette brune ! Je pense que je serai un peu moins inconstant pour elle que pour les autres. L’Amour qui la suit fait voir qu’elle saura bien aimer. C’est l’ordinaire des brunes, elles aiment presque toujours fortement. En voici une que je crois délicieuse ; elle est toute jeune, les fleurs lui plaisent, il faudra lui envoyer des bouquets. Que d’instruments ! je vois bien que la musique est son charme : tant mieux, j’aime l’Opéra ; nous irons souvent ensemble.

MADAME JOBIN.

Et cette blonde, qu’en dites-vous ?

LA GIRAUDIÈRE.

Elle est d’une beauté surprenante ; que j’aurais de joie de m’en voir aimé ! Mais ce ne sera pas pour longtemps : ce moulin à vent me la peint légère.

MADAME JOBIN.

Ce caractère vous fait-il peur ?

LA GIRAUDIÈRE.

Pas tout à fait ; rien ne semble fâcheux à un inconstant.

MADAME JOBIN.

Mon génie, qui paraît, m’avertit qu’il n’y a plus rien à savoir pour moi d’aujourd’hui. Voilà votre épée que je vous rends.

LA GIRAUDIÈRE.

J’ai vu d’agréables apparitions, car je ne crois pas que vous prétendiez me faire passer cela pour autre chose.

MADAME JOBIN.

Êtes-vous content ?

LA GIRAUDIÈRE.

Je suis tout plein de ce qui a passé devant moi. Adieu, je vais dire encore merveilles de vous à notre Comtesse. Je vous l’amène tantôt.

Il sort.

 

 

Scène X

 

MADAME JOBIN

 

La dame jalouse n’a qu’à me compter ses trois cents louis. Tout me favorise dans ce que j’ai entre pris pour elle : le Marquis épouvanté, la Comtesse résolue à l’oublier, et La Giraudière entêté de mon savoir ! Qui en aurait tant espéré tout à la fois ? Je suis fort trompée si le Marquis a l’assurance de revenir. Mais n’importe, ne laissons pas de tenir le Diable tout prêt.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

MADAME JOBIN, DUCLOS

 

MADAME JOBIN.

Puisque la dame n’attend que vous pour venir ici, vous n’avez qu’à lui aller dire que je suis seule. Si quelqu’un me vient trouver pendant ce temps-là, vous le ferez attendre un moment dans cette autre chambre. Rien ne manquera : Mathurine est avertie de ce qu’il faut faire, et tout ira comme il faut.

DUCLOS.

Vous serez payée largement. C’est une femme qui s’effraie de rien, et qui croira ce que nous voudrons dès la moindre chose qui l’étonnera.

MADAME JOBIN.

Allez donc vite, et me l’amenez. Le Marquis, tout tremblant qu’il a été du corps par morceaux, pourrait revenir, et s’il revenait, je serais bien aise de vous avoir.

DUCLOS.

N’avez-vous pas un diable tout prêt ?

MADAME JOBIN.

D’accord ; mais il n’en sera que mieux que vous ayez l’œil à tout. Ce que je trouve plaisant, c’est que notre procureur fiscal, qui criait si haut d’avoir une sœur sorcière, prend goût à notre magie, et semble ne demander pas mieux que de devenir lui-même sorcier.

DUCLOS.

Mais ne hasardez-vous rien à vouloir pousser le Marquis à bout ? Il a intérêt à détromper la Comtesse, et cet intérêt le peut rendre plus hardi qu’un autre.

MADAME JOBIN.

Je l’ai éprouvé. Il s’agit de cent pistoles qu’il doit me donner, et cent pistoles ne se gagnent pas tous les jours. La peur le prit hier, et le prendra encore aujourd’hui ; mais quand il s’aviserait de faire le brave, nous ne risquons rien. Notre Diable est un des plus grands qu’on eût pu choisir, et si le Marquis veut mettre l’épée à la main, il se jettera sur lui, et n’aura pas de peine à le désarmer.

DUCLOS.

Faites-lui ôter l’épée avant que le Diable se montre à lui.

MADAME JOBIN.

C’est une précaution que j’ai eue pour les esprits qui ont ébloui La Giraudière ; mais si je l’avais avec le Marquis, je craindrons de lui donner du soupçon et de l’enhardir. Mais mettons la chose au pis ; quand notre Diable serait découvert, qu’arriverait-il ? Le Marquis aurait beau le publier, je nierais tout ce qu’il dirait contre moi, et je suis fort assurée que la Comtesse me croirait plutôt que lui.

DUCLOS.

Cela est certain, ou bien il faudrait qu’elle eût vu elle-même la tromperie. Mais je vois entrer une assez plaisante figure d’homme. Parlez-lui tandis que je vous amène la dame.

Il sort.

