Les Fables d'Ésope (Edme BOURSAULT)

Comédie en cinq actes, en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 18 janvier 1690.

 

Personnages

 

ÉSOPE

LÉARQUE, Gouverneur de Sizique

EUPHROSINE, Fille de Léarque

AGÉNOR, Gentilhomme de Lesbos, Amant d’Euphrosine

DORIS, Confidente d’Euphrosine

HORTENSE, Fille entêtée de son esprit

DEUX DÉPUTÉS de Sizique, tous deux fort vieux

PIERROT, Paysan d’auprès de Sizique

AGATON, petit Garçon fort beau, fils de Léarque

CLÉONICE, petite fille fort laide, sœur d’Agaton

M. DOUCET, Généalogiste

AMINTE, Mère d’une fille enlevée

ALBIONE, Veuve d’un Conseiller-Notaire

COLINETTE, Femme de Pierrot

M. FURET, Huissier

DEUX COMÉDIENS

UN MAÎTRE D’HÔTEL

UN SOMMELIER

UN LAQUAIS

 

La scène est à Sizique.

 

 

À MONSEIGNEUR LE DUC D’AUMONT,

Pair de France, Chevalier des Ordres du Roi, Premier Gentilhomme de la Chambre de Sa Majesté, etc.

 

Monseigneur,

 

Il y a longtemps que vous me faites l’honneur de me vouloir du bien ; et  longtemps aussi que je cherche les occasions de vous en témoigner ma reconnaissance. Il ne s’en est présenté aucune où votre protection m’ait été nécessaire, que vous ne me l’ayez accordée avec une grandeur d’Âme qui me ravissait, mais qui ne me surprenait pas. Je vous ai vu, Monseigneur, me tendre généreusement la main, pour me faciliter les moyens de m’approcher de vous : et loin de vous prévaloir de l’intervalle qui est entre vous et moi, avoir la bonté de faire vous-même des pas de mon côté pour en diminuer l’étendue. Que ces manières sont belles ! et qu’elles distinguent bien les Grands qui le sont par la naissance d’avec ceux qui ne le sont que par la fortune. Voilà, Monseigneur, ce qu’on appelle l’infaillible voie de se rendre Maître de tous les cœurs : et s’il m’est permis de citer la Fable dans une Lettre où je ne veux dire que des vérités, Ésope, l’incomparable Ésope, ne connaît de véritable noblesse, que celles en qui l’on remarque une véritable honnêteté. Le mot d’incomparable qui m’est échappé pour accompagner le nom d’Ésope, n’a peut-être jamais été mis plus justement : les siècles qui lui ont succédé, et qui lui succèderont jusqu’à la dissolution des siècles mêmes, lui rendront la justice qui lui est due ; et tant qu’il y aura de la droiture sur la terre, il est sur d’en attirer la vénération. Quel homme a jamais été plus habile dans la science des mœurs ; et qui jamais a imprimé une plus grande haine pour le vice, et un plus grand amour pour la vertu ? Crésus a qui autrefois Ésope dédia ses Fables lui-même, en fit tant d’estime, que pour en éterniser le mérite, il lui fit ériger une statue d’or : et l’une des plus délicates Plumes de France, qui leur a donné plus de réputation quelles n’en avaient, les ayant dédiées à l’Auguste Fils du Monarque le plus Auguste du Monde, j’ai cru, Monseigneur, que de si grands exemples pouvaient autoriser la liberté que j’ose prendre de vous présenter le même Ésope sous un habit différent. Ce que j’offre à Votre Grandeur, n’a ni la beauté de l’Original, ni les grâces qu’une si excellente Copie semble y avoir ajoutées ; et quelque grand qu’ait été le succès de mon Ouvrage, je ne l’aurais trouvé ni digne de vous, ni digne de mon zèle, sans l’approbation que vous avez eu la bonté de joindre à tous les applaudissements qu’il a reçus. L’honneur que vous lui avez fait, Monseigneur, de lui accorder votre suffrage le fait aspirer à la gloire de votre protection : Il est naturel à celui qui lui a donné le jour, de chercher à lui procurer une heureuse destinée ; et sur qui puis-je jamais jeter les yeux qui fait en état de lui faire plus de plaisir, et qui ait plus de plaisir quand il en peut faire ? Rien ne manquera à son bonheur si vous avez la bonté d’en vouloir être l’appui : Et pourquoi, Monseigneur, tous mes vœux seront remplis si à tant de grâces dont je vous suis redevable, vous ajoutez celle de me croire, avec le zèle le plus ardent et le plus respectueux qui ait jamais été,

 

Monseigneur,

De Votre Grandeur,

Très humble, très obéissant, et très obligé serviteur,

 

BOURSAULT.

 

 

PRÉFACE NÉCESSAIRE

 

Le succès que cet Ouvrage à eu semble le justifier assez ; et ce serait mal reconnaître les obligations que j’ai à la voix publique de douter qu’il n’y ait du bon, puis qu’elle y en a trouvé. Le meilleur témoignage que j’en puisse rendre est l’empressement qu’on a eu, non-seulement de le voir, mais de le voir plusieurs fois : Et comme toutes les régies du Théâtre n’ont jamais eu d’autre but que celui de plaire, je crois les avoir suffisamment observées, puisqu’il y a peu de personnes à qui je n’aie plu. Je dis peu de personnes, car il y en a toujours quelques-unes, qui mettent toute leur étude à se distinguer, et qui font consister tout leur esprit à le faire paraître singulier. Si c’est en avoir beaucoup de remarquer des fautes, dont le public ne s’aperçoit pas, c’est ne l’avoir pas trop raisonnable de vouloir résister au torrent, et je prendrais le parti de ne pas dire mon sentiment, quelque bon qu’il me parût, si je le voyais opposé à celui de tout le monde. Non que je sois assez téméraire pour me persuader sottement que cette Pièce soit exempte de fautes : je les connais aussi bien que qui que ce soit ; et pour dire quelque chose de plus, je les ai même connues en les y mettant, et n’ai pas laissé de les y mettre, parce que j’aurais cru en faire une plus grande de les en ôter. Quelque injustice qu’on me puisse faire, je suis sur que l’on ne m’en fera pas assez, pour s’imaginer que je n’aie pas su que du temps d’Ésope, il n’y avait ni Huissiers, ni Procureurs, ni Conseillers-Garde-notes, ni Présidents au Mortier, ni Ducs et Pairs ; ou que s’il y avait pour le Peuple des Charges à peu près semblables, et pour les personnes de qualité des dignités équivalentes, c’était sous des noms différents : Mais de quel fruit aurait été la morale ingénieuse et divertissante, dont cette Pièce est remplie, si je m’étais servi de noms et de termes inconnus ; et comment aurais-je pu faire sentir ce qu’on aurait eu beaucoup de peine à connaître ? Je sais qu’en ce temps-là, il n’y avait point de Libraires qui vendissent des Livres défendus dans l’arrière-boutique, ni qui contrefissent ceux de leurs Confrères : Mais comme toute la vigilance d’un Magistrat aussi équitable qu’austère, ne peut si bien abattre cette Hydre qu’il n’en paraisse toujours quelque Tête, Ésope ayant été l’un des plus raisonnables hommes du monde, et la raison étant de tous les Pays, et de tous les temps, s’il n’est pas vrai qu’il ait dit ce que je lui fais dire, il est : au moins vraisemblable qu’il n’aurait pas manqué de le dire, si ce désordre eût été de sa connaissance. Et cela suffit.

Cette Comédie, à ce que disent les gens singuliers dont j’ai parlé, n’a pas un assez grand nœud, ni assez de jeu de Théâtre : Et si cette Pièce a quelque mérite, c’est justement de là que je prétends le tirer. Avoir pu trouver un nœud à Ésope, c’est sans doute quelque chose, et les Maîtres de l’Art n’en peuvent disconvenir. Mais avoir eu le secret de le faire assez petit pour ménager le terrain, et pour introduire sur la Scène des Personnages qu’on aime mieux y voir que les Personnages du Sujet même, c’est à mon sens ce qu’on en doit le plus estimer ; ou pour mieux dire, ce qu’on en doit blâmer le moins. Je m’en rapporte de bonne foi, à ceux qui ont honoré cette Comédie de leur présence. Qu’ils disent, si les Scènes de la Précieuse, du Paysan, de la Mère dont on a enlevé la fille, de la Conseillère-Garde-note, et toutes les autres de cette nature, qui ne tiennent au sujet que par la relation que les Personnages ont avec Ésope, ne leur ont pas fait plus de plaisir que tout le reste ; et si la Morale satyrique et instructive dont elles sont accompagnées, n’est pas ce qui les a le plus intéressés ? En un mot, cette Pièce est d’un genre si différent de toutes les autres, qu’il la faut regarder, pour ainsi dire, avec d’autres yeux, et ne pas l’ajuster à des régies, judicieuses à parler en général, mais chimériques dans une espèce aussi particulière que celles-ci. Si j’osais faire une comparaison de la chose du monde la plus sérieuse, à celle qui l’est le moins, je dirais qu’il en est des régies du Théâtre, comme des Lois de la Justice. Les Législateurs ont marqué les cas où elles doivent être appliquées, et pour lors c’est une leçon prescrite ; mais dans des cas qui ne sont pas tombés sous leur sens, et que le hasard fait naître malgré toute la prévoyance humaine, c’est à ceux qui en sont les Juges, à faire des Lois nouvelles pour les cas qui n’ont pas été prévus ; et de même dans toutes les choses qui arrivent, et qu’on n’a pas été obligé de prévoir. Si ces grands Génies de l’Antiquité, je veux dire Aristote et Horace, qui ont donné des Régies pour le Théâtre, avaient pu le figurer qu’Ésope eût dû y paraître quelque jour, ils auraient cherché tout ce qui aurait été capable de le faire réussir ; et puisqu’il n’a pas moins réussi que s’ils m’avaient marqué le chemin que je devais suivre, il faut apparemment que j’aie trouvé ce qu’ils m’auraient enseigné eux-mêmes.

Pour le jeu de Théâtre, je l’ai ménagé autant qu’il m’a été possible dans le peu que le Sujet m’en a fourni ; et je crois même l’avoir assez heureusement disposé pour y attacher l’attention de l’Auditeur jusqu’à la dernière Scène, qui est l’effet le plus favorable qu’on puisse attendre en semblable occasion. Il y a une Scène de petits Enfants qui finit le troisième Acte, qui a eu assez de succès pour mériter d’avoir des Censeurs. C’est une Fable que j’ai mise en action ; et voici les défauts qu’on y a trouvés. On dit que ces Enfants ont trop d’esprit, et qu’Ésope leur dit de trop belles choses. C’est un reproche qui me fait honneur ; et j’aime mieux pécher de ce côté-là que de l’autre. Mais pour répondre à une si faible objection, il est constant, et j’en prends l’expérience à témoin, qu’on voit tous les jours de petits Enfants de Qualité qui ont une si belle éducation, que rien n’est plus agréable, que ce qu’ils disent : et peut être même a-ce été à entendre parler quelques-uns, que j’ai pris le style dont j’ai eu besoin pour ceux que J’ai mis sur le Théâtre. Je dois aussi ce témoignage à la vérité, que ceux qui y ont trouvé à dire, ne sont pas d’une Qualité distinguée ; et comme leurs Enfants ne parlent, peut-être pas si bien que ceux-là, ils ignorent ce que d’autres font capables de dire. Pour Ésope, qui ne laissait échapper aucune occasion de bien faire, et qui après avoir eu la bonté de prêter l’oreille à leur petit différend, les exhorte à avoir de l’amitié l’un pour l’autre, il n’y a rien dans ce qu’il leur dit, qui ne soit dans la Fable que ces petits Enfants représentent ; et je consens volontiers que ce que je ferai à l’avenir, soit exposé à une pareille censure, à condition d’un même succès.

Quelque grand qu’il ait été, j’avoue que j’ai tremblé plus d’une fois, et que s’il y a de la gloire à acquérir à mettre quelque chose de nouveau au jour, il y a beaucoup de danger à craindre. Le Peuple qui s’attendait à voir une Comédie ordinaire, qui d’intrigue en intrigue, et à la faveur de quelques plaisanteries, va insensiblement à la fin de son sujet fut surpris d’entendre des Fables, à quoi il ne s’attendait pas, (car cette Pièce n’avait été promise que sous le nom d’Ésope) et ne sut d’abord de quelle manière il devoir les recevoir : mais quand il comprit le sens qu’elles renfermaient, et qu’il vit toute l’étendue de leur application, il se voulut mal de l’injustice qu’il m’avait rendue, et ses applaudissements furent, si j’ose me servir de ce terme, comme la réparation de son murmure : ainsi j’ai tous les sujets imaginables de m’en louer, et je n’en ai aucun de m’en plaindre.

Ce qui m’a paru déplus dangereux dans cette entreprise, ç’a été d’oser mettre des Fables en Vers après l’illustre Monsieur de la Fontaine, qui m’a devancé dans cette route, et que je ne prétends suivre que de très loin. Il ne faut que comparer les siennes avec celles que j’ai faites, pour voir que c’est lui qui est le Maître : les soins inutiles, que j’ai pris de l’imiter, m’ont appris qu’il est inimitable ; et c’est beaucoup pour moi que la gloire d’avoir été souffert où il a été admiré.

 

 

LE POUVOIR DES FABLES

 

PROLOGUE

 

Autrefois dans Athènes un fameux Orateur

Zélé pour la cause Publique

Craignant pour sa Patrie un extrême malheur,

Mit en œuvre sa Rhétorique ;

Et pour émouvoir l’Auditeur

Fit un Discours sort pathétique.

Mais !e peuple qui l’écoutait

Immobile comme une Souche,

Ne fut non plus touché de ce qu’il débitait,

Que s’il n’eût pas ouvert la bouche.

Chagrin du peu de progrès

Que faisait son éloquence.

 

L’Anguille, ajouta-t-il, l’Hirondelle et Cérès

Firent un jour connaissance.

En voyageant toutes trois,

Un fleuve impétueux s’oppose à leur passage ;

L’Hirondelle en volant, et l’Anguille à la nage,

Le passèrent sans peine, et l’auraient fait vingt fois,

Et Cérès ? dit le Peuple en élevant sa Voix :

Vous avez fait passer l’Anguille et l’Hirondelle ;

Monsieur le Philosophe en vous remerciant :

Mais Cérès, que devint-elle ?

Dit encor une fois le Peuple impatient.

Messieurs, dit l’Orateur, vous dessillez ma vue,

Je me suis abusé jusques à ce moment :

La vérité toute nue

N’a pas assez d’enjouement :

Une Fable l’insinue

Bien plus agréablement.

Messieurs les Auditeurs, qui par votre suffrage

Rendez bon ou mauvais le destin d’un Ouvrage,

Celui qui va paraître est d’un genre nouveau :

S’il vous blesse, il est laid ; s’il vous plaît, il est beau.

Ésope, si connu par ses savantes Fables,

Fut jadis condamné par des Juges coupables :

Mais ceux qui de son sort décident aujourd’hui

Ont trop d’intégrité pour s’armer contre lui.

Il ne vous dira point de ces Quolibets fades,

Qui ne sont de bons mets que pour des goûts malades ;

Par les Fables qu’il cite en différents endroits,

Il se montre à vos yeux tel qu’il fut autrefois,

Pesez-en le mérite en Juges équitables :

Vous le méconnaîtriez s’il ne disait des Fables ;

Et vous auriez dans l’âme un sensible dépit

De le voir par sa Bosse, et non par son esprit.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

LÉARQUE, EUPHROSINE, DORIS

 

LÉARQUE.

Enfin ce grand esprit que je brulais de voir,

L’incomparable Ésope est ici d’hier au soir.

Tu le vis à loisir, nous soupâmes ensemble :

Ne me déguise rien, dis-moi ce qu’il t’en semble.

Ne le trouves-tu pas un aimable homme ?

EUPHROSINE.

Moi ?

LÉARQUE.

Oui.

EUPHROSINE.

Je n’en connais point qui lui ressemble.

LÉARQUE.

Et toi,

Comment le trouves-tu ? Je te crois délicate.

DORIS.

Et ne voulez-vous point, Monsieur, que je le flatte ?

LÉARQUE.

Dis la vérité pure, autrement ne dis mot.

DORIS.

Vous le souhaitez ?

LÉARQUE.

Oui.

DORIS.

C’est un vilain Magot,

Franchement.

LÉARQUE.

Quoi, friponne, être assez arrogante...

DORIS.

Si cela vous déplaît, souffrez donc que je mente.

Me voilà toute prête à dire qu’il est beau ;

Que c’est, si vous voulez, un Adonis nouveau ;

Qu’à le voir sans l’aimer, c’est en vain qu’on travaille ;

Qu’il n’est pas dans le monde une plus riche taille ;

Que du haut jusqu’au bas tout m’en paraît charmant,

Mais ce sera, Monsieur, mentir impudemment ;

Et jamais au mensonge on ne m’a vu de pente,

Quoique vice ordinaire à toute Confidente.

LÉARQUE.

Il ne te plaît donc pas ?

DORIS.

Ô que pardonnez-moi,

Je ris incognito d’abord que je le voi ;

Je ne puis m’en tenir quelque effort que je fasse,

Il n’est point de laideur que son museau n’efface :

Et le reste au visage est si bien assorti,

Qu’il n’a membre en son corps qui ne soit mal bâti.

Celui qui le forma choisit un sot modèle.

LÉARQUE.

S’il lui fit le corps laid, il lui fit l’âme belle.

Plût aux Dieux, tel qu’il est, qu’Euphrosine lui plût !

EUPHROSINE.

Et si je lui plaisais, quel serait votre but,

Mon Père ?

LÉARQUE.

Ignores-tu jusqu’où va ma tendresse,

Et combien dans ton sort ton Père s’intéresse ;

Jamais aucun plaisir ne m’a semblé si doux,

Que celui que j’aurais de le voir ton Époux.

EUPHROSINE.

Mon Époux, juste Ciel ! Que venez-vous de dire ?

DORIS.

Bon : ne voyez-vous pas qu’il nous veut faire rire ?

LÉARQUE.

Ésope, selon toi, n’est donc pas son fait ?

DORIS.

Non.

Pour épouser un Singe il faut être Guenon.

Car entre nous, Monsieur, Ésope est un vrai Singe :

Celui qui vous est mort, quand il avait du linge,

Un juste-au-corps, des gants, et son petit chapeau,

Au gré de tout le monde était beaucoup plus beau ;

Et s’il faut qu’à vos yeux mon cœur se développe,

Je l’aurais épousé plus volontiers qu’Ésope...

LÉARQUE.

S’il faut être animal pour mériter ta foi,

Le Singe que j’avais était digne de toi.

Pour moi que l’esprit charme en quelque endroit qu’il brille,

Je ne tiens point Ésope indigne de ma Fille.

DORIS.

Et quel diantre d’esprit trouvez-vous qu’il ait ?

