L’Académie des femmes (Samuel CHAPPUZEAU)

Comédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Marais, en 1661.

 

Personnages

 

LÉARQUE, père d’Émilie

LA ROQUE, capitaine crû mort

HORTENSE, docteur

ÉMILIE, crue veuve de la Roque

AMINTE, voisine d’Émilie

LUCRÈCE, voisine d’Émilie

CORNÉLIE, voisine d’Émilie

GUILLOT, valet d’Hortense

RAGOTIN, valet de la Roque

ALIX, servante d’Hortense

LISETTE, servante d’Émilie

 

La Scène est un Jardin de Léarque.

 

 

À MONSIEUR DU PERTUY,

CAPITAINE DES GARDES de Monseigneur de Turenne, Gouverneur et Bailly d’Épernay, et Capitaine de Cavalerie au Régiment Colonel

 

MONSIEUR,

 

Ce n’est point par une vieille coutume de dédier ses Ouvrages, je prends que je la liberté de vous offrir celui-ci : J’en ai un motif plus noble plus juste, et l’honneur que j’ai eu de vous approcher m’a été en même temps une nécessite indispensable de vous donner une marque publique du ressentiment que j’en conserve. Je vous avoue, MONSIEUR ; que je suis de ces personnes qui ne se peuvent taire des choses qui méritent de l’admiration, ni s’empêcher de porter bien haut ce qui les touche. Mais je sais d’ailleurs qu’il me faut vaincre ici cette passion, quoi que raisonnable, et ne pouvant ignorer qu’entre les belles qualités que vous faites éclater, il s’en trouve une qui fait la maîtresse, qui veut avoir le dessus, et qui me force tacitement au silence, je n’ose presque aller plus avant, de peur de blesser cette austère vertu de toutes les grandes âmes, et qui a pris sur la votre un empire des plus absolus. Oui, MONSIEUR, cette injuste rigoureuse modestie qui ne s’exprime que trop dans cette belle manière que vous avez d’agir de parler, fait ce qu’elle peut pour nous dérober l’éclat d’une générosité que vous portez au plus haut degré, pour nous amoindrir le prix de tant d’actions glorieuses que vous avez faites auprès d’un des bras de notre Auguste Monarque, et pour nous cacher ce beau génie et cette bonté d’esprit si particulière, qui vous ont acquis la seule félicité qu’on peut gouter dans le monde, l’estime l’amour de tous les honnêtes gens. Mais aussi avec quel droit et de quel front s’oserait-elle fâcher, si je passe outre ? La plus sévère beauté souffre enfin une déclaration d’amour ; la plus sévère vertu ne pourra-t-elle souffrir une déclaration d’estime ; et si ce vous est de la gloire d’être, comme je le viens de dire infiniment généreux, d’être vaillant d’être le charme des compagnies, sera-ce un crime à moi de me joindre à mille bouches à qui j’entends faire le même discours ? Non, MONSIEUR, et vous devez seulement vous plaindre que je m’y prends mal, et que les grands Éloges qui vous sont dus, souffrent de la bassesse de mon style. Je ne désespère pas de lui voir prendre un jour plus de force, et que vous ne me permettiez alors de parler à fond de votre illustre naissance, de vos grandes actions, et en un mot, de suivre les mouvements du zèle que j’ai pour vous. Mais de peur qu’on ne le juge par trop indiscret ; et qu’on ne s’imagine avant que de l’avoir lu, que je vous offre ici divertissement aussi maigre que ma lettre ; plutôt, dis-je, que de ne pas vanter un peu mon Ouvrage, j’aime mieux découvrir moi-même mon larcin, et avouer que cette Pièce n’est soutenue que de ce qui se trouve de plus spirituel de plus galant dans les Dialogues du grand Érasme, qui dans la Satyre et la belle raillerie l’a emporté sur tous les Critiques qui l’ont devancé et qui l’ont suivi. Je n’aurais pas été assez téméraire pour mettre votre nom à la tête d’un Ouvrage dont mes amis ne m’eussent donné nulle bonne opinion, et qui n’eût reçu quelque applaudissement du public, dont je suis redevable en partie à la belle exécution du Théâtre du Marais. Mais, MONSIEUR, je vivrais dans un chagrin éternel, si je ne pouvais jamais vous donner que par de la Prose ou des Vers des marques du respect et du zèle avec lequel je serais toute ma vie.

 

MONSIEUR,

 

Votre très humble et très obéissant serviteur,

 

CHAPUZEAU

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

ALIX, LISETTE

 

ALIX.

Mis enfin j’ai servi ta Maîtresse avant toi

Je sais ce qu’en vaut l’aune, et te jure ma foi,

Que je ne voudrais pas pour le double de gages,

De son bouillant caprice essuyer les orages.

LISETTE.

C’est bien pis maintenant, depuis que son mari,

Qui ne s’en voyait pas fort tendrement chéri,  

De dépit à la guerre alla cesser de vivre ;

À toute heure à la main vous lui trouvez un livre :

Mais à toute heure encor’ du jour et de la nuit,

Et sans doute par là son cerveau se détruit ;

C’est d’où naît son chagrin suivi d’une avarice,

Qui m’oblige à la fin de quitter son service.

ALIX.

Du Maître que je sers je viens bien mieux à bout,

Je le laisse tout dire, et me moque de tout

Mais peut-être bientôt nous servirons ensemble,

Si l’hymen ta Maîtresse et mon Docteur assemble.

LISETTE.

L’hymen ! ma foi ton Maître en est bien éloigné,

Jamais un pauvre Amant ne fut plus dédaigné.

ALIX.

Mais quand ce ne serait que pour notre avantage,

Il nous faut toutes deux traiter ce mariage :

Il nous en reviendrait de petites douceurs,

Que nous partagerions entre nous comme sœurs.

 

 

Scène II

 

GUILLOT, RAGOTIN, ALIX, LISETTE

 

GUILLOT.

Et nous n’aurons-nous rien qui sommes deux bons frères,

Deux Intendants d’honneur des amoureux mystères

Et qui malgré vos dents savons l’air du bureau,

Nous n’aurions pas aussi tous deux part au gâteau

Ma foi, vous en aurez menti, sans vous déplaire.

RAGOTIN.

Et dussiez-vous de plus vous en mettre en colère.

Dussiez-vous de dépit en sécher, en maigrir,

En gronder, en pester, en crever, en mourir,

Nous cracher au visage, en nous baisant nous mordre,

Crier haro sur nous, mettre tout en désordre,

Sachez qu’en fait d’argent Guillot et Ragotin,

Veulent résolument avoir part au butin.

ALIX.

Que nous veulent ces fous, ces enragés, ces rustres !

LISETTE.

Guillot, si tu nous frustres,

Par ton trop de babil du fruit de nos desseins,

Ton dos en pâtira, notre maître a des mains,

Et je n’ai qu’à lui dire.

GUILLOT.

Et que peux-tu lui dire ?

Qu’ hier je te caressais, et que je te fis rire,

Que tu le voulais bien, et que peu s’en fallut.

ALIX.

Que je ne t’étranglai, tant cela me déplût :

Beau nez, sois si hardi d’y retourner encore.

RAGOTIN.

Elle en rougit ma foi : Lisette, mon aurore,

Nous te caresserons aussi quand tu voudras.

ALIX.

Guillot, encore un coup, tu t’en repentiras,

Et tu sais le pouvoir que j’ ai dans la cuisine.

GUILLOT.

Je ne le sais que trop, au diable ta lésine,

Et mon Maître est bien sot qui s’en laisse abuser :

Mais quoi je t’aime trop pour vouloir t’accuser,

Et je te confondrais si je te tenais seule.

ALIX.

Dis tout ce que tu sais, parle donc belle gueule.

Je ne crains point ta langue, et viens...

GUILLOT.

Non, non, la paix.

Ma mignonne, mon cœur, chère Alix, tu me plais,

Et des que tu voudras nous conterons ensemble.

RAGOTIN.

Lisette, mon souci.

 

 

Scène III

 

ÉMILIE, HORTENSE, GUILLOT, RAGOTIN, ALIX, LISETTE

 

ÉMILIE.

Lisette.

LISETTE.

Ah Dieu ! je tremble,

J’aperçois ma Maîtresse.

GUILLOT.

Et pour nous achever,

Mon Maître en même temps vient ici nous trouver.

HORTENSE.

Que je suis mal servi !

ÉMILIE.

Que je suis patiente !

HORTENSE.

Je ne trouve chez moi ni valet, ni servante ;

Mais je les vois tous deux, où je ne vois pas clair :

Ils ont du temps de reste à venir prendre l’air.

ÉMILIE.

Que ce Pédant me fâche ! évitons-le, Lisette.

LISETTE.

Madame.

ÉMILIE.

Hé quoi jamais, Madame la coquète,

Je ne vous trouverai qu’avecques des valets ?

Vous mériteriez bien la paire de soufflets.