 

 

Scène II

 

M. DE TROUFIGNAC, MADAME JOBIN

 

MADAME JOBIN.

Que demandez-vous, monsieur ?

M. DE TROUFIGNAC.

Madame Jobin.

MADAME JOBIN.

C’est moi qui suis madame Jobin.

M. DE TROUFIGNAC.

Je viens à vous bien déconforté.

MADAME JOBIN.

Je remédie à bien des malheurs.

M. DE TROUFIGNAC.

On me l’a dit. Voyez-vous, je suis noble de bien des races dans le Périgord ; mais c’est que je me suis marié depuis un an. J’avais pris pour rien la fille d’un vieux procureur du Bourg qui est bien gentille, afin qu’elle fît tout, comme je l’entendrais ; et quand ç’a été fait, elle m’a dit qu’elle ne m’avait pris que pour faire bonne chère et se divertir. Elle va à la chasse, et tire un fusil des plus hardiment.

MADAME JOBIN.

Il n’y a pas de mal à cela.

M. DE TROUFIGNAC.

Non ; mais elle a été à la chasse de quelques pistoles que j’avais eu bien de la peine à amasser, et elle m’en a emporté un bon sac tout plein. J’ai fait aller après elle ; on l’avait vue sur le chemin de Paris habillée en homme : j’y suis venu, et je la vis dans les rues il y a deux jours, avec un justaucorps et des plumes. Je mis vite ma casaque sur mon nez, afin qu’elle ne me vît pas. Je la voulais suivre, mais il vint tant de carrosses à la traverse que je ne la vis plus.

MADAME JOBIN.

Vous l’eussiez arrêtée sans les carrosses ?

M. DE TROUFIGNAC.

Je n’eusse eu garde. Elle eût mis l’épée à la main tout comme un homme.

MADAME JOBIN.

C’est à dire que vous craignez d’en être battu ?

M. DE TROUFIGNAC.

Non pas ; mais je voudrais bien que les choses se fissent avec douceur. Or, ne pourriez-vous pas bien la faire venir chez vous par quelque charme, et lui en donner un autre après cela afin qu’elle pût m’aimer

MADAME JOBIN.

Pour la faire venir chez moi, quand elle serait même dans le fond du Périgord, je le ferai très facilement. Mais il faut bien de la cérémonie pour changer le cœur des femmes, et j’ai besoin de temps pour cela.

M. DE TROUFIGNAC.

Je prendrai patience.

MADAME JOBIN.

Puisque cela est, donnez-moi sept pièces d’or pour les offrir à l’esprit qui m’amènera votre femme.

M. DE TROUFIGNAC.

Sept pièces ! ne serait-ce point assez de quatre ?

MADAME JOBIN.

Est-ce que vous ne savez pas que le nombre de sept est mystérieux ?

M. DE TROUFIGNAC.

Je n’y pensais pas. Faites donc bien, voilà les sept pièces.

MADAME JOBIN.

Pour montrer que vous consentez au charme, soufflez trois fois là-dessus. Plus fort ; encore plus fort. Revenez dans quatre jours. Je vous dirai en quel état seront vos affaires ; et quand j’aurai fait venir votre femme, je lui ferai avaler d’un certain breuvage...

M. DE TROUFIGNAC.

Faites-lui en avaler en quantité, j’en ai bon besoin.

MADAME JOBIN.

Je connaîtrai ce qu’il lui en faut.

M. de Troufignac sort.

 

 

Scène III

 

MADAME JOBIN

 

C’est autant de pris. Quand il reviendra, j’inventerai quelque conte qui l’obligera peut-être à ouvrir encore sa bourse. Combien de sots me rendent savante en dépit de moi !

 

 

Scène IV

 

M. DE TROUFIGNAC, MADAME JOBIN

 

M. DE TROUFIGNAC.

Ah ! madame !

MADAME JOBIN.

Qu’est-ce ?

M. DE TROUFIGNAC.

Que vous êtes habile ! le charme que vous venez de faire a opéré. J’ai aperçu ma femme là-bas, qui parle à votre servante.

MADAME JOBIN.

J’étais bien certaine qu’elle viendrait ; mais il ne faut pas vous laisser voir, cela détruirait le charme.

M. DE TROUFIGNAC.

Je serais bien fâché qu’elle m’eût vu.

MADAME JOBIN.

Holà ! Conduisez monsieur, et le faites sortir par la porte de derrière.

M. de Troufignac sort.

 

 

Scène V

 

MADAME JOBIN

 

Le hasard fait des merveilles pour moi. S’il continue à me favoriser autant qu’il fait depuis quelque temps, je n’aurai plus besoin d’espions.

 

 

Scène VI

 

MADAME DE TROUFIGNAC, MADAME JOBIN

 

MADAME DE TROUFIGNAC.