LÉARQUE, à Euphrosine.

Écoute. En peu dé mots en voici le Portrait.

Il est laid ; mais crois moi, c’est une bagatelle :

Un homme est assez beau quand il a l’âme belle ;

Et dans le plus bas rang comme dans le plus haut,

Toujours celle d’Ésope a paru sans défaut.

Crésus à qui le Ciel fit un si beau partage,

Qu’une richesse immense est son moindre avantage ;

Crésus, le plus heureux de tous les Potentats,

Se repose sur lui du soin de ses États.

Dans un Poste si haut à quoi crois-tu qu’il pense ?

À vivre dans le faste, et parmi l’opulence ?

À bâtir sa Maison des dépouilles d’autrui ?

Il sert le Roi, le Peuple, et ne fait rien pour lui.

Au Riche comme au Pauvre il tâche d’être utile ;

Et depuis quatre mois qu’il va de Ville en Ville,

Il enseigne aux Petits à faire leur devoir,

Et tempère des Grands l’impétueux pouvoir :

À la droite raison il veut que tout se rende ;

Qu’en père de son Peuple un Monarque commande ;

Et que mourant plutôt que d’oser le trahir,

Un Sujet se restreigne à l’honneur d’obéir.

Comme il est dangereux d’être trop véritable,

Il se sert du secours que lui prête la Fable ;

Et sous les noms abjects de divers animaux,

Applaudit les vertus, et reprend les défauts.

Quoique par bienséance il ne nomme personne,

Si l’on ne se connaît au moins on se soupçonne :

Et par cette industrie, en quelque rang qu’on soit,

Il apprend à chacun à faire ce qu’il doit.

Voilà sincèrement le Portrait de son âme.

DORIS.

Que vous seriez, Monsieur, un bon Peintre de femme !

Vous fardez vos Portraits admirablement bien.

LÉARQUE.

Quoi, ma fille soupire, et ne me répond rien ?

Un mérite si grand ne la rend point sensible ?

EUPHROSINE.

Mon Père, à mon devoir il n’est rien d’impossible.

Mais Ésope est si laid !

LÉARQUE.

Son esprit est si beau !

La raison sur les yeux doit te mettre un bandeau :

Et s’il faut qu’avec toi je m’explique sans feinte,

Ce qu’il a de pouvoir me donne un peu de crainte.

Partout où de Crésus s’étendent les États,

Il dépose à son gré les mauvais Magistrats.

Change les Gouverneurs, qui par coups et menaces,

Éloignés de la Cour, tyrannisent leurs Places,

Casse les Officiers, qui pour faire les fins,

Au lieu de cent Soldats n’en ont que quatre-vingts ;

Et de peur que la fraude à la fin ne soit sue,

Ont des gens empruntés pour passer en revue.

Exclut les Conseillers de donner leurs avis,

Quand pendant l’Audience ils se sont endormis.

Bannit les Avocats, dont l’élégante prose

À l’art de rendre bonne une méchante Cause.

Abolit les Brelans, ces honteux Rendez-vous,

Où l’on tient une Ecole à dresser des Filous.

Défend aux Médecins, que nos maux enrichissent,

De prendre de l’argent que de ceux qu’ils guérissent ;

Enfin dans cet État de l’un à l’autre bout,

Ésope a sans réserve inspection surtout.

Quoi que ma probité soit exempte d’atteintes,

Peut-être contre moi lui fera-t-on des plaintes :

Gouverneur de Sizique, où mon sort est si doux,

Je jouis d’un bonheur qui me fait des jaloux ;

Et si jusqu’à l’aimer tu pouvais le contraindre,

Il fermerait la bouche à qui voudrait se plaindre ;

À son appartement je vais voir s’il est jour ;

Savoir s’il est visible, et lui faire ma cour ;

Lui marquer par mon zélé et par ma déférence...

DORIS.

Vous n’irez pas bien loin, je le vois qui s’avance ;

Quel Marmouset !

 

 

Scène II

 

ÉSOPE, LÉARQUE, EUPHROSINE, DORIS

 

LÉARQUE.

J’allais pour voir votre Grandeur,

Et savoir...

ÉSOPE.

Doucement, Monsieur le Gouverneur ;

Dans la Place où je suis, plus fragile qu’un verre,

Je vais à petit bruit, et vole terre à terre :

Le terme de Grandeur ne fut point fait pour moi.

LÉARQUE.

Eh, Monsieur, c’est un grade acquis à votre emploi.

Tous vos Prédécesseurs jusqu’au temps ou nous sommes...

ÉSOPE.

Tous mes Prédécesseurs ont été de grands hommes,

Dont le sang, le service, et les hautes vertus,

À ne rien déguiser, méritaient encor plus.

Pour moi qu’un Sort bizarre a tiré de la boue,

Moi de qui pour un temps la Fortune se joue,

À quoi que ce puisse être où je sois destiné,

Je me souviens toujours de ce que je suis né.

La Fortune est à craindre où manque la Sagesse,

Être aujourd’hui Grandeur, et demain Petitesse,

Garder un long silence après un peu de bruit,

C’est le commun destin des Grands, par cas fortuit.

Trêve donc de Grandeur pour un homme si mince.

LÉARQUE.

Et de quoi vous sert donc d’être auprès d’un grand Prince ?

Si les Titres d’honneur ne vous entêtent pas,

La Richesse à vos yeux doit avoir des appas :

Vous êtes dans un Poste, où vous n’avez qu’à prendre ;

Tout l’Argent de Crésus dans vos mains se vient rendre,

Tous ceux qui devant vous remplissaient vos Emplois,

Quand ils les ont quittés étaient de petits Rois ;

C’était une Fortune aussi haute que prompte.

ÉSOPE.

Monsieur le Gouverneur, que je vous fasse un Conte,

Je vous prie.

 

LA BELETTE ET LE RENARD.

 

Autrefois la Belette ayant faim,

Par un trou sort étroit entra dans une Grange,

Où trouvant quantité de grain,

Elle se croit de Noce, et d’abord elle mange

Pour le jour, pour la veille, et pour le lendemain.

Enfin, la pence pleine, et toute rebondie,

Elle a peur d’être prise en ce flagrant délit,

Et va par son entrée essayer la sortie ;

Mais elle était trop grosse, ou le trou trop petit.

Un Renard sur ces entrefaites,

Passant en cet endroit, et la voyant pâtir,

C’est en vain, lui dit-il, grosse comme vous êtes,

Que vous espérez de sortir.

Je vous plains d’être en ce gîte ;

Mais il peut arriver pis,

Si vous ne rendez bien vite,

Tout ce que vous avez pris.

 

À l’application.

LÉARQUE.

Elle est aisée à faire.

ÉSOPE.

Tant mieux. La vérité ne peut être trop claire.

Ceux de qui la conduite, exempte de soupçons,

À qui se voue au Prince offre tant de leçons,

Pour s’en formaliser vont trop droit en besogne.

Pour celui qui sur tout pince, lésine, rogne,

Qui du bien de Crésus s’attribuant le quart,

Ne manie aucun sou dont il ne prenne un liard ;

Quand il croit sa fortune et solide et complète,

Il éprouve le sort qu’éprouva la Belette,

Et surpris dans la grange auprès du tas de grain,

Il ne peut en sortir, pour en être trop plein.

Tâchons d’avoir du bien qui ne courre aucun risque.

Un grand fond de Vertu rarement se confisque ;

En faveur, en disgrâce on est sur d’en jouir.

LÉARQUE.

Monsieur, on est charmé quand on peut vous ouïr.

Mais saisons, je vous prie, une petite pose.

Peut-être le matin prenez-vous quelque chose :

Un Bouillon, du Café. Que vous plaît-il des deux ?

ÉSOPE.

Avez-vous du Café qui soit bon ?

LÉARQUE.

Merveilleux.

ÉSOPE.

Prenons-en. Ordonnez que l’on nous en apprête.

Il n’est rien de si bon contre le mal de tête.

Quand j’en prends le matin, je suis gai tout le jour.

LÉARQUE.

Vous en aurez ici de meilleur qu’à la Cour :

Et dans peu de moments on va vous satisfaire.

ÉSOPE.

Quoi, faut-il que vous-même...

LÉARQUE.

Oui, j’y suis nécessaire.

À Euphrosine.

Entretenez Monsieur, et ne le quittez pas.

 

 

Scène III

 

ÉSOPE, EUPHROSINE, DORIS

 

ÉSOPE.

Me voilà, sans défense, en proie à vos appas,

Ma belle Enfant. Mon cœur a beaucoup de faiblesse ;

Un coup d’œil m’assassine, ou tout au moins me blesse.

EUPHROSINE.

Monsieur, ne craignez rien. Les Dieux me sont témoins,

Que je n’y veux donner ni mes vœux ni mes soins.

ÉSOPE.

J’entends. Ce n’est pas là ce qui vous inquiète.

Rarement à votre âge on est sans amourette,

Vous avez le cœur pris.

EUPHROSINE.

Moi ?

DORIS.

Ne déguisez rien.

Monsieur est honnête homme, il en usera bien ?

Il peut par le crédit qu’il a sur votre Père,

Donner un croc-en-jambe à l’hymen qu’il veut faire.

Oui, Monsieur, ma Maîtresse aime depuis deux ans

Un Gentilhomme aimable et des plus complaisants ;

Jeune, galant, bien fait, s’il en est dans le monde ;

Propre en linge, en habits, grande perruque blonde ;

Enfin de la façon dont le Ciel l’a formé,

Il n’est point de mortel plus digne d’être aimé.

Monsieur le Gouverneur, que la grandeur entête,

Aux appas de sa fille offre une autre conquête,

Et veut dès aujourd’hui qu’elle applique son soin,

À donner de l’amour au plus vilain Marsouin...

Voyez la pauvre enfant, elle s’en désespère.

Et vous êtes si bien avec Monsieur son Père,

Qu’un mot que vous diriez le ferait consentir ;

S’il veut qu’elle soit femme, à la mieux assortir,

À lui donner au moins un homme en bonne forme ;

Et non comme il veut faire une figure énorme,

Que dans sa belle humeur la Nature en jouant,

A faite moitié Singe, et moitié Chat-huant,

L’agréable bijou qu’un mari de la sorte !

ÉSOPE.

Et comment nomme-t-on ce Chat-huant ?

EUPHROSINE.

Qu’importe ?

On vous en dit assez disant qu’il me déplaît.

Mon Père au premier mot devinera qui c’est.

Ne vous informez point du nom qui me chagrine.

ÉSOPE.

Il ne faut pas toujours s’arrêter à la mine.

Par exemple :

 

LE RENARD, ET LA TÊTE PEINTE.

 

Jadis un Renard affamé

Rodant par-ci, par-là, pour faire bonne quête,

Entra dans la maison d’un Peintre renommé,

Et trouva sous sa pâte une fort belle Tête.

Une Perruque blonde, ainsi qu’à votre Amant,

De l’éclat de son teint relevait l’agrément,

Ô Ciel ! s’écria-t-il, qu’elle me semble belle !

C’est grand dommage vraiment

Qu’elle n’ait point de cervelle.

 

Combien devant nos yeux, qui ne s’en doutent pas,

Sous leur grande perruque étalent desappas

Qui de la Tête peinte étant le vrai modèle,

Ont beaucoup d’apparence, et n’ont point de cervelle ;

De votre Sexe même, et vous le savez bien,

Pour paraître charmante on ne néglige rien :

Et quel malheur plus grand que celui d’être belle,

Lors qu’à beaucoup d’appas on joint peu de cervelle !

Peut-être que l’Amant épris de vos attraits

Est une belle tête, à la cervelle près :

Il plaît, il touche, il charme, à n’en voir que l’écorce ;

Au fond, l’esprit et lui, font peut-être en divorce.

DORIS.

Je le connais, Monsieur, et dedans et dehors :

Son esprit, j’en suis sûre, est mieux fait que son corps :

Je puis, sans le flatter, dire à son avantage

Qu’il l’a beaucoup plus beau que tous ceux de son âge.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que j’en ai fait l’essai.

EUPHROSINE.

Ce qu’elle vous en dit est assurément vrai :

Je puis vous en parler de science certaine.

S’il faut nous séparer figurez-vous ma peine :

Ce sera pour mon cœur le coup le plus tuant...

ÉSOPE.

Vous ne voulez, donc point tâter du Chat-huant ?

DORIS.

Et si, Monsieur ! comment voulez-vous qu’elle en tâte ?

Il n’est ragoût si bon qu’un tel morceau ne gâte.

C’est un mets dégoûtant qui fait bondir le cœur.

EUPHROSINE.

Direz-vous à mon Père un mot en ma faveur ?

Puis-je l’espérer ?

ÉSOPE.

Oui, je prétends faire en sorte

Que dès demain...

 

 

Scène IV

 

ÉSOPE, EUPHROSINE, DORIS, UN OFFICIER

 

DORIS.

Voici le Café qu’on apporte.

ÉSOPE, à Euphrosine.

N’en prenez-vous pas ?

EUPHROSINE.

Non.

ÉSOPE.

Quoi, jamais ?

EUPHROSINE.

Rarement.

ÉSOPE.

Prenez-en avec moi, s’il vous plaît ; autrement

Il pourrait à vos feux arriver du désordre ;

Et par le Chat-huant je vous laisserais mordre.

DORIS.

Et prenez-en, Madame, au lieu d’une fois, deux,

Et garantissez-vous d’un oiseau si hideux.

EUPHROSINE.

Le Café me fait mal.

DORIS.

Je boirais de l’absinthe

Pour trouver à sortir d’un pareil labyrinthe.

EUPHROSINE.

Que l’on m’en donne donc, puisqu’il vous plaît ainsi,

Monsieur.

ÉSOPE.

La Confidente en prendra bien aussi ?

Je vois bien qu’à la joie elle n’est pas contraire.

DORIS.

Oh pour moi, volontiers, je suis fille à tout faire.

ÉSOPE.

Allons : à la santé de votre époux futur.

Vous me ferez raison que je crois ?

EUPHROSINE.

À coup sûr.

Vous touchez de mon cœur un endroit trop sensible,

Pour vous rien refuser qui lui semble possible.

Quand vous verrez mon Père, appuyez fortement

Sur les perfections de mon premier Amant.

J’attends tout d’un secours aussi grand que le vôtre.

DORIS.

Et surtout pesez bien sur les défauts de l’autre.

Faites-en un portrait vilain au dernier point ;

Quoique vous en disiez vous ne l’outrerez point.

EUPHROSINE.

Dites que le premier, digne de ma tendresse,

Est l’homme le mieux fait qu’ait vu naître la Grèce.

DORIS.

Dites que le second, bâti tout de travers,

Est le plus laid Matin qu’ait produit l’Univers.

EUPHROSINE.

Persuadez-lui bien qu’Agénor, je le nomme,

À toutes les vertus qui font un honnête homme.

DORIS.

Persuadez-lui bien qu’il n’est vice si bas

Que n’ait le Godenot que je ne nomme pas.

EUPHROSINE.

Que pour l’un chaque jour renouvelant mon zèle,

Jusqu’au dernier soupir je lui serai fidèle.

DORIS.

Que pour l’autre, mal propre au lien conjugal,

S’il se joue à l’hymen il s’en trouvera mal :

Et qu’il a sur le front une table d’attente

Qui de sa destinée est la preuve éclatante.

Voilà ce qu’à son Père il faut faire savoir.

 

 

Scène V

 

ÉSOPE, EUPHROSINE, DORIS, UN LAQUAIS, UN OFFICIER

 

LE LAQUAIS.

Une Dame est là-bas qui demande à vous voir,

Monsieur.

ÉSOPE.

Quelle Dame est-ce ?

LE LAQUAIS.

Une Dame qu’on nomme...

À Doris.

C’est cette Dame... et là... plus savante qu’un homme :

Dont l’esprit est si creux qu’on n’en voit point le fond,

Et qui ne parle pas comme les autres font.

DORIS.

Je sais qui c’est. Sortons, rendons-lui ce service ;

L’entretien d’une femme est pour elle un supplice.

Elle veut du pompeux jusqu’au moindre discours.

ÉSOPE.

Qu’elle entre.

Le Laquais rentre.

EUPHROSINE.

Mon espoir est dans votre secours ;

Vous me l’avez promis, et je le vais attendre.

ÉSOPE.

Allez, je ferai plus que vous n’osez prétendre.

 

 

Scène VI

 

HORTENSE, ÉSOPE

 

HORTENSE.

La Déesse à cent voix, qui du sein d’Atropos

Sauve les noms fameux et les faits des Héros,

La Renommée, enfin, vous met en parallèle...

ÉSOPE, bas.

Quel diantre de jargon celle-ci parle-t-elle ?

Par charité, Madame, ou daignez m’excuser,

Ou daignez vous résoudre à vous humaniser :

Votre style est si haut que j’ai peine à l’entendre.

HORTENSE.

Je ne crois pas, Monsieur, que j’en puisse descendre ;

Je l’ai plus de cent fois vainement éprouvé :

J’ai naturellement l’esprit trop élevé :

Votre peine à m’entendre est une raillerie ;

Vous avez l’Intellect d’une Catégorie...

ÉSOPE.

Madame, en vérité ce jargon m’est suspect.

Je n’ai jamais appris ce que c’est qu’Intellect ;

Et je crois sottement, tant que j’ai la tête dure,

Qu’une Catégorie est une grosse injure.

À quoi sert de parler que pour être entendu ?

Et si je vous entends je veux être pendu.

HORTENSE.

Quoi, l’Esprit le plus beau de tout notre hémisphère

Voit de l’opacité parmi tant de lumière !

Ce qui passe chez vous pour des obscurités,

Chez le monde poli sont des Aménités,

Descendre d’où je suis au langage vulgaire,

Est un éboulement que je ne saurais faire :

Le chemin m’en paraît impraticable et long.

ÉSOPE.

Eh ! de grâce, Madame, à qui parlez-vous donc ?

Avant qu’un serviteur puisse vous être utile,

Il lui faut plus d’un an pour savoir votre style

Et pour les étrangers, à parler franchement,

Nul ne peut vous entendre à moins d’un truchement.

Êtes-vous mariée ?

HORTENSE.

Ô Ciel ! Quelle demande !

Puis-je l’être ?

ÉSOPE.

Eh oui-da, vous êtes assez grande.

HORTENSE.

Quand les gens comme moi veulent se marier,

Il leur faut même espèce à qui s’apparier.

Voulez-vous qu’un Mari dans ses heures brutales,

Pour transmettre après lui ses vertus animales,

Introduise à la vie un nombre de Marmots

Qui tiendront de leur père, et qui seront des sots ?

ÉSOPE.

Mais qui voyez-vous donc ? Car c’est là ma surprise.

HORTENSE.

Je me tiens dans ma chambre, où je me tranquillise.

J’aime mieux être seule, et dans l’inaction,

Que de mésallier ma conversation.

