La Bigote (Jules RENARD)

Comédie en deux actes

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Odéon, le 21 octobre 1909.

 

Personnages

 

MONSIEUR LEPIC, 50 ans

PAUL ROLAND, gendre, 30 ans

FÉLIX LEPIC, 18 ans

MONSIEUR LE CURÉ, jeune

JACQUES, 25 ans, petit-fils d’Honorine

MADAME LEPIC, 42 ans

HENRIETTE, sa fille, 20 ans

MADELEINE, amie d’Henriette, 16 ans

MADAME BACHE, tante de Paul Roland

LA VIEILLE HONORINE

UNE PETITE BONNE

LE CHIEN

 

Les deux actes se passent dans un village du Morvan, dont monsieur Lepic est le maire.

 

Décor des deux actes : Grande salle. Fenêtres à petits carreaux. Vaste cheminée. Poutres au plafond. De tous les meubles, sauf des lits : arche, armoire, horloge, porte-fusils. Par les fenêtres, un paysage de septembre.

 

 

ACTE I

 

À table, fin de déjeuner. Table oblongue, nappe de couleur, en toile des Vosges. M. Lepic à un bout, Mme Lepic à l’autre, le plus loin possible. Le frère et la sœur, au milieu, Félix plus près de son père, Henriette plus près de sa mère. Ces dames sont en toilette de dimanche. Silence qui montre combien tous les membres de cette famille, qui a l’air d’abord d’une famille de muets, s’ennuient quand ils sont tous là. C’est la fin du repas. On ne passe rien. M. Lepic tire à lui une corbeille de fruits, se sert, et repousse la corbeille. Les autres font de même, par rang d’âge. Henriette essaie, à propos d’une pomme qu’elle coupe, de céder son droit d’aînesse à Félix, mais Félix, préfère une pomme tout entière. La bonne, habituée, surveille son monde. On lui réclame une assiette, du pain, par signes. La distraction générale est de jeter des choses au chien, qui se bourre. Mme Lepic ne peut pas « tenir » jusqu’à la fin du repas, et elle cause à Félix, dont les yeux s’attachent au plafond.

 

 

Scène première

 

MONSIEUR LEPIC, MADAME LEPIC, HENRIETTE, FÉLIX

 

MADAME LEPIC, à Félix.

Tu as bien déjeuné, mon grand ?

FÉLIX.

Oui, maman, mais je croyais le lièvre de papa plus gros. Hein, papa ?

MONSIEUR LEPIC.

Je n’en ai peut-être tué que la moitié.

MADAME LEPIC.

Il a beaucoup réduit en cuisant.

FÉLIX.

Hum !

MADAME LEPIC.

Pourquoi tousses-tu ?

FÉLIX.

Parce que je ne suis pas enrhumé.

MADAME LEPIC.

Comprends pas... Qu’est-ce que tu regardes ? Les poutres. Il y en a vingt et une.

FÉLIX.

Vingt-deux, maman, avec la grosse : pourquoi l’oublier ?

MADAME LEPIC.

Ce serait dommage.

FÉLIX.

Ça ne ferait plus le compte !

MADAME LEPIC, enhardie.

Tu ne viendras pas avec nous ?

FÉLIX.

Où ça, maman ?

MADAME LEPIC.

Aux vêpres.

FÉLIX.

Aux vêpres ! À l’église ?

MADAME LEPIC.

Ça ne te ferait pas de mal. Une fois n’est pas coutume ; moi-même, j’y vais quand j’ai le temps.

FÉLIX.

Tu le trouves toujours !

MADAME LEPIC.

Pardon ! mon ménage avant tout ! L’église après !

FÉLIX.

Oh !

MADAME LEPIC.

N’est-ce pas, Henriette ? Mieux vaut maison bien tenue qu’église bien remplie.

FÉLIX.

Ne fais pas dire de blagues à ma sœur ! Ça te regarde, maman ! En ce qui me regarde, moi, tu sais bien que je ne vais plus à la messe depuis l’âge de raison, ce n’est pas pour aller aux vêpres.

MADAME LEPIC.

On le regrette. Tout le monde, ce matin, me demandait de tes nouvelles, et il y avait beaucoup de monde. L’église était pleine. J’ai même cru que notre pain bénit ne suffirait pas.

FÉLIX.

Ils n’avaient donc pas mangé depuis huit jours ? Ah ! ils le dévorent, notre pain ! Prends garde !

MADAME LEPIC.

J’offre quand c’est mon tour, par politesse ! Je ne veux pas qu’on me montre du doigt ! Oh ! sois tranquille, je connais les soucis de M. Lepic, je sais quel mal il a à gagner notre argent. Je n’offre pas de la brioche, comme le château. Ah ! si nous étions millionnaires ! C’est si bon de donner !

FÉLIX.

Au curé... Tu ferais de son église un restaurant. Il y a déjà une petite buvette !

MADAME LEPIC.

Félix !

FÉLIX.

J’irai alors, à ton église, par gourmandise.

MADAME LEPIC.

Tu n’es pas obligé d’entrer. Conduis-nous jusqu’à la porte.

FÉLIX.

Vous avez peur, en plein jour ?

MADAME LEPIC.

C’est si gentil, un fils bachelier qui accompagne sa mère et sa sœur !

FÉLIX.

C’est pour lui la récompense de dix années de travail acharné ! C’est godiche !

MADAME LEPIC.

Tu offrirais galamment ton bras.

FÉLIX.

À toi ?

MADAME LEPIC.

À moi ou à ta sœur !

FÉLIX, à Henriette.

C’est vrai, cheurotte, que tu as besoin de mon bras pour aller chez le curé ?

HENRIETTE, fraternelle.

À l’église !... Je ne te le demande pas.

FÉLIX.

Ça te ferait plaisir ?

HENRIETTE.

Oui, mais à toi ?...

FÉLIX.

Oh ! moi ! ça m embêterait.

HENRIETTE.

Justement.

MADAME LEPIC.

Il fait si beau !

FÉLIX.

Il fera encore plus beau à la pêche.

MADAME LEPIC.

Une seule fois, par hasard, pendant tes vacances.

HENRIETTE, à Mme Lepic.

Puisque c’est une corvée !

MADAME LEPIC.

De plus huppés que lui se sacrifient.

FÉLIX.

Oh ! ça, je m’en...

MADAME LEPIC.

J’ai vu souvent M. le conseiller général Perrault, qui est républicain, aussi républicain que M. le maire, attendre sa famille à la sortie de l’église.

FÉLIX.

C’est pour donner, sur la place, des poignées de main aux amis de sa femme qui sont réactionnaires. N’est-ce pas, monsieur le maire ?

M. Lepic approuve de la tête.

Quand il reçoit chez lui la visite d’un curé, il accroche une petite croix d’or à sa chaîne de montre, n’est-ce pas, papa ?

M. Lepic approuve et rit dans sa barbe.

MADAME LEPIC.

Où est le mal ?

FÉLIX.

Il n’y a aucun mal, si M. Perrault n’oublie pas d’ôter la petite croix quand on lui annonce papa.

À M. Lepic.

Il n’oublie pas, hein ?

M. Lepic fait signe que non.

MADAME LEPIC.

C’est spirituel !

FÉLIX.

Ça fait rire papa ! C’est l’essentiel ! Écoute, maman, je t’aime bien, j’aime bien cheurotte, mais vous connaissez ma règle de conduite : tout comme papa ! Je ne m’occupe pas du conseiller général, ni des autres, je m’occupe de papa. Quand papa ira aux vêpres, j’irai. Demande à papa s’il veut aller ce soir aux vêpres.

HENRIETTE.

Félix !

MADAME LEPIC.

C’est malin.

FÉLIX.

Demande !... Papa, accompagnons-nous ces dames ?

M. Lepic fripe sa serviette en tapon – Henriette la pliera –, la met sur la table et se lève.

Voilà l’effet produit : il se sauve avant le café ! Et ton café, papa ?

MONSIEUR LEPIC.

Tu me l’apporteras au jardin.

MADAME LEPIC, amère.

Il ne s’est pas toujours sauvé.

HENRIETTE, sans que M. Lepic la voie.

Maman !

FÉLIX, à Mme Lepic.

Papa t’a accompagnée à l’église ? Quand ?

MADAME LEPIC.

Le jour de notre mariage.

FÉLIX.

Ah ! c’est vrai !

MADAME LEPIC.

Il était assez fier et il se tenait droit comme dans un corset !

FÉLIX.

J’aurais voulu être là.

MONSIEUR LEPIC.

Il fallait venir !

FÉLIX.

Et il a fait comme les autres ?

MADAME LEPIC.

Oui.

FÉLIX.

Ce qu’ils font ?

MADAME LEPIC, accablante.

Tout.

FÉLIX.

Il s’est agenouillé ?

MADAME LEPIC, implacable.

Tout, tout.

FÉLIX.

Mon pauvre vieux papa ! Quand je pense que toi aussi, un jour dans ta vie... Tu ne nous disais pas ça !

MONSIEUR LEPIC.

Je ne m’en vante jamais !

MADAME LEPIC, porte son mouchoir à ses yeux, mais on frappe et elle dit, les yeux secs.

Entrez !

 

 

Scène II

 

MONSIEUR LEPIC, MADAME LEPIC, HENRIETTE, FÉLIX, LA VIEILLE HONORINE, son petit-fils JACQUES avec une pioche sur l’épaule, tous deux en dimanche

 

HONORINE.

Salut, messieurs, dames !

TOUS.

Bonjour, vieille Honorine.

HONORINE.

Je vous apporte un mot d’écrit qu’on a remis à Germenay

Mme Lepic s’avance.

pour M. le maire.

M. Lepic prend la lettre et l’ouvre.

MADAME LEPIC, intriguée.

Qui donc vous a remis cette lettre, Honorine ?

HONORINE.

Mme Bache. Elle savait que j’étais, ce matin, de vaisselle chez les Bouvard qui régalaient hier soir. Elle est venue me trouver à la cuisine et elle m’a dit : tu remettras ça sans faute à M. Lepic, de la part de M. Paul.

MADAME LEPIC.

De M. Paul Roland ?

HONORINE.

Oui.

MADAME LEPIC, à Henriette.

Henriette, une lettre de M. Paul ! Il y a une réponse, Honorine ?

HONORINE.

Mme Bache ne m’en a pas parlé ! Elle m’a seulement donné dix sous pour la commission !

MADAME LEPIC.

Moi, je vous en donnerai dix avec.

HONORINE.

Merci, madame, je suis déjà payée. Une fois suffisait...

Elle accepterait tout de même.

MADAME LEPIC.

C’était de bon cœur, ma vieille

M. Lepic, après avoir lu la lettre, la pose près de lui, sur la table, où il est appuyé. La curiosité agite Mme Lepic.

HONORINE.

Elle était fameuse votre brioche, ce matin, à l’église, madame Lepic !

JACQUES.

Oh ! oui, je me suis régalé. Je ne vais à la messe que quand c’est votre jour de brioche, madame Lepic. J’en ai d’abord pris un morceau que j’ai mangé tout de suite, et puis j’en ai volé un autre pour le mettre dans ma poche, que je mangerai ce soir à mon goûter de quatre heures.

MADAME LEPIC.

Quelle brioche ? Ils appellent du pain de la brioche, parce qu’il a le goût de pain bénit. On voit bien que vous ne savez pas ce que c’est que de la brioche, mes pauvres gens !

HONORINE.

Ah ! c’était bien de la brioche fine, et pas de la brioche de campagne. Le château, lui qui est millionnaire, ne donne que du pain, mais vous...

MADAME LEPIC.

Taisez-vous donc, Honorine ; vous ne savez pas ce que vous dites.

HONORINE.

Le château a une baronne, mais vous, vous êtes la dame du village !

MADAME LEPIC.

Ma mère m’a bien élevée, voilà tout ! Mais vous empêchez M. Lepic de lire sa lettre.

HONORINE.

Il a fini !... Ce n’était pas une mauvaise nouvelle, monsieur le maire... Non ?

MONSIEUR LEPIC, à Honorine.

Tu veux lire ?

HONORINE.

Oh ! non... Je suis de la vieille école, moi, de l’école qui ne sait pas lire ; mais, comme ils ont l’air d’attendre et que vous ne dites rien... Enfin !... ce n’est pas mon affaire ! mais à propos de lettre, avez-vous tenu votre promesse d’écrire au préfet ?

MONSIEUR LEPIC.

Au préfet ?

HONORINE.

Oui, à M. le préfet.

M. Lepic ouvre la bouche, mais Mme Lepic le devance.

MADAME LEPIC, tous ses regards vers la lettre.

Quand M. Lepic fait une promesse, c’est pour la tenir, Honorine.

HONORINE.

Le préfet a-t-il répondu ?

MADAME LEPIC.

Il ne manquerait plus que ça !

HONORINE.

Mon Jacquelou aura-t-il sa place de cantonnier ?

MADAME LEPIC.

Quand M. Lepic se mêle d’obtenir quelque chose...

HONORINE.

Alors Jacquelou est nommé.

MADAME LEPIC.

Vous voyez bien que M. Lepic ne dit pas non.

HONORINE.

Vous n’allez pas vous taire !

MADAME LEPIC.

Ne vous gênez pas, Honorine.

HONORINE, penaude.

Excusez-moi, madame ! Mais laissez-le donc répondre, pour voir ce qu’il va dire. Il est en âge de parler seul. Je vois bien qu’il ne dit pas non ; mais je vois bien qu’il ne dit pas oui. Dis-tu oui ?

MADAME LEPIC.

Quelle manie vous avez de tutoyer M. Lepic !

HONORINE.

Des fois ! Ça dépend des jours, et ça ne le contrarie pas.

À M. Lepic.

Oui ou non ?

MADAME LEPIC.

Mais oui, mais oui, Honorine.

HONORINE.

C’est qu’il ne le dirait pas, si on ne le poussait pas.

À Mme Lepic.

Heureusement que vous êtes là, et que vous répondez pour lui.

À M. Lepic.

Ah ! que tu es taquin ! Je te remercie quand même, va, de tout mon cœur. Je te dois déjà le pain que me donne la commune. Tu as beau avoir l’air méchant, tu es bon pour les pauvres gens comme nous.

MADAME LEPIC.

Il ne suffit pas d’être bon pour les pauvres, Honorine, il faut encore l’être pour les siens, pour sa famille.

HONORINE.

Oui, madame.

À M. Lepic.

Mais tu as supprimé la subvention de M. le curé : ça c’est mal.

FÉLIX.

C’est avec cet argent que la commune peut vous donner du pain, ma vieille Honorine.

HONORINE, à M. Lepic.

Alors, tu as bien fait ; j’ai plus besoin que lui.

JACQUES.

Merci pour la place, monsieur le maire !

HONORINE.

Jacquelou avait peur, parce que de mauvaises langues rapportent qu’il a eu le bras cassé en nourrice et qu’il ne peut pas manier une pioche. C’est de la méchanceté.

JACQUES, stupide.

C’est de la bêtise !

HONORINE.

Je lui ai dit : Prends ta pioche et tu montreras à M. le maire que tu sais t’en servir.

JACQUES.

Venez dans votre jardin, monsieur le maire, et je vous ferai voir.

MONSIEUR LEPIC.

Pourquoi au jardin ? Nous sommes bien ici. Pioche donc !

Jacques lève sa pioche.

MADAME LEPIC, se précipite.

Sur mon parquet ciré !

JACQUES.

Je ne l’aurais pas abîmé ! Je ne suis pas si bête ! Je ne ferais que semblant pour que vous voyiez que je n’ai point de mal au bras.

HONORINE, à M. Lepic.

Et tu ris, toi ! Il rit de sa farce...

M. Lepic pique une prune dans une assiette.

Tu es toujours friand de prunes ?

MADAME LEPIC.

Il en raffole.

M. Lepic laisse retomber sa prune.

HONORINE.

J’ai des reines-claudes dans mon jardin, faut-il que Jacquelou t’en apporte un panier ?

MADAME LEPIC.

Il lui doit bien ça !

JACQUES.

Vous l’aurez demain matin, monsieur le maire.

MADAME LEPIC.

Et moi, je demanderai à Mme Narteau une corbeille des siennes.

HENRIETTE.

Je crois, maman, que les prunes de Mme Mobin sont encore plus belles ; nous pourrions y passer après vêpres ?

MADAME LEPIC.

Oui, mais l’une n’empêche pas l’autre ; personne n’a rien à refuser à M. le maire.

HONORINE.

Tu vas te bourrer !

MONSIEUR LEPIC.

Et toi, Félix ?

FÉLIX.

Papa ?