De la manière qu’on m’a dépeint madame Jobin, ce doit être elle que je trouve ici.

MADAME JOBIN.

Vous la voyez elle-même.

MADAME DE TROUFIGNAC.

J’ai de grandes choses à vous demander.

MADAME JOBIN.

Que refuse-t-on à un aussi beau cavalier que vous ?

MADAME DE TROUFIGNAC.

Je ne sais si vous prétendez railler ; mais, de vous à moi, j’ai quelques bonnes fortunes, et de la nature de celles dont beaucoup de gens se tiendraient heureux.

MADAME JOBIN.

Je ne doute pas que vous n’en sachiez profiter.

MADAME DE TROUFIGNAC.

J’en profite ; mais ce n’est pas tout à fait comme je voudrais. Il y a un petit obstacle, et je viens voir si vous le pourrez lever.

MADAME JOBIN.

Ce que vous me dites est bien général.

MADAME DE TROUFIGNAC.

Voici le particulier. Je vois les belles ; il n’y a rien en cela de surprenant à mon âge. Entre quatre ou cinq dont je ne suis pas haï, il y en a une, maîtresse d’elle, et riche, dit-on, de cent mille écus.

MADAME JOBIN.

J’entends. Vous auriez besoin d’un charme pour la faire consentir à vous épouser.

MADAME DE TROUFIGNAC.

Elle ne demanderait peut-être pas mieux non plus que moi. Elle est belle, a de l’esprit, et nous parois sons assez le fait l’un de l’autre ; mais.

MADAME JOBIN.

Eh bien ?

MADAME DE TROUFIGNAC.

C’est là le diable. Si vous devinez ce mais, je croirai que ce que je voudrais qui fût fait pour moi n’est pas impossible. Voilà ma main.

MADAME JOBIN.

Les connaissances qu’on a par là sont trop imparfaites. J’apprendrai plus en faisant votre figure. Il faut me dire en quel jour vous êtes né.

MADAME DE TROUFIGNAC.

Le quinzième de novembre.

MADAME JOBIN, feignant de tracer des figures sur ses tablettes.

La première lettre de votre nom ?

MADAME DE TROUFIGNAC.

Un C.

MADAME JOBIN.

De votre surnom ?

MADAME DE TROUFIGNAC.

Une S.

MADAME JOBIN.

Mon beau cavalier, de quelque belle que vous soyez amoureux, venez à moi, il n’y a point de faveur que je ne vous fasse obtenir.

MADAME DE TROUFIGNAC.

Par quel secret ?

MADAME JOBIN.

Les cent mille écus ne sont point pour vous, vous êtes femme.

MADAME DE TROUFIGNAC.

J’aime assez cela. Parce que je n’ai encore que du poil follet, je suis femme ! En est-ce là l’air ? Voyez ce chapeau, cette manière de tirer l’épée.

MADAME JOBIN.

Vous avez la meilleure grâce du monde à tout cela ; mais vous êtes femme.

MADAME DE TROUFIGNAC.

Votre figure n’a pas bien été.

MADAME JOBIN, continuant à tracer quelques figures sur ses tablettes.

Je vous en dirai davantage en l’achevant. Vous êtes mariée depuis un an. L’homme que vous avez épousé est fort campagnard. Vous ne l’aimez point, quoiqu’il vous ait prise pour rien. Il ne sait ce que vous êtes devenue, et vous lui avez emporté tout ce que vous avez pu d’argent.

MADAME DE TROUFIGNAC.

Voilà ce qu’il faut que le Diable vous ait révélé ; car, sans nulle exception, personne ne sait rien ici de mes affaires. Je loge chez une bonne dame qui me fait passer pour son neveu. Je lui ai seulement découvert que j’étais fille ; mais tout le reste lui est inconnu.

MADAME JOBIN.

Êtes-vous contente sur votre mais ?

MADAME DE TROUFIGNAC.

Je tombe des nues, je vous le confesse. Je ne m’étonne plus si tant de gens vous mettent si haut. Ils me vont avoir de leur parti. Que de merveilles je dirai de vous !

MADAME JOBIN.

Je fais des choses qui méritent un peu plus d’étonnement que de vous avoir dit des bagatelles.

MADAME DE TROUFIGNAC.

Je crois que vous pouvez tout, madame Jobin ; faites-moi homme.

MADAME JOBIN.

Que je vous fasse homme ?

MADAME DE TROUFIGNAC.

Vous en viendrez à bout, si vous le voulez. Je vous paierai bien.

MADAME JOBIN.

Les cent mille écus vous touchent le cœur.

MADAME DE TROUFIGNAC.

