Espagnolas et boyardinos (Eugène LABICHE - MARC-MICHEL)

Folie-vaudeville en deux actes, mêlée de chant.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 7 juin 1854.

 

Personnages

 

CRÉTINOWITCH, boyard russe

GIGOMIR, son fils

CHÂTEAU-MARGOT, commis voyageur français

KRAPOUSKINE, serf, au service du boyard

OURSIKA DE GANACHKINE, jeune russe, majeure

BABIOLE, modiste française

ROSITA, espagnole, directrice de la troupe des danseurs

DANSEUSES et DANSEURS ESPAGNOLS

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente une terrasse, dominant la campagne. Bâtiments à droite et à gauche. Au fond, balustrade en pierre. Portes à droite et à gauche. Un espace entre les bâtiments et la terrasse pour les entrées du dehors.

 

 

Scène première

 

KRAPOUSKINE, puis GIGOMIR et CRÉTINOWITCH

 

KRAPOUSKINE, seul, mettant le couvert.

Le déjeuner est prêt, le général Crétinowitch et le colonel Gigomir, son fils, peuvent venir... ils font leur tournée dans la forteresse... Voyons, si je n’ai rien oublié ; hier, il manquait un couteau... j’ai reçu le knout !... Depuis la guerre, Crétinowitch ne décolère pas... ça lui a donné un érésipèle... oh ! le voici !

Il porte la main à sa tête et reste fixe au salut militaire.

Gigomir et Crétinowitch entrent par le fond, Crétinowitch par la gauche et Gigomir par la droite ; ils traînent chacun un grand sabre et se rencontrent au milieu de la scène.

CRÉTINOWITCH, s’arrêtant.

Crrr !... qui vive ?

GIGOMIR.

Boyardinoffs !

CRÉTINOWITCH.

Avancez à l’ordre !

GIGOMIR, lui donnant le mot d’ordre.

« Astuce ! »

CRÉTINOWITCH, se penchant à l’oreille de Gigomir.

« Et chandelle de six... »

Naturellement, se donnant une poignée de main.

Bonjour, mon fils.

GIGOMIR.

Bonjour, papa.

Ils descendent la scène.

CRÉTINOWITCH.

Qu’est-ce que tu as vu ?...

GIGOMIR.

Rien du tout.

CRÉTINOWITCH.

C’est très inquiétant.

KRAPOUSKINE.

Le déjeuner du maître est servi.

CRÉTINOWITCH.

Je n’ai pas faim... j’ai la bouche amère... crrr ! je crains toujours d’être bombardé !...

À Krapouskine.

Avance ici, rebut de l’humanité !

KRAPOUSKINE, s’approchant.

Oui, bon maître.

CRÉTINOWITCH, lui donnant une lorgnette.

Prends cette longue-vue... et regarde toujours du côté de la mer... Dès que tu apercevras les flottes, tu m’avertiras.

GIGOMIR.

Votre projet serait-il de vous ensevelir sous les décombres ?

CRÉTINOWITCH.

Non !... non !... mon projet est de prendre les archives et de filer dare-dare dans l’intérieur des terres...

GIGOMIR, avec héroïsme.

Je demande à marcher devant !

CRÉTINOWITCH.

Noble enfant !

Changeant de ton.

Si nous cassions une croûte ?...

GIGOMIR.

Cassons-la !

Ils se mettent à table.

CRÉTINOWITCH.

Des œufs à la coque... c’est ma faiblesse.

GIGOMIR.

Oui, c’est très bon avec du sel...

Cherchant.

Où est donc le sel ?...

CRÉTINOWITCH, en colère.

Où est le sel ?

KRAPOUSKINE.

Maître, il n’y en a plus.

CRÉTINOWITCH et GIGOMIR.

Comment !

KRAPOUSKINE.

Impossible de s’en procurer, les flottes ennemies en ont encore capturé cinquante-quatre vaisseaux la semaine dernière.

GIGOMIR.

Eh bien ! c’est gentil ! plus de sel en Russie !

CRÉTINOWITCH.

Sapristi ! c’est embêtant de déjeuner comme ça !

À Krapouskine.

Voyons, passe-moi l’huilier, je vais faire la salade.

KRAPOUSKINE, montrant l’huilier, dont les burettes sont vides.

Général, voilà l’huilier, mais il n’y a rien dedans.

GIGOMIR.

Pourquoi ça ?

KRAPOUSKINE.

La Russie ne produisant pas d’olives, et le vinaigre d’Orléans étant en délicatesse avec la Baltique...

GIGOMIR.

Mais alors, c’est de l’herbe ta salade !

CRÉTINOWITCH.

Voilà tout un grand peuple condamné à brouter.

KRAPOUSKINE.

Que voulez-vous, nous sommes bloqués !

CRÉTINOWITCH.

Allons ! c’est bien !... donne-moi un verre de bordeaux !

KRAPOUSKINE.

Du bordeaux !... ah ! bien oui !... j’ai fait écrire à votre marchand pour lui demander six pièces, il m’a répondu...

CRÉTINOWITCH et GIGOMIR.

Quoi ?...

KRAPOUSKINE.

« Quand vous serez gentils, mes bibis. »

CRÉTINOWITCH, se levant avec colère.

Ah çà ! est-ce que ça ne va pas finir !... c’est très embêtant de déjeuner comme ça !

GIGOMIR.

Papa, de la prudence !

CRÉTINOWITCH, à part.

C’est vrai... cet esclave pourrait nous trahir !

Emplissant deux verres avec de l’eau.

Gigomir !... je porte un toast à la continuation de nos succès !

GIGOMIR, à part.

Avec de l’eau !

Haut, élevant son verre.

À nos petits lauriers !

Ils boivent quelques gouttes et font la grimace. Après quoi ils se rasseyent et chacun trempe un petit pain dans son verre d’eau.

GIGOMIR, piteusement.

La Russie déjeune !

CRÉTINOWITCH.

Cristi ! que c’est fade !...

S’exaspérant.

Je me révolte à la fin !

Ils se lèvent.

GIGOMIR.

Papa... de la prudence !

CRÉTINOWITCH, à part.

C’est juste ! Krapouskine me gêne...

Haut à Krapouskine.

Esclave ! tu vas monter tout en haut de la tour du Nord... et quand tu y seras...

KRAPOUSKINE.

Qu’est-ce que je ferai ?...

CRÉTINOWITCH.

Tu compteras tous les nids d’hirondelles...

KRAPOUSKINE.

Il n’y en a pas.

CRÉTINOWITCH, avec majesté.

Tu me feras un rapport... Va !

Krapouskine s’incline et sort.

 

 

Scène II

 

CRÉTINOWITCH, GIGOMIR

 

CRÉTINOWITCH, vivement à Gigomir.

Enfin, nous sommes seuls... je puis dire mon opinion sur la guerre... Eh bien ! zut ! zut ! zut !

GIGOMIR.

Personne ne peut nous entendre !... Du flan ! du flan ! du flan !

CRÉTINOWITCH.

Certes, j’aime ma patrie !...

GIGOMIR.

Moi aussi !... mais du moment qu’on y est au pain sec...

CRÉTINOWITCH.

Nous n’avons plus rien à mettre sous la dent... que du cuir, du chanvre et du suif...

GIGOMIR, d’un air friand.

Eh ! eh ! le suif... mais faites donc une omelette avec ça !

CRÉTINOWITCH.

Et pas de sel !... qu’est-ce qu’ils ont donc à prendre tout notre sel ?... moi qui en aurais tant besoin pour ma maladie !

GIGOMIR.

Vous êtes malade ?

CRÉTINOWITCH.

Oui, la bile me tourmente... je me crois atteint d’un diabète sucré... tout ce que je mange tourne en sucre...

GIGOMIR.

Pristi !

CRÉTINOWITCH.

Encore un peu on me râpera... on râpera ton pauvre père !

GIGOMIR.

Il vous faudrait du sel.

CRÉTINOWITCH.

Voilà !... n’en ayant pas, je me suis toujours commandé un bain avec quelques gouttes de fleur d’orange.

GIGOMIR.

Prenez garde de fondre... les cosaques vous boiraient...

CRÉTINOWITCH, effrayé.

Nom d’un Kremlin !

GIGOMIR.

Quand je pense que sans toutes ces machines-là, je serais tranquillement à Paris avec des copecks dans ma poche...

CRÉTINOWITCH.

C’est vrai, tu avais obtenu un passeport.

GIGOMIR.

Moyennant quinze cents roubles... et la promesse de n’adresser la parole à aucun Polonais, aucun Allemand, aucun Français...

CRÉTINOWITCH.

Et cætera ! et cætera !... Le voyage d’un Russe est un long monologue...

GIGOMIR.

Je pars... je traverse la Prusse, la Belgique, sans prononcer un mot, conformément à mes instructions... excepté à Malines, où j’ai demandé un potage...

CRÉTINOWITCH.

Imprudent !

GIGOMIR.

Enfin, j’arrive à Paris... au débarcadère du chemin de fer du Nord...

CRÉTINOWITCH.

Heureux Tartare !

GIGOMIR.

Je demande l’adresse de M. Véry... on me répond que la guerre est déclarée... et je reçois l’ordre de repartir incontinent... sans dîner.

CRÉTINOWITCH.

Par le Pruth ! voilà qui est contrariant... Eh bien ! qu’est-ce que tu as vu à Paris ?

GIGOMIR.

J’ai vu le débarcadère du chemin de fer du Nord... il est joli... mais je rêvais d’autres monuments... moins sévères !

CRÉTINOWITCH.

Heureusement qu’un doux hyménée va effacer tes chagrins... dans quelques jours tu seras le mari de la gentille Oursika...

GIGOMIR, poétiquement.

Oui... elle est belle cette femme ! elle parle à mon âme !... quand j’entends le frottement de sa robe, il me prend des envies... de lui dire des bêtises !