Rentrez dans le logis, je vous la garde bonne...

Et que de tout le jour on ne l’ouvre à personne,

Qu’aux Dames que l’attends dans deux heures d’ici.

Mettez ma Chambre en ordre, et mon Alcôve aussi ;

Et reportez ensuite en ma Bibliothèque,

Quintilien, Plutarque, Aristote et Sénèque,

Ils sont tous sur ma table, et sur mon guéridon,

Et ne démarquez rien, j’oublions Casaubon,

Et Descartes tout proche avecque Campanelle,

Que je viens de laisser ouverts dans ma ruelle ;

Traitez les proprement, et les fermez tous trois,

Sans toucher les feuillets avec vos sales doigts,

Un Livre entre vos mains ne s’accommode guère,

Et pour vous Ragotin, allez trouver mon père.

HORTENSE.

S’il faut que cette femme ait leu tous ces Auteurs,

Elle en sait plus que moi, ni que tous les Docteurs,

Quintilien, Sénèque, Aristote, Plutarque,

Descartes, Casaubon, tous ces Auteurs de marque,

Ces Astres du vieux temps, ces brillants du nouveau,

De cette belle veuve éclairent le cerveau !

Ô Ciel ! qu’elle est savante.

GUILLOT.

Ah ! dites qu’elle est folle :

Si vous voulez pourtant que pour vous je l’accole ?

HORTENSE.

Maître fou, Dame Alix, sortez d’ici tous deux.

 

 

Scène IV

 

ÉMILIE, HORTENSE

 

ÉMILIE.

Vous m’obligeriez fort de sortir avec eux ;

La clef de ce lardin ne vous est pas donnée,

Pour ne le point quitter de toute la journée ;

Et si vous en saviez user civilement,

On vous y trouverait un peu plus rarement.

HORTENSE.

Je n’y viens que pour vous, mon Ange tutélaire.

ÉMILIE.

Vous n’y viendriez jamais, si vous vouliez me plaire.

HORTENSE.

Vous plaire ! À ce seul but s’adressent tous mes soins.

ÉMILIE.

Vous réussiriez mieux, si vous en preniez moins.

HORTENSE.

Je ne veux pas vous croire, et j’ai trop de constance.

ÉMILIE.

Et moi, Docteur, pour vous l’ai trop de patience ;

L’entretien d’un Pédant m’ennuie infiniment.

HORTENSE.

Ha farouche ! ha cruelle ! ha cœur de diamant !

ÉMILIE.

Émilie est mon nom, est-il folie égale !

HORTENSE.

On vous devrait plutôt appeler Martiale.

ÉMILIE.

Voyons où va l’esprit de ce beau Maîtr’ez-arts.

Pourquoi donc quel rapport puis-je avoir avec Mars ?

HORTENSE.

Si sur tous les mortels son pouvoir est extrême,

Plus cruelle que lui, vous tuez qui vous aime.

ÉMILIE.

Où s’est donc répandu le sang de tant de morts ?

Où s’est fait ce carnage ? où gisent tous ces corps ?

HORTENSE.

Ha ! sans aller plus loin ; ce corps qu’Amour enflamme,

Ce corps que vous voyez, n’est plus qu’un corps sans âme.

Je ne suis que trop mort, puis qu’elle en est dehors ;

Et j’ai pour le prouver des arguments si forts

Qu’il faut pour les nier démentir la Nature :

Desquels en voulez-vous ? et dans quelle figure ?

L’Enthymème est concis, le Sorite ingénu,

Le Syllogisme est grave, et le Dilemme aigu.

Si mes raisonnements ne vous font incommodes,

Pour vous les inculquer j’emploierai tous les modes

Cesare, Camestés, Festino, Baroco,

Darapti, Felapton, Datisi, Bocardo,

Ou mieux que tout cela, quittant la voie oblique,

Par un seul Barbara, vous serez sans réplique.

ÉMILIE.

Je vous laisse le choix ; mais ne m’en faites qu’un.

HORTENSE.

Le medium au reste en sera peu commun,

Et je vous ferai voir plus clair que la lumière,

Que si je suis le mort, vous êtes la meurtrière.

ÉMILIE.

Dieu m’en veuille garder ; Mais voyons toutefois

Quel est cet argument si fort, de si grand poids.

HORTENSE.

Il faut donc  supposer.

ÉMILIE.

Allons droit à la thèse.

HORTENSE.

Il faut supposer, dis-je, ou bien que je me taise.

ÉMILIE.

Vous feriez mieux peut-être.

HORTENSE.

Ha ! le choquant esprit !

ÉMILIE.

Frappons d’abord au but.

HORTENSE.

Aristote nous dit...

ÉMILIE

Qu’il faut raisonner juste.

HORTENSE.

Ha ! la femme incommode !

Chacun, ne vous déplaise, argumente à sa mode,

Chacun a dans son style ou du moins, ou du plus ;

L’un la court, l’autre long ; l’un clair, l’autre confus

Celui-ci l’a rampant, celui-là magnifique ;

L’un aime le diffus, l’autre le Laconique ;

Et moi de tous les deux je veux m’en former un,

Bref il est malaisé de complaire à chacun.

ÉMILIE.

Vous vous disloquerez en fin la mandibule,

Trêve donc d’hypothèse et de tout préambule,

Et sans perdre le temps en un long entretien,

Dites-moi dans un mot.

HORTENSE.

Je ne vous dirai rien,

Je ne puis satisfaire à votre impatience,

Ou souffrez, de par dieu, qu’une fois je commence.

ÉMILIE.

Hé bien commencez donc, et finissez bientôt.

HORTENSE.

Cette femme me fâche, et me traite en grimaud,

Mais quoi ? je l’aime trop pour la fâcher de même.

Écoutez. l’expédie avec ce Théorème.

Établi dès longtemps par de graves Auteurs,

Et qui doit être vrai, s’ils ne font tous menteurs,

L’Âme, écoutez-moi bien, est, selon leur maxime,

Plus dans l’objet aimé, qu’au sujet qu’elle anime.

ÉMILIE.

Je n’entends pas trop bien ces termes précieux,

Parlez plus clairement.

HORTENSE.

Je m’explique donc mieux,

Tous ces contemplatifs, ces divins Extatiques,

Qui se guindent au haut des voûtes Olympiques,

Qui vont y dérober les célestes trésors,

Entrent à tout moment dans de si doux transports,

Que quelque bruit qu’on fît, quelque avis qu’ils en eussent.

On pourrait les tuer sans qu’ils s’en aperçussent.

Ces Poètes fameux qui ravissent nos sens,

D’eux-mêmes bien souvent ne sont-ils pas absents ?

ÉMILIE.

Cette merveille est grande, et paraît peu croyable.

HORTENSE.

La cause cependant en est toute palpable,

Et ne voyez-vous pas qu’en cet événement,

Leur âme est dans le Ciel comme en son élément,

Que c’est là qu’elle agit, que c’est là qu’elle règne ;

Et qu’elle ne m’eut plus le corps qu’elle dédaigne.

ÉMILIE.

Mais qu’en concluez vous ?

HORTENSE.

Ha ! ce que j’en conclus !

Que je suis mort, cruelle, et que voulez-vous plus ?

ÉMILIE.

En quel lieu maintenant se trouve donc votre âme ?

HORTENSE.

Mon âme est attachée au sujet qui m’enflamme ;

Et puis qu’en bonne école on définit la mort,

Le divorce du corps d’avec l’amé qui sort ;

Vous qui m’ôtez la mienne, ô beauté trop altière ?

Autant que suis mort, n’êtes-vous pas meurtrière ?

ÉMILIE.

Coupons court là-dessus, je ne crains pas beaucoup,

Qu’on m’ose rechercher pour un si méchant coup,

Et pour me condamner, il n’est point de Légiste :

Mais je veux à mon tour faire un peu la Sophiste ;

Aimez vous par contrainte, ou de votre bon gré ?

HORTENSE.

La belle question ; j’aime dans un degré,

Qui fait connaître assez que sans nulle contrainte,

J’adore la beauté dont mon âme est atteinte.

ÉMILIE.

Puis donc que vous pouvez aimer, ou n’aimer pas,

Vous seul assurément causez votre trépas,

Et c’est injustement que la personne aimée,

D’un crime prétendu se verrait diffamée.

HORTENSE.

Ha ! vous l’entendez mal, et ce n’est pas aussi

Pour souffrir d’être aimée et causer du souci,

Qu’une beauté nous donne une atteinte mortelle,

C’est pour nous refuser une amour mutuelle ;

Et celui-là sans doute est cause du trépas,

Qui peut sauver la vie et ne la sauve pas.

ÉMILIE.

Enfin, Docteur.

HORTENSE.

Enfin, mon Ange, je vous aime,

C’était là tout le but de ce grand théorème,

Mon âme n’agit plus que dans votre beau corps,

La votre à l’en chasser ferait de vains efforts,

Mieux que vous ne pensez elles sont assorties

Et nous avons tous deux d’étroites sympathies.

