Jaspin (Thomas SAUVAGE)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 1er mars 1839.

 

Personnages

 

JASPIN, chirurgien nomade

RIBOULOT, ancien marchand de toile

AZÉMA, sa fille

FRANCIS, jeune marchand de soieries, prétendu d’Azéma

LUDWIG, clerc de notaire, ami de Francis

ROLAND, négociant à Lisieux, ami de Riboulot

MADEMOISELLE CHAPRON, sage-femme

HECTOR, petit clerc

THÉRÈSE, bonne chez Riboulot

 

La scène se passe à Paris, en 1839.

 

Un salon chez Francis. Porte au fond conduisant au dehors. À droite, les magasins ; à gauche, les chambres d’habitation. Une table à gauche, fauteuils ; à droite, un bureau avec papiers, plumes, etc.

 

 

Scène première

 

FRANCIS, AZÉMA, RIBOULOT, THÉRÈSE

 

On déjeune. Riboulot est en robe de chambre ; Azéma est assise entre Francis et Riboulot ; Thérèse sert.

RIBOULOT, regardant sa serviette.

Oh ! oh ! mon cher Francis, voilà qui est beau ! Je m’y connais.

À sa fille.

Vois-tu, Azéma, c’est du linge damassé... et tout fil, ma foi ! ça vient de Flandres... en ai-je vendu, quand j’étais dans le blanc ! Je ne puis pas me sentir de la toile aux doigts sans nager dans la joie...

FRANCIS, qui paraît distrait et inquiet.

Vous faisiez un grand commerce de toiles, monsieur Riboulot ?

RIBOULOT.

Très considérable. Certes, la soie est une belle partie, et j’estime votre profession ; mais je préfère le blanc : je sais qu’il a des désagréments... qui est-ce qui n’en a pas ? Mais si la cretonne et le bernay sont récalcitrants et raboteux, la demi-hollande, l’hollande et la batiste ont bien des charmes et des douceurs ! Je n’ai eu qu’un seul instant fâcheux dans ma carrière commerciale.

FRANCIS.

Et comment cela ?

À part.

Ludwig ne vient pas !

RIBOULOT.

C’est quand il a fallu changer de mesures ! Vous comprenez, lorsqu’on a été bercé avec l’aune, se fourrer un mètre dans la tête, c’est dur... c’est ce qui me fit quitter le blanc... avec la mort de ma femme, dont je pris le deuil.

AZÉMA.

Mais, monsieur Francis, vous avez l’air inquiet ?

FRANCIS.

Non... mademoiselle...

À part.

Il n’aura pas réussi !...

AZÉMA.

N’attendiez-vous pas aujourd’hui monsieur votre père ?

FRANCIS.

Mais oui... je croyais... j’espérais...

RIBOULOT.

Alors, je conçois... il est âgé, monsieur votre père ?

AZÉMA.

Et puis s’il vient de loin...

RIBOULOT se lève de table, les autres l’imitent.

Monsieur votre père n’est pas dans le blanc ?

FRANCIS.

Non, monsieur...

RIBOULOT.

Tant pis... je lui aurais parlé blanc, il m’aurait répondu... il me répondra autre chose.

THÉRÈSE, à Azéma, montrant les magasins.

Hein ! mademoiselle, comme vous serez bien dans ce beau comptoir d’acajou, au milieu du’ magasin, avec un mari et une glace !...

Elle va et vient, dessert la table.

RIBOULOT.

Enfin, mon cher ami, vous avez voulu que nous vinssions, moi et ma fille Azéma, votre future, prendre connaissance de votre intérieur ; nous sommes enchantés de votre appartement comme nous l’étions déjà de votre moral.

FRANCIS.

Vous êtes trop indulgent, en vérité !

À part.

Je suis dans une inquiétude !...

RIBOULOT.

Je vous étudiais depuis longtemps, moi votre voisin, logé sur le même carré. C’est un excellent observatoire, voyez-vous... on sait tout ce qui entre, tout ce qui sort.

Air du vaudeville de l’Apothicaire.

Trop souvent quelque objet suspect,
Chez un jeune homme peu sévère,
S’introduit, fraudant sans respect
Les droits de l’Église et du maire ;
J’étais là comme un douanier,
Tout prêt à vous mettre à l’amende ;
Mais, je ne saurais le nier,
Je n’ai pas vu de contrebande.

Je pris alors des renseignements... Oh ! oh ! me dit-on, monsieur Francis... jeune homme sage, rangé, comme son magasin ; conduite qui ne fait pas le plus petit pli... puis une bonne maison, qui lui a été cédée par son patron avec d’immenses avantages en récompense de ses bons et loyaux services... ma foi ! je vous l’avouerai, j’étais si content de vous, que je vous aurais, je crois, offert la main de ma fille, si vous n’étiez pas venu me la demander.

FRANCIS.

Que de bonté ! croyez que je suis bien reconnaissant...

RIBOULOT.

Aussi tout a été bientôt convenu, et nous n’attendons plus pour terminer que votre respectable père, monsieur...

On frappe à la porte.

FRANCIS.

Ah !... Ce n’est pas lui !

 

 

Scène II

 

FRANCIS, MADEMOISELLE CHAPRON, RIBOULOT, AZÉMA

 

MADEMOISELLE CHAPRON, à la porte du fond.

Pardon, pardon, je vous dérange... je vais passer par l’allée.

FRANCIS.

Non, entrez donc, mademoiselle Chapron.

À part.

Elle détournera la conversation.

RIBOULOT, avec mépris.

Ah ! la sage-femme du cinquième.

MADEMOISELLE CHAPRON.

Tiens ! tiens ! tiens ! il y a du nouveau ; je m’en doutais.

FRANCIS.

Peut-on vous offrir ?...

MADEMOISELLE CHAPRON.

Oh ! rien ! merci...

Thérèse va emporter les bis cuits.

Je prendrai seulement ces biscuits pour mes petits élèves.

Thérèse sort.

Vous savez que je me livre à l’éducation primaire des enfants, depuis leur naissance jusqu’au sevrage inclusivement... J’aime tant les enfants ! cette partie si essentielle de l’humanité qu’on ne saurait la supprimer sans les plus graves inconvénients pour l’âge mûr.

RIBOULOT, d’un air de doute.

Oh ! oh !

MADEMOISELLE CHAPRON.

Air de la ronde du Serment.

Les enfants !
Oui, je les défends ;
Tout l’espoir du monde
Sur eux seuls se fonde.
Les enfants !
Oui, je les défends.
De ces innocents
Puissé-je avoir deux cents !
Ô classe intéressante
De la société,
Rien ne te représente ;
Point de droit de cité !
Mais tous tant que nous sommes,
Et fiers et triomphants,
Aurions-nous des grands hommes
Sans les petits enfants ?...

RIBOULOT.

C’est une question !

Reprise.

MADEMOISELLE CHAPRON. !

Les enfants !
Oui, je les défends,
etc.

Mais, mon Dieu ! je suis bien indiscrète ! Je me rendais au magasin pour acheter du taffetas rose... Une de mes pensionnaires vient de faire cadeau à la patrie d’une citoyenne du sexe féminin, et en passant par votre salon, ça m’abrège... Mais dites donc, monsieur Fran cis, si je vous donne ma pratique, il faut me donner la vôtre.

FRANCIS.

Comment ?

MADEMOISELLE CHAPRON.

Vous me connaissez : Mademoiselle Chapron, sage-femme reçue à la Maternité, brevetée pour les biberons incorruptibles.