Je hais mon mal bâti de mari ; et si j’étais homme, j’en serais défaite. D’un autre côté, il me semble que je ne ferais point mal mes affaires auprès des belles. Je ne sais si cet habit me rend plus hardie à leur en conter ; mais elles m’écoutent avec assez de plaisir, et j’enrage de me voir tous les jours en si beau chemin pour demeurer court. La condition des femmes est trop malheureuse. La cape et l’épée, et faites moi homme. Aussi bien je n’ai pas envie d’en quitter l’habit.

MADAME JOBIN.

Je vous écoute pour rire avec vous, car vous êtes trop éclairée pour me parler sérieusement.

MADAME DE TROUFIGNAC.

C’est de mon plus grand sérieux ; et je vous jure que, de tout mon cœur, je voudrais devenir homme.

MADAME JOBIN.

Je n’en doute pas ; il y en a bien d’autres qui le voudraient comme vous. Que je serais riche avec un pareil secret !

MADAME DE TROUFIGNAC.

Puisque vous avez découvert ce qui n’est ici à la connaissance de qui que ce soit, rien ne vous saurait être impossible. Je suis enchantée de votre science.

MADAME JOBIN.

Quand vous voudrez l’employer pour apaiser la colère de votre mari.

MADAME DE TROUFIGNAC.

Il enrage plus d’avoir perdu ses pistoles que sa femme.

MADAME JOBIN.

Écoutez. Vous n’avez point de meilleur parti à prendre que de vous remettre bien avec lui. Ferez-vous toujours la libertine ? Si vous lui voulez donner plus de satisfaction que vous n’avez fait, j’ai une poudre qui le rendra plus amoureux de vous que jamais.

MADAME DE TROUFIGNAC.

Je ne manque point encore d’argent. Quand cela sera, nous en parlerons. Jusque là je me servirai des privilèges de cet habit : il me fait mener la vie du monde la plus agréable, et je n’y renoncerai qu’à l’extrémité. Adieu, madame Jobin, je ne vous donne rien aujourd’hui, nous nous reverrons plus d’une fois.

MADAME JOBIN.

Adieu, mon beau cavalier. Prenez garde à ne vous point trop risquer avec les belles. Il y a des pas dangereux pour vous.

MADAME DE TROUFIGNAC.

On se tire de tout quand on n’est point bête.

 

 

Scène VII

 

MADAME JOBIN

 

Voilà une des plus plaisantes rencontres que j’aie encore eues depuis que je me mêle de deviner. Le mari et la femme dans le même temps !

 

 

Scène VIII

 

MADAME DE CLÉRIMONT, DUCLOS, MADAME JOBIN

 

DUCLOS.

Entrez, madame.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Non, je ne veux point entrer, et je me repens bien d’être venue jusqu’ici. Ah ! ah !

DUCLOS.

Qu’avez-vous ?

MADAME DE CLÉRIMONT.

J’ai cru voir un démon tout noir derrière moi, et c’était l’ombre de ce gentilhomme qui descend.

DUCLOS.

Remettez-vous. Voilà madame Jobin.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Ah ! ah ! Eh ! monsieur, priez-la de n’approcher pas si près de moi.

DUCLOS.

Je me mettrai entre vous et elle. Qu’avez-vous à craindre ?

MADAME DE CLÉRIMONT.

Ses regards m’effraient. Qu’ils sont horribles !

DUCLOS.

C’est une imagination. Elle les a tournés comme une autre.

À madame Jobin.

J’ai dit à madame que j’étais de vos amis, et que je vous prierais d’employer toute votre science pour lui apprendre ce qu’elle veut sa voir de vous.

MADAME JOBIN.

Quand vous ne l’amèneriez pas, son mérite m’obligerait à n’épargner rien pour la satisfaire.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Voilà qui est bien honnête.

DUCLOS, à madame Jobin.

De votre mieux pour elle, je vous en conjure. C’est une femme intrépide, et qui n’aura point de peur, quoi que vous lui fassiez voir de surprenant.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Que dites-vous, monsieur ?

DUCLOS.

Je dis que vous soutiendrez la vue des choses les plus effroyables.

Bas.

Ne montrez pas de crainte, vous seriez perdue.

MADAME JOBIN.

Je le vois bien : Madame a l’air d’une femme fort rassurée.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Il est vrai. Je n’ai jamais peur de rien.

Bas, à Duclos.

Comme elle devine tout, elle saura que je ne dis pas vrai.

DUCLOS, bas, à madame de Clérimont.

Elle ne devine que les choses qu’on lui demande.

MADAME JOBIN.

Il faut, madame, que vous me disiez vous-même ce que vous souhaitez de moi. N’ayez point de honte, je sais les secrets de bien d’autres.

MADAME DE CLÉRIMONT.

J’aime. Ah !

MADAME JOBIN.

