La Demoiselle et la Dame (Eugène SCRIBE - Jean-Henri DUPIN - Frédéric DE COURCY)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris sur le Théâtre du Gymnase, le 11 mars 1822.

 

Personnages

 

SÉBASTIEN, marchand mercier

DROGUIGNARD, son ami, ex-employé à la mairie

BELENFANT, jeune cuirassier, cousin d’Adélaïde

ADÉLAÏDE, future de Sébastien

MADAME GIRAUD, mère d’Adélaïde

PARENTS et AMIS

 

À la barrière du Maine.

 

Les environs de la Barrière du Maine. Sur le deuxième plan, à gauche du spectateur, la maison du restaurateur Bernard, portant pour enseigne : Aux quatre fils Aimon. Au fond le mur de séparation entre la ville et la campagne. On voit en dedans de la barrière plusieurs enseignes de traiteurs et marchands de vin.

 

 

Scène première

 

DROGUIGNARD, donnant son sac de nuit à un commissionnaire qui se tient à l’entrée de la barrière.

Porte cela rue d’Enfer, n° 24, chez M. Droguignard : tu demanderas Marguerite.

Descendant la scène.

Heureusement tous mes voyages sont terminés, et j’en ai pour longtemps. Après un mois d’absence, me voilà donc de retour dans mon quartier et dans ma patrie. Je dis ma patrie, car tout ce qui passe la barrière est pour moi pays étranger ; toute la France est dans Paris, et tout Paris dans le douzième arrondissement, où j’ai eu l’honneur d’être fonctionnaire... M. Droguignard, ex-employé à la mairie, tout le monde connaît ça ! Voilà bien Paris comme je l’ai laissé : le restaurant de M. Bernard, Aux quatre fils Aimon, qui me paraît aujourd’hui en pleine activité ; les boulevards neufs, le Luxembourg à droite.

Air du vaudeville de Partie carrée.

Dans ce jardin chaque jour me ramène,
Et j’y puis bien prendre intérêt, je crois ;
J’y suis vraiment comme dans mon domaine,
Le Luxembourg, en un mot, est à moi.
Des promeneurs je suis le plus tenace,
Matin et soir j’y suis posté,
Jusqu’au moment où le tambour me chasse
De ma propriété.

Je vais d’abord passer chez ce pauvre Sébastien, mon pupille, mon élève ; il doit être bien triste depuis mon départ. Hein ! quel est ce bruit ?

On entend un grand bruit dans l’intérieur du restaurant.

 

 

Scène II

 

DROGUIGNARD, SÉBASTIEN, en grand costume

 

SÉBASTIEN, à la cantonade.

Mettez le poulet à la tartare, et n’oubliez pas les crêpes, parce qu’elle les aime beaucoup.

DROGUIGNARD.

En croirai-je mes yeux ? Sébastien lui-même !

SÉBASTIEN, l’apercevant.

Ah ! mon Dieu ! c’est mon ami Droguignard. Comment diable est-il à Paris ?

DROGUIGNARD.

Tu ne m’attendais pas, j’en suis sûr.

SÉBASTIEN.

Non, certainement.

DROGUIGNARD.

Je n’avais pas voulu te prévenir, pour te surprendre.

SÉBASTIEN.

En effet, tu m’as surpris d’une manière bien... bien agréable.

DROGUIGNARD.

Ah çà ! dis-moi, qu’est-ce que tu as fait depuis mon départ pour Orléans ? Car tu sais que, moi, je te demande compte de tout.

SÉBASTIEN.

Oui, c’est une habitude que tu as prise.

DROGUIGNARD.

C’est plus fort que moi. À la mort de ton père, mon vieil ami, n’étais-tu pas exposé à tous les dangers et à toutes les séductions ? Une fortune superbe, trois mille livres de rente et un fonds de mercier bien achalandé... Où tout cela en serait-il, sans moi, sans la tutelle de l’amitié ?

SÉBASTIEN.

Je ne dis pas le contraire, et mon père avait raison d’avoir confiance en toi.

DROGUIGNARD.

Je le crois bien ; ce cher ami ! Sais-tu que pendant trente-cinq ans de sa vie nous avons dîné ensemble, tantôt chez moi, plus souvent chez lui. Voilà des amitiés solides ! Heureusement que la nôtre commence de même, et nous ne nous quitterons jamais, n’est-il pas vrai ? toujours amis, toujours garçons ; car, vois-tu bien, il n’y a que cela de bon dans le monde. De sa nature l’amitié est célibataire : car dès qu’une femme entre dans un ménage, c’est fini : les amis du mari ont toujours tort, et ceux de la femme ont toujours raison ; mais nous causerons de cela à loisir... Quel est ce repas où tu es invité et qui a lieu chez Bernard ? Est-ce une fête, un repas de corps ?

SÉBASTIEN, hésitant.

Non, non ; c’est une noce. Toute la famille va se rassembler chez le traiteur, pendant que la mariée et les témoins vont aller à la municipalité du douzième.

DROGUIGNARD.

Ah ! c’est quelqu’un du quartier qui se marie ?... Allons, un imbécile de plus ! Et quel est son nom ?

SÉBASTIEN.

Si je te le dis tu vas te fâcher ; c’est...

DROGUIGNARD.

Eh bien ! c’est ?...

SÉBASTIEN.

C’est moi.

DROGUIGNARD.

Comment ! c’est toi.

Air : Ah ! que de chagrins dans la vie. (Lantara.)

Sans moi prendre un parti semblable ?
Dieux ! voilà donc le prix de tous mes soins !
C’est affreux, c’est abominable !

SÉBASTIEN.

De lui je n’attendais pas moins.
Il va crier pendant une heure au moins.

DROGUIGNARD.

Ne sais-tu pas l’amitié qui m’enflamme ?

SÉBASTIEN.

Tu m’aimes trop, et ton zèle est trop grand ;
Aussi, mon cher, j’ai voulu prendre femme,
Pour être aimé modérément.

Aussi, pourquoi es-tu revenu ? Nous qui avions pressé tout cela, pour que ce fût fini avant ton retour !

DROGUIGNARD.

Et cet empressement-là même ne devait-il pas te donner des doutes ? On craignait mes conseils et mon expérience.

SÉBASTIEN.

Tu me dis cela pour m’effrayer, parce que tu ne veux pas que je me marie. Voilà cinq ou six ans que tu m’en empêches, et cependant il est temps d’y songer.

DROGUIGNARD.

Moi !... m’y suis-je jamais opposé ? Je t’ai dit seulement : Trouve une femme jolie, spirituelle, modeste, riche, sage, économe et fidèle, et je serai le premier à t’engager à te marier ; sans cela, serviteur !

SÉBASTIEN.

Eh bien ! mon ami, si ce n’est que cela, rassure-toi. J’ai trouvé justement ce qu’il te faut : mademoiselle Adélaïde Giraud.

DROGUIGNARD.

Comment ! la fille de cet ancien bonnetier ?

SÉBASTIEN.

Elle-même ; un âge raisonnable, une jolie fortune.

DROGUIGNARD.

Je ne dis pas non ; mais je les connais à merveille et depuis longtemps : la mère est méchante, bavarde, la plus mauvaise langue du quartier.

SÉBASTIEN.

Oui, mais je n’épouse pas la mère.

DROGUIGNARD.

J’entends bien ; à telles enseignes que le mari est mort de chagrin.

SÉBASTIEN.