CRÉTINOWITCH.

Garde-t-en bien ! elle est d’une sévérité... on l’a surnommée la Rose de Novogorod...

GIGOMIR.

C’est vrai ! j’épouse une rose... avec de la fortune...

CRÉTINOWITCH.

Trois mines de platine... son père, le prince Ganachkine, est gouverneur de cette province.

GIGOMIR.

Il nous a confié la garde de son trésor...

CRÉTINOWITCH.

Aussi, que l’ennemi se présente ! plutôt que de rendre Oursika...

GIGOMIR.

Nous la mettrons avec les archives...

CRÉTINOWITCH.

Silence ! la voici !

 

 

Scène III

 

CRÉTINOWITCH, GIGOMIR, OURSIKA

 

OURSIKA, entre, rêveuse, de la porte de gauche, effeuillant une fleur.

Il m’aime... un peu... beaucoup... passionnément...

GIGOMIR, à part.

Je vais lui faire une farce !...

Il passe derrière elle et aboie.

Haoup ! haoup !

OURSIKA, poussant un cri.

Ah ! la vilaine bête !

CRÉTINOWITCH.

Qu’il est donc gai, mon Dieu !

OURSIKA.

Méchant !... vous m’avez fait peur !... j’ai cru que c’était un chien...

GIGOMIR, la regardant tendrement.

C’était votre petit colonel !

OURSIKA.

Gigomir... ne me regardez pas comme cela, ça me trouble !

GIGOMIR, à part.

Pristi ! que j’ai envie de lui dire des bêtises !

 

 

Scène IV

 

CRÉTINOWITCH, GIGOMIR, OURSIKA, KRAPOUSKINE

 

KRAPOUSKINE, entrant tout effaré.

Maître ! maître !

CRÉTINOWITCH, ressautant, ainsi que les deux autres.

Qu’y a-t-il ?

KRAPOUSKINE.

La garnison vient de faire une sortie !

TOUS.

Ah ! mon Dieu !

KRAPOUSKINE.

Pour aller chercher du tabac... Elle revient...

CRÉTINOWITCH.

Avec une prise ?

KRAPOUSKINE.

Avec une bande d’individus suspects.

CRÉTINOWITCH.

Cachons l’argenterie...

KRAPOUSKINE.

Ils prétendent qu’ils sont Espagnols...

OURSIKA, avec joie.

Des Espagnols ?

CRÉTINOWITCH.

Combien sont-ils ?

KRAPOUSKINE.

Il y a sept femmes et trois hommes... Ils demandent à vous envoyer des parlementaires...

CRÉTINOWITCH.

Des parlementaires !... Si nous tirions dessus ?

GIGOMIR.

Oh ! papa !

CRÉTINOWITCH.

Ça se fait ! ça se fait !...

À Krapouskine.

Qu’on attache les hommes et qu’on laisse entrer deux femmes.

GIGOMIR.

Les plus jolies !

OURSIKA, avec sévérité.

Gigomir !

CRÉTINOWITCH.

On ne sait pas ce qui peut arriver... je vais toujours m’armer...

GIGOMIR.

Dites donc, papa, voilà un brillant fait d’armes !

CRÉTINOWITCH.

Je vais écrire à mon gouvernement que nous avons fait trois mille prisonniers et pris quatorze canons...

GIGOMIR.

C’est bien peu !

CRÉTINOWITCH.

Laisse faire... ils doubleront ça là-bas ! Je vais chercher mes pistolets... rentre ta prétendue.

Air russe.

Soyons prudents !
On ne sait, mes enfants,
Quelles gens
Sont ces vils intrigants !
Ce pays
Compte plus d’ennemis
Que d’amis.

GIGOMIR.

Turcs et Français,
Égyptiens, Anglais,
Écossais,
Sont tous sur nos talons.
Nous n’avons
Pour amis non suspects,
Que des Grecs !

TOUS.

Turcs et Français, etc.

CRÉTINOWITCH, à Krapouskine.

Qu’on introduise les prisonniers

Ils entrent à gauche.

 

 

Scène V

 

KRAPOUSKINE, BABIOLE, ROSITA, puis CHÂTEAU-MARGOT

 

KRAPOUSKINE, à la cantonade, vers la droite.

Lâchez deux femmes ! et attachez le reste !

Babiole et Rosita paraissent ; elles sont en costume d’Espagnoles.

BABIOLE, repoussant Krapouskine en le faisant tourner de façon qu’il se trouve en face de Rosita.

Je proteste ! où est le bourgeois de la forteresse ?

ROSITA, même jeu.

Je demande sa tête !

CHÂTEAU-MARGOT, paraissant ; il est aussi en Espagnol.

Peut-on entrer ?

KRAPOUSKINE.

Pas vous ! vous n’êtes pas une femme !

Il veut lui barrer le passage.

CHÂTEAU-MARGOT.

Qu’en sais-tu, cosaque ?

Avec majesté.

Qu’on nous laisse !

KRAPOUSKINE.

Mais cependant...

CHÂTEAU-MARGOT.

Tu répliques...

À part.

Je vais lui parler russe...

Il lui lance un coup de pied.

KRAPOUSKINE.

Aïe !

Il se sauve par le fond, à gauche.

CHÂTEAU-MARGOT.

Belle langue !...

BABIOLE.

Tout cela, c’est très joli !... mais nous voilà coffrés !

ROSITA.

Au moment où nous touchions la frontière.

CHÂTEAU-MARGOT.

Ne craignez donc rien ! nous sommes espagnols... nous sommes neutres !

BABIOLE.

Espagnols !... Rosita et sa troupe sont espagnols ; mais nous, nous sommes français.

CHÂTEAU-MARGOT.

Babiole, ma chère amie, permets-moi de te dire que tu n’as pas la moindre connaissance du droit des gens...

S’interrompant.

Tiens ! un déjeuner ! si nous nous mettions à table ?

BABIOLE.

Y penses-tu ? c’est aux Russes...

CHÂTEAU-MARGOT.

Puisque nous sommes en guerre... La guerre est l’art de chiper le déjeuner de son ennemi !

BABIOLE.

Au fait !

ROSITA.

Allons-y !

CHŒUR.

Air de l’Ambassadrice.

Gaiement il faut faire
De c’ repas notr’ profit,
C’est le droit d’ la guerre,
C’est l’ droit de l’appétit !

CHÂTEAU-MARGOT.

Il me reste une bouteille de vin et du sel...

Il les tire de sa besace. Ils se mettent à table.

ROSITA.

C’est égal, je ne m’attendais pas à déjeuner dans une forteresse...

BABIOLE.

Quant à moi, je ne serai tranquille que lorsque nous aurons quitté cet affreux pays... On doit être à notre poursuite.

ROSITA.

C’est la faute de Château-Margot.

CHÂTEAU-MARGOT.

Du tout ! c’est la faute de Babiole !... Que diable ! ma chère amie, quand on est marchande de modes à Saint-Pétersbourg, on ne parle pas politique !...

BABIOLE.

Moi ?... j’ai parlé politique ?

CHÂTEAU-MARGOT.

Tu as dit en ouvrant ta porte : Dieu ! le vilain climat !

BABIOLE.

Dame ! il neigeait !

CHÂTEAU-MARGOT.

Il ne neige jamais en Russie ! le gouvernement ne le veut pas ! on appelle ça de la rosée... par ordre !

BABIOLE.

Est-ce que je pouvais deviner ça ?

CHÂTEAU-MARGOT.

Aussi, on t’a conduite chez l’inspecteur de police... un petit vieux couvert de fourrures, qui, tout en prenant sa prise, t’a condamnée à vingt-cinq petits coups de knout...

BABIOLE.

Je t’en moque ! d’un revers, je lui ai fait sauter sa tabatière dans les yeux, et j’ai filé...

CHÂTEAU-MARGOT.

C’est alors, que dans ma joie, je me suis mis à crier : Vive le Grand Turc ! ça m’a échappé.

BABIOLE.

Nous étions dans de jolis draps, sans cette bonne Rosita qui nous a prêté ces costumes et nous a cachés dans sa troupe de danseurs qui partait pour la France.

ROSITA.

Ne parlons pas de ça !

CHÂTEAU-MARGOT.

Voilà comment, de marchand de vin de Champagne, je suis dansores espagnolas !

Élevant son verre.

Jeune Espagnole ! je bois à votre santé.

BABIOLE.

Tais-toi donc, avec tes bêtises !... tu ferais bien mieux de nous tirer d’ici.

CHÂTEAU-MARGOT.

Un moment !... laisse-nous prendre notre café.

Crétinowitch paraît.

Justement, voilà le garçon !

 

 

Scène VI

 

BABIOLE, ROSITA, CHÂTEAU-MARGOT, CRÉTINOWITCH

 

CHÂTEAU-MARGOT.

Garçon ! servez-nous le café.

CRÉTINOWITCH, stupéfait.

Ils sont à table !

CHÂTEAU-MARGOT.

Qu’est-ce que c’est que ça ?... un morceau de bastion !

CRÉTINOWITCH.

Insolent ! apprenez que vous êtes devant le général Crétinowitch !...

Tous trois se lèvent effrayés, une chaise tombe sur le pied de Crétinowitch.

CRÉTINOWITCH, regardant sur la table.

Tiens ! vous avez du sel ?

Il prend le cornet, le met dans sa poche.

CHÂTEAU-MARGOT.

Qu’est-ce que vous faites ?

CRÉTINOWITCH.

Je le confisque... comme munition de guerre et à titre de représailles !...

CHÂTEAU-MARGOT.

Monsieur, nous sommes espagnols.

CRÉTINOWITCH, apercevant la bouteille.

Tiens ! vous avez du vin ?

Il prend la bouteille qui est vide et la renverse dans un verre ; à part.

