En avant les Chinois ! (Eugène LABICHE - Alfred DELACOUR)

Revue de 1758 en deux tableaux et entr’acte.

Représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 24 décembre 1858.

 

Personnages

 

TCHIKULI

FLEUR-DE-THÉ

PARIS

PÉKO

PÉKINA

L’HOMME-CANON

CITROUILLARD

NEPTUNE

BENGALI

ZULÉMA

FATMÉ

OURIKA

HAYDÉE

UN PACHA

FARINARD, boulanger

UN PÂTISSIER

UNE ANGLAISE

ŒDIPE ROI

SUZANNE

LE PETIT PAUL

L’ÉTRANGLEUR

JEAN LEBLANC

FANFAN LA TULIPE

MARGUERITE

QUATRE GARDES FRANÇAISES

QUATRE GARDIENS DU SÉRAIL

TRITONS

CHINOIS

CHINOISES

 

 

Premier Tableau

 

Au fond du théâtre, qui n’occupe que deux plans, un grand mur lézardé et en mauvais état, sur lequel on lit : Grande muraille de la Chine, et au-dessous : Il est défendu de déposer... Le reste se perd dans la coulisse.

 

 

Scène première

 

QUATRE CHINOIS, puis TCHIKULI, puis FLEUR-DE-THÉ et CHINOISES

 

Au lever du rideau, la scène est vide ; entre une patrouille, composée de quatre Chinois grotesquement armés, les uns de sabres, les autres de grands fusils. Ils ont tous sur la poitrine une pancarte avec ce mot : Braves.

LES QUATRE CHINOIS, avançant timidement.

Air du Sire de Framboisy.

Patrouill’ chinoise,
Montrons-nous, bien quand on
Vient chercher noise
Aux Chinois de Canton.

Ils éternuent.

Entre Tchikuli ; sur sa pancarte on lit ces mots : Formidable en chef.

TCHIKULI, avec satisfaction.

Air de La itou.

Contre moi, dans Pékin,
Tout l’monde est comme un crin,
D’puis que mon souverain
M’a nommé mandarin.
La itou, la la la la ere,
La itou, la la la la ou.

Il éternue.

LES CHINOIS.

Dieu vous bénisse !

TCHIKULI.

Merci... Le fait est que nous nous sommes pas mal enrhumés cette nuit.

Tirant une lorgnette de sa poche.

Voyons ce que font les barbares qui nous assiègent.

Regardant dans la coulisse de droite.

Ils jouent aux cartes sur leurs vaisseaux, ils s’endorment dans les délices du bézigue !... Mes enfants, profitons de ce moment pour travailler un peu notre école de peloton... et souvenez-vous que si la beauté attire... la laideur repousse ! Tâchons d’être laids... si c’est possible. Attention !... Tirez... langue !

Tous les Chinois font face au public et tirent la langue en hochant la tête.

Pas mal !... Je crois que quand les barbares verront ça... Attention !... Tournez... bouche !

Tous les Chinois tournent la bouche.

Parfait !... ça va très bien !... Par le flanc droite... arrrche !...

Les Chinois remontent sur un rang.

Halte ! front !

Les Chinois s’arrêtent et font face à Tchikuli.

Une supposition... je suis les barbares... attention !... montrez votre mépris aux barbares !

La patrouille tourne vivement le dos au mandarin. Tchikuli frappe avec son sabre sur le derrière d’un soldat.

Rentrez votre mépris, numéro 2 !... Voyons, soyons bien en ligne !... Assez !... Rompez les rangs !

Fleur-de-Thé entre en scène avec quatre Chinoises. Elles portent des petites boîtes en fer-blanc, comme celles dans lesquelles nos soldats mettent leur soupe. Fleur-de-Thé porte sur sa poitrine une pancarte sur laquelle on lit : Chaste première catégorie. Les autres portent aussi une pancarte avec ces mots : Chaste deuxième catégorie, chaste troisième catégorie.

FLEUR-DE-THÉ, entrant avec crainte.

Peut-on avancer ? Il n’y a pas de danger ?

TCHIKULI.

Fleur-de-Thé... ma principale épouse...

Montrant les quatre Chinoises.

Voici les autres.

FLEUR-DE-THÉ.

C’est votre riz que nous vous apportons, avec un morceau de requin à la vinaigrette.

TCHIKULI.

Maigre pitance pour des guerriers.

FLEUR-DE-THÉ, bas.

Chut ! je vous apporte deux petits bannetons glacés pour votre dessert !

TCHIKULI, à part.

Comme cette femme-là entend son mandarin !

Les Chinois s’asseyent a terre comme des garçons tailleurs et se mettent à manger.

FLEUR-DE-THÉ, regardant à droite.

Ah ! les barbares... Bonjour, barbares...

TCHIKULI.

Fleur-de-Thé,

Voulant éternuer.

je vous rap... je vous rap...

FLEUR-DE-THÉ.

Allez donc !...

TCHIKULI.

Ça ne vient pas... Je vous rappelle que ce sont des ennemis...

FLEUR-DE-THÉ.

Ils sont gentils... Mais pourquoi ne pas les laisser entrer dans nos États... puisqu’ils ne demandent que ça ?...

TCHIKULI.

La Chine est sacrée...

FLEUR-DE-THÉ.

Ne faites donc pas tant de manières avec votre Chine !... un pays où l’on estropie les pieds des femmes... ou pour un mot on est empalé...

TCHIKULI.

Chaque peuple a ses usages... D’ailleurs, savez-vous ce que ces-gens-là feraient de notre pay... pay... pay... pay ?...

Il éternue.

TOUS.

Dieu vous bénisse !

TCHIKULI.

En vous remerciant... Est-ce assez bassinant d’être enrhumé comme ça !... Savez-vous pourquoi les Français ont organisé une expédition contre la Chine ?...

TOUS.

Non !

TCHIKULI.

C’est afin de la vendre à douze sols le mètre.

TOUS.

Oh !

TCHIKULI.

Il paraît qu’en France, c’est maintenant une rage... une fureur... un tic. On vend tout à cinquante centimes le mètre. Vous-même, Fleur-de-Thé, on vous vendrait à cinquante centimes le mètre.

FLEUR-DE-THÉ.

On me morcellerait ? Jamais !

TCHIKILI.

On m’a parlé dernièrement dans une lettre, d’un monsieur qui a acheté tout un quartier de Paris.

FLEUR-DE-THÉ.

Ah ! Est-il cité dans la lettre ?...

TCHIKULI.

Non... il est Cité... d’Orléans... c’est un vaudevilliste... du Palais-Royal... Eh bien, mes enfants voilà pourquoi l’on veut s’insinuer chez nous... Mais ayons de la malice. Disons-leur...

Air : Pour trois sous.

Halte-là ! (bis)
L’ Chinois ne veut pas de ça.
Halte-là ! (bis)
Pas un de vous n’entrera.
Je devine le fin mot ;
Chez nous, vendant tout par lot,
Ces gaillards pensent bientôt
En Chin’ se faire un magot.