Un discours sans figure est un mets que j’abhorre,

Je veux de l’antithèse ou de la métaphore ;

Des mots pleins d’énergie et d’érudition,

Comme inintelligible, inaffectation :

J’y trouve une beauté presque inimaginable.

ÉSOPE.

Voudriez-vous bien entendre une petite Fable,

Madame ?

HORTENSE.

Volontiers. L’Apologue me plaît,

Quand l’application en est juste.

ÉSOPE.

Elle l’est.

 

LE ROSSIGNOL.

 

Un Rossignol inquiet et volage,

Dont le gazouillement était touchant et beau,

Ennuyé du même ramage,

Voulut en apprendre un nouveau.

Il avait pour voisine une jeune Linotte

Qui d’un Fluteur expert recevoir des leçons ;

Et qui du flageolet imitant tous les sons,

Semblait avoir appris jusqu’à la moindre note.

Le Rossignol persuadé

Qu’à ses vastes clartés rien n’était difficile,

Apprit grossièrement un damage guindé ;

Et de tous les oiseaux se crut le plus habile.

Mais son sort fut si cruel

Par son imprudence extrême,

Que dans ses plus beaux airs rien n’étant naturel,

Dès qu’il vouloir siffler, on le sifflait lui-même.

 

Pour peu qu’à cette Fable on ait d’attention,

On ne peut se méprendre à l’application.

Et comme j’aperçois de la mésalliance

Entre votre mérite et mon insuffisance,

Pour me faire un devoir de n’en pas abuser,

Je vous laisse un champ libre à vous tranquilliser.

En s’en allant.

Chaque mot qu’elle dit m’étourdit et m’assomme.

HORTENSE.

Hé quoi, ce Mirmidon passe pour un grand Homme !

Je ne puis revenir de ma perplexité :

Je l’aurais méconnu sans sa difformité.

Je ne sais quelle étoile à mon heure première

Sur le cours de ma vie influa sa lumière ;

Mais je vois peu d’Esprits, à les parcourir bien,

Qui soient de l’étendue et de l’ordre du mien.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

EUPHROSINE, DORIS

 

DORIS.

Eh, bons Dieux ! qu’avez-vous, qui vous rend éperdue ?

EUPHROSINE.

Je n’en puis plus.

DORIS.

D’où vient...

EUPHROSINE.

Doris, je suis perdue.

DORIS.

Qu’est-ce qu’on vous a fait, et que dois-je penser ?

EUPHROSINE.

Il faudrait, que je crois, un peu me délacer.

J’étouffe.

DORIS.

Hé bien, venez : çà que je vous délace.

EUPHROSINE.

Arrête. Je suis mieux ; et voilà, qui se passe.

DORIS.

Courage, efforcez-vous ; reprenez vos esprits.

Qu’avez-vous ?

EUPHROSINE.

Ce que j’ai ? Je ne puis avoir pis.

DORIS.

Depuis si peu de temps que je ne vous ai vue,

Vous est-il arrivé quelque affaire imprévue ?

EUPHROSINE.

Juges-en par mon trouble et par mon désespoir ;

Ou prête-moi l’oreille, et tu vas tout savoir.

Apprends, Doris, apprends que le fourbe d’Ésope...

DORIS.

Achevez ; qu’a-t-il fait le malheureux Cyclope ?

EUPHROSINE.

Loin de tenir parole, et d’être mon appui,

Il n’a pas dit un mot qui n’ait été pour lui.

Il m’épouse demain par l’ordre de mon Père.

DORIS.

Lui, Madame !

EUPHROSINE.

Est-ce à tort que je me désespère ?

Parle-moi nettement, nous sommes sans témoins,

Est-ce à tort...

DORIS.

Non, Madame, on se pendrait à moins.

De votre désespoir quelque effet qu’on redoute,

Être femme d’Ésope est encor pis sans doute :

Et se précipiter d’un haut rocher à bas,

Est un sort moins cruel que d’entrer dans ses bras.

Comment ? Quand ce Magot d’odieuse mémoire,

À votre époux futur vous a tantôt fait boire,

C’était à sa santé, sans que vous le crussiez,

Que ce malin Bossu voulait que vous bussiez ?

Il faut qu’assurément votre Père radote.

EUPHROSINE.

Quel époux il me donne, et quel amant il m’ôte !

Tu sais ce qu’est Ésope, et ce qu’est Agénor.

DORIS.

Belle comparaison ! C’est du fer et de l’or.

Mais Agénor aussi, dont l’amour est extrême,

N’est guère impatient de revoir ce qu’il aime :

Depuis qu’il est parti pour aller à Lesbos,

De son Père défunt empaqueter les os,

Deux mois font écoulés, et voici le troisième...

EUPHROSINE.

Qu’aperçois-je, Doris ?

DORIS.

Madame, c’est lui-même !

 

 

Scène II

 

AGÉNOR, EUPHROSINE, DORIS

 

AGÉNOR.

Quoi, dans votre entretien avais-je quelque part,

Euphrosine ?

EUPHROSINE.

Agénor, que vous arrivez tard ?

AGÉNOR.

Il est vrai ; mais, Madame, une tempête étrange...

DORIS.

Madame est mariée, ou peu s’en faut.

AGÉNOR.

Qu’entends-je !

Dis-tu vrai ?

DORIS.

Que trop vrai.

AGÉNOR.

Quoi, sincèrement ?

DORIS.

Oui,

Un Rival venu d’hier, vous en sèvre aujourd’hui :

Voilà la vérité toute pure.

AGÉNOR.

Ah, Madame !

Avez-vous pu trahir une si belle flamme ?

Avez-vous pu...

EUPHROSINE.

Calmez ces mouvements jaloux :

Je suis dans ce malheur plus à plaindre que vous.

Lorsque de trahison votre cœur me soupçonne,

Il ne sait pas qu’Ésope est l’Époux qu’on me donne.

AGÉNOR.

Ésope ! Et le moyen de présumer cela ?

L’homme le plus mal fait, le plus laid !

DORIS.

Le voilà.

Il s’est rendu fameux par sa méchante mine ;

On le connaît partout.

AGÉNOR.

Pardon, belle Euphrosine.

Votre Père, sans doute, use ici de ses droits :

Vous avez trop bon goût, pour un si mauvais choix.

Ésope !

EUPHROSINE.

Tel qu’il est, il a charmé mon Père :

Il est infatué de son esprit austère :

Ses égards vont pour lui par delà le respect.

DORIS.

Choisissez pour gémir un endroit moins suspect.

L’appareil que voilà doit allez vous apprendre,

Que les Clients d’ Ésope en ce lieu se vont rendre :

Dans ce fauteuil douillet, votre Époux prétendu,

Que de tout votre cœur voudriez voir pendu,

Va donner audience à qui voudra se plaindre ;

Et s’il vous aperçoit, vous en devez tout craindre.

Dans votre appartement menez Monsieur sans bruit ;

Et si vous y parlez, que ce soit avec fruit :

À soupirer gratis on perd plus qu’on ne gagne ;

Il faut aller au fait, sans battre la campagne.

EUPHROSINE.

Et si mon Père y vient, quel sera mon dépit ?

DORIS.

L’amour que vous avez vous fait perdre l’esprit.

Avant que votre Père ait ouvert votre porte,

Monsieur sera sorti, il vous voulez, qu’il sorte :

Le petit Escalier qui conduit au jardin,

Contre toute surprise offre un secours soudain ;

Allez sans hésiter où mon zèle vous pousse.

Hé bien ! Ne voilà pas le Chat-huant qui tousse ;

Passez de ce coté de peur d’en être vus.

L’Animal qui paraît rend tous mes sens émus ;

Il n’est pas dans le monde un plus hideux visage.

 

 

Scène III

 

ÉSOPE, LÉARQUE, DORIS

 

LÉARQUE.

Doris.

DORIS.

Monsieur.

LÉARQUE.

Hé bien, ma fille est-elle sage ?

DORIS.

Fort sage.

LÉARQUE.

Que fait-elle ?

DORIS.

Elle ronge son frein,

Trouve le jour obscur, quoiqu’il soit fort serein ;

À votre volonté tâche d’être rebelle :

Et la plus sage fille en ferait autant qu’elle.

Où diantre, je vous prie, est votre jugement ?

LÉARQUE.

J’ai parlé, c’est assez, point de raisonnement.

Monsieur lui fait honneur. Dis encor le contraire.

DORIS.

Moi ! Non ; mais c’est, je crois, tout ce qu’il lui peut faire.

Monsieur a ses raisons, que je ne blâme pas ;

S’il aime ma Maîtresse, il lui voit des appas ;

Mais Euphrosine aussi n’est pas moins raisonnable,

Et Monsieur qu’elle hait, est assez haïssable.

C’est une vérité que je ne puis trahir ;

L’un a raison d’aimer, et l’autre de haïr.

Voilà mon sentiment, puisqu’on veut qu’il éclate.

ÉSOPE.

J’ai près de votre fille une bonne Avocate !

Qu’en dites-vous ?

LÉARQUE.

Sortez, impudente.

DORIS.

Je sors.

Mais aurez-vous raison, quand je serai dehors ?

Serez-vous moins gêné par votre conscience ?

ÉSOPE.

De l’air dont elle parle en ma propre présence,

Dieu sait comme en secret je suis sur le tapis.

DORIS.

Je dis la vérité : que dirais-je de pis ?

Adieu.

 

 

Scène IV

 

LÉARQUE, ÉSOPE

 

LÉARQUE.

Sur ma parole ayez l’âme tranquille.

Je sais qu’à son devoir Euphrosine est docile.

On l’arrache avec peine à son premier Amant.

ÉSOPE.

L’aime-t-elle ?

LÉARQUE.

Beaucoup.

ÉSOPE.

Et lui ?

LÉARQUE.

Pareillement.

ÉSOPE.

Est-il jeune ?

LÉARQUE.

À peu près de l’âge de ma fille.

ÉSOPE.

Riche ?

LÉARQUE.

Fort riche.

ÉSOPE.

Noble ?

LÉARQUE.

Oui, de bonne famille.

ÉSOPE.

Bien fait avec cela ?

LÉARQUE.

Parfaitement bien fait.

ÉSOPE.

Pourquoi trouvez-vous donc que je sois mieux son fait ?

C’est changer un bon champ contre une terre en friche.

Je ne suis, comme on sait, Jeune, Noble, ni Riche.

Pour bien fait, écoutez, je suis de bonne foi,

D’abord qu’un enfant crie, on lui fait peur de moi.

Qui vous peut obligera l’effort que vous faites ?

LÉARQUE.

Et comptez-vous pour rien la faveur où vous êtes ?

Beau-Père d’un tel homme, et sur de son crédit,

Il n’est aucun espoir qui me soit interdit.

J’ai pour vous préférer de légitimes causes.

ÉSOPE.

Fort bien. Ayez dont soin d’aplanir toutes choses.

LÉARQUE.

Je vais près de ma fille user de mon pouvoir.

ÉSOPE.

Adieu. Qu’on fasse entrer ceux qui voudront me voir.

 

 

Scène V

 

DEUX VIEILLARDS, ÉSOPE

 

PREMIER VIEILLARD.

Monseigneur...

ÉSOPE.

Tout d’abord j’interromps cette phrase ;

Le mot de Monseigneur demande trop d’emphase ;

Pour gens faits comme moi je l’abroge.

DEUXIÈME VIEILLARD.

Monsieur,

Notre Ville demande un nouveau Gouverneur.

ÉSOPE.

Et la raison ?

PREMIER VIEILLARD.

Le notre est devenu trop riche :

On ne peut tant gagner, à moins que l’on ne triche.

Quant il vint s’établir dans son gouvernement,

Il avoir pour cortège un Laquais seulement,

Et pour tout équipage une méchante Rosse :

Maintenant six chevaux font rouler son Carrosse.

Il ferre le bouton quand on s’adresse à lui...

ÉSOPE.

Passons. Tous ses pareils font de même aujourd’hui.

Menace-t-il ? Bat-il, sans relâche ni trêve ?

DEUXIÈME VIEILLARD.

Non, Monsieur, mais...

ÉSOPE.

Quoi, mais.

DEUXIÈME VIEILLARD.

Il est si gras qu’il crève ;

À s’engraisser encor il applique ses soins.

ÉSOPE.

Un autre qui viendra s’engraissera-t-il moins ?

Pour courir à la proie il est le plus allègre.

Rien n’incommode tant qu’un nouveau Seigneur maigre ;

À chaque heure du jour vous l’avez sur les bras ;

Il le faut engraisser et le votre est tout gras :

Et c’est pour le Public une chose moins aigre

D’entretenir un gras que d’engraisser un maigre.

Qu’avez-vous à répondre à cela ?

PREMIER VIEILLARD.

Nous, Monsieur ?

Que nous ne voulons plus de nouveau Gouverneur.

Fut-il encor plus gras, nous garderons le nôtre.

DEUXIÈME VIEILLARD.

Monsieur, à cette grâce ajoutez-en une autre.

Le Peuple pour son Prince est tout zélé, tout feu.

Obtenez de Crésus qu’il s’en souvienne un peu :

Plus il est élevé sur les autres Monarques,

Et plus de sa bonté nous attendons de marques,

Auprès d’un si grand Roi prenez nos intérêts.

ÉSOPE.

Voici pour vous répondre un apologue exprès.

 

LES MEMBRES ET L’ESTOMAC.

 

Les Petits sont sujets à des fautes extrêmes.

Un jour les Membres las de nourrir l’Estomac,

Dirent que tout leur gain allait dans ce Bissac ;

Et croyant se venger se punirent eux-mêmes.

Qu’il travaille s’il veut manger.

Chacun à son devoir ne veut plus se ranger :

Les Pieds cessent d’aller, les Mains cessent de prendre ;

Et lorsque l’Estomac voulut les avertir

Qu’ils se repentiraient de le laisser pâtir,

Aucun d’eux ne voulut l’entendre.

Pendant que l’on s’applaudissait

D’avoir fait un si beau divorce,

Plus l’Estomac s’affaiblissait,

Moins les Membres avaient de force.

Enfin quand de gronder les Membres furent las,

Voulant prendre un air moins farouche,

Les Pieds ne purent faire un pas,

Ni les débiles Mains aller jusqu’à la bouche :

Et manque de secours l’Estomac rétréci,

Étant mort, par leur soute, ils moururent aussi.

 

À peser comme il faut le sens de cette Fable,

De bonne foi, la plainte est-elle raisonnable ?

En donnant de vos biens une légère part,

Le reste en fureté ne court aucun hasard.

Vous jouissez sans peur de vos fertiles terres ;

Elles sont à l’abri du ravage des guerres ;

Et vos riches troupeaux paissent dans vos guérets,

Comme si l’on était dans une pleine paix.

La Guerre, en quatre jours, au pied de vos murailles,

Ferait plus de dégât que cinquante ans de tailles ;

Et de votre repos vos ennemis jaloux,

S’ils ne l’avaient chez eux l’apporteraient chez vous.

Comme un bon Estomac, Crésus avec usure

Sur le Corps tout entier répand la nourriture ;

Et des Membres divers infatigable appui,

Il travaille pour eux plus qu’ils ne font pour lui.

À redoubler vos soins, ces raisons vous invitent.

Plus l’Estomac est bon, plus les Membres profitent ;

Quand il a de la force, ils sont forts, agissants ;

Et quand il est débile, ils font tous languissants.

C’est une vérité qu’on ne peut mettre en doute.

PREMIER VIEILLARD.

On est plus que content pour peu qu’on vous écoute.

Heureux qui tous les jours a le bien de vous voir !

En se diversifiant on apprend son devoir :

Ce que par l’Estomac nous prescrit votre Fable,

Est de tous les devoirs le plus indispensable.

Adieu, Puissiez-vous vivre encor un siècle au moins.

DEUXIÈME VIEILLARD.

Et puissions-nous tous deux en être les témoins.

Du meilleur de mon cœur je fais cette prière.

ÉSOPE.

Oh, Je n’en doute point, et je vous crois sincère,

C’est sans difficultés, que dans cent ans d’ici

Vous voudriez bien me voir, et moi vous voir aussi.

J’en sais qui donneraient une bien grosse somme.

 

 

Scène VI

 

PIERROT, ÉSOPE

 

PIERROT.

Testidié, je vois bien que vous êtes mon homme.

Vous seriez un menteur si vous disiez que non :

Malgré vous, votre bosse enseigne votre nom.

Serviteur.

ÉSOPE.

Avez-vous quelque chose à me dire ?

PIERROT.

Je ne saurais vous voir et m’empêcher de rire.

Je n’ai vu de ma vie un plus drôle de corps.

Ce que j’ai sur le cœur je le boute dehors.

Au reste, bon vivant, tout aussi-bien qu’un autre.

ÉSOPE.

Venons au fait. Mon temps m’est plus cher que le vôtre.

Voulez-vous quelque chose ?

PIERROT.

Et mordié, l’on sait bien

Qu’on ne voit pas les gens quand on ne leur veut rien :

Voici ce que je veux : écoutez bien.

ÉSOPE.

J’écoute.

PIERROT.

J’ai, comme vous voyez, un peu d’esprit.

ÉSOPE.

Sans doute.

PIERROT.

D’un Village ici-près je suis le fin premier :

J’ai bon vin dans ma cave, et blé dans mon grenier ;

J’ai des bêtes à cornes, et des troupiaux à laine :

Et ma cour de Volaille est toujours toute pleine ;

Mais tenez, franchement, j’en dis du mirlirot.

Testidié, je suis las d’être appelle Pierrot.

J’ai dans un sac de cuir raisonnablement large,

Plus d’argent qu’il n’en faut pour avoir une Charge.

Enfin, bref, je veux être apprenti Courtisan.

J’ai mon cousin germain, comme moi Paysan,

Qui sortit de chez lui le bissac sur l’épaule,

Des sabots dans ses pieds, dans sa main une gaule,

Et qui par la mordié fait si bien et si biau,

Qu’il est auprès du Roi comme un poisson dans l’iau.

Il n’est pour bien nager que les grandes Rivières.

Je ferai notre femme une des Chambrières

De la Reine... et puis crac. Et mordié que sait-on ?

Vous qui du Roi Crésus êtes le Factoton,

Je vous prie, en payant, de me rendre un sarvice,

Car chez vous autres Grands, point d’argent, point de Suisse.

Choisissez-moi vous même une charge.

ÉSOPE.

À vous ?

PIERROT.

Oui.

À votre aise ; demain, si ce n’est aujourd’hui.

Prenez-en une... là... qui soit bien mon affaire.

Qui rapporte biaucoup, et qui ne coûte guère.

ÉSOPE.

Quelle charge à la Cour vous est propre ?

PIERROT.

Et mordié,

Qu’importe, Connétable, ou bien Valet de Pié.

Vingt francs plus, vingt francs moins, que rien ne vous empêche.

Je ne sais ce que c’est que de faire le blêche.

Qui dira le contraire en a, mordié, menti ;

Et voilà, palsandié, comme je suis bâti.