Plus rien !... Canailles !

CHÂTEAU-MARGOT.

Nous sommes espagnols, nous vous remercions de votre bonne hospitalité, et nous vous demandons la permission de...

CRÉTINOWITCH.

On ne sort pas !

BABIOLE.

Il me fait peur.

CRÉTINOWITCH.

Si vous êtes espagnols, vous devez savoir parler cette langue.

CHÂTEAU-MARGOT.

Parbleu !

CRÉTINOWITCH.

Eh bien ! parlez ! dites-moi quelque chose ?

CHÂTEAU-MARGOT, à part.

Bigre !... je n’en sais pas un mot.

CRÉTINOWITCH, à part.

J’ignore cet idiome, mais je verrai bien sur leurs figures...

Haut.

Eh bien !

CHÂTEAU-MARGOT.

Voilà !

Parlant espagnol.

Larifla fla fla... Dolores las tauréador...

CRÉTINOWITCH.

C’est pur ! ça suffit... je vois que vous êtes espagnol.

À Babiole.

Et vous ?

BABIOLE, avec aplomb.

Iou piou piou tra la la... fandango cachucha gigotar...

CRÉTINOWITCH.

Parfait ! parfait !

À part.

Elle est gentille, la petite...

À Rosita.

Et vous ?

ROSITA.

Me allegra de encontrar me en presencia de un caballero tan seductor !

CRÉTINOWITCH, à lui-même.

En voilà une qui me paraît suspecte... elle a l’accent auvergnat !... je la soupçonne Savoyarde... je la ferai surveiller !

Haut à Babiole.

Quelle est votre profession ?

BABIOLE.

Danseuse...

CRÉTINOWITCH.

Tiens ! tiens !

BABIOLE.

Oh ! laissez-nous partir, monsieur le Russe... nous sommes très pressés...

ROSITA.

Nous avons un engagement avec un théâtre pour danser à Paris...

CRÉTINOWITCH.

Et vous croyez que je vais vous permettre d’aller amuser les Parisiens pendant que je m’ennuierai ici... Allons donc ! je vous confisque... comme munition de guerre !

CHÂTEAU-MARGOT.

Cependant...

CRÉTINOWITCH.

Pas un mot de plus ! D’abord, j’ai besoin de vous... je marie mon fils Gigomir avec la Rose de Novogorod... le mairiskoff vient d’arriver...

CHÂTEAU-MARGOT.

Le mairiskoff ?... qu’est-ce que c’est que ça ?...

CRÉTINOWITCH.

C’est un vieux bonhomme chargé de faire les mariages... celui-là est très sourd et fort enrhumé... Or, j’entends qu’à l’occasion des fiançailles, vous nous donniez ce soir un divertissement !

CHÂTEAU-MARGOT.

Ah ! des navets !

CRÉTINOWITCH.

Plaît-il ?

BABIOLE, vivement.

C’est de l’espagnol !

CRÉTINOWITCH.

Ah !

À part.

Elle est gentille, la petite !

Haut.

Vous vous nommez ?...

BABIOLE.

Babiole.

ROSITA, soufflant vivement à Château-Margot.

Y Fuentez.

CHÂTEAU-MARGOT, répétant vivement.

Y Fuentez.

BABIOLE.

Y Fuentez.

CRÉTINOWITCH.

Y Fuentez !... comme c’est espagnol !... Décidément, c’est une noble Andalouse !

À Château-Margot et Rosita.

Allez, vous autres, allez prévenir vos camarades.

À Babiole.

Vous, restez... j’ai à vous interroger.

ROSITA, bas à Château-Margot.

Nous voilà prisonniers !

Chœur.

Air anglais.

CRÉTINOWITCH.

Un sentiment folichon et bizarre,
Pour Y Fuentez soudain vient m’envahir !
Je sens, morbleu ! mon âme de Tartare,
À son aspect, tressaillir et mollir.

CHÂTEAU-MARGOT, BABIOLE, ROSITA.

Maudit Kalmouk, au diable le Tartare !
Dans ce château vouloir nous retenir !
Mais, avant peu, mon cher, sans dire gare,
Nous saurons bien filer et nous enfuir.

Château-Margot et Rosita sortent au fond, à gauche.

 

 

Scène VII

 

BABIOLE, CRÉTINOWITCH, puis KRAPOUSKINE

 

CRÉTINOWITCH, après s’être assuré que tout le monde est sorti, revient vivement vers Babiole et lui prend la taille.

Tiens ! je t’aime ! toi !

BABIOLE.

Eh bien !... voulez-vous finir !

CRÉTINOWITCH.

Tu dois avoir un poignard à ta jarretière... fais-le voir.

BABIOLE.

N’approchez pas !

Elle remonte.

CRÉTINOWITCH, la suivant.

Fais-le voir...

BABIOLE.

Prenez garde...

CRÉTINOWITCH.

Petit mauvais sujet ! petite Gredinettas ! tu vois, je te parle ton patois...

Il la lutine.

BABIOLE.

Dites donc, vous !

Elle descend à gauche.

CRÉTINOWITCH, la suivant.

Dis-moi des choses encourageantes... je te ferai manger à ma table...

Il veut la chiffonner.

BABIOLE.

Je vous préviens que je griffe !

CRÉTINOWITCH, avec ivresse.

Tu griffes... elle griffe... petite chatte !...

Il veut l’embrasser. Babiole lui donne un soufflet.

Aïe !

KRAPOUSKINE, entrant.

Oh !

CRÉTINOWITCH, furieux.

Un soufflet !... ah ! c’est comme ça... je te fais des politesses et tu me frappes devant mes gens... un boyard !... un Crétinowitch !

BABIOLE.

Je n’aime pas jouer avec les cosaques...

CRÉTINOWITCH.

Oh ! tu vas me le payer... et tout de suite !

KRAPOUSKINE.

Maître, votre bain est prêt...

CRÉTINOWITCH.

Sapristi ! il va refroidir... allons, j’y vais...

À Babiole.

Mais je ne te tiens pas quitte, tu vas avoir de mes nouvelles...

Il donne des coups de pied à Krapouskine.

Marche donc, toi !... marche donc !

Il entre dans la porte à gauche avec Krapouskine qu’il accompagne de bourrades.

 

 

Scène VIII

 

BABIOLE, puis GIGOMIR, puis la voix de CRÉTINOWITCH

 

BABIOLE, seule.

Qu’est-ce qu’il va faire ?... il est sorti en roulant des yeux de crocodile !... il se fâche pour une gifle !... Ordinairement, ces gens-là... plus on tape dessus... plus ils chantent de Te Deum !...

GIGOMIR, sortant du cabinet où est entré Crétinowitch et tenant un knout à la main.

C’est égal... papa vient de me donner une drôle de commission pour un colonel...

Apercevant Babiole.

La voici...

Il cache son knout derrière son dos et salue.

Mademoiselle...

BABIOLE, saluant.

Monsieur...

GIGOMIR, à part.

Je ne sais trop comment lui dire ça...

Haut.

C’est moi... Gigomir...

BABIOLE, à part.

Le fils du gouverneur !

Haut, avec empressement.

Enchantée, monsieur, de faire votre connaissance.

GIGOMIR.

C’est moi, mademoiselle, qui me félicite de l’heureuse circonstance...

À part.

Elle est avenante ! comment diable lui dire ça ?...

Haut.

Mademoiselle, un militaire n’a que sa consigne...

BABIOLE, l’interrompant.

Vous allez vous marier, je crois ?...

GIGOMIR.

Oui... avec la Rose de Novogorod... une femme superbe !...

Avec poésie.

Elle est belle, cette femme !...

BABIOLE.

Ah ! recevez mon compliment sincère...

GIGOMIR.

Certainement... vous êtes bien bonne... parce que...

À part.

Nous nous écartons de la question !

La voix de CRÉTINOWITCH.

Eh bien ! Gigomir !... commence donc !

GIGOMIR, à la cantonade.

Voilà, papa !

À part.

Papa y rentre, dans la question...

BABIOLE.

Mais je ne veux pas vous retenir... je vois que vous avez affaire...

GIGOMIR.

Oui... mais c’est ici que j’ai affaire...

BABIOLE.

Je vous dérange ?... je me retire...

GIGOMIR.

Non ! non !... vous ne me dérangez pas ! au contraire !... vous me dérangeriez, si vous ne me dérangiez pas !

À part.

Comment diable lui dire ça ?

Haut, montrant son martinet.

Voilà la chose !

BABIOLE.

Ah ! oui !... c’est pour battre les habits ?

GIGOMIR.

On peut battre aussi les habits avec... mais ce n’est pas précisément pour cet usage... nous appelons ça un knout...

BABIOLE.

Comment ?

GIGOMIR.

Oh ! de seconde classe... pour le beau sexe !

BABIOLE, ironiquement.

Pour le beau sexe !... Ah ! quelle attention délicate !

GIGOMIR.

Voilà comme nous sommes avec les dames !... si vous voulez être assez bonne pour ôter votre mantille ?...

BABIOLE, se reculant.

Comment ! c’est pour moi que...

GIGOMIR.

C’est papa qui le veut... il paraît que vous l’avez giflé, papa... et il m’a chargé de vous faire agréer l’expression bien sentie... Voyons ! dépêchons-nous !

BABIOLE, à part.

Ah ! mon Dieu ! que faire ?... que devenir ?...

Frappée d’une idée.

Ah bah ! il n’a pas l’air fort... Essayons !

Haut.

Comment ! Monsieur Gigomir... est-ce possible ?... vous, un homme bien élevé... un homme d’éducation !... Vous oseriez frapper une faible femme !

GIGOMIR, un peu embarrassé.

Moi !... dame !... c’est papa... et comme vous êtes sous son protectorat... immédiat...

Il fait le simulacre de knouter.

Chaque pays a ses usages...