TOUS.

Halte-là ! (bis)
L’ Chinois, etc.

TCHIKULI.

Le Chinois est belliqueux,
Le Chinois est courageux...

On entend un coup de canon. Tout le monde pousse un cri.

TOUS.

Ah !

TCHIKULI.

L’airain gronde... Aux hommes le carnage ; aux femmes la prière... Femmes, courez à la pagode, allez promener vos langues sur les saintes dalles... et priez la grande chenille verte... de... de... Atchu !

À Fleur-de-Thé.

Tu me rapporteras un mouchoir. Et maintenant, en avant l’hymne national... si, ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal ! Chaud là, les Chinoises !

TOUS.

Air de Rigoletto.

Ah ! oh ! ah ! oh ! ah ! oh !
Grand Kakao,
Vois nos alarmes,
Protège nos armes,
Grand Ka-ka-o
Ah ! oh ! ah ! oh !

Air de Gastibelza.

Ka, ké, ki,
Bro, ko, li,
Pa, pi, po,
Ka, ke, ki, ko,
Ba, be, bi,
Bi, bo, bu,
Tu, tu,
Ka, ke, ki, ko, ku.

Les Chinoises sortent.

 

 

Scène II

 

TCHIKULI, LA PATROUILLE

 

LA PATROUILLE, éternuant.

Atchn !...

TCHIKULI.

Silence sous les armes !...

Coup de canon.

Encore ?...

Ils écoutent. Le bruit cesse.

Soldats ! une petite goutte d’opium, pour nous donner du cœur !

Il leur verse à boire.

Là ! une rincette.

Ils boivent.

Maintenant, délibérons...

Tous bâillent.

Silence sous les armes !... Ahô !...

Il bâille lui-même. Les soldats s’asseyent par terre, bâillent et s’endorment. Musique douce, à laquelle se mêle le bruit lointain du canon.

TCHIKULI, s’endormant peu à peu.

Fleur-de-Thé... mon épouse... vous m’ennuyez... Soldats ! montrez votre mépris... Ah ! bonsoir tout le monde !

Canonnade. Un pan de muraille s’écroule. Entre Paris, en costume de matelot ; il est suivi par d’autres petits matelots, tenant à la main leurs sabres d’abordage.

 

 

Scène III

 

TCHIKULI, LA PATROUILLE, PARIS

 

TCHIKULI et LA PATROUILLE.

Ah ! qu’est-ce que c’est que ça ?

Ils se relèvent.

PARIS.

Air : La Hoche-Tromblon.

C’est Paris ; c’est la France !
Qui vient faire connaissance.
N-i-ni, c’est fini :
Le mur est démoli !
Que la Chine conquise,
Enfin se civilise...
Nous allons vous montrer
De quoi nous admirer.
Que la Chine conquise,
Enfin se civilise,
Chez vous l’Europ’ sonnait...

TOUS.

Nait !...

PARIS.

Elle carillonnait...

TOUS.

Nait !

PARIS.

Criant : Allons, Chinois, le cordon, s’il vous plaît !

TOUS.

Chez vous l’Europe sonnait, etc.

PARIS.

Et digue digue, et digue digue don, } (bis)
La Chine (bis) a tiré le cordon !       }
Les Chinois (bis) nous ont dit : Entrez donc !

TCHIKULI.

Comment ! nous sommes conquis ?

PARIS.

Oui... et nous vous apportons nos coutumes, nos lois, nos lumières, notre civilisation...

TCHIKULI.

Nous civiliser !... barbares...

PARIS.

Sans doute... Nous voulons faire de Pékin un second Paris... Regarde...

La muraille chinoise disparaît. Une place de Pékin. Décor brillant. Des afficheurs finissent de coller des affiches, sur lesquelles on lit : Punch Grassot (avec le portrait qui est sur le cruchon). Trésor du sommeil. Terrains à 2 fr. 50 le mètre. On achète les reconnaissances du Mont de Piété, etc. Nadar, pas de succursales. Des Chinois vont et viennent en poussant les cris de Paris. Tout présente l’animation.

CHŒUR.

Et digue, digue, digue,
Et digue, digue, don,
La Chine a tiré le cordon.

Cris divers : Demandez le numéro de la loterie cantonaise ! Les variations de la bourse de Pékin ! Le Guide de l’étranger dans Pékin !

 

 

Scène IV

 

DES CHINOIS entrent, avec des pince-nez, de grands faux-cols, de petits chapeaux, de grandes redingotes, de l’autre côté du théâtre entrent FLEUR-DE-THÉ et LES CHINOISES, avec des bibis et des crinolines exagérées

 

CHŒUR.

Air : Ronde des Souvenirs.

Changeons la méthode
De ce vieux pays,
Soyons à la mode
Tout comme à Paris.

TCHIKULI, montrant les Chinois.

Sont-ils fagotés !... Ah ! les vilains Chinois...

FLEUR-DE-THÉ.

Et moi, je dis que je suis très bien... Vous liardez sur ma toilette... vous n’êtes qu’un rat...

TCHIKULI.

Chère amie, je t’assure que tu t’abuses. Laisse-moi te donner un conseil...

Aux Chinois qui s’approchent.

C’est un détail intime... une chose à la Balzac...

Air.

De ton petit chapeau,
La forme est assassine,
Mais, de ta crinoline,
Je blâme le cerceau.
Les appas qu’on n’a pas, j’ comprends qu’on les invente ;
L’art trop souvent supplée à la nature absente,
Mais de t’ crinoliner la nature a pris soin ;
L’art n’est pas fait pour toi, tu n’en as pas besoin.

FLEUR-DE-THÉ, baissant les yeux.

Ah ! Théodore !

TCHIKULI.

Pas un mot, Caroline, pas un mot.

Musique. Un grand écriteau sort de terre, ainsi conçu : Au nom de la civilisation, défense de baisser les stores des palanquins sur la voie publique.

PARIS, lisant.

Au nom de la civilisation, défense de baisser les stores des palanquins sur la voie publique.

FLEUR-DE-THÉ.

Ah bah ! on ne pourra plus baisser les stores ?

TCHIKULI.

Qu’est-ce que ça te fait... nous voyageons si rarement ?

Musique. Entre un palanquin dont les stores sont baissés.

Ciel ! qu’ai-je vu ?

Allant au palanquin.

Arrêtez !... En contravention !... Sortez !

La porte s’ouvre. Un petit Chinois et une petite Chinoise, habillés en mariés, descendent en scène.

 

 

Scène V

 

LES MÊMES, PÉKO et PÉKINA

 

PÉKINA.

Air : Premières armes du Diable.

Où suis-je ? Et quelle voix appelle
Pékina ?
Mandarin, que voulez-vous d’elle ?
La voilà,
Mes amis, que je suis contente
Aujourd’hui :
Permettez que je vous présente
Mon mari.

TCHIKULI, avec chagrin.

Le sort met dans notre rencontre
Son guignon,
Car tous deux je vous flanque en contre
Avention.

PÉKINA et PÉKO.