Elle tire un biberon de sa poche. À Riboulot.

Tenez, voyez, monsieur, si ce n’est pas un charme de s’alimenter avec ça... Vous téteriez, si vous vouliez.

RIBOULOT.

Puah ! Mais, mademoiselle Chapron, nous n’ayons pas besoin de biberons.

MADEMOISELLE CHAPRON.

Vous, non ; mais il viendra des amateurs... bientôt, hein ! n’est-ce pas, monsieur Francis ?

RIBOULOT.

Mademoiselle Chapron, nous avons ici des oreilles chastes...

MADEMOISELLE CHAPRON.

Ah ! monsieur, n’ayez pas peur ! je ne dirai rien que la pudeur et l’innocence la plus entière ne puisse entendre. Je suis sage-femme reçue à la Maternité ; j’ai de l’expérience, des mœurs et de la discrétion... il en faut tant !...

RIBOULOT.

Parbleu ! vous savez bien des choses, vous autres, et vous connaissez plus d’un enfant élevé aux frais du gouvernement.

FRANCIS, à part.

Comme il m’a regardé !

MADEMOISELLE CHAPRON, soupirant.

Hélas ! monsieur, il y a des circonstances si terribles pour les pauvres mères !...

La porte s’ouvre.

FRANCIS, à part.

Ah ! Ludwig, enfin !...

MADEMOISELLE CHAPRON.

Voici du monde. Messieurs, mademoiselle, votre servante, Monsieur Francis, je vais vous inscrire ; et puis d’ailleurs, au premier cri j’accours.

Ensemble.

Air.

MADEMOISELLE CHAPRON.

Adieu, je vous laisse ;
Mais je vous revois,
J’en ai la promesse,
Avant douze mois !

FRANCIS, RIBOULOT et AZÉMA.

Ce ton qui me blesse,
Ces propos grivois,
J’en fais la promesse,
N’auront pas mon choix.

Elle sort par la droite ; Ludwig est entré.

 

 

Scène III

 

LUDWIG, FRANCIS, RIBOULOT, AZÉMA

 

FRANCIS, avec impatience.

Eh bien ?...

LUDWIG.

Bonne nouvelle, cher ami ; ton père me suit.

FRANCIS.

Mon père ! tu es bien sûr ?...

LUDWIG.

Parbleu ! je l’ai parfaitement reconnu.

FRANCIS.

Ah !

LUDWIG.

Il n’est pas changé, toujours un vigoureux compère.

RIBOULOT.

Ah ! il se porte bien, ce bon monsieur ?...

LUDWIG.

Jaspin.

RIBOULOT.

Monsieur Jaspin !

LUDWIG.

Monsieur Jaspin.

Bas à Francis.

Ton père s’appelle Jaspin.

AZÉMA, à Francis.

Vous voilà tiré d’inquiétude.

RIBOULOT.

Ma foi ! et moi aussi.

FRANCIS.

Vous, monsieur !...

RIBOULOT.

Eh bien ! oui : je vous l’avouerai... Je grillais d’impatience, que j’en avais une sueur froide... Il me passait toutes sortes d’idées par la tête... Je ne vous avais jamais vu écrire votre nom de famille...

FRANCIS.

Ma signature commerciale connue était celle de Francis, je ne pouvais la changer.

RIBOULOT.

Sans doute ; mais je ne vous avais jamais entendu nommer monsieur votre père ; et vraiment je craignais que vous n’en eussiez pas.

FRANCIS.

De père !

RIBOULOT.

Que vous n’en eussiez jamais eu... vous comprenez.

FRANCIS.

Quelle idée !

LUDWIG

Il y a de fort honnêtes gens qui ont ce malheur.

Air de Turenne.

Et Romulus, et Roland, et Pizarre,
Saxe, Dunois, Guillaume-le-Normand,
N’ont pas vaincu ce préjugé bizarre ;
L’on fait encor peser sur un enfant
La faute, hélas ! dont il est innocent !
Ô monde absurde ! accorde ton estime
À tant de gens sans vertu, sans talent ;
N’inflige pas, au moins, de châtiment
Où l’on ne peut trouver un crime.

RIBOULOT.

Possible ! mais j’ai en horreur les Antony, et alors tout était fini entre vous. C’était pénible : mais je vous le dis, je n’aurais certainement pas donné ma fille à un enfant... apocryphe... Heureusement il n’en est pas ainsi : M. Jaspin arrive, et je suis enchanté... Je vais faire un peu de toilette pour le recevoir convenablement... À tantôt, mon gendre Francis Jaspin !... à tantôt.

Il sort avec Azéma.

 

 

Scène IV

 

LUDWIG, FRANCIS

 

LUDWIG.

Vivat, mon cher ! nous tenons notre père !

FRANCIS.

Bien vrai ! tu en as un ?

LUDWIG.

Parfaitement constitué.

FRANCIS.

Merci, mon cher ami, merci ! Tu le vois, M. Riboulot commençait à concevoir des soupçons. Avec ses préjugés gothiques, tout serait rompu ; il faudrait renoncer à ma chère Azéma.

LUDWIG.

Tu ne renonceras à rien ; il veut un père... nous lui servons le père demandé !... Que de fois en voyant à l’Odéon l’Enfant trouvé, cette jolie comédie, je m’étais dit : Oh ! ruse ingénieuse inventée par Picard ! je ne t’oublierai pas si jamais j’éprouve le besoin d’un père ; car, ainsi que toi, je suis privé de cet agrément... ainsi que toi, je suis élève de cette maison d’éducation fondée par saint Vincent-de-Paule... ce n’est pas que j’en rougisse ! Nous avons fait tous deux notre chemin... toi chez un marchand de soie qui t’a laissé son fonds ; moi dans le notariat, où de saute-ruisseau je suis devenu maître-clerc... Va, ce n’est pas toujours un bonheur, d’avoir une famille ! Combien de frères et sœurs qui se détestent, se plaident, se dévorent, s’arrachent les lambeaux de la succession paternelle... nous sommes du moins assurés contre cette grêle !

FRANCIS.

Mais, dis-moi, tu es bien sûr que ce que nous faisons est légal ?...

LUDWIG.

Écoute, mon cher François... non, Francis, puisque, toujours comme moi qui de Louis ai fait Ludwig, tu as changé ton nom commun contre un plus distingué... quand on n’en a qu’un, encore faut-il qu’il soit présentable ! Écoute : Clerc sans fortune, et par conséquent sans espoir de parvenir au notariat, je me suis cependant livré avec persévérance au travail de la chicane : comme les duellistes vont au tir pour apprendre non à se défendre mais à tuer leur homme, de même j’ai fréquenté le Palais, hanté les études, pour connaitre le défaut de la cuirasse du code, l’endroit vulnérable du contrat, en un mot pour apprendre à tuer la loi... Ainsi donc, tu peux t’en rapporter à ma science : cet homme se déclare ton père et te reconnaît pour son fils dans les termes voulus, donc tu es son fils.

FRANCIS.

À la bonne heure.

LUDWIG.

Il ne s’agit plus que de faire dresser les actes : on les prépare à l’étude ; une fois enregistrés, inscrits à la mairie, te voilà son héritier, fût-il riche comme le feu roi de Madagascar... ce que je ne crois pas, car il m’a paru entièrement dénué de toutes valeurs métalliques ou commerciales.

FRANCIS.

Et comment t’es-tu arrangé ?

LUDWIG.