À la bonne heure, mais je n’épouse pas...

DROGUIGNARD.

J’entends bien ; mais la fille, s’il m’en souvient, avait autrefois le caractère le plus violent, le plus emporté...

SÉBASTIEN.

Autrefois, c’est vrai ; mais à présent, c’est la bonté, la douceur même, et une candeur, une ingénuité... c’est étonnant comme elle a changé depuis quelques années. Demande à tous ses parents, ils te le diront comme moi.

DROGUIGNARD.

C’est cela, nous y voilà ! Dieu ! ai-je bien fait d’arriver ! Écoute-moi, Sébastien, n’as-tu jamais remarqué la manière dont les mamans parlent de leurs petites filles, quand elles ont dix à douze ans ? Elles ne les ménagent en rien, ne dissimulent aucun défaut : « Ah ! que cette enfant-là est insupportable ! qu’elle nous cause de chagrin à son père et à moi ! Comme elle est méchante ! comme elle est colère ! » Peu à peu on commence à garder le silence ; bientôt on dit tout haut en société que cette enfant-là n’est plus reconnaissable, qu’elle est bonne, qu’elle est douce ; plus tard c’est une merveille, une perfection. Qu’est-ce que cela prouve ? qu’elle est changée ? Non. Cela veut dire que la fille a dix-huit ans, qu’il est temps de l’établir, et que la mère demande un mari.

SÉBASTIEN.

Voilà que tu commences à me faire peur, parce que je l’aime, vois-tu bien... elle m’aime aussi, j’en suis sûr. Et si ce mariage-là allait manquer... Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! tu avais bien besoin de me dire tout cela ! et voilà que je ne sais plus que faire.

DROGUIGNARD.

Il en est temps encore ; réfléchis, je t’en conjure ; tu sens bien que c’est dans ton intérêt.

Air : Du partage de la richesse. (Fanchon la vielleuse.)

Oui, pour toi seul ma tendresse est craintive ;
Je serai, mon pauvre garçon,
N’importe, hélas ! ce qu’il arrive,
Toujours l’ami de la maison.
C’est pour ton bien que je te blâme ;
Et s’il le faut, quand tout sera fini,
Autant que toi, moi, j’aimerai ta femme...

SÉBASTIEN.

Ah ! je retrouve mon ami.

Oui, mon ami, oui, je t’en prie, ne me quitte pas ; quand tu n’es pas là, je ne fais que des sottises. Hier, j’étais seul, j’ai été au spectacle, et un militaire m’a cherché querelle.

DROGUIGNARD.

Tu lui as répondu ?

SÉBASTIEN.

Il le fallait bien, on me regardait. Je lui ai indiqué ce matin pour rendez-vous la barrière de Vincennes.

DROGUIGNARD.

Imprudent ami !

SÉBASTIEN.

Écoute donc, mon ami ; comme mon intention est de rester toute la journée dans les environs de la barrière d’Enfer...

DROGUIGNARD.

À la bonne heure !

SÉBASTIEN.

Tu sens bien que je n’en ai pas parlé à ma future, ni à sa mère. Mais les voici. Plus je la regarde, et moins je peux croire...

DROGUIGNARD.

Songe à ce que je t’ai dit, Sébastien.

 

 

Scène III

 

DROGUIGNARD, SÉBASTIEN, MADAME GIRAUD, ADÉLAÏDE

 

MADAME GIRAUD.

Concevez-vous rien de pareil à ce qui nous arrive !

Apercevant Droguignard.

Eh ! mais, c’est monsieur Droguignard ; je n’avais pas eu le plaisir de l’apercevoir. Vous voilà de retour dans ce pays ?

À Adélaïde.

Saluez donc, ma fille.

Adélaïde salue très bas et les yeux baissés.

SÉBASTIEN, bas à Droguignard.

Hein ? quel air modeste !

MADAME GIRAUD.

Je le disais hier à Adélaïde : Mon Dieu ! quel dommage que M. Droguignard ne soit pas à Paris ! M. Sébastien va se marier, et il ne sera pas témoin du bonheur de son jeune ami. C’était là notre seul regret, n’est-ce pas, Adélaïde ?

ADÉLAÏDE.

Ah ! oui.

SÉBASTIEN, de même.

Tu vois comme elles sont bonnes.

MADAME GIRAUD.

Je me rappelle qu’autrefois M. Droguignard venait souvent chez nous ; c’était un habitué de notre petite maison de la place Saint-Michel : mais voilà comme on se perd de vue ; il y a au moins dix-huit mois que vous n’avez dîné chez nous, n’est-ce pas ?

DROGUIGNARD.

Il y a six ans et demi, madame. J’ai là-dessus une mémoire excessivement locale. La dernière fois que nous nous vîmes, c’était le jour de cette grande querelle que vous eûtes avec votre mari.

MADAME GIRAUD.

Vous croyez ?

DROGUIGNARD.

Une dispute affreuse ; je me le rappelle parfaitement.

MADAME GIRAUD.

Je le crois bien, c’était un événement assez extraordinaire et assez rare pour laisser des souvenirs ; mais ne parlons pas de cela, je vous prie ; ce n’est pas pour moi, mais à cause de ma fille. Tout ce qui a rapport à son père...

ADÉLAÏDE, avec tristesse.

Ah ! oui.

SÉBASTIEN, bas à Droguignard.

Tu le vois, de la modestie, de la sensibilité.

Haut à madame Giraud.

De quelle contrariété parliez-vous donc en entrant ?

MADAME GIRAUD.

Air du Ménage de garçon.

Jugez quel embarras j’éprouve !
À la mairie on veut d’abord
Un acte de décès qui prouve
Comme quoi mon époux est mort.

SÉBASTIEN.

Quoi ! vous ne l’aviez pas, madame ?

MADAME GIRAUD.

Désormais, je veux m’en pourvoir ;
Ce sont des papiers qu’une femme
Est toujours bien aise d’avoir.

SÉBASTIEN.

Eh bien ! ma belle-mère, rassurez-vous ; voilà mon ami Droguignard qui a été autrefois employé à la mairie, qui y a conservé dos relations, et qui peut nous faire délivrer promptement l’expédition dont nous avons besoin.

DROGUIGNARD.

Comment ! tu veux que ce soit moi ?

SÉBASTIEN.

Oui, je t’en prie ; tu feras plaisir à ces dames ; vas-y avant nous. D’abord, nous n’y entendons rien ; tandis que toi, les mariages, c’est ton état, c’est ta partie.

DROGUIGNARD.

Tu l’exiges, Sébastien ? une fois, deux fois...

SÉBASTIEN.

Dis tout de suite trois, et vas-y.

DROGUIGNARD.

J’y vais.

À part.

Allons, Droguignard, souviens-toi que tu es l’ami de la famille : c’est un malheureux qu’il faut arracher malgré lui au précipice conjugal.

Il sort.

 

 

Scène IV

 

SÉBASTIEN, MADAME GIRAUD, ADÉLAÏDE

 

SÉBASTIEN.

Tu reviendras tout de suite, n’est-ce pas, mon ami ?

À part.

C’est drôle, il s’en va avec un air mystérieux ; c’est égal, il a raison : je veux agir avec prudence, et savoir par moi-même à quoi m’en tenir.

Haut.

Dites-moi, ma belle-mère, est-ce que je ne pourrais pas être seul un instant avec ma future ?

MADAME GIRAUD.