Parlez donc... voilà
Péko... Pékina ;
Surtout, parlez vite,
L’hymen nous invite,
Et pour nous ce jour
Est tout à l’amour.

CHŒUR.

Parlez donc, etc.

PARIS.

Une nouvelle mariée... Mais elle est charmante !... je m’intéresse à elle.

TCHIKULI.

Oh ! pas de ça Lisette... Vidons cette affaire-là... vidons cette affaire-là... Vous êtes fautifs... Pourquoi avez-vous baissé les stores de votre palanquin ?

PÉKINA.

Parce que le soleil nous gênait.

TCHIKULI, sévèrement.

Mauvaise raison. Le soleil est un astre trop utile pour être jamais importun.

PÉKO.

Mais pourquoi ne peul-on baisser les stores ?

TCHIKULI.

Pourquoi ?... parce que c’est défendu !...

PÉKINA.

Mais pourquoi est-ce défendu ?

TCHIKULI.

Je vais vous l’expliquer...

Les femmes vont pour sortir.

Non... restez !... je vais gazer.

FLEUR-DE-THÉ.

Prends garde !

PARIS, riant.

Prends garde !

TCHIKULI.

Soyez tranquille... je sais manier la gaze !

À Pékina.

Il y a des circonstances dans la vie où l’on se dit : Tiens un palanquin !... si nous le prenions ? Mais monsieur !... Je vous en prie !... On le prend !... mais on est mal assis, on est cahoté, voilà pourquoi il est défendu de baisser les stores !

PÉKINA.

Je ne comprends pas.

TCHIKULI.

J’ai trop gazé !

Haut.

Voyons ! que faisiez-vous dans votre palanquin ?

PÉKINA.

Nous nous embrassions...

TCHIKULI.

Ah ! joli ! très joli !

PÉKINA.

Puisque nous sommes mariés depuis ce matin...

PÉKO.

Nos parents et nos amis nous attendent en tirant des pétards...

TCHIKULI, à Paris.

Faut vous dire...

À Péko.

Pardon si je vous interromps...

À Paris.

Faut vous dire qu’en Chine, quand il y a un grand événement, quand il arrive quelque chose d’heureux, on tire des pétards... Ainsi, je viendrais à perdre ma femme... tout de suite des pétards !

FLEUR-DE-THÉ.

Comment ! comment !

PARIS, à Pékina.

Un mariage chinois ! Je suis curieux de savoir comment ça se passe.

PÉKINA.

Oh ! c’est bien simple !

Air : Ses yeux disaient tout le contraire.

À table, chacun se mettra,
Priant Bouddha qu’il nous bénisse ;
Après dîner l’on dansera,
Au milieu des feux d’artifice ;
Puis, à minuit, tous les Chinois
Nous diront adieu... je suppose.
Je ne sais pas le reste... mais je crois
Que c’est partout la même chose.

TOUS.

Chez les Français, comme chez les Chinois,
Oui, c’est toujours la même chose.

TCHIKULI.

La cause est entendue ! Je vous flanque une amende de treize francs cinquante.

PÉKINA.

Et pourquoi ?

TCHIKULI.

On ne s’embrasse pas dans les palanquins.

PÉKO.

Et dans la rue ?

TCHIKULI.

Ah ! dans la rue, tant qu’on veut...

PÉKO, embrassant Pékina.

Ma petite femme !

PÉKINA, embrassant Péko.

Mon petit mari !

TCHIKULI.

À la bonne heure !... comme ça c’est convenable !... Ah ! mais non... au fait...

PÉKINA.

Nous ne baissons pas le store.

TCHIKULI.

C’est vrai ! ils sont dans leur droit.

PÉKO et PÉKINA.

Air : Bonsoir, voisin.

Péko, (bis)
Un petit bécot,
Car, à deux
Amoureux,
La chose est permise.
Comme la loi, l’hymen autorise
De Péko, (bis)
Un petit bécot.

ENSEMBLE.

Péko ! (bis)
Un petit, etc.

Ils sortent en s’embrassant.

TCHIKULI, les regardant sortir.

Tout me porte à croire que la Chine ne périra pas !

 

 

Scène VI

 

LES MÊMES, L’HOMME-CANON

 

L’homme-canon entrant vivement ; il a sur l’épaule un énorme canon qu’il porte comme un fusil.

L’HOMME-CANON.

Sapristi !... sabre de bois ! nom d’un petit bonhomme !

Il change son canon d’épaule en arpentant la scène.

TCHIKULI, le suivant.

Un Hercule... Ah ! qu’il est fort !

FLEUR-DE-THÉ.

Ah ! le beau jeune homme !

PARIS.

L’homme-canon de l’hippodrome.

L’HOMME-CANON, même jeu.

Quel est le gamin qui a prétendu qu’on allait conquérir la Chine ? Jamais... si je le veux ! Jamais !... tant que je serai là...

FLEUR-DE-THÉ.

Mais jeune homme, nous sommes conquis.

L’HOMME-CANON.

Vous êtes conquis ?

TCHIKULI, tirant sa montre.

Depuis une demi-heure c’est une affaire arrangée...

L’HOMME-CANON.

Sacrebleu ! vous ne pouviez pas attendre ! Enfin... ça sera pour une autre fois...

Il se retourne pour s’en aller, et dans ce mouvement, frappe avec son canon Tchikuli derrière la tête.

TCHIKULI.

Bagn !... Crédienne ! faites donc attention.

L’HOMME-CANON.

Il n’est pas chargé !

TCHIKULI, se frottant le cou.

Ah ! j’aime bien ça... il me casse la tête et il me dit : Il n’est pas chargé. Ah ! j’aime bien ça !...

L’HOMME-CANON.

Ah ! monsieur, quelle invention... À la guerre, plus d’affûts, de roues, de caissons... chaque artilleur à son canon sur l’épaule !

TCHIKULI.

Voyons...

Essayant de porter le canon.

Ah ! que c’est lourd !

L’HOMME-CANON, jonglant avec son canon.

Et en temps de paix, monsieur... c’est indispensable. Je suis la providence des théâtres de Paris... Avez-vous vu, au théâtre du Palais-Royal, le Fils de la Belle au bois dormant ?

TCHIKULI.

Non !

L’HOMME-CANON.

Ah ! il y a dans le monde des Chinois qui ont de la chance.

Air : Calpigi.

Dans cette œuvre soporifique,
Et que l’on trouva peu comique,
Le public tout d’abord voyait
Un’ belle qui d’puis cent ans dormait,
Puis à la fin se réveillait.
Pour les auteurs, chose cruelle !
Le public, imitant la belle,
S’est si bien mis à sommeiller,
Qu’on n’a jamais pu l’ réveiller. (bis)

Mais on m’a fait venir, moi, monsieur avec mon canon... j’ai chargé, j’ai tiré.

TCHIKULI.

Et le public s’est réveillé ?

L’HOMME-CANON, avec un geste d’orgueil.

Ah !

Changeant de ton.

jamais de la vie !

FLEUR-DE-THÉ.