Contons. Vous êtes veuve, et je suis veuf aussi

Vous êtes jeune encor, je ne suis pas chansi.

Ma taille avec la votre est assez congruente,

Je suis Docteur fameux, et vous êtes savante ;

Jamais Épouse n’eut un plus conforme Époux,

Nous ferons des enfants habiles comme nous,

Orateurs, Médecins, Poètes, Philosophes,

Enfin nous en ferons de toutes les étoffes,

Que nous verrons tous deux un jour avec éclat,

Servir utilement le Prince et son État.

Après tout, je vois bien que c’est par modestie,

Que vous me témoignez en avoir peu d’envie :

Mais au fond, sans rougir, quand un Physicien,

Discourt de la matière, aspirant au lien,

Qui l’unit à la forme, il nous ajoute,

Comme Très naturellement la femme appète l’homme.

ÉMILIE

Et moi, j’appète fort de vous bien quereller :

À qui, chétif Pédant, pensez-vous donc parler ?

Connaissant qui je suis, me tenir ce langage !

À moi qui neveux plus penser au mariage !

Et quand j’y penserais, qui voudrais en ce cas,

Tout au moins un Marquis, et cent mile ducats.

Depuis mon mari mort, je fais la nique aux hommes,

Je leur ferai bientôt savoir ce que nous sommes,

Et nous avons assez souffert de leur humeur,

Pour leur montrer, enfin, que nous avons du cœur

Adieu, mais déformais choisissez, je vous prie

Un lieu plus éloigné pour votre rêverie,

Et comme en ce jardin on vous a trop souffert,

Je ferai qu’à personne il ne doit plus ouvert.

 

 

Scène V

 

HORTENSE, seul

 

J’avais un beau dessein de devenir bigame :

J’aurais pris un cerbère, et non pas une femme,

Elle aurait à toute heure ergoté contre moi.

Et de belle hauteur m’aurait donné la loi,

Ah Dieu ! qu’allais-je faire ? et si cette âme vaine

M’eut pris enfin au mot, quelle eût été ma peine !

Dieu me garde d’avoir jamais dans mon donjon,

Une femme qui lit Descartes, Casaubon !

J’aime mieux souffrir et des dés et des cartes

J’aime mieux en aller prendre une chez les Parthes.

Lorsque ce Sexe croit en savoir plus que nous,

De notre autorité d’abord il est jaloux.

Une femme qui lit, et qui lit Campanelle !

Que c’est un beau moyen de gâter sa cervelle !

Et que tandis qu’elle a cette démangeaison,

Un mari passe bien son temps à la maison !

Quand sur tous ces Auteurs son faible esprit travaille

Que des valets en bas ont beau faire gogaille,

Et qu’on a souvent tort d’imputer au cerceau,

Que le vin va trop vite, et s’enfuit du tonneau.

Une bonne quenouille en la main d’une femme

Lui sied bien, et la met à couvert de tout blâme,

Son ménage florit, la règle va partout,

Et de ses serviteurs elle vient mieux à bout.

Mais un livre, bon Dieu ! qu’en prétend-elle faire,

Ne voudrait-elle point encor monter en chaire,

Et lasse à la maison de nous questionner,

Nous venir en public derechef sermonner ?

Si nous n’y donnons ordre, après cette équipée,

Bientôt avec un livre elle prendra l’épée :

Non, non, résolument, jamais femme qui lit,

Quand j’en devrais mourir, n’entrera dans mon lit.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

HORTENSE, seul

 

Qu’amour est un tyran qui nous cause d’ennui !

Malgré tous nos conseils nous dépendons de lui.

Il veut m’embéguiner de cette fière veuve,

Il veut absolument que j’en fasse l’épreuve.

Je sais qu’elle mettra ma patience à bout,

Et pour avoir la paix, je me résous à tout.

Peut être avec le temps... Mais j’aperçois son père,

Oui, puis qu’amour l’ordonne, il faut que j’obtempère ;

Tâchons d’être son gendre une dernière fois.

 

 

Scène II

 

HORTENSE, LÉARQUE

 

HORTENSE.

Léarque, salvus sis.

LÉARQUE.

Parlez-moi bon François.

Défaites-vous enfin de votre pédantisme,

Et sachez qu’à la Cour c’est un grand barbarisme.

HORTENSE.

La Cour...

LÉARQUE.

Laissons la Cour, s’il vous plaît, comme elle est.

Je suis ici venu pour un autre intérêt,

Pour vous dire en un mot, qu’en muguetant ma fille,

Vous espérez en vain d’entrer en ma famille.

Ma fille, sire Hortense, est d’une qualité,

À ne souffrir qu’un Comte à ses pieds arrêté,

Encor, comme aujourd’hui ; si haut le nombre en monte,

À peine elle pourrait le recevoir sans honte,

Il faut lui proposer quelque chose d’exquis.

HORTENSE.

Comme quoi ?

LÉARQUE.

Comme un Duc, ou du moins un Marquis ;

Car enfin nous sortons d’une si noble race,

Que nous en voyons peu que son éclat n’efface,

Et nous pouvons conter malgré les envieux,

Toujours de père en fils cinq ou six mille aïeux.

HORTENSE.

Je m’étonne pourtant (et sauf tout vitupère)

Qu’on n’ait jamais bien su quel était votre père.

LÉARQUE.

C’est qu’il vivait sans bruit, exempt d’ambition,

Et qu’ayant peu de bien pour sa condition,

Il aimait mieux aux champs se cacher sous le chaume,

Que venir s’endetter pour coucher sous un dôme.

Cela n’empêche pas, si vous ne le savez,

Que nos titres toujours ne se soient conservés ;

Ils remplissent chez moi trois ou quatre gras coffres :

Mais ma fille de plus me fait de belles offres,

Et comme elle est savante, et qu’elle lit par tout,

Elle me veut encor montrer de bout en bout,

Dans de fameux Auteurs, ma Généalogie.

Pour moi qui ne vois goutte en la Chronologie,

Et qui dans ces Auteurs ne marche qu’à tâtons

Je ne puis retenir tous ces diables de noms.

HORTENSE.

Je vous crois sans cela, la preuve en est trop claire.

LÉARQUE.

Hortense, vous savez que je vous aime en frère.

Que nous nous connaissons depuis plus de vingt ans,

Et vous fûtes toujours le bien venu céans.

Ma maison, mon jardin, ma bourse, tout est votre :

Mais sans vous en fâcher, ma fille est pour un autre,

Votre âge, votre humeur, votre profession,

Ne répondent pas bien à son ambition,

Je n’y vois rien pour vous que du désavantage,

Et vous feriez ensemble un très mauvais ménage.

Mais vous n’y perdrez rien. Deux mille écus pour vous,

Si vous pouvez trouver pour elle un digne Époux ;

Pourvu qu’il soit Marquis, et de la vieille datte,

Car sur ce point ma fille est un peu délicate.

HORTENSE.

Quoi qu’on pst m’estimer pour elle assez bien né,

Je suivrai vos avis comme d’un frère aîné,

Je ne penserai plus à votre aimable veuve,

Et pour vous en donner une infaillible preuve,

Je connais un Marquis bien fait, toujours gaillard,

Qui vous ira trouver dès ce soir au plus tard.

LÉARQUE.

Tant mieux, sa belle humeur détournera ma fille

De tous ces chiens d’Auteurs, dont sa chambre fourmille ;

Et je crains de la voir enfin à lire trop,

Aux petites Maisons aller au grand galop.

Je vais donc l’avertir qu’elle se tienne prête,

Et dans ce bon dessein que rien ne vous arrête.

HORTENSE.

Allez, pauvre caboche, allez, faible cerveau ;

Oui, je vous ferai faire un Marquis tout nouveau

Et piqué jusqu’au vif, je vais en diligence,

Prendre de vos mépris une haute vengeance.

De mon valet Guillot, il n’est point de fripier.

Qui ne mette un Marquis d’abord sur le métier ;

Après m’avoir traité comme un homme de boue,

À mon tour maintenant il faut que je vous joue.

 

 

Scène III

 

HORTENSE, ALIX, GUILLOT

 

HORTENSE.

Mais faisons-le venir. Heurterai-je longtemps ?

Alix et mon valet... Enfin je les entends.

ALIX.

À la porte, Guillot, vise.

GUILLOT.

Vas-y toi-même,

Je prends dans le cellier deux verres d’Apozème.

HORTENSE.

Ah le drôle ! voilà comment on boit mon vin ?

Redoublons.

ALIX.

Patience, on y va.

GUILLOT.

Quel faquin.

Ose pour me troubler venir heurter en maître

Si j’y vais.

HORTENSE.

Mets au moins la tête à la fenêtre.

GUILLOT.

Qui va là ?

HORTENSE.

Qui te rend le visage effaré.

GUILLOT.

Ce n’est rien.

HORTENSE.