Mon Dieu ! je ne demanderais pas mieux ; mais c’est que cette idée-là va effrayer ma fille : si vous saviez comme elle a été élevée !

SÉBASTIEN.

N’importe ; moi, je suis le marié, et je désirerais...

MADAME GIRAUD.

Je vous obéis, mon gendre, je vous obéis.

ADÉLAÏDE.

Comment ! vous vous en allez ?

MADAME GIRAUD.

Oui, ma fille, je vous laisse avec votre mari ; il le veut, c’est vous dire assez que ce doit être votre volonté et la mienne, et je n’ai pas besoin de vous rappeler en cette circonstance les principes

Appuyant sur le mot.

et les recommandations que je n’ai jamais cessé de vous donner.

Elle sort en faisant à Sébastien une grande révérence.

 

 

Scène V

 

SÉBASTIEN, ADÉLAÏDE

 

SÉBASTIEN, à part, après un moment de silence.

C’est singulier ! voilà que je ne sais pas trop que lui dire.

Haut.

Adélaïde, est-ce que cela vous contrarie de rester seule avec moi ?

ADÉLAÏDE, après avoir hésité.

Oh ! non ; mais je vous prie, monsieur, de ne pas m’appeler ainsi Adélaïde tout court ; cela me semble trop libre.

SÉBASTIEN.

Il me semble cependant, mademoiselle, que quand on aime les gens... Mais c’est que, peut-être, vous ne m’aimez pas ?... Oh ! Dieu ! elle hésite.

ADÉLAÏDE.

Je ne peux pas vous répondre là-dessus, monsieur, puisque maman n’est pas là ; mais je sais bien la peur que j’ai eue quand on a dit que vous alliez épouser mademoiselle Gervais, la fille du marchand de draps.

SÉBASTIEN.

Comment ! même à cette époque-là, vous aviez déjà daigné vous occuper de moi ?

ADÉLAÏDE.

Sans doute ; depuis la veille de Noël, le jour où vous êtes venu dans la boutique.

SÉBASTIEN.

C’est vrai ; c’est la première fois que je suis allé chez vous : j’y entrais pour acheter...

ADÉLAÏDE.

Une paire de bas de Rouen, première qualité, coton en quatre fils et cinq au talon : c’est moi qui vous l’ai vendue. Allez, quoique maman dise que je suis une sotte, et que je n’ai pas de mémoire, il est des choses qu’on n’oublie pas.

SÉBASTIEN.

Comment ! il serait possible !... De sorte que quand on vous a proposé ce mariage...

ADÉLAÏDE.

J’ai accepté tout de suite ; mais j’ai peut-être eu tort de vous dire cela.

SÉBASTIEN.

Au contraire, parce que cela me prouve que nous ferons bon ménage.

ADÉLAÏDE.

Je tâcherai, du moins ; car, voyez-vous, monsieur, sans qu’il y paraisse, moi, je raisonne quelquefois, et je sais bien ce que je me promettais lorsque je pensais à mon mariage.

SÉBASTIEN.

Ah ! vous y pensiez ?

ADÉLAÏDE.

Tous les jours.

Air : Ah ! si madame me voyait ! (Romagnési.)

Premier couplet.

C’est à vous seul à commander,
Mon seul but sera de vous plaire :
Quand la modiste ou la lingère
Viendront pour se faire solder,
S’il s’agit d’un’ robe nouvelle,
Ou de quelque bonnet garni,
Je lui dirai : Mademoiselle,
Ah ! demandez à mon mari.

Deuxième couplet.

Vos désirs seront tous mes vœux,
Car je serai docile et sage ;
Et si, dans noire voisinage,
Il survenait quelque amoureux,
S’il disait que son cœur soupire
Et qu’il veut être mon ami.
Moi, je saurai toujours lui dire :
Ah ! demandez à mon mari.

SÉBASTIEN.

Quelle candeur ! mais dites-moi, Adélaïde, vous me parlez là d’amoureux, est-ce que par hasard il y aurait déjà eu des personnes qui vous auraient dit qu’elles vous aimaient ?

ADÉLAÏDE.

Oh ! oui.

SÉBASTIEN.

Et qui donc, s’il vous plaît ?

ADÉLAÏDE.

Mais, mon petit cousin, M. Belenfant.

SÉBASTIEN.

Ah ! M. Belenfant s’est permis...

ADÉLAÏDE.

Sans doute : il voulait aussi m’épouser ; mais moi je ne voulais pas, parce qu’il avait des manières et un ton très mauvais, mon petit cousin : il voulait toujours me prendre la main pour l’embrasser, et cela ne me convenait pas.

SÉBASTIEN.

De sorte que vous l’avez refusé.

ADÉLAÏDE.

Certainement. Vous ne vous en douteriez pas ; mais moi j’ai du caractère.

SÉBASTIEN.

Vraiment ?

ADÉLAÏDE.

Tellement que quand j’étais petite, j’étais très colère, et même quelquefois encore.

SÉBASTIEN.

Allons donc, ce n’est pas possible.

ADÉLAÏDE.

Ah ! vous le verrez ; il ne faut pas croire, monsieur, que je sois parfaite.

SÉBASTIEN, à part.

Et Droguignard qui leur supposait des intentions... Quelle naïveté ! quelle franchise !

Morceau d’ensemble.

ADÉLAÏDE.

Air : Finale du premier acte de La Somnambule.

Tenez-vous, je vous en supplie,
Voilà quelqu’un, c’est imprudent...

 

 

Scène VI

 

SÉBASTIEN, ADÉLAÏDE, DROGUIGNARD

 

DROGUIGNARD.

Suite de l’air.

Eh bien ! qu’en dis-tu maintenant ?

SÉBASTIEN.

Plus que jamais je suis content.

DROGUIGNAUD.

Tu le veux donc ?

SÉBASTIEN.

Oui, je t’en prie...
Vois sa grâce, sa modestie ;
Du ciel je suis favorisé.
Tout est-il prêt à la mairie ?

DROGUIGNARD.

Suis-moi, j’ai tout disposé.

SÉBASTIEN et ADÉLAÏDE.

Ah ! combien mon âme est ravie !
Pour moi quelle félicité !
Que de grâces, que de beauté !
C’est le plus beau jour de ma vie,
Puisque je perds ma liberté.

 

 

Scène VII

 

SÉBASTIEN, ADÉLAÏDE, DROGUIGNARD, MADAME GIRAUD, PARENTS

 

Suite du finale.

MADAME GIRAUD.

Allons donc, ma fille et mon gendre,
On va sans doute nous attendre.
Partons.

DROGUINARD.

Grâce à mes soins,
Tout est prêt, jusqu’aux témoins.

MADAME GIRAUD.

Toute ma crainte est oubliée ;
Enfin, enfin, elle est donc mariée !

SÉBASTIEN et ADÉLAÏDE.

Ah ! combien mon âme est ravie !
Ah ! que mon cœur est enchanté !
C’est le plus beau jour de ma vie,
Puisque je perds ma liberté.

TOUS.

Ah ! combien mon âme est ravie !
Ah ! que mon cœur est enchanté !
C’est le plus beau jour de leur vie,
Puisqu’ils perdent la liberté.

Ils sortent.

 

 

Scène VIII

 

BELENFANT, entrant par le côté gauche

 

Il a son sabre sous le bras, il est en uniforme de cuirassier

Lisant l’inscription qui est sur le poteau du fond.