Je n’ai rien arrangé... je passais par la cour des Messageries, cherchant une physionomie de père sur tous les visages ; lorsque j’avise sur l’impériale d’une diligence un gros bonhomme à face de viveur, accompagné d’une mise de naufragé... il descend, réclame avec l’importance d’un milord une valise flasque et molle, à plis nombreux comme le gilet d’un gastronome en convalescence ; le conducteur de son côté demande le prix du voyage... la discussion s’échauffait... Je ne sais par quelle heureuse inspiration je m’interpose entre les contendants ; j’engage le voyageur à laisser en dépôt la pomme de discorde, et à venir prendre au café... n’importe quoi ; sans hésiter il accepte ; je lui offre un petit verre de kirsch, il confisque à son profit le carafon... ce symptôme me plaît ! j’aborde la question : « Voulez-vous être père ? » Il comprend tout autre chose, mais ne s’effarouche pas ; j’avais trouvé mon homme. Je m’explique, il accepte : je cours avec lui à l’étude où je le laisse entre les mains d’Hector, mon élève, qui prend ses noms et va nous l’amener pour stipuler les dernières conditions... Tiens, le voici.

 

 

Scène V

 

HECTOR, LUDWIG, JASPIN, FRANCIS

 

LUDWIG.

Entrez, monsieur Jaspin, entrez...

HECTOR.

Tout est disposé, voici les actes ; il n’y a plus qu’à signer et à faire enregistrer.

LUDWIG.

Bravo, mon élève ! tu seras mon maître-clerc, quand j’aurai un cabinet.

FRANCIS, à part.

Ah ! quelle tournure !

JASPIN.

Il est gentil, ce petit !

HECTOR.

C’est un fameux farceur, allez ! il m’a fait prendre un petit verre de rhum, que j’ai payé.

JASPIN.

Politesse pour la passation des actes.

Montrant Francis.

C’est sans doute à mon fils que j’ai l’honneur de présenter mes respects ?

FRANCIS.

Oui, monsieur.

JASPIN.

Enchanté de faire votre connaissance... Joli garçon ! bien meublé... ça ne me compromet pas.

Ludwig, Jaspin et Francis s’asseyent.

LUDWIG.

Ainsi donc, nous disons que vous êtes père de monsieur Francis, jeune négociant, qui a fait une brillante fortune par sa bonne conduite et par son travail.

JASPIN.

Très bien !... j’adore le travail et la conduite... chez les jeunes gens.

LUDWIG.

Monsieur Francis va se marier.

JASPIN.

Bon ! une noce, ça me va.

FRANCIS.

Nous signons aujourd’hui le contrat.

JASPIN.

Après dîner, sans doute ?... parfait !...

FRANCIS.

Vous savez signer ?

JASPIN.

Avec paraphe. Je donne de dot... cent, deux cent mille francs ? ça ne me coûte rien... je suis grand, je suis très grand.

Air : Ne dites rien.

Avec moi, mon cher, nulle feinte,
Tous vos désirs me deviendront sacrés ;
Sans m’appauvrir, parlez sans crainte,
Je donnerai tout ce que vous voudrez.
D’ailleurs pour type et pour modèle
J’ai pris le grand pélican blanc !
Telle est ma bonté paternelle,
Pour nourrir mon fils de mon sang,
Je suis tout prêt à déchirer mon flanc,
Comme le grand pélican blanc !

LUDWIG.

On ne vous demande rien.

JASPIN.

Vous avez tort ! Ah çà ! et vous, monsieur mon fils, qu’est-ce que vous me priez d’accepter ?

LUDWIG.

Six cents livres de rente viagère, assurée par contrat, capital déposé... à dépenser loin de Paris...

Tous trois se lèvent.

JASPIN.

Ah ! fi donc !...

FRANCIS.

Comment ?

JASPIN.

Vous badinez !

LUDWIG.

Mais mon cher...

JASPIN.

Demandez aux correspondants dramatiques, aux marchands de comédiens, qu’est-ce qu’on peut avoir pour ce prix-là, en fait de père ? du rebut, du défectueux, de l’avarié !

LUDWIG.

Cependant...

JASPIN.

Voyons ; examinez un petit peu l’article que vous marchandez : ce n’est pas un criquet de père ; c’est un père bien étoffé, qui a des entrailles et du ventre. Ça représente, ça fait honneur au bout d’une table ; et des cheveux gris, de jolis cheveux gris, ce qui est très respectable... ah ! des bras que j’oubliais, de grands bras pour bénir ; c’est essentiel, vous allez vous marier... un manchot serait ridicule... enfin un père complet comme un omnibus à seize...

LUDWIG.

Sans doute ! mais six cents francs de rente...

JASPIN.

Allons donc ! un morceau de pain ! vous n’y pensez pas... Voyez ailleurs, voyez chez Colignon, chez Touchard, voyez... et vous me donnerez la préférence, j’en suis sûr... six cents francs ! un père ayant de l’éducation, de la tenue ; ancien chirurgien nomade, extirpateur de cors sur les grandes routes, et arracheur de dents sur les places publiques... et puis je joins les talents d’agrément : la danse, le chant ; j’ai une basse-taille, ça résonne... enfin, je suis propre à toutes les circonstances et situations comiques, dramatiques ou domestiques où un père peut être utile et agréable !

Il se campe fièrement.

FRANCIS, bas à Ludwig.

Ah ! quel homme m’as-tu amené là.

LUDWIG, de même.

Oui, il est un peu excentrique ; mais, que veux-tu, dans cette marchandise-là, on n’a pas le choix ; et, à présent que nous l’avons annoncé, que l’on connaît son nom, il est difficile de reculer.

JASPIN.

Eh bien ! avez vous examiné l’objet ?

FRANCIS.

Eh ! bien, quinze cents francs.

JASPIN.

Quinze cents !... Allons, c’est parce que c’est vous et que je veux avoir votre pratique... Va comme il est dit... « J’ai quinze cents livres de rente ! » comme Saint-Albin dans le Père de famille ; j’ai joué ça autrefois, j’étais charmant dans les amants... à présent les pères nobles, la haute paternité !... À propos, il faut garnir le gousset à papa, pour les cigares, petits-verres, et autres menus-plaisirs.

Francis lui donne de l’argent.

Quatre-vingts francs ! Ah ! bon ! tu n’as que ça sur toi... très bien ! ne te dérange pas ; quand tu iras à ta caisse, je te suivrai... Ah ! nous avons encore le chapitre de la tenue... c’est un peu rafalé... J’arrive de voyage, ça peut passer ; mais demain, mais à la noce, lu me feras couvrir convenablement, j’espère ?

FRANCIS.

Je vous donnerai l’adresse de mon tailleur.

JASPIN.

Suffit... Je commanderai, tu paieras... dépens compensés.

LUDWIG.

Tout est bien arrêté, convenu ; maintenant signons.

Hector a disposé les actes sur une table.

JASPIN, signant.

Signons ! Entre honnêtes gens la signature vaut une parole... Vous, les quinze cents livres ; moi, la paternité... donnant donnant... l’affaire n’est pas mauvaise, allez... vous verrez à l’user... Là ! il n’y a plus à s’en dédire.

LUDWIG.

Sauf l’enregistrement et l’insertion à l’état civil.

JASPIN, serrant Francis dans ses bras.

Mon fils ! mon cher fils ! Eh bien ! c’est drôle ! je sens là quelque chose... ça me... ah ! je sais ce que c’est : j’ai faim ! Je n’ai pas déjeuné... Fais-moi donner à manger, hein ! un morceau sous le pouce, un jambon !

FRANCIS.