ÉSOPE.

Eh, Monsieur le Manant, apprenez-moi de grâce,

Puisque vous êtes bien, pourquoi changer de place ?

Pourquoi vous transplanter, et sortir de ces lieux ?

PIERROT.

Pardié, si je suis bien, c’est pour être encor mieux.

ÉSOPE.

Fort bien ; c’est raisonner, et j’aime qu’on raisonne.

Voyons si dans le fond votre raison est bonne.

Vous dites que chez vous rien ne vous manque ?

PIERROT.

Non.

ÉSOPE.

Vous avez de bon vin ?

PIERROT.

Oui, testidié, fort bon.

J’en trinque...

ÉSOPE.

Vous mangez sans nulle défiance ?

Sans d’aucun héritier craindre l’impatience ?

PIERROT.

Oui, pardié.

ÉSOPE.

Vous dormez sans trouble et sans effroi ?

Tant qu’il vous plaît ?

PIERROT.

Mordié, je dors comme je boi :

Tout mon saoul.

ÉSOPE.

Vous avez quelques amis sincères ?

PIERROT.

Je le somme tretous, je vivons comme frères ;

Quand l’un peut sarvir l’autre, il n’y manque jamais ;

Et si j’avons du bien je le mangeons en paix.

Les Fêtes sous l’ormiau j’allons jouer aux quilles,

Ou bien j’allons sur l’harbe avec les jeunes filles ;

Et je batifolons tant que dure le jour.

ÉSOPE.

Et tu veux acheter une Charge à la Cour ?

Où peux-tu rencontrer une plus douce vie ?

Tu manges, bois, et dors quand il t’en prend envie :

Et je sais force Gens de grande qualité,

Qui n’ont pas à la Cour la même liberté.

Il n’est point là d’ami dont on ne se défie ;

On n’y boit point de vin que l’on ne falsifie ;

Quelque pressant besoin qu’on ait d’être repu,

On n’y saurait manger sans être interrompu ;

Et quand de lassitude en soi-même on sommeille,

Quelque peine qu’on souffre, il faut souvent qu’on veille.

Préfère ton repos à tout cet embarras ;

Et sois sage du moins comme un de ces deux Rats.

Écoute.

 

LES DEUX RATS.

 

Un Rat de Cour, ou si tu veux, de Ville,

Voulant profiter du beau temps,

S’échappa du Cellier qui lui servait d’asile,

Et fut se promener aux Champs.

Comme il respire l’air dans un sombre boccage,

Il rencontre un Rat de Village,

D’abord bras dessus, bras dessous :

Après s’être bien dit serviteur, moi le vôtre,

Le Rat campagnard pria l’autre

D’aller se rafraîchir dans quelqu’un de ses trous.

Là le Villageois le régale,

De Raisins, de Pommes, de Noix ;

Mais quoi que son zélé étale,

Rien ne touche le Bourgeois ;

Et pour un Rat d’un tel poids,

Cette vie est trop frugale.

Venez-vous-en, dit-il, me voir à votre tour ;

Je veux avoir ma revanche,

Et vous régaler Dimanche ;

Je loge en tel endroit, proche un tel carrefour.

Le sobre Rat des Champs qui du bout d’une Rave

Dînait assez souvent, et ne dînait pas mal,

Trouve l’autre dans la cave

D’un gros Fermier Général.

Huile, Beurre, Jambons, petit Salé, Fromage,

Tout y regorge de bien :

Et ce qui pour le Maître est un grand avantage,

Cela ne coûte guère, ou pour mieux dire, rien.

Nos deux Rats étant à même,

Avaient de quoi se saouler :

Mais un Chat par malheur s’étant mis à miauler,

Ils le crurent tous deux dans un danger extrême.

Le péril étant passé,

Ils revinrent à leur proie ;

Mais leur repas à peine était recommencé,

Qu’on revient troubler leur joie ;

Tantôt c’est un Sommelier,

Qui veut boire bouteille avec ses Camarades,

Et tantôt un autre Officier

Veut de l’huile pour ses salades.

Enfin le pauvre Rat, qui dans son cher Hameau

Passait ses heureux jours sans crainte et sans envie.

Las de voir qu’à chaque morceau

Il soit en danger de la vie,

Prend congé de son Hôte, en lui disant ces mots :

Vos mets ne me touchent guère :

Peut-on faire bonne chère

Où l’on n’a point de repos ?

 

Ne m’avoueras-tu pas que ce Rat fut fort sage,

De vouloir promptement regagner son Village ?

De quoi sert l’abondance au milieu du danger ?

Il avoir force mets, et ne pouvait manger.

Ton sort sera pareil, si tu prends une Charge.

PIERROT.

Après ce que je sais, mordié je m’en gobarge.

Moi, donner de l’argent, je serais un grand fou,

Pour n’oser ni manger, ni dormir tout mon saoul !

Pour ne boire jamais que du vin qu’on frelate !

Pour être jour et nuit comme un Chat sur ma pate !

Pour avoir des amis qui font de vrais Judas !

Nenni, mordié, nenni, je ne m’y frotte pas,

C’est avoir de l’esprit de donner une somme,

Pour manger à son aise, et dormir d’un bon somme ;

Mais dépenser son bien pour acheter du mal,

Révérence parler, c’est être un animal.

Tenez, sans le plaisir que m’a fait votre fable,

J’allais être assez sot pour être Connétable.

Dieu sait comme à loisir je m’en mordrais les doigts.

ÉSOPE.

Adieu. Si tu le peux, fois sage une autre fois :

Surtout ne prends jamais de fardeau qui t’assomme.

PIERROT.

Testidié, que ce Rat était un habile homme ?

Vous êtes vous et lui, tant plus j’ouvre les yeux,

De tous les animaux ceux que j’aime le mieux.

Plaquez-là votre main. Si vous me voulez suivre,

Je m’offre de bon Cœur de vous renvoyer ivre :

J’ai d’un vin frais parce, qu’on ne frelate point,

Dont je chamarrerons le moule du pourpoint.

Venez.

ÉSOPE.

Adieu, Pierrot. Encor un coup, sois sage ?

PIERROT.

Eh mordié, que de joie aurait notre Village !

On n’a jamais tant ri que nous ririons tretous,

De voir un Margajat fagoté comme vous.

Stanpendant, qu’à venir votre esprit se résoude.

Adieu, quand vous voudrez je hausserons le coude.

Si je vous y tenais, je boirions à ravir.

 

 

Scène VII

 

UN MAÎTRE D’HÔTEL, ÉSOPE, PIERROT

 

LE MAÎTRE D’HÔTEL.

Monsieur, on vous attend, et l’on vient de servir.

ÉSOPE.

Allons.

PIERROT.

St, st, un mot. Comme amis l’un de l’autre,

Buvez à ma santé, je vais boire à la vôtre ;

Et par six rougebords, avalés de bon cœur,

Vous montrer que Pierrot est votre sarviteur.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LÉARQUE, EUPHROSINE, DORIS derrière et assez loin

 

LÉARQUE, à Euphrosine.

Vous ne méritez pas les honnêtes manières

Qui me font avec vous abaisser aux prières.

Qu’Agénor soit aimé, qu’Ésope soit haï,

N’importe ; je suis Père, et veux être obéi.

À toutes vos raisons la mienne est préférable.

DORIS.

Oui, quand votre raison sera plus raisonnable.

LÉARQUE.

Démon né pour me nuire, apprends-moi d’où tu sors ?

Je t’ai fait satisfaire, et t’ai mise dehors.

Je ne te veux plus voir diviser ma famille,

Et mettre mal ensemble et le Père et la Fille.

Qui te peut, malgré moi, faire encor revenir ?

DORIS.

Un sot zèle pour vous qui ne saurait finir.

Je ne m’en veux mal.

LÉARQUE.

Et moi, je veux mal à ton zèle.

DORIS.

Je reviens en ce lieu moins pour vous que pour elle.

LÉARQUE.

Pour elle ni pour moi, je ne t’y veux point voir.

DORIS.

Moi, je veux jusqu’au bout signaler mon devoir.

De quoi vous plaignez-vous, que de mon zèle extrême

Qui vous veut obliger à rentrer en vous-même ?

Je suis au désespoir, et ce n’est pas à tort,

De voir tant de vertus faire naufrage au port.

Ce n’est point l’intérêt qui vers vous me rappelle.

Reprenez votre argent, et laissez-moi mon zèle.

Laissez-moi le plaisir, sans en être jaloux,

D’avoir pour votre Enfant plus d’amitié que vous.

Il ne s’est jamais vu Fille mieux élevée ;

Jeunesse si docile, et si bien cultivée ;

Son mérite naissant promettait d’aller loin :

Pour tout dire en un mot, j’en avais pris le soin ;

Et je sens un chagrin qui me pénètre l’âme

Quand une honnête Fille est malhonnête Femme.

Voilà ce que souvent cause un Père têtu.

LÉARQUE.

Quoi ma fille étant femme aura moins de vertu ?

DORIS.

Qui que ce soit, Monsieur, qui soit femme d’Ésope.

Il n’est pas malaisé d’en tirer l’Horoscope.

LÉARQUE.

Comment ?

DORIS.

Vous m’entendez. Quel besoin d’achever.

LÉARQUE.

Qu’en arrivera-t-il ?

DORIS.

Qu’en peut-il arriver ?

Je vous mets en sa place, et je vous prends pour elle.

Si vous aviez vingt ans, et que vous fussiez belle,

Et qu’un homme bien fait, et bien-aimé de vous,

Vous vît donner par force un Magot pour Époux,

Quand vous vous trouveriez un moment tête-à-tête.

Quelle vertu, Monsieur, ne ferait pas la bête ;

Ne nous entêtons point et parlons de bons sens.

Quoi ! Les gens les mieux faits ne seront pas exempts

D’une contagion qui devient si commune,

Et vous croyez qu’Ésope aura plus de fortune ?

Quelque Femme qu’il ait, je le dis en un mot,

Si ce n’est une Sotte, il faut qu’il soit un Sot.

J’en réponds.

LÉARQUE.

Apprends-moi, pernicieuse Peste.

Si ta langue maudite a jouc de son reste ?

As-tu fait ?

DORIS.

Oui.

LÉARQUE.

Sors donc abominable esprit.

DORIS.

Je ne sertirai point sans congé par écrit.

Je prétends que l’on sache ou mon zèle m’emporte.

Et par quelle raison vous voulez que je sorte.

LÉARQUE.

Parce que je le veux. Sors d’ici de ce pas.

DORIS.

Dussiez-vous me tuer, je n’en sortirai pas.

Donnez-moi vingt soufflets, c’est ce que je demande :

Choisissez quelle joue il vous plaît que je tende :

Me voilà prête à tout, hors à me séparer

D’une pauvre Brebis qu’un Loup veut dévorer.

Eh, Monsieur, rappeliez votre tendresse extrême,

Et laissez-moi...

LÉARQUE.

Demeure, et laisse moi, toi-même.

Quelque insolent discours que j’en aie essuyé,

Je vous la rends. Tantôt vous m’en avez prié.

Mais à condition, c’est moi qui vous l’impose,

Que pour l’amour de moi, vous ferez quelque chose.

Ésope, qui demain doit être votre Époux,

N’est qu’à demi content s’il ne vous tient de vous :

Il vous doit venir voir, assuré par moi-même,

Que vous serez sensible à cet honneur extrême ;

Et qu’en Fille bien née, et qui sait son devoir,

Vous aurez du plaisir à le bien recevoir.

Faites-moi dire vrai : le voilà qui s’avance.

 

 

Scène II

 

ÉSOPE, LÉARQUE, EUPHROSINE, DORIS

 

LÉARQUE.

Ma Fille vous attend avec impatience,

Monsieur. Suis-moi, Doris, et laissons-les tous deux

Exprimer leur tendresse, et parler de leurs feux.

 

 

Scène III

 

ÉSOPE, EUPHROSINE

 

Ils font une petite scène muette, et sont un espace de temps sans se parler.

ÉSOPE.

Beauté, qui dans mon cœur lancez plus d’une flèche,

La conversation me paraît un peu sèche.

On dit que les Amants, pour ne se rien celer,

Au défaut de la voix ont les yeux pour parler :

Et nous pour éviter le chemin ordinaire,

Nous nous faisons entendre à force de nous taire.

Honorez, s’il se peut, Objet charmant et doux,

D’un regard plus bénin votre futur Époux.

Tel que vous me voyez, trente beautés me briguent ;

Elles n’ont point d’attraits qu’elles ne me prodiguent ;

Pour tout autre que vous j’ai le cœur engourdi,

Et vous me préférez un petit Étourdi...

EUPHROSINE.

S’il était devant vous, ce que son air inspire,

Sans doute suffirait pour vous faire dédire.

ÉSOPE.

Un petit Fat.

EUPHROSINE.

Monsieur...

ÉSOPE.

Un petit Freluquet,

De qui tout le mérite est un peu de caquet.

EUPHROSINE.

Je vais pour repousser l’affront que vous lui faites,

Le peindre tel qu’il est, et vous tel que vous êtes.

Vous me direz après qui doit plaire à mes yeux.

ÉSOPE.

Non, naturellement je suis peu curieux.

Ne bougez. Sans orgueil on ne se fait point peindre.

EUPHROSINE.

Ce n’est pas un malheur que vous ayez à craindre.

Si l’on vous avait peint, vous verriez d’un coup d’œil,

Que vous auriez grand tort d’en avoir de l’orgueil.

ÉSOPE, bas.

La petite Friponne a des raisons piquantes,

Qui pourtant dans le fond ne font pas trop méchantes.

Voyons si de son sexe on aime constamment.

Vous me préférez donc votre insipide Amant ?

Votre Quolifichet plein de fard et de gomme ;

Qui pour toutes vertus est un beau petit homme ;

Et qui bornant ses soins à s’orner le dehors,

A l’esprit mal bâti, plus que je n’ai le corps.

EUPHROSINE.

Pour la dernière fois, épargnez ce que j’aime ;

Ce que vous offensez, m’est plus cher que moi-même :

Si vous continuez, ces mots injurieux,

J’en sais de plus piquants qui vous conviendront mieux :

Un si juste courroux n’aura point de limites,

ÉSOPE.

Parlons net. L’aimez vous autant que vous le dites ?

EUPHROSINE.

Si je l’aime !

ÉSOPE.

Écoutez, l’Hymen dure longtemps ;

Quand il fait un heureux, il fait vingt mécontents.

Vous êtes dans un âge où le cœur faible et tendre,

Par un objet qui plaît est facile à surprendre ;

Mais quand c’est pour toujours qu’on se doit engager.

L’exemple que voici doit y faire songer.

 

L’ALOUETTE ET LE PAPILLON.

 

Autrefois une Alouette,

Qu’aimait un riche Coucou,

Épousa par amourette

Un fort beau Papillon qui n’avait pas un sou.

Outre beaucoup d’indigence,

Il avait tant d’inconstance,

Qu’il muguetait les Fleurs, et les poussait à bout.

Rien ne pouvoir fixer ni ses vœux, ni sa flamme ;

Cependant sa pauvre femme

Avait disette de tout.

Elle connut bientôt, quoi que trop tard pour elle.

Que lorsqu’on veut s’unir pour jusques au tombeau.

Un Époux inconstant et beau

N’en vaut pas un laid et fidèle.

 

Dans l’âge où me voilà, je ne suis pas si fou,

Que je ne sache bien que je suis le Coucou ;

Je suis laid ; mais enfin, je fais une figure

Qui me venge du tort que m’a fait la Nature ;

Et quoi que mon Rival vous promette aujourd’hui,

Vous serez plus heureuse avec moi qu’avec lui.

Pesez ce que je dis, sans aigreur ni rancune.

EUPHROSINE.

Il est vrai qu’avec vous j’aurais plus de fortune :

Mais lorsqu’à l’amour seul un cœur est destiné,

Quand il a ce qu’il aime, est-il infortuné ?

Ne désunissez point deux cœurs faits l’un pour l’autre :

Il est d’autres objets bien plus dignes du vôtre :

La Grandeur que je suis fera plus de leur goût ;

Et mon cher Agénor me tiendra lieu de tout.

Je mourrais de douleur s’il m’était infidèle ;

Mais pour le devenir il a l’âme trop belle :

Le plus grand des chagrins que nous puissions avoir,

C’est d’être l’un et l’autre un moment sans nous voir.

Vous donner des Leçons que tout le monde admire.

Pratiquez le premier ce qu’on vous entend dire :

De deux jeunes Amants ne troublez point la paix ;

Et ne vous signalez qu’à force de bienfaits.

Quel plaisir aurez-vous de me voir malheureuse !

ÉSOPE.

Qu’une fille a d’esprit quand elle est amoureuse !

On ne peut s’exprimer en des termes plus doux.

Vous n’avez pas en peur de me rendre jaloux.

En parlant d’Agénor, vous aviez, des extases ;

Et l’amour vous aidait à bien tourner vos phrases.

Monsieur le Gouverneur, que je vais bientôt voir.

Ne balancera point à faire son devoir.

Je vous ai près de lui déjà rendu service :

Je vous promets encore un aussi bon office.

Vous verrez quel Amant vous sera réservé.

EUPHROSINE.

Et moi, qui vous connaît pour un Fourbe achevé :

Moi, qui de votre fraude ai sujet de me plaindre :

Moi, qui ne sais qu’aimer, et qui ne sais point feindre :

Je vous déclare ici qu’Agénor a ma foi ;

Que je suis toute à lui, comme il est tout à moi ;

Que toute la grandeur où le Roi vous appelle,

N’aura pas le pouvoir de me rendre infidèle ;

Et que si de mon Père on aigrit le courroux,

J’épouserai la mort plus volontiers que vous.

Vous m’épouvantez plus qu’elle ne m’épouvante.

Adieu.

ÉSOPE, seul.

Qui le croirait ? Une Fille constante !

Quel prodige !

 

 

Scène IV

 

MONSIEUR DOUCET, ÉSOPE

 

MONSIEUR DOUCET.

Monsieur, sur un avis certain,

Que vous devez ici vous marier demain ;

Je viens vous supplier de m’accorder la grâce,

D’empêcher de mourir votre future Race,

Et de ressusciter vos Aïeux qui sont morts.

ÉSOPE.

Quoi ! vous faites rentrer les Âmes dans les corps :

Il faut qu’apparemment vous sachiez la Magie.

MONSIEUR DOUCET.

Non, Monsieur, mais j’excelle en Généalogie.

J’ennoblis, en payant, d’opulents Roturiers,

Comme de bons Marchands, et de gros Financiers.

Je leur fais des Aïeux de quinze ou seize Races,

Dont le Diable aurait peine à démêler les traces.

L’Or, la Gueule, l’Argent, le Sinople et l’Azur,

Me font mettre en éclat l’homme le plus obscur.