L’Apozème a-t-il bien opéré ?

L’as-tu pris tout d’un coup ? jusqu’où montait la dose ?

Parle donc, depuis quand as-tu la bouche close ?

GUILLOT.

C’est que je prends plaisir d’en rappeler le goût,

Sans aller au devin, ces Docteurs savent tout.

HORTENSE.

Oui, je saurai, maraud, punir ton insolence,

Et t’apprendre à vider mes muids en mon absence,

Pour un valet tout neuf qu’il faudrait bien dauber,

Tu sais un peu trop tôt l’art de me dérober.

Je t’ai pris sur le fait deux fois, et la troisième

Paiera pour le tout.

GUILLOT.

Le maudit Apozème !

HORTENSE.

Descend, et pour ce coup je te pardonne encor.

GUILLOT.

Est-il un meilleur maître ? Il vaut son pesant d’or.

HORTENSE.

Guillot, quoique je puisse avec bonne justice

Te donner tout le sou de l’eau pour ton supplice,

Te fermer la cuisine, et te bien testonner,

Je veux plus faire encor que de te pardonner.

Par un bon mouvement qui m’est venu dans l’âme,

Je veux dès aujourd’hui te donner une femme.

GUILLOT.

Me marier !

HORTENSE.

Bien plus, t’enseigner comme il faut

Devenir Gentilhomme, et t’élever plus haut.

Car la femme, en un mot, que je t’ai préparée,

Est belle, est bien disante, est toute diaprée,

C’est une précieuse, elle a bien de l’acquis,

Et te dédaignerait si tu n’étais Marquis.

GUILLOT.

Ha ! que je saurais bien trancher du Gentilhomme,

S’il me tombait du Ciel quelque notable somme !

Car comment sans argent pouvoir gentilhommer ?

Comment entre les Grands se faire renommer ?

Peut-on avoir beau train, grande meute, écurie,

Autours et Lanerets pour la Fauconnerie,

Pages, Laquais, un Suisse à dire, qui va là ?

Car enfin un Marquis doit avoir tout cela.

HORTENSE.

Bon, je vois que déjà la gloire t’aiguillonne ;

Mais tu ne dis pas tout, il faut que je te donne

Touchant le Marquisat dès avis importants,

Qui te pourront servir en tous lieux, en tout temps,

J’entends du Marquisat de la fausse fabrique,

Dont ordinairement le hobereau se pique ;

Car de même que lui tu n’as le nez tourné

Qu’à te faire estimer un Marquis nouveau né.

GUILLOT.

C’est bien assez pour moi, puisqu’il faut que j’en tâte,

D’être de ces Marquis qui sont faits à la hâte,

Et qui las de se voir de petits compagnons,

Viennent en une nuit comme des champignons.

Je ferai bien comme eux, n’en soyez point en peine ;

Et te saurai sur tout bien remplir ma bedaine ;

Guille aura bien souvent l’emmarquisé Guillot,

Et Guille bien souvent payera tout l’écot.

Par divertissement j’irai voir la donzelle,

Pour rire seulement, et causer avec elle.

HORTENSE.

Tout beau, tu vas trop vite, il faut pour ton profit

Travailler avant tout à te mettre en crédit.

Feint donc que tu reçois des lettres d’importance,

Qu’un Duc t’écrit souvent, et te fait confidence

D’une intrigue d’amour, de ses secrets rivaux,

De duels, de ballets, de chasses, de chevaux.

Laisse exprès dans ta poche, ou bien sur ta toilette

Ces lettres que tu veux que par tout on trompette ;

Ton tailleur, tes valets, gens à ne rien celer,

S’iraient pendre plutôt que de n’en pas parler.

Mais quand tu jugeras qu’on aura pu les lire,

Pour feindre du regret, ne laisse rien à dire,

Reprend-les tout fâché, querelle tous tes gens,

Nomme les étourdis, curieux, négligents ;

Et crois-moi, qu’il n’est point d’esprit qui ne s’embourbe,

Dans les subtils détours d’une pareille fourbe.

GUILLOT.

Peste, comme il l’entend ! quel rusé ! quel matois !

HORTENSE.

Attend, je ne puis pas te tout dire à la fois.

GUILLOT.

Il est vrai, poursuivez, ma rate à vous entendre

S’épanouît de joie.

HORTENSE.

Écoute, il faut t’apprendre,

Pour te faire estimer, un secret bien plus beau,

Qui portera ton nom au delà du tombeau.

Tu sais comme aujourd’hui le Royaume fourmille

D’Auteurs bons et mauvais, dont la plume frétille,

Et que nous nous voyons dedans une saison,

Où d’écrire chacun à la démangeaison.

Qu’il ne manque non plus pour produire un ouvrage.

D’Imprimeurs affamés, qui sans craindre la cage

Mettent tout sous la presse, et sous l’espoir du gain

Le débitent bientôt hautement, ou sous main.

GUILLOT.

En effet, quand je passe au Palais, on m’enivre.

Le beau Livre, Monsieur ; Monsieur, le nouveau Livre ;

On vous le porte au nez, on vous le vante bon,

Qui ma foi bien souvent ce n’est qu’une chanson.

HORTENSE.

Très souvent. Il faut donc aposter quelque plume,

Qui pour te faire honneur te dédie un volume,

Qui te nomme en l’Épître un Alexandre, un Mars,

Qui te porte en valeur plus haut que les Césars,

En prudence au dessus de la prudence même,

Et te déclare enfin digne du diadème.

GUILLOT.

Pour cette belle Épître il faut faire un présent.

HORTENSE.

On ne se pique plus de donner à présent.

GUILLOT.

Mais.

HORTENSE.

Quoi mais ? Laisse-moi poursuivre, je te prie.

Et ne m’interromps plus.

GUILLOT.

Mais point de tricherie,

Et serai-je à couvert des mauvais accidents,

Quand...

HORTENSE.

Quand, j’ai grand désir de te casser les dents.

GUILLOT.

Il y va trop du mien, et je veux bien m’instruire.

HORTENSE.

Tant que tu parleras, je ne te puis rien dire.

GUILLOT.

Qui ne doute jamais sait tout, ou ne sait rien.

HORTENSE.

Qui n’écoute jamais, n’apprendra jamais bien.

GUILLOT.

Vous ne découvrez pas ici tout le mystère.

HORTENCE.

Ha ! le maudit parleur ! ne te saurais-tu taire ?

GUILLOT.

Non, et je veux enfin, en dussiez vous mourir,

Savoir si je n’ai point d’accident à courir,

Quand pour faire marcher mon train toujours de même,

Il faudra quelquefois user de stratagème.

Car n’avoir de quoi frire, et vouloir marquiser,

C’est dire en mots couverts qu’il faut dévaliser,

Soit en leur faisant peur, soit par quelques bricoles,

De ces bons gros Bourgeois regorgeant de pistoles.

Toutefois il est juste, et n’est-il pas honteux.

De voir un Marchand riche, et qu’un Marquis soit gueux ?

Qu’il n’ait pas le teston pour faire bonne vie,

Pour se rendre par tout où l’honneur le convie,

À la Sphère, à l’Autruche, en tous ces autres lieux,

Où l’on va se gorger de vins délicieux ?

HORTENSE.

As-tu bientôt tout dit ?

GUILLOT.

Tandis que je me mouche

Vous pouvez dire un mot.

HORTENSE.

Va, ton erreur me touche,

Tu t’alarmes trop tôt pour des maux incertains ;

J’ai l’antidote prêt pour celui que tu crains,

Et puis au pis aller. Mais que nous veut Lisette ?

GUILLOT.

Il la faut écouter.

 

 

Scène IV

 

LISETTE, HORTENSE, GUILLOT

 

LISETTE.

Ma Maîtresse souhaite,

Que le jardin se ferme, afin d’y recevoir

Des Dames du quartier qu’elle attend sur le soir.

Il faut que j’obéisse.

GUILLOT.

Ô la bonne servante !

HORTENSE.

Lisette, ta Maîtresse est bien impatiente.

GUILLOT.

Elle est femme.

LISETTE.

Elle veut que je ferme sur vous,

Que je barre la porte, et tire les verrous.

HORTENSE.

Mais, Lisette, mon cœur, sans être querellée,

Tu peux bien nous permettre encore un tour d’allée,

Et l’avais à présent quelque conception,

Que ferait échapper la moindre motion.

Laisse-nous un moment, et fais nous cette grâce,

D’abord à ton retour nous quitterons la place.

LISETTE.

Ne me trompez donc pas, autrement je pourrais

Tantôt de ma Maîtresse avoir bien sur les doigts.

Dépêchez, s’il vous plaît, je retourne sur l’heure.

 

 

Scène V

 

GUILLOT, HORTENSE

 

GUILLOT.

Cette fille est jolie, et me plaît, où je meure.

Mais mon Maître, à propos, quel est ce pis aller,

Dont sans elle tantôt vous me vouliez parler.