Je vais donner des ordres...

À part.

Que n’en suis-je déjà débarrassé !

Haut.

Hector, je vais te donner de l’argent pour l’enregistrement, et hâtons-nous de régulariser tout cela... Tu viendras prendre monsieur pour le conduire à la mairie.

Ludwig, Francis et Hector sortent par la gauche.

 

 

Scène VI

 

JASPIN, seul

 

Excellente opération ! Quinze cents francs de rente ! J’aurais arraché les canines, les incisives et les molaires de toute la nature, que je n’aurais jamais amassé cela ! c’est à peine si j’avais de quoi manger avec mes dents... Et obligé de vivre en province ? ça me botte !... je ne risquerai pas de retrouver cet objet suranné qui m’a si longtemps pesé sur le cour... Pauvre Sydonie ! C’était même une imprudence de venir à Paris... mais il fallait échapper aux huissiers de Lisieux lancés par cette autre vieille folle qui avait une dent contre moi, la seule qui lui restât... et pourquoi ? parce que je lui avais fourni, au prix courant de douze cents francs payés d’avance et mangés idem, une charmante mâchoire de veau qu’elle prétendait ne pouvoir lui aller... Bégueule !... elle faisait la petite bouche ! est-ce que ça me regarde ? Et son frère qui me poursuivait... oh ! mais c’est que j’étais happé... La diligence partait, je m’élance à la courroie, je m’installe sur l’impériale ; et j’arrivais à Paris, sans argent, sans projet, sans ressource... quand je rencontre ce brave monsieur qui me vaut quinze cents livres de rente et un fils... Bénie soit la main qui m’étrenne !... Joignez à cela : mon industrie, l’article écarté, bouillotte, quelques cors que j’extirperai pour mon plaisir, quelques carottes plus ou moins longues que je tirerai à mon adoré fils, mon eau Nigritienne pour noircir les cheveux, blanchir les dents, marquer le linge, cirer les gibernes, et détruire les punaises... je dois mener une existence de satrape.

 

 

Scène VII

 

JASPIN, THÉRÈSE

 

THÉRÈSE, portant un plateau servi.

Monsieur, à déjeuner.

JASPIN, s’attablant.

J’accepte. Qu’est-ce que c’est que ça ?

THÉRÈSE.

Du pâté de foie-grasse.

JASPIN.

Je n’ai point de haine contre lui.

Air de l’Anonyme.

Versez à boire, allons, petite bonne...
Comme au bonheur aisément je me fais !
En grand seigneur je m’établis, j’ordonne.
Ah ! que de gens en moi je reconnais !
« Fi ! des honneurs, du pouvoir, des richesses !... »
Un coup du ciel vous les fait posséder ;
On s’y cramponne, et jusques aux bassesses
On fera tout, oui, tout pour les garder.

À boire !

THÉRÈSE.

Voici.

JASPIN.

Le bouquet est agréable... tiens ! et la petite aussi... Ah ! ah ! mon gaillard de fils a des caméristes dans ce gout-là !... Peste ! le fripon !... il était temps que j’arrivasse et que je le mariasse...

Petite bonne agaçante et jolie...

THÉRÈSE.

Mais, monsieur, je ne suis pas à M. Francis.

JASPIN, mangeant avidement.

Ah ! ah ! à qui es-tu donc ?

THÉRÈSE.

Je suis chez M. Riboulot ; mais comme M. Francis a renvoyé son domestique, en al tendant qu’il soit marié, je le sers.

JASPIN.

C’est différent... prends que je n’ai rien dit, faisons la paix, je te pardonne, embrasse moi.

THÉRÈSE.

Ah ! monsieur...

JASPIN.

Les papas, ça s’embrasse sans difficulté... ah ! si j’étais un jeune homme, je ne dis pas.

THÉRÈSE.

Eh bien ! si vous étiez un jeune homme, je ne dis pas non plus.

JASPIN.

Ah ! méchante !

Il veut lui prendre la main par-dessus la table ; il renverse des assiettes.

THÉRÈSE, se sauvant.

La ! patatras !

 

 

Scène VIII

 

HECTOR, JASPIN

 

HECTOR, entrant un sac d’argent à la main.

Bravo ! papa Jaspin !

JASPIN.

Jeune homme, il ne faut pas juger sur les apparences ; tu as pu croire que je voulais embrasser cette jeune fille, pas du tout : je voulais examiner sa mâchoire, c’est ma partie.

Il quitte la table.

HECTOR, posant le sac sur la table.

Il paraît qu’elle n’entend pas de cette oreille là... Ah çà ! partons.

JASPIN.

Je te suis... encore un coup... et toi, tiens, avale... ça te fera pousser des moustaches... et puis, nous fumerons un cigare en route : c’est stomachique...

Hector reprend le sac d’argent.

Ah ! tu as de l’argent ?

HECTOR.

Oui, pour l’enregistrement.

JASPIN.

Et moi aussi, j’en ai des pièces cent sous... ohé ! ohé !...

Il jette une pièce en l’air.

Tiens, au franc-carreau, franc !

HECTOR.

Non !

JASPIN.

C’est pour toi.

HECTOR.

Pour moi ! est-il bon enfant !

JASPIN.

Ma revanche.

Il jette une autre pièce.

Encore pour toi !

Une autre.

HECTOR.

Toujours !

JASPIN.

Le petit brigand a-t-il du bonheur !

 

 

Scène IX

 

HECTOR, JASPIN, MADEMOISELLE CHAPRON

 

MADEMOISELLE CHAPRON, entrant par la droite.

Vous êtes trop aimables, messieurs !... Je ne porte plus de rose... les chagrins, les douleurs l’ont rendu incompatible avec mon teint !...

JASPIN.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

MADEMOISELLE CHAPRON.

Ces jeunes commis sont très galants... ah ! si l’on n’avait pas une passion au cœur, et des convenances à respecter...

JASPIN.

Oh ! cette vieille folle !

MADEMOISELLE CHAPRON.

Hein ! quel est ce grossier personnage ?

JASPIN.

Grossier... dites donc, ma chère, savez-vous que vous parlez au père de la maison ?

MADEMOISELLE CHAPRON.

Comment, au père ? vous ?

JASPIN.

Oui, moi...

MADEMOISELLE CHAPRON.

Attendez... ah ! mon Dieu ! qu’ai-je vu !

Elle tombe sur un fauteuil.

JASPIN.

Qu’est-ce qu’elle a, cette femme ?... elle fait une horrible grimace !... une dent qui vous gêne ?... il n’y a rien qui change le caractère comme ça... je vais vous rendre l’air serein... mon devoir est de soulager l’humanité souffrante... ouvrez la bouche.

Il s’approche, une pince à la main.

MADEMOISELLE CHAPRON, lui donnant un soufflet.

Traître !

JASPIN.

Quel souvenir ! je suis frappé.

MADEMOISELLE CHAPRON.

Me reconnais-tu ?

JASPIN.

C’est elle ! quelle rencontre !... diable ! évitons les confidents...

À Hector, en le poussant vers la porte.

Petit, j’ai affaire à madame... un chicot à extirper... va m’attendre au café du coin... prends ce que tu voudras... je te suis... allons, file !...

HECTOR.

Dépêchez-vous. Je vous attends.

Il sort.

 

 

Scène X

 

JASPIN, MADEMOISELLE CHAPRON

 

MADEMOISELLE CHAPRON.

Ah ! je te retrouve donc, séducteur !

JASPIN.