Mais il fallait faire quelque chose, lui offrir un grain de café.

L’HOMME-CANON.

Un grain de café !... Ah ! il n’a jamais voulu l’avaler. Autre invention, monsieur !... invention plus sublime encore, invention américaine... avec laquelle je compte révolutionner toute la Chine... Mais pardon... mon canon me gêne,

À Fleur-de-Thé.

Madame aurait elle l’obligeance de le tenir un instant ?

FLEUR-DE-THÉ.

Volontiers jeune homme.

Elle prend le canon, le campe résolument sur son épaule et prend une pose martiale.

FLEUR-DE-THÉ.

Ce n’est pas lourd.

L’HOMME-CANON.

Oui, monsieur. Donnez-moi un cheval qui rue, qui piaffe, qui morde, qui s’emporte !... je le dompte à l’instant !

TCHIKULI.

Vous ?

L’HOMME-CANON.

J’ai expérimenté devant le Jockey-Club sous le pseudonyme de Rarey... Vous allez voir... Auriez-vous l’obligeance de me passer un cheval ?

TCHIKULI.

Mais... je n’en ai pas sur moi pour le moment.

L’HOMME-CANON.

Ça ne fait rien. Supposez que vous êtes une bête qui piaffe, qui rue, qui morde...

TCHIKULI.

Monsieur...

L’homme lui attache une corde à la jambe gauche.

Qu’est-ce qu’il fait ?... qu’est-ce qu’il fait ?

L’HOMME-CANON.

Je vous dompte ! Piaffez, piaffez.

TCHIKULI, la corde au pied.

Que je piaffe ?

L’HOMME-CANON.

Emportez-vous.

TCHIKULI.

Comment !...

L’HOMME-CANON.

Quelqu’un de la société aurait-il l’obligeance d’insulter monsieur... madame ?...

Il montre Fleur-de-Thé.

FLEUR-DE-THÉ, à Tchikuli.

Voyons, emportez-vous... vous êtes ridicule aussi...

TCHIKULI.

Madame !...

L’HOMME-CANON.

Très bien... insultez toujours.

TCHIKULI, à Fleur-de-Thé.

Je vous le défends... madame. Si vous vous permettez jamais...

Il s’avance sur Fleur-de-Thé, qui se met sur la défensive avec son canon. L’Homme tire la corde. Tchikuli se trouve la jambe en l’air.

L’HOMME-CANON.

La bête est parfaitement domptée.

TCHIKULI, toujours les jambes en l’air.

Ah ! c’est très ingénieux... Lâchez, je vais tomber... Ah ! comme c’est ingénieux.

Avec colère.

Madame, je vous déclare...

L’Homme tire la corde. Reprenant son air gracieux.

Ah ! que c’est ingénieux.

L’HOMME-CANON.

Il est parfaitement dompté... il ne bouge plus ! Le tour est fait ; madame, auriez-vous l’obligeance de me restituer mon canon ?

FLEUR-DE-THÉ.

Voilà, jeune homme.

CHŒUR.

Air : Fifi et Nini.

Que chacun se découvre
Devant { mes inventions,
            { ses
Puisque la Chine s’ouvre
À { mes exportations.
   { ses

L’Homme sort vivement.

 

 

Scène VII

 

LES MÊMES, CITROUILLARD

 

Deux Chinois entrent, portant un grand arbre sans feuilles, emmailloté, avec une cuvette. Ils le déposent au milieu.

FEUR-DE-THÉ.

Tiens ! qu’est-ce que c’est que ça ?

TCHIKULI.

Un arbre qu’on promène.

Examinant la cuvette.

On dirait un plat à barbe.

CITROUILLARD, du dehors.

Sapristi ! nom d’un petit bonhomme ! où est-il ?...

Entrant et apercevant l’arbre.

Ah ! le voilà !... Voyons, décidé ment, est-ce ici que vous allez le planter ?

À Tchikuli.

Monsieur, je suis cet arbrisseau depuis le bois de Vincennes jusqu’en Chine.

TCHIKULI.

Ah bah ! Et pourquoi faire ?

CITROUILLARD.

Pour me pendre.

FLEUR-DE-THÉ.

Vous pendre ?... Emportez ça.

On emporte l’arbre.

Vous pendre... pourquoi ?

CITROUILLARD.

Parce que je suis un jeune homme pauvre. Ah ! mon roman est bien intéressant... on pleure à chaque feuillet.

Il fond en sanglots et reprend tranquillement.

Vous n’auriez pas une petite place à me donner ?...

TCHIKULI.

Pas pour le moment.

CITROUILLARD.

Sapristi !...

À Fleur-de-Thé.

Vous, madame, vous n’auriez pas une petite place ?...

TCHIKULI.

Mais la fortune de monsieur votre père...

CITROUILLARD.

Il l’a fricotée... chez Cellarius... comme un bambocheur...

À Tchikuli.

N’insultez pas la mémoire de mon père...

TCHIKULI.

Mais, je ne dis rien.

CITROUILLARD.

Ou, si vous voulez l’insulter, donnez-moi une petite place... Je suis dans une panne !... Quand je pense que j’en suis réduit à chiper à ma petite sœur ses tartines de raisiné... hi ! hi ! Et le soir, à partager le souper de ma concierge... un hareng-portière... sauce moutarde... sans mou tarde... hi ! hi !... On m’a offert une place de millionnaire... mais je n’ai pas accepté... ma dignité s’y oppose... On a voulu me marier avec une musardine qui a eu de la chance... mais ma dignité...

TCHIKULI.

Elle vous gêne beaucoup, votre dignité ?

CITROUILLARD.

J’aime mieux une petite place...

S’adressant à l’orchestre.

Vous n’auriez pas une petite place à me donner ?... Non !

Arrêtant son regard à la deuxième galerie.

Vous, madame, vous êtes bien bonne hein ?... sur vos genoux... Oh ! ma dignité s’y oppose.

FLEUR-DE-THÉ.

Jeune homme, vous nous avez intéressés.

CITROUILLARD.

Bien vrai ?

TCHIKULI.

Si nous entendons parler de quelque chose.

CITROUILLARD.

C’est ça... mon Dieu, la moindre des choses... pourvu que les appointements soient très forts... et que j’épouse la demoiselle de la maison... Je reviendrai.

Fausse sortie.

TCHIKULI.

C’est convenu.

CITROUILLARD, revenant.

Une petite place de n’importe quoi...

TCHIKULI.

C’est entendu !

CITROUILLARD, revenant.

Pourvu que les appointements soient très forts... Oh ! soyez tranquilles, je vais revenir.

TCHIKULI.

Naturellement.

CITROUILLARD, dans la coulisse.

Vous n’auriez pas une petite place, s’il vous plaît ?

TCHIKULI.

Pauvre jeune homme !...

Essuyant une larme.

Ça fait de la peine de voir la misère sous la livrée de l’indigence.

Le théâtre s’obscurcit. Bruit de tonnerre.

FLEUR-DE-THÉ.

Ah ! mon Dieu !... une tempête... J’ai oublié mon parasol.