CRÉTINOWITCH, dans la coulisse.

Mais sapristi ! je n’entends rien ! tu flânes !

GIGOMIR.

Vous voyez, il s’impatiente... allons ! ôtez, ôtez votre mantille !

BABIOLE.

Moi qui, en vous voyant entrer, m’étais sentie attirée vers vous... par un sentiment...

GIGOMIR.

Nom d’un petit Kamtchatka !... veuillez continuer...

BABIOLE, minaudant.

Non !...

GIGOMIR.

Oh ! si !

À part.

Quels yeux ! pétris dans la lave !

BABIOLE.

Je me disais : quel au-noble et majestueux !... quelle figure fine et mélancolique à la fois !...

GIGOMIR, à part.

Le fait est qu’il y a de ça !...

BABIOLE.

On serait heureux de pouvoir s’appuyer sur le bras de ce frais jeune homme.

Elle lui prend le bras.

GIGOMIR, à part.

Elle m’incendie !

BABIOLE.

Et d’aller rêver avec lui dans la prairie...

GIGOMIR, se laissant aller.

Sur les bords gelés d’un ruisseau... dont le murmure...

La voix de CRÉTINOWITCH.

Eh bien ! Gigomir !

GIGOMIR.

Oui !... Il est embêtant !

À Babiole.

Allons ! ôtez votre...

BABIOLE, à part.

Encore...

Suppliant.

Gigomir !...

GIGOMIR, s’exaltant.

Eh bien ! non ! n’ôtez rien ! jeune Espagnole... je vous aime !... j’aime vos yeux, votre bouche, votre nez... je ne vous knouterai pas !

BABIOLE.

Ah ben ! oui, mais, si ce n’est pas vous... votre père en chargera un autre...

GIGOMIR.

Au fait !... c’est vrai... soyez tranquille, j’irai doucement...

BABIOLE.

Non, il me vient une idée...

GIGOMIR.

Je l’adopte !

BABIOLE.

Pourvu que votre père entende résonner les coups...

GIGOMIR.

Ça lui suffira... il est dans le bain.

BABIOLE.

Donnez-moi cet instrument...

GIGOMIR, lui donnant le martinet.

Le voilà !

À part.

Que va-t-elle faire ?...

BABIOLE.

Très bien... maintenant tendez le dos...

GIGOMIR.

Hein ? permettez !

BABIOLE.

C’est moi qui pousserai les cris... et c’est vous qui recevrez les coups... c’est très ingénieux...

GIGOMIR, résistant.

C’est ingénieux, mais...

BABIOLE, le regardant avec tendresse.

Gigomir !

GIGOMIR, de même.

Mademoiselle Y Fuentez !

BABIOLE.

Vous ne voudriez pas me refuser ?

GIGOMIR.

Oh ! non !

CRÉTINOWITCH, en dehors.

Eh bien ! crr !

BABIOLE.

Vous entendez !

GIGOMIR, tendant le dos.

Mais allez-y mollement...

Il se met à genoux.

BABIOLE.

Vous y êtes ?

Elle lui donne un coup.

La voix de CRÉTINOWITCH.

Plus fort ! c’est trop doux !

GIGOMIR, protestant.

Ah ! mais non !

BABIOLE.

Votre père le veut !

Elle frappe plus fort.

GIGOMIR, criant.

Aïe, aïe !

BABIOLE.

Mais taisez-vous donc ! c’est moi qui dois crier !

Elle frappe plusieurs coups en criant.

Ho ! là ! là ! ho ! là ! là !

CRÉTINOWITCH, dans la coulisse.

Assez ! assez !

BABIOLE.

Le voici... Colonel, reprenez votre arme !...

Elle lui rend le martinet.

GIGOMIR, lui baisant la main.

Merci !

À part, piteusement.

Comme c’est ingénieux !

 

 

Scène IX

 

BABIOLE, GIGOMIR, CRÉTINOWITCH, puis OURSIKA, puis CHÂTEAU-MARGOT

 

CRÉTINOWITCH, entrant par la porte de gauche.

Eh bien ! est-ce fini ?

GIGOMIR.

Oui, papa !

CRÉTINOWITCH, lui frappant sur l’épaule.

C’est très bien, mon garçon !

GIGOMIR, poussant un cri de douleur.

Aïe !

CRÉTINOWITCH.

Quoi ?

GIGOMIR.

Bien !

OURSIKA, entrant par le fond à droite.

Ah ! c’est gracieux ! c’est délicieux !...

À la cantonade.

Bravo ! Bravo !

CRÉTINOWITCH.

Qu’est-ce que c’est ?

OURSIKA.

Je viens de voir les danseuses répéter un pas... la Grenadina !

Faisant des ronds de jambe.

Elles font comme ça... et puis comme ça...

GIGOMIR, à part.

C’est drôle, cette femme me paraît énorme maintenant...

OURSIKA.

Et ces hommes... qu’ils sont beaux !... ils ont des castagnettes...

GIGOMIR, à part.

Ce n’est pas une rose... c’est un artichaut...

CRÉTINOWITCH, frappant sur l’épaule de Gigomir.

Elle est gentille, hein !

GIGOMIR, poussant un cri.

Aïe !

CRÉTINOWITCH.

Quoi ?

GIGOMIR.

Rien.

OURSIKA.

D’abord, général, je veux qu’on me donne un danseur...

CRÉTINOWITCH.

Et qu’en voulez-vous faire ?

OURSIKA.

Je veux qu’il m’apprenne la Grenadina...

D’un air mutin.

Tout de suite ! tout de suite !

CRÉTINOWITCH.

Volontiers...

Apercevant Château-Margot qui entre en cherchant quelque chose.

Justement en voici un...

À Château-Margot.

Que veux-tu ?

CHÂTEAU-MARGOT.

Pardon... où met-on le tabac dans cette forteresse ?

CRÉTINOWITCH.

Il ne s’agit pas de tabac... voici la Rose de Novogorod... tu vas lui apprendre incontinent la Grenadina.

CHÂTEAU-MARGOT, à lui-même.

Qu’est-ce que c’est que cet animal-là ?

CRÉTINOWITCH.

Si dans cinq minutes elle ne danse pas comme père et mère, je te fais rouer de coups !

OURSIKA, à part.

Pauvre jeune homme !

CRÉTINOWITCH, à Gigomir, qui cause avec Babiole.

Voilà comme il faut leur parler !

Il lui frappe sur l’épaule.

GIGOMIR.

Aïe !

CRÉTINOWITCH.

Ah ! c’est insupportable !

Chœur.

Air : Trip ! trip !

CRÉTINOWITCH, à Château-Margot.

Puisque l’enfant raffole
De ta grenadina,
Apprends ta danse folle
À la belle Oursika.
À la rendre légère,
Si tu n’ réussis pas,
Mon cher, c’est ton affaire,
Foi de Kalmouk, tu la dans’ras !

CHÂTEAU-MARGOT.

Au diable soit la folle
Et sa grenadina !
J’ n’ai jamais, ma parole,
Gigoté ce pas-là.
Voyez, qu’elle est légère !
Quelle taille et quels bras !
Sapristi ! comment faire
Pour me tirer de c’ mauvais pas !

OURSIKA.

Oui, d’honneur, je raffole
De la grenadina,
Plus suave et plus molle
Que la folle polka.
Gracieuse et légère,
Oui, je le dis tout bas,
À ma noce, j’espère
Exécuter ce joli pas.

GIGOMIR, lorgnant Babiole.

D’Y Fuentez je raffole,
Et, je le sens déjà,
Sa prunelle espagnole
Dégotte l’Oursika.
Quelle grâce légère !
Quelle taille et quels bras !
Oui, voilà ma bergère ;
Non, la Rose ne m’aura pas !

BABIOLE, regardant Gigomir.

De moi, j’ crois qu’il raffole ;
Oui, je le vois déjà,
Ma prunelle espagnole
À son cœur parlera.
Par ce moyen, j’espère
Nous tirer d’embarras.
Poursuivons cette affaire ;
Pour l’enflammer, suivons ses pas !

Crétinowitch, Gigomir et Babiole sortent par le fond.

 

 

Scène X

 

OURSIKA, CHÂTEAU-MARGOT

 

CHÂTEAU-MARGOT, à part.

La grenadina !... connais pas !...

Regardant Oursika.

Quelle grande chabraque !

OURSIKA, à part.

Seule, avec un Espagnol !...

CHÂTEAU-MARGOT, à part.

Je vais lui apprendre le pas des sucres d’orge... façon Mabille !...

Haut.

Allons ! avancez ici, vous !

OURSIKA, à part.

J’ai été bien imprudente !...

S’approchant.

Me voilà.

CHÂTEAU-MARGOT, lui faisant prendre position.

D’abord, vous vous placez comme ça... donnez-moi vos mains...

Il veut les lui prendre.

OURSIKA, s’effarouchant, et lui donnant une tape sur les doigts.

Ne touchez pas !

CHÂTEAU-MARGOT.

Vous avez des engelures ?...

OURSIKA.

Non... mais un jeune Espagnol qui prend la main d’une jeune fille...

CHÂTEAU-MARGOT.

Oh ! ne craignez rien !... je vous la rendrai... cette jolie petite menotte plus blanche que la blanche hermine...

OURSIKA, lui lançant un regard.

Flatteur !...

CHÂTEAU-MARGOT, à part.

Le diable m’emporte, je crois que nous allons nous faire de l’œil !

Haut.

Maintenant, la tête droite, les yeux à quinze pas, la main sur la couture... non ! regardez-moi... en souriant... comme ça...

OURSIKA, émue.

Oh ! finissez !

CHÂTEAU-MARGOT.

Pourquoi ?...

OURSIKA.

Imprudent !... si le général vous voyait... il vous mettrait à la porte de cette forteresse...