L’un sur son Écusson porte un Casque sans grille,

Dont le Père autrefois a porté la Mandille :

L’autre prend un Lambel, en Cadet important,

Dont on a vu l’Aïeul Gentilhomme exploitant.

Enfin ma renommée exposée aux Satyres

Par tant de Roturiers dont j’ai fait des Messires,

Pour tenir désormais des chemins différents,

Je consacre mon Art aux véritables Grands ;

À la vertu Guerrière : à la haute naissance ;

Et c’est avec plaisir par Vous que je commence.

Le Sang dont vous sortez, trouve si peu d’égal...

ÉSOPE.

Monsieur le Blasonneur vous me connaissez mal,

Je ne sais d’où je sors ni quel était mon Père.

MONSIEUR DOUCET.

À qui manque d’Aïeux j’ai le secret d’en faire :

Et pour deux mille écus pour le prix de mon soin,

Je vous ferai venir des Aïeux de si loin,

Aux grandes Actions toujours l’âme occupée,

Que la Vérité même y serait attrapée.

Jugez de mon savoir ; par les soins que j’ai pris

Le fils d’un Maréchal est devenu Marquis.

ÉSOPE.

Vous avez, je l’avoue, un talent admirable ;

Mais rien n’est beau pour moi qui ne soit véritable :

Quand on me croirait Noble à faire du fracas,

Pourrais-je me cacher que je ne le suis pas ?

Dites.

MONSIEUR DOUCET.

Si l’on avait cette délicatesse,

Adieu plus des trois quarts de ce qu’on croit Noblesse :

Il n’en est presque point, à vous parler sans fard,

Qui n’ait pour faire preuve eu besoin de mon Art.

Je sais de gros Seigneurs qui seraient dans la crasse,

Sans la révision que je fis de leur Race ;

Où je substituai, tant mon Art est Divin,

Trois Maréchaux de Camp pour trois Marchands de Vin.

Si pour votre Noblesse il vous manqué des Titres ;

Il faudra recourir à quelques vieilles Vitres ;

Où nous ferons entrer, d’une adroite façon.

Une Devise antique avec votre Écusson.

Vingt douteuses Maisons qui font dans la Province,

Pour se mettre à l’abri des recherches du Prince,

Avec cette industrie ont trouve le moyen

De prouver leur Noblesse admirablement bien.

Vous serez noble assez, si vous paraissez l’être.

ÉSOPE.

Et comment, s’il vous plaît, le pourrai-je paraître ?

Ai-je un extérieur qui puisse faire voir...

MONSIEUR DOUCET.

Je vous trouve l’air Noble autant qu’on peut l’avoir.

ÉSOPE.

À moi ?

MONSIEUR DOUCET.

Sur votre front certain éclat qui brille

Montre que vous venez d’une illustre Famille.

ÉSOPE.

Il est vrai, j’ai l’air Grand ! l’Aspect noble !

MONSIEUR DOUCET.

Beaucoup.

ÉSOPE.

Et ma Taille ? Tenez, voyez-moi plus d’un coup :

Comment la trouvez-vous ? Parlez avec franchise.

MONSIEUR DOUCET.

Petite, mais bien faite.

ÉSOPE.

Et ma Bosse ?

MONSIEUR DOUCET.

Bien prise ;

Et qui vous sied si bien...

ÉSOPE.

Il faut, en vérité,

Pour tant de flatterie être bien effronté !

Je sais certaine Fable, où le bon sens abonde,

Qui vient sur vous et moi le plus juste du monde.

 

LE CORBEAU ET LE RENARD.

 

Un Oiseau laid (c’est moi) qu’on nomme le Corbeau,

Tenant en son bec un Fromage,

Un Renard fin (c’est vous) pour lui tendre un panneau,

Le salue humblement, et lui tient ce langage :

Que vous êtes un bel Oiseau !

Mon Dieu, l’agréable plumage !

Je crois que votre ramage

Est pour le moins aussi beau,

Et qu’on ne saurait voir un plus parfait Ouvrage.

Si l’on vous entendait fredonner quelques Airs,

On enverrait l’Aigle paître ;

Et les Habitants des airs

Vous accepteraient pour Maître.

Le crédule Corbeau qui se laisse entêter,

À la tentation facilement succombe :

Il ouvre le bec pour chanter,

Et d’abord le Fromage tombe.

Pendant qu’il en soupire, et de rage et d’ennui,

L’autre gobe la proie, et se moque de lui.

 

Voilà comme à peu près, en marchant sur la piste,

Ferait à mon égard le Généalogiste,

Si de sa flatterie il m’avait infecté,

Et que de son venin mon cœur fût empesté.

Je dis ce mot exprès : car il n’est point de peste

Qui soit plus dangereuse, et qui soit plus funeste

Que l’appas décevant, le poison séducteur.

Que répand chaque jour la bouche d’un Flatteur.

MONSIEUR DOUCET.

Il est vrai qu’un Flatteur est un Monstre effroyable.

ÉSOPE.

Hé pourquoi l’es-tu donc, Adulateur au Diable ?

Pourquoi ? Dis.

MONSIEUR DOUCET.

Je le suis, en mon corps défendant :

Si je ne l’étais pas je serais imprudent ;

C’est par ce seul endroit que les Grands s’amadouent :

Ils ne souffrent près d’eux que des gens qui les louent :

Ils veulent qu’on appelle, et n’en sont point confus,

Leurs défauts, qualités, et leurs vices, vertus :

À qui veut s’avancer c’est la plus sûre route :

Puisque c’est leur plaisir, qu’est-ce que cela coûte ?

Et quand ils ont des mets suivant leurs appétits,

Qui doit-on en blâmer des Grands ou des Petits ?

ÉSOPE.

S’il n’était des Flatteurs, que le Diable fait naître,

Les Grands qui sont flattés se passeraient de l’être ;

Et faute d’Encenseurs pour les défauts qu’ils ont,

Ils s’accoutumeraient à se voir tels qu’ils sont.

Ils verraient bien souvent, par leur esprit aride,

Qu’un Noble sans Science est un Cheval sans bride.

Qui n’étant retenu ni par Mors ni par Frein,

S’abandonne à sa fougue et prend un mauvais train.

Mais pour empoisonner un jeune Gentilhomme

Que divertit la Chasse, et que l’Étude assomme,

On lui met dans l’esprit que rien n’est si galant

Que l’innocent plaisir de tirer en volant :

Que d’un Noble effectif c’est la pente secrète :

Que c’est pour les Pédants que la Science est faite :

Et pour toutes vertus, par la suite des ans,

Il chasse, il boit, il joue et bat des Paysans.

Ce Noble, enseveli dans un fond de Province,

À charge à sa Patrie, inutile à son Prince,

Sans l’état malheureux où les Flatteurs l’ont mis,

Ferait grâce aux Perdreaux, et peur aux Ennemis,

Par une indignité, qu’on peut nommer atroce,

Vous m’avez flatté, moi, jusqu’à louer ma Bosse :

Il faut être Corbeau pour donner là-dedans.

MONSIEUR DOUCET.

J’ai cru que vous aviez la faiblesse des Grands.

J’en sais de contrefaits bien plus que vous ne l’êtes,

Que je vois applaudir sur leurs tailles bien faites.

Vingt Petits près d’un Grand sont vingt approbateurs.

ÉSOPE.

Moi qui ne flatte point, et qui hais les Flatteurs,

J’ai, pour vous obliger, un service à vous rendre.

MONSIEUR DOUCET.

Oh...

ÉSOPE.

Je vous avertis que vous vous ferez pendre.

MONSIEUR DOUCET.

Moi, Monsieur ?

ÉSOPE.

Oui, vous même : en propre Original.

MONSIEUR DOUCET.

J’oblige tout le monde, et ne fais point de mal.

ÉSOPE.

Ces Blasons frauduleux, ajoutés à des Vitres,

Contre les Droits du Roi sont autant de faux Titres ;

Et l’intervalle est bref de Faussaire à Pendu.

MONSIEUR DOUCET.

Monsieur, peut-être ailleurs êtes-vous attendu :

Je ne vous retiens point, c’est assez que j’obtienne.

ÉSOPE.

Non, mais vous craignez, vous, que je ne vous retienne.

MONSIEUR DOUCET.

Si vous saviez, Monsieur, jusqu’à quel point je suis...

ÉSOPE.

Allez, je fais du mal le plus tard que je puis.

Retirez-vous.

 

 

Scène V

 

AMINTE, ÉSOPE

 

AMINTE.

Monsieur, vous voyez une Mère

À qui l’on fait souffrir une douleur amère ;

Je ne saurais parler, tant je suis hors de moi.

De grâce, vengez-moi, mon cher Monsieur.

ÉSOPE.

De quoi ?

Qu’est-ce qu’on vous a fait ? Expliquez-vous.

AMINTE.

Je n’ose.

ÉSOPE.

A-t-on pris votre bien ?

AMINTE.

Ce serait peu de chose.

Le bien n’est pas d’un prix à causer ma douleur.

ÉSOPE.

A-t-on furtivement attaqué votre honneur ?

Répondez.

AMINTE.

Je ne puis, et cela doit suffire.

C’est vous en dire trop, que de n’oser rien dire.

ÉSOPE.

J’ai l’esprit un peu dur ; parlez-moi sans façon.

AMINTE.

Lorsque l’on se marie, à quoi s’amuse-t-on ?

Je n’a vois pour tout fruit de la Foi conjugale,

Qu’une Fille, mais belle à n’avoir point d’égale :

Elle était à quinze ans l’objet de mille vœux.

Que c’est pour une Fille un âge dangereux !

La mienne d’un jeune homme éperdument aimée,

À l’aimer à son tour s’étant accoutumée,

Quelques soins qu’on eût pris de la bien élever,

A consenti sans peine à se faire enlever.

Dépêchez un Prévôt avec tout son Cortège ;

Déjà le Ravisseur a peut-être... que sais-je ?

Ils s’aiment tendrement ; ils sont seuls, sans témoins.

Je tremble.

ÉSOPE.

À dire vrai, l’on tremblerait à moins ;

Mais parlons de sang froid. Votre Fille enlevée,

Est-ce une vérité qu’on vous ait bien prouvée ?

Il me serait fâcheux d’agir en étourdi.

AMINTE.

Je suis sûre, Monsieur, de ce que je vous di.

Faut-il d’autres témoins que ma douleur extrême ?

ÉSOPE.

Il est bon, s’il vous plaît, que j’en sois sûr moi-même.

Qui l’a vue enlever ? Où l’a-t-on prise ? Quand ?

AMINTE.

Je n’en ai qu’un témoin, mais il est convainquant :

On ne peut contre lui donner aucun reproche.

Pour l’avoir toujours prêt, je le porte en ma poche.

Voyez, par ce Billet que je mets dans vos mains,

Si j’ai lieu de douter du malheur que je crains.

Lisez.

ÉSOPE lit.

Je suis aimée et j’aime,

C’est je crois vous en dire assez :

Personne mieux que vous ne connaît par soi-même,

Ce que c’est que deux cœurs que l’amour a blessez.

Trois fois de vos Amants épousant la fortune,

Vous les avez suivis en tous lieux, à leur choix :

Et qui s’est, comme vous, fait enlever trois fois,

Doit bien me le pardonner une.

Diantre !

AMINTE.

Hé bien, ce Billet parle-t-il clairement ?

Êtes-vous éclairci de la chose ?

ÉSOPE.

Oui vraiment.

Je trouve ce Billet assez intelligible.

AMINTE.

À ma juste douleur soyez donc plus sensible.

ÉSOPE.

Vous contre votre Fille ayez moins de courroux ;

Elle n’est point coupable.

AMINTE.

Elle ?

ÉSOPE.

Non.

AMINTE.

Qui donc ?

ÉSOPE.

Vous.

 

L’ÉCREVISSE ET SA FILLE.

 

L’Écrevisse une fois s’étant mis dans la tête

Que sa Fille avait tort d’aller à reculons,

Elle en eut sur le champ cette réponse honnête :

Ma Mère, nous nous ressemblons.

J’ai pris pour façon de vivre

La façon dont vous vivez :

Allez droit û vous pouvez,

Je tâcherai de vous suivre.

 

Que pouvait l’Écrevisse opposer à cela ?

Ce qui touche une Fille est la Mère qu’elle a.

Combien en voyons-nous de tous rangs, de tous âges,

Qui veulent, comme vous, que leurs Filles soient sages,

Et qui dans les plaisirs donnant jusqu’à l’excès,

Semblent avoir fait vœu de ne l’être jamais ?

L’exemple d’une Mère, en qui la vertu brille,

Est la grande Leçon dont profite une Fille,

Qu’est-ce qu’a fait la vôtre, en fuyant la vertu,

Que suivre le chemin que vous aviez battu ?

Si vous l’eussiez guidée en une bonne voie,

Elle vous y suivrait avec bien plus de joie.

Aussi loin de vous plaindre, et de vous appuyer,

C’est vous que de son crime on devrait châtier :

On ne saurait causer de douleurs assez amples,

À qui perd ses Enfants par de mauvais exemples.

AMINTE.

Et qui prend dans son sort plus d’intérêt que moi ?

Le danger qu’elle court me cause tant d’effroi,

Que je souhaiterais avec un zélé extrême,

Au péril de mes jours l’en retirer moi-même.

La Friponne ! À son âge en savoir déjà tant !

ÉSOPE.

Quand on est fils de Maître on est bientôt savant.

Pouvez-vous, dites-moi, la blâmer d’aucun vice,

Sans avoir plus de tort que n’en eut l’Écrevisse ?

AMINTE.

J’ai pu la marier, et ne l’ai pas voulu.

ÉSOPE.

Vous eussiez bien mieux fait. Elle eût bien mieux valu.

Ses désirs satisfaits n’auraient eu rien à faire.

AMINTE.

Mais vous ne songez pas que je serais grand’Mère.

Je ne le cèle point, je mourrais de dépit

Si quelqu’un m’appelait de ce nom décrépit.

Grand’Mère ! Moi, bon Dieu, que personne n’accuse

D’avoir sur le visage aucun appas qui s’use !

Moi, qui, grâces au Ciel, ai le teint aussi frais,

Aussi beau...

ÉSOPE.

Je crois bien, vous le faites exprès :

Dans ce qu’on voit de vous, rien ne s’offre du vôtre,

Et votre vrai visage est caché sous un autre.

La belle instruction que votre Fille avait !

Elle vous a rendu ce qu’elle vous devait.

Mère qui met du fard pour paraître plus belle,

Mérite assurément une Fille comme elle.

Voilà tout le secours que vous aurez de moi.

Adieu.

AMINTE.

De ces hauteurs, j’irai me plaindre au Roi ;

Il verra mon Placet ; et sa Justice extrême...

ÉSOPE.

Je vais, si vous voulez, vous le dicter moi-même.

 

Sire, Dame... vous-même y mettrez votre nom.

Vous remontre humblement, que tant qu’elle fut belle,

Elle fut à l’Amour si soumise et fidèle,

Que jamais à son ordre elle ne disait non.

Que de cet heureux temps l’âme encor toute pleine,

Plus elle eut de plaisir, plus elle aura de peine

À renoncer sitôt à des charmes si doux ;

Qu’avant que de son sort le triste cours s’achève,

Il vous plaise ordonner à quelqu’un qu’il l’enlève.

Elle continuera ses Prières pour vous.

 

Vous n’avez, que je crois, autre chose à lui dire ?

Si vous le souhaitez, je m’en vais vous l’écrire.

Voyez.

AMINTE.

Adieu, Monsieur ; dans mon juste courroux

J’aurai plus de raison de Crésus, que de vous.

ÉSOPE, seul.

Que de femmes comme elle, injustement se flattent !

Et... mais du Gouverneur les Enfants s’entrebattent.

Écoutons le sujet de leurs petits débats.

 

 

Scène VI

 

AGATON, petit Garçon fort beau, CLÉONICE, petite Fille fort laide, ÉSOPE

 

AGATON.

Oui, je le veux avoir.

CLÉONICE.

Non, vous ne l’aurez pas.

AGATON.

Si de notre querelle on apprend quelque chose,

Nous aurons le fouet, et vous en serez cause.

CLÉONICE.

N’importe.

ÉSOPE.

Qu’avez-vous, les beaux Enfants ?

AGATON.

Monsieur,

C’est ce petit Miroir que veut avoir ma Sœur.

Dès que j’ai quelque chose elle en est envieuse :

Si je la contredis, elle fait la pleureuse :

Et lorsqu’on nous entend, je suis si malheureux,

Qu’ayant tort elle seule, on nous fouette tous deux.

N’est-il pas vrai, Monsieur, que cela n’est pas juste ?

CLÉONICE.

Monsieur, si vous saviez comme il me tarabuste !

Il est malicieux comme un petit Dragon ;

Il ne me laisse rien de ce que j’ai de bon.

Le Miroir qu’il a pris, dont la glace est si belle,

Est à moi seule.

AGATON.

À vous ? Non pas, Mademoiselle,

S’il vous plaît.

CLÉONICE.

À qui donc ?

AGATON.

C’est à nous deux qu’il est.

CLÉONICE.

Vous me pardonnerez vous-même, s’il vous plaît.

Dès quand j’étais enfant, ma Sœur me le conserve ;

Et c’est elle aujourd’hui, qui veut que je m’en serve.

AGATON.

Elle m’a dit, à moi, pendant notre dîné,

Que c’était à nous deux qu’elle l’avait donné ;

Je m’y veux mirer.

CLÉONICE.

Vous ? Vraiment je vous admire !

Il n’est rien de u beau qu’un Garçon qui se mire.

Fi !

AGATON.

Pourquoi, si ?

CLÉONICE.

Pourquoi ? Fi, vous dis-je.

AGATON.

Pourtant,

On dit que mon visage est assez ragoûtant ;

Si je vous ressemblais, et que je me mirasse,

Quand je me serais vu je casserais la glace.

CLÉONICE.

Vous croyez donc, mon Frère, avoir beaucoup d’appas ?

AGATON.

Et pourquoi, s’il est vrai, ne le croirai-je pas ?

CLÉONICE.

S’il pouvait vous venir la petite vérole !

Tenez, ma grande Sœur me garde une pistole

Pour avoir du ruban plus beau que celui-là,

Et je la donnerais volontiers pour cela,

Plus vous deviendriez laid, plus je serais joyeuse.

AGATON.

Vous qui ne craignez, rien, vous êtes bienheureuse.

CLÉONICE.

Ne vous ai-je pas dit que c’était un dragon ?

Si je ne suis pas belle, est-ce ma faute ?

ÉSOPE.

Non.

Je vous trouve tous deux un charmant petit couple,

Mais il faut l’un pour l’autre avoir l’esprit plus souple :

Aimer bien votre Frère : et vous, bien votre Sœur.

Me le promettez-vous mes Enfants ?

AGATON et CLÉONICE.

Oui, Monsieur.

ÉSOPE.

Écoutez bien tous deux ce que je vais vous dire.