TCHIKULI.

Les flots irrités !... Neptune en courroux !...

Des Chinois entrent en scène en courant et en criant. Entrent deux Tritons, précédant Neptune.

LES TRITONS.

Place an seigneur Neptune !

Entre Neptune. Des deux côtés de son costume partent des morceaux de câble que soutiennent deux Naïades.

 

 

Scène VIII

 

LES MÊMES, NEPTUNE, TRITONS, CHINOIS

 

CHŒUR.

Ah ! qué qu’ c’est qu’ ça ? (bis)
Grand Dieu ! qu’a-
T-il donc là ?
Qui nous expliquera
Ce prodige-là ?

NEPTUNE.

Air.

Vite, accueillez-moi,
Sur ma foi,
Me v’là bien malade.
Je suis sur les dents,
Car j’ai z’évu des accidents !
Ah ! ah !
Voyez ça...
J’ai l’ ventre en capilotade.
Ah ! ah !
De cela,
Qui donc me délivrera ?

ENSEMBLE.

Ah ! ah !
Qu’ai-je là ? etc.

LES TRITONS, NAÏADES, etc.

Ah ! ah !
Qu’a-t-il là ?
Ce Neptune est bien malade !
Ah ! ah !
Qu’a-t-il là ?
Et qui le délivrera ?

Sur l’ensemble, deux Tritons se sont placés sur le devant de la scène, aux deux extrémités du théâtre, tenant toujours le câble. Tchikuli, Fleur-de-Thé, les Tritons et deux Chinois descendent en scène, tenant également le câble, et se rangent aux côtés de Neptune.

TCHIKULI.

Neptune en Chine !...

NEPTUNE.

Je me promène !... Impossible de rester dans mon lit !

FLEUR-DE-THÉ.

Que vous est-il donc arrivé ?

NEPTUNE.

Ce qui m’est arrivé ?... Ah ! mes pauvres enfants... j’ai avalé le câble transatlantique !...

TOUS.

Le câble transatlantique !

NEPTUNE.

C’était, il y a trois jours...

S’interrompant brusquement, et posant les mains sur son ventre.

Ah !...

TOUS.

Quoi donc ?

NEPTUNE, se remettant.

Non, rien... j’ai cru que c’était une dépêche... Je reposais tranquillement au fond de me grotte... Je taquinais Amphytrite... Amphytrite, mon épouse...

TCHIKULI.

Elle va bien, madame ?

NEPTUNE.

Pas mal, merci... toujours enrhumée... Soudain, mes ondes s’agitent et je vois descendre... quelque chose... de bizarre... C’était long... c’était... Tiens ! tiens ! me dis-je... mais, c’est du boudin blanc !

TOUS.

Du boudin blanc !

NEPTUNE.

Je croyais... Mes naïades avaient pris ça pour une balançoire... et elles se balançaient... Moi, j’ai cru que c’était du boudin blanc !... et, comme je l’adore, j’avale !

FLEUR-DE-THÉ.

Agne !

TCHIKULI.

Quelle boulette !

NEPTUNE.

Ça passe assez bien... Alors, je me paye un petit réveillon... une noce complète ! J’en avale... j’en avale douze cents kilomètres... quand, tout à coup, je reçois dans le ventre une affreuse secousse !...

TOUS.

Oh ! mon Dieu !

NEPTUNE.

C’était une dépêche !... L’Amérique qui offrait son amitié à l’Angleterre... La communication était établie... depuis ce jour...

TOUS, lâchant le câble, poussant un cri et sautant en l’air.

Ah !...

TCHIKULI.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

NEPTUNE, avec un sourire forcé.

C’est une dépêche... Voyez plutôt...

Il montre la dépêche transcrite sur sa poitrine.

FLEUR-DE-THÉ, lisant.

« Comment vas-tu, Ernest ? »

Tous se penchent pour lire la dépêche, et, dans ce mouvement, reprennent le câble entre leurs mains.

NEPTUNE.

C’est ce bon Ernest ? Ah ! le galopin !

TOUS, lâchant le câble, poussent un cri en sautant en l’air.

Ah !...

TCHIKULI.

Encore ?

NEPTUNE.

C’est la réponse.

TCHIKULI, lisant.

« Ça boulotte, Zoé ! »

NEPTUNE.

Il paraît que cette bonne Zoé ne va pas mal !... Eh bien ! mes enfants, voilà, maintenant, quelle est ma vie... mon sein n’est plus qu’une boîte à dépêches...

TOUS.

Mais, c’est affreux !

FLEUR-DE-THÉ.

Je propose de rompre le câble...

TOUS.

Oui... oui...

TCHIKULI.

Eh ! c’est impossible... il a avalé de travers !

NEPTUNE.

Air.

Ah ! quel fichu câble !

Que l’ câble du diable !
Ce câble m’accable !
Je suis désolé !
Pour moi plus de joye !
Se peut-il qu’on voye
Un homme qui soye
Plus ensorcelé !
Ce câble me broye !
Je suis accablé !
Arrachez-moi ça !... pristi ! ça me fait mal au ventre !
Ça me chatouille et je trouve que ça manqu’ de gaieté ;
Ça rentre et ressort, ça reressort et ça rerentre,
Au diable ce câble ! au diable l’électricité !
De ses droits d’épouse
Mon Amphytrite est
On n’ peut plus jalouse !
Hier, en secret,
J’accours, je l’embrasse,
Je deviens galant...
Une dépêche passe...
Je suis moins pressant.
Ma femm’ si pudique
S’écrie : « Oh ! la la !
« Un homme électrique
« Se conduir’ comme ça ! »
Ah ! quel fichu câble !
Quel câble du diable ! etc.

À la fin de la reprise, tous tirent les deux morceaux du câble qui se détachent. Ils tombent à la renverse. Les deux Naïades sortent en emportant le câble.

TOUS.

Ça y est !

NEPTUNE, très gai.

Ah ! je me sens mieux !... je suis ragaillardi !... Je retourne auprès d’Amphytrite.

Air.

Plaisir et gaieté,
Bonheur, santé
Vont reparaître !
Chez moi, plus de choc,
Je suis solide comme un roc.
Ah ! ah !
Mes enfants,
Je me sens enfin renaître !
Ah ! ah !
Mes enfants,
Plus de douleurs, de tourments !

TOUS.

Ah ! ah ! c’est charmant !
Il se sent enfin renaître !
Ah ! ah ! c’est charmant !
Plus de douleurs, de tourments !

Il sort avec toute sa suite.

FLEUR-DE-THÉ.

Avec tout ça, la communication est interrompue.

TCHIKULI.

Ma foi, l’Angleterre et l’Amérique s’arrangeront comme elles voudront !

 

 

Scène IX

 

TCHIKULI, FLEUR-DE-THÉ, BENGALI, ZULMA, FATMÉ, OURIKA, HAYDÉE, puis UN PACHA et QUATRE GARDIENS DU SÉRAIL

 

BENGALI, FATMÉ, ZULMA, OURIKA et HAYDÉE

Chœur.