CHÂTEAU-MARGOT, frappé.

Ah ! bah ! vous en êtes bien sûre ?...

OURSIKA.

Ne suis-je pas la fiancée de son fils ?

CHÂTEAU-MARGOT, à part.

Voilà mon affaire !

Haut.

Jeune Caucasienne ! tu es belle... tu es grande ! tu es grasse ! tu es copieuse, tu me fais l’effet d’un monument !

OURSIKA, minaudant.

Finissez... ou je vais m’en aller...

CHÂTEAU-MARGOT.

T’en aller ! au moment où je te retrouve... car voilà six mois que je te cherche, que je te suis, que je te poursuis... d’Anièriska à Nanterriska, de Nanterriska à Bougivaliska !...

OURSIKA.

Est-il possible ?...

CHÂTEAU-MARGOT.

Où étais-tu, il y a six mois ?

OURSIKA.

À Novogorod.

CHÂTEAU-MARGOT.

J’en arrive ! j’ai vu la maison où tu es née... je me suis prosterné sur le seuil...

OURSIKA.

On en a fait une caserne de dragons.

CHÂTEAU-MARGOT, à part.

Hein ?...

Haut.

Profanation ! faire coucher des dragons dans un nid de fauvette !...

OURSIKA.

Il me prend pour une fauvette !...

CHÂTEAU-MARGOT, regardant vers le fond, à droite.

On vient !...

OURSIKA.

Mais, alors, dansons !... nous ne dansons pas !

CHÂTEAU-MARGOT, à part.

Du courage !...

Haut.

Oursika ! échangeons nos âmes dans un baiser ! le veux-tu ?...

OURSIKA.

Non !

CHÂTEAU-MARGOT.

Oh ! merci ! merci !

Il l’embrasse.

 

 

Scène XI

 

OURSIKA, CHÂTEAU-MARGOT, GIGOMIR, BABIOLE

 

GIGOMIR et BABIOLE, apercevant Château-Margot.

Ciel !...

GIGOMIR.

Bravo !... ne vous gênez pas !...

CHÂTEAU-MARGOT, à part.

J’aurais préféré être pincé par le père... mais on lui fera part de la chose.

BABIOLE, pinçant Château-Margot.

Que faisiez-vous là ? monstre !

CHÂTEAU-MARGOT, bas.

Ne dis rien ! je fais viser mon passeport !

GIGOMIR, à Oursika.

Mademoiselle de Ganachkine ! permettez-moi de vous dire que votre conduite... est un peu épicée !

OURSIKA, troublée.

N’allez pas croire... nous répétions une figure de danse... la grenadina...

CHÂTEAU-MARGOT.

Non ! soyons carrés ! je l’aime ! elle m’aime ! nous nous aimons !

GIGOMIR, avec joie.

Est-ce vrai ?...

OURSIKA.

Je ne sais... je suis tout étourdie...

GIGOMIR.

Mais ça me va ! ça m’arrange ! car de mon côté j’aime mademoiselle Y Fuentez !...

OURSIKA.

Comment !

BABIOLE, bas à Château-Margot.

Une frime ! pour nous faire renvoyer !

CHÂTEAU-MARGOT.

Bon ! même jeu !

OURSIKA, à Gigomir.

Ainsi, vous ne m’aimez plus ?

GIGOMIR.

Excusez-moi... je vous trouve trop grosse.

OURSIKA.

Il suffit... colonel... je vous rends votre parole !

GIGOMIR, se jetant à ses genoux.

Oh ! merci ! jamais tu ne m’as paru plus belle !

 

 

Scène XII

 

OURSIKA, CHÂTEAU-MARGOT, GIGOMIR, BABIOLE, CRÉTINOWITCH

 

CRÉTINOWITCH, entrant par le fond à droite.

À ses genoux ! bravo ! Gigomir !

GIGOMIR, se relevant.

Non ! vous n’y êtes pas ! c’est changé !

OURSIKA.

Nous avons à vous faire une communication importante...

CRÉTINOWITCH.

Plus tard !

Les danseurs entrent et se groupent au fond.

Voici les danseurs que j’ai convoqués pour le bal de vos fiançailles, la première danseuse, la perle de l’Andalousie, est là, dans ce pavillon.

GIGOMIR.

Mais papa !...

CRÉTINOWITCH.

Je n’écoute rien ! plaçons-nous !

Aux danseurs.

Et qu’on danse un peu bien ! sinon le knout ! crrr !!!

OURSIKA, bas à Château-Margot.

Demain, il fera jour !...

GIGOMIR, mystérieusement à Babiole.

Chut !... à minuit !... il fera nuit !

CHŒUR.

Air : Séguedille.

Allons, perles de Castille
Dont l’œil pétille
Sous la mantille
Aux noirs réseaux.
Accourez, troupe gentille,
La guitarille
Déjà frétille
Ses chants nouveaux,
Venez, par votre entrain,
Fêter un doux hymen.

Danses.

 

 

ACTE II

 

Une salle dans le château de Crétinowitch. Porte au fond. Deux portes latérales de chaque côté. Au fond quatre grands portraits de Russes très laids.

 

 

Scène première

 

CHÂTEAU-MARGOT, puis BABIOLE et ROSITA

 

Au lever du rideau, il fait nuit.

CHÂTEAU-MARGOT, en chantant la première partie de l’air suivant, va frapper aux deux portes des premiers plans.

Air : J’entends sonner minuit.

Dans ce vieux château fort
Tout repose et tout dort ;
Le jour est loin encor,
Profitons de la nuit,
Et sans bruit,
Sans bruit, filons un peu
De ce lieu.

Les dames entrent, Babiole tient une bougie qu’elle place sur un guéridon. Jour.

Silence ! écoutez bien !

BABIOLE et ROSITA, qui écoutent.

Rien !

CHÂTEAU-MARGOT.

Tout dort dans le donjon !

BABIOLE et ROSITA.

Bon !

CHÂTEAU-MARGOT.

Nous sommes enfermés...

BABIOLE et ROSITA.

Mais...

CHÂTEAU-MARGOT.

Sachons, sans nous trahir...

BABIOLE et ROSITA.

Fuir !

ENSEMBLE.

Reprise.

Dans ce vieux château, etc.

CHÂTEAU-MARGOT.

Chut, mes enfants ! parlons bas et marchons peu... j’ai des souliers qui crient.

BABIOLE.

Pourquoi nous réveiller à trois heures du matin ?

ROSITA.

Je dors debout !

CHÂTEAU-MARGOT.

Je suis poursuivi par une idée fixe...

BABIOLE.

Laquelle ?

CHÂTEAU-MARGOT.

Celle qui tourmente le serin dans sa cage... je voudrais m’en aller !

ROSITA.

Parbleu ! nous aussi ! Si c’est pour nous dire ça...

BABIOLE.

J’ai eu cette nuit un rayon d’espoir...

CHÂTEAU-MARGOT.

Voyons ton rayon...

BABIOLE.

À minuit, le beau Gigomir est venu me chercher... pour me conduire devant un vieux monsieur sourd qui m’a parlé grec pendant cinq minutes...

CHÂTEAU-MARGOT.

Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

BABIOLE.

Est-ce que je sais le grec ?

CHÂTEAU-MARGOT.

Ce renseignement est précieux !

BABIOLE.

Après quoi, ce jeune Moscovite m’a ramenée jusqu’à la porte de ma chambre en me disant : Dans deux heures vous ne serez plus prisonnière...

CHÂTEAU-MARGOT.

Eh bien ?

BABIOLE.

Je ne l’ai pas revu.

CHÂTEAU-MARGOT, à Rosita qui s’endort debout.

Ma fille asseyez-vous... vous pourriez tomber, et ça ferait du bruit.

ROSITA.

Vous êtes bien bon.

BABIOLE, à Château-Margot.

Voyons ! et toi ? as-tu une idée ?

CHÂTEAU-MARGOT.

Vous allez voir !

Prenant une petite scie cachée sous son habit.

Voilà mon idée !

BABIOLE et ROSITA.

Une scie !

CHÂTEAU-MARGOT.

Que j’ai chipée à Krapouskine...

BABIOLE et ROSITA.

Pour quoi faire ?

CHÂTEAU-MARGOT.

Pour scier les barreaux de la fenêtre.

 

 

Scène II

 

CHÂTEAU-MARGOT, BABIOLE, OURSIKA, GIGOMIR

 

GIGOMIR, passant sa tête à la porte du fond, et tenant une chandelle allumée.

Bien sûr, il y a des souris par là !

OURSIKA, paraissant par la deuxième porte de gauche.

Impossible de dormir !

Apercevant Château-Margot.

Eh bien ! que faites-vous là ?

CHÂTEAU-MARGOT, à part.

Pincé !...

Rosita se sauve à droite, premier plan. Haut.

Rien... un peu de musique !

GIGOMIR.

Avec une scie ?

CHÂTEAU-MARGOT.

Ça ?... c’est une guitare... en si... bémol !

BABIOLE.

Espagnole !

CHÂTEAU-MARGOT.

À une corde !

Il se tourne vers Oursika et chante en s’accompagnant sur la scie comme avec une guitare.

Gentille Moscovite
Belle aux regards si... roux !...

OURSIKA, enivrée.

Ah ! que c’est doux ! que c’est doux !

Gigomir, voyant un flambeau allumé sur le guéridon, souffle sa chandelle et se met à la manger.

CRÉTINOWITCH, dans la coulisse.

Est-ce qu’on ne va pas se taire par là !

BABIOLE, bas.

V’lan ! tu as réveillé le papa !

GIGOMIR.

Ne craignez rien... nous avons formé un petit plan, moi et la Rose...

OURSIKA.

Et sitôt que le général sera levé...

CRÉTINOWITCH.

Crrr !...

BABIOLE.

Je l’entends !

OURSIKA, émue.