Cela me tient au cœur, et j’en ai la migraine.

HORTENSE.

Ce n’est rien.

GUILLOT.

Tant mieux donc.

HORTENSE.

Non, n’en sois point en peine,

Mais comme il te faudra recourir à l’emprunt,

D’abord que le crédit pour toi fera défunt,

Si tous tes créanciers sur toi tombent en foule,

Si tu vois qu’à la fin cette masse s’écroule,

Qu’elle aille t’accabler, décampe promptement,

Cours vite, et chaque soir change de logement.

GUILLOT.

Fort bien, car quel affront, qu’aux yeux de la cohue

On me vint arrêter mes chevaux dans la rue,

Et que de mon carrosse il me fallût sortir,

Pour donner au badaud sujet de s’ébaudir ;

Ma foi, le Marquisat pourrait bien me déplaire,

Si pour l’entretenir il faut tant de mystère.

HORTENSE.

Lourdaud, te crois-tu seul qui vit de la façon ?

Afin de te donner tout d’un coup ta leçon,

Ne t’imagine pas que dans une bicoque

Ainsi qu’en de grands lieux aisément on escroque ;

On n’y peut faire un pas, on ne peut s’y moucher,

Que le tambour battant on ne l’aille afficher,

On est trop éclairé, l’on n’a pas assez d’ombre,

Et les occasions y sont en petit nombre.

Il n’est pour ton métier qu’un Madrit, qu’un Paris,

La Fortune en ces lieux a tous ses favoris,

Et dans ces grandes mers pleines de chalandises,

On trouve moins d’écueils, et l’on fait plus de prises,

Aussi pour emprunter ne t’attaque jamais

À de petites gens dont on n’a point de paix,

Qui viendront le matin lorsque tu te réveilles

Criailler à ton lit, et percer tes oreilles.

Attaque toi plutôt à ces gros partisans,

Qui savent mieux agir avec les courtisans,

Qui ne s’alarment point pour de petites pertes,

Et dont aux gens d’honneur les tables sont ouvertes.

GUILLOT.

Qu’on m’y verra souvent rembourrer mon pourpoint !

HORTENSE.

Tout beau, laisse-moi dire, et ne m’interromps point.

Parlons de ta maison et de tes domestiques.

GUILLOT.

Pour devenir Marquis il faut bien des rubriques.

HORTENSE.

Quoi, m’interrompre encor ?

GUILLOT.

Nargue du Marquisat ?

Et j’aime mieux cent fois être simple goujat.

HORTENSE.

Mais.

GUILLOT.

Mais je n’en veux point.

HORTENSE.

Daigne encore m’entendre.

GUILLOT.

Je ne puis, qu’auriez-vous de surplus à m’apprendre ?

C’est assez.

HORTENSE.

Sache donc.

GUILLOT.

Je ne veux rien savoir.

HORTENSE.

Ma foi vous apprendrez, Marquis, votre devoir.

Tu ne saurais manquer de haute expérience,

Si tu veux m’écouter avecque patience.

GUILLOT.

Patience.

HORTENSE.

Parlons tout au moins de ton nom.

N’en as-tu jamais eu d’autre que Guillot ?

GUILLOT.

Non,

Et Guillot est un nom que je veux rendre illustre.

HORTENSE.

La Cour s’en moquerait, c’est un vrai nom de rustre.

Il serait fort beau voir qu’au milieu d’un écot

On te dit en buvant, À toi, Marquis Guillot.

Il te faut donc nommer le Marquis de Guilloche,

Ce De sent sa noblesse, ou du moins en approche.

Mais affecte surtout de parler par compas,

Et dans tous tes discours n’avance rien de bas,

Qui ne soit éloigné du caquet du vulgaire ;

Et de peur d’y manquer, plutôt ne parle guère.

GUILLOT.

Ma foi, je parlerai quand bon me semblera,

Mais pourtant votre avis toujours me réglera.

Quand je verrai quelqu’un de retour d’Allemagne ;

Ne s’apprête-t-on pas pour sortir en campagne,

Lui dirai-je ? Et le Turc fait-il de grands progrès ?

Le Comte de Nassau mon cousin est après

À me solliciter de passer en Hongrie,

Il m’offre un équipage, et l’Empereur m’en prie.

De Rome, ou de Turin si quelque autre revient ;

Se divertit-on bien à Rome ? il me souvient

Que j’y passai fort bien le temps dans un voyage

Qu’avec l’Ambassadeur j’y fis en mon jeune âge,

Hé bien ! ces discours là sentent-ils son bourgeois ?

Le style en est-il bas ? l’entends-je cette fois ?

HORTENSE.

Mieux que je n’aurais crû. Mais il faut que tu songes,

Sans trop considérer les frais où tu te plonges,

De fuir en tes habits autant qu’en tes discours

Le courtaud qui du monde ignore le beau cours.

GUILLOT.

J’aurai donc la calotte et la petite cane,

Cravate, soulier ronds, et gants de franchipane,

Mouchoirs à glands touffus, et d’une aune en carré

Dans mes autres habits tout sera chamarré,

Et comme à s’ajuster chacun à sa méthode,

Pour les surpasser tous je passerai la mode.

 Mais surtout pour avoir l’assortiment complet,

Il me semble qu’il faut porter du violet,

La manche découpée en quatre cent taillades,

La chemise qui vient forcer ces barricades,

Qui veut le mettre au large, et qui bouffe d’orgueil,

Le pied très bien chauffé, des rubans sur l’orteil,

Canons dessus canons, chausses à tuyaux d’orgue ;

Est-il après cela Marquis que je ne morgue ?

Qu’il me fera beau voir avec ces beaux habits !

Il vaut mieux être brave, et manger du pain bis,

Et combien devant moi vois-je de camarades ?

HORTENSE.

Mais dans l’Académie il faut prendre tes grades,

Savoir adroitement manier les cornets,

Jouer à quinquenauve, à la chance, aux échecs,

Au piquet, au trictrac, au verquier, toutes tables,

S’emporter quelquefois, crier comme des Diables.

GUILLOT.

Oui j’irais imiter ces faiseurs de cancan,

Qui pour leurs jurements se font mettre au carcan !

HORTENSE.

Voilà ce que l’avais à peu près à te dire.

GUILLOT.

Ma foi, vous pourrez bien tout au long me l’écrire

Qui pourrait retenir ce fatras de leçons ?

HORTENSE.

Il t’en fallait donner de toutes les façons,

Afin qu’aux yeux de tous tu ne sois pas novice,

Quand il faudra tantôt en faire l’exercice.

J’oubliais un article, et des plus importants.

Comme la Comédie est le charme du temps,

Qu’elle attire aujourd’hui, qu’elle est dans un haut lustre,

Tout ce que la Cour à de galant et d’illustre ;

Sois des plus assidus à l’Hôtel, aux Marets,

Pour faire l’esprit fort, remarque les beaux traits ;

Au Cid, à Timocrate, à des Pièces semblables,

Dis, les Corneilles sont tous deux inimitables,

Les autres auprès d’eux ne sauraient qu’échouer.

GUILLOT.

Par pitié quelquefois il faut bien les louer.

Mais je crois qu’il est plus de la galanterie,

De se moquer de tout, d’en faire raillerie,

De trouver à redire au Poète, à l’Acteur,

De faire le Critique, et plaindre l’Auditeur.

Je m’irai tout d’abord planter sur le Théâtre,

Pour y faire à l’envi le galant, le folâtre.

Observer de chacun le geste et le minois,

Étaler mes canons, me peigner trente fois :

Durant les violons en marquer la cadence,

Ou bien en me carrant entrer en conférence,

Censurer tout le monde, y trouver du défaut ;

Quand une Actrice sort (si l’Actrice le vaut)

Dire un peu haut, Marquis, vois-tu bien cette belle,

Je ne me vante pas d’être bien avec elle,

Mais quand tu le voudras nous la gouvernerons.

HORTENSE.

Tu peux faire leçon à tous les Fanfarons :

Ma foi tu me surprends, et ton apprentissage

À t’entendre parler ne sens point son village.

GUILLOT.

J’ai servi quelque temps un vieux routier de Cour

Qui vantait les hauts faits et la nuit et le jour.

J’ai bien tout retenu.

HORTENSE.

Je le vois.

GUILLOT.

Laissez faire,

Je suis assez rusé, l’entends tout le mystère.

Quand je verrai sortir la Roque ou Floridor :

Marquis, dirai-je encor, cet habit brillant d’or

Vient de moi. Qu’en dis-tu ? la seule petite oie

Me coute cinq cent francs, tout en belle monnoie,

Car je paye content ; demande à Perdigeon.

Dieu me sauve il éclate, et tout en est mignon.

Je le fis faire exprès pour le jour de l’entrée,

Et chacun admirait mon train et ma livrée.

HORTENSE.

C’est ainsi que d’abord douce comme un agneau

Une femme viendra donner dans le panneau.