Voilà bien de quoi ! Et qui est-ce qui n’aime pas ? Si vous saviez comme moi combien de gens sont attaqués de ce mal, vous seriez bien étonnée.

MADAME DE CLÉRIMONT.

J’ai cru longtemps qu’on m’aimait, mais depuis un mois j’ai quelque soupçon qu’on me sacrifie à une rivale. On prend toutes les précautions imaginables pour m’empêcher de le découvrir, et pour me persuader qu’on m’aime toujours.

DUCLOS, à madame Jobin.

Il vous faut tout dire. C’est que madame a immensément de bien, et comme elle sait qu’il est de l’honnêteté, quand on aime, que celui qui en a le plus en donne à celui qui en a le moins, elle entretient un carrosse à son amant, et le met à même de faire une figure brillante dans le monde.

MADAME JOBIN.

Cela est d’une dame généreuse.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Oui, mais je ne voudrais pas lui donner de quoi plaire à mes dépens ; et si je savais qu’il me trompât, je lui retrancherais tout net le quartier que je lui dois.

MADAME JOBIN.

Cela serait bien juste.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Mais aussi je serais fâchée de me brouiller avec lui, s’il était vrai qu’il n’aimât que moi.

MADAME JOBIN.

L’affaire est fort délicate, et vous faites bien de chercher à vous éclaircir ; car autrement, ou vous servirez de risée à votre rivale, ou vous perdrez votre amant en vous brouillant avec lui.

MADAME DE CLÉRIMONT.

C’est raisonner juste.

DUCLOS, montrant madame Jobin.

Madame est une femme de bon sens.

MADAME JOBIN.

Je vais tout à l’heure vous faire dire la vérité.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Et par qui ? Ah ! je suis perdue, elle va faire entrer quelque démon. Je m’en vais sortir.

DUCLOS.

Gardez-vous en bien. Il vous tordrait le cou à la porte.

MADAME JOBIN.

Qu’avez-vous, madame ?

MADAME DE CLÉRIMONT.

Je me trouve mal, et je reviendrai une autre fois.

MADAME JOBIN.

Il faut que je vous délace. Vous êtes peut-être trop serrée dans votre corps.

MADAME DE CLÉRIMONT, faisant signe que madame Jobin n’approche pas.

Eh ! non. Ah !

DUCLOS, à madame Jobin.

N’approchez pas de madame ; elle est si délicate qu’on ne la peut toucher sans qu’on la blesse.

MADAME JOBIN.

Je vois ce que c’est, madame a peur ; mais qu’elle ne craigne rien. Au lieu de mes apparitions ordinaires, je vais seulement faire venir la tête de l’idole d’Abélanécus qui a tant parlé autrefois, et qui lui dira ce qu’elle a envie de savoir.

MADAME DE CLÉRIMONT.

La tête d’Abélanécus ! Une tête !

MADAME JOBIN.

Après qu’elle aura parlé, vous n’aurez à douter de rien.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Elle parlera ?

MADAME JOBIN.

Elle parlera.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Et je l’entendrai ?

MADAME JOBIN.

Et vous l’entendrez.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Non, assurément je ne l’entendrai point, car je sors d’ici tout à l’heure. Je n’ai plus ni curiosité ni amour, et je m’en vais vous payer pour m’avoir guérie de tous ces maux-là.

MADAME JOBIN.

Eh ! madame, quand on est une fois entrée ici, on n’en sort pas comme vous pensez.

DUCLOS.

Qu’allez-vous faire ? Vous êtes perdue. Des esprits invisibles sont répandus ici tout autour, et si vous faites affront à tout leur corps, en sortant, avant d’avoir eu réponse d’Abélanécus, ils se montreront peut-être avec leurs ongles crochus, et je ne sais pas ce qui en arrivera.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Quoi ! il faut que j’entende parler le Diable ?

MADAME JOBIN.

Bien des gens voudraient le voir, qui n’ont encore pu y réussir.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Ils n’ont qu’à venir chez vous.

MADAME JOBIN.

On y vient quelquefois inutilement. Il ne parle pas pour tout le monde, et il faut qu’il vous aime bien.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Comment, madame ! le Diable m’aime ? Je ne veux point être aimée du Diable.

DUCLOS, bas, à madame de Clérimont.

Faut-il le dire si haut ?tout le monde n’a pas son amitié. S’il va se fâcher, où en êtes-vous ?

MADAME JOBIN, à Duclos.

Que vous dit madame ?

DUCLOS, à madame Jobin.

Qu’elle a beaucoup d’obligation au Diable.

MADAME JOBIN.

Croyez, madame, qu’il vous servira. Je vais moi-même querir la tête qui doit parler ; car elle ne souffrirait pas qu’un autre que moi l’apportât ici. Je vous avertis qu’il ne faut pas que vous ayez peur. Je ne répondrais pas de votre personne.