Votre main, don Château-Margot.

GIGOMIR.

La vôtre, perle de Castille.

CHÂTEAU-MARGOT et BABIOLE, étonnés, et donnant leur main.

Pour quoi faire ?

GIGOMIR et OURSIKA.

Vous allez voir !

 

 

Scène III

 

CHÂTEAU-MARGOT, BABIOLE, OURSIKA, GIGOMIR, CRÉTINOWITCH

 

CRÉTINOWITCH, entrant en bonnet de coton, avec une fourrure en fontange.

Quel est ce charivari qui m’a fait sortir de ma couche ?

GIGOMIR.

Papa, la circonstance est solennelle...

CRÉTINOWITCH, au milieu, les regardant tous les quatre se tenant par la main, et placés comme pour une contredanse.

Tiens ! vous alliez danser quelque chose ?

GIGOMIR.

Non papa...

CRÉTINOWITCH.

Parle... enfant chéri de mon hymen !...

GIGOMIR.

Papa, voilà ce que c’est... la Rose de Novogorod et moi... sur le point de serrer des nœuds charmants, mais éternels... nous avons échangé hier un timide aveu... savoir...

CRÉTINOWITCH.

Que vous vous adorez... c’est connu !

GIGOMIR.

Du tout ! que nous ne pouvons pas nous sentir...

CRÉTINOWITCH.

Tu ne peux pas sentir la Rose ?

OURSIKA.

De son côté mon cœur est sourd et muet pour Gigomir ! je lui trouve l’air godiche.

GIGOMIR.

Oui... elle a la bonté de me trouver l’air godiche.

CRÉTINOWITCH, avec colère.

Qu’entends-je !

GIGOMIR.

Mais, puisque vous tenez à nous voir mariés.

Air : Connaissez-vous dans Barcelone.

D’obéir, notre âme est jalouse !

OURSIKA

Et je vous présente, en tremblant,
Moi, mon époux...

GIGOMIR, présentant Babiole.

Moi, mon épouse...
Papa, voici mon Andalouse !

OURSIKA, présentant Château-Margot.

Voilà mon tendre Castillan.

CRÉTINOWITCH, furieux.

Nom d’un knout ! mille Sibéries !

Criant.

Mon fils !... un Gigomir de Crétinowitch épouser une sauterelle... que diraient tes ancêtres dont voici les nobles portraits ?

BABIOLE, voyant les portraits.

Oh ! ces binettes !...

CHÂTEAU-MARGOT, de même.

En voilà des portraits caucases !...

GIGOMIR, regardant les portraits.

Je ne serais pas fâché de modifier un peu cette race...

CRÉTINOWITCH, à part.

Ce sont ces enfants de la brune Castille qui les ont entortillés !

Tout à coup à Château-Margot et à Babiole.

Qu’est-ce que vous faites ici, intrigants ? qu’est-ce qui vous a priés de monter ? fichez-moi le camp !

BABIOLE.

Comment donc !

CHÂTEAU-MARGOT, avec joie.

Cordon, s’il vous plaît !

KRAPOUSKINE, entrant par le fond.

Maître... une dépêche...

CRÉTINOWITCH.

Je reconnais le sceau...

À Oursika.

C’est votre père...

Jetant les yeux sur la lettre et poussant un cri.

Ah ! sacrebleu !

TOUS.

Qu’y a-t-il ?

CRÉTINOWITCH, criant.

Fermez les portes !... que personne ne sorte !

BABIOLE et CHÂTEAU-MARGOT.

Hein ?

CRÉTINOWITCH, lisant.

« Ordre de garder à vue la troupe espagnole dans laquelle se trouvent deux Français... »

BABIOLE.

Pristi !

CHÂTEAU-MARGOT.

Repincés !

GIGOMIR et OURSIKA.

Ô bonheur !

CHÂTEAU-MARGOT.

Ce n’est pas moi !

BABIOLE.

Ni moi !

CRÉTINOWITCH.

Je le sais... nous avons causé espagnol... mais on les retrouvera !... Ce soir, l’inspecteur de police arrive de Pétersbourg...

BABIOLE, à part.

Le petit vieux à la tabatière !...

CHÂTEAU-MARGOT, à part.

Ça sent le knout !

CRÉTINOWITCH.

Mais, sapristi ! me voilà obligé de vous garder jusqu’à ce soir !

BABIOLE.

Oh ! si ça vous contrarie...

CRÉTINOWITCH.

Et vous allez continuer à entortiller ces candides enfants !

Frappé d’une idée.

Ah !...

TOUS.

Quoi donc ?

CRÉTINOWITCH.

Il me pousse une idée très spirituelle... je vais réveiller mon mairiskoff.

OURSIKA.

Pour quoi faire ?

CRÉTINOWITCH.

Pour qu’il vous marie avec Gigomir, tout de suite, chaudement, sans respirer !

OURSIKA.

Je ne veux pas !

GIGOMIR.

Moi non plus !

CRÉTINOWITCH.

Après ça, s’il arrive du désagrément dans votre ménage... ça ne me regardera plus !... Liberté... libertas !

GIGOMIR.

Papa... ce mariage est impossible !

CRÉTINOWITCH.

Silence !... je suis le maître ! qu’on s’apprête avec joie... sinon !... crrr !... crrr !

Ensemble.

CRÉTINOWITCH.

Air.

Vite et sans flâner, mon ordre est formel :
Vous allez marcher gaîment à l’autel !
Qu’on soit plein d’ardeur
Et la bouche en cœur ;
Sinon, craignez ma fureur !

GIGOMIR et OURSIKA.

Comment résister ? son ordre est formel !
Nous allons, hélas ! marcher à l’autel !
Pour mon triste cœur,
Amère douleur !
Ici-bas, plus de bonheur !

CHÂTEAU-MARGOT et BABIOLE.

Un nouveau danger, quel ennui mortel !
Vient nous menacer dans ce vieux castel !
De cet inspecteur,
Oui, du fond du cœur,
Je redoute la fureur !

Crétinowitch entre, en grinçant, chez le mairiskoff, deuxième plan à droite.

 

 

Scène IV

 

CHÂTEAU-MARGOT, GIGOMIR, OURSIKA, BABIOLE

 

GIGOMIR.

Nous voilà gentils !

BABIOLE.

Eh bien ! et nous ?... vous n’avez pas fait sauter la tabatière, vous !

CHÂTEAU-MARGOT.

Ni crié : Vive le Grand Turc !

GIGOMIR.

Quelle tabatière ?

OURSIKA.

Quel Grand Turc ?

BABIOLE.

Il ne s’agit pas de ça... En me ramenant de chez le vieux qui m’a marmotté du grec...

GIGOMIR.

Chut ! ne parlez pas de ça !

BABIOLE.

Vous m’avez promis de me faire filer... filons !

GIGOMIR.

Impossible !... papa a changé le mot de passe et a refusé de me le dire... il se méfie !

OURSIKA.

Mais je le connais, moi.

TOUS.

Comment !

OURSIKA.

Pendant qu’il l’écrivait, j’ai regardé par-dessus son épaule...

CHÂTEAU-MARGOT.

Fabuleuse créature !... Allons ! partons !

OURSIKA.

Y pensez-vous ? une jeune fille ne peut fuir qu’avec son mari...

CHÂTEAU-MARGOT.

Nous en reparlerons... au premier relais... en route !

OURSIKA.

Non ! non ! non !... le mariage d’abord !

BABIOLE, à part.

Elle y tient !

CHÂTEAU-MARGOT, à part.

Voilà un tic !

OURSIKA.

J’ai de l’amour... mais des principes !

CHÂTEAU-MARGOT.

Mais, folle enfant, puisqu’on fricasse votre mariage avec Gigomir.

OURSIKA, avec élan.

Fils du Cid ! as-tu du cœur ?

CHÂTEAU-MARGOT.

Quelquefois.

OURSIKA, montrant Gigomir.

Eh bien !... prends sa place !

CHÂTEAU-MARGOT.

De Gigomir ?

GIGOMIR.

Ça va !... Blousons papa.

CHÂTEAU-MARGOT.

En espagnol... il me reconnaîtrait !...

OURSIKA.

Je ne suis qu’une timide jeune fille... mais peut-être qu’en prenant son bonnet...

Elle lui donne le bonnet de Gigomir.

GIGOMIR, donnant sa houppelande à Château-Margot.

Ma houppelande !

OURSIKA.

Et en éteignant la lumière...

CHÂTEAU-MARGOT, à part.

Fichtre ! mais elle est très rouée, la Rose de Novogorod !...

Il a mis la houppelande.

Diable ! ça devient sérieux !

GIGOMIR, le regardant.

Oh ! comme vous me ressemblez !...

CHÂTEAU-MARGOT, bas.

Dis donc, Babiole... qu’est-ce que tu dis de ça ?

BABIOLE, bas.

Tu n’as pas le consentement de tes parents... le mariage est nul...

CHÂTEAU-MARGOT, à part.

C’est juste !... une fois à la frontière, je la dépose au bureau des cannes !

Haut.

Je suis prêt au sacrifice.

GIGOMIR, croisant les bras.

Ah ! je suis bien curieux de voir blouser papa !

CHÂTEAU-MARGOT.

Mais vous n’allez pas rester là, vous ?

GIGOMIR.

Pourquoi ça ?

CHÂTEAU-MARGOT.

Dame ! si votre père voit deux Gigomir... il pensera peut-être qu’il y en a un de faux...

GIGOMIR.

Tiens ! c’est vrai !... il a raison !...

BABIOLE, à part.

Il est très bête, mon Russe !

GIGOMIR.

Comme ça, il faut que je m’en aille ?

BABIOLE.

Naturellement.

GIGOMIR, s’en allant.

C’est ennuyeux... j’aurais voulu voir blouser papa...

Il éternue.