MONSIEUR LEPIC.

Tu ne m’en offriras pas... des prunes ?

FÉLIX, riant.

Si, si... je chercherai, et je te promets que s’il en reste dans le pays !...

HONORINE.

Il se moque de nous. Oh ! qu’il est mauvais !

MADAME LEPIC, aigre.

Des façons, Honorine ! Il ne les laissera pas pourrir dans son assiette !

JACQUES.

À présent, je vais me marier !

FÉLIX.

Tout de suite ?

HONORINE.

Il n’attendait que d’avoir une position.

FÉLIX.

Qu’est-ce qu’il gagnera comme cantonnier ?

JACQUES.

Cinquante francs par mois. En comptant la retenue, pour la retraite, il reste quarante-sept francs.

FÉLIX.

Mâtin !

JACQUES.

Et on a deux mois de vacances par an, pour travailler chez les autres !

MADAME LEPIC.

Avec ça, tu peux t’offrir une femme et un enfant !

HONORINE.

Quand sa femme aura un enfant, elle prendra un nourrisson.

HENRIETTE.

Ça lui fera deux enfants.

HONORINE.

Oui, mademoiselle, mais le nourrisson gagne, lui, et il paie la vie de l’autre.

FÉLIX.

Et il n’y a plus de raison pour s’arrêter !

JACQUES.

Et soyez tranquille, monsieur Lepic, si mon petit meurt, il aura beau être petit, je le ferai enterrer civilement.

MADAME LEPIC.

Il est capable de le tuer exprès pour ça.

HENRIETTE.

Avec qui vous mariez-vous ?

HONORINE.

Avec la petite Louise Colin, servante à Prémery.

FÉLIX.

Elle a une dot ?

HONORINE.

Et une belle ! Un cent d’aiguilles et un sac de noix ! Mais ils sont jeunes ; ils feront comme moi et défunt mon vieux : ils travailleront ; s’il fallait attendre des économies pour se marier !

FÉLIX.

À quand la noce ?

JACQUES.

Le plus tôt possible. Menez-nous ça rondement, monsieur le maire.

HONORINE.

Je vous invite tous. Je vous chanterai une chanson et je vous ferai rire, marchez !

JACQUES.

On dépensera ce qu’il faut.

MONSIEUR LEPIC.

Tu ne pourrais pas garder ton argent pour vivre ?

HONORINE.

On n’a que ce jour-là pour s’amuser !

JACQUES.

C est la vieille qui paie.

FÉLIX.

Avec quoi ?

MADAME LEPIC.

Elle n’a pas le sou.

HONORINE.

J’emprunterai ! Je ferai des dettes partout ; ne vous inquiétez pas ! Mais c’est vous qui les marierez, monsieur le maire. Ne vous faites pas remplacer par l’adjoint. Il ne sait pas marier, lui !

JACQUES.

Il est trop bête. Il est encore plus bête que l’année dernière.

HONORINE.

Et puis, tu embrasseras la mariée !

JACQUES.

Ah ! ça oui, par exemple !

HONORINE.

Tu n’as pas embrassé Julie Bernot. Elle est sortie de la mairie toute rouge. Son homme lui a dit que c’était un affront et qu’elle devait avoir une tache.

JACQUES.

On dirait que ma Louise en a une. On le dirait ! Le monde est encore plus bête qu’on ne croit. Si vous n’embrassez pas ma Louise, je vous préviens, monsieur le maire, que je la lâche dans la rue, entre la mairie et l’église ; elle ira où elle voudra. Vous l’embrasserez, hein ?

MONSIEUR LEPIC.

Tu ne peux pas faire ça tout seul ?

JACQUES.

Après vous. Ne craignez rien. Commencez, moi je me charge de continuer.

MONSIEUR LEPIC.

Tu n’es pas jaloux ?

JACQUES.

Je serai fier que monsieur le maire embrasse ma femme.

MONSIEUR LEPIC.

Elle ne doit pas être jolie !

JACQUES.

Moi, je la trouve jolie ; sans ça !... Elle a déjà trois dents d’arrachées ; mais ça ne se voit pas, c’est dans la bouche.

FÉLIX.

Si tu veux que je te remplace, papa ?

MONSIEUR LEPIC, à Félix.

À ton aise, mon garçon !

JACQUES.

Lui d’abord, monsieur Félix ! L’un ne gênera pas l’autre, mais d’abord lui.

À M. Lepic.

Elle retroussera son voile, et elle vous tendra le bec, vous ne pourrez pas refuser.

MONSIEUR LEPIC, à Jacques.

Enfin, parce que c’est toi !

JACQUES.

Merci de l’honneur, monsieur le maire, je peux dormir tranquille pour la place ?

MONSIEUR LEPIC.

Dors !... Tu ne sais ni lire ni écrire au moins ?

JACQUES.

Ah, non !

MONSIEUR LEPIC.

Tant mieux, ça va bien !

JACQUES.

Ah ! vous ne savez pas comme tout le monde est envieux de moi ! Ils vont tous fumer, quand j’aurai ma plaque de fonctionnaire sur mon chapeau !

HONORINE.

Tous des jaloux ! Mais on laisse dire !

FÉLIX.

Puisque vous avez votre pioche, Jacques, venez donc me chercher des amorces, que j’aille à la pêche.

JACQUES.

Oui, monsieur Félix.

Il brandit sa pioche.

Eh ! bon Dieu !

MADAME LEPIC, se signe.

Il va arracher tout notre jardin.

HONORINE.

Oh ! non, il est raisonnable.

Jacques et Félix sortent.

Je t’attends là, Jacquelou !... Ce n’est pas parce que je suis sa grand-mère, mais je le trouve gentil, moi, mon Jacquelou !

MADAME LEPIC.

Comme un petit loup de sept ans.

HENRIETTE.

Pourquoi l’appelez-vous Jacquelou au lieu de Jacques, Honorine ?

HONORINE.

Parce que c’est plus court.

À M. Lepic.

Il aurait fait un scandale dans ta mairie, si tu n’avais pas cédé.

MADAME LEPIC.

Ma pauvre Honorine, M. Lepic n’aime plus embrasser les dames.

HONORINE.

Ça dépend lesquelles !

MADAME LEPIC.

Ah !

HONORINE.

Je le connais mieux que vous, votre monsieur : quand il est venu au monde, je l’ai reçu dans mon tablier. Oh ! qu’il était beau ! Il avait l’air d’un petit ange !

MADAME LEPIC.

Pas si vite ! Vous oubliez le péché originel, Honorine. On ne peut pas être un petit ange avant d’avoir été baptisé.

HONORINE.

Oh ! il l’a été ; mais il n’y pense plus, aujourd’hui... c’est un mécréant ! Il ne croit à rien. Un homme si capable, le maire de notre commune ! Il ne croit même pas à l’autre monde !

MONSIEUR LEPIC.

Tu y crois donc toujours, toi ?

HONORINE.

Oui... Pourquoi pas ?

MADAME LEPIC.

Vous savez, Honorine, que M. Lepic n’aime pas ce sujet de conversation. Il ne vous répondra pas.

MONSIEUR LEPIC, légèrement.

Un autre monde ! Tu as plus de soixante-dix ans et tu vivras cent ans, peut-être ! Tu auras passé ta vie à laver la vaisselle des riches, y compris la nôtre ; on te voit toujours ta hotte derrière le dos. HONORINE.

Je ne l’ai pas aujourd’hui.

MONSIEUR LEPIC.

On la voit tout de même. C’est comme une vilaine bosse, ça ne s’enlève pas le dimanche ! Tu n’as connu que la misère et tu crèveras dans la misère. Si la commune ne t’aidait pas un peu, tu te nourrirais d’ordures ! Sauf ton Jacquelou, qui est estropié, tous tes enfants sont morts ! Tu ne sais même plus combien ! Jamais un jour de joie, de plaisir, sans un lendemain de malheur. Et il te faudrait encore un autre monde ! Tu n’as pas assez de celui-là ?

HONORINE.

Qu’est-ce qu’il dit ?

MADAME LEPIC.

Rien, ma vieille.

HONORINE.

Il me taquine. Il blague toujours. Ah ! Si je voulais lui répondre, je l’écraserais ! Mais je l’aime trop ! Il était si mignon à sa naissance, quand je l’ai eu baigné, lavé, dans sa terrine, torché, langé, enfariné. Je n’ai pas mieux tapiné les miens. Je le connais comme si je l’avais fait... Il lève les épaules, mais il sait bien que j’ai raison ! Malgré qu’il soit malin, je devine ses goûts et je peux vous dire, moi, les dames qu’il aime et les dames qu’il n’aime pas.

MADAME LEPIC.

Vraiment !

HONORINE.

Oui, madame. Il n’aime pas les bavardes.

M. Lepic, agacé, s’en va vers le jardin et laisse la lettre sur la table.

MONSIEUR LEPIC.

Non !

MADAME LEPIC.

Vous entendez, Honorine ?

HONORINE.

J’entends comme vous. Il n’aime pas les curieuses.

MONSIEUR LEPIC.

Non.

HONORINE.

Ni les menteuses.

MONSIEUR LEPIC, toujours en s’éloignant.

Non.

HONORINE.

Ni surtout les bigotes.

MONSIEUR LEPIC, presque dans le jardin.

Ah ! non !

HENRIETTE, à Honorine.

Voulez-vous boire quelque chose, ma vieille ?

HONORINE.

Ma foi, mademoiselle !...

MADAME LEPIC, vexée et attirée par la lettre qui est sur la table, sonnerie de cloche lointaine.

Le premier coup des vêpres, Honorine !

HONORINE écoute par la cheminée.

C’est vrai ! Oh ! j’ai le temps ! le second coup ne sonne qu’à deux heures.

MADAME LEPIC.

C’est égal, ma vieille toquée ! Je ne vous conseille pas de vous mettre en retard.

HONORINE, que le son de voix de Mme Lepic inquiète, à Henriette.

Merci, ma bonne demoiselle !... Portez-vous bien, mesdames !

Elle sort plus vite qu’elle ne voudrait, poussée dehors par Mme Lepic.

 

 

Scène III

 

MADAME LEPIC, HENRIETTE

 

Mme Lepic saisit la lettre.

HENRIETTE, pour l’empêcher de lire.

Papa l’a oubliée !

MADAME LEPIC.

Il l’a oubliée exprès. Depuis le temps que tu vis avec nous, tu devrais connaître toutes ses manies : quand il ne veut pas qu’on lise ses lettres, il les met dans sa poche. Quand il veut qu’on les lise, il les laisse traîner sur une table. Elle traîne, j’ai le droit de la lire.

Elle lit.

Henriette, mon Henriette ! Écoute.

Elle lit tout haut.

« Cher monsieur, Voulez-vous me permettre d’avancer la visite que je devais vous faire jeudi ? Un télégramme me rappelle à Nevers demain. Nous viendrons aujourd’hui, ma Tante et moi, vers quatre heures, après les vêpres de ces dames. Ma Tante est heureuse de vous demander, plus tôt qu’il n’était convenu, la faveur d’un entretien, et je vous prie de croire, cher monsieur, à mes respectueuses sympathies. Signé : PAUL ROLAND. » M. Paul et sa tante seront ici à quatre heures. Ils parleront à ton père et nous serons fixés ce soir. Oh ! ma fille, que je suis contente ! D’abord, je n’aurais pas pu attendre jusqu’à jeudi. Je me minais. C’était mortel ! Oh ! ma chérie ! Dans trois heures, M. Paul aura fait officiellement demander ta main à ton père, et ton père aura dit oui.

HENRIETTE.

Ou non.

MADAME LEPIC.

Oui. Cette fois, ça y est, je le sens !

HENRIETTE.

Comme l’autre fois.

MADAME LEPIC.

Si, si. Ton père a beau être un ours...

HENRIETTE.

Je t’en prie...

MADAME LEPIC.

Moi, je dis que c’est un ours ; toi, avec ton instruction, tu dis que c’est un misanthrope ; ça revient au même. Il a beau être ce qu’il est, il recevra la tante Bache et M. Paul, j’imagine !

HENRIETTE.

Il les recevra, comment ?

MADAME LEPIC.

Le plus mal possible, d’accord ; mais j’ai prévenu M. Paul ; il ne se laissera pas intimider, lui, par l’attitude, les airs dédaigneux ou les calembours de ton père. M. Paul saura s’exprimer. C’est un homme, et tu seras Mme Paul Roland.

HENRIETTE.

Espérons-le.

MADAME LEPIC.

Tu y tiens ?

HENRIETTE.

Je suis prête.

MADAME LEPIC.

Tu es sûre que M. Paul t’aime ?

HENRIETTE.

Il me l’a dit.

MADAME LEPIC.

À moi aussi. Et quoi de plus naturel ! Tu as une jolie dot.

HENRIETTE.

Combien, maman ?

MADAME LEPIC.

Est-ce que je sais ? 40 000... 50 000 ! J’ai dit 50 000 mille. Ce serait malheureux qu’avec notre fortune...

HENRIETTE.

Quelle fortune, maman ?

MADAME LEPIC.

Celle qui est là, dans notre coffre-fort. Je l’ai encore vue l’autre jour ! Si tu crois que ton père me donne des chiffres exacts !... Il faut bien que j’en trouve, pour renseigner les marieurs. Et puis tu n’as pas qu’une belle dot. Tu es instruite. Tu es très bien. Inutile de faire la modeste avec ta mère... Enfin, tu n’es pas mal.

HENRIETTE.

Je ne proteste pas.

MADAME LEPIC.

Tu plais à M. Paul. Il te plaît. Il me plaît. Il plaira à M. Lepic.

HENRIETTE.

Ce n’est pas une raison.

MADAME LEPIC.

Alors, M. Lepic dira pourquoi... ou je me fâcherai...

HENRIETTE.

Ce sera terrible !

MADAME LEPIC, piquée.

Certainement... Je ne me mêle plus de rien.

HENRIETTE.

Si, si, maman, mêle-toi de tous mes mariages, c’est bien ton droit... et ton devoir. Et je ne demande pas mieux que de me marier ; mais tu te rappelles M. Fontaine, l’année dernière...

MADAME LEPIC.

M. Fontaine n’avait ni les qualités, ni la situation, ni le prestige...

HENRIETTE.

Oh ! épargne-le... maintenant ! Il est loin !

MADAME LEPIC.

Tu ne vas pas me soutenir que M. Fontaine valait M. Paul.

HENRIETTE.

Nous l’aurions épousé tout de même, tel qu’il était. Il ne me déplaisait pas.

MADAME LEPIC.

Il te plaisait moins que M. Paul.

HENRIETTE.

Je l’avoue. Il te plaisait, naturellement.

MADAME LEPIC.

Pourquoi naturellement ?

HENRIETTE.

Parce que tu n’es pas regardante, et qu’ils te plaisent tous.

MADAME LEPIC.

C’est à toi de les refuser, en définitive, non à moi.

HENRIETTE.

Oui, oui, maman. Je suis libre et papa aussi.

MADAME LEPIC.

Il ne va pourtant pas refuser tout le monde.

HENRIETTE.

Ce ne serait que le deuxième !

MADAME LEPIC.

Et sans donner de motifs... Je vois encore ce M. Fontaine, qui était en somme acceptable, quitter ton père après leur entretien, nous regarder longuement comme des bêtes curieuses, nous saluer à peine, prendre la porte et... on ne l’a jamais revu.

HENRIETTE.

Il avait déplu à mon père...

MADAME LEPIC.

Ou ton père lui avait déplu. M. Lepic n’a rien daigné dire et toi tu n’as rien demandé.

HENRIETTE.

C’était fini.

MADAME LEPIC.

Et pourquoi ? Mystère !

HENRIETTE, rêveuse.

Je cherche à deviner. Mon père n’est peut-être pas partisan du mariage.

MADAME LEPIC.

Je te remercie !... C’est ça qui te pendait au bout de la langue ?

HENRIETTE.

Oh ! maman !

MADAME LEPIC.

Tu as de l’esprit, sauf quand ton père est là. Tu ne débâilles pas devant lui. Prends garde qu’il ne reçoive ton M. Roland comme il a reçu ton M. Fontaine.

HENRIETTE.

Je le crains et je voulais dire que, peut-être, mon mariage lui est indifférent.

MADAME LEPIC.

Oh ! tu me révoltes. Ton père ne t’aime pas comme je t’aime, aucun père n’aime comme une mère, nous le savons ; mais le père le plus dénaturé tient à marier sa fille.

HENRIETTE.

Ne serait-ce que pour se débarrasser d’elle.

MADAME LEPIC.

Dirait-on pas que tu as une tache !