Elle sort.

 

 

Scène IX

 

MADAME DE CLÉRIMONT, DUCLOS

 

MADAME DE CLÉRIMONT.

Où m’avez-vous amenée ? Je suis à demi morte. Quelle peine de trembler sans qu’il soit permis d’avoir peur ! Comment faut-il faire ?

DUCLOS.

Songez au plaisir que vous aurez de savoir la vérité, et de ne point passer pour dupe. Quand vous aurez entendu la tête, vous serez certaine de ce qu’il faudra faire.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Oui, mais la question est de l’entendre sans avoir peur, et c’est ce que je ne ferai jamais.

 

 

Scène X

 

MADAME DE CLÉRIMONT, DUCLOS, MADAME JOBIN, apportant une table sur laquelle la tête est posée

 

MADAME DE CLÉRIMONT.

Ah ! ah ! ah !

DUCLOS.

Eh ! madame, ne vous couvrez point les yeux. Le Diable n’est pas si horrible que vous le croyez

MADAME JOBIN.

Approchez, madame, voici la tête en état de vous parler.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Qu’elle parle, je l’entendrai bien d’ici.

MADAME JOBIN.

Si vous pouviez vous résoudre à la caresser, elle en parlerait bien plus volontiers.

MADAME DE CLÉRIMONT.

La caresser ! je ne le ferais pas pour tout l’or du monde.

DUCLOS.

Je m’en vais la caresser pour vous, moi. Comme elle est aise ! Regardez, madame.

La tête se tourne d’elle-même à droite et à gauche.

MADAME DE CLÉRIMONT, tirant à moitié sa main de dessus ses yeux.

Je n’oserais. Ah ! ah ! Mais pourquoi tant craindre ? C’est peut-être quelque vision.

MADAME JOBIN.

Une vision ! vous croyez donc que je vous trompe ? Il faut que vous en soyez éclaircie.

Elle marmotte ici quelques mots.

LA TÊTE.

Je t’ordonne de me venir toucher pour voir si c’est vision.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Je suis perdue ! Où me sauver ? Que ferai-je ?

DUCLOS, à madame de Clérimont.

Madame, pourquoi avez-vous parlé de vision ? vous vous êtes attiré cela.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Je n’en puis plus.

MADAME JOBIN.

Ne tardez pas tant à l’aller toucher. Elle pourrait s’élancer sur vous, et vous en porteriez de terribles marques.

DUCLOS.

Venez, madame, et de bonne grâce.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Il m’est impossible de faire un pas.

DUCLOS.

Un peu de courage, je vous aiderai.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Allons donc, puisqu’il n’y a pas moyen de m’en dispenser.

Elle s’arrête après s’être un peu approchée, et dit.

Il n’est pas nécessaire d’approcher de plus près ; c’est une tête effective, et je ne vois que trop bien qu’il n’y a point de vision.

MADAME JOBIN.

Ce n’est pas assez, il faut la toucher.

MADAME DE CLÉRIMONT.

La toucher !

DUCLOS.

Souvenez-vous qu’il ne faut pas avoir peur.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Eh ! le moyen de ne pas en avoir ?

DUCLOS.

N’en témoignez rien, du moins.

La dame étant proche de la table, la tête remue les yeux ; la dame fait un grand cri et recule ; Duclos la retient.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Ah ! le mouvement de ses yeux m’a tout effrayée.

DUCLOS.

Allons, faites un effort.

MADAME JOBIN.

Mettez la main dessus, il ne vous en arrivera aucun mal.

La dame avance la main, la retire, touche enfin la tête, et fait deux pas en arrière avec précipitation.

Ne reculez pas plus loin, vous l’avez touchée. Demandez-lui présentement ce qu’il vous plaira.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Quoi ! il faut que je l’interroge moi-même ?

MADAME JOBIN.

C’est votre affaire, et non pas la mienne.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Comment ! faire conversation avec une tête ?

DUCLOS.

Allons, madame, parlez vite, afin que nous sortions d’ici.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Faut-il faire un compliment ?

MADAME JOBIN.

Non, il faut la tutoyer.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Dis-moi... Je n’achèverai jamais.

DUCLOS.

Voulez-vous sortir sans avoir rien su ?

MADAME DE CLÉRIMONT.

Un petit moment, que je me rassure. Dis-moi, madame la tête, si je suis toujours aimée de M. Dumont ?

LA TÊTE.

Oui.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Aime-t-il madame de la Jublinière ?

LA TÊTE.

Non.

MADAME DE CLÉRIMONT.

Et ne va-t-il pas chez elle ?

LA TÊTE.

Quelquefois, mais c’est seulement pour obliger un ami.

MADAME DE CLÉRIMONT, avec précipitation.