Il faut que sort souvent ce beau garçon se mire :

Mais plus dans le miroir il se verra d’appas,

Plus il doit prendre garde à ne les salir pas :

Des Dieux qui l’ont fait naître il gâterait l’image :

Il faut, quand on est beau, qu’on soit encor plus sage.

Entendez-vous, mon Fils ?

AGATON.

Oui, Monsieur, j’entends bien.

Je vous rends grâce.

ÉSOPE.

Et vous, (car je ne cèle rien,)

Vous, pour qui la nature a paru plus cruelle,

Mirez-vous : mais pour voir que vous n’êtes pas belle.

Si vous manquez d’attraits pour plaire et pour charmer,

Amassez des vertus qui vous fassent aimer ;

Et par une conduite exempte de murmure,

Réparez la rigueur dont usa la Nature.

Beaucoup de modestie, et beaucoup de bonté

Ont des charmes plus grands que n’en a la beauté.

Souvenez-vous en bien, ma petite Mignonne.

CLÉONICE.

Oui, Monsieur. Grâce au Ciel, j’ai la mémoire bonne.

UNE VOIX de derrière le Théâtre.

Agaton ! Cléonice !

AGATON.

On nous appelle.

CLÉONICE.

Hé bien ?

Nous serons querellés.

AGATON.

Querellés ? Ce n’est rien.

Nous craignons, vous et moi, quelque chose de pire.

ÉSOPE.

Pour vous sauver de tout, je vais vous reconduire :

Et si la Gouvernante ose nous raisonner,

Vous verrez de quel air je m’en vais la mener.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

AGÉNOR, DORIS

 

DORIS.

N’allez pas sottement, pardonnez-moi ce terme,

(Mais dans votre dessein je vous trouve si ferme,

J’appréhende si fort quelque coup de travers.

Que je ne prends pas garde aux mots dont je me fers ;)

N’allez pas irriter la douleur d’Euphrosine.

AGÉNOR.

Quoi ! son Père me perd : Ésope m’assassine ;

À me percer le cœur je les vois disposés ;

Et pendant ce temps-là j’aurai les bras croisés ?

Je veux bien me contraindre à l’égard de son Père ;

Conserver du respect jusques dans ma colère ;

Et sans être emporté, ni paraître brutal,

Montrer qu’il me préfère un indigne Rival :

Mais pour Ésope, non. Quoi que j’en puisse craindre,

Je ne lui promets pas de pouvoir me contraindre.

Je prétends lui parler ; et s’il en est besoin,

Aller jusqu’à l’insulte, et peut-être plus loin.

Mon ardeur outragée est ce que je consulte.

DORIS.

Et que peut-on lui faire au-delà de l’insulte ?

Fût-il, plus qu’il ne l’est, votre ennemi mortel,

Je vous crois trop bon sens pour lui faire un appel.

Ésope sur le Pré ferait un beau spectacle !

Éloignons son Hymen ; formons-y quelque obstacle ;

C’est à quoi maintenant il s’agit de penser ;

Et non, par vos éclats, à le faire avancer.

Monsieur le Gouverneur est dans sa galerie.

Voyez-le, parlez-lui ; sa Fille vous en prie.

Il est seul. Son grand vice est d’être un peu têtu ;

Mais vous ne serez pas éconduit et battu.

Tâchez à remuer ses entrailles de Père :

S’il ne rompt cet Hymen, faites qu’il le diffère.

J’aurais, si j’étais homme, ou du moins je le crois.

Plus de virilité que je ne vous en vois.

Courez. Quand le temps presse il est bon qu’on galope.

Allez le voir.

AGÉNOR.

J’y vais ; et de-là voir Ésope.

Pour peu qu’il soit contraire à mes intentions,

Je sens à le brusquer des dispositions.

Je sais tout ce qu’il est, et tout ce qu’il peut être.

Mais de mon désespoir je ne suis pas le maître.

DORIS.

Gardez-vous...

AGÉNOR.

Je ferai tout ce que je te di.

DORIS.

Et, mon Dieu, croyez-moi ; point de coup d’Étourdi.

De quoi sert la raison, à moins qu’on ne raisonne.

Je vois venir quelqu’un. Songez à vous.

 

 

Scène II

 

ALBIONE, DORIS

 

ALBIONE.

Ma Bonne,

Je viens près d’Euphrosine implorer votre appui :

Bientôt Femme d’Ésope, elle peut tout sur lui.

DORIS.

L’infaillible moyen de tout obtenir d’elle,

C’est de lui bien vanter sa conquête nouvelle.

ALBIONE.

Ésope m’a mandé de l’attendre en ce lieu.

En sortant d’avec lui, j’irai le voir.

DORIS.

Adieu.

Je vais la disposer à remplir, votre attente...

Ésope vient.

 

 

Scène III

 

ÉSOPE, ALBIONE

 

ALBIONE.

Monsieur, je suis votre Servante ;

Ce n’est point compliment : c’est pure vérité.

ÉSOPE.

Je vous en garantis autant de mon côté.

Il ne tiendra qu’à vous de me mettre à l’épreuve,

Madame.

ALBIONE.

Savez-vous, Monsieur, que je suis Veuve.

ÉSOPE.

Non, vraiment.

ALBIONE.

Je le suis depuis près de cinq ans ;

Et défunt mon Mari m’a laisse quatre enfants.

ÉSOPE.

À voir cet air brillant, et ce riche équipage,

Vous allez convoler en second Mariage,

Apparemment ? Quelqu’un de vos yeux est blessé ?

ALBIONE.

Pardonnez-moi, Monsieur, mon bon temps est passé.

ÉSOPE.

Tant-pis.

ALBIONE.

La propreté de tout temps fut permise ;

Et si vous me voyez passablement bien mise,

Il ne faut pas, Monsieur, vous en émerveiller :

L’époux dont je suis Veuve étant mort Conseiller,

Je suis dans un étage à paraître plus grande,

Ou qu’une Procureuse, ou bien qu’une Marchande.

Rien ne m’est plus fâcheux que de m’encanailler.

ÉSOPE.

Et de quelle acabie était-il Conseiller ?

Était-ce en Robe longue ? En Robe courte ? En Botte ?

ALBIONE.

Non, Monsieur, il était Conseiller Garde-notte.

ÉSOPE.

La peste ! N’est-ce pas ce que vulgairement

On dit Tabellion, ou Notaire autrement ?

ALBIONE.

Oui, Monsieur.

ÉSOPE.

Vertubleu ! C’est un Grade sublime.

ALBIONE.

J’ai fait ce que j’ai pu pour le mettre en estime,

Conseiller à la Cour, Présidente à Mortier,

Faisaient moins de fracas que moi dans mon quartier.

Voyant à mon Époux une somme assez grosse,

Je voulus avoir Chaise, et puis après Carrosse ;

Et tous les Chevaux noirs n’ayant pas de grands airs.

J’en eus de pommelés, comme les Ducs et Pairs.

Pour mon Appartement, cinq Chambres parquetées

À force de Miroirs semblaient être enchantées :

Et ce qui m’en plaisait, on n’y pouvait marcher,

Que l’on ne se mirât encor dans le Plancher.

Ayant vu par hasard, dont je fus bien contente,

De gros Chenets d’argent chez une Présidente,

Je priai mon Mari de m’en donner d’égaux ;

Et quatre jours après j’en eus de bien plus beaux.

Je fus même à la Foire, où j’eus la hardiesse,

Voyant un Cabinet qu’aimait une Duchesse,

Pendant qu’à marchander elle se dépeçait,

De le prendre à sa barbe au prix qu’on le laissait.

Pour ne pas abuser de votre patience,

On parlait en tous lieux de ma magnificence :

Quand pour un Inventaire où mon Mari courut,

Il s’échauffa si fort qu’en trois jours il mourut.

ÉSOPE.

Avez-vous achevé votre histoire modeste ?

ALBIONE.

J’en ai dit tout le beau, j’en vais dire le reste.

Mon Époux étant mort, ces Miroirs, ces Chenets,

Ces Chevaux, ce Carrosse, et ces beaux Cabinets,

Tout cela s’en alla chez qui les voulut prendre :

J’y perdis les deux tiers, quand je les fis revendre.

Enfin pour nous tenir toujours sur le bon bout,

Je n’ai rien ménagé, j’ai presque vendu tout :

Si bien que ce matin ayant su qu’à des Filles

Qui doivent leur naissance à d’honnêtes Familles,

Crésus donne une dot pour les bien allier,

Je vous en offre deux prêtes à marier.

Voilà ce qui m’amène.

ÉSOPE.

Et voici ma réponse.

 

LA GRENOUILLE ET LE BŒUF.

 

La Grenouille dans un pré,

Voyant paître le Bœuf considère sa taille ;

Et la trouvant à son gré,

S’enfle, sue, et se travaille,

Pour faire aller la sienne en un même degré.

Sa Fille qui la voit faire

Lui remontre sagement,

Qu’un dessein si téméraire

Va jusqu’à l’aveuglement :

Que l’appas qui la chatouille

Lui cache le péril de ce qu’elle entreprend ;

Et que depuis le Bœuf jusques à la Grenouille,

C’est un intervalle trop grand ;

Mais contre ces raisons son orgueil se soulève :

À s’enfler encor plus elle applique ses soins :

Fait de si grands efforts, qu’à la fin elle crève ;

Et sa témérité ne méritait pas moins.

 

Voilà votre portrait, et celui de bien d’autres,

Qui n’ont pas des raisons meilleures que les vôtres.

Nous sommes dans un siècle où chacun veut s’enfler.

D’une vanité sotte on cherche à se gonfler.

La Femme d’un Sergent ne sera pas honteuse,

De porter des habits comme une Procureuse :

Celle du Procureur, pour avoir plus d’éclat,

Veut égaler, au moins, celle de l’Avocat :

Celle de l’Avocat est assez téméraire,

Pour aller du même air que va la Conseillère :

Celle du Conseiller, par la même raison,

Avec la Présidente entre en comparaison ;

Celle du Président, fière de sa richesse,

À des Gens à sa fuite autant qu’une Duchesse :

Et je ne vois personne en sa condition,

Qui ne veuille excéder sa situation.

Chacun, dis-je, chacun n’a ni repos ni trêve,

Que comme la Grenouille il n’enfle, et ne crève.

De-là vient le désordre et les crimes qu’on voit :

Pour soutenir ce faste, on fait plus qu’on ne doit.

Combien, de bonne foi, d’iniquités atroces

Traînent des Procureurs qu’on roule, en des Carrosses ?

Cet autre dans le sien, qu’on croit un bon Marchand,

En eût-il jamais eu, s’il n’eût été méchant ?

Pour montrer au Public, d’une façon galante,

Un Libraire étendu dans sa Chaise roulante,

Combien, incognito, de Livres défendus

Dans l’arrière-Boutique ont-ils été vendus ?

Combien un Financier, pour être en équipage,

De Zéros criminels remplit-il une page ?

Combien au Parlement d’Avocats de grand poids,

Pour aller à grand train vont-ils contre les Lois ?

Pour avoir un Carrosse, et que tout y réponde,

Combien un Médecin égorge-t-il de monde ?

Et pour ces beaux Chenets, ces Miroirs, ces Chevaux,

Combien feu votre époux a-t-il fait d’Actes faux ?

ALBIONE.

D’Actes faux ! Juste Ciel ! Quoi, d’un Corps qu’on renomme...

ÉSOPE.

Il n’est rien de plus beau, qu’un Notaire honnête homme :

Mais dans tous les grands Corps, on a vu de tout temps

Se glisser des Fripons parmi d’honnêtes gens ;

Et quand feu votre époux aurait été Faussaire,

Cela ne doit blesser aucun autre Notaire.

Si le bien qu’il avait eût été mieux gagné,

Il en eût su le prix, et l’aurait épargné.

Les bienfaits de Crésus ne sont point pour vos Filles,

Ce sont pour des enfants de meilleures Familles,

Que les Procès, la Guerre, ou d’autres accidents

Ont rendu malheureux, et non pas impudents.

Enfin, je crois savoir ce que le Roi désire ;

Et je n’ai là-dessus autre chose à vous dire.

Serviteur.

ALBIONE.

Savez-vous, petit Homme tortu,

Qui n’avez l’air, au plus, que d’un Singe vêtu...

ÉSOPE.

Votre esprit sur ce point peut se donner carrière ;

Je vous offre en laideur une belle matière :

Mais j’ai cela de bon, parmi bien du mauvais,

Que les Gens, sans raison, ne m’offensent jamais.

Vous croirez m’insulter, et vous me ferez rire.

ALBIONE.

Pour vous faire enrager, loin de vouloir rien dire,

Je veux, d’un si sot homme, oublier jusqu’au nom.

Adieu.

ÉSOPE, seul.

Je suis défait d’une étrange Guenon.

Qu’heureux est le Mari dont la Femme humble et sage,

Elève les enfants, et règle le ménage !

Mais qu’il est malheureux, lors que mal à propos...

 

 

Scène IV

 

AGÉNOR, ÉSOPE

 

AGÉNOR.

Je vous cherche partout pour vous dire deux mots.

ÉSOPE.

Hé bien, je suis trouvé. Qu’avez-vous à me dire ?

AGÉNOR.

Qu’on me nomme Agénor, et ce mot doit suffire.

Vous m’entendez, je crois ?

ÉSOPE.

Oui, j’entends votre nom.

AGÉNOR.

Et vous n’entendez pas ce qui m’amène ?

ÉSOPE.

Non.

AGÉNOR.

Je vais, puisqu’il le faut, tâcher à vous l’apprendre,

Monsieur Ésope.

ÉSOPE.

Et moi, tâcher à vous entendre,

Monsieur Agénor.

AGÉNOR.

J’aime ; et vous aimez aussi :

C’est l’unique sujet qui me conduit ici.

Je sais ce que tous deux le Ciel nous a fait naître ;

Comme je me connais, songez à vous connaître ;

Je prétends d’Euphrosine être le seul captif.

ÉSOPE.

Moi je veux abaisser ce ton impératif.

Il vous sied mal. Je veux vous rendre honnête, affable ;

Et pour y réussir, vous apprendre une Fable.

Écoutez bien.

AGÉNOR.

De grâce, évitons ce fatras :

De si fades raisons ne m’accommodent pas ;

Je ne me repais point de ces vaines paroles.

ÉSOPE.

Un jour...

AGÉNOR.

Encor un coup, point de Contes frivoles.

C’est un amusement qui n’est bon qu’à des Fous.

ÉSOPE.

Écoutez celui-ci, je le crois bon pour vous.

AGÉNOR.

Je vous ai déjà dit, et je vous le répète,

Qu’une prompte réponse est ce que je souhaite.

Songez plus d’une fois qu’on me nomme Agénor.

ÉSOPE.

Je vous ai répondu, comme je fais encor,

Que vous parlez d’un air, s’il faut que je le nomme,

Qui sent le Fanfaron plus que le Gentilhomme :

Et pour vous faire prendre un ton plus adouci,

Je veux vous réciter la Fable que voici.

AGÉNOR.

Dépêchez donc.

ÉSOPE.

 

LE CUISINIER ET LE CIGNE.

 

Un jour un Cuisinier insigne,

Qui buvait quelquefois un peu plus fort que jeu.

Pour mettre la Marmite au feu,

Pensant tuer une Oie, allait tuer un Cigne.

On ne s’est jamais vu dans un danger plus grand :

Déjà le bras levé s’apprêtait à descendre ;

Quand l’Oiseau lui fait entendre

Une voix qui le surprend :

Jamais aux bords du Méandre,

Aucun cigne en expirant,

N’a célébré sa mort d’une façon plus tendre,

Ses chants ne furent pas vains :

Malgré l’humeur assassine

De l’Écuyer de Cuisine,

Le Fer lui tomba des mains.

Bien vous en prend, dit-il, d’avoir un tel ramage ;

Je vous méconnaissais, si vous n’eussiez chanté ;

Ainsi la douceur du langage

Est, dans l’occasion, de grande utilité :

Il semble que le Ciel en ait fait l’apanage

Des personnes de qualité ;

Et dans un grand Seigneur, de la brutalité

Marque une noblesse sauvage.

 

C’est à vous maintenant à vous faire raison. ;

Il faut être le Cigne, ou bien être l’Oison.

Choisissez.

AGÉNOR.

C’est un choix qui n’est pas difficile :

Je n’ai jamais reçu de leçon plus utile ;

Et pour vous faire voir que j’en veux profiter.

Je vous prie un moment de vouloir m’écouter.

J’aime depuis deux ans, d’une ardeur tendre et pure,

Ce qu’ont fait de plus beau le Ciel et la Nature :

Vous savez s’il est vrai, vous qui dans un seul jour

Pour les mêmes appas avez pris tant d’amour.

Si dans si peu de temps votre amour est extrême,

Quel doit-être le mien ? Jugez-en par vous-même :

Et s’il faut n’aimer plus, dites, de bonne foi,

Quel est le plus à plaindre, ou de vous, ou de moi ?

La raison sur vos sens garde un si grand empire,

Que d’abord qu’elle parle ils n’osent la dédire ;

Et pour m’oser flatter d’un si puissant effort,

Ma raison est trop faible, et mon amour trop sort ;

Partout où vous passez vous répandez des grâces :

Les cœurs de tout le Peuple accompagnent vos traces :

Faut-il que deux Amants soient les seuls entre tous

Qui refusent leur voix aux vœux qu’on fait pour vous ?

Faites-vous un effort dont vous seul êtes digne :

Faites...

ÉSOPE.

Voilà parler en véritable Cigne.

Voilà dans son malheur se plaindre noblement.

Certes, je suis fâché d’aimer si fortement :

Je sens je ne sais quoi me reprocher dans l’âme

Que j’ai tort de troubler une si belle flamme ;

Mais enfin, je suis homme, et quoi que mal bâti,

Je sens ce qu’en ma place un autre aurait senti.

L’amour que vous avez, quelque sort qu’ils éclaté.

N’a de plus que le mien qu’une plus vieille date ;

Et puisqu’il faut, sans fard, nous expliquer ici,

Ce que vous ne pouvez, je ne le puis aussi.

J’en suis fâché.

AGÉNOR.

Monsieur, songez, je vous supplie,

À l’effort que je fais lors que je m’humilie.

Mon cœur qui jusqu’ici n’avait jamais rampé...

ÉSOPE.

Vous allez faire l’Oie, ou je suis bien trompé.

AGÉNOR.

J’ai peur de faire pis, dans mon désordre extrême,

Si vous vous obstinez à m’ôter ce que j’aime.

Il m’est bien plus aisé de renoncer au jour,

Qu’à l’adorable objet pour qui j’ai tant d’amour.

Après une si juste et û douce espérance...

ÉSOPE.

Et savez-vous aimer avec persévérance ?

Peut-être que l’amour, que vous croyez, confiant,

Est de ces feux follets qu’on ne voit qu’un instant.