HENRIETTE.

Quelle tache ?

MADAME LEPIC.

Ah ! si tu prends tout ce que je dis de travers.

HENRIETTE.

Je m’énerve.

MADAME LEPIC.

C’est l’émotion des mariages. Calmons-nous, ma pauvre fille, je te jure que ce mariage réussira. S’il venait à manquer, moi qui suis déjà la plus malheureuse des femmes, je serais la plus malheureuse des mères.

HENRIETTE.

Ce serait complet. Il ne te manquerait plus rien. Ne te désole donc pas, ma pauvre maman, puisque cette fois, ça y est. Tu vois, je ris !

MADAME LEPIC.

Oui, tu ris, comme un chien qui a le nez pris dans une porte ! Ris mieux que ça. – À la bonne heure ! Et puis, sois adroite. Une vraie femme doit toujours céder, pallier, composer.

HENRIETTE.

À propos de quoi, maman ?

MADAME LEPIC.

À propos de tout. Rappelle-toi ce que dit M. le curé sur les petits mensonges nécessaires, qui atténuent ; ainsi, par exemple, ton père déteste les curés ; eh bien, si ça le prend, écoute-le un peu, pas trop, une minute. C’est dur ! Qu’est-ce que ça te fait ? Veux-tu épouser M. Paul Roland, oui ou non ?

HENRIETTE.

Oui, maman, tu as raison ! Je veux me marier, il faut que je me marie !

 

 

Scène IV

 

MADAME LEPIC, HENRIETTE, MADELEINE

 

MADELEINE, toilette des dimanches, un petit livre de messe à la main.

Qu’est-ce que vous avez ?

MADAME LEPIC, encore désolée.

Nous sommes dans la joie !

MADELEINE.

Ah ! oui !

MADAME LEPIC.

M. Paul et sa tante, Mme Bache, viendront à quatre heures, demander à M. Lepic la main d’Henriette.

MADELEINE, gaie.

M. Paul Roland ? Vrai ?

MADAME LEPIC.

Il nous a prévenus par cette lettre. Lis, tu peux lire. M. Lepic est enchanté !

MADELEINE, à Henriette.

Veinarde !... Oh ! quelle bonne nouvelle ! Ça me met en joie aussi, comme demoiselle d’honneur.

À Henriette.

Tu me gardes toujours, hein ?

HENRIETTE.

Tu es indispensable. Tu seras la demoiselle d’honneur de tous mes projets de mariage !

MADELEINE.

Comme si tu coiffais Sainte-Catherine ? Tu n’as pas vingt ans. Je passais vous prendre pour aller aux vêpres ; vous ne venez pas ?

MADAME LEPIC.

Oh ! si ! Manquer les vêpres aujourd’hui ? Mais nous ne resterons pas au salut, pour être sûrement de retour à l’arrivée de M. Paul et de sa tante.

MADELEINE.

Comme nous bavarderons à l’église !

MADAME LEPIC.

Commencez tout de suite, mes filles. Je vais préparer un bon goûter de quatre heures et je vous rejoins.

 

 

Scène V

 

HENRIETTE, MADELEINE

 

MADELEINE, au cou d’Henriette.

Que je te félicite et que je t’embrasse ! M. Paul Roland est très bien.

HENRIETTE.

Tu trouves ?

MADELEINE.

Très, très bien. J’en voudrais un comme lui.

HENRIETTE.

Tu me fais plaisir.

MADELEINE.

Avec des yeux plus grands.

HENRIETTE.

Si tu y tiens.

MADELEINE.

Ça ne te contrarie pas ?

HENRIETTE.

Moi-même, je les trouve un peu petits.

MADELEINE.

Ce n’est qu’un détail. Et puis, M. Paul Roland a une belle position. Tout le monde le sait. Il va faire une demande officielle pour la forme. Il t’aime ?

HENRIETTE.

Je crois.

MADELEINE.

Et tu l’aimes ?

HENRIETTE.

Oui, mais je n’ose pas trop me lancer.

MADELEINE.

M. Lepic et lui sont déjà d’accord ?

HENRIETTE.

Papa n’a encore rien dit à personne.

MADELEINE.

Même à toi ? Tu n’as pas causé avec lui ?

HENRIETTE.

Est-ce que je cause avec papa ?

MADELEINE.

M. Lepic et moi nous causons. Nous sommes une paire d’amis intimes.

HENRIETTE.

Tu n’es pas sa fille !

MADELEINE.

Je suis la fille de papa. Mais j’ai des causeries sérieuses avec papa.

HENRIETTE.

Ton papa n’est pas marié avec maman.

MADELEINE.

Ah ! non !

HENRIETTE.

Tout est là, Madeleine. À chacun sa famille, et tu le sais bien.

MADELEINE.

Je sais que dans la tienne il fait plutôt froid, mais il me semble que, pour un cas aussi grave que ton mariage, on se dégèle.

HENRIETTE.

Écoute, ma chérie, M. Paul m’écrit de temps en temps. Or, chaque lettre que je reçois, je la montre à papa. Il ne la regarde même pas !

MADELEINE.

Eh bien ! Après ? M. Lepic pense que les lettres de M. Paul sont à toi seule.

HENRIETTE.

C’est la même chose pour mes réponses. Je les lui offre à lire ; il ne les regarde pas.

MADELEINE.

Je trouve ça très délicat. M. Lepic vous laisse écrire librement. Moi, je ne montrerai mes lettres à personne. Tu ne peux pas reprocher à ton père sa discrétion.

HENRIETTE.

Je lui reproche de ne pas s’apercevoir de mes efforts, de me paralyser, de me faire peur. Oh ! et puis, je ne lui reproche rien.

MADELEINE.

Oui, tu me répètes souvent que tu as peur de ton père. Comme c’est drôle !

HENRIETTE.

Depuis ma sortie de pension, depuis quatre années que je vis dans cette maison, au milieu des miens, entre mon père, qui n’aime que la franchise, et ma mère, qui s’en passe volontiers, je ne fais qu’avoir peur. J’ai peur de tout, j’ai peur de lui, j’ai peur...

MADELEINE.

De ta mère ?

HENRIETTE.

Oh ! non. Mais à chaque instant j’ai peur pour elle ! Si tu savais, Madeleine, comme il est facile à une femme d’être insupportable à son mari ! Alors, j’ai peur de moi, peur de mon mariage, de l’avenir, de la femme que je serai.

MADELEINE.

Tu as peur d’être une femme insupportable à M. Paul ?

HENRIETTE.

Je ne suis pas sûre de rendre mon mari heureux.

MADELEINE.

Qu’il te rende heureuse d’abord ! On s’occupera de lui après.

HENRIETTE.

Je ressemble beaucoup à ma mère.

MADELEINE.

Quoi de plus naturel ?

HENRIETTE.

Je m’entends.

MADELEINE.

Va mettre ton chapeau et allons aux vêpres, ça te distraira.

HENRIETTE.

Ça ne me fait plus aucun bien. Tu sais si j’aime M. le curé, si j’ai en lui une confiance absolue. Eh bien ! elle se trouble, et à l’église, depuis quelques jours, je prie machinalement, je ne prie plus, je rêvasse, je pense à des actes de foi que les hommes ne peuvent ou ne veulent pas comprendre.

MADELEINE.

Ils pourraient. Ils ne veulent pas. C’est des choses de femmes et de curé, ça ne regarde pas les hommes.

HENRIETTE.

Pourquoi, Madeleine ?

MADELEINE.

Ça leur est égal ; mon père, lui, s’en moque !

HENRIETTE.

Le mien, non.

MADELEINE.

Il a pourtant une forte tête, ton père !

HENRIETTE.

C’est peut-être là le malheur !

MADELEINE.

Henriette, tu avais trop de prix à la pension ! Veux-tu un conseil de ta petite amie ? Tu sais si papa est tendre pour moi. Eh bien ! je vais te faire une confidence qui t’étonnera : il lui arrive, comme aux autres, de bouder.

HENRIETTE, ironique.

Oh ! c’est grave !

MADELEINE.

Ça me fait souffrir ; il n’y a pas que toi de sensible ! Mais dès que je m’aperçois qu’il boude, je ne compte ni une ni deux, je saute à son cou, et j’y reste pendue, jusqu’à ce qu’il déboude, et ce n’est pas long !...

HENRIETTE.

Sauter au cou de papa !

MADELEINE.

Tu verras m’effet que ça fait !

HENRIETTE.

Au cou de papa ! Madeleine !

MADELEINE.

Eh bien ! quoi, ce n’est pas le clocher !

HENRIETTE.

J’aimerais mieux sauter dans la rivière.

MADELEINE.

Il est grand temps que tu te maries !... Tu ne peux pas ; si ça te gêne de bondir, t’approcher, tendre ta joue à ton père et lui dire, câline : papa, ça me ferait plaisir d’épouser M. Paul Roland. Tu ne pourrais pas ?

M. Lepic paraît.

Veux-tu que je te montre ?

HENRIETTE.

Je vais mettre mon chapeau.

Elle se sauve.

 

 

Scène VI

 

MADELEINE, MONSIEUR LEPIC

 

MONSIEUR LEPIC.

Te voilà, toi ?

MADELEINE.

Oui, bonjour, monsieur Lepic.

MONSIEUR LEPIC.

Bonjour, Madeleine !

MADELEINE.

Ça va bien ?

MONSIEUR LEPIC.

Ça va comme les vieux.

MADELEINE.

Vous êtes encore jeune.

MONSIEUR LEPIC.

Pas tant que toi.

MADELEINE.

Chacun son tour !

MONSIEUR LEPIC.

Et pas si joli !

MADELEINE.

Je suis donc jolie ?

MONSIEUR LEPIC.

Je ne te le répéterai pas.

MADELEINE.

Ah ! j’ai mis ma belle robe bleue du dimanche.

MONSIEUR LEPIC.

Elle te va bien. Ce n’était pas pour venir me voir.

MADELEINE.

Si, après la messe.

MONSIEUR LEPIC.

Tu y es allée ?

MADELEINE.

Je ne la manque jamais.

MONSIEUR LEPIC.

Et tu l’as vu ?

MADELEINE.

Qui ça ?

MONSIEUR LEPIC.

M. le curé !

MADELEINE.

Oui.

MONSIEUR LEPIC.

Il y était à la messe ?

MADELEINE.

Ça vous étonne ?

MONSIEUR LEPIC.

De lui, non. Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

MADELEINE.

Il m’a dit : Pax vobiscum ! en latin.

MONSIEUR LEPIC.

Il ne sait donc pas le français ?

MADELEINE.

Et je le reverrai tout à l’heure, aux vêpres.

MONSIEUR LEPIC.

Il y va aussi ?

MADELEINE.

Il fait son métier. Qu’est-ce que je lui dirai de votre part ?

MONSIEUR LEPIC.

Ce que tu voudras : fichez-nous la paix, en français.

MADELEINE.

Oh ! vilain ! Faudra-t-il lui annoncer la grande nouvelle ?

MONSIEUR LEPIC.

Tu en connais une ?

MADELEINE.

Oui, vous voulez la savoir ?

MONSIEUR LEPIC.

Je n’y tiens pas.

MADELEINE.

Je vous la dis tout de même. M. Paul Roland va venir aujourd’hui, à quatre heures, avec sa tante, Mme Bache. Il vous demandera la main de mon amie Henriette, et vous la lui accorderez. Voilà !

MONSIEUR LEPIC.

C’est intéressant.

MADELEINE.

Je suis bien renseignée ?

MONSIEUR LEPIC.

Tu en as l’air.

MADELEINE.

N’est-ce pas que vous direz : oui ? N’est-ce pas ? Qui ne dit rien consent.

MONSIEUR LEPIC.

Qui ne dit rien ne dit rien.

MADELEINE.

Répondez gentiment.

MONSIEUR LEPIC.

Qu’est-ce que tu me conseilles ?

MADELEINE.

Oh ! comme c’est fort ! Bien sûr, ça ne me regarde pas.

MONSIEUR LEPIC.

On ne le dirait guère.

MADELEINE.

Si, ça me regarde ! Henriette n’est-elle pas ma grande amie ? La seule. Après son mariage, le mien ! qu’elle se dépêche ! Vous direz oui, hein ! sans vous faire prier. Il ne veut pas répondre...

Elle lui touche le front.

Oh ! qu’est-ce qu’il y a là ?

MONSIEUR LEPIC.

Un os, l’os du front.

MADELEINE.

Dites oui, je vous en prie.

MONSIEUR LEPIC.

Ce n’est pas moi, un homme, qu’il faut prier, c’est...

Il désigne le ciel du doigt.

MADELEINE.

Dieu ! Je le prie chaque jour ! Dites oui, et vous aurez la meilleure place dans mes autres prières.

Elle désigne son livre.

MONSIEUR LEPIC.

La meilleure, et ton amoureux ? – Qu’est-ce que c’est que ça ?

MADELEINE.

Je n’ai pas d’amoureux. Je n’ai que votre Félix, il ne compte pas. – Ça, c’est mon livre.

MONSIEUR LEPIC.

Un roman ?

MADELEINE.

Mon livre de prières. J’aurai un vrai amoureux, quand ce sera mon tour.

MONSIEUR LEPIC.

Dépêche-toi.

MADELEINE.

Quand Henriette sera mariée, dès le lendemain, je vous le promets.

MONSIEUR LEPIC.

Il y a déjà peut-être là-dedans sa photographie !

MADELEINE, offrant le livre.

Voyez, je vous le prête. Ouvrez, cherchez !

MONSIEUR LEPIC.

Ton livre ! Je le connais mieux que toi.

MADELEINE.

Un fameux !

MONSIEUR LEPIC.

Veux-tu parier ?

MADELEINE.

Vous n’en réciteriez pas une ligne.

MONSIEUR LEPIC.

Deux.

MADELEINE.

Allons !

MONSIEUR LEPIC.

« Faux témoignage ne diras
Ni mentiras aucunement
. »

MADELEINE.

Très bien, après ?

MONSIEUR LEPIC.

Continue, toi.

Madeleine cherche.

Tu ne te rappelles plus ?

MADELEINE, reprend son livre.

Ma foi, non :

« L’œuvre de chair ne désireras
qu’en mariage seulement.
 »

MONSIEUR LEPIC.

Eh bien ?

MADELEINE.

Eh bien, quoi ?

MONSIEUR LEPIC.

Tu as compris ?

MADELEINE, gênée.

Un peu.

MONSIEUR LEPIC.

M. le curé t’explique ?

MADELEINE.

Sans insister.

MONSIEUR LEPIC.

C’est pourtant raide !

MADELEINE.

Vous choisissez exprès !

MONSIEUR LEPIC, reprend le livre.

Il y en a d’autres :

« Luxurieux point ne seras... »

MADELEINE.

Assez ! Assez ! Élève Lepic. Vous savez encore votre catéchisme.

MONSIEUR LEPIC.

Pourquoi rougis-tu ?

MADELEINE.

Parce que vous êtes méchant, et que vous me faites de la peine !

MONSIEUR LEPIC.

Pauvre petite ? Ça pourrait être un si beau livre ! Tu ne feras pas mal de lire quelques poètes, pour te purifier.

MADELEINE.

J’en lirai avec Henriette, quand nous serons mariées.

MONSIEUR LEPIC.

Trop tard !

MADELEINE.

Nous nous rattraperons. Au revoir... Malgré vos malices de païen, je vous aime bien.

MONSIEUR LEPIC.

Moi aussi.

MADELEINE.

Oh ! vous, vous m’adorez !

MONSIEUR LEPIC.

Oh ! oh !

MADELEINE.

C’est vous qui me l’avez dit.

MONSIEUR LEPIC.

Tu m’étonnes. Je ne me sers pas de ce mot-là aussi facilement que tes écrivains.

MADELEINE.

Vous ne m’avez pas dit que vous m’aimiez ?

MONSIEUR LEPIC.

Ça, c’est possible.

MADELEINE.

Vous me détestez, alors ?

MONSIEUR LEPIC.

Comme tu raisonnes bien !

MADELEINE.

Vous n’aimez personne ?

MONSIEUR LEPIC.

Mais si.

MADELEINE.

Qui donc ?

MONSIEUR LEPIC, gaiement.

Ma petite amie.

MADELEINE.

Vous en avez une ?

MONSIEUR LEPIC.

Tiens !...

MADELEINE.

À votre âge ?

MONSIEUR LEPIC.

Elle est si jeune, que ça compense.

MADELEINE, très curieuse.

Comment s’appelle-t-elle ? Son petit nom ?

MONSIEUR LEPIC.

Madeleine.

MADELEINE.

Comme moi. Et son nom de famille ?