Je n’en veux pas savoir davantage. Tenez, madame, voilà ma bourse. Adieu, je suis toute hors de moi même.

À Duclos.

Ne me quittez pas, monsieur, que vous ne m’ayez remise chez moi.

Elle sort avec lui.

 

 

Scène XI

 

MADAME JOBIN

 

Pourvu que la bourse vienne, il importe peu comment. Quelle folle avec sa peur !

 

 

Scène XII

 

MADAME JOBIN, PICARD

 

MADAME JOBIN.

Ôtez tout cela.

PICARD.

Madame, ce monsieur d’hier qui vous avait dit qu’il reviendrait, le voilà qui monte.

MADAME JOBIN.

Ôtez promptement, et qu’on se tienne prêt là dedans pour faire ce que j’ai dit quand on m’entendra parler.

Picard sort.

 

 

Scène XIII

 

MADAME JOBIN

 

Voici un coup de partie ; il faut, s’il se peut, en bien sortir.

 

 

Scène XIV

 

MADAME JOBIN, LE MARQUIS

 

LE MARQUIS.

Je ne sais ce que vous avez fait à une dame qui sort d’ici, mais je l’ai trouvée tout éperdue sur votre escalier ; et si son conducteur ne la soutenait, elle aurait peine à gagner la porte.

MADAME JOBIN.

Elle a été curieuse, et il a fallu la satisfaire.

LE MARQUIS.

J’avoue qu’on a besoin de fermeté avec vous.

MADAME JOBIN.

Il faut que vous en ayez fait provision, puisque vous vous hasardez à revenir.

LE MARQUIS.

Vous m’avez si fortement répondu que ma vie ne courait aucun danger, que je reviens sur votre parole.

MADAME JOBIN.

Oui ; mais il est certain que vous aurez peur. Songez-y bien pendant qu’il en est temps.

LE MARQUIS.

Il faut que je vous confesse la vérité. Je fus un peu effrayé de ce qui parut hier devant moi ; vous le remarquâtes, et la honte qui m’est demeurée de ma faiblesse me fait chercher à la réparer.

MADAME JOBIN.

Vous ne serez peut-être pas plus ferme aujourd’hui que vous ne le fûtes hier. La vue du Diable est plus terrible qu’un corps par morceaux.

LE MARQUIS.

J’ai promis de vous donner cent pistoles si vous pouviez me le faire voir ; je vous les apporte. Si je tremble, j’aurai au moins l’avantage d’avoir vu ce que mille gens sont persuadés qu’on ne saurait voir.

MADAME JOBIN.

Si vous m’en croyez, gardez votre bourse. Vous voyez que je ne suis pas intéressée.

LE MARQUIS.

Est-ce que vous ne pouvez me tenir parole ?

MADAME JOBIN.

Je ne le puis, moi ?

Elle fait des cercles et dit quelques paroles.

Donnez votre argent : on ne fait pas venir le Diable pour rien.

LE MARQUIS.

Cela est fort juste. Prenez.

MADAME JOBIN.

Vous allez voir un des plus redoutables démons de tout l’enfer. Ne lui marquez pas de peur.

LE MARQUIS.

Je ferai ce qui me sera possible pour n’en point avoir.

MADAME JOBIN.

Regardez ce mur : est-il naturel, bon, dur et bien fait ?

LE MARQUIS.

Il a toutes les qualités d’un bon mur ; mais pourquoi me le faire regarder ?

MADAME JOBIN.

C’est par là que le Diable va sortir sans qu’il y fasse la moindre ouverture.

LE MARQUIS.

J’ai peine à le croire.

MADAME JOBIN.

Allons, Madian ! par tout le pouvoir que j’ai sur vous, faites ce que je vous dirai : montrez-vous.

 

 

Scène XV

 

LE MARQUIS, MADAME JOBIN, M. GOSSELIN, vêtu en diable

 

LE MARQUIS.

Ah ! que vois-je là ?

MADAME JOBIN.

Quoi ! vous détournez les yeux ? Si vous voulez, nous finirons là.

LE MARQUIS.

Non, quand j’en devrais mourir de frayeur, je veux voir ce qu’il deviendra.

MADAME JOBIN.

Je le retenais afin qu’il ne pût avancer vers vous.

À M. Gosselin.

Ici, Madian, je vous l’ordonne.

Au Marquis.

Vous reculez dès le premier pas qu’il fait ? j’ai pitié de vous, je m’en vais lui commander de disparaître.

LE MARQUIS, arrêtant M. Gosselin et lui présentant le pistolet.

Parle, ou je te tue. Qui es-tu ?

MADAME JOBIN.

Qu’osez-vous faire ? Vous êtes perdu.

LE MARQUIS.

Je me connais mieux en diables que vous. Parle, te dis-je, ou tu es mort.