Crois-moi qu’il n’en est point pour devenir Marquise

Qui tout aveuglement n’engage sa franchise.

GUILLOT.

Oui, c’est le prendre bien, et vous avez raison.

HORTENSE.

Viens donc, je t’instruirai du reste à la maison.

GUILLOT.

Allons. Car aussi bien je vois venir Lisette.

 

 

Scène VI

 

LISETTE

 

Qu’on ne nous dise plus que la femme caquète,

Ils auraient bien sans moi babillé tout le jour,

Mais les voilà dehors, fermons à double tour.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LA ROQUE, RAGOTIN

 

LA ROQUE.

Rassures-toi, te dis-je, et reconnais ton Maître.

RAGOTIN.

Je tremble encor de peur, je m’enfuis, et peut-être

Vous êtes son fantôme, ou quelque esprit follet,

Qui pourriez en jouant me donner un soufflet.

LA ROQUE.

Arrête, ne crains point, crois-tu que je me moque ?

Ouvre, ouvre bien les yeux, et reconnais la Roque

Ce maître dont jadis tu te vis tant chéri.

RAGOTIN.

Depuis quatorze mois il doit être pourri.

LA ROQUE.

Oui, je le devrais être, et sans le fort propice

Qui ne résolut pas alors que je périsse,

Tu ne me verrais pas à cette heure debout.

RAGOTIN.

Pour m’en bien assurer je veux tâter partout.

Me le permettez-vous ?

LA ROQUE.

Fort bien, tâte et retâte.

RAGOTIN.

C’est lui-même, ah ! mon maître !

LA ROQUE.

Il suffit, et j’ai hâte

D’apprendre si je dois après qu’on m’a crû mort,

Espérer qu’en ces lieux mon retour plaise fort.

Car tu sais que ce fut pour sa seule folie,

Que je me résolus de quitter Émilie.

Cette femme incommode à lire incessamment,

Qui raisonne à la table, au lit, même en dormant,

Et qui dans le chagrin qu’ont toutes ces Savantes,

Chassait de ma maison et valets et servantes.

RAGOTIN.

Elle est encore pis qu’elle ne fut jamais,

Et si le Ciel du père accomplit les souhaits,

Elle épouse un Marquis qu’on vient de me portraire,

D’humeur à la laisser et tout dire et tout faire.

Mais il faut empêcher que ce brave Marquis.

LA ROQUE.

Non, je dois voir ici ce nouvel Adonis.

Afin d’entrer sans bruit par cette fausse porte,

Je t’ai fait appeler, tu sais bien qu’il m’importe

De savoir tout au long quel il est, et comment

Ma femme souffrira l’abord de cet Amant.

RAGOTIN.

Monsieur, je vois déjà Lisette qui s’avance.

LA ROQUE.

Observons bien d’ici toute leur contenance.

 

 

Scène II

 

LISETTE, RAGOTIN

 

LISETTE.

Que de peine à servir, et qu’on est bien heureux ;

En ce siècle maudit de n’être pas né gueux !

À peine un crocheteur porterait tous ces livres,

Et je gagerais bien qu’ils pèsent deux cent livres.

On pourra bien chercher qui les reportera.

RAGOTIN.

Ne t’afflige pas tant, Ragotin t’aidera.

LISETTE.

Vraiment il fait beau voir qu’ainsi tu te reposes,

Tandis qu’à la maison l’on m’ordonne cent choses

Tu n’as guère de cœur de me voir travailler

Cependant qu’au Soleil tu te tiens à bâiller.

Ne meurs-tu point de honte, et n’est-il pas injuste

De me laisser tout faire ayant un corps robuste ?

Tu n’as jamais rien su que manger et dormir :

Mais de faim quelque jour je t’entendrai gémir.

RAGOTIN.

Je ne suis pas payé pour servir ta maîtresse.

LISETTE.

Aussi l’oisiveté te fait crever de graisse.

Mais enfin diras-tu que je n’ai pas raison,

Mangeant tous deux le pain de la même maison,

De me plaindre de toi, que jamais en ta vie

De soulager Lisette il ne t’a pris envie.

RAGOTIN.

Ah ! si tu le voulais !

LISETTE.

Va, j’ai le cœur trop bon

Qu’une fille a de grâce à prier un garçon !

RAGOTIN.

Tu te fâches toujours.

LISETTE.

Je ne suis que trop franche :

Mais j’espère qu’un jour j’en aurai ma revanche.

RAGOTIN.

Je te la donnerai, si tu veux.

LISETTE.

Mais voici

Ma Maîtresse qui vient, retire-toi d’ici.

 

 

Scène III

 

ÉMILIE, AMINTE, LUCRÈCE, CORNÉLIE, LISETTE

 

ÉMILIE.

Ces Livres, bel esprit, sont-ils là dans leur place ?

C’est traiter les Savants avec fort bonne grâce ;

Donnez-leur, paresseuse, un siège de gazon.

Il fait ici plus frais cent fois qu’à la maison.

Mesdames, plaçons-nous, et sans cérémonie.

Je croyais recevoir plus grande compagnie ;

Mais le nombre me plaît ; nous quatre nous faisons

Celui des Éléments, et celui des Saisons.

AMINTE.

Si des quatre Éléments nous sommes la peinture,

Vous êtes le beau feu qui maintient la nature.

ÉMILIE.

Si des quatre Saisons nous portons les couleurs,

Vous êtes le Printemps qui produit mille fleurs.

Mais trêve, s’il vous plaît, de ces belles fleurettes,

Si l’on nous écoutait, on nous croirait coquettes,

Et ces Dames pourraient disputer justement

À vous votre Saison, à moi mon Élément.

LUCRÈCE.

Je n’y prends nulle part.

CORNÉLIE.

Pour moi je vous le cède.

ÉMILIE.

Donc, que tout autre soin à présent nous possède,

Faisons sortir pour nous, ainsi que du tombeau,

De nos quatre Éléments un monde tout nouveau,

De nos quatre Saisons une meilleure année,

Et pour tout notre sexe une autre destinée.

Aux hommes pleins d’orgueil il est par trop soumis,

Nous n’oserions rien faire, et tout leur est permis !

Pour notre unique emploi, pour tout notre partage.

N’aurons-nous donc jamais que les soins du ménage,

Et sans faire valoir notre capacité,

Auront-ils dans l’état toute l’autorité ?

Oui, leur laissant la guerre, et les faits héroïques,

Nous pourrions bien remplir les charges pacifiques,

Et tandis qu’ils iraient assurer les dehors,

Gouverner du dedans les tranquilles ressors.

Ils ont pour s’établir Sénats, Académies,

Cours, Diètes, Conseils ; Nous seules endormies,

Nous seules sur le point de nous voir accabler,

Ne songeons point qu’il est temps de nous assembler.

AMINTE.

Plus que temps.

ÉMILIE.

Nous avons dans un dessein si juste

L’appui d’un fameux Prince, et d’une tête auguste,

D’un Héliogabale, et l’histoire fait foi,

Qu’en faveur de sa mère il en fit une loi.

AMINTE.

Ha ! que si nous pouvions dompter ces maîtres hommes,

Les réduire à leur tour à l’état ou nous sommes,

Les régir une fois, et prendre le dessus,

Qu’ils seraient étonnés, qu’ils deviendraient confus !

Mais nous n’avons contre-eux, et contre leurs caprices,

Que notre complaisance, et que nos artifices.

Nous déclarons en vain la guerre à ces Daemons,

Qui se moquent de nous, et de tous nos Sermons,

Et qui de leur fierté ne voulant rien rabattre,

Peuvent du moindre effort aisément nous abattre.

ÉMILIE.

C’est une tyrannie, il faut la secouer,

Et tout le sexe enfin doit nous en avouer.

LUCRÈCE.

Oui, mais pour nos maris ayons de la prudence,

Il est de notre gloire, et de la bienséance

De ne rien dire d’eux, dont nous puissions rougir.

AMINTE.

À son gré sur cela chacune peut agir.

Le mien impunément tous nos secrets évente,

Et vous pouvez penser combien il en invente,

Mais cela n’est qu’un jeu, si nous le comparons

Au rude traitement de plusieurs fanfarons,

Dont à peine une femme, et bien faite, et bien née,

Peut arracher un sou dans le cours d’une année,

Et qui prennent plaisir pour montrer leur pouvoir,

De se faire prier mille fois pour l’avoir.

ÉMILIE.

J’avais avec le mien la même peine à vivre,

Il me plaignait l’argent pour acheter un livre :

Mon occupation lui donnait de l’ennui,

Et je n’avais jamais de paix avecque lui.

Il avait quelque esprit, et c’était ma tristesse,

Carie veux un mari dont je sois la maîtresse,

Qu’une veuve est heureuse ?

LUCRÈCE.