MONSIEUR LEPIC.

Bertier.

MADELEINE.

Madeleine Bertier, moi !

MONSIEUR LEPIC.

Dame !

MADELEINE.

Oh ! quelle farce ! Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je croyais que vous parliez d’une autre, je pensais à une vraie.

MONSIEUR LEPIC.

Tu ne penses qu’au mal !

MADELEINE.

Bien sûr qu’on s’aime tous deux, et je vous répète que je vous aime beaucoup.

MONSIEUR LEPIC.

Le dis-tu à M. le curé ?

MADELEINE.

Je lui dis tout.

MONSIEUR LEPIC.

Tu diras le reste à ton mari.

MADELEINE.

Est-il mauvais donc ! Ah ! vous ne vous êtes pas levé du bon côté, ce matin.

MONSIEUR LEPIC.

C’était dimanche.

MADELEINE.

Au revoir, monsieur Lepic.

MONSIEUR LEPIC.

Au revoir, ma fille !

MADELEINE.

Oh ! si j’étais votre fille !

MONSIEUR LEPIC.

Ça se gâterait peut-être.

MADELEINE.

Pourquoi ? Au fait, c’est à votre fille que vous devriez dire tout ça.

MONSIEUR LEPIC.

J’en suis las !

MADELEINE.

Vous ne lui dites peut-être pas bien comme à moi.

MONSIEUR LEPIC.

Ah ! dis-le-lui toi-même, répète-le, puisque tu te mêles de tout.

MADELEINE.

C’est ce que je m’en vais faire, à l’instant, aux vêpres.

MONSIEUR LEPIC.

Ce ne sera pas du temps perdu...

MADELEINE.

Allons, embrassez-moi.

Elle lui tend la joue.

Sur l’autre.

À Henriette qui revient.

Tu vois...

HENRIETTE.

Au revoir, papa !

Elle lui donne avec timidité un baiser que M. Lepic garde. À Madeleine.

Tu vois !

MADELEINE.

Ton fiancé te le rendra ce soir !

Sonneries de cloches pour le départ. M. Lepic se bouche une oreille du creux de la main. Les trois dames, Mme Lepic au milieu, sont sur un rang, avec les trois livres de messe.

MADAME LEPIC.

Vous y êtes, nous partons.

Énormité du livre de Mme Lepic ; le livre de Mme Lepic tombe.

MONSIEUR LEPIC.

Pouf !...

MADAME LEPIC.

Allez devant, mes filles, je vous rejoins.

Elle ramasse son livre. M. Lepic va décrocher son fusil. Mme Lepic, qui est restée en arrière, feint d’essuyer son livre et observe avec stupeur M. Lepic.

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR LEPIC, MADAME LEPIC

 

MADAME LEPIC.

Tu sors, mon ami ?... tu sors ?... Tu as bien lu la lettre de M. Paul Roland ?... Tu cherches des allumettes ? En voilà une boîte de petites que j’ai achetées pour toi. C’est moins lourd dans la poche.

M. Lepic prend une autre boîte d’allumettes sur la cheminée et il se bouche encore l’oreille. Mme Lepic continuant.

Avec ces cloches, on ne s’entend pas !

Elle ferme la fenêtre.

M. Paul et sa tante seront là à quatre heures.

M. Lepic appuie son fusil sur une autre table et l’ouvre ; par les canons, il cherche la lumière et rencontre Mme Lepic.

À quatre heures précises. Tu seras là. Oui, tu ne vas pas loin ?

M. Lepic et Mme Lepic se heurtent. Passage difficile. M. Lepic reste immobile et attend.

Un petit tour seulement ? Ce n’est pas la peine de mettre tes guêtres.

M. Lepic met ses guêtres.

Veux-tu que je te prépare une chemise propre pour les recevoir ? Tu n’as pas besoin de t’habiller, mais ce serait une occasion d’essayer tes chemises neuves... Ton chapeau de paille, par ce soleil ?

M. Lepic prend son chapeau de feutre.

Oh ! ces cloches.

Elle ferme la porte.

À quatre heures, quatre heures quinze. Nous ne sommes pas à un quart d’heure près... D’ailleurs nous t’attendrons. Au revoir, mon ami ! Si tu pouvais nous rapporter un petit oiseau pour notre dîner !

M. Lepic sort. Les cloches rentrent.

 

 

Scène VIII

 

MADAME LEPIC, seule

 

Oh ! tête de fer ! pas un mot. Pas même : tu m’ennuies ! Et c’est comme ça depuis vingt-sept ans ! Et ma fille va se marier !

Elle sort avec dignité, au son des cloches.

 

 

ACTE II

 

Même décor qu’au premier acte. Après vêpres.

 

 

Scène première

 

MADAME LEPIC, HENRIETTE, retour de vêpres, FÉLIX, PAUL ROLAND, TANTE BACHE

 

MADAME LEPIC, regarde l’horloge.

Il sera là dans un quart d’heure. Il me l’a bien promis.

FÉLIX, ironique.

Oh ! Formellement ?

MADAME LEPIC.

Il était de si bonne humeur qu’il m’a dit en partant : je tâcherai de te rapporter un petit oiseau qui t’ouvre l’appétit.

FÉLIX.

Il t’a dit ça ?

MADAME LEPIC.

Oui, ça t’étonne ? Il fallait être là, tu l’aurais entendu !

TANTE BACHE, agitée.

Nous sommes tranquilles, M. Lepic est un homme du monde !

MADAME LEPIC.

Surtout avec les étrangers.

TANTE BACHE.

D’une politesse ! Froid, mais si comme il faut ! Et quel grand air !

MADAME LEPIC.

Et si vous l’aviez vu danser !

TANTE BACHE.

Oh ! je le vois !

MADAME LEPIC.

Toutes les femmes le regardaient. C’est par là qu’il m’a séduite... Il ne danse plus !

TANTE BACHE.

Il reste élégant.

MADAME LEPIC.

Oui, il fait encore de l’effet, à une certaine distance.

TANTE BACHE.

De loin et de près, il m’impressionne. Si je me promenais à son bras, je n’oserais rien lui dire.

MADAME LEPIC.

Comme il est lui-même peu bavard, vous ne seriez pas longue à vous ennuyer.

TANTE BACHE, rêveuse.

Non. Nous marcherions silencieusement, muets, dans un parc, à l’heure où la musique joue.

HENRIETTE.

Comme vous êtes poétique, tante Bache.

TANTE BACHE.

Je l’avoue. C’est ce que mon mari, de son vivant, appelait « faire la dinde ».

FÉLIX.

C’était un brave homme, M. Bache !

TANTE BACHE.

Oui, mais il avait de ces familiarités.

MADAME LEPIC.

Ça vaut mieux que rien !

TANTE BACHE.

Mieux que rien, des gros mots !

HENRIETTE.

Des gros mots affectueux.

TANTE BACHE.

Des injures, oui...

MADAME LEPIC.

Ça rompt le silence.

PAUL.

Mesdames ! mesdames ! Ce n’est pas le jour de dire du mal des maris.

TANTE BACHE.

Et devant Henriette !

MADAME LEPIC.

Elle aura son tour !

PAUL.

Attendez !

TANTE BACHE.

Oh ! tu ne ressembles pas à M. Bache, mais plutôt à M. Lepic qui est d’une autre race.

MADAME LEPIC.

Quand il veut, charmant causeur. Ah ! j’en ai écouté de jolies choses !

TANTE BACHE.

Il les choisit ses mots, lui, et les pèse.

MADAME LEPIC.

Un à un. Aujourd’hui il y met le temps !

TANTE BACHE.

C’est un sage !

MADAME LEPIC.

Oh ! chère amie, une image ! Je vous le prêterai.

PAUL.

Mesdames !...

TANTE BACHE.

Un penseur !...

MADAME LEPIC, regarde l’horloge.

Pourvu qu’il pense à revenir !

TANTE BACHE.

Chose bizarre ! Il m’attire et je le crains. Oh ! cette demande en mariage !

PAUL.

Tu ne vas pas reculer ?

TANTE BACHE.

Non, non, je la ferai puisqu’il le faut, puisque c’est l’usage. Drôle d’usage ! C’est toi qui vas te marier, et c’est moi...

PAUL.

Ma bonne tante !

TANTE BACHE.

Oh ! ne te tourmente pas ; je serai brave. J’ai bien mes gants dans ma poche ! Oui. Des gants neufs ! C’est leur première sortie. Mon cœur toque ! Il me semble que je vais demander M. Lepic en mariage pour moi ! Qu’est-ce que je lui dirai, et comment le dirai-je ?

PAUL.

Tu t’en tireras très bien !

TANTE BACHE.

Très bien ! très bien ! Il ne faut pas me prendre pour une femme si dégourdie !

MADAME LEPIC.

Soyez nette. La netteté avant tout !

TANTE BACHE.

Oui. N’est-ce pas ! toute ronde !

FÉLIX.

Avec papa qui est carré, gare les chocs !

TANTE BACHE.

Ah !

FÉLIX.

Je dis ça pour vous prévenir !

TANTE BACHE.

Oui, oui.

MADAME LEPIC.

Et flattez-le d’abord.

TANTE BACHE.

Vous me disiez d’être nette.

MADAME LEPIC.

Avec de la souplesse et même de la ruse. Par exemple, dites-lui du mal des curés.

TANTE BACHE.

À propos de quoi ?

MADAME LEPIC.

Il n’y a plus que ça qui lui fasse plaisir !

TANTE BACHE.

Je ne pense pas de mal des curés !

FÉLIX.

Vous vous confesserez après.

PAUL.

Ma tante ! reste naturelle, sois franche, comme toujours ! J’ai causé plusieurs fois avec M. Lepic, et il m’a fait l’impression d’un homme de sens, quoique spirituel.

TANTE BACHE.

Spirituel ! Mon Dieu !

PAUL.

Oh ! il a de l’esprit, c’est incontestable, un esprit particulier, personnel, caustique ; mais je ne suis pas ennemi d’une certaine satire, même à mes dépens, pourvu qu’elle soit raisonnable, et, à ta place, je prendrais M. Lepic par la simple raison.

TANTE BACHE.

J’essaierai !

MADAME LEPIC.

Ou les belles manières, puisque vous trouvez qu’il en a.

TANTE BACHE.

Oui, mais, est-ce que j’en ai, moi ?

FÉLIX.

Vous ne manquez pas d’un certain genre.

TANTE BACHE.

Moquez-vous de moi, c’est le moment !

HENRIETTE.

Prenez-le par la douceur.

TANTE BACHE.

C’est le plus sûr.

FÉLIX.

Prenez-le donc comme vous pourrez. Papa est un chic type !

TANTE BACHE.

Oh ! oui ! comme je pourrai... C’est le plus simple. D’ailleurs, je ne dirai que deux mots, n’est-ce pas : « Monsieur Lepic, j’ai l’honneur... » Je me rappelle bien ta phrase, Paul, et je n’ai pas besoin d’entrer dans les détails.

FÉLIX.

Non, n’exagérez pas les cérémonies avec papa !

TANTE BACHE.

Un oui de M. Lepic me suffira.

FÉLIX.

Il ne vous en donnera pas deux.

PAUL.

Pourvu que tu l’obtiennes !

FÉLIX.

Ça ne fait aucun doute ! J’ai besoin d’un beau-frère, maintenant que je suis bachelier ! Quand vous irez à Paris pour affaires, vous m’emmènerez et nous ferons la noce !

PAUL.

Votre confiance m’honore.

FÉLIX.

Je me suis fait faire un complet-jaquette.

PAUL.

C’est de rigueur.

À Henriette.

Ma tante réussira-t-elle ?

HENRIETTE.

Je ne sais pas.

PAUL.

Vous l’espérez ?

HENRIETTE.

Je l’espère.

FÉLIX.

J’te crois, que tu l’espères ! Henriette est une fille bien élevée qui a la mauvaise habitude de cacher ses sentiments.

PAUL.

Il est spirituel ! Il tient de son père !

FÉLIX, fier.

Je ne tiens que de lui ! Je suis le sous-chef de la famille.

MADAME LEPIC.

Et tu tiens le reste de ta mère, mauvais fils !

FÉLIX.

Je le laisse à ma sœur.

MADAME LEPIC.

Ma chère fille ! Embrassez-la, monsieur Paul, ça portera bonheur à tante Bache.

FÉLIX.

Il n’a pas le droit ! Oh ! ce soleil, Henriette.

TANTE BACHE.

C’est l’amour.

FÉLIX.

C’est curieux de changer de couleur comme ça. Elle va prendre feu !

MADAME LEPIC, attendrie, à Paul.

Ah ! mon cher fils !

FÉLIX.

Mais non, maman, c’est moi, ton fils.

MADAME LEPIC.

J’en aurai deux. Du courage, chère tante.

FÉLIX.

Tu te trompes encore ! Ce n’est pas ta tante.

MADAME LEPIC.

Tu m’ennuies, elle le sera bientôt par alliance. À l’arrivée de M. Lepic, nous disparaîtrons, sur un signe que je ferai, pour vous laisser seuls.

TANTE BACHE.

Seuls.

MADAME LEPIC.

Oui, tous les deux ici.

TANTE BACHE.

Ah ! ici.

MADAME LEPIC.

Ça vous va ?

TANTE BACHE.

Oh ! n’importe où. Partout j’aurai une frousse !

MADAME LEPIC.

Ici, il y a de la lumière et de l’espace.

TANTE BACHE.

Il ne m’en faut pas tant !

MADAME LEPIC.

Et nous serons là, près de vous, derrière la porte ; nous vous soutiendrons de nos vœux, de nos prières.

FÉLIX.

Si tu allais chercher M. le curé !

MADAME LEPIC, désolée.

M. Lepic ne peut pas le sentir ! Et c’est pourtant un curé parfait, qui ne s’occupe de rien !

FÉLIX.

À quoi sert-il ?

PAUL.

Pour l’instant il est inutile.

MADAME LEPIC.

Écoutez : nous mettrons d’abord M. Lepic de bonne humeur... C’est demain sa fête, il faut la lui souhaiter aujourd’hui, tout à l’heure, dès qu’il rentrera...

FÉLIX.

Tu es sûre de ton effet ? D’ordinaire, ça ne porte pas.

MADAME LEPIC.

Quand nous ne sommes qu’entre nous, non ! Mais si son cœur se ferme aux sentiments les plus sacrés de la famille, devant le monde il n’osera pas le laisser voir. Henriette, montre ton cadeau.

HENRIETTE, rieuse.

Un portefeuille que j’ai

PAUL.

Très artistique ! Un goût !...

MADAME LEPIC.

Vous remarquez le sujet ?

PAUL.

Une tête de République.

MADAME LEPIC.

Ce ne sont pas nos idées, à ma fille et à moi, mais ça l’attendrira peut-être... Le prochain sera brodé pour vous, avec un autre sujet.

Elle reprend le portefeuille.

PAUL.

Oh ! je suis très large d’idées !

FÉLIX.

Papa dit qu’on est très large d’idées quand on n’en a point.

PAUL.

C’est très fin !

TANTE BACHE.

Et des fleurs, pour M. Lepic ?

FÉLIX.

Papa ne les aime que dans le jardin.

TANTE BACHE.

Toujours des goûts distingués !

MADAME LEPIC.

Quatre heures et demie !

PAUL.

Vous êtes inquiète ?

MADAME LEPIC.

Non, non. Mais il est si original !

PAUL.

Quelque lièvre qui l’aura retardé !

FÉLIX.

Ou un lapin qu’il vous pose.

MADAME LEPIC, à Félix.

Si tu allais au-devant de lui ?

FÉLIX.

Ça le ferait venir moins vite.

MADAME LEPIC, fébrile.

Je commence à... J’aurais donc mal compris...

TANTE BACHE, avec espoir.

S’il ne venait pas !

MADAME LEPIC.

Ce serait une humiliation pour vous !

TANTE BACHE.

Oh ! ça !

FÉLIX, qui regardait par la fenêtre.

Voilà le chien ! Et papa avec Madeleine.

MADAME LEPIC, soupire.

Ah ! mon Dieu !... Je le savais bien !

TANTE BACHE, avec effroi.

Ah ! mon Dieu !... plus d’espoir.

PAUL, troublé.

Le bel animal !

Sifflements et caresses au chien par la fenêtre.

HENRIETTE.

Il s’appelle Minos.

TANTE BACHE, la main sur son cœur.

C’est la minute la plus palpitante de ma vie !...

À Mme Lepic.

Pipi ! Pipi !...

Elle s’éclipse.

 

 

Scène II

 

LES MÊMES, MONSIEUR LEPIC, MADELEINE

 

Salutations.