Barrière... barrière du Maine. Allons, Belenfant, mon ami, il me semble que ce doit être ici le lieu du rendez-vous. La vérité est que je ne sais pas au juste. Je me suis bien rappelé ce matin que je devais me battre, parce que ces choses-là, ça ne s’oublie pas ; mais le reste, milzieux !... Ce blanc-bec avec qui j’ai eu une dispute hier au spectacle m’a crié au moment où on nous séparait : Monsieur, à demain, à la barrière de... et cætera ; ça finit en haine ; voilà tout ce que je me rappelle... barrière de Touraine, Barrière de Vincennes, barrière du Maine ; ce doit être celle-là, d’autant que c’est la seule où on vende de bon vin.

Regardant son sabre.

Allons, notre frère, au repos, en attendant le moment de l’exercice.

Il regarde autour de lui.

Je ne vois personne. Il est vrai que, quand il serait là, je ne reconnaîtrais guère le camarade. C’est drôle l’effet que produit sur moi le vin de la comète, ça me brouille toutes les physionomies.

Air : Tenez, moi je suis un bon homme. (Ida.)

Dès que j’ai bu quelque rasade
De ce diable de petit vin,
J’ crois que j’ prendrais à la parade
Mon chef de fil’ pour un pékin.
Je confonds la blonde et la brune,
La têt’ me tourne, enfin je suis
Comm’ tous les gens qui font fortune :
Je ne r’connais plus mes amis.

Je sens bien que cela me fait du tort dans la société, et que ça m’empêche d’y être aussi bien reçu que mes avantages personnels et physiques pourraient le permettre ; mais j’ai promis à madame Giraud, ma tante, de vivre désormais comme un Céladon. C’est le seul moyen de plaire à ma cousine Adélaïde, qui fait la mijaurée, et je ne sais pas pourquoi, parce qu’enfin, un militaire, ça vous a toujours quelque chose de flatteur pour une jeunesse.

 

 

Scène IX

 

BELENFANT, MADAME GIRAUD

 

MADAME GIRAUD.

Grâce au ciel, tout est fini, et voilà ma fille mariée, sans que désormais aucun obstacle...

BELENFANT, l’apercevant.

Le diable m’emporte ! c’est ma respectable tante.

MADAME GIRAUD.

Ah ! mon Dieu, c’est mon mauvais sujet de neveu !

BELENFANT.

Entendez-vous la nature qui parle !

MADAME GIRAUD.

Comment ! ton régiment n’est plus à Versailles ?

BELENFANT.

Arrivé d’hier à Paris, et j’aurais été vous voir, sans quelques préliminaires indispensables. Un repas de corps, qui est cause que ce matin je suis sorti pour prendre l’air ; mais sufficit, le reste sont des détails oiseux et incohérents dont il est inutile de vous faire la relation.

MADAME GIRAUD.

Eh bien ! mon garçon, ne te gêne pas, continue ta promenade ; moi, d’abord, je suis ici en société.

BELENFANT.

Je comprends ; vous avez peur que je fasse du tort à la parenté.

MADAME GIRAUD.

Mais, jusqu’à présent, tu ne lui as pas fait grand honneur.

BELENFANT.

C’est ce qui vous trompe ; j’ai toujours soutenu l’honneur de la famille, excepté dans les moments où je ne pouvais pas me soutenir moi-même, et alors on ne pouvait pas exiger... Mais aujourd’hui, c’est différent, je suis à jeun, tenue décente, et j’en veux profiter pour me produire.

MADAME GIRAUD, à part.

Ah ! mon Dieu ! quelle opinion cela va donner de la famille !

Haut.

Écoutez-moi, Belenfant, j’ai une confidence à vous faire : votre cousine Adélaïde se marie aujourd’hui.

BELENFANT.

J’en suis enchanté : une noce, des violons, un repas ! J’en suis, n’est-ce pas, ma tante ?

MADAME GIRAUD.

Un instant ! vous sentez bien que, dans une pareille société, il faut un ton, une décence...

BELENFANT.

C’est mon fort, et si bien mon fort, que je passe pour un fat au régiment. Ah ! ma cousine Adélaïde se marie ? Vous vous rappelez que, dans les temps, j’ai eu des idées ; mais nous autres militaires n’avons point l’habitude de nous marier... indéfiniment, et puisqu’un autre prend ce soin... cela me fait un bon parent de plus, une bonne maison, où je serai reçu... Touchez là, ma tante, je donne mon consentement, et je vous prie de me présenter au cousin.

MADAME GIRAUD.

À la bonne heure ! le voici justement. Ah çà ! Belenfant...

BELENFANT.

Vous pouvez-t’êt’ tranquille, quant à la tenue...

 

 

Scène X

 

BELENFANT, MADAME GIRAUD, SÉBASTIEN, ADÉLAÏDE, DROGUIGNARD, GENS DE LA NOCE

 

LES GENS DE LA NOCE.

Air du menuet d’Armide. (Gluck.)

Oui, célébrons l’hyménée
Dont ils ont formé les nœuds
Tous les deux ;
Cette chaîne fortunée
Va les rendre à jamais heureux.

BELENFANT.

J’ vas danser d’ la belle manière ;
Ma tant’, quoi qu’on ne soit pas,
Ici-bas,
Dans la caval’ri’ légère,
Ça n’empêch’ pas les entrechats.

LES GENS DE LA NOCE.

Oui, célébrons l’hyménée, etc.

ADÉLAÏDE, conduite par Sébastien, va embrasser madame Giraud.

Ah ! ma mère !

MADAME GIRAUD, s’essuyant les yeux.

Eh bien ! mon Adélaïde, comment cela va-t-il ?

ADÉLAÏDE.

À merveille, maman.

Bas.

Excepté ce M. Droguignard qui, à chaque instant, se plaît à me contrarier, ou à me dire des choses piquantes ; il a fallu toute ma patience...

MADAME GIRAUD, bas.

Tu ne peux en avoir trop.

Haut.

Voici Belenfant, ton cousin, qui vient d’arriver à Paris, et à qui j’ai fait part de ton mariage.

Le prenant par la main et le menant à Sébastien.

Soufrez, mon cher gendre, que je vous présente un cousin de ma fille, M. Belenfant.

SÉBASTIEN, se retournant.

Ah ! mon Dieu !

DROGUIGNARD.

Eh bien ! qu’as-tu donc ?

SÉBASTIEN, bas à Droguignard.

C’est mon militaire d’hier soir, celui à qui j’avais donné rendez-vous à la barrière de Vincennes.

BELENFANT.

Cousin, je suis enchanté de la circonstance d’un mariage dont je ne me doutais pas ; mais c’est égal, touchez là.

SÉBASTIEN, avec joie.

Dieu ! il ne me reconnaît point.

BELENFANT.

Vous m’avez l’air d’un malin,

Montrant Droguignard.

Ainsi que ce luron-là ; et je vois que nous irons bien ensemble. Ah çà, corbleu ! on dirait que vous tremblez ?

SÉBASTIEN.

Du tout, du tout ; mais je sors d’être marié, et c’est un reste d’émotion.

Bas à Adélaïde.

Comment ! c’est là ce petit cousin dont vous me parliez ?

ADÉLAÏDE.

Oui, monsieur, c’est M. Belenfant, mon jeune cousin.

SÉBASTIEN, de même.

C’est que vous ne m’aviez pas dit qu’il fût dans les cuirassiers.

À part.