Vos tranquilles désirs ne trouvant plus d’amorce,

Le feu dont vous brûlez perdra toute sa force ;

Et ce qui fut l’objet de vos tendres amours,

Deviendra votre peine au bout de quinze jours.

Il n’est guère d’amour que l’Hymen n’assassine.

AGÉNOR.

Moi, je pourrais cesser d’adorer Euphrosine !

Si l’hymen de la flamme interrompait le cours,

J’y voudrais renoncer pour l’adorer toujours,

Non, non, sur mon amour le temps n’a point d’empire :

Mon sort est d’en avoir jusqu’à ce que j’expire :

Et si dans le tombeau tout ne finissait pas,

J’aimerais Euphrosine au-delà du trépas.

Il n’est lien qu’à ma flamme aisément je n’immole.

ÉSOPE.

Mille qui l’ont promis ont manqué de parole.

AGÉNOR.

Si l’on m’en voit manquer, que le Ciel en courroux

Puisse lancer sur moi ses plus rigoureux coups :

Et pour faire un serment, dont je frémis moi-même,

Je consens que jamais Euphrosine ne m’aime.

Mon amour, pour changer, a fait un trop beau choix.

ÉSOPE.

Adieu : Nous nous verrons encor une autre fois.

Quelqu’un vient.

AGÉNOR.

Ciel ! Je sors : mais plein d’inquiétude ;

Je ne puis demeurer dans cette incertitude :

Et quel que soit mon sort, dans une heure d’ici

Je me rendrai chez vous pour en être éclairci.

 

 

Scène V

 

MONSIEUR FURET, ÉSOPE

 

MONSIEUR FURET.

Je viens de vos bontés implorer une grâce,

Monsieur.

ÉSOPE.

Qu’est-ce ? Parlez. Que faut il que je fasse ?

MONSIEUR FURET.

Crésus de son Royaume a fort peu de Sujets,

À qui sans vanité, soient mieux dus ses bienfaits.

ÉSOPE.

Qu’avez-vous fait pour lui ? Voyons ; je rends justice.

MONSIEUR FURET.

On ne peut faire plus pour lui rendre service.

Si les Sujets au Roi m’avaient tous ressemblé,

Jamais aucun État n’eût été mieux peuplé :

Ses voisins trembleraient ; et pour de faibles sommes,

Il aurait toujours prêts quatre ou cinq cens mille hommes.

J’ai quatorze Garçons, tous aussi grands que moi.

Et qui sont tous quatorze au service du Roi.

Assez brave autrefois, et ma femme assez belle,

Nous voulûmes au Roi témoigner notre zèle :

Pour bien faire ma cour je ne ménageai rien ;

Et ma femme eut un zélé aussi grand que le mien.

Nous montrer bons Sujets était notre délice.

ÉSOPE.

Quatorze enfants !

MONSIEUR FURET.

Quatorze.

ÉSOPE.

Et tous dans le service ?

Jamais envers l’État on n’en a mieux usé ;

Il faut que vous soyez un Gentilhomme aisé :

Tant d’enfants au service ont besoin d’une somme

Qui doit faire suer le plus gros Gentilhomme.

MONSIEUR FURET.

Monsieur, je ne suis pas Gentilhomme.

ÉSOPE.

Tant mieux :

Je n’en connais aucun qui soit pécunieux.

La Noblesse et l’argent font brouillés, ce me semble,

À ne pouvoir jamais se bien remettre ensemble.

Qu’êtes-vous ?

MONSIEUR FURET.

J’ai l’honneur d’être un vieil Officier.

ÉSOPE.

Vous vous nommez ?

MONSIEUR FURET.

Furet.

ÉSOPE.

Et vous êtes ?

MONSIEUR FURET.

Huissier.

Pour le repos de l’âme il n’est que cet Office.

ÉSOPE.

Huissier ! Et vous avez tant d’enfants au service,

Vous vous moquez. Portez vos mensonges ailleurs.

MONSIEUR FURET.

J’en ai fait sept Huissiers, et quatre Procureurs ;

Un, qui de la Patrouille est l’Archer le plus brave ;

Un Contrôleur d’Exploits ; et l’autre Rat-de-Cave. 

Onze et trois font quatorze, en tout pays, je croi.

ÉSOPE.

Ils font belle figure au service du Roi !

Au Diable vos enfants, tant ils m’ont fait de peine :

Je croyais que le moindre était un Capitaine ;

Et je trouve, en mon compte, une si grande erreur.

Que le plus honnête homme à peine est Procureur.

Le bel honneur au Roi d’avoir à son service

Le précis, l’élixir de toute le malice.

MONSIEUR FURET.

Crésus, dont j’ai sur moi la Déclaration,

Quand on a douze enfants, donne une pension :

J’en ai quatorze, et tous d’une tige féconde.

ÉSOPE.

C’en est trop des trois quarts, pour le repos du monde.

Il est vrai que Crésus, juste en toutes ses Lois,

Pour se faire des Bras qui soutiennent ses Droits,

Veut que de ses bienfaits on honore les Pères :

Mais le cas, à mon sens, ne vous regarde guères.

Avoir beaucoup d’enfants, pour marcher sur vos pas,

C’est donner à l’État des Mains, et non des Bras ;

Je ne vois là pour vous nulle chose à prétendre :

Le Roi ne donne rien à qui sait si bien prendre.

MONSIEUR FURET.

J’ai fait quatorze enfants sur la foi des Édits ;

Pour le bien de l’État, j’ai la Goûte.

ÉSOPE.

Tant-pis.

 

LES COLOMBES ET LE VAUTOUR.

 

Un jour les Colombes craintives

Sachant que le Vautour voulait se marier ;

Se mirent si sort à crier,

Que le vent, jusqu’au Ciel, porta leurs voix plaintives.

Si lui seul nous désole, et nous mange aujourd’hui

Disait, en son langage une Colombe habile ;

Quel lieu nous servira d’asile

Contre un nombre d’enfants aussi méchants que lui ?

 

S’il suffit d’un Huissier, pour vider une bourse,

Qui pourra contre sept, avoir quelque ressource ?

Croyez-moi, je vous prie, épargnez-vous l’affront

De vous vanter ailleurs d’avoir été fécond :

C’est un malheur public qu’un Huissier si fertile.

Loin qu’au bien de l’État votre Hymen soit utile,

De quantité de gens le sort ferait plus doux,

Si jadis votre Mère eût avorté de vous.

Je fais profession d’être franc et sincère.

Vous le voyez.

MONSIEUR FURET.

Monsieur, si c’était à refaire,

Crésus, tout Roi qu’il est, aurait tort aujourd’hui,

S’il attendait de moi ce que j’ai fait pour lui.

Il s’en manque beaucoup, quoi que Sujet fidèle,

Que pour peupler l’État je n’aie un si grand zèle.

Quand de quatorze enfants on me doit la façon,

Un droit si bien acquis devient une chanson,

Si j’avais présumé travailler sans salaire,

Douze que j’ai de trop seraient encor à faire ;

Et je vous répons bien que s’ils n’étaient pas faits,

Ils seraient en danger de ne l’être jamais.

Adieu.

ÉSOPE, seul.

Monsieur Furet s’en va l’âme offensée,

De sa fécondité, si mal récompensée :

Mais l’argent de Crésus ferait mal employé,

Si de cette besogne il était mieux payé.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

EUPHROSINE, DORIS

 

EUPHROSINE.

Doris, tu me fais faire une étrange figure :

Ma raison y répugne, et mon cœur en murmure,

Quoi, tu veux que d’Ésope implorant la bonté,

Lui qui m’est odieux, lui que j’ai maltraité ;

Tu veux, dis-je...

DORIS.

Qui, moi ? Je ne veux rien, Madame.

Je consens volontiers que vous soyez, sa femme ;

Et que demain, sans faute, il vous donne la main.

EUPHROSINE.

Lui, Doris ? Ah plutôt...

DORIS.

Tout est prêt pour demain ?

Parents, Amis, Festin : Et Monsieur votre Père

Appréhende si sort qu’Ésope ne diffère,

Que si hâter la chose était en son pouvoir,

Ce qu’il fera demain, il le ferait ce soir.

J’ai rêvé, consulté, déployé tout mon zèle,

Donné la question à ma pauvre cervelle,

Et je n’ai point trouvé de remède plus prompt

Qui pût de cet Hymen vous épargner l’affront.

Il faut absolument voir Ésope vous-même ;

Pour vous tout accorder il suffit qu’il vous aime.

Je ne vois que lui seul dont on puisse espérer

D’adoucir votre peine, ou de la différer.

Dites-lui qu’un seul jour est un trop faible espace

Pour chasser Agénor, et le mettre en sa place :

Et demandez du temps pour vous accoutumer

À le voir, à l’entendre, et peut-être à l’aimer.

S’il vous en veut donner, la grâce est assez grande.

EUPHROSINE.

Mais je m’engage à lui, si j’obtiens ma demande.

S’il m’accorde du temps, prends-tu garde à cela ?

Je deviens sa conquête au bout de ce temps-là.

La crainte que j’en ai me rend toute interdite.

DORIS.

N’eussiez-vous d’autre espoir que dans la mort subite :

Outre qu’on voit souvent d’heureux coups du hasard,

Vous deviendrez sa femme au moins un peu plus tard.

C’est quelque chose.

EUPHROSINE.

Hélas ! que cet espoir est fade !

DORIS.

S’il était seulement si peu que rien malade !

J’ai comme vous savez, un habile Cousin,

Homme de conscience, et savant Médecin,

Qui l’enverrait bientôt ad patres.

EUPHROSINE.

Quelle attente ?

DORIS.

Je fais ce que je puis. J’imagine, j’invente ;

Je promené partout mon esprit et mes yeux :

En un mot comme en cent, je ne puis faire mieux.

Et pour tout dire, enfin, je fais plus ce me semble.

Qu’Agénor, ni que vous, ni que tous deux ensemble.

Pour sortir d’un tel pas on se démène encor.

EUPHROSINE.

Que veux-tu que je fasse, et que fasse Agénor ?

Nous mettons tout en œuvre, et tout nous est contraire :

Agénor est encor aux genoux de mon Père ?

Et pendant que, peut-être, on méprise ses vœux,

Je viens chercher Ésope et fais ce que tu veux.

Tu fais beaucoup pour nous, je le sais bien.

DORIS.

J’enrage,

Je voudrais de bon cœur faire encor davantage ;

J’ai du zèle de reste, il me faudrait du temps.

EUPHROSINE.

Celui que je viens voir sait-il que je l’attends ?

DORIS.

Oui, Madame, il le sait.

EUPHROSINE.

Et que ne vient-il vite ?

Du chagrin que j’aurai je voudrais être quitte.

DORIS.

Quelques gens à sa porte attendaient à le voir :

Mais pour tarder longtemps il sait trop son devoir,

Et dans l’empressement de dire qu’il vous aime...

Tenez, je crois l’entendre. En effet, c’est lui-même.

 

 

Scène II

 

ÉSOPE, EUPHROSINE, DORIS

 

ÉSOPE.

Je viens vous faire excuse, et vous crier merci,

De ce que, malgré moi, vous m’attendez ici.

Voyez si par mes soins, et par quelque service

Je puis de cette faute adoucir l’injustice.

Je voudrais que déjà nous fussions à demain,

Pour avoir le plaisir de vous donner la main.

Ne vous semble-t-il pas, si vous y prenez garde,

Que le jour se prolonge et que la nuit retarde ?

Vous ne répondez rien.

DORIS.

Il est vrai. Mais, Monsieur,

On ne peut, à son âge, avoir trop de pudeur.

Elle vient vous prier d’une petite grâce.

ÉSOPE.

Commandez. Je suis prêt : Que faut-il que je fasse ?

DORIS, à Euphrosine.

Dites donc quel dessein conduit ici vos pas.

Expliquez-vous.

EUPHROSINE.

Monsieur... Je ne vous aime pas :

Si je parle autrement, il faudra que j’impose.

ÉSOPE.

J’en avais entrevu quelque petite chose :

Mais comme assez souvent on aime à se flatter,

Sans ce nouvelle aveu j’en aurais pu douter.

Je vous suis obligé de ce qu’il vous en coûte

Pour me tirer de peine, et pour m’ôter de doute.

Jusqu’au nœud conjugal je fais peu de progrès ;

Mais ce qu’on perd devant, on le recouvre après.

L’Hymen sait embellir les sujets qu’il assemble ;

Et je serai mieux fait quand nous serons ensemble.

EUPHROSINE.

Dussiez-vous m’exposer aux plus affreux trépas,

Je n’épouserai point ce que je n’aime pas.

Je vous en fais le Juge, et vous en crois vous-même.

Pourquoi m’épousez-vous ?

ÉSOPE.

Parce que je vous aime.

EUPHROSINE.

Hé bien, Monsieur, hé bien, puisqu’il en est ainsi,

Accordez-moi le temps de vous aimer aussi.

Puis-je venir à bout, quelque effort que je fasse,

D’oublier Agénor ; de vous mettre en sa place ;

D’immoler au devoir un si parfait amour ;

Le puis-je, dites-moi, dans l’espace d’un jour ?

Je ne refuse point de tâcher à le faire :

Mais pour y réussir le temps est nécessaire.

Quand deux cœurs sont unis par des liens si forts,

On ne les brise point sans d’extrêmes efforts.

À ma juste prière ayez l’âme sensible :

Si je ne les romps pas, j’y ferai mon possible.

Sur vous seul désormais tous mes sens occupez...

ÉSOPE.

Levez un peu les yeux.

EUPHROSINE.

Moi ?

ÉSOPE.

Oui. Vous me trompez.

Ce langage est trop doux pour être véritable ;

Et dans si peu de temps on n’est point si traitable.

Je pénètre aisément dans votre intention.

DORIS.

Oh, Monsieur, là-dessus, je suis sa caution.

J’ai le cœur sur la langue, et jamais je n’affecte...

ÉSOPE.

Tout franc la caution m’est encor plus suspecte.

Je veux bien toutefois, pour contenter vos vœux,

Différer notre Hymen, et d’un jour, et de deux,

Je vous trouve si belle, et ma flamme est si forte,

Que je puis en mourir de chagrin, mais n’importe.

DORIS.

Plut au Dieux !

ÉSOPE.

Plaît-il ?

DORIS.

Quoi ?

ÉSOPE.

Vous invoquez les Cieux.

DORIS.

Je dis que de la mort vous préservent les Dieux.

Quelle perte !

ÉSOPE.

Vraiment je vous suis redevable.

EUPHROSINE.

Un jour ou deux, Monsieur, êtes-vous raisonnable ?

Pour un effort si grand, est-ce un terme assez long ?

ÉSOPE.

Et quel temps, s’il vous plaît, me demandez-vous donc ?

Voyons.

EUPHROSINE.

Un an ou deux. Je ne puis moins prétendre ;

Je suis jeune...

ÉSOPE.

Et moi vieux. Je ne saurais attendre.

Avant qu’il soit deux ans, ridicule et barbon,

Je voudrais bien savoir à quoi je serai bon ?

Qui me fuit maintenant, qui soupire, qui pleure,

En aurait dans deux ans une raison meilleure.

Différer de deux jours est tout ce que je puis ;

Encor est-ce beaucoup dans l’état où je suis.

Si vous saviez...

EUPHROSINE.

De grâce, ayez plus de tendresse.

Peut-on rien refuser aux vœux d’une Maîtresse ?

ÉSOPE.

Je suis sourd.

EUPHROSINE.

Eh, Monsieur, ne vous prévalez pas

De ce qu’à vos désirs mon Père tend les bras :

Songez que vous m’aimez, et que je vous en prie.

ÉSOPE.

Arrêtez-vous. Je sens que j’ai l’âme attendrie.

DORIS.

Continuez, Madame, attendrissez encor...

ÉSOPE.

Amenez votre Père, et qu’on cherche Agénor.

Je vous donne du temps, j’ai cette complaisance ;

Mais enfin c’est un Pacte ou je veux leur présence,

Afin qu’au bout du terme on en use si bien...

EUPHROSINE.

Ah, Monsieur, Agénor n’en sera jamais rien.

Lui me céder !

ÉSOPE.

Je veux qu’il vienne, et qu’il s’oblige...

EUPHROSINE.

Il ne le fera point ; je le sais bien, vous dis-je.

Quand je l’en presserais, je le ferais en vain.

ÉSOPE.

Si vous ne l’amenez soyez prête à demain.

Quelqu’un entre.

EUPHROSINE.

Ah, Doris ! c’en est fait, je suis morte.

Sortons.

DORIS, bas.

Maudit Gobin ! que le Diable t’emporte.

Voilà pour Euphrosine un Amant bien tourné !

 

 

Scène III

 

PIERROT, COLINETTE, ÉSOPE

 

PIERROT.

Palsandié je reviens, je ne suis pas damné.

J’amène un Orphelin, qui n’a Père ni Mère ;

Et que je fais nourrir par notre Ménagère.

Il est gras comme un Moine : il tette tout son fou.

ÉSOPE.

Un bel enfant !

PIERROT.

Ma femme, est pardié belle étou.

Voyez.

ÉSOPE.

Elle est jolie ; et paraît bien instruite :

Pour un homme si grand, elle est un peu petite.

PIERROT.

De méchante denrée, et de mince valeur,

Tant moins que l’on en a, tant plus c’est le meilleur.

ÉSOPE.

Il faut s’aimer, bien vivre, et l’Hymen en revanche...

PIERROT.

Je vivons pardié, bien. J’ons ce soir une Éclanche

Aussi belle...

ÉSOPE.

Jamais ne vous querellez-vous ?

COLINETTE.

Non, Monsieur, Dieu marci, Pierrot est assez doux.

Il est, quand il s’y boute, un tantinet ivrogne ;

Mais tenez, pour le reste il va droit en besogne.

Il n’a dans, tout son corps, pas un endroit malin.

ÉSOPE.

Et vous nourrissez donc ce petit Orphelin.

COLINETTE.

Oui, Monsieur.

ÉSOPE.

Vos enfants l’aiment-ils ?

COLINETTE.

Pour les nôtres,

Ils sont devenus morts ; mais j’en referons d’autres :

Pierrot est jeune.

ÉSOPE.

Hé bien, à quoi vous suis-je bon ?

Qui te fait revenir ? Est-ce ta Charge ?

PIERROT.

Oh, non.

Si je venons vous voir, c’est pour ce petit drille ;

Qui, s’il pouvoir parler, vous dirait qu’on le pille.

Comme il est mon Neveu, je somme un peu parents.

Il avoir de bon bien, pour huit ou neuf cents francs ;

Mais j’avons pour Seigneur, certain grand Escogrise,

Qui de tous les Seigneurs a la meilleure Griffe :

Et qui d’un petit Pré voulant en faire un grand,

Enchassi dans le sien, le Bien de cet Enfant.

Tu sais cela par cœur, jase un peu Colinette ;

Dis ce que c’est.

COLINETTE.