MADAME LEPIC, à Madeleine.

Tu l’as rencontré ?

MADELEINE.

Il revenait sans se presser.

PAUL avec le désir de plaire.

Cher monsieur, on ne demande pas à un chasseur s’il se porte bien, mais s’il a fait bonne chasse.

MADAME LEPIC, volubile.

Oh ! M. Lepic fait toujours bonne chasse ! Depuis que nous sommes mariés, je ne l’ai jamais vu rentrer bredouille. Grâce à lui, notre garde-manger ne désemplit pas, et M. le conseiller général me disait hier (et pourtant il chasse) que mon mari est le meilleur tireur du département. Je suis sûre que nous n’allons pas jeûner !

FÉLIX, qui, cette phrase durant, a fouillé la carnassière de M. Lepic.

Une pie !

M. Lepic rit dans sa barbe.

PAUL.

Compliments ! elle est grasse ! On se passe la pie.

TANTE BACHE, reparaît.

Que dites-vous ? qu’est-ce qu’il y a ? Pauvre petite bête !

PAUL.

On prétend que c’est très bavard !

MONSIEUR LEPIC.

C’est pour ça que je les tue !

MADAME LEPIC.

M. Lepic n’a pas eu le temps de faire bonne chasse ! Il est rentré trop tôt, à cause de vous, il s’est dépêché en votre honneur. Il ne l’aurait pas fait pour n’importe qui, je le connais.

TANTE BACHE, à M. Lepic qui ôte ses guêtres.

Nous sommes très touchés.

MADAME LEPIC, passe le portefeuille.

Henriette !

HENRIETTE, émue.

Mon cher papa, je te souhaite une bonne fête.

MONSIEUR LEPIC, avec un haut-le-corps.

Hein ? Quoi ?... Ça surprend toujours.

HENRIETTE.

Accepte ce modeste souvenir.

MADAME LEPIC.

De ta fille affectionnée !

MONSIEUR LEPIC, à Henriette.

Je te remercie.

FÉLIX.

Le dessin doit te plaire ?

MONSIEUR LEPIC.

Qu’est-ce que ça représente ? La Sainte Vierge ?

MADAME LEPIC.

Ah ! pardon ! Je me trompe, ce n’est pas celui-là.

Elle passe l’autre portefeuille.

La République ! Une attention délicate de notre chère Henriette !

FÉLIX.

Tu en tiens une fabrique, ma sœur ! Pour qui l’autre ? Pour M. le curé !

MADAME LEPIC.

Pour personne.

Elle se dresse afin d’embrasser M. Lepic.

MONSIEUR LEPIC.

Qu’est-ce qu’il y a ?

MADAME LEPIC.

Laisse-moi t’embrasser, pour ta fête ! Je ne te mangerai pas.

Elle l’embrasse.

Lui ne l’embrasse pas : sa cigarette le gêne. M. Lepic n’a plus sa cigarette.

FÉLIX.

Mon vieux papa, je te la souhaite bonne et heureuse !

MONSIEUR LEPIC.

Toi aussi !

À Paul.

Je vous prie d’excuser, monsieur, cette petite scène de famille.

PAUL.

Mais comment donc ! Permettez-moi de joindre mes vœux...

Discret serrement de main.

TANTE BACHE, balbutiante.

Si j’avais su, monsieur Lepic !...

MONSIEUR LEPIC.

Je l’ignorais moi-même.

TANTE BACHE.

Je vous aurais apporté un bouquet ! ne fût-ce que quelques modestes fleurs des champs !

MONSIEUR LEPIC.

Je vous les rendrais, madame, elles vous serviraient mieux qu’à moi de parure !

TANTE BACHE, confuse.

Oh ! monsieur Lepic !

MADAME LEPIC.

Embrassez-le, allez, je ne suis pas jalouse ! Il a ses petits défauts, comme tout le monde, mais, grâce à Dieu, il n’est pas coureur !

TANTE BACHE.

Oh ! madame Lepic, qu’est-ce que vous m’offrez là ?

Elle baisse la tête ; gêne de tous, sauf de M. Lepic et de Félix qui rient.

MONSIEUR LEPIC, à Félix.

Tu ris, toi ?... À qui le tour ? À toi, Madeleine ?

MADELEINE, au cou de M. Lepic.

Je vous souhaite d’être bientôt grand-père !...

MONSIEUR LEPIC.

Tu y tiens toujours ?

PAUL, à M. Lepic.

Monsieur, je suis charmé de vous revoir.

MONSIEUR LEPIC.

Pareillement, monsieur !

MADAME LEPIC, frappe légèrement dans ses mains.

Si nous faisions un tour de jardin, monsieur Paul ? Avec Henriette et Félix. Tu viens, Madeleine ? On vous laisse à M. Lepic, madame Bache.

TANTE BACHE.

Moi ! mais je ne suis pas prête.

Elle tire ses gants.

 

 

Scène III

 

TANTE BACHE, MONSIEUR LEPIC

 

M. Lepic regarde Mme Bache mettre ses gants qu’elle déchire.

MONSIEUR LEPIC.

Faut-il mettre les miens ?

TANTE BACHE.

Oh ! vous, pas besoin ! Ne bougez pas ! Oui, monsieur Lepic, c’est à moi l’honneur, la mission, le...

MONSIEUR LEPIC.

La corvée.

TANTE BACHE.

Le supplice, monsieur Lepic !...

Elle se précipite sur la porte, la rouvre et crie.

Paul ! Paul ! je ne peux pas, je ne peux pas ! fais ta demande toi-même !

PAUL.

Oh !... ma tante !

TANTE BACHE.

Non, non !... Les mots ne sortent plus ! Je m’évanouirais. Tant pis ! Pardon, pardon, monsieur Lepic ! Je me sauve.

Paul, Mme Lepic, Henriette, Madeleine se précipitent.

HENRIETTE, soutenant Tante Bache.

C’est la chaleur !

TANTE BACHE.

Non, je suis très émue.

MADAME LEPIC.

C’est une indigestion ; elle choisit bien son heure.

TANTE BACHE, à Paul.

Débrouille-toi !

MADAME LEPIC.

Oui, parlez, vous, que ça finisse !

TANTE BACHE.

Tu ne te démonteras pas, toi, j’espère, un ancien dragon !

MADAME LEPIC, bas à Paul.

N’oubliez pas de lui dire du mal des curés !

 

 

Scène IV

 

PAUL, MONSIEUR LEPIC

 

PAUL.

Excusez-la, monsieur !

MONSIEUR LEPIC.

Volontiers. Mais de quoi ? Qu’est-ce qu’elle a ? Elle est malade ?

PAUL.

Du tout. Au contraire ! elle devait vous dire... Mais vous lui inspirez un tel respect que son trouble était à prévoir ; elle déclarait tout à l’heure : M. Lepic me ferait entrer dans un trou de souris. 

MONSIEUR LEPIC.

Pauvre femme ! Elle a vraiment l’air de souffrir. Il faut lui faire prendre quelque chose !

PAUL.

Oh ! merci, elle n’a besoin de rien ! Est-ce bête ! une femme de cinquante ans ! Je suis furieux ! une démarche de cette importance !

MONSIEUR LEPIC.

De quoi s’agit-il ? Si c’est pressé, ne pouvez-vous...

PAUL.

Ma foi, monsieur, si vous le permettez, ce qu’elle devait vous dire, je vous le dirai moi-même.

MONSIEUR LEPIC.

Je vous en prie !

PAUL.

Merci, monsieur.

MONSIEUR LEPIC.

Asseyez-vous donc, monsieur.

PAUL.

Je ne suis pas fatigué.

MONSIEUR LEPIC.

Si vous préférez rester debout.

PAUL.

Non, non.

MONSIEUR LEPIC.

Alors !

Il désigne un siège ; on s’assied, après que M. Lepic a fermé la porte.

PAUL.

Vous devinez d’ailleurs l’objet de ma visite.

MONSIEUR LEPIC.

Presque, monsieur, par votre lettre de ce matin, et par les gants de madame votre tante !

PAUL.

Vous êtes perspicace ! Sans doute, il eût été préférable, plus conforme aux règles de la civilité, puisque je suis orphelin, ce qui, à mon âge, trente-sept ans, est presque naturel...

MONSIEUR LEPIC.

C’est moins pénible.

PAUL.

J’ai perdu aussi mon oncle.

MONSIEUR LEPIC.

J’avais de l’estime pour M. Bache. Je l’ai vu une fois apostropher Mme Bache d’une façon impressionnante.

PAUL.

Oui, ils s’aimaient beaucoup !... Il eût été plus correct, dis-je, que ma tante prît, en cette circonstance solennelle, la place de mes parents.

Geste vague de M. Lepic.

Peu vous importe ?

MONSIEUR LEPIC.

Oui.

PAUL.

Vous me mettez à l’aise, et je n’hésite plus. Vous me connaissez, monsieur Lepic ?

MONSIEUR LEPIC.

Oui, monsieur.

PAUL.

Vous me connaissez ?

MONSIEUR LEPIC.

Oui, M. Paul Roland, orphelin, trente-sept ans.

PAUL.

Vous connaissez non seulement ma modeste personne, mais ma situation. Elle est excellente. Si j’ai eu du mal au début, je n’ai pas à me plaindre du résultat de mes efforts.

Il désigne ses palmes.

Et me voilà directeur, à Nevers, d’une école professionnelle en pleine prospérité. Vous venez souvent à Nevers ?

MONSIEUR LEPIC.

Quelquefois !

PAUL.

L’aspect extérieur de l’école a dû vous frapper, place de l’Hôtel-de-Ville, quand on sort de la cathédrale.

MONSIEUR LEPIC.

Quand on en sort. Mais, pour en sortir, il faut d’abord y entrer.

PAUL.

Oh ! un monument historique !...

MONSIEUR LEPIC.

Je ne suis pas connaisseur.

PAUL.

Vous n’y perdez pas grand-chose ! Je me propose d’acheter plus tard et de démolir la bicoque d’en face et nous aurons alors une vue splendide sur la Loire. Je vous dis ça, monsieur Lepic, parce que vous êtes, comme chasseur, un passionné de la nature.

MONSIEUR LEPIC.

Je l’apprécie.

PAUL.

En artiste ?

MONSIEUR LEPIC.

Je ne suis pas artiste.

PAUL.

Comme chasseur ? Un beau coucher de soleil sur la Loire, en septembre !

MONSIEUR LEPIC.

Soit !

PAUL.

Il ne manque à mon école qu’une femme capable de la diriger avec moi, de surveiller certains services : la lingerie, l’infirmerie, les cuisines, etc. Une femme d’ordre et de goût. J’ai cherché à Nevers, sans trouver ; à Nevers nous n’avons pas beaucoup de femmes supérieures.

MONSIEUR LEPIC.

Ici non plus.

PAUL.

Pardon ! Le hasard m’a fait rencontrer, chez ma tante Bache, Mlle Henriette. C’était la femme qu’il me fallait. Elle m’a du premier coup séduit par sa distinction, sa réserve, sa...

M. Lepic roule une cigarette.

Je ne vous ennuie pas ?

MONSIEUR LEPIC.

Du tout. Vous permettez ? J’en ai tellement l’habitude.

PAUL.

J’abrégerai.

MONSIEUR LEPIC.

Prenez votre temps.

PAUL.

Vous me le diriez, si j’étais trop long ?

MONSIEUR LEPIC.

Je n’y manquerais pas. Vous ne fumez pas ?

PAUL.

Si, si, mais plus tard, ça me gênerait en ce moment... J’ai besoin de tous mes moyens !

MONSIEUR LEPIC.

À votre aise !

PAUL.

J’ai revu plusieurs fois Mlle Henriette, chez ma tante, avec Mme Lepic, cela va de soi, et après quelques causeries espacées, une douzaine, pour être précis, ces dames ont bien voulu me répondre que je n’avais plus besoin que de votre consentement. C’est donc d’accord avec elles que j’ai l’honneur...

Il se lève.

MONSIEUR LEPIC.

Vous partez !

PAUL, après avoir souri.

...de vous demander la main de Mlle Henriette, votre fille.

MONSIEUR LEPIC.

Je vous la donne.

Il se lève et Paul se rassied.

PAUL, stupéfait.

Vous me la donnez ?

MONSIEUR LEPIC.

Oui.

PAUL.

Comme ça !

MONSIEUR LEPIC.

Comme vous me la demandez.

PAUL.

Vous ne vous moquez pas de moi ?

MONSIEUR LEPIC.

Je sais prendre au sérieux les choses graves de la vie : les naissances, les mariages et les enterrements... Vous n’avez pas l’air content ?

PAUL.

Oh ! monsieur Lepic... Mais la joie, la gratitude, la...

MONSIEUR LEPIC.

La surprise !

PAUL.

J’avoue que je redoutais les objections.

MONSIEUR LEPIC.

Lesquelles ?

PAUL.

Ah ! je ne sais pas, moi... Enfin, je n’espérais guère un consentement si rapide.

MONSIEUR LEPIC.

Vous êtes d’accord avec ces dames ; ça suffit... Elles sont assez grandes pour savoir si elles veulent se marier.

PAUL.

Vous êtes le chef de famille !

MONSIEUR LEPIC.

Je ne dis pas non ! Mais je n’ai encore refusé ma fille à personne, il n’y a pas de raison pour que je commence par vous.

PAUL.

Je vous remercie.

MONSIEUR LEPIC.

Il y a de quoi.

PAUL.

Je suis heureux.

MONSIEUR LEPIC.

Vous avez ce que vous désirez.

PAUL.

Je suis très heureux.

MONSIEUR LEPIC.

Vous ne tenez plus qu’à connaître le chiffre de la dot.

PAUL.

Oh ! ce n’est pas la peine.

MONSIEUR LEPIC.

Ne point parler de dot à propos de mariage ! Vous plaisantez !

PAUL.

Mme Lepic a dit quelques mots... à ma tante !

MONSIEUR LEPIC.

Ah ! vous savez que Mme Lepic ignore tout de mes affaires.

PAUL.

Elle paraissait renseignée.

MONSIEUR LEPIC.

Elle a fixé un chiffre ?

PAUL.

Vague !

MONSIEUR LEPIC.

Combien ?

PAUL.

Une cinquantaine de mille.

MONSIEUR LEPIC.

Où a-t-elle pris ce chiffre ? Où l’a-t-elle pris ? Quelle femme ! Elle croit sérieusement que ces 50 000 francs existent. Elle est sûre de les avoir vus.

Désignant le coffre-fort.

Dans cette boîte, qu’elle ne sait même pas ouvrir, et où je ne mets que mes cigares. Elle est admirable.

Il ouvre le coffre-fort.

Donnez-vous donc la peine de jeter un coup d’œil ! Vous voyez, il est vide ! Monsieur, vous êtes ruiné !

PAUL, avec un peu trop de pompe.

Mlle Henriette, sans dot, me suffit.

MONSIEUR LEPIC.

Je donnerai à ma fille 100 000 francs. Chiffre exact !

PAUL, ébloui.

C’est vous qui êtes admirable !

MONSIEUR LEPIC.

Et je sais où ils sont !

PAUL.

Oh ! je n’en doute pas. Merci ! Je n’espérais pas tant ! Merci, merci.

MONSIEUR LEPIC.

Quelle joie ! prenez garde ! on croirait que c’est pour la dot.

PAUL.

C’est pour ces dames. Il me tarde de leur annoncer... la bonne nouvelle et de leur dire combien je suis, nous sommes heureux, vous et moi !

MONSIEUR LEPIC.

Moi !

PAUL.

Oui, je m’entends, un père qui marie sa fille, c’est un homme heureux. On ne marie pas sa fille tous les jours !

MONSIEUR LEPIC.

Ce serait monotone !

PAUL.

Vous êtes donc heureux, vous aussi. Vous l’êtes ! Vous devez l’être ! Il faut que vous le soyez.

MONSIEUR LEPIC.

Il le faut ?

PAUL.

Eh ! oui !

MONSIEUR LEPIC.

Ça ne m’est pas désagréable.

PAUL.

C’est quelque chose, mais...

MONSIEUR LEPIC.

C’est tout.

PAUL.

Monsieur Lepic, vous ne doutez pas du bonheur futur de votre fille !

MONSIEUR LEPIC.

Comme il dépendra de vous désormais, je n’y pourrai plus rien.

PAUL.

Elle sera très heureuse... Je vous en réponds... et moi aussi. Moi, ça vous est égal ? Cependant, je ne vous suis pas antipathique ?

MONSIEUR LEPIC.

Pas encore.

PAUL.