Tiens, je m’enrhume !

Il rentre à gauche, deuxième plan.

OURSIKA.

Voici le général !...

BABIOLE.

Vite ! la lumière !

Elle éteint le flambeau, la scène devient obscure.

 

 

Scène V

 

CRÉTINOWITCH, OURSIKA, CHÂTEAU-MARGOT, BABIOLE, puis ROSITA

 

CRÉTINOWITCH, à la cantonade.

Je vous dis que vous radotez !...

En scène.

Ce mairiskoff devient idiot... il prétend qu’il a déjà marié quelqu’un cette nuit... c’est une illusion de son rhume... Qui diable a éteint la lumière ?

OURSIKA.

C’est le vent...

CRÉTINOWITCH.

Ah ! vous êtes là...

Lui mettant sur la tête une couronne de fleurs d’oranger.

Tenez !... campez-vous ça... et vivement !... Où est Gigomir ?

CHÂTEAU-MARGOT, déguisant sa voix.

Voilà, papa !

CRÉTINOWITCH, le palpant.

Oui... je reconnais son nez...

Avec solennité.

Mes enfants... le moment est palpitant, et je regrette de n’avoir pas un bout de chandelle, pour vous adresser quelques paroles bien senties...

ROSITA, entrant avec une lumière. La scène s’éclaire.

Eh bien ! le barreau est-il scié ?

CRÉTINOWITCH.

Quel barreau !

CHÂTEAU-MARGOT.

Bigre !

Il se cache la figure.

OURSIKA.

Ciel !

BABIOLE, à Rosita.

Tais-toi donc !

Elle souffle la bougie. La scène redevient obscure.

CRÉTINOWITCH.

Sapristi ! encore la nuit !

OURSIKA.

C’est le vent !

CRÉTINOWITCH, à part, avec méfiance.

Et l’autre qui a parlé de barreaux sciés... il y a quelque chose.

À Oursika et à Château-Margot.

Allez, mes enfants !... allez trouver le mairiskoff... je vous rejoins. BABIOLE, à part.

Je demande à voir ce mariage-là !

CHÂTEAU-MARGOT.

Allons trouver le mairiskoff !...

CHŒUR.

Air de M. Dobigny-Derval.

Célébrons tous ce charmant mariage !
Chantons, chantons le bonheur des époux !
Puissent leurs jours s’écouler sans nuage,
Parmi les ris, les plaisirs les plus doux !

Château-Margot prend la main d’Oursika. Ils entrent chez le mairiskoff suivis de Babiole. Crétinowitch, en tâtonnant, trouve Rosita sous sa main.

 

 

Scène VI

 

CRÉTINOWITCH, ROSITA, puis GIGOMIR

 

CRÉTINOWITCH.

Je vous tiens !...

À part.

Est-ce que mes prisonniers voudraient s’échapper ? Fichtre ! il y va de ma tête !

ROSITA.

Ne me touchez pas ! je suis armée !

CRÉTINOWITCH, à part.

Armé ! serait-ce le jeune Français déguisé ?

Haut.

Jeune homme, la feinte est inutile...

ROSITA, étonnée.

Jeune homme !

CRÉTINOWITCH.

Vous vendez du vin de Champagne... trois francs cinquante la bouteille, ne cherchez pas à le nier... je le lis dans vos yeux !

ROSITA, à part.

Il me prend pour Château-Margot.

CRÉTINOWITCH.

Vous êtes mon prisonnier... et dès que mon fils sera marié...

GIGOMIR, entrant de la gauche, deuxième plan, flambeau allumé. La scène s’éclaire. Rosita se sauve à droite.

Je voudrais bien savoir si papa est blousé...

Jour jusqu’à la fin.

CRÉTINOWITCH, l’apercevant.

Hein ! Gigomir !... dans cette chambre !

GIGOMIR, gaiement.

Oui, papa ! elle est bonne, hein !

CRÉTINOWITCH.

Mais qui diable marie-t-on par là ?

Il s’élance vers la chambre du mairiskoff.

Arrêtez, mairiskoff, arrêtez. Il est sourd, le mairiskoff !

 

 

Scène VII

 

CRÉTINOWITCH, ROSITA, GIGOMIR, OURSIKA, CHÂTEAU-MARGOT, BABIOLE, puis KRAPOUSKINE et SOLDATS

 

Château-Margot paraît en donnant la main à Oursika.

OURSIKA.

Il est trop tard !

CRÉTINOWITCH, les séparant.

Lâchez les mains.

BABIOLE.

Ils sont unis !

GIGOMIR.

Le mairiskoff a prononcé !

CRÉTINOWITCH.

Va te promener avec ton mairiskoff !... il est enrhumé... ça ne compte pas !

BABIOLE, à elle-même.

Vieux singe !...

GIGOMIR.

Je ne crois pas que le rhume soit un cas de nullité...

CRÉTINOWITCH.

C’est vrai ! tu as raison... mais il faut pourtant que tu épouses Oursika. Ganachkine y compte ! il y va de ma tête !

BABIOLE.

C’est très facile !

CHÂTEAU-MARGOT.

Campez-nous tous à la porte !

CRÉTINOWITCH.

Elle n’en sera pas moins ta femme.

OURSIKA, avec amour.

Toujours, toujours !

CRÉTINOWITCH, riant.

Hi ! hi ! hi !... il me vient une idée plaisante... mais atroce.

TOUS.

Voyons ?

BABIOLE.

Il me fait frémir !...

CRÉTINOWITCH.

Suivez bien mon raisonnement... Pour qu’Oursika puisse se remarier, il faut qu’elle soit veuve...

CHÂTEAU-MARGOT, BABIOLE et OURSIKA.

Hein ?

CRÉTINOWITCH.

Pour qu’elle soit veuve, il faut qu’elle n’ait plus de mari.

GIGOMIR, approuvant.

C’est très fort !

CRÉTINOWITCH, à Château-Margot.

En conséquence, on va te pendre !

TOUS.

C’est horrible !

CHÂTEAU-MARGOT.

Moi ? par exemple ! je demande mes passeports !

OURSIKA.

Veuve ! après cinq minutes !...

GIGOMIR.

C’est trop tôt !... accordez-lui jusqu’à demain !

CRÉTINOWITCH.

Qu’on m’obéisse !...

Appelant.

Holà ! gardes !... Krapouskine !

OURSIKA.

Grâce !

BABIOLE, à part.

Mon pauvre Château-Margot !

CRÉTINOWITCH, à Krapouskine qui entre accompagné de quatre soldats.

Emparez-vous de ce particulier, et qu’on le pende proprement !... c’est très pressé !...

OURSIKA, arrachant sa couronne de fleurs d’oranger, et la jetant à terre.

Non ! qu’on m’accroche avec lui !... Ah !

Elle s’évanouit sur un fauteuil.

BABIOLE.

Ne le quittons pas !

Air anglais.

CRÉTINOWITCH.

Qu’on l’ pende à l’instant !
Le mairiskoff attend !
Qu’on soit diligent,
Car rien n’est plus urgent !

CHÂTEAU-MARGOT.

Me pendre à l’instant !
C’est vraiment révoltant !
Cet expédient
Est fort peu caressant !

BABIOLE, ROSITA et OURSIKA.

Le pendre à l’instant !
Mais, c’est trop révoltant !
Ah ! soyez clément,
Soyez plus indulgent !

GIGOMIR.

Qu’on l’pende à l’instant !
Car à ce jugement,
Je ne vois, vraiment,
Aucun inconvénient.

KRAPOUSKINE et LES SOLDATS.

Venez à l’instant,
Le mairiskoff attend.
Ça s’ra fait viv’ment.
De nous, vous s’rez content.

Pendant le chœur, Château-Margot se défend contre les gardes qui l’entraînent. Babiole le suit.

 

 

Scène VIII

 

CRÉTINOWITCH, GIGOMIR, OURSIKA

 

CRÉTINOWITCH, regardant entraîner Château-Margot et se frottant les mains.

Très bien ! Très bien !... Maintenant, Gigomir, ton bras à la mariée...

GIGOMIR.

Elle se trouve mal !...

CRÉTINOWITCH.

Tape-lui dans les mains.

Assistant Oursika.

Cette pauvre enfant est d’une sensibilité dont rien n’approche...

Lui tapant dans les mains.

Voyons, pas d’enfantillage !... il n’y a pas de quoi fouetter une poule !

OURSIKA, revenant à elle et se levant.

Où est-il ?... où est-il ?

CRÉTINOWITCH.

N’y pensez plus !... pensez à Gigomir, votre second.

OURSIKA.

Jamais ! jamais !

CRÉTINOWITCH, qui a ramassé la couronne d’oranger.

Tenez !... recampez-vous ça ! et vivement !... le mairiskoff va se rendormir...

GIGOMIR.

Papa, un simple mot !...

CRÉTINOWITCH.

Je n’écoute rien... tu me le diras après.

GIGOMIR.

Comme vous voudrez... mais je vous préviens que nous faisons de la bouillie pour les chats !...

CRÉTINOWITCH.

Il me plaît d’en faire !...

OURSIKA.

Ah ! c’est comme ça ! Eh bien je vous déclare qu’une fois devant le mairiskoff, je dirai : Non ! non ! non !

GIGOMIR.

Moi aussi ! si ! si ! si !

CRÉTINOWITCH, à part et d’un air malin.

Ça m’est égal... il est sourd !...

Haut.

Gigomir, ton bras !... et mettons-y encore plus de solennité que la première fois !... si c’est possible !

CHŒUR.

Même chœur que pour le premier mariage à la fin de la scène V.

Célébrons tous ce charmant mariage, etc.

Gigomir, Oursika et Crétinowitch entrent chez le mairiskoff.

 

 

Scène IX

 

ROSITA, puis BABIOLE

 

ROSITA, entrant par la droite, premier plan, très effrayée.