Ah ! Sydonie ! c’est toi qui m’as séduit, fasciné ! enchanteresse ! Armide !

À part.

Il faut l’amadouer.

MADEMOISELLE CHAPRON.

Est-ce moi que tu viens chercher ici ?

JASPIN.

Eh ! qui donc ? toujours chérie !

À part.

Si j’avais su la rencontrer, par exemple !...

MADEMOISELLE CHAPRON.

Isidore, tu es un monstre.

JASPIN.

Tais-toi, tu me perds.

MADEMOISELLE CHAPRON.

Un être immoral !

JASPIN.

Chut ! on peut venir ! si l’on t’entendait !

MADEMOISELLE CHAPRON.

Je le dirai à l’univers... à tout Paris... à toute la maison !...

JASPIN, à part.

Et l’acte qui n’est pas en règle !... diable !

Haut.

Air de l’Écu de six francs.

Allons, deviens donc raisonnable,
Et pardonne un instant d’erreur ;
L’inconstance rend plus aimable ;
L’homme à femme est toujours trompeur,
J’en conviens, je fus un trompeur.
Mais j’accours plus épris, plus tendre ;
Ainsi nous aurons su goûter
Et le plaisir de nous quitter,
Et le bonheur de nous reprendre.

MADEMOISELLE CHAPRON, pleurant.

M’avoir abandonnée, réduite à me faire sage-femme !...

JASPIN.

Tiens ! l’état est bon et la consommation assurée.

MADEMOISELLE CHAPRON.

À vivre avec des biberons !

JASPIN.

Comment vivre avec... des Œnophiles ! jolie société !

MADEMOISELLE CHAPRON.

Eh ! non...

Elle lui présente un biberon.

JASPIN.

Oh ! bon ! sorte de cornet à piston pour les marmots.

MADEMOISELLE CHAPRON.

Qu’est devenu notre enfant ?

JASPIN.

Sydonie, tu me l’avais planté sur les bras, ce qui n’était commode ni pour lui ni pour moi...

MADEMOISELLE CHAPRON.

Ah ! l’infâme !

JASPIN.

Tais-toi donc ! tu vas compromettre ma fortune...

MADEMOISELLE CHAPRON, s’adoucissant.

Tu as une fortune, cher ami !

JASPIN.

Oui, considérable !

MADEMOISELLE CHAPRON, le caressant.

Ce bon Jaspin !

JASPIN, à part.

Endormons-la, une histoire !...

Haut.

Écoute : cet enfant, je l’ai retrouvé...

MADEMOISELLE CHAPRON.

Est-il possible ?

JASPIN.

J’avais pris des précautions... une marque...

MADEMOISELLE CHAPRON.

C’est moi qui l’ai faite, me méfiant de ta scélératesse !

JASPIN.

Eh bien ! grâce à cette marque, j’ai pu le réclamer, le chercher !...

MADEMOISELLE CHAPRON.

Où est-il ?

JASPIN.

Ici... sous le nom de Francis, auquel il adjoint, dès aujourd’hui, le nom honorable de Jaspin.

MADEMOISELLE CHAPRON.

M. Francis, le maître de la maison, c’est mon fils !

JASPIN.

Parfaitement ; mais silence ! Ignorant le destin d’une tête si chère, et si j’aurais jamais le bonheur ineffable de le revoir, chère amie, je ne lui ai pas soufflé le mot de ton existence ni de ta maternité.

MADEMOISELLE CHAPRON, voulant sortir.

Je lui en parlerai, moi !

JASPIN, la retenant.

Un instant ! il se marie...

MADEMOISELLE CHAPRON.

Je le sais.

JASPIN.

Eh bien ! tu ne peux pas tomber au milieu de la noce comme un projectile ! retrouver ainsi tout-à-coup un père, une mère comme nous ça pourrait le gêner momentanément !

MADEMOISELLE CHAPRON.

En effet... cependant je voudrais...

JASPIN.

Laisse à ma tendresse le soin de préparer la reconnaissance, d’amortir le coup du bonheur ; et puis je te présente, je te déclare, tu triomphes et tu abandonnes les moutards aux biberons, ou les biberons aux moutards, pour vivre à jamais en rentière, en électrice, en éligible... tu as l’âge... dans le sein de l’amour conjugal et de la piété filiale... Tableau !!!

MADEMOISELLE CHAPRON.

Mais je ne comprends pas...

JASPIN.

Inutile !... silence et discrétion !

À part.

Le mariage terminé, je vole vers les départements... ni vu ni connu...

MADEMOISELLE CHAPRON, avec âme.

Air : Ah ! comme il lui ressemble !

Quelle douce espérance !
Auprès de moi, toujours,
J’en ai donc l’assurance,
Tu vas couler les jours !

JASPIN.

Oui.

À part.

Je retiens d’avance,
Dans trois jours au plus tard,
Place à la diligence
De Lafitte et Caillard.

Haut.

Quelle douce espérance !
Auprès de toi, toujours,
Reçois-en l’assurance,
Je coulerai mes jours !

On vient ! disparais !

MADEMOISELLE CHAPRON, en sortant, s’arrête devant Francis, et pousse un gros soupir.

Ah !

Elle sort vivement.

 

 

Scène XI

 

AZÉMA, RIBOULOT, FRANCIS, JASPIN

 

RIBOULOT, étonné.

Qu’est-ce qu’elle a donc, mademoiselle Chapron ?

JASPIN.

Cette femme a les yeux hagards, méfiez-vous, je la crois aliénée !

FRANCIS, à Riboulot.

J’ai l’honneur de vous présenter mon père.

RIBOULOT.

Ah ! monsieur... bien flatté, en vérité.

FRANCIS, à Jaspin, en le faisant passer près de Riboulot.

Mon futur beau-père et sa fille.

JASPIN, frappant du pied et écrasant l’orteil de Riboulot.

Ah ! sacrebleu ! je suis désespéré !

RIBOULOT, avec politesse et douleur.

Comment ! Oye ! oye !

JASPIN.

Non ! je ne m’en consolerai pas ! quand j’au rais dû me transporter moi-même chez monsieur Riboulot, me laisser prévenir, oh ! oh !

RIBOULOT, affectueusement et boitant.

Oye ! Entre nous point de cérémonie ; vous arrivez de voyage.

À Francis.

Il a bien l’air d’un parfait honnête homme... Oye !

JASPIN, à part.

Bonne boule de jobart, le beau-père !

À Francis.

On a du monde, de la tenue.

À Azéma.

Et ma jolie bru, veut-elle me permettre de l’embrasser ?

AZÉMA.

Avec plaisir, monsieur.

JASPIN.

Nous dirons papa, j’y tiens...

Il l’embrasse Francis le tire par l’habit.

Hein ! quoi ?

À Azéma.

Papa !

Il l’embrasse de nouveau. À Francis.

Heureux coquin, va ! tu possèderas un trésor !

 

 

Scène XII

 

AZÉMA, RIBOULOT, FRANCIS, JASPIN, THÉRÈSE

 

THÉRÈSE, portant sur le bras une valise entièrement vide.

Votre valise que l’on apporte,ܕ monsieur !

JASPIN.

Ah ! bon ! Paye, mon fils.

THÉRÈSE.

Et puis l’on demande le prix du voyage.

JASPIN.

C’est juste, je n’avais pas de monnaie : de l’or ou des billets de banque... Paye, mon fils.

FRANCIS.

C’est insupportable !

JASPIN, à Riboulot.

Il adore son père... Ah çà ! et mon petit clerc que j’oublie !