Oui, sans doute, elle l’est,

Et de tout notre sexe embrassant l’intérêt,

Il faudrait ordonner en faveur de ces filles,

Qui, soit pour le pêché de leurs pauvres familles,

Soit pour autre défaut, demeurent à l’écart ;

Et ne peuvent trouver de mari que bien tard,

Que l’on les émancipe ; et si l’on veut, j’approuve

Que chacune à vingt ans ait le brevet de veuve,

Qu’elle soit sa maîtresse, et suive son humeur,

Et ne dépende plus d’un père ou d’un tuteur.

ÉMILIE.

Mais c’est pour cette fois assez parlé des hommes,

Il faut parler aussi du désordre où nous sommes,

Y donner du remède, et que selon le sang

Chacune désormais se tienne dans son rang.

Nous voyons qu’aujourd’hui la petite bourgeoise

À marcher comme nous hardiment s’apprivoise,

Et qui son sot mari, fût-il très indigent,

Lui fait porter la moire, et la toile d’argent.

Il lui faut un carrosse, ainsi qu’aux grandes Dames ;

Et si l’on voit d’ailleurs à de certaines femmes

Une queue traîner de trois aunes de long,

Que sera la Marquise, et qu’aura-t-elle donc ?

AMINTE.

Avoir comme à l’envi chacune s’accommode,

En moins de quatre jours la mode n’est plus mode ;

Sans vouloir discerner ni le bien, ni le sang,

Tout le sexe aujourd’hui marche d’un même rang.

Quelle confusion, juste Ciel ! quel désordre !

ÉMILIE.

Les hommes, je l’avoue, ont ici bien à mordre.

Mais nous ne pouvons pas pour la première fois

Éplucher chaque chose, et faire tant de lois ;

Nous prendrons plus de temps pour démêler le reste.

Et nous empêcherons par un beau manifeste,

Que les hommes sur nous ne sonnent le tocsin.

Seulement aujourd’hui sur notre grand dessein

Je veux vous faire part d’une belle remarque.

Lisette, donnez-moi ce tome de Plutarque.

Vous me donnez Platon. Avez-vous l’esprit sain ?

Lisez le dos, aveugle. Il est Grec et Latin,

Mais je l’expliquerai, syllabe pour syllabe.

AMINTE.

Le Grec et le Latin sont pour nous de l’Arabe.

ÉMILIE.

Sotte, ce n’est pas là le tome qu’il me faut.

LISETTE.

Suis-je Sorcière ?

ÉMILIE.

Non, ce n’est pas ton défaut.

Encor pis, esprit lourd, j’avais dit les Morales.

Vite, allez les querir. Que ces âmes brutales

Font de peine, et comment, sans perdre la raison,

Pourrait-on longtemps vivre avec un tel oison ?

Elle m’a fait cent fois de pareilles saillies,

Et n’a su distinguer les Morales des Vies.

Mais la voici déjà. Quoi n’irez-vous donc pas ?

Qui vous fait retourner ?

LISETTE.

Je reviens sur mes pas

Par le commandement de Monsieur votre père,

Vous dire qu’un Marquis vient ici pour vous faire

Offre de son service, et pour vous épouser.

AMINTE.

Adieu donc.

ÉMILIE.

Demeurez, nous l’entendrons jaser.

C’est quelque fat sans doute.

LISETTE.

Oui, si je ne m’abuse,

Il a tout le minois d’un sot et d’une buse.

ÉMILIE.

N’importe, il est Marquis, et je tiens qu’un butor

Pour une habile femme est un rare trésor.

LISETTE.

Madame, le voici.

 

 

Scène IV

 

LÉARQUE, HORTENSE, GUILLOT, ÉMILIE, AMINTE, LUCRÈCE, CORNÉLIE

 

LÉARQUE.

Fâché de vous voir veuve,

Et qu’enfin ma maison sans héritier se trouve,

D’Hortense notre ami j’ai suivi le conseil ;

Recevez de ma main ce Marquis sans pareil,

Ma fille, il me plaît fort.

AMINTE.

Quelle figure d’homme !

GUILLOT.

Pages, demeurez là. Si je n’ai point de pomme

Pour donner à Venus, je lui donne mon cœur,

Dont son œil égrillard se rend d’abord vainqueur.

ÉMILIE.

Le joli compliment !

AMINTE.

Ah l’esprit ridicule !

ÉMILIE.

Embarrassons-le un peu. Je suis assez crédule

Pour écouter, Monsieur, ce compliment de vous,

Sous l’espoir de vous voir aujourd’hui mon Époux.

GUILLOT.

Peste qu’elle a de hâte ! elle fait les avances.

ÉMILIE.

Puisqu’on m’en a déjà donné les assurances¸

Je crois devoir agir avec vous sans détour.

GUILLOT.

J’aurai tant moins de peine à vous faire l’amour :

Mais je crains bien d’entrer trop tôt en mariage,

Et vous n’en êtes pas à votre apprentissage.

LÉARQUE.

Monsieur, votre Marquis parle vu peu librement.

HORTENSE.

Peut-on être bien sage alors qu’on est Amant !

De plus, je vous ai dit qu’il est d’humeur gaillarde.

GUILLOT.

De vous remarier sans doute qu’il vous tarde.

AMINTE.

Le plaisant amoureux !

ÉMILIE.

L’amour qui traîne trop,

Comme il vient lentement, s’en retourne au galop,

Vous voyant si bien fait.

GUILLOT.

Elle mord à la grappe.

ÉMILIE.

Je crains avec raison qu’un tel mari m’échappe.

GUILLOT.

C’est bien fait ; car de moi mille cœurs sont épris,

Et vous me devez prendre avant que je sois pris.

Sachez que des Marquis je suis le quinte essence,

Et qu’avec l’Univers ma race prit naissance,

Voyez-vous ce bijou, tenez, c’est mon cachet,

Et vous y pouvez voir mes armes fort au net.

ÉMILIE.

Bon Dieu, que de quartiers !

GUILLOT.

Ce sont mes alliances.

LÉARQUE.

Ma fille, quel bonheur !

HORTENSE.

Sur toutes les Sciences,

J’ai toujours fait grand cas de celle du Blason.

Ces armes du milieu sont de votre maison ?

GUILLOT.

Justement.

LÉARQUE.

Qu’est ce donc ? dites le nous de grâce,

On ne les peut bien voir dans ce petit espace.

HORTENSE.

J’en meurs aussi d’envie, et vous en prie encor.

GUILLOT.

D’accord. Je porte donc trois têtes d’oison d’or,

Deux en chef, une en pointe.

HORTENSE.

En quel champ ?

GUILLOT.

Champ de gueule.

De toutes les couleurs je suis pour cette seule,

Car j’en ai tué mille, et le sang d’un oison

Est égal en rougeur au sang d’un furibond.

Des armes parlent haut, un chiffre est trop vulgaire.

Mon carrosse les porte et devant, et derrière,

Aux flancs, aux arc boutants qui portent l’aileron,

Elles font à ma porte, en ma salle, au perron,

Partout.

ÉMILIE.

Et pour cimier ?

GUILLOT.

Des armes importantes

Demandent plus qu’un chien les oreilles pendantes.

Ce timbre est trop commun.

HORTENSE.

Il ne le sera plus

Si l’on veut ajouter deux cornes au-dessus.

GUILLOT.

Pronostique assuré du futur cocuage,

Dès que l’aurai l’honneur d’entrer en mariage.

ÉMILIE.

Et l’Écusson enfin qu’a-t’il donc pour support ?

GUILLOT.

Deux Singes. Mes aïeux ne s’en piquaient pas fort :

Mais je veux les changer, ils ne me sauraient plaire.

Et je ne voudrais rien que d’extraordinaire.

Les Princes ont tout pris, les Lions, les Dragons,

Les Cerfs, les Léopards, les Aigles, les Griffons,

Je veux tant que je puis éviter les copies.

HORTENSE.

Je vous conseille donc de prendre deux Harpies.

La devise, le cri, tout cela doit porter

Quelque chose de grand, et qui puisse éclater.

Charles-Quint à courir avait si bonne haleine,

Qu’il prit très à propos, plus outre, pour la sienne.

Son Successeur avait, à quiconque en voudra.

GUILLOT.

Pour devise l’ai pris, Nul ne s’y frottera.

Pour cri, Tout au hasard.

LÉARQUE.

Monsieur, ne vous déplaise,

Si je vous ai laissé parler tout à votre aise,

C’est a fin de pouvoir vous apprendre à mon tour,

Que mon estoc au votre en doit peu de retour.

GUILLOT.

Ah ! cessons de parler chacun de notre race.

Suffit que des Marquis j’ai le port et l’audace.

AMINTE.

Vraiment en bonne mine il les surpasse tous.

GUILLOT.

Taisez-vous, s’il vous plaît, je n’en veux pas à vous.

ÉMILIE.

Elle est ma bonne amie.

GUILLOT.

Un peu trop ce me semble,

Et je vous guigne là quatre têtes ensemble,

Qui me portez bien l’air de n’avoir qu’un bonnet.

ÉMILIE.