Monsieur, l’Orphelin qui me tette,

Est un petit Marmot, que j’avons par emprunt :

Avant qu’il fût venu, son Père était défunt.

Dès qu’on l’eut débardé, ce fut une Vipère ;

Sa mère le fesit, lui defesit sa mère ;

Et son trépassement lui laissi quelque bien,

Que ce vilain Monsieur a bouté dans le sien.

Il dit, bredi-breda, mais on ne le croit guère,

Qu’il prêti de l’argent à défunt son grand Père ;

Et quand je lui montrons que cela ne se peut,

Pour nous framer la bouche, il nous dit, qu’il le veut.

Nos meilleures raisons sont pour lui des vétilles :

Plus je trouvons de trous, plus il a de chevilles ;

Et comme il est le Maître, et qu’il a du crédit,

D’une seule menace, il nous abasourdit.

Un Bichon, contre un Dogue, a peine à se défendre.

Si vous n’y boutez ordre, il est homme à tout prendre.

Quand je l’alli prier d’un peu mieux en agir,

Il me disi des mots qui me firent rougir ;

Et comme je suis douce, et qu’il a bonne gueule...

Tien Pierrot, de mes jours, je n’y vas toute seule.

Un Loup dans un Troupiau n’est pas plus malfaisant.

PIERROT.

Rien n’est mordié pour lui, trop chaud ni trop pesant.

Comme il est le Seigneur, quelque chose qu’il prenne,

Il dit pour ses raisons, que c’est un droit d’Aubaine.

Tous les jours de sa poche, il tire un droit nouviau :

Qu’on prenne une Écrevisse, ou qu’on tue un Moiniau,

Il fait tout sur le champ, dans sa furie extrême,

Un biau Procès de Dieu, sût-ce à son père même.

Il prend à toutes mains, et de toutes façons.

Il vendrait, s’il pouvait, l’air dont je jouissons,

Il nous dîme, nos Choux, nos Poiriaux, nos Citrouilles.

COLINETTE.

Les Folles du Château font tous pleins de Grenouilles,

Qui par méchanceté, lui font un si grand bruit,

Qu’il ne dort pas un brin tant que dure la nuit.

Par un papier qu’il a, griffonné d’un Notaire,

Il veut, bon gré, malgré que je les faisions taire ;

Et faute jusqu’ici, d’empêcher leur cancan,

Chaque maison du Bourg paye un écu par an.

C’est un Dogue affamé, qui toujours mord ou ronge.

Empêcher des Crapaux de crier ! le pouvons-je ?

Dites-moi.

ÉSOPE.

De tout temps le faible eut toujours tort ;

Le plus cruel des droits est le droit du plus fort.

Il faut que le plus faible ait dans son infortune,

Pour fléchir le plus sort, trente raisons contre une :

Encor assez souvent, celles qu’il peut avoir,

Servent-elles de peu, comme vous allez voir.

 

LE LOUP ET L’AGNEAU.

 

Un Loup se trouvant à boire,

Où buvait un jeune Agneau,

Eut d’abord l’âme assez noire

Pour lui vouloir faire accroire

Qu’il avait troublé son eau.

Qui te rend si téméraire ?

Lui dit ce traître, en courroux.

L’Agneau, qui justement craint sa dent sanguinaire.

Prenant, pour le toucher, un ton flatteur et doux :

Eh ! comment, Monseigneur, cela se peut-il faire ?

Je me suis, par respect, mis au dessous de vous.

J’ai toujours sur le cœur une vieille querelle,

Répondit la Bête cruelle,

Où tu te déclaras mon mortel ennemi :

Depuis six mois entiers j’en cherche la vengeance.

Je n’ai, répond l’Agneau, que deux mois et demi ;

Comment pouvais-je alors vous faire quelque offense ?

Ta Mère qui me hait, et qui ne sait pourquoi,

Hier, par deux Matins, me fit longtemps poursuivre.

Ma Mère cessa de vivre,

Quand elle accoucha de moi.

C’est donc ton Père ? Mon Père

Du Boucher inhumain a senti la fureur.

C’est donc ta Sœur, ou ton Frère ?

Je n’ai ni Frère ni Sœur.

Oh bien, qui que ce soit, il faut que je me venge :

Je suis las d’écouter tout ce que tu me dis.

Lors sans plus de raison, il l’égorgé et le mange.

Force Grands font de même à l’égard des Petits.

 

N’est-il pas vrai ?

COLINETTE.

Pierrot, le joli petit Conte !

PIERROT.

Et si mordié ! le Loup devrait mourir de honte :

L’Agneau buvait à part, et ne lui disait mot.

ÉSOPE.

Ma pauvre Colinette, et mon pauvre Pierrot,

Voilà comme à peu près, par le commun usage,

Font envers leurs Vassaux les Seigneurs de Village.

Quand d’un Bois, ou d’un Champ il leur plaît un morceau.

Des Agneaux malheureux troublent toujours leur eau ;

Et pour peu qu’on résiste aux raisons qu’ils se forgent.

Non contents de les tondre, on voit qu’ils les égorgent.

Il sera bientôt nuit, et vous êtes de loin ;

Adieu. De cet enfant, ayez beaucoup de soin.

Je ne partirai point sans lui rendre justice.

PIERROT.

Écoutez, je savons comme on paye un sarvice :

Si vous en usez bien, à biau jeu biau retour.

COLINETTE.

N’allez point nous bailler d’iau-beuite de Cour.

On dit qu’en ce lieu-là l’on fait semblant qu’on s’aime ;

Et que promettre et rien, c’est quasiment de même.

ÉSOPE.

Allez, je suis sincère, et le suis en tout lieu.

PIERROT.

Adieu. Je vous quittons. Voici du monde.

ÉSOPE.

Adieu.

PIERROT.

Mordié, plus je le vois, moins je devine comme

On a mis tant d’esprit dans un si vilain homme.

 

 

Scène IV

 

DEUX COMÉDIENS, ÉSOPE

 

LE PREMIER COMÉDIEN.

Monsieur, (car par le Ville on dit publiquement

Que vous ne voulez pas qu’on vous traite autrement,)

Choisis par notre Corps, nous faisons nos délices

De venir vous offrir ses très humbles services.

Le soin de vos plaisirs conduit ici nos pas.

ÉSOPE.

Étranger en ce lieu, je ne vous connais pas.

Qu’êtes-vous, s’il vous plaît ? Votre mine est si haute,

Que peut-être en parlant ferais-je quelque faute.

LE DEUXIÈME COMÉDIEN.

Comédiens. Bientôt nous vous serons connus.

ÉSOPE.

Comédiens ! Ho ! ho ! soyez les bien venus :

Vous donnez des plaisirs dont je suis idolâtre.

Hé bien, qu’est-ce, Messieurs, comment va le Théâtre ?

Combien dans votre Troupe êtes-vous d’Acteurs ?

 

LE PREMIER COMÉDIEN.

Trop.

Lors que moins on y pense il en vient au galop.

ÉSOPE.

Tant mieux. À bien jouer le grand nombre s’excite.

LE DEUXIÈME COMÉDIEN.

Tant-pis. Car plus on est, plus la part est petite.

ÉSOPE.

La Scène est plus remplie, et chacun prend des soins...

LE DEUXIÈME COMÉDIEN.

La Scène est plus remplie, et la bourse l’est moins.

Pour peu qu’en ce Métier on ait le vent en poupe,

Quinze Acteurs, bien choisis, font une bonne Troupe :

Suivant leur caractère ils ont tous de l’emploi ;

Pour bien jouer son Rolle on ne s’attend qu’à foi ;

Mais quand on est beaucoup, d’un même caractère,

Un Auteur en suspens ne sait ce qu’il doit faire :

Sur qui que ce puisse être, où s’arrête son choix,

Pour en contenter un, il en chagrine trois ;

Et s’il faut m’expliquer à dessein qu’on m’entende,

C’est un petit chaos qu’une Troupe si grande.

ÉSOPE.

Avez-vous des Auteurs dans cette Ville-ci ?

LE DEUXIÈME COMÉDIEN.

Oui, Monsieur.

ÉSOPE.

Bons ?

LE DEUXIÈME COMÉDIEN.

Eh, eh...

 

ÉSOPE.

J’entends. Couci, couci.

Malheur à qui s’en mêle, et n’en est pas capable :

S’il n’a l’art de charmer il n’est point excusable :

Le sévère Auditeur, pour un mot de travers,

Ne fait miséricorde à pas un de ses Vers :

Il est si délicat que pour le satisfaire,

Il faut du Merveilleux ou bien du Nécessaire.

Qu’on n’ait point de Pain blanc on en mange du bis :

De Velours, ou de Serge on se fait des habits ;

Parce qu’en quelque état que le destin nous range,

Il faut absolument qu’on s’habille et qu’on mange :

Mais, du consentement de cent Peuples divers,

Rien est moins nécessaire au Monde que des Vers ;

Et par cette raison, qui me semble équitable,

Les passablement bons ne valent pas le Diable.

LE DEUXIÈME COMÉDIEN.

Nous représenterons, quand vous nous viendrez voir,

L’ouvrage le plus beau que nous puissions avoir.

À vous bien divertir toute la Troupe aspire.

Quel jour choisissez-vous ?...

ÉSOPE.

Je ne puis vous le dire.

LE DEUXIÈME COMÉDIEN.

De grâce...

ÉSOPE.

Je ne sais quand j’aurai le loisir.

LE PREMIER COMÉDIEN.

Un jour dans la semaine est facile à choisir :

Il nous est important d’avoir voire réponse.

ÉSOPE.

Pourquoi ?

LE PREMIER COMÉDIEN.

Par la raison qu’il faut qu’on vous annonce.

Quand vous nous viendrez voir, plus de monde y viendra,

Que tout vaste qu’il est notre Hôtel n’en tiendra :

Et comme un vrai Phénix, unique en votre espèce,

Ce sera pour vous voir plus que pour voir la Pièce.

J’en suis sur.

ÉSOPE.

C’est-à-dire, à parler nettement,

Que c’est moi qui serai le divertissement :

Et pour aller au but où votre Troupe aspire,

Vous tirerez l’argent, et moi je ferai rire.

Je veux de m’annoncer vous épargner le soin.

C’est un honneur trop grand, et dont je suis trop loin ;

Il n’est que pour les Gens du plus sublime étage ;

Et qui n’est rien du tout, doit au moins être sage.

Nous avons en passant déchiffré les Auteurs :

Parlons un peu de vous. Elles-vous bons Acteurs ?

Je dis en général sans désigner personne.

LE DEUXIÈME COMÉDIEN.

Oui, Monsieur, notre Troupe est vraiment assez bonne.

Non qu’on soit tous égaux, ne croyez pas cela :

Les uns font merveilleux, et les autres...

ÉSOPE.

Là, là.

Je vous entends, La Troupe en public étalée,

Est, à dire entre nous, Marchandise mêlée.

Ne vous figurez pas qu’en ne faisant pas bien,

Vous soyez épargnés, vous qui n’épargnez rien :

Pour reprendre avec fruit les sottises des autres,

Il faut avoir le soin de bien cacher les vôtres ;

Et ne pas follement s’exposer à l’ennui,

De montrer ses défauts en jouant ceux d’autrui.

Donnez-vous au Public force Pièces nouvelles ?

LE PREMIER COMÉDIEN.

Tous les mois.

ÉSOPE.

Ou du moins qu’on fait passer pour telles.

Depuis neuf ou dix ans, et cela n’est pas beau,

Vos nouveautés, dit-on, n’ont plus rien de nouveau.

Qu’on annonce une Pièce, on promet des merveilles,

Qui de chaque Auditeur charmeront les oreilles :

Et quand pendant un mois on l’a prônée ainsi,

On rencontre souvent ce qu’on va voir ici.

 

LA MONTAGNE QUI ACCOUCHE.

 

Le bruit courut un jour qu’une haute Montagne,

Dans une heure accoucherait :

Chacun se mit en campagne,

Pour voir l’enfant qu’elle aurait.

Mais ce Colosse affreux ? dont l’orgueilleuse tête

Allait jusques au Ciel défier la tempête,

Et de tous les Passants rendait les yeux surpris ;

Trompant des Spectateurs l’ardeur impatiente,

Après une longue attente,

Accoucha d’une Souris.

 

Vous ne pouvez nier, tout Acteurs que vous êtes,

Que ce que je dis là ne soit ce que vous faites.

Qui de vous, je vous prie, est le Complimenteur ?

LE PREMIER COMÉDIEN.

C’est moi, Monsieur.

ÉSOPE.

C’est vous ?

LE PREMIER COMÉDIEN.

Moi-même.

ÉSOPE.

Ergo, Menteur.

Celui qui fait l’Annonce, et qui taille et qui coupe,

Est ordinairement le menteur de la Troupe.

Il vaut mieux louer moins, et ne pas tant mentir.

À vous voir, toutefois je veux bien consentir.

Mais quand j’irai chez, vous, jouez, s’il est possible,

Ce que dans votre Troupe on a de plus risible :

Pour me laisser douter, fait comme je me voi,

Si l’on rit de la Pièce, ou si l’on rit de moi.

Il n’est point ou je suis, de Tragique où l’on pleure.

Jouez-vous tous les jours ?

LE DEUXIÈME COMÉDIEN.

Oui, Monsieur.

ÉSOPE.

À quelle heure ?

LE DEUXIÈME COMÉDIEN.

Dans une heure au plus tard nous allons commencer.

ÉSOPE.

Voilà le vrai moyen de ne pas m’annoncer,

Messieurs, pour aujourd’hui je retiens une Loge.

LE PREMIER COMÉDIEN.

On n’aura pas le temps de faire votre éloge.

ÉSOPE.

Et m’en peut-on faire un à moins qu’il ne soit faux ?

Que l’on n’ait pas le temps de compter mes défauts,

Cela suffit.

LE DEUXIÈME COMÉDIEN.

Et quoi, vous êtes inflexible ?

ÉSOPE.

À vous servir ailleurs je ferai mon possible :

Adieu. Je vois des gens, que j’ai mis en courroux,

Que je veux débaucher pour les mener chez vous.

 

 

Scène V

 

ÉSOPE, LÉARQUE, EUPHROSINE, AGÉNOR, DORIS

 

ÉSOPE.

Ô ça, je suis ravi de nous voir tous ensemble :

Parlons de bonne foi sur ce qui nous assemble.

Monsieur le Gouverneur, quel est votre dessein ?

LÉARQUE.

De vous donner ma Fille.

ÉSOPE.

Et quand ?

LÉARQUE.

Demain.

EUPHROSINE.

Demain !

Mon Père, à mon égard, montrez-vous moins sévère ;

Monsieur en use mieux, il consent qu’on diffère ;

Ma prière le touche et rien ne vous émeut !

ÉSOPE.

Hé bien donc, à demain, puisque Monsieur le veut.

AGÉNOR.

Ne vous en flattez point, si vous n’avez envie

De m’arracher ensemble Euphrosine et la vie.

Je vois où je m’expose, et sais votre crédit ;

Il n’est rien, là-dessus, que je ne me fois dit :

Crésus ne voit, n’entend, n’agit que par vous-même ;

Mais qu’ai-je à redouter il je perds ce que j’aime ?

Et que peut-il me faire avec tout son pouvoir,

Qui soit pis que ma rage, et que mon désespoir ?

Monsieur le Gouverneur m’a promis Euphrosine ;

Et ce n’est plus à lui le bien qu’il vous destine.

J’ai reçu sa parole, et je m’y suis fié.

LÉARQUE.

Il est vrai, mais Monsieur est privilégié.

ÉSOPE.

Voyons donc, s’il vous plaît, quel est mon privilège.

Suis-je plus beau ? mieux fait ? noble ? riche ? enfin, qu’ai-je ?

Parlez.

LÉARQUE.

N’êtes-vous pas Favori de Crésus ?

ÉSOPE.

Peut-être que demain je ne le serai plus :

Et comme la Faveur n’est qu’un éclair qui brille,

Qui passe rarement dans la même famille,

Elle a, quand elle change, un retour si cuisant,

Que la Faveur passée est un malheur présent.

Agénor est bien fait, et votre Fille est belle ;

L’un est né Gentilhomme, et l’autre Demoiselle ;

J’ai fait de leur amour un sévère examen ;

Ce sont les plus beaux feux que puisse unir l’Hymen :

Et je n’ai feint d’aimer, et de nuire à leur flamme,

Que pour approfondir ce qu’ils avaient dans l’âme.

Il me ferait beau voir, chargé comme un Atlas,

Faire le soupirant pour de jeunes appas !

Le seul âge inégal rend l’hymen misérable ?

Et si vous en doutez, écoutez cette Fable.

 

L’HOMME ET LES DEUX FEMMES.

 

Un Homme des plus insensés,

À quarante-cinq ans, le cœur rempli de flammes,

S’avisa d’épouser deux Femmes ;

Pour le faire enrager une c’était assez.

L’une avait soixante ans, et l’autre vingt et quatre :

Toutes deux à l’envi le voulaient à leur goût ;

Et souvent c’était à se battre

À qui mieux en viendrait à bout.

Pour le faire à leur badinage

L’une et l’autre n’oubliait rien :

La vieille souhaitait qu’il parût de son âge ;

La jeune aurait voulu qu’il eût été du sien.

Tous les matins sous un prétexte honnête

De montrer leur amour par de petits devoirs,

Chacune en le peignant, arrachait de sa tête

L’une les cheveux blancs, l’autre les cheveux noirs.

Enfin chauve et pelé, sa présence importune

Le rendit partout odieux.

Pour combler un Hymen de joie et de fortune,

Il faut l’assortir un peu mieux :

Il était trop jeune pour l’une,

Et pour l’autre il était trop vieux.

 

Monsieur le Gouverneur, vous me devez entendre.

LÉARQUE.

J’accepte avec plaisir Agénor pour mon Gendre :

Votre approbation en augmente le prix.

AGÉNOR.

Je ne puis dire un mot, tant vous m’avez, surpris !

Monsieur, c’est justement que chacun vous renomme :

Je doute que la Terre ait un plus honnête homme.

EUPHROSTNE, à Ésope.

Vous voyez mes raisons pour ne vous point aimer ;

Mais je n’en ai pas moins pour vous bien estimer :

Je m’en fais un devoir que rien ne peut enfreindre.

ÉSOPE, à Doris.

Vous, qui du Chat-huant n’avez plus rien à craindre...

DORIS.

Oh, Monsieur, contre moi n’ayez point de courroux ;

Tout le monde eût pensé ce que j’ai dit de vous.

ÉSOPE.

Fort bien. C’est s’excuser d’une belle manière !

N’importe oublions tout, rendons la joie entière.

Loin de mettre un obstacle à vos justes désirs,

Je veux faire aux chagrins succéder les plaisirs :

C’est, en Ami sincère, à quoi je m’étudie.

Commençons dès ce soir par voir la Comédie :

Et pendant la faveur dont m’honore le Roi,

Qu’aucun, avec raison, ne se plaigne de moi. 

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