Quel est tout ce bruit ? qu’arrive-t-il ?

BABIOLE, entrant par le fond.

Ah ! ma pauvre Rosita ! si tu savais ! ils l’ont traîné dans la tour du Nord !

ROSITA.

Château-Margot ?

BABIOLE.

Oui... pour le pendre !... et là on nous a séparés !

ROSITA.

Le pendre !... Ah ! mon Dieu !

BABIOLE.

Chut !... voilà un billet qu’il vient de me lancer...

ROSITA.

Un billet !...

BABIOLE, lisant avec émotion.

« Du haut de la tour du Nord. – Ma chère Babiole, on cloue mon clou... il n’y a pas un instant à perdre... »

ROSITA.

C’est horrible !...

BABIOLE, lisant.

« Envoie-moi une pipe, du tabac et une bouteille de rhum que j’ai cachée dans ta caisse à chapeau... au fond... à gauche, et je te prie de dire à ma veuve que je ne pense pas du tout à elle. »

ROSITA, prenant la lettre et continuant.

« Post-scriptum. – Il serait pourtant à désirer que le flambeau de la civilisation pénétrât chez les peuplades du Nord. »

BABIOLE, finissant la lettre.

« Mangez ma lettre. »

ROSITA.

Ah ! mais c’est affreux !...

BABIOLE.

Tu as entendu ?... la bouteille de rhum.

ROSITA.

Oui, dans ta caisse... je sais...

BABIOLE.

Avec des petits biscuits.

Rosita sort vivement à gauche. Seule.

Pauvre garçon ! il veut fumer une dernière pipe !... avec des petits biscuits !...

 

 

Scène X

 

BABIOLE, CRÉTINOWITCH, GIGOMIR, OURSIKA, puis CHÂTEAU-MARGOT

 

Chœur.

Air : Allons, amis...

CRÉTINOWITCH.

Fêtons ces époux fortunés !
Puiss’ l’hymen qui les lie
À la mère patrie
Donner pas mal de nouveau-nés.

GIGOMIR, OUKSIKA et BABIOLE.

Pleurons, }
Pleurez,   } époux infortunés !
Car l’hymen qui { nous lie,
                          { vous
À l’amère patrie
Donnera peu de nouveau-nés !

CRÉTINOWITCH.

Jeunes époux, c’est avec une profonde palpitation que je vais vous adresser quelques phrases émouvantes...

GIGOMIR, l’interrompant.

Papa, j’ai toujours mon petit mot à vous dire...

CRÉTINOWITCH.

Ah ! oui, je reprendrai la parole après ! Va.

GIGOMIR.

Connaissant votre entêtement de mulet...

CRÉTINOWITCH.

Hein ?

GIGOMIR.

Cette nuit je suis allé prendre en tapinois mademoiselle Y Fuentes que voilà...

BABIOLE.

C’est vrai !

CRÉTINOWITCH et OURSIKA.

Eh bien ?

GIGOMIR.

Et je l’ai conduite chez le mairiskoff qui nous a mariés !

OURSIKA et BABIOLE.

Mariés !...

CRÉTINOWITCH, furieux.

Est-il possible ! mon fils a deux femmes ! Imbécile ! pourquoi me dis-tu ça après ?

GIGOMIR.

Vous n’avez pas voulu que je le dise avant.

CHÂTEAU-MARGOT, entrant vivement par le fond.

Babiole ! Babiole !

TOUS.

Château-Margot !

CRÉTINOWITCH, stupéfait.

Pas pendu !...

CHÂTEAU-MARGOT.

Non ! j’ai pochardé mes bourreaux !

OURSIKA, avec joie.

Il a pochardé... ah !

CRÉTINOWITCH.

Ah ! bien ! très bien ! la Rose a deux maris à présent !... ah ! nous voilà propres.

GIGOMIR.

Quel mal voyez-vous à ça ?

CRÉTINOWITCH.

Malheureux ! tu te crois donc à Constantinople ?... nous n’y sommes pas !

GIGOMIR.

Je le sais bien !

CRÉTINOWITCH.

Moi qui avais juré à son père de la préserver !... Gigomir, as-tu fait ton droit russe ?

GIGOMIR.

J’ai suivi un petit cours d’ukases.

CRÉTINOWITCH, tirant de la poche de son gilet un petit livre microscopique.

Tiens ! consulte nos cinq codes... vaste et complet monument de notre législation !

GIGOMIR, à part.

Il est maigrelet le monument !

Lisant.

« Article 1er. Tous les russes sont inégaux devant la loi !... »

CHÂTEAU-MARGOT.

Mais ils sont égaux devant le knout !

CRÉTINOWITCH.

Ce n’est pas ça !... Plus loin !

GIGOMIR, lisant.

« La vérité est obligatoire pour tous... les bulletins de l’armée sont seuls exceptés... »

CRÉTINOWITCH, arrachant le livre.

Mais non !... donne donc !... tiens ! voilà notre affaire... « Article 12 », c’est l’avant-dernier :

Lisant.

« Tous les sujets de l’empire orthodoxe soit mâles, soit femelles... ou tous autres... convaincus de bigamie... et leurs complices, seront immédiatement transportés en Sibérie. »

TOUS, grelottant.

Brr !... brr...

CHÂTEAU-MARGOT.

Elle est fraîche votre loi !

OURSIKA.

L’amour n’est-il pas de tous les climats !...

CRÉTINOWITCH, accablé.

Mes enfants, c’est écrit... le texte est formel... Allons-y chaudement !...

GIGOMIR.

Ce n’est pas drôle !

CRÉTINOWITCH, à Gigomir.

Vite ! prends tes deux femmes...

À Oursika.

Toi, tes deux maris... et emportons nos cache-nez !

CHÂTEAU-MARGOT, se dégageant d’Oursika.

Un instant, nous n’en sommes pas... la loi ne parle que des sujets russes...

BABIOLE.

Mais certainement !

CRÉTINOWITCH, inspiré.

Sapristi ! tu m’inspires une motion spirituelle !... Que ceux qui tiennent à rester russes, lèvent la main !...

Silence. Tous mettent les mains derrière leur dos.

Compris !... Alors, levons le pied !

GIGOMIR.

Et donnons notre démission.

CRÉTINOWITCH.

Motivée !...

CHÂTEAU-MARGOT et BABIOLE.

Bravo ! les boyards !

CRÉTINOWITCH, avec force.

Considérant que ce gueux de pays !...

GIGOMIR.

Papa, de la prudence !

CRÉTINOWITCH.

Oui...

D’une voix très douce.

Considérant que ce gueu-gueux de pays est le centre de la civilisation... et que le cuir fleurit sous son ciel toujours d’azur...

OURSIKA.

Considérant qu’il est plein de bons procédés pour ses petits voisins... et qu’il enlève tous les suffrages par l’aimable candeur de sa diplomatie...

GIGOMIR.

Considérant qu’on est fier d’être Russe... quand on regarde la Sibérie !

CRÉTINOWITCH.

Par ces motifs, déclarons être heureux de la lâcher d’un cran, raide comme balle, et dare-dare !

CHÂTEAU-MARGOT.

En route !

BABIOLE.

Nous sommes en retard !

CRÉTINOWITCH.

Un instant !... en ma qualité de gouverneur, je vais nous délivrer des passeports espagnols : Don Crétines...

GIGOMIR.

Don Gigomirez...

OURSIKA.

Dona Oursikinas of Ganachkinas !

CRÉTINOWITCH, à Château-Margot.

Réunissez votre troupe... nous vous rejoignons sous les grands marronniers...

TOUS.

Partons !

CRÉTINOWITCH, à Gigomir et à Oursika.

Quant à nous, mes enfants, avant de quitter ces steppes embaumées, ne serait-il pas convenable de leur adresser quelques alexandrins bien sentis ?

GIGOMIR, avec indifférence.

Peuh ! allons !

CRÉTINOWITCH.

Air de la Lucie.

Adieu donc, tendre Moscovie !

OURSIKA.

Bords enchantés, séjour piquant !

TOUS.

Nous fichons l’ camp !

GIGOMIR.

Bien des choses à ta Sibérie !
Nos amitiés à tes glaçons !

TOUS.

À tes Lapons !

CRÉTINOWITCH.

Vois le regret peint sur nos mines.

GIGOMIR.

Entends le cri de nos platines !

TOUS.

Zut ! Zut !...

ENSEMBLE.

Doux pays de la bastonnade,
Terre du knout, adieu, bonsoir !
Pardonne notre escapade,
Reçois notre sérénade :
Au plaisir de n’ pas te revoir !
Bonsoir ! au plaisir de n’ pas te revoir !

Le dernier vers se chante sur la fin de l’air : J’ai du bon tabac.

Crétinowitch, Oursika et Gigomir sortent par la gauche. Babiole et Château-Margot par la droite. La musique continue. Le théâtre change et représente le jardin du château.

Tableau et danses.

 

 

NOTA 

 

Dans les théâtres des départements où l’on jouera la pièce sans ballet, le premier acte se terminera ainsi qu’il suit.

Après la réplique : Nous avons à vous faire une communication importante...

CRÉTINOWITCH.

Plus tard ! les danseurs nous attendent en bas, sur le gazon, pour le bal de vos fiançailles...

GIGOMIR.

Mais, papa...

CRÉTINOWITCH.

Je n’écoute rien !... allons-y ! et qu’ils dansent un peu bien !... sinon... le knout ! crrr !

Il remonte.

OURSIKA, bas à Château-Margot.

Demain... il fera jour !

GIGOMIR, mystérieusement à Babiole.

À minuit... il fera nuit !

CHŒUR.

Allons, perles de Castille, etc.

Ils se dirigent vers le fond. Le rideau tombe.

 

Au deuxième acte, la pièce finit avant le changement à vue.

PDF