Ah ! riez ! J’ai bon caractère.

MONSIEUR LEPIC.

Tant mieux pour ma fille.

PAUL.

Et puis, j’étais prévenu... oui, maintenant que j’ai votre parole, et vous n’êtes pas homme à me la retirer, je me permets de vous dire, avec déférence, que je vous savais...

MONSIEUR LEPIC.

Original !

PAUL.

C’est ça ! vous dites et ne faites rien comme tout le monde.

MONSIEUR LEPIC.

Rien comme Mme Lepic.

PAUL.

Vous êtes un peu misanthrope, un peu misogyne.

MONSIEUR LEPIC.

Il y a simplement des hommes et des femmes que je n’aime pas.

PAUL.

Ça ne vous fâche point, ce que je vous dis ?

MONSIEUR LEPIC.

C’est sans importance.

PAUL.

D’ailleurs, moi qui me flatte de n’être qu’un homme ordinaire, pratique, si vous aimez mieux, l’originalité ne me choque pas chez les autres et je trouve tout naturel que chacun ait ses façons, ses manières, ses manies.

MONSIEUR LEPIC.

Manières suffisait.

PAUL.

Oh ! monsieur Lepic ! loin de moi la pensée... je vous honore et vous respecte... je ressens déjà pour vous une affection sincère.

MONSIEUR LEPIC.

Je tâcherai de vous rendre la pareille.

PAUL.

Chacune de vos réponses, monsieur Lepic, a une saveur particulière, et je me réjouirais d’épouser Mlle Henriette rien que pour avoir un beau-père tel que vous.

MONSIEUR LEPIC.

Vous vous faites une singulière idée du mariage !

PAUL.

Je plaisante parce que je suis heureux ce soir, et très gai...

MONSIEUR LEPIC.

Non.

PAUL.

Si, si.

MONSIEUR LEPIC.

Non, pas franchement. Vous êtes déjà troublé, au fond comme l’était il y a un an votre prédécesseur, qu’on n’a jamais revu. Vous me demandez ma fille, et je vous la donne ; mais ça ne vous suffit pas, et ma façon de vous la donner vous inquiète. Il faut que je vous félicite, que je vous applaudisse, que je vous prédise du bonheur, que je vous le garantisse par contrat : vous m’en demandez trop !

PAUL.

Monsieur Lepic, regardez-moi ; je suis un brave homme, je vous le jure.

MONSIEUR LEPIC.

Je n’en doute pas ; aussi je vous donne ma fille.

PAUL.

Et une fortune, mais avec froideur. Votre façon de donner, comme vous dites, vaut moins que... enfin, vous ne marchez pas comme je voudrais !

MONSIEUR LEPIC.

Vous voulez que je danse : attendez le bal.

PAUL.

Monsieur Lepic ! Il y a quelque chose ?

MONSIEUR LEPIC.

Rien. N’allez pas vous imaginer un secret de famille, des histoires de brigands... Vous seriez déçu. Il n’y a rien... rien que les scrupules d’un honnête homme en face d’un honnête homme que je n’ai pas le droit de pousser avec violence, par les épaules, au mariage : c’est une aventure !

PAUL.

Oh ! bien commune !

MONSIEUR LEPIC.

Précisément ! Pourquoi s’emballer ? Je n’avais aucune raison pour dire non. Je n’en ai aucune pour dire oui avec une gaieté folle, pour que ma joie éclate désordonnée à propos de votre mariage, pour que je vous serre dans mes bras, comme s’il n’y avait que vous au monde, dans votre cas, et comme si je ne l’étais pas, moi, marié...

PAUL.

Il me semble qu’on a frappé...

M. Lepic ne dit pas « entrez », Mme Lepic entre toute seule

 

 

Scène V

 

PAUL, MONSIEUR LEPIC, MADAME LEPIC

 

MADAME LEPIC, visage de curiosité.

Si ces messieurs ont besoin de se rafraîchir, avant de goûter, il y a tout ce qu’il faut à la cave. M. Lepic l’a regarnie dernièrement. Il ne pouvait pas le faire plus à propos. Que désirez-vous, monsieur Paul ? Ce que vous voudrez, sauf du muscat : la bonne a cassé la dernière bouteille ce matin et les chats n’en ont pas laissé perdre une goutte.

PAUL.

Rien, madame, merci, je n’ai pas soif. Mais si M. Lepic...

MADAME LEPIC.

Vous dînerez avec nous, n’est-ce pas, monsieur Paul ? Naturellement, un soir comme celui-là ! C’est convenu avec votre tante... Si, si, Henriette en ferait une maladie.

Mme Lepic fait de vains signes à Paul pour se renseigner, et sort. M. Lepic va fermer la porte.

 

 

Scène VI

 

MONSIEUR LEPIC, PAUL

 

MONSIEUR LEPIC, regarde la porte.

...Comme si je ne l’étais pas, moi, marié, depuis plus de vingt-cinq ans !

M. Lepic va tirer un cordon de sonnette. La bonne paraît.

Annette, donnez-nous des biscuits et du muscat.

LA BONNE.

Il n’y a plus de muscat, monsieur ; madame m’a fait porter, avant vêpres, la dernière bouteille à M. le curé.

MONSIEUR LEPIC.

Vous servirez de la bière ! Plus tard !

LA BONNE.

Bien, monsieur.

Elle sort.

MONSIEUR LEPIC, achevant sa phrase.

...Depuis plus de vingt-cinq ans, monsieur, ce qui me permet de rester calme quand les autres se marient... Il n’y a pas que vous... vingt-cinq ans !... Plus exactement vingt-sept !... Près de dix mille jours !

PAUL.

Vous les comptez ?

MONSIEUR LEPIC.

Dans mes insomnies... Vous savez déjà qu’on ne se marie pas pour quinze nuits.

PAUL.

Oh ! une fois pour toute la vie, je le sais. Et je suis décidé ! Mais quand ça va bien, plus ça dure, plus c’est beau.

MONSIEUR LEPIC.

Et quand ça va mal ?

PAUL.

D’accord ! Il y a cependant de bons ménages.

MONSIEUR LEPIC.

Chez les gens mariés, c’est bien rare !

PAUL.

Mais le vôtre, par exemple... Je me contenterais d’un pareil.

MONSIEUR LEPIC.

Vous l’aurez sans doute.

PAUL.

Il a une bonne réputation.

MONSIEUR LEPIC.

Et méritée, comme toutes les réputations.

PAUL.

Mme Lepic ne se plaint pas !

MONSIEUR LEPIC.

Elle a peur de vous effrayer.

PAUL.

Vous non plus, que je sache !

MONSIEUR LEPIC.

Moi, j’aime le silence.

PAUL.

Aux yeux des étrangers, du moins, c’est le ménage modèle ; chacun de vous y tient sa place, on ne peut pas dire que vous ne soyez pas le maître, et, pour me servir d’une expression vulgaire, que ce soit Mme Lepic qui porte la culotte !

MONSIEUR LEPIC.

Il y a longtemps que je ne regarde plus ce qu’elle porte !

PAUL.

Tout à l’heure elle parlait de vous comme une femme qui aime son mari.

MONSIEUR LEPIC.

Je n’aime pas mentir, et je ne pourrais en parler, moi, que comme un mari qui n’aime plus sa femme.

PAUL.

Pour quelle cause grave ?... Je suis indiscret ?

MONSIEUR LEPIC.

Du tout ! C’est votre droit.

PAUL.

Une si honnête femme !

MONSIEUR LEPIC.

Honnête femme ! Peuh ! L’honnêteté de certaines femmes !... Monsieur, se savoir trompé par une femme qu’on aime, on dit que c’est douloureux, on le dit ; mais ne pas être trompé par une femme qu’on n’aime plus, croyez-en ma longue expérience, ça ne fait pas le moindre plaisir. Je n’imagine pas que ce serait un si grand malheur ! J’ai mieux que ça chez moi, et je ne sais aucun gré à Mme Lepic de sa vertu. L’adultère ne l’intéresse pas, ni chez les voisins ni pour son compte. Elle a bien d’autres soucis ! Elle a toujours laissé mon honneur intact, j’en suis sûr, parce qu’en effet, ça m’est égal, ce qui n’empêche pas que notre ménage ait toujours été un ménage à trois, grâce à elle !

PAUL.

Comment ? Puisque Mme Lepic est une honnête femme ?

MONSIEUR LEPIC.

C’est tout de même, grâce à elle, un ménage à trois : le mari, la femme et le curé !

PAUL.

Le curé !

MONSIEUR LEPIC.

Oui, le curé ! Mais je froisse peut-être vos sentiments ?

PAUL.

Ah ! vous êtes anticlérical ?

MONSIEUR LEPIC.

Non ; je ne sais pas ce que ça veut dire.

PAUL.

Franc-maçon ?

MONSIEUR LEPIC.

Non, je ne sais pas ce que c’est.

PAUL.

Athée ?

MONSIEUR LEPIC.

Non, il m’arrive même de croire en Dieu.

PAUL.

Tout le monde croit en Dieu ; ce serait malheureux !

MONSIEUR LEPIC.

Oui, mais ça ne regarde pas les curés.

PAUL.

Je ne suis pas, moi non plus, l’ami des curés.

MONSIEUR LEPIC.

Vous ne dites pas ça pour me faire plaisir ?

PAUL.

Non, non, bien que je sois libéral.

MONSIEUR LEPIC.

Singulier mélange ! Je connais cet état d’esprit. Il a été le mien.

PAUL.

Je suis libre penseur, monsieur Lepic !

MONSIEUR LEPIC.

C’est-à-dire que vous n’y pensez jamais.

PAUL.

Je vous assure que, sans être un mangeur de curés, je ne peux pas les digérer, je les ai en horreur. Ils ne m’ont rien fait, mais c’est d’instinct.

MONSIEUR LEPIC.

Vous les avez en horreur et vous ne savez pas encore pourquoi. Vous le saurez peut-être ; moi je le sais, car, depuis vingt-sept ans, monsieur, j’ai un curé dans mon ménage, et j’ai dû, peu à peu, lui céder la place : le curé !... c’est l’amant contre lequel on ne peut rien. Une femme renonce à un amant : jamais à son curé... Si ce n’est pas toujours le même, c’est toujours le curé.

PAUL.

Mme Lepic me disait que le curé actuel est parfait, qu’il ne s’occupe de rien.

MONSIEUR LEPIC.

Mme Lepic parle comme un grelot et elle dit ça de tous les curés. Ils changent, quittent le pays ou meurent. Mais Mme Lepic reste et ne change pas. Jeune ou vieux, beau ou laid, bête ou non, dès qu’il y a un curé, elle le prend. Elle est à lui ; elle appartient au dernier venu comme un héritage du précédent. Le curé l’a tout entière, corps et âme ! Corps, non, je la calomnie. Mme Lepic est, comme vous dites, une honnête femme, bigre ! Incapable d’une erreur des sens, même avec un curé ! Et pourvu qu’elle le voie à l’église, une fois tous les jours de la semaine, deux fois le dimanche, et à la cure le reste du temps !...

PAUL.

Malgré vous ?

MONSIEUR LEPIC.

J’ai tout fait, excepté un crime : je n’ai pas tué l’amant, le curé !... Au début, j’aimais ma femme. Je l’avais prise belle fille avec des cheveux noirs et des bandeaux ondulés ! C’était la mode en ce temps-là, avec des cheveux noirs très beaux ! Et une jolie dot ! Vous savez, quand on se marie, on ne s’occupe pas beaucoup du reste.

PAUL.

On n’y fait pas attention !

MONSIEUR LEPIC.

C’est ça ! On aime une jeune fille et on ne se préoccupe pas de ce qu’elle pense... Tant pis pour vous, monsieur ! Bientôt on s’aperçoit que tous les mariages d’amour ne deviennent pas des mariages de raison. J’ai dit d’abord : « Tu y tiens à ton curé ? Entre lui et moi, tu hésiterais ? » Elle m’a répondu : « Comment peux-tu comparer ? Toi, un esprit supérieur ! » Quand une femme nous dit : toi, un esprit supérieur, elle sous-entend : tu ne peux pas comprendre ces choses-là ! Et elle choisissait le curé ! Je disais ensuite : « Je te prie de ne plus aller chez ce curé.» Elle répondait : « Ta prière est un ordre », et, dès que j’avais l’air de ne plus y songer, elle courait chez le curé ! Puis j’ai dit : « Je te défends d’y aller ! » Elle y retournait en cachette ; ça devenait le rendez-vous. Je n’étais donc rien pour elle ? Maladroit, ne savais-je pas la prendre ? Oh ! je l’ai souvent reprise, mais presque aussitôt reperdue. Quand je la croyais avec moi, c’est qu’elle mentait, d’accord avec le curé ! Et je n’ai plus rien dit... je me suis rendu de lassitude, exténué, c’était fini !... Mme Lepic avait porté notre ménage et, comme on se marie pour être heureux, notre bonheur à l’église. Je ne suis pas allé l’y chercher, car je n’y mets jamais les pieds.

PAUL.

Et lui... vient-il ici ?

MONSIEUR LEPIC.

Oh ! sans doute ! Quand je voyage, et même quand je suis là, malgré les têtes que je lui fais, et quelles têtes ! quelquefois il ose ! Et c’est moi qui sors. Je ne peux pourtant pas prendre mon fusil.

PAUL.

On vous donnerait tort.

MONSIEUR LEPIC.

Et je ne suis pas si terrible ! Moi, un tyran ! Au fond, je suis plutôt un timide, un faible, une victime de la liberté que je laisse aux autres ; moi, un persécuteur ! Il ne s’agit pas de religion. Ce n’est même pas d’un prêtre que Mme Lepic, cette femme qui est la mienne, a toujours besoin ; c’est d’un curé. S’il lui fallait un directeur de conscience, comme elles disent, est-ce que je n’étais pas là ? Je ne suis pas un imbécile, peut-être ! – Mais non : ce qu’il lui fallait, c’est le curé, cet individu sinistre et comique qui se mêle sournoisement, sans responsabilité, de tout ce qui ne le regarde pas. Il le lui fallait, pour quoi faire ? Je ne l’ai jamais su. Et lui, qu’est-ce qu’il en fait de Mme Lepic ? Je ne comprends pas. Et vous ?... Tenez, voilà peut-être ma vengeance, il y a des heures où elle doit bien l’embêter aussi, surtout quand elle lui parle à l’oreille. De quoi serait-il fier, s’il a quelque noblesse ? La foi de Mme Lepic, quelle plaisanterie ! Elle prend les choses de plus bas ! J’ai voulu jadis causer avec elle, discuter. Est-ce qu’on discute des choses graves avec Mme Lepic ? Elle n’a même pas essayé de me convertir ! Elle veut aller au paradis toute seule, sans moi ! C’est une bigote égoïste, avare, qui me laissera griller en enfer ! J’aime mieux ça ! Au moins je ne la retrouverai pas dans son paradis ! Ses idées, sa bonté, son amour du prochain, quelle blague !... la bigoterie, voilà tout son caractère ! Mme Lepic était une belle fille avec des cheveux noirs et très peu de front. Elle n’est pas devenue croyante ; elle est devenue ce qu’elle devait être, une grenouille de bénitier.

Mme Lepic ouvre la porte.

MADAME LEPIC, avec un plateau de bière.

Je ne veux pas que la bonne vous dérange, elle est si indiscrète !

Elle pose la bière sur la table ; aimable.

C’est long !

PAUL.

Ça va très bien, madame, une petite minute !

MONSIEUR LEPIC.

Elle auscultait la porte.

PAUL.

Pauvre femme !

MONSIEUR LEPIC.

Ah ! c’est elle que vous plaignez ?

PAUL.

Non, non. C’est vous, monsieur Lepic, profondément.

Des ombres passent devant la fenêtre.

Mais on s’impatiente.

MONSIEUR LEPIC.

Je le vois bien ; qu’ils attendent ! Et moi donc ! Ne m’en a-t-il pas fallu de la patience ?

Il désigne sa poitrine.

Ah ! monsieur, si la Grande Chancellerie me connaissait !... Oh ! il y a le divorce ; ce serait une belle cause ! Mais nous ne savons pas encore nous servir de cette machine-là, dans nos campagnes. D’ailleurs, Mme Lepic est aussi tenace qu’irréprochable. On meurt où elle s’attache. En outre, je ne suis pas sans orgueil. J’aurais honte de me plaindre en public ! Et puis un divorce, pour quoi faire ?

PAUL.

Une autre vie. Vous êtes toujours jeune.

MONSIEUR LEPIC.

Je suis un jeune homme.

PAUL.

À votre âge, on aime encore.