Ah ! mon Dieu ! comme il me regarde !

BELENFANT.

C’est étonnant, mon cousin, je ne vous avais pas encore vu, et il me semble que ce n’est pas la première fois que je vous donne une poignée de main.

SÉBASTIEN, à part, faisant le geste de donner un coup de poing.

Il appelle cela donner une poignée de main.

Haut.

Je vous prie de croire, monsieur, que ce n’est pas moi, ce n’est pas moi du tout, et vous vous trompez.

BELENFANT.

Alors, excusez, mon cousin, il n’y a pas d’affront. Ah çà ! puisqu’il y a une noce, il y a un festin, c’est de rigueur, je me charge d’égayer cela.

SÉBASTIEN, bas à Droguignard.

Eh bien ! il est sans façon ; le voilà invité.

BELENFANT.

Il n’y a rien de tel qu’un militaire, quand il est à la noce. Je me mets à côté de la mariée, et en avant les santés et les chansons, je m’en charge, car je possède, à ce qu’ils disent, une littérature de caserne un peu soignée ; j’ai là surtout une cavatine :

Chantant à pleine gorge.

De l’Amour j’aperçois la torche...

MADAME GIRAUD.

Eh bien ! mon neveu, y pensez-vous ?

Air : Voulant par ses œuvres complètes. (Voltaire chez Ninon.)

Mais taisez-vous donc... par des femmes
Cela peut-il être écouté ?

BELENFANT.

J’ n’en sais rien, car devant des dames
Ça n’a jamais été chanté.

MADAME GIRAUD.

Grands dieux !

BELENFANT, aux dames.

N’ soyez pas inquiètes,
C’est des romanc’s à sentiment,
Que nous chantons au régiment,
Lorsque nous sommes en goguettes.

Et puis, dites donc, cousin, la jarretière de la mariée ?... nous sommes là.

SÉBASTIEN.

Eh bien ! par exemple !

MADAME GIRAUD.

Y pensez-vous, mon neveu ?

BELENFANT.

Écoutez donc, ma tante, comme le plus jeune de la famille... et puis j’oubliais de vous demander... à quelle heure dîne-t-on ? Il faudra que ce soit un peu tard, entendez-vous, cousin ! parce que j’ai affaire ce matin.

SÉBASTIEN.

Ah ! vous avez affaire ?

BELENFANT.

Oui ; un blanc-bec que je ne vois pas venir, et qui m’avait donné rendez-vous à la barrière du Maine.

SÉBASTIEN, à part.

Ah ! mon Dieu ! il aura mal entendu.

S’oubliant.

C’était à la barrière de Vincennes.

BELENFANT, se retournant vivement.

Hein ! qu’est-ce que vous dites ?

SÉBASTIEN.

Rien, rien, monsieur le soldat ; je disais seulement qu’il y aurait bien plus loin pour vous si c’était à la barrière de Vincennes.

BELENFANT.

Parbleu ! une belle malice ; sans adieu.

Air de Weber.

Je pars,
Et sur les boulevards,
Je vais l’attendre
Et le surprendre :
S’il le faut mêm’, j’ai le projet
D’entrer dans chaque cabaret.

MADAME GIRAUD.

Dans un tel jour vous battre, hélas !

BELENFANT.

Mon Dieu ! n’arrêtez pas
Mes pas.

SÉBASTIEN.

Qu’il soit tranquille sur ce point ;
Son adversaire n’ira point.

BELENFANT.

Je pars, etc.

Il sort.

 

 

Scène XI

 

MADAME GIRAUD, SÉBASTIEN, ADÉLAÏDE, DROGUIGNARD, GENS DE LA NOCE

 

Suite de l’air.

MADAME GIRAUD.

Nous, de ce pas, allons, ma fille,
Remercier tous nos parents,
Il faut bien que de la famille
Tu reçoives les compliments.

DROGUIGNARD, d’un air railleur.

Revenez vite, je vous prie ;
Sans vous que ferait votre époux ?
Mais vous voulez donc qu’il s’ennuie ?

ADÉLAÏDE, faisant la révérence.

Monsieur, je le laisse avec vous,

À part.

Vilain homme, que je déteste !

Haut à Sébastien.

Dans l’instant même je reviens.

À part.

L’ami de monsieur, je l’atteste,
Ne sera jamais un des miens.

Ensemble.

MADAME GIRAUD.

Ah ! que mon cœur est satisfait !
Voilà donc ma fille en ménage ;
Pour le bal et pour le banquet
Je m’en vais voir si tout est prêt.

DROGUIGNARD.

Comme son cœur est satisfait !
Pour moi, je ne perds pas courage ;
De cet hymen qui me déplaît
Bientôt nous allons voir l’effet.

ADÉLAÏDE.

Que mon cœur serait satisfait
Si bientôt, de notre ménage
Monsieur Sébastien renvoyait
Ce tendre ami qui me déplaît !

SÉBASTIEN.

Revenez vite, s’il vous plaît...
Que je bénis ce mariage !
Car, après tout, puisqu’il est fait,
Mon cœur doit être satisfait.

Adélaïde entre avec sa mère dans la maison du restaurateur.

 

 

Scène XII

 

DROGUIGNARD, SÉBASTIEN

 

DROGUIGNARD.

Eh bien ! que dis-tu déjà de ta famille ?

SÉBASTIEN.

Je dis que je ne la trouve pas mal ; ils ont tous des physionomies de parents ; qu’est-ce que tu veux ? ça ne peut pas être autrement, c’est connu ; il n’y a que le militaire qui ne me revient pas du tout ; et si j’avais su que ce fût là le petit cousin, j’y aurais peut-être regarde à deux fois. Car celui-là, je ne pourrai jamais m’y habituer ; et s’il dîne aujourd’hui à table, c’est fini, je n’y reste pas.

DROGUIGNARD.

Tu es le maître de t’en aller, et de le laisser avec la femme.

SÉBASTIEN.

C’est justement ce que je ne veux pas. Je t’en prie, mon cher ami, donne-moi un moyen pour qu’il ne soit pas du repas.

DROGUIGNARD.

Il y en a un, c’est de le mettre à la porte.

SÉBASTIEN.

Je sais bien, mais j’ai des raisons pour ne pas me servir de celui-là... à moins que tu ne veuilles t’en charger ?

DROGUIGNARD.

Ce n’est pas mon affaire, mais tu peux t’adresser à ta femme ; comme elle t’a promis, à ce que tu dis, de faire en tout tes volontés, ordonne-lui de congédier son cousin, et elle ne manquera pas de t’obéir.

SÉBASTIEN.

Au fait, tu as raison, et voilà une idée. De sa part, ce sera tout naturel ; il n’y aura point d’inconvénients. La voici... Et tu vas voir qu’elle n’hésitera pas un instant.

 

 

Scène XIII

 

DROGUIGNARD, SÉBASTIEN, ADÉLAÏDE

 

ADÉLAÏDE.

Vous voyez que je n’ai pas été longtemps.

SÉBASTIEN.

J’en suis d’autant plus satisfait que j’avais une grâce à vous demander.

ADÉLAÏDE.

À moi ?... une grâce ? Vous savez bien, monsieur, que c’est à vous de commander.

DROGUINARD.

À merveille !

Bas à Sébastien.

Eh bien ! tu hésites déjà ? Je m’en vais lui dire moi-même...

SÉBASTIEN, bas à Droguignard.