FRANCIS, le poussant rudement.

Comment ! cet acte n’est pas terminé ?

Bas à Jaspin.

Vous moquez-vous de moi !

JASPIN.

Il est plein de respect pour son père ! dans un instant c’est fini, sois sans inquiétude. À revoir, mon cher monsieur Riboulot... À bientôt, ma bru.

Air : Vite, il faut se rendre (Galop de Marlborough).

Pardon si je vous quitte
Un moment,
Ici je reviens vite
Dans l’instant.

Embrassant Azéma.

Permettez...

FRANCIS, le tirant par son habit.

J’espère
Que vous allez en finir.

JASPIN.

Jaloux de son père !
C’est trop fort !... Pour le punir,
Encore un, ma chère ;
Cette manière d’agir
Lui fait le caractère...
À moi, ça me fait plaisir.

Ensemble.

JASPIN.

Pardon si je vous quitte, etc.

FRANCIS.

Enfin donc il nous quitte, etc.

RIBOULOT et AZÉMA.

Puisqu’il faut qu’il nous quitte, etc.

Jaspin sort.

 

 

Scène XIII

 

AZÉMA, RIBOULOT, FRANCIS

 

RIBOULOT.

Il est très gai, très aimable, monsieur votre père.

FRANCIS, enrageant.

Oui... oui !...

RIBOULOT.

Et moi, quine suis pas antipathe à la joie, nous frayerons bien ensemble... C’est surtout avec Roland, mon ami Roland de Lisieux qu’il sera bien ! en vont-ils faire et dire !...

FRANCIS.

Qu’est-ce que monsieur Roland ?

AZÉMA.

Mon parrain.

RIBOULOT.

Il vient pour signer au contrat... dame ! c’est un ami de trente ans ! nous étions ensemble dans le blanc... et il y faisait des siennes.

FRANCIS.

Comment ?

ROLAND.

Dans le blanc, on est assez mauvais sujet, parce que les occasions, les petites lingères ne manquent pas... vous m’entendez... et je lui ai connu plus d’une intrigue...

FRANCIS.

Ah ! c’est un gaillard !...

RIBOULOT.

Un ancien gaillard... retiré, comme moi, du commerce.

On entend Roland en dehors.

ROLAND, en dehors.

Il n’est pas chez lui ! chez son gendre ? j’y vais.

AZÉMA.

Ah ! c’est la voix de mon parrain !

Elle court ouvrir la porte du fond.

 

 

Scène XIV

 

AZÉMA, RIBOULOT, ROLAND, FRANCIS

 

RIBOULOT.

Ce cher Roland !

AZÉMA.

Bonjour, mon parrain.

ROLAND, de mauvaise humeur.

Bonjour, ma filleule ! Bonjour, Riboulot... Monsieur, serviteur.

RIBOULOT.

C’est mon gendre, monsieur Francis, Francis Jaspin.

ROLAND.

Jaspin ! monsieur s’appelle Jaspin !

FRANCIS.

Oui, monsieur. En quoi ce nom peut-il vous étonner ?

ROLAND.

J’ai connu un Jaspin !... mais c’est peut-être un de vos parents ?

FRANCIS.

Je n’en ai pas de mon nom.

ROLAND.

Je vous fais compliment de ne pas tenir à celui-là.

FRANCIS, à part.

Ah ! mon Dieu ! c’est lui, j’en suis sûr !

RIBOULOT.

Eh bien ! comment trouves-tu mon gendre ?

ROLAND.

Bien, très bien. Hélas !

RIBOULOT.

Bien ! très bien... Hélas ! Ah çà ! mais je ne te reconnais pas, Roland ! Est-ce qu’il t’est arrivé quelque malheur ?

ROLAND.

Au contraire, tout me réussit.

RIBOULOT.

As-tu quelque embarras d’argent ?

ROLAND.

Oui ! je ne sais qu’en faire.

RIBOULOT.

Le mariage de ta filleule doit te faire plaisir ?

ROLAND.

Sans doute, ça m’arrache des larmes.

FRANCIS, à Azéma.

Il est d’une singulière gaieté, le parrain !

RIBOULOT.

Je ne comprends pas...

ROLAND.

Ça me fait songer que si j’avais le fils que j’ai perdu, je pourrais l’unir à la fille...

FRANCIS.

Eh bien ! merci !...

RIBOULOT.

Ah ! dame ! sans doute, mais tu ne l’as pas.

ROLAND.

Hélas ! non... c’est ce qui me chagrine... Aujourd’hui vieux, riche et seul, j’aurais quelqu’un à aimer, qui m’aimerait, à qui laisser le fruit de mon travail.

RIBOULOT.

Eh bien ! tu aimeras ta filleule et mon gendre ; ils t’aimeront et tu leur laisseras...

ROLAND

Très bien ! très bien ! mais ce n’est pas la même chose... Ah çà ! pardon, je t’ai vu, déposé chez toi mon bagage ; je le demanderai la permission de vaquer à quelques affaires.

RIBOULOT.

Vaque, vaque !

ROLAND.

Il faut que j’aille aux diligences chercher des renseignements sur un drôle... et puis ailleurs pour une affaire... ah ! qui m’intéresse vivement... Je le conterai ça. Sans adieu ! Je reviendrai dîner.

Il va sortir.

 

 

Scène XV

 

FRANCIS, AZÉMA, RIBOULOT, ROLAND, JASPIN

 

JASPIN, une queue de billard à la main.

En voilà-t-il un guignon ! moi, qui ai gagné six quelles d’honneur pour les Polonais, périr sur un coup superbe ! Monsieur Riboulot, je vous en fais juge.

ROLAND, poussant un cri.

Ah ! c’est mon coquin !

JASPIN, à part.

Dieu ! mon homme de Lisieux !

Haut.

Vous êtes en affaires, je vous laisse.

Il va sortir.

ROLAND, lui barrant le passage.

Arrêtez... arrêtez-le !

FRANCIS, venant se poser entre eux.

Voilà ce que je craignais.

JASPIN.

Monsieur !

RIBOULOT.

Le père de mon gendre !

ROLAND.

Le père ! ma foi... j’en suis fâché, mais il ne rendra mon argent, ou certainement...

FRANCIS.

De quoi s’agit-il donc, monsieur ?

JASPIN.

D’une misérable somme de douze cents francs, mon cher ami, que par mon talent et mon adresse j’ai bien et légitimement gagnée.

ROLAND.

Escroquée !

JASPIN.

Monsieur ! ne disputons pas sur les mots ; rendons-lui son argent puisqu’il y tient tant ; paye mon fils, et que ça finisse.

FRANCIS.

Mais encore je voudrais savoir...

JASPIN, poussant Francis vers son bureau.

Eh ! mon Dieu ! nous ne sommes pas à ça près de soixante louis, moi qui vis de ses rentes !... Paye, mon enfant ! paye, mon Gustave ! C’est un riche et honnête négociant, voyez vous, monsieur, que mon fils ! il a une réputation à soutenir, un crédit à conserver ; et si son père chéri se trouvait dans l’embarras, je n’ai qu’un mot à lui dire, n’est-ce pas, mon Édouard ? et il paye tout de suite pour son bon père, à vue et sans se faire prier... ce cher Adolphe !

FRANCIS, bas à Jaspin.

Édouard ! Adolphe !

JASPIN, de même.

Je ne sais plus votre nom, moi !

FRANCIS, de même.

Francis ! Francis ! morbleu !

JASPIN.