MONSIEUR LEPIC.

J’ai un cœur de vingt ans.

PAUL.

À vingt ans, c’est dur de se priver.

MONSIEUR LEPIC.

Je ne me prive pas du tout.

PAUL.

Comment ?

MONSIEUR LEPIC.

J’ai ce qu’il me faut.

PAUL.

Oh ! monsieur Lepic, tromperiez-vous Mme Lepic ?

MONSIEUR LEPIC.

Tant que je peux ! Tiens ! Parbleu ! Cette question ! Aucune compensation ? Vous ne voudriez pas ! Mieux vaudrait la mort. Oh ! dame, ici, j’accepte ce que je trouve, de petites fortunes de village. Ah ! si le curé était marié !

PAUL.

Vous lui prendriez sa femme ?

MONSIEUR LEPIC.

Il m’a bien pris la mienne. Oh ! je ne vous conseille pas de m’imiter plus tard. Le bonheur d’un mari dans un ménage ne consiste pas à tromper sa femme le plus possible. Mais ce n’est pas moi qui ai commencé. Sans le curé, j’eusse été un époux modèle. Dans une union parfaite, je n’admettrais aucune hypocrisie, aucun mensonge, aucune excuse, pas plus pour le mari que pour la femme. À un ménage comme le mien, je préférerais un couple de saints d’accord dans la même niche, et il me répugne d’entendre un mari dire : « C’est si beau une femme à genoux qui prie ! » tandis qu’il en profite, lui, l’homme supérieur, qui ne prie jamais, pour la tromper à tour de bras ! Je vous assure, monsieur !

PAUL.

Je vous remercie de me parler avec cette confiance.

MONSIEUR LEPIC.

C’est le moins, mon gendre.

PAUL, lui tendant la main.

Mon beau-père !

MONSIEUR LEPIC.

Monsieur... comme vous entrez dans une famille qui se trouve être la mienne, je ne regrette pas de vous avoir dit ces quelques mots d’encouragement. Et puis, ça soulage un peu ! Je vous dois ce plaisir-là. J’ai votre parole pour ma fille au moins ! Vous ne vous sauverez pas comme M. Fontaine, à propos d’un curé ?

PAUL.

Oh ! c’est pour ça que M. Fontaine ?...

MONSIEUR LEPIC.

Je crois ; quand il a vu clair dans mon intérieur, il a eu peur pour le sien !

PAUL.

Ce devait être un homme quelconque.

MONSIEUR LEPIC.

Il tenait à ses idées.

PAUL.

Un sectaire !

MONSIEUR LEPIC.

Et il ne connaissait pas le chiffre exact de la dot.

PAUL.

Tout le monde tient à ses idées, moi aussi. Mais le temps a changé.

MONSIEUR LEPIC.

Rien ne change.

PAUL.

Depuis la séparation...

MONSIEUR LEPIC.

Espèce de radical-socialiste ! Ça va être pire ! Qu’est-ce qu’elles ne feront pas pour les consoler ? Les voilà plus forts que jamais. Un homme intelligent comme vous, d’une bonne intelligence moyenne, ne pèsera pas lourd auprès d’un curé martyr.

PAUL.

Ce sont de pauvres êtres inoffensifs.

MONSIEUR LEPIC.

Bien ! bien ! Votre affaire est bonne.

PAUL.

Oh ! permettez, monsieur Lepic ! Certes, votre vie, malgré ses petits dédommagements, est une vie manquée. Mme Lepic exagère. Je ne croyais pas qu’il y eût de pareilles femmes !...

MONSIEUR LEPIC.

Moi non plus... Elles pullulent !... Mais n’y en aurait-il qu’une, c’est moi qui l’ai.

PAUL.

Ce n’est pas une maladie contagieuse.

MONSIEUR LEPIC.

Peut-être héréditaire.

PAUL.

Oh ! non. Et heureusement pour moi, d’après ce que vous dites, ce n’est pas Mme Lepic que j’épouse.

MONSIEUR LEPIC.

Évidemment !

PAUL.

C’est Mlle Henriette.

MONSIEUR LEPIC.

C’est elle que je vous ai accordée ! Mais si le cœur vous dit d’emmener la mère avec la fille.

PAUL.

Je vous remercie. Je ne voudrais pas manquer de respect à Mme Lepic... mais je peux bien dire qu’elle et sa fille, au point de vue physique, ne se ressemblent pas beaucoup !

Il s’adresse à un portrait pendu au mur.

Ce visage clair, ce front net, ce regard droit, ce sourire aux lèvres...

MONSIEUR LEPIC.

Ces cheveux noirs !

PAUL.

Oh ! magnifiques.

MONSIEUR LEPIC.

C’est un portrait de Mme Lepic à dix-huit ans que vous regardez là.

PAUL.

Non !

MONSIEUR LEPIC.

Voyez la date derrière.

PAUL.

1884 ! D’ailleurs c’est encore frappant.

MONSIEUR LEPIC.

Ça vous frappe ?

PAUL.

Curieux !

MONSIEUR LEPIC.

Vous pouvez presque, d’après ce portrait, vous imaginer votre femme, quand elle aura l’âge de la mienne.

PAUL.

C’est loin !

MONSIEUR LEPIC.

Ça viendra !

PAUL.

Mme Lepic n’est pas encore mal...

MONSIEUR LEPIC.

La fraîcheur de l’église la conserve.

PAUL.

Bah ! le proverbe qui dit : Tel père, tel fils, ne s’applique pas aux dames ! Vous la connaissez ?

MONSIEUR LEPIC.

Mme Lepic ?

PAUL.

Mlle Henriette.

MONSIEUR LEPIC.

C’est juste, vous pensez à vous.

PAUL.

C’est mon tour.

MONSIEUR LEPIC.

Vous n’espérez pas que je vais vous parler de la fille comme de la mère ?

PAUL.

Oh ! je sais ce que vaut Mlle Henriette.

MONSIEUR LEPIC.

C’est ce qu’elle vaudra qui vous préoccupe ? Ayez confiance !

PAUL.

Oh ! je ne crains rien.

MONSIEUR LEPIC.

À la bonne heure !

PAUL.

Elle est charmante ! J’en ferai ce que je voudrai... malgré le curé, n’est-ce pas ? Enfin ! Vous l’avez élevée...

MONSIEUR LEPIC.

Ah ! non, non ! C’est à Mme Lepic que revient cette responsabilité. Henriette a grandi sous les jupes de sa mère. Après huit années dans un pensionnat qui n’était pas de mon choix, elle a été reprise, à la sortie, par sa mère ; elle ne quitte pas sa mère, et sa mère ne quitte pas le curé !

PAUL.

Vous avez souvent causé avec elle, un père ?

MONSIEUR LEPIC.

Moins souvent que le curé et Mme Lepic n’ont chuchoté avec Henriette. Elle m’a échappé, comme sa mère ; vous la garderez mieux !

PAUL.

Je suis sûr qu’à travers les bavardages du curé vous avez semé le bon grain !

MONSIEUR LEPIC.

Faites la récolte. Déjà elle aime mieux vous épouser que de prendre le voile, ce n’est pas mal.

PAUL.

Et puis, nous nous aimons !

MONSIEUR LEPIC.

Pourvu que ça dure vingt-sept ans... et plus.

PAUL.

Oui, je l’aime beaucoup, Mlle Henriette, et je vous la redemande.

MONSIEUR LEPIC.

Je n’ai qu’une parole ; mais je peux vous la donner deux fois. Ma fille est à vous, elle, sa dot et la petite leçon de mon expérience.

PAUL.

Je n’ai pas peur.

MONSIEUR LEPIC.

Vous êtes un homme.

PAUL.

Un ancien dragon !

MONSIEUR LEPIC.

Ce n’est pas de trop !... Et qui sait ? L’encens a empoisonné ma vie ; la vôtre n’en sera peut-être que parfumée !

PAUL, la main tendue.

Mon beau-père.

MONSIEUR LEPIC.

Monsieur...

PAUL.

Oh ! mon gendre !

MONSIEUR LEPIC.

Mon gendre, oui, mon gendre. Excusez-moi. C’est le mot gendre. Je m’y habituerai.

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR LEPIC, PAUL, MADELEINE, FÉLIX

 

MADELEINE, cogne à la fenêtre, Paul ouvre.

Avez-vous fini ? Je voudrais savoir, moi ! Ça y est ?

PAUL.

Oui, mademoiselle. Où est Mlle Henriette ?

MADELEINE.

Là-bas, au fond du verger !

FÉLIX.

Avec maman qui dit son chapelet à toute vitesse.

À Paul.

Mon cher beau-frère, je savais que ça irait tout seul.

MADELEINE.

Oh ! que je suis contente ! C’est bien, ça, monsieur Lepic ! Il faut que je vous embrasse.

Elle enjambe la fenêtre, suivie de Félix.

MONSIEUR LEPIC.

Mais il ne s’agit pas encore de toi, demoiselle d’honneur !

Il l’embrasse.

Elle est bien gentille ! Par malheur, elle donne, comme les autres, dans les curés !

MADELEINE.

Voilà qu’il recommence, comme ce matin.

MONSIEUR LEPIC.

Ah ! toi aussi, tu vas l’embêter, ton mari, avec ton curé !

MADELEINE.

Félix, votre papa s’apitoie d’avance sur votre sort. N’est-ce pas que vous serez heureux de faire toutes mes volontés quand nous nous marierons ?

FÉLIX.

Rien ne presse.

MADELEINE.

Tout son père !

FÉLIX.

Alors, je ferai tout comme papa.

PAUL, à M. Lepic.

Celui-là, au moins !

MONSIEUR LEPIC.

Oh ! celui-là ne m’a donné aucun mal et il me dépasse !

FÉLIX.

Oh ! papa, je ne fais que te suivre ! Tu ne vas pas caner ?

MONSIEUR LEPIC, à Félix.

Triste modèle que ton papa, mon garçon ! Malheur à toi, si tu ne prends pas garde à la fleur poussée à l’ombre du clocher !

MADELEINE.

Oh ! que c’est joli ! C’est moi la fleur ! Ne dirait-on pas que je ferai une vieille bigote. J’aime M. le curé, comme je vous aime, vous, faute de mieux ; je ne peux pourtant pas vous épouser.

MONSIEUR LEPIC.

Moi non plus ! Je le regrette. Le curé pourrait, lui. Il est libre.

MADELEINE.

La messe, les vêpres, vous savez bien, mon vieil ami, que c’est une distraction, un prétexte pour essayer une toilette. Quand j’ai un chapeau neuf, j’arrive toujours en retard à l’église ; ça fait un effet ! Le curé, monsieur Paul, ça occupe. C’est pour attendre le mari. Dès qu’on a le mari, on lâche le curé.

MONSIEUR LEPIC.

On y retourne.

MADELEINE.

Ah ! si on devient trop malheureuse ! Nous ne voulons qu’être heureuses, nous, et nous sommes toutes comme ça ; Henriette aussi, que j’oublie, qui se morfond là-bas, sous son pommier. Je cours la chercher.

PAUL.

Moi aussi.

MADELEINE.

Venez, par la fenêtre. Félix, amenez les autres...

À M. Lepic.

Elle va vous sauter au cou.

Importante.

Oh ! nous avons causé toutes les deux ! Je l’ai sermonnée ! Tenez-vous bien !

MONSIEUR LEPIC.

Je me tiendrai.

MADELEINE, de la fenêtre.

Oui, sérieusement ! Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ici, dans ce trou, le dimanche ? Ah ! vous êtes cloué !

FÉLIX, autoritaire.

Avec moi, le dimanche, vous viendrez à la pêche.

MADELEINE.

Mais je n’aime pas ça !

FÉLIX.

Qu’est-ce que vous aimez ! La femme doit suivre son mari à la pêche.

MADELEINE.

Et quand la pêche sera fermée ?

FÉLIX.

On se promènera au bord de l’eau.

MADELEINE.

Toute la journée ?

FÉLIX.

Tout le long de la rivière.

MADELEINE.

Et s’il fait mauvais temps ?

FÉLIX.

On restera au lit.

Madeleine se sauve.

FÉLIX, à Paul dont il serre la main.

C’est votre mariage qui me met en goût, mon cher beau-frère. Je suis très content !... Je vais écrire à Poil de Carotte !

Tous les trois sortent par la fenêtre. Paul enjambe le dernier. La porte d’en face s’ouvre. Mme Lepic apparaît. On aperçoit Henriette derrière elle.

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR LEPIC, MADAME LEPIC, HENRIETTE

 

MADAME LEPIC, stupéfaite.

Comment ? Il se sauve par la fenêtre, celui-là ! C’est un comble ! Alors, c’est encore non ?

Figure impassible de M. Lepic.

Tu refuses encore ? Et nous ne saurons pas encore pourquoi. Enfin, qu’est-ce que tu lui as dit, à cet homme, pour qu’il ne prenne même pas la peine de sortir comme les autres, poliment, par la porte. Tu ne veux pas me répondre ? Viens, Henriette ! Tu peux entrer. C’est fini ! Grâce à ton père, tu ne te marieras jamais ! Voilà, ma fille, voilà ton père ! Ce n’est pas un homme, c’est un original, un maniaque ! Et il rit, c’est un monstre ! Que veux-tu que j’y fasse ? À ta place, moi, je me passerais de sa permission, mais tu t’obstines à le respecter ! Tu vois ce que ça te rapporte. Et moi qui te conseillais de faire, quelques jours, des sacrifices sur la question religieuse. Voilà notre récompense ! Dieu n’est pas long à nous punir. Reste si tu veux ; je n’ai plus rien à faire ici. J’aime mieux m’en aller et mourir, si la mort veut de moi !

Elle sort.

Seigneur, ne laisserez-vous pas tomber enfin sur moi un regard de miséricorde !

 

 

Scène IX

 

MONSIEUR LEPIC, HENRIETTE

 

HENRIETTE.

Oh ! papa, moi qui t’aime tant, je te supplie à genoux de me le dire : qu’est-ce que j’ai fait, pourquoi me traites-tu si durement ? M. Paul et moi, nous nous aimions. Ma vie est brisée !

MONSIEUR LEPIC, la relève.

Mais, ma fille, ton fiancé te cherche dans le jardin.

HENRIETTE.

Ah !... Et ma mère qui s’imagine... !

MONSIEUR LEPIC.

Je n’ai rien dit.

HENRIETTE.

Oh ! papa, que je suis confuse ! Je te demande pardon.

 

 

Scène X

 

MONSIEUR LEPIC, HENRIETTE, TANTE BACHE, MADELEINE, FÉLIX

 

MADELEINE.

Nous te cherchions partout !

PAUL.

Mademoiselle, vous savez ?

HENRIETTE.

Je sais.

TANTE BACHE, étonnée.

Puisque c’est oui, où va donc Mme Lepic, comme une folle ! Elle sanglote, elle agite un chapelet au bout de son bras !

HENRIETTE.

Elle n’a pas compris, elle croit que papa refuse. Courez, ma tante !

TANTE BACHE.

Comment ? Elle croit... ?

MONSIEUR LEPIC.

Nous nous entendons toujours comme ça.

TANTE BACHE, s’élance.

Je la ramène morte ou vive !

PAUL.

Mademoiselle, votre père, qui m’effrayait un peu, a été charmant !

À M. Lepic.

N’est-ce pas ?

MONSIEUR LEPIC.

Ça m’étonne ! Mais puisque vous le dites ! À votre service.

HENRIETTE.

Merci, mon Dieu !

MADELEINE.

Merci, mon Dieu !... Merci, papa !... Va donc, puisque ça y est ! Saute à son cou !

À Paul.

Je la connais mieux que lui ; je l’ai approfondie ! Croyez-moi, elle fera une bonne petite femme !

HENRIETTE, après avoir embrassé son père qui s’est tout de même penché un peu.

Oui, papa, j’espère que je ferai une bonne petite femme.

MONSIEUR LEPIC.

C’est possible.

HENRIETTE.

Veux-tu que je te dise comment je m’y prendrai.

MONSIEUR LEPIC.

Dis toujours !

HENRIETTE.

Je ferai toujours exactement le contraire de ce que j’ai vu faire ici.

MONSIEUR LEPIC.

Excellente idée !

MADELEINE.

Bien répondu, Henriette !

HENRIETTE.

Oh ! si j’osais...

MADELEINE.

Ose donc ! M. Paul est là.

HENRIETTE.

Écoute, papa. Écoute-moi, veux-tu ?

MONSIEUR LEPIC, étonné.

Mais j’écoute.

FÉLIX.

Oh ! ma sœur qui se lance ! Elle parle à papa !

MADELEINE, à Félix.