Non, du tout. Laisse-moi faire ; j’ai trouvé un biais.

Haut.

Ma chère Adélaïde, je réfléchissais tout à l’heure, et je me disais que nous serions peut-être beaucoup de monde à table.

Bas à Droguignard.

Vois-tu, comme cela, ça n’a pas l’air...

Haut.

Et alors, vous comprenez que s’il y avait une personne de moins, n’importe qui... mais enfin, j’aimerais mieux, si cela arrivait, que ce fut votre cousin ; voilà pourquoi je vous prierais de lui dire...

ADÉLAÏDE.

Et pour quelle raison ?

SÉBASTIEN, embarrassé.

Pour quelle raison ?

Bas à Droguignard.

Dis donc, mon ami, elle demande pour quelle raison ! Qu’est-ce que je vais lui répondre ?

DROGUIGNARD.

Parbleu ! dis lui que tu le veux, cela doit suffire.

SÉBASTIEN, à part.

Au fait, c’est un motif comme un autre.

Haut.

Eh bien ! madame, c’est que... je...

À part.

C’est singulier, quand on n’est pas fait à ce mot-là... .

Air : Comme il m’aimait ! (Monsieur Sans-Gêne.)

Oui, je le veux. (Bis.)

À part.

Voilà la parole fatale.

DROGUIGNARD.

Votre époux a dit : Je le veux ;
Tout est fini, c’est pour le mieux.
D’après le code et la morale,
Toute la charte conjugale.
C’est : je le veux. (Bis.)

ADÉLAÏDE fait un geste de colère, puis se reprend et répond doucement.

Puisque vous le voulez, monsieur, j’obéirai. Je vais dire moi-même à mon cousin qu’il ne peut rester à dîner ; mais vous connaissez ce qu’exigent les convenances ? Puisqu’on exclut mes cousins, vous ne pouvez, de votre côté, admettre que vos très proches parents.

SÉBASTIEN.

Ce qu’elle demande là est tout naturel ; je n’inviterai à dîner que mes proches parents.

DROGUIGNARD, le tirant par son habit.

Eh bien ! dis donc, et moi ?

SÉBASTIEN, à Adélaïde.

C’est juste, et Droguignard aussi.

ADÉLAÏDE.

Et pour quelle raison ? Est-ce que monsieur serait de votre famille ?

SÉBASTIEN.

Non ; c’est un ami.

ADÉLAÏDE.

C’est-à-dire que, de notre côté, nous renverrons des parents, et que, du vôtre, vous inviterez des étrangers ! J’en suis fâchée, mais monsieur ne dînera pas.

DROGUIGNARD.

Comment, je ne dînerai pas !

ADÉLAÏDE.

Non, monsieur.

DROGUIGNARD.

Qui m’en empêchera ?

ADÉLAÏDE.

Moi.

DROGUIGNARD.

Et pour quel motif ?

ADÉLAÏDE.

Même air.

Je ne veux pas, (Bis.)
Ce mot-là seul doit vous suffire.
Un mari peut bien, ici- bas,
Dire : Je veux ; mais, dans ce cas,
Le code qu’on veut nous prescrire
Ne peut nous empêcher de dire :
Je ne veux pas. (Bis.)

 

 

Scène XIV

 

DROGUIGNARD, SÉBASTIEN, ADÉLAÏDE, MADAME GIRAUD

 

MADAME GIRAUD, accourant au bruit.

Eh ! mon Dieu ! qu’y a-t-il donc ?

DROGUIGNARD.

Exclure un ami, et le renvoyer à jeun !

ADÉLAÏDE.

Un ami ! Vous, monsieur, qui dès le premier jour du mariage cherchez à semer la discorde entre nous ! Vous qui donnez de mauvais conseils à mon mari !... Croyez-vous que je ne m’en sois pas déjà aperçue ?

MADAME GIRAUD.

Ma fille, de grâce !... y pensez-vous ?

ADÉLAÏDE.

Eh ! non, ma mère, laissez-moi. Voilà une heure que je me modère pour ne pas traiter monsieur comme il le mérite.

À Sébastien.

Oui, il voudrait éternellement vous tenir en tutelle, vous traiter en esclave ; mais j’y vois clair, et je ne le souffrirai pas.

MADAME GIRAUD.

Mais, ma fille, encore une fois...

ADÉLAÏDE.

Mais, ma mère, je vous répète que je puis bien parler. Et je prie monsieur de ne plus remettre les pieds chez moi.

Elle va s’asseoir sur un banc.

Qu’est-ce que c’est donc que ça ? Il n’y a pas moyen d’y tenir.

MADAME GIRAUD, qui pendant toute cette scène cherche à la calmer.

Mais, ma fille !

SÉBASTIEN, de l’autre côté du théâtre.

Ma chère Adélaïde !

MADAME GIRAUD.

Aussi, mon gendre, c’est votre faute. Vous vous y êtes mal pris. Car c’est la première fois de sa vie que je lui vois un moment d’humeur.

SÉBASTIEN.

Par exemple ! si c’est moi qui ai tort...

DROGUIGNARD, bas à Sébastien.

Hein ! Qu’en dis-tu maintenant ?

SÉBASTIEN, de même.

Dame ! je ne sais trop qu’en dire. Mais je crains, comme toi, que nous ne nous soyons peut-être un peu pressés.

DROGUIGNARD, de même.

Voilà le mot que j’attendais. Et tu es maintenant en état de m’entendre. As-tu pu croire, Sébastien, que ton vieil ami l’abandonnerait au moment du danger ?

SÉBASTIEN, toujours à voix basse.

Que veux-tu dire ?

DROGUIGNARD, de même.

Qu’il fallait te sauver malgré toi ; et c’est ce que j’ai fait.

SÉBASTIEN.

Comment ! il serait possible ?...

DROGUIGNARD.

Viens, je vais tout l’expliquer.

MADAME GIRAUD.

Eh bien ! mon gendre, vous vous en allez ? Vous ne voyez pas dans quel état est ma fille ?

SÉBASTIEN, à Droguignard.

Mon ami, c’est vrai ; elle a l’air de se trouver mal.

DROGUINARD.

Sois donc tranquille.

Air : Allez-vous-en, gens de la noce.

À madame Giraud.

Un peu de calme est nécessaire,
Votre fille en a grand besoin.

MADAME GIRAUD.

Mais le festin ?

DROGUIGNARD.

En belle-mère,
Daignez-vous charger de ce soin.

MADAME GIRAUD.

Mais le bal ?

DROGUINARD.

C’est un peu précoce,
Attendez pour le commencer,
Vous auriez tort de vous presser :
Tel souvent se croit à la noce
Qui s’en retourne sans danser.

Ils sortent.

 

 

Scène XV

 

MADAME GIRAUD, ADÉLAÏDE

 

MADAME GIRAUD.

Qua-t-il donc, ce M. Droguignard, avec son air railleur ?

ADÉLAÏDE.

Comment ! mon mari s’en va, sans m’adresser une parole ! C’est une indignité.

MADAME GIRAUD.

Après la scène que tu viens de faire...

ADÉLAÏDE.

Est-ce que vous croyez que réellement il serait fâché ?

MADAME GIRAUD.

On le serait à moins.

ADÉLAÏDE.

Aussi, c’est son vilain ami qui en est cause ; je le déteste encore plus qu’auparavant ; me brouiller avec mon mari !... Je suis bien malheureuse, et il me le paiera !