Il sort des éclairs des deux côtés de la trappe.

MADAME JOBIN.

Vous allez périr.

LE MARQUIS.

Votre enfer ridicule ni tous vos éclairs ne m’étonnent pas. Si tu ne parles, c’est fait de toi.

M. GOSSELIN.

Quartier, monsieur, je suis un bon diable.

LE MARQUIS.

Ah ! fourbe de Jobin ! je savais bien que je viendrais à bout de t’attraper. Il faut dire la vérité, autrement...

MADAME JOBIN.

Laissez-le aller, monsieur, vous serez content de moi.

LE MARQUIS.

Non, je ne le laisse point échapper que je ne sois éclairci de tout. Veux-tu parler ? Je tuerai le Diable.

M. GOSSELIN.

Eh ! monsieur, je ne suis qu’un pauvre procureur fiscal ! Que gagneriez-vous à me tuer ?

LE MARQUIS.

Le Diable, un procureur fiscal !

MADAME JOBIN.

Ne faites point de vacarme, je vous en prie. On m’a payée pour empêcher votre mariage, voilà pourquoi je cherchais à vous tromper.

 

 

Scène XVI

 

LA COMTESSE, LE MARQUIS, LA GIRAUDIÈRE, M. GOSSELIN, MADAME JOBIN

 

LA COMTESSE.

Ah ! ah ! madame Jobin, vous trompiez M. le Marquis. Nous avons tout entendu.

LE MARQUIS.

Puisque cela est, madame, le Diable peut prendre parti où il lui plaira, je le laisse aller.

M. GOSSELIN.

Si l’on m’y rattrape, qu’on m’étrille en diable.

Il sort.

 

 

Scène XVII

 

LA COMTESSE, LE MARQUIS, LA GIRAUDIÈRE, MADAME JOBIN

 

LA GIRAUDIÈRE, à demi bas.

Madame Jobin, dans six mois nous aurons quelque petite affaire à démêler.

LA COMTESSE.

Quelle effronterie ! Mettre le désordre parmi les gens pour attraper de l’argent !

MADAME JOBIN.

Je rendrai tout, ne me querellez point.

LE MARQUIS, à la Devineresse.

Il n’est pas temps de régler nos comptes.

LA COMTESSE.

Il faut que la chose éclate, afin que personne n’y soit plus trompé.-

MADAME JOBIN.

Ne dites rien, je ne suis pas si coupable que vous pensez.

 

 

Scène XVIII

 

LE MARQUIS, LA COMTESSE, MADAME JOBIN, LA GIRAUDIÈRE, MADAME NOBLET

 

LE MARQUIS, à madame Noblet.

Entrez, madame, vous ne pouviez arriver plus à propos. Ne craignez point de vous voir forcée à un second mariage ; il n’en faut pas croire la Devineresse, c’est la plus grande fourbe qui fut jamais.

MADAME JOBIN.

Voilà bien du bruit pour peu de chose.

LE MARQUIS.

Peu de chose, vieille scélérate ! après le désespoir où je suis depuis huit jours ?

MADAME NOBLET.

Comment ! Est-ce que madame Jobin ?...

LE MARQUIS.

Vous êtes de mes amies, réjouissez-vous de mon bonheur ; madame la Comtesse est détrompée.

LA COMTESSE.

Je venais demander un secret pour vous oublier, mais il n’y a plus moyen de le vouloir.

LE MARQUIS.

Quelle joie pour moi ! Afin de l’avoir entière, il faut savoir qui a payé la Devineresse pour me traverser ?

MADAME NOBLET.

On l’a payée ! Vous croyez cela ?

LE MARQUIS.

Elle nous l’a confessé.

MADAME JOBIN, en s’en allant.

Il ne me souvient plus de rien. Voilà tout ce que j’ai à vous dire.

 

 

Scène XIX

 

LE MARQUIS, LA COMTESSE, LA GIRAUDIÈRE, MADAME NOBLET

 

LA GIRAUDIÈRE.

Elle se tire d’affaire fort résolument.

LE MARQUIS.

Je prendrai mon temps. On sait comment la faire parler.

MADAME NOBLET.

Je cours après elle. Comme je ne veux jamais la revoir, j’ai quelques reproches à lui faire pour mon compte.

Elle sort.

 

 

Scène XX

 

LE MARQUIS, LA COMTESSE, LA GIRAUDIÈRE

 

LE MARQUIS, à la Comtesse.

Eh bien ! madame, avais-je tort de décrier madame Jobin ?

LA COMTESSE.

J’ai été sa dupe. Sortons d’ici. Vous aurez toute liberté d’en rire avec moi.

LE MARQUIS.

Allons, madame. Je me tiens assuré de mon bonheur, puisque j’ai eu l’avantage de vous détromper.

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