Chut ! Soyons discret...

Elle entraîne Félix.

FÉLIX.

Je voudrais bien entendre ça, moi !

MADELEINE.

Allez ! allez !

 

 

Scène XI

 

MONSIEUR LEPIC, PAUL, HENRIETTE

 

HENRIETTE.

Je ne suis plus si jeune ! J’ai réfléchi depuis ma sortie de pension, depuis quatre années que je vous observe, maman et toi, j’ai de l’expérience.

MONSIEUR LEPIC.

Oh ! tu connais la vie !

HENRIETTE.

Je connais la vôtre. Je ne veux pas la revivre pour mon compte. J’en ai assez souffert !

MONSIEUR LEPIC.

À qui la faute ?

HENRIETTE.

Je ne veux pas le rechercher ; mais je jure que mon ménage ne ressemblera pas au tien.

MONSIEUR LEPIC.

Cela ne dépend pas que des efforts d’un seul.

HENRIETTE.

Cela dépend surtout de la femme. Je le sais bien. Je ferai de mon mieux et M. Paul m’aidera.

Confiante, la main offerte.

Oh ! pardon !

PAUL.

Mademoiselle, votre geste était si gracieux !

HENRIETTE, la main abandonnée.

Je dirai toujours la vérité, quelle qu’elle soit !

MONSIEUR LEPIC.

Bon !

HENRIETTE.

S’il m’échappe un mensonge, je ne chercherai pas à me rattraper par un autre mensonge.

MONSIEUR LEPIC.

Pas mal !

HENRIETTE.

Si je commets une faute de ménagère, vous saurez le premier, et tout de suite, ma sottise. Je ne penserai jamais : ça ne regarde pas les maris !

MONSIEUR LEPIC.

Bien !

HENRIETTE.

J’attendrai pour bavarder que vous ayez fini de parler. Je ne vous demanderai votre avis que pour le suivre. Je ne chercherai pas à vous être supérieure.

Signes de tête de M. Lepic.

Je ne dirai pas à votre enfant : ton père a tort, ou ton père n’a pas besoin de savoir ! J’aurai peut-être des amies, mais vous serez mon seul confident.

MONSIEUR LEPIC.

Avec le curé.

HENRIETTE.

Papa, je ne dirai tout qu’à l’homme que j’aime.

MONSIEUR LEPIC.

C’est une déclaration !

HENRIETTE.

Oui ! chacun la nôtre. M. Paul m’avait fait, un soir, la sienne. Je viens de lui répondre, et je vous aimerai, monsieur Paul, comme vous m’avez dit que vous m’aimerez.

PAUL.

Oh ! mademoiselle !

MONSIEUR LEPIC.

Et je n’irai plus à la messe !

HENRIETTE, à Paul hésitante.

Je n’irai plus, si vous l’exigez.

PAUL, ému.

Mademoiselle, j’ai une grande liberté d’esprit !

MONSIEUR LEPIC.

C’est heureux, elle finirait par se marier civilement !

HENRIETTE, violent effort.

Si ce sacrifice était nécessaire à notre union...

PAUL.

Du tout ! mademoiselle, je ne vous demande pas ça !

MONSIEUR LEPIC.

Au contraire !

HENRIETTE.

Je l’accomplirais !...

MONSIEUR LEPIC.

Ah ! le beau mensonge !

HENRIETTE.

Papa ! j’accomplirais ce sacrifice, tant je crois au danger inévitable des idées qui ne sont pas communes.

MONSIEUR LEPIC.

Des idées religieuses !

HENRIETTE.

Surtout des idées religieuses qui ne sont pas partagées.

PAUL.

Nous partagerons tout ce que vous voudrez, mademoiselle !

MONSIEUR LEPIC.

Oh ! oh ! elle est effrayante ! Où as-tu pris cette leçon ?

HENRIETTE.

Sur ta figure des dimanches, papa !

PAUL.

Elle est exquise, monsieur Lepic !

MONSIEUR LEPIC.

Aujourd’hui !

HENRIETTE.

J’aurais dû parler plus tôt !... Tu ne m’aurais pas entendue !... Et puis, il fallait l’occasion. C’est la présence d’un fiancé, d’un ami, d’un protecteur, qui me donne de l’énergie. Tu ne sais pas quel homme tu es !

MONSIEUR LEPIC.

Je suis si imposant ?

HENRIETTE.

Tu ne peux pas savoir !

Comique.

Tu me ferais rentrer dans un trou de souris.

MONSIEUR LEPIC.

Toi aussi. Comme la tante Bache ! C’est ma spécialité : ça flatte un père !

HENRIETTE.

Oh ! papa ! Désormais, je serai brave !

MONSIEUR LEPIC.

Alors ! c’est ce que tu as dit qui te fait trembler ?

HENRIETTE.

Je me suis énervée.

MONSIEUR LEPIC.

Ah ! dame ! c’était un peu fort ! Malgré le conseil de ta mère, tu n’as pas l’habitude !

HENRIETTE.

Maman ignore ce qui se passe en moi !

MONSIEUR LEPIC.

Si le curé t’avait entendue !

HENRIETTE.

Oh ! je crois qu’il m’aurait comprise, lui !

MONSIEUR LEPIC, faux jeu.

Justement ! Il vient.

PAUL.

Oh ! monsieur Lepic, vous êtes méchant.

MONSIEUR LEPIC rit.

Cruel !

HENRIETTE.

Tu m’as fait peur.

Avec reproche.

Oh ! papa, tu me tourmentes !

PAUL.

Mademoiselle ! Mon amie !... Oui, il vous tourmente ! Tout ça n’est rien. Des mots. Des mots !

MONSIEUR LEPIC.

En effet, ce n’est qu’une crise. Ça passera !... le temps de se marier !

HENRIETTE.

Tu ne me crois pas ?

MONSIEUR LEPIC.

Mais si, mais si ! Ta mère m’a rendu un peu défiant !

HENRIETTE.

Je suis si sincère !

MONSIEUR LEPIC.

Pour le moment, c’est sûr.

HENRIETTE.

Pour le moment ?

MONSIEUR LEPIC.

Tu fais effort, comme un pauvre oiseau englué qui s’arrache d’une aile et se laissera bientôt reprendre par toutes ses plumes.

PAUL.

L’essentiel est que je vous croie, mademoiselle Henriette, et je vous crois.

MONSIEUR LEPIC.

Mais oui, va ! c’est l’essentiel. Ne te mets pas dans cet état ! Tu te fais du mal ! et tu me fais de la peine. Je n’aime pas voir pleurer la veille d’un mariage. C’est trop tôt.

Il l’embrasse.

Calme-toi, ma fille, tu soupires comme une prisonnière !

HENRIETTE.

Sans reproche, ce n’est pas gai, ici !

MONSIEUR LEPIC.

Tu vas sortir !

HENRIETTE.

Oh ! oui, et je veux être heureuse ! Ne penses-tu pas que je serai heureuse ?

MONSIEUR LEPIC.

Nous verrons, essayez ! Mariez-vous d’abord !

Regard à Paul.

Il est gentil... Quant à ton curé... je ne suis pas dupe, tu ne pourras rien. Tu ne sais pas ce que c’est qu’un curé !

 

 

Scène XII

 

MONSIEUR LEPIC, PAUL, HENRIETTE, MADAME LEPIC, TANTE BACHE, FÉLIX, MADELEINE

 

MADAME LEPIC, annonce, triomphale.

M. le curé ! M. le curé !

MONSIEUR LEPIC.

Naturellement.

Il prend son chapeau pour sortir.

FÉLIX.

Ça, c’est de l’aplomb !

MONSIEUR LEPIC, à Paul.

Votre rival, monsieur !

PAUL.

Oh ! monsieur Lepic, restez, moi je reste !

MONSIEUR LEPIC.

Vous ne serez pas de force.

PAUL.

Avec votre appui ?

MONSIEUR LEPIC.

Je crois plutôt que je vais vous gêner.

MADAME LEPIC.

J’ai rencontré par hasard M. le curé qui a bien voulu se détourner de sa promenade. Oh ! ma fille ! Oh ! mon gendre !

PAUL.

Vous saviez donc ?

MADAME LEPIC.

Dès que tante Bache m’a détrompée, j’ai couru prévenir M. le curé !... Oh ! je vous l’ai dit, ce n’est pas un curé comme les autres ! Il est parfait ! Il ne s’occupe de rien, pas même de religion. Félix, mon grand, veux-tu le recevoir au bas de l’escalier ? Il sera si flatté !

FÉLIX, à M. Lepic.

Faut-il le remmener ?

MONSIEUR LEPIC.

Laisse !

À Henriette.

Tu as besoin de ce monsieur ?

HENRIETTE, craintive.

Sa présence même te serait désagréable ?

MONSIEUR LEPIC.

Oui, mais tu es libre !

MADAME LEPIC.

Qu’est-ce que ça signifie, Henriette ? Fermer la porte à M. le curé quand je l’appelle de ta part !

MONSIEUR LEPIC.

Tu es libre ! Oh ! je ne te donnerai pas ma malédiction ; de moi, ça ne porterait pas !

HENRIETTE.

Monsieur Paul, aidez-moi !

PAUL.

Ça n’engage à rien !

HENRIETTE.

Papa, toi, un esprit supérieur ! Ce ne serait qu’une simple politesse, rien de plus !

MONSIEUR LEPIC, déjà exténué.

Qu’il entre donc, comme chez lui !

FÉLIX.

D’ailleurs, le voilà !

 

 

Scène XIII

 

MONSIEUR LEPIC, PAUL, HENRIETTE, MADAME LEPIC, TANTE BACHE, FÉLIX, MADELEINE, LE CURÉ

 

LE CURÉ, la main timide.

Monsieur Lepic...

M. Lepic ne lui touche pas la main.

Je ne fais qu’entrer et sortir ; monsieur le maire, je viens d’apprendre, par Mme Lepic, la grande nouvelle, et j’ai tenu à venir moi-même vous adresser, au père, et au premier magistrat de la commune, mes compliments respectueux.

MONSIEUR LEPIC.

Vous êtes trop aimable. Ce n’était pas la peine de vous déranger.

LE CURÉ.

Je passais.

À Paul.

Je vous félicite, monsieur ! Vous épousez une jeune fille ornée de toutes les grâces, parée de toutes les vertus. Comme prêtre et comme ami, j’ai eu avec elle de longues causeries chrétiennes. Elle est ma fille spirituelle !

HENRIETTE, s’inclinant, déjà reprise.

Mon père !

FÉLIX.

Moi, mon père, c’est papa. Mon pauvre vieux papa !

LE CURÉ.

Je vous la confie, monsieur Paul, vous serez, j’en suis sûr, par votre intelligence et votre libéralisme bien connus, digne de cette âme qui est d’élite, sous le rapport humain et sous le rapport divin.

PAUL, gêné par le regard de M. Lepic.

Je tâcherai, monsieur le curé !

MONSIEUR LEPIC.

C’est déjà fait.

PAUL.

Il n’est pas mal !

MONSIEUR LEPIC.

Pas plus mal qu’un autre. Ils sont tous pareils !

MADAME LEPIC.

Tante Bache, vous n’avez pas envie de pleurer, vous ?

TANTE BACHE.

Je m’épanouis ! M. le curé a une voix qui pénètre et qui remue.

PAUL.

C’est comique !

MONSIEUR LEPIC.

Profitez-en !

MADELEINE.

À quand la noce ?

TANTE BACHE.

Le plus tôt possible. Oh ! oui ! Ne les faites pas languir !

MADAME LEPIC, à M. Lepic.

Mon ami ?

PAUL.

Monsieur Lepic ?

FÉLIX.

Monsieur le maire ?

MONSIEUR LEPIC.

On pourrait fixer votre mariage et celui de ce pauvre Jacquelou le même jour ! La vieille Honorine serait fière !

FÉLIX.

Oh ! c’est une chic idée !

MADELEINE.

Oh ! que ce serait amusant !

MADAME LEPIC.

Mais nous aurons, nous, un mariage de première classe ! Où mettre l’autre ?

LE CURÉ.

Mon église est bien petite !

MONSIEUR LEPIC, détaché, absent.

Que M. le curé fixe donc votre mariage lui-même !

MADAME LEPIC.

Oui, le mariage civil, ça ne compte pas.

FÉLIX.

Pour la femme d’un maire, maman !

MADAME LEPIC.

Je veux dire que ce n’est qu’une formalité, des paperasses, enfin je veux dire...

LE CURÉ.

Respect à la loi de votre pays, madame Lepic ! Pour ma part, je propose le délai minimum, et, malgré la dureté des temps, je vous ferai cadeau d’un ban.

FÉLIX, bas à Madeleine.

Ça coûte trois francs !

MADAME LEPIC.

Il va de soi que la place de M. le curé est à la table d’honneur des invités.

FÉLIX.

Il y sera !

LE CURÉ.

Mme Lepic me gâte toujours ! J’ai dû, ce matin, interrompre mon jeûne pour ne pas laisser perdre ce merveilleux civet qu’elle a daigné me faire parvenir.

FÉLIX.

Ah ! oui ! Le lièvre de papa qui avait tant réduit en cuisant !

MADAME LEPIC.

M. le curé exagère et Félix manque de tact. Comme cadeau de retour, M. le maire ferait bien de rétablir la subvention de la commune à M. le curé... C’est accordé ?

M. Lepic la regarde fixement.

LE CURÉ.

Oh ! madame Lepic, je vous en supplie, pas de politique ! Je sais que, par M. Lepic, l’argent qui se détourne de moi va aux pauvres.

FÉLIX.

Pas trop longue ! hein ! la messe, monsieur le curé ?

LE CURÉ, agacé.

Monsieur, s’il vous plaît ?

PAUL.

À cause de M. Lepic.

MONSIEUR LEPIC.

Parlez pour vous ! Ça ne me gêne pas ! Je n’irai pas !

MADAME LEPIC.

Ce jour-là, un franc-maçon saurait se tenir ! M. le curé fera décemment les choses. Il sait son monde, comme M. Lepic. Il n’a que des délicatesses et il vient de me promettre une surprise. Après la messe, mon cher Paul, dans la sacristie, il vous récitera une allocution en vers de sa composition.

TANTE BACHE.

Oh ! des vers ! On va se délecter. Un mariage d’artistes !

PAUL.

Ah ! monsieur le curé taquine la muse ?

MONSIEUR LEPIC.

Parbleu !

LE CURÉ.

Oh ! à ses heures !

FÉLIX.

Et il a le temps !

LE CURÉ.

Humble curé de campagne !...

MONSIEUR LEPIC.

Ne faites pas le modeste ! Il y a en vous l’étoffe d’un évêque !

LE CURÉ.

Trop flatteur !

Toutes ces dames s’inclinent déjà.

Mais vous, monsieur le maire, je vous apprécie comme il convient ! Par votre sagesse civique, la hauteur de vos idées et la rigidité de votre caractère, vous étiez digne de faire un excellent prêtre.

MADAME LEPIC.

Il a raté sa vocation !

MADELEINE.

Il sait pourtant bien son catéchisme !

MONSIEUR LEPIC.

Un prêtre, peut-être, monsieur, mais pas un curé !

TANTE BACHE.

Quelle belle journée ! Comme elle finit bien !

PAUL.

Tu n’as plus la frousse, ma tante ? Ça finit par un mariage, comme dans les comédies de théâtre, mon cher beau-père !

MONSIEUR LEPIC.

Oui, monsieur, ça finit... comme dans la vie... ça recommence.

Au curé.

Une fois de plus, monsieur, vous n’aviez qu’à paraître.

M. Lepic se couvre et s’éloigne, suivi de Félix.

FÉLIX.

Toujours comme papa !

Moment pénible, mais Mme Lepic sauve la situation.

 

 

Scène XIV

 

PAUL, HENRIETTE, MADAME LEPIC, TANTE BACHE, MADELEINE, LE CURÉ

 

MADAME LEPIC.

M. Lepic va faire son petit tour de jardin. C’est son heure. Il ne se permettrait pas de fumer sa cigarette devant ces dames. Il reviendra. Il revient toujours.

Elle pousse le fauteuil à M. le Curé.

Monsieur le curé, le fauteuil de M. Lepic !

M. Le Curé s’installe ; elle offre une chaise à Tante Bache.

Vous devez être fatiguée ?... Assieds-toi donc, Madeleine !... Annette, servez le goûter !... Mes enfants ! Votre mère est heureuse ! Cher Paul, embrassez notre Henriette, M. le curé vous bénira. Embrassez-la, allez ! Vous ne l’embrasserez jamais autant que M. Lepic m’a embrassée.

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