MADAME GIRAUD.

Allons, ne vas-tu pas pleurer à présent ?

ADÉLAÏDE, pleurant.

Oui, parce que je l’aime.

MADAME GIRAUD.

Il y paraît joliment !

ADÉLAÏDE.

Qu’est-ce que ça prouve ?

Air de Céline.

Oui, j’en conviens, je suis colore.
Et parfois je prends de l’humeur ;
Mais des torts de mon caractère
Devrait-il accuser mon cœur !
Des défauts que j’ai fait paraître
Il aurait tort d’être alarmé ;
Il sera malheureux peut-être,
Mais il est bien sur d’être aimé.

MADAME GIRAUD.

Mais que nous veut Belenfant ?

 

 

Scène XVI

 

MADAME GIRAUD, ADÉLAÏDE, BELENFANT

 

BELENFANT.

Par exemple, ma tante et ma cousine, en voilà une solide ! et j’accours en estafette pour vous rendre un fameux service.

ADÉLAÏDE.

Je te remercie de l’intention ; mais dis vite, parce que je suis pressée.

BELENFANT.

Je vous annonce donc qu’il y a contre vous quelque manigance.

ADÉLAÏDE.

Peu m’importe !

BELENFANT.

Je vous dis qu’on veut vous faire des traits.

ADÉLAÏDE.

Qu’est-ce que cela me fait ?

BELENFANT.

Mais cependant, quand c’est du sérieux !

ADÉLAÏDE.

Ça m’est égal.

BELENFANT.

Ah çà ! a-t-elle une tête, la petite cousine ! quand je vous dis que votre mari...

ADÉLAÏDE, avec impatience.

Eh bien ! mon mari ?

BELENFANT.

Votre mari n’est pas votre époux.

ADÉLAÏDE et MADAME GIRAUD.

Qu’est-ce que cela signifie ? mais parle donc vite.

BELENFANT, relevant sa moustache.

Enfin, j’ai donc la parole ! Vous savez que je cherchais un individu en retard, avec lequel je devais m’aligner ; et j’étais entré pour l’attendre chez le traiteur qui est à côté de la mairie, lorsque je crois reconnaître dans la salle à côté la voix du cousin. Il causait avec un autre bourgeois, et j’ai entendu celui-ci qui lui disait : « Oui, la maison municipale touche à celle du traiteur ; c’est la même entrée, et c’est dans un de ses salons que tout à l’heure... »

Il fait le geste de signer.

ADÉLAÏDE et MADAME GIRAUD.

Comment ! c’était une ruse ?

BELENFANT.

Comme vous dites, une ruse pour éprouver votre caractère qui, à ce qu’il paraît, a fait des siennes. Mais, minute ! je suis là, d’autant plus qu’à une phrase qui lui est échappée j’ai découvert que le cousin n’était autre que mon particulier d’hier au soir, et j’allais engager la conversation indéfiniment, lorsque je me suis dit : Belenfant, calme pour le quart d’heure ta martialité permanente, il s’agit ici de l’honneur de la famille.

Air : Dans un amoureux délire. (Joconde.)

De peur d’encourir le blâme,
Va consulter les parents,
Avant de tirer la lame.

ADÉLAÏDE.

Ô ciel ! je vous le défends.

BELENFANT.

Non, j’ dois venger cet outrage,
Et j’ vais changer, dans l’ moment,
Ses billets de mariage
En billets d’enterrement,
En (Ter.) billets d’enterrement !

ADÉLAÏDE.

Et moi j’exige qu’on renonce à toute idée de duel ou de dispute ; qu’on me laisse faire.

MADAME GIRAUD.

Quel est ton dessein ?

ADÉLAÏDE.

Je n’en sais rien ; mais enfin laissez-moi tous les deux ; vous surtout, mon cousin, si vous avez quelque amitié pour nous, je vous prie de partira l’instant même.

BELENFANT.

Alors, autant dire : en avant, marche !

MADAME GIRAUD.

Mais explique-moi au moins...

ADÉLAÏDE.

Je ne le puis, j’ignore moi-même ce que je ferai ; les voilà ; je vous en prie, rentrez.

Belenfant et madame Giraud rentrent.

 

 

Scène XVII

 

ADÉLAÏDE, SÉBASTIEN, DROGUIGNARD

 

DROGUIGNARD, bas à Sébastien.

Tu vas voir le changement de baromètre ; le temps va revenir au beau.

SÉBASTIEN, de même.

Oui, mais je ne veux plus m’y lier.

DROGUIGNARD.

C’est cela, et nous allons joliment prendre notre revanche à ses dépens.

SÉBASTIEN.

Non, toi tu es trop goguenard, et il faut encore observer des convenances.

Air du vaudeville de Turenne.

De moi seul elle doit apprendre
Que d’un époux nous allons la priver.

DROGUIGNARD.

Ici près, moi je vais l’attendre,
Et l’amitié reviendra t’enlever.

SÉBASTIEN.

Dispose tout pour notre fuite,
Va prendre un fiacre...

DROGUIGNARD.

Ah ! tu m’y fais songer !
Pour éviter un semblable danger,
On ne saurait aller trop vite.

D’un air railleur en passant près d’Adélaïde.

J’ai bien l’honneur de vous saluer, madame.

 

 

Scène XVIII

 

ADÉLAÏDE, SÉBASTIEN

 

SÉBASTIEN.

Depuis que je ne vous ai vue j’ai fait bien des réflexions, mademoiselle.

ADÉLAÏDE.

Et moi aussi, monsieur.

SÉBASTIEN.

Sur la vivacité de votre caractère.

ADÉLAÏDE.

Et moi sur la faiblesse du vôtre ; et je rends grâces maintenant à la ruse que vous avez employée, puisqu’elle me permet de vous rendre votre parole.

SÉBASTIEN.

Qu’est-ce que vous dites donc ? la ruse que j’ai employée...

ADÉLAÏDE.

Si vous l’aimez mieux, l’épreuve que monsieur votre ami, votre conseiller, a jugé à propos de tenter, épreuve qui d’abord nous a tous indignés, et dont maintenant je suis enchantée.

SÉBASTIEN.

Il serait possible ! comment vous saviez ?...

ADÉLAÏDE.

Je ne l’ai pas ignoré un instant, et je vous le répète, il faut que votre faiblesse soit bien grande, ou que l’ascendant de M. Droguignard soit bien fort, pour que vous ayez pu consentir à un stratagème aussi offensant envers une famille respectable qui, j’ose le dire, ne le méritait pas.

SÉBASTIEN.

Ah ! mon Dieu !

ADÉLAÏDE.

J’avoue qu’en voyant cette scène inconvenante se prolonger ainsi, je n’ai pas élu maîtresse de mon ressentiment ; il y avait déjà longtemps, comme je vous l’ai dit, et comme vous avez pu le voir, que je faisais mes efforts pour ne pas éclater. Mais, quelque modération que l’on ait, cela n’empêche pas d’avoir du cœur et de la fierté, et on ne veut pas être humilié, surtout devant les gens que l’on aime.

SÉBASTIEN.

Dieux ! qu’est-ce que j’ai fait là !

ADÉLAÏDE.