Voyez comme il est ému, mortifié de l’insulte faite à son papa ! Ce cher Francis ! va, paye, mon garçon, et j’oublierai tout.

FRANCIS.

Eh bien ! monsieur, vous pouvez être tranquille.

ROLAND.

Ah ! du moment que vous répondez...

JASPIN.

Non, non, débarrasse-moi tout de suite de cette affaire-là, et qu’il n’en soit plus question ; elle m’est trop pénible.

FRANCIS.

Allons donc, puisque vous le voulez.

Il va prendre de l’argent dans son secrétaire.

J’enrage !

JASPIN.

Bien, mon fils, bien ! je suis attendri ! j’ai fait des sacrifices pour ton éducation, pour ton établissement, c’est vrai ! mais j’en suis bien ré compensé ! Je te bénis...viens ici que je te bénisse.

RIBOULOT.

Allons, Roland, c’est un brave homme, tu as tort...

ROLAND.

Laisse-moi donc tranquille ! le fils à la bonne heure, c’est un charmant garçon ! je voudrais qu’il fût le mien ; mais le pères !...

JASPIN.

Hein ! qu’est-ce que c’est ?

RIBOULOT.

Croyez, monsieur Jaspin, que je suis bien peiné...

JASPIN.

Je le crois, monsieur Riboulot ; car nos cours sont faits pour s’entendre.

ROLAND.

Serviteur... Viens avec moi, Riboulot, j’ai à te parler.

Il sort avec Riboulot et Azéma.

 

 

Scène XVI

 

JASPIN, FRANCIS

 

FRANCIS.

Ah çà ! monsieur, suis-je enfin au bout de toutes les contrariétés, de toutes les mystifications qu’il vous plaira de me faire subir ?

JASPIN.

Dame, je le suppose.

FRANCIS.

Je vous en préviens, je suis fort las du rôle de banquier que vous me faites jouer.

JASPIN.

Que voulez-vous ? il fallait refuser de payer.

FRANCIS.

Vous le méritiez.

JASPIN.

Je ne faisais pas à la mairie la déclaration nécessaire ; vous étiez sans père et sans nom.

FRANCIS.

Comment ! tout cela n’est pas encore termine ?

JASPIN.

Eh non ! puisque j’ai laissé le petit clerc au café, où je redois soixante francs qu’il représente.

FRANCIS.

Et l’argent que je vous ai donné ?

JASPIN.

Fondu.

FRANCIS.

Et la somme destinée à l’enregistrement ?

JASPIN.

Évaporée.

FRANCIS.

Ah ! c’est trop fort !

JASPIN.

Le billard m’a trahi !...

FRANCIS.

Jouer au billard dans un café... pour vous compromettre, et moi aussi !

JASPIN.

C’est ma seule passion, le billard.

FRANCIS, marchand à grands pas.

Vous devriez rougir.

JASPIN, le suivant.

Voyons, sois bon enfant.

FRANCIS.

Laissez-moi tranquille.

JASPIN.

Je ne le ferai plus... jamais, jamais.

FRANCIS.

Allez au diable !

Il s’assied près de son secrétaire et travaille.

JASPIN.

Là ! si l’on dirait que c’est le père et le fils ?... le monde renversé !... nous avons donc changé d’emploi ? tu joues donc les pères nobles, et moi les jeunes premiers ?... Tiens, me voilà à tes genoux... es-tu touché ? tu peux te vanter d’avoir un drôle de corps aux pieds. Eh bien ! tu es encore fâché ?... allons, une petite risette à papa... vous boudez ?...

Se relevant.

Ah bien ! ma foi ! ma foi !... je suis bien bon de m’humilier ! fils ingrat ! fils rebelle ! j’appelle sur ta tête toutes les calamités imaginables... je te donne ma malédiction paternelle, comme feu Œdipe à Cologne... Là ! tu es bien avancé, te voilà maudit... ou plutôt, je ne te donne rien, pas même mon nom... Bonsoir.

Il va sortir.

FRANCIS, se levant et courant à lui.

Ah ! mon Dieu ! monsieur Jaspin... un moment.

JASPIN, revenant.

Adieu ! je n’ai pas besoin de m’embarrasser d’un fils, moi ! les enfants ne causent que des chagrins !

FRANCIS.

Voyons, écoutez...

JASPIN, marchant à grands pas.

Je n’écoute rien.

FRANCIS, le suivant.

Faisons la paix.

JASPIN, fièrement.

Je ne vous connais pas.

FRANCIS.

Silence ! si l’on vous entendait !...

JASPIN.

Que m’importe !

FRANCIS.

Combien vous faut-il ?

JASPIN.

Rien, monsieur.

FRANCIS.

Voilà un billet de...

JASPIN, s’arrêtant.

De mille francs ?

FRANCIS.

De cinq cents.

JASPIN.

Je veux vous prouver que je n’ai pas de rancune et que je me sens un véritable attachement pour vous... j’accepte.

FRANCIS.

Mais hâtez-vous de mettre tout en règle.

JASPIN.

Le temps de dégager le petit clerc. Adieu, mon fils, adieu.

Air : Le Luth galant.

Puisqu’oubliant mes scélérats de tours,
Si noblement lu viens à mon secours,
Il faut que je bénisse un enfant que j’honore...

À Riboulot qui entre.

Vous le voyez, papa, je le bénis encore.

RIBOULOT.

Oui, je vois son papa qui le bénit encore.

JASPIN.

Je le bénis toujours.

Il sort.

 

 

Scène XVII

 

FRANCIS, RIBOULOT

 

RIBOULOT.

Je viens, mon cher Francis, vous présenter les excuses et les regrets de mon ami Roland... il est très fâché de ce qui s’est passé, car il a infiniment d’estime pour vous.

FRANCIS.

Il n’est pas plus contrarié que moi, je vous assure.

RIBOULOT.

Il serait venu lui-même : mais il est tout préoccupé... il espère retrouver ce fils dont il parlait.

FRANCIS.

Ah ! tant mieux.

RIBOULOT.

Nous allons ensemble faire des démarches... c’est une aventure : il m’a conté ça... figurez-vous qu’étant dans le blanc, comme je vous le disais, il avait un sentiment... une petite lingère... charmante ! je l’ai connue... obligé de voyager, Roland la quitta au moment de devenir mère... la lingère.

FRANCIS.

Je comprends... continuez.

RIBOULOT.

Bientôt elle lui écrivit qu’il était père... Roland... d’un garçon à qui elle avait donné le nom de François.

FRANCIS.

François !

RIBOULOT.

C’est le petit nom de Roland... Il se hâta de terminer ses affaires ; mais à son retour la pauvre fille était morte, l’enfant avait disparu, et impossible d’avoir des renseignements sur son sort.

FRANCIS.

Je ne vois pas jusqu’ici les motifs d’espérance...

RIBOULOT.

Attendez donc... Il savait que la jeune femme avait un frère soldat dans la garde impériale... Je vous parle de l’ancien régime... Il apprit que ce militaire était à Paris au moment du fatal événement ; il fit tout pour le retrouver ; mais, les soldats de la Garde, c’était difficile ! leur domicile changeait souvent.

Air du Piège.

De Madrid on court à Berlin,
À Varsovie ensuite l’on s’installe ;
Bientôt l’on voit Smolensk, puis le Kremlin :
Chaque jour une capitale !
En peu de temps l’Autre leur apprenait
La carte, je le certifie ;
Car, au pas de charge, il donnait,
Ses leçons de géographie.