Air de la Corde sensible.

On nous poursuit, on nous menace,
Traiter ainsi nos frais minois ;
C’est une horreur, veuillez, de grâce,
Nous sauver, messieurs les Chinois.

TCHIKULI.

Des femmes court vêtues !

FLEUR-DE-THÉ.

Des odalisques !

TOUTES.

Oh ! les Turcs !

OURIKA.

C’est affreux !

FATMÉ.

Quels rats !

ZULMA.

Quels cuistres !

HAYDÉE.

Quels cosaques !

BENGALI.

Quels pingres !

TCHIKULI.

Ces demoiselles ont à se plaindre des Turcs ?

BENGALI.

Des ladres, monsieur, qui, sous prétexte d’économie, nous privent de tout.

ZULMA.

Plus de plaisirs !

FATMÉ.

Plus de toilettes !

OURIKA.

Plus de fêtes !...

BENGALI.

Plus rien !

TCHIKULI.

Ah ! j’y suis !... Les économies turques... J’ai lu ça dans mon journa !...

FLEUR-DE-THÉ.

Il paraît que ces demoiselles faisaient des dépenses !

BENGALI.

Calomnie !... Je dépensais à peine un million de sequins par mois pour ma toilette.

FLEUR-DE-THÉ.

Un million de sequins !

TCHIKULI.

Bigre !... vous vous mettez bien...

FATMÉ.

Et moi, cinq cent mille piastres pour mes parfums, mes essences.

TCHIKULI.

Comme elle devait sentir bon !

ZULMA.

Eh bien ! monsieur... d’un seul coup on nous supprime tout ça... On fait des économies sur tout.

BENGALI.

Même sur les gardiens du sérail.

TCHIKULI.

Bah !

ZULMA.

Air : De partie et revanche.

On les habille avec d’affreuses nippes,
On les taquine à tout propos.

BENGALI.

On vient de supprimer leurs pipes,
Ils ne fum’ent plus que des petits bordeaux...

TCHIKULI.

Les malheureux ! fumer des soutados !

FLEUR-DE-THÉ.

Pauvre gens ! comme on les tracasse...

TCHIKULI.

Mais non, c’est un emploi charmant
Le seul ennui, c’est qu’ pour entrer en place,
Faut déposer un cautionnement.

Entre un pacha suivi de quatre eunuques.

LE PACHA.

Les voilà !

TOUTES, effrayées.

C’est lui !

LE PACHA.

Ces toilettes !... Esclaves, déshabillez ces demoiselles !

TOUTES.

Quelle horreur !

ENSEMBLE.

Air.

Ça ne peut pas durer comm’ ça
Les sérails s’insurgent déjà.
Fuyons.  }
Fuyez...  } cet affreux pays-là.
En Chine { on nous protégera !
                { on vous

FATMÉ.

Quoi !... ces colliers magnifiques.

LE PACHA.

Je les reprends à l’instant,
Je prends ces riches tuniques...

BENGALI.

C’est affreux tout c’ qu’on nous prend.

ENSEMBLE, reprise.

Ça ne peut pas durer comm’ ça, etc.

Pendant la reprise de l’ensemble, elles ont ôté leurs colliers, leurs cachemires et leurs tuniques, qu’elles ont donnés aux eunuques. Elles sont en simples jupons courts.

TOUTES.

En jupons !...

BENGALI.

Quelle humiliation !

TCHIKULI.

Ma foi, à votre place... puisque vous avez tant fait, j’ôterais encore...

LES FEMMES.

Oh ! mais non !

FLEUR-DE-THÉ, au pacha.

Ce serait une économie de blanchissage.

LE PACHA.

C’est une idée.

Aux eunuques.

Allez-y !

LES FEMMES, poussant un cri.

Jamais !

ENSEMBLE.

Air : de Walace.

Contre une telle audace,
Qui nous protégera ?
Enlevez-nous, de grâce,
À cet affreux pacha !

LES EUNUQUES.

Que l’on se débarrasse
Vite de tout cela,
Ou craignez la disgrâce
De notre bon pacha.

Les femmes se sauvent. Le pacha et les gardiens courent après elles.

CITROUILLARD, rentrant, à Tchikuli.

Pardon !... Avez-vous une petite place ?

TCHIKULI.

Pas encore... mais je m’en occupe... Ah ! si... je viens de faire la connaissance d’un pacha...

CITROUILLARD.

Eh bien ?

TCHIKULI.

Voulez-vous être gardien d’un sérail ?

CITROUILLARD.

Non !... non !... je suis pauvre, mais, pas à ce point-là... Ma dignité s’y oppose !

En sortant il se heurte contre Farinard.

FARINARD.

Qu’est-ce qu’il a donc, celui-là ?

CITROUILLARD.

Vous n’auriez pas une petite place ?...

FARINARD.

Passe ton chemin !

 

 

Scène X

 

LES MÊMES, FARINARD

 

FARINARD, après un nouveau choc avec Tchikuli.

Après qui que t’en veux, toi ?

TCHIKULI, saluant.

Monsieur.

FARINARD.

T’es-t-y pâtissier ?... Oh ! les pâtissiers !...

TCHIKULI.

Comme, ça monsieur en veut aux pâtissiers ?

FARINARD.

Parce que je suis boulanger.

FLEUR-DE-THÉ.

Ça ne nous explique pas...

FARINARD.

Puisque je suis boulanger.

TCHIKULI, à part.

Je le crois bouché !

FARINARD, s’avançant.

Qué qu’ tu veux, toi ?... T’es-t-y pâtissier ?... t’es-t-y pâtissier ?

TCHIKULI.

Non ! moi mandarin.

FARINARD, avec un geste.

J’en faisais des mandarins autrefois, à Paris... et on ne veut plus que j’en fasse !

FLEUR-DE-THÉ.

Qui vous en empêche ?

FARINARD.

Les pâtissiers donc... Oh ! je voudrais-t-y en tenir des pâtissiers !

On entend la ritournelle de l’air suivant.

En v’là un ! qué chance !... hein !

On le retient. Entre un petit pâtissier, velu d’un costume de fantaisie très élégant, il a des gants paille, et tient une corbeille pleine de gâteaux.

LE PÂTISSER.

Air nouveau de Mangeant.

Achetez, achetez,
Prenez dans ma corbeille !
Achetez, achetez,
Mes gâteaux font merveille !
Savarins et nougats,
Macarons et babas,
J’en ai pour tous les goûts,
Chinois, régalez-vous !
Voyez comme ils sont beaux ;
Surtout comme ils sont chauds !
Ah voyez !, voyez comme ils sont beaux !
Entrez, messieurs, prenez, mesdames,
Entrez donc manger des petits gâteaux.
Entrez, messieurs, prenez, mesdames,
Entrez donc manger des petit gâteaux !
Entrez, achetez,
Achetez, achetez, achetez, achetez !
Venez donc, venez donc !
Entrez donc, entrez donc !
Entrez !

La musique continue à l’orchestre.