Quoi ? vous fâcheriez-vous qu’on vous trouve bien fait ?

Chez qui vous faites-vous ajuster de la sorte ?

GUILLOT.

J’ai sans aller bien loin les baigneux à ma porte,

Et ne suis en nul lieu mieux que chez les Louvarts.

ÉMILIE.

Vous êtes sans mentir galant de toutes parts,

Et l’on ne peut assez louer votre perruque.

GUILLOT.

Ce qui m’en plaît le plus, elle couvre la nuque,

Et contre tous les vents lui sert d’un bon écran.

ÉMILIE.

Qui vous coiffe si bien ?

GUILLOT.

Si bien ? C’est Paysan,

Et je me sers toujours de ceux qui sont en vogue.

Des fameux en chaque art je tiens le catalogue.

Des marchands, des Tailleurs, des Baigneux, des Gantiers,

Des Parfumeurs, Lingers, Chapeliers, Cordonniers

Et de tout l’attirail que demande la mode.

AMINTE.

C’est des plus fins galants observer la méthode.

GUILLOT.

On ne demande pas sur cela votre avis,

Madame, qui portez souliers à pont-levis,

Pour paraître plus grande et de plus belle taille.

ÉMILIE.

La colère vous prend !

GUILLOT.

Ce n’est qu’un feu de paille,

Je me fâche et m’apaise ainsi cent fois le jour.

AMINTE.

Ah le bizarre esprit !

GUILLOT.

Ah la gueule de four !

Comme futur Époux, je vous enjoins, Madame,

De lui fermer la bouche, et lui chanter sa gamme,

Car elle cause trop, et fuyez ce défaut.

LUCRÈCE.

Cet homme pour un sot parle déjà bien haut.

CORNÉLIE.

Vous pourriez-vous tromper et prendre un fâcheux Maître.

ÉMILIE.

Je le rangerais bien, et si bien, que peut-être.

GUILLOT.

Dites moi, sont-ce là vos livres de raison,

Pour coucher la dépense et régler la maison !

C’est très bien fait à vous, l’aime les ménagères.

ÉMILIE.

Pauvre sot, je te plains, tu ne me connais guères.

GUILLOT.

Que dites-vous mon cœur ?

ÉMILIE.

Je dis tout bien de vous.

GUILLOT.

Avez-vous bonne main ? voyons.

ÉMILIE.

Ô Roi des fous !

GUILLOT.

Vous écrivez bien mal. Ce sont des pieds de mouche.

ÉMILIE.

C’est du Grec.

GUILLOT.

Du Grec !

ÉMILIE.

Oui.

AMINTE.

Peut-être êtes vous louche.

GUILLOT.

Vous vous trompez, Madame, et je vois assez net,

Pour remarquer en vous un certain air coquer.

 

 

Scène V

 

LÉARQUE, HORTENSE, ÉMILIE, AMINTE, LUCRÈCE, CORNÉLIE, GUILLOT, LISETTE

 

LISETTE.

Ah Madame ?

ÉMILIE.

Quoi donc voyez l’écervelée ?

LISETTE.

Je suis morte, j’ai vu.

ÉMILIE.

Quoi qu’est-ce ?

LISETTE.

En cette allée

Le Baron.

GUILLOT.

Quel Baron, et du plus fin aloi

Oserait affronter un Marquis comme moi ? 

Qu’il vienne.

ÉMILIE.

Achevez donc.

LISETTE.

Le Baron de la Roque.

ÉMILIE.

Quoi !

LISETTE.

Se promène ici !

ÉMILIE.

La folle.

GUILLOT.

Je m’en moque,

Quel qu’il soit, j’ai mon sabre, il en pourra tâter.

ÉMILIE.

Un papillon volant pourrait l’épouvanter,

Cent fois elle m’a fait un-monde d’un arôme,

Et le premier objet est pour elle un fantôme.

LISETTE.

Quoique vous en disiez, ma foi je vois bien clair,

Et si c’est un fantôme, il est d’os et de chair.

 

 

Scène VI

 

LÉARQUE, HORTENSE, LA ROQUE, ÉMILIE, AMINTE, LUCRÈCE CORNÉLIE, GUILLOT, LISETTE

 

LA ROQUE.

Il est temps d’approcher.

LISETTE.

Ah le voici, Madame !

LÉARQUE.

Que vois-je là ? mon gendre ! Ah Ciel !

ÉMILIE.

Ah ! je me pâme !

GUILLOT.

N’est-elle point sujette à tomber du haut mal ?

Quel diable de Baron ai-je là pour rival ?

LA ROQUE.

Monsieur, que faisiez-vous auprès de cette Dame ?

GUILLOT.

Ce qui me semblait bon. Page apporte ma lame.

LA ROQUE.

Savez-vous l’intérêt que j’ai de le savoir ?

GUILLOT.

Je dors bien sans cela.

LA ROQUE.

Je vous le ferai voir.

Allons.

LÉARQUE.

Tout doux, Messieurs.

GUILLOT.

Il fait le Diable à quatre ;

Baron, je suis Marquis, mais non pas pour me battre :

Et vous croyant d’ailleurs un fantôme à votre air,

Je m’échaufferais trop à ne battre que l’air ;

À tuer un esprit on n’acquiert point de gloire,

Ne nous battons doc point si vous m’en voulez croire.

LA ROQUE.

Ne raillons point, vous dis-je, et tranchons court et net,

J’ai trop de patience.

GUILLOT.

Ah !petit Baronnet,

À ce que je puis voir vous êtes bien colère.

Mais que vous ai-je fait qui vous puisse déplaire ;

Carie ne me bas point comme un désespéré,

Et je veux de la cause être bien assuré ;

Puis je vous montrerai si j’ai bien du courage.

LA ROQUE.

Ne me connais-tu pas ?

GUILLOT.

Non, je sors du Village,

Paris m’est tout nouveau, je ne vous connus onc ;

Je ne veux que la paix, que me voulez-vous donc ?

LA ROQUE.

Apprenez que je suis le mari d’Émilie.

GUILLOT.

N’avez-vous jamais eu quelque grain de folie ?

 

 

Scène VII

 

LÉARQUE, HORTENSE, LA ROQUE, ÉMILIE, AMINTE, LUCRÈCE, CORNÉLIE, LISETTE, GUILLOT, RAGOTIN

 

LÉARQUE.

Ha ! ma fille, on se moque de nous,

Hortense nous trahit pour se venger de vous ;

Bernez-moi ce Marquis, c’est un valet infâme,

Dont ce perfide ami voulait vous rendre femme,

Sous des habits d’emprunt il l’avait déguisé.

RAGOTIN.

C’est Guillot.

GUILLOT.

Me voilà bientôt démarquisé.

LA ROQUE.

C’est ce que d’une femme a produit la sottise.

GUILLOT.

Monsieur, retirons-nous avant qu’on nous le dise,

Je crains de ce Baron le chaud tempérament.

RAGOTIN.

Adieu donc camarade.

GUILLOT.

Adieu sans compliment.

LA ROQUE.

Sortez d’ici tous deux. Votre lâche imposture

Aura son châtiment.

ÉMILIE.

Quelle est mon aventure !

Avec tout font savoir mon esprit égaré,

D’un coup si surprenant s’est assez mal paré.

Est-ce bien mon mari ?

LISETTE.

C’est lui-même, Madame.

LA ROQUE.

Oui, c’est moi qui croyais être encore en votre âme,

Qui ne connais que trop qu’il faut peu vous prier,

Pour vous porter bientôt à vous remarier.

Mais un si beau dessein par mon retour échoue.

ÉMILIE.

Oui, ce retour, Monsieur, me surprend, je l’avoue.

Mais bien loin que j’aie eu la moindre affection.

Pour ce Marquis d’emprunt digne d’aversion,

Dès que je vous crûs mort, je jurai sur Sénèque,

De n’épouser jamais qu’une Bibliothèque.

C’était le seul mari que je voulais avoir,

Et je crois qu’avec vous je le puis recevoir ;

Ce sont de ces amis que sans honte et sans blâme,

Peut bien entretenir la plus honnêtes femme,

Et vous ne devez point en nourrir du souci.

LA ROQUE.

Non, mais de votre gloire, et de la mienne aussi.

Madame, à mon retour apprenez à mieux vivre,

Ôtez de mon logis jusques au dernier livre,

Chassez tous ces Auteurs qui vous troublent les sens,

Gouvernez la maison, et veillez sur vos gens.

ÉMILIE.

Quel est notre malheur ! maudite obéissance !

Et que l’homme a sur nous une injuste puissance !

Adieu Plutarque, adieu Sénèque ; adieu Platon,

Adieu Campanelle, Descartes, Casaubon.

Rentrons puisqu’il le faut, rentrons dans l’esclavage ;

Que tu m’as peu duré trop aimable veuvage !

LA ROQUE.

Madame, vous aurez un destin trop heureux,

Si vous savez répondre à mes soins amoureux.

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