Ce n’est pas sur vous qu’est tombé mon ressentiment ; je ne vous accusais pas, je vous plaignais ; mais j’en voulais à la personne qui avait pu vous conseiller une pareille ruse. Qu’en aviez-vous besoin, monsieur ? puisque vous ne m’aimiez pas, puisque cette union faisait votre malheur, que ne le disiez-vous franchement à ma famille ? c’était tout simple, tout naturel ; personne ne pouvait s’en fâcher, et le seul cœur que votre procédé aurait blessé ne vous aurait fait entendre aucune plainte.

SÉBASTIEN.

Cet imbécile de Droguignard ! j’étais sûr qu’il me ferait faire quelque bêtise. Adélaïde, daignez m’écouter.

ADÉLAÏDE.

Non, monsieur, non, tout est fini ; je ne pourrais point faire votre bonheur, je connais tous mes défauts. La vivacité de mon caractère, je ne vous l’ai point laissé ignorer... ce matin même encore je vous en avais prévenu.

SÉBASTIEN.

C’est vrai ; et croyez-vous que je n’aie pas aussi mes défauts ? je suis défiant, soupçonneux...

ADÉLAÏDE.

Soupçonneux ! et pour quel motif ? est-ce à cause de mon cousin ? Dès que vous avez désiré qu’il s’éloignât, ai-je hésité un moment à le lui dire ? qu’est-ce donc qui a pu vous choquer en lui ? son ton et ses manières ? ne vous en avais-je pas encore prévenu ce matin ?... Et ce soldat, dont vous blâmez comme moi le langage et la brusquerie, ce soldat a cependant plus de générosité et de délicatesse que M. Droguignard lui-même. Croyez-vous qu’il n’ait pas reconnu en vous, du premier coup d’œil, l’homme avec qui il avait en hier au soir une dispute au spectacle ?

SÉBASTIEN.

Comment ! il m’avait reconnu ?

ADÉLAÏDE.

Vous l’a-t-il fait paraître ? vous en a-t-il parlé ? n’a-t-il pas sur-le-champ sacrifié son ressentiment à un homme qu’il regardait déjà comme son parent ? Vous le voyez donc, monsieur, du côté de ma famille sont tous les bons procédés, et du vôtre toutes les injustices.

SÉBASTIEN.

C’est vrai, c’est très vrai ; ce vilain Droguignard, ce maudit Droguignard ! si je le tenais, je ne sais pas ce que je lui ferais. Adélaïde, je vous en prie, prenez pitié de moi !

ADÉLAÏDE.

Non, monsieur, il est des outrages que l’on n’oublie pas !

Pleurant.

Je vous ai trop fait voir que je vous aimais ; et vous ne vous seriez point ainsi conduit avec moi, si vous n’aviez été trop certain de mon affection.

SÉBASTIEN.

Elle pleure, Dieu ! c’est moi qui la fais pleurer, ou plutôt c’est cet indigne Droguignard... Adélaïde, je vous supplie de me pardonner ; je n’ai plus d’inquiétudes, plus de soupçons, je vous offre ma fortune et ma main.

Apercevant madame Giraud.

Ah ! madame Giraud, ma belle-mère, venez prendre mon partiel la prier de me pardonner ! elle ne veut pas...

 

 

Scène XIX

 

ADÉLAÏDE, SÉBASTIEN, MADAME GIRAUD

 

MADAME GIRAUD.

Comment ! ma fille, qu’est-ce que c’est ?

ADÉLAÏDE.

Ce n’est pas moi qu’il a offensée, c’est vous surtout, ainsi que mes parents.

MADAME GIRAUD.

Eh bien ! nous pardonnons tous, imite-nous.

SÉBASTIEN.

Oui, je n’écouterai désormais que vous seule ; je ne suivrai point d’autres conseils que les vôtres, Adélaïde, ma femme...

MADAME GIRAUD.

Ma fille...

ADÉLAÏDE.

Vous le voulez, ma mère.

Elle tend la main à Sébastien qui se jette à ses genoux.

 

 

Scène XX

 

ADÉLAÏDE, SÉBASTIEN, MADAME GIRAUD, DROGUIGNARD

 

DROGUIGNARD, s’essuyant le front.

J’ai été obligé d’aller jusqu’à la place Saint-Michel.

Apercevant Sébastien.

Eh bien ! que fais-tu donc ? La voiture est là qui nous attend.

SÉBASTIEN, bas.

Mais tais-toi donc ! tu vas encore me faire avoir une scène.

DROGUIGNARD.

Comment, une scène ?

SÉBASTIEN, de même.

Oui, oui, tu n’en fais pas d’autres ; et avec tes malices, tu as manqué d’être cause d’un fameux accident.

DROGUIGNARD.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

SÉBASTIEN, de même.

Je te l’expliquerai ; mais je te prie de te taire.

 

 

Scène XXI

 

ADÉLAÏDE, SÉBASTIEN, MADAME GIRAUD, DROGUIGNARD, BELENFANT

 

BELENFANT.

Cousin, il m’est revenu que ma présence en ces lieux vous paraissait incohérente ; avec tout autre, ça finirait autrement, mais avec un parent, c’est trop juste, la paix du ménage avant tout ; je bats en retraite.

SÉBASTIEN.

Du tout, cousin, point d’explication : je connais votre généreuse conduite. Je vous prie de dîner avec nous ; et toutes les fois que vous viendrez à Paris, j’espère que nous aurons le plaisir de vous recevoir.

BELENFANT.

C’est différent. Touchez là, et si quelqu’un s’avise maintenant de vous dire quelque chose, vous aurez un cousin qui ne vous laissera pas en arrière.

SÉBASTIEN, à part.

Le fait est que j’avais eu tort, et que c’est un brave militaire.

DROGUIGNARD, qui les a tous regardés d’un air étonné.

Ah çà ! je n’en reviens pas ; tu épouses donc ?

ADÉLAÏDE.

Oui, monsieur : et pour me montrer aussi généreuse que Sébastien, je vous prie d’excuser un mouvement de vivacité ; j’ai eu tort, sans doute, car les amis de mon mari doivent être les miens. Je vous prie de rester à dîner, et de croire que chez nous désormais votre couvert sera mis tous les jours.

SÉBASTIEN.

Tu vois bien comme tu étais injuste.

DROGUIGNARD.

Écoute donc, mon ami, tout le monde peut se tromper, il paraît qu’elle a de bons moments. Fasse le ciel...

SÉBASTIEN.

Et nous, nous allons cette fois faire décidément la noce.

BELENFANT.

C’est ça, et nous marier tout à fait et indéfiniment.

Vaudeville.

Air de La Servante justifiée.

En avant donc
Le joyeux rigodon !
En franc luron
Par la danse
Je commence ;
Puis, verre en main,
Je veux en bon cousin,
Jusqu’à demain,
Célébrer votre hymen.

SÉBASTIEN, prenant Adélaïde par la main et la présentant au public.

Messieurs, madame veuve Giraud, fabricante de bonneteries, a l’honneur de vous faire part du mariage de mademoiselle Adélaïde Giraud, sa fille, avec M. Fortuné Sébastien, marchand mercier, et, de plus, votre serviteur.

ADÉLAÏDE, au public.

Air du vaudeville de La Somnambule.

Que de soucis pour entrer en ménage !
Nous nous trouvons heureux du moins,
Le jour de notre mariage,
De vous avoir eu pour témoins ;
Mais notre joie est peut-être précoce,
De vous dépend notre futur destin ;
Ce soir, messieurs, vous étiez de la noce,
Daignerez-vous être du lendemain ?

TOUS.

En avant donc,
Le joyeux rigodon, etc.

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