Ma boutique est si commode... c’est si facile de se dire : Soyez, demain, à deux heures, chez le pâtissier, près de l’Opéra-comique... Là, on prend un gâteau... Ah ! Madame, quel heureux hasard !

Voix de femme.

En effet, c’est le hasard... Oh ! mon Adolphe ! – Oh ! ma Clémence !... demain, à quatre heures, chez vous ! – Taisez-vous, on nous observe !... Com bien dois-je ? – Madame, un quartier d’orange, un verre de malaga, un franc... Monsieur, trois brioches et deux verres de bordeaux, deux francs. – À demain, Adolphe. – Oh ! Clémence ! je l’aime ! Et moi, je suis là, je sers tout le monde, ça ne me regarde pas... je n’ai rien vu.

Achetez, achetez, etc.

TCHIKULI.

Il est charmant !

Prenant un gâteau dans la corbeille.

J’en accepterai un.

FLEUR-DE-THÉ.

Moi aussi !

LE PÂTISSIER.

Choisissez, madame.

Tout le monde mange des gâteaux.

FARINARD.

C’est ça... on le flagorne... parce qu’il fait le joli cœur !... et moi...

LE PÂTISSIER.

Hein ! qu’est-ce que c’est que ça ?... c’est un boulanger.

FARINARD.

Va donc, petit fadard... petit gandin !...

TCHIKULI.

Voyons, voyons... calmez-vous... la paix !

LE PÂTISSIER, lorgnant.

Mais, je ne demande pas mieux, moi... que ce gindre fasse ses pains de quatre livres, la nuit, dans son sous-so !... hein !

FARINARD.

Hein !

TCHIKULI.

Mon Dieu ! qu’est-ce que vous employez tous les deux ?... de la farine et de l’eau, pas vrai ? n’y a donc que le beurre qui vous chiffonne... Du moment que ce n’est plus qu’une question de beurre, l’affaire peu s’arranger... allons, donnez-vous la main...

Avec émotion.

La Chine vous regarde.

LE PÂTISSIER, d’un ton doucereux.

Je veux bien, moi... je suis si doux, si timide... voilà.

Il tend la main.

FARINARD, après un mouvement pour la donner.

Jamais !

TOUS.

Oh !

FARINARD.

Faut que je le démolisse !... laissez-moi !...

TOUS, le retenant.

De grâce !

LE PÂTISSIER, toujours d’une voix douce.

Laissez-le donc !... je n’ai pas peur de ce drôle !

FARINARD.

Mauvais gamin !... mais viens donc ?

LE PÂTISSIER.

Tu as tort de t’attaquer à moi, mon petit !... Élève de Lecour, rien que ça !

Les femmes font un mouvement d’effroi.

Ne vous alarmez pas, belles dames, vous allez voir la boxe française.

FLEUR-DE-THÉ.

La boxe française ?...

LE PÂTISSIER.

Un exercice où les jambes remplacent les bras.

TCHIKULI.

Ça va-t-être drôle !... ça va-t-être drôle !

LE PÂTISSIER.

Là !

Il met ses gants dans sa poche. Changeant subitement de ton.

Dis donc, boulanger, mange-t-on... ou ne mange-t-on pas ?

FARINARD.

On mange !

TCHIKULI.

Ô bonheur ! on civilise la Chine !

Lutte. Boxe française, réglée par Charles Lecour, Farinard reçoit une pile.

LE PÂTISSIER, après le triomphe.

Enlevé !

Les Chinois applaudissent.

ENSEMBLE.

Air.

Ah ! c’est charmant ! c’est admirable !
Quel exercice comme il faut !
Est-il rien de plus agréable !
Nous voulons tous boxer bientôt !

TCHIKULI, à Farinard.

L’as-tu reçu ?...

Se retournant.

L’a-t-il reçu ?

FARINARD, lui lançant un coup de pied.

Et toi aussi !

Il se sauve. Reprise du Chœur.

 

 

Scène XI

 

LES MÊMES, moins LE BOULANGER et LE PÂTISSIER

 

FLEUR-DE-THÉ, enthousiasmée.

Oh ! il est splendide ! splendide !

Lui envoyant des baisers dans la coulisse.

Tiens ! tiens ! tiens !

TCHIKULI, à sa femme.

Ah ! mais, madame, je vous prie de museler vos emportements !

FLEUR-DE-THÉ.

J’ai le droit d’envoyer des baisers à la civilisation ! et j’en enverrai !... Tiens ! tiens !

TOUTES LES FEMMES.

Oui ! oui ! oui !

TOUS LES HOMMES.

Non ! non ! non !

Ils se rapprochent et se menacent.

TCHIKULI.

Prenez-garde, Fleur-de-Thé !... ne me forcez pas à vous appliquer l’article premier du code bambou !

FLEUR-DE-THÉ.

Je ne te crains plus !

Se mettant en garde.

Mange-t-on ou ne mange-t-on pas ?

Les Chinois et les Chinoises se mettent aussi en position de combat.

TCHIKULI.

Comment !... vous voulez !... et mon peuple aussi !

Se mettant en position devant Fleur-de-Thé.

Allons-y, la boucherie est libre !

CHŒUR.

Air.

Ici qu’on s’extermine,
Tapons,
Flanquons-nous des horions,
Civilisons
La Chine
Flanquons-nous des horions !

Une boxe française s’engage sur tous les points. À la fin de la lutte, Tchikuli et chaque Chinois ont un œil tout noir. Mêlée générale.

 

 

Entr’acte dans la salle

 

UNE ANGLAISE, CITROUILLARD

 

Au moment où on baisse le rideau de manœuvre, on entend des aboiements dans une loge de balcon.

L’ANGLAISE, qui est dans la loge.

Voulez-vous vô taire ! polissonne, et pas feser de tapage.

Aboiements nouveaux.

Ne craignez rien, madame, il était très doux... il a aboyé parce que il a éprouvé le l’agrément... Cette dame qui venait de boxer ça l’avait émoustillé... mais soyez tranquille, il ne mord pas... Oh ! petite polissonne, voulez-vous vô taire encore ?... taisez-vô !...

Elle lorgne dans la salle.

CITROUILLARD, paraissant à la galerie.

Pardon... vous n’auriez pas une petite place... Non ?... – Eh bien ne vous dérangez pas... Bien obligé... Merci...

Il disparaît.

L’ANGLAISE.

Pardon, monsieur... est-ce que les Chinois que je avé vus c’étaient de vrais Chinois... croyez-vous ?... Le monsieur qui avé un gros nez... M. Jacinthe... il n’était pas Chinois véritablement ?...

CITROUILLARD, entrant dans la loge, à l’Anglaise.

Pardon madame, vous n’auriez pas une petite place ?...

S’asseyant.

Là... on n’est pas ma !... c’est étroit... c’est mal rembourré... mais on n’est pas mal ! Je ne vous gêne pas, madame ?

L’ANGLAISE.

Mais pardon, monsieur, cette place il était louée pour mon chien... Prenez-garde, vous allez écraser mon chien.

CITROUILLARD.