Enfin, depuis quelques jours seulement, on a découvert la résidence, en province, de ce frère... Roland lui a écrit, et il vient de recevoir une réponse annonçant que l’enfant a été déposé aux Enfants-Trouvés.

FRANCIS, vivement.

Aux Enfants-Trouvés !... et n’a-t-on pas indiqué quelque marque, quelque signe, quelque moyen de le reconnaître ?

RIBOULOT, vivement et prêt à sortir.

Justement ! on a déposé dans ses langes une lettre et un chiffre. Et nous allons bien vite, Roland et moi, à l’administration des hospices savoir ce qu’est devenu l’enfant François, accompagné du chiffre F. R. François Roland... Adieu, mon gendre, à tantôt... adieu, ne vous dérangez pas.

 

 

Scène XVIII

 

FRANCIS, seul, stupéfait

 

François !... un F et un R !... mais c’est moi !...

 

 

Scène XIX

 

LUDWIG FRANCIS

 

FRANCIS.

Viens donc, cher ami ! viens partager ma joie ! j’ai vu mon père.

LUDWIG.

Je le sais bien, puisque c’est moi qui te l’ai fourni.

FRANCIS.

Eh ! non ; pas ce misérable, qui me faisait rougir à chaque instant ; mon véritable père.

LUDWIG.

Ah ! bah !

FRANCIS.

Il me demande, il me reconnaît pour son fils...

LUDWIG, froidement.

Je comprends ta joie ; mais il arrive trop tard.

FRANCIS.

Allons donc ! tu plaisantes.

LUDWIG.

Non, vraiment, c’est très sérieux.

FRANCIS.

Lorsque mon père prouve sa qualité.

LUDWIG.

Eh ! mon Dieu : on ne peut avoir deux pères légalement, et tu en as déjà un.

FRANCIS.

Nous enverrons promener l’autre.

LUDWIG.

Impossible.

FRANCIS.

Tu m’épouvantes !... mais toi si habile, tu trouveras bien quelque biais.

LUDWIG.

Il n’y en a pas : la loi a bien pu te donner un père, elle ne peut pas te l’ôter.

FRANCIS.

Mais c’est affreux, cela ! et moi qui l’ai pressé d’aller remplir les formalités... Vois-tu quel malheur pour moi ! quel chagrin pour ce bon monsieur Roland, si honnête...

LUDWIG.

Je comprends parfaitement... et riche peut-être ?

FRANCIS.

Sans doute !

LUDWIG.

Voilà le plus fâcheux...

Gaiement.

Eh bien ! écoute... Pour le consoler, et toi aussi, je rangerai de ton père, moi.

FRANCIS.

Toi ! par exemple ! je ne souffrirai pas...

LUDWIG.

Voilà de l’égoïsme ! puisqu’il ne peut pas te servir... tandis qu’à moi, il me va très bien.

FRANCIS.

Allons donc ! profiter de ma funeste situation... quand c’est toi qui m’as perdu par tes conseils !

LUDWIG.

C’est moi, maintenant ! obligez donc les amis ! Eh bien ! mon garçon, bons ou mauvais, tu les as suivis, mes conseils ; maintenant M. Jaspin est ton père à l’état-civil, devant la loi ; et il n’y a plus à reculer.

 

 

Scène XX

 

FRANCIS, LUDWIG, JASPIN, HECTOR, SOLDATS, puis MADEMOISELLE CHAPRON, ROLAND, AZÉMA, RIBOULOT

 

Jaspin entre amené par les soldats.

Ensemble.

Air : Fille Rebelle (siège de Corinthe).

JASPIN.

De céans mon fils est le maître,
Il va me tirer d’embarras,
Et, dès qu’il ne verra paraître,
M’ouvrir et sa bourse et ses bras.

HECTOR.

De céans son fils est le maître,
Il va le tirer d’embarras,
Et, dès qu’il le verra paraître,
Ouvrir et sa bourse et ses bras.

FRANCIS.

Eh ! quoi ! c’est encore ce traître !
De lui, vraiment, je suis bien las 
Chaque fois qu’on le voit paraître,
C’est pour moi nouvel embarras.

LUDWIG.

Eh ! quoi ! c’est encore le traître !
Il est permis d’en être las !
Chaque fois qu’on le voit paraître,
C’est pour lui nouvel embarras.

LES SOLDATS.

De céans votre fils est maître,
Qu’il vous tire donc d’embarras ;
À lui faites-vous reconnaître,
Et qu’il paye enfin vos dégâts.

JASPIN.

Du petit clerc en prenant la défense,
J’ai fait trois glac’s, c’est par humanité...
Mais mon cher fils répond de ma dépense,
Ne ma dépense et d’ ma moralité.

Ensemble.

ROLAND, RIBOULOT, AZÉMA, entrant.

Non,   { son fils à      { le  reconnaître,
           { mon             {me
Sans doute    } n’hésitera pas.
J’en suis sûr,  }
Il doit, en  { le voyant paraître,
                 { me
Ouvrir     } et son cœur et ses bras.
M’ouvrir  }

Au moment où Roland va vers Francis, mademoiselle Chapron paraît et l’écarte brusquement.

MADEMOISELLE CHAPRON.

Ciel ! qu’ai-je vu ! Grand Dieu ! c’est Isidore !
Environné de cruels tourlouroux !

À Francis.

Mon fils, au nom d’une mèr’ qui t’adore,
Sauve ton père et sauve mon époux !

Reprise de l’ensemble.

MADEMOISELLE CHAPRON.

Cher fils, à les yeux vois paraître
Père et mèr’ que tu n’ connais pas ;
Tous deux prêts à le reconnaître,
Ils l’ouvrent leur cœur et leurs bras !

Les autres comme plus haut.

FRANCIS, avec impatience.

Mon père !... ma mère... non, Dieu merci !...

Passant à Roland.

Car voici mon père.

Il lui remet des papiers.

JASPIN.

Ah ! bah ! me voilà joliment confectionné alors, avec la casse, les pioupious, et ma femme sur mon compte !

LUDWIG.

Mais cet acte...

HECTOR.

Il n’est ni enregistré ni déclaré à la mairie, grâce à monsieur Jaspin qui n’a pas voulu sortir du café.

JASPIN.

Ce n’est pas mon habitude tant que j’ai de la monnaie.

FRANCIS, vivement.

Merci, monsieur Jaspin... c’est un service que je reconnaitrai ; je paye les frais et vous garderez la pension.

Les soldats sortent.

JASPIN.

Ah ! par exemple... voilà un trait qui vous honore... bien, jeune homme ! j’accepte comme un souvenir de ma paternité... par intérim... je n’oublierai jamais que vous avez été mon fils... accidentellement ; et j’aurai toujours pour vous l’attachement, la reconnaissance et la vénération d’un père... Je vous bénis !

RIBOULOT.

Je le disais bien ; c’est un parfait honnête, homme.

CHOEUR.

Air : En partant pour la guerre (If de Croissey).

Je       } retrouve      { mon père,
Il         }                      { son
Quel moment pour { mon cœur !
                                 { son
Amis, ce jour prospère
Nous rend tous au bonheur.

JASPIN, au public.

Air : Je n’ai pas vu ces bosquets de lauriers (Athènes à Paris).

À l’Odéon, vous avez approuvé
Une piquante comédie,
Qui présentait un autre Enfant trouvé :
Du bon Picard c’était l’œuvre hardie ;
Sans établir en ce moment
Un parallèle téméraire,
Nous demandons semblable traitement...
Vous avez adopté l’Enfant,
Ah ! n’abandonnez pas le Père.

PDF