Ça ne fait rien, madame... Je lui ferai des excuses... C’est une rude femme !... Je lui fais le genoux... elle ne me dit pas de finir... Je peux continuer.

L’ANGLAISE.

Ah ! mais, vous chatouillez moả !

CITROUILLARD, à part.

Je le sais bien !

Haut.

C’est sans le vouloir !... Madame, désire-t-elle l’Entr’acte ?

L’ANGLAISE.

Merci, monsieur... je avé le Figaro-programme.

CITROVILLARD.

Ça se ressemble, mais ça n’est pas du tout la même chose... il y en a un qui est bien mieux imprimé que l’autre.

L’ANGLAISE.

Vraiment !... et lequel donc ?

CITROUILLARD.

Non... je ne veux pas me faire d’ennemis... Madame est étrangère ?

L’ANGLAISE.

Non, monsieur, je été veuve ? Mais je avais une petite cousin pour la compagnie de moi.

CITROUILLARD.

Ah ! ah !... Elle a un cousin... je peux lui faire le genou...

L’ANGLAISE.

Oh ! mais, vous écrasez le pied à moâ !

CITROUILLARD.

Je voulais voir si l’ouvreuse vous avait donné un petit banc.

L’ANGLAISE.

Petit jeune homme... vô allez pas rester là tote la soirée ?

CITROUILLARD.

Pourquoi pas ?... Est-ce que vous croyez que j’ai envie de vendre ma contremarque ?... vous me dites ça parce que je suis un jeune homme pauvre.

L’ANGLAISE.

Alors... je sortais moi-même !

CITROUILLARD.

Vous vous en allez ?

L’ANGLAISE.

Je pôvais pas rester avec vô dans le loge.

CITROUILLARD.

Pardon, madame... je suis gentilhomme, c’est à moi de vous céder la place...

À part.

C’est une femme froide ! En avant la scène de la tour...

Haut.

Eh bien ! je ne peux pas sortir... l’ouvreuse a fermé la porte.

L’ANGLAISE.

God ! god... je étais perdioue... ce était infâme... L’ouvreuse il avait fermé le porte, parce que vous l’avez entortillée !

CITROUILLARD.

Moi !... et avec quoi ?

L’ANGLAISE.

Marquis ?... avant vô, y a-t-il eu beaucoup de chenapans dans le famille à vô ?

CITROUILLARD.

Ah ! mais ! pas de cancans sur mes ancêtres !

L’ANGLAISE.

Vô vô êtes dite : Cette jeune miss, il avait 1 300 livres de rente... allons no asseoir près d’elle... elle sera compromise, et il faudra bien qu’elle épouse moâ... polissonne !

CITROUILLARD.

Hein ! dites donc, l’insulaire...

L’ANGLAISE.

Petite garnement !... pschif !

CITROUILLARD.

Ah ! c’est comme ça !... pschif !... Vous voyez bien cet abime de quinze cents pieds...

L’ANGLAISE.

Qu’allez-vô faire ?

CITROUILLARD.

Me casser les reins pour sauver votre honneur. Adieu, madame !

Il enjambe.

L’ANGLAISE.

Arrêtez, petite jeune homme !

CITROUILLARD.

J’en reviendrai peut-être... comme monsieur Lafontaine !

L’ANGLAISE.

Ah ! je m’y oppose !...

CITROUILLARD.

Eh bien ! soit... je ne ferai pas la culbute... mais comme il est impossible que nous passions la soirée ensemble... c’est vous qui allez la faire, la culbute...

L’ANGLAISE.

Moi !... oh ! shoking !...

CITROUILLARD.

Elle n’a pas pantalon... Allons, sautez de bonne volonté ou je vous y flanque...

L’ANGLAISE.

Non !...

CITROUILLARD.

Si !...

L’ANGLAISE.

Non !... Ah ! vô étiez beau !... vô étiez grand !... vô étiez noble !... Je éposais vô !

CITROUILLARD.

Ah ! mais, non !... ça ne me va pas !... Mes intentions sont pures... mais...

L’ANGLAISE.

Que volez-vô ?...

CITROUILLARD.

Je veux souper avec vô.

L’ANGLAISE.

Oh ! shoking !

CITROUILLARD.

Alors, sautons ensemble.

L’ANGLAISE, criant.

Je sôperai ! je sôperai !... par humanité... et puis, j’ai faim !... Allons !...

CITROUILLARD.

À une condition... Je n’entends pas que vous me régaliez... mais vous me prêterez quarante francs pour payer le souper.

L’ANGLAISE.

Oh ! vô étiez un petit marquis de la fourchette... C’est égal, vô étiez grand... vô étiez beau !...

Aboiement.

Vôlez-vô vô taire tôt de souite !

Elle sort.

CITROUILLARD, au public.

Je voudrais vous inviter... mais, je ne vous invite pas !

Il sort.

 

 

Deuxième Tableau

 

Le Mabille chinois.

 

 

Scène première

 

TCHIKULI, FLEUR-DE-THÉ, CHINOIS, ils dansent, ŒDIPE ROI

 

ŒDIPE, interrompant le quadrille, il a le costume grec et la tête de Patachon des Deux Aveugles, il porte un trombone.

Pauvre aveugle ! messieurs.

TCHIKULI.

Un quinze-vingt !

ŒDIPE, à Tchikuli.

Cour bon.

Rien qu’un petit sou pour Œdipe Patachon...

TOUS, étonnés.

Patachon !

ŒDIPE.

Pardonnez... mais je confonds sans cesse

Sophocle avec Moineaux... Paris avec la Grèce.

TCHIKULI.

Voyons, parlons d’Œdipe et non de Patachon ;

Causons de vos malheurs et de votre pochon.

ŒDIPE.

Il me vint en rossant Laïus... un homme d’âge,

Un soir qu’il prétendait me barrer le passage.

Ô passage funeste... Ô passage de deuil !

Ô passage maudit !... Ô passage Choiseuil !

Il souffle dans son trombone.

Ce n’est pas tout... Le ciel, dans un jour de colère,

Le ciel a fait de moi le mari de ma mère...

TOUS.

Ah !

TCHIKULI, aux Chinoises qui s’approchent.

Ça devient léger, n’écoutez plus ceci

À Œdipe.

Continuez...

ŒDIPE.

Aussi, quel embrouillamini ?

Mes filles sont mes sœurs, mon garçon est son frère ;

Ma tante est ma cousine, et moi, je suis mon père.

TOUS.

C’est affreux !

TCHIKULI.

Monstrueux !

FLEUR-DE-THÉ.

Scandaleux.

ŒDIPE.

Odieux !

Et comme j’ai bien fait de me crever les yeux,

Je ne verrai plus rien... ni ma triste famille,

Ni le soleil qui luit, ni la lune qui brille...

Chantant très gaiement.

La lune brille
Le ciel scintille.

Il souffle dans son trombone.

TCHIKULI, l’interrompant.

Et Jocaste ?

ŒDIPE, très tragiquement.

Jocaste !... une implacable mort,

Vient de me la ravir... je veux la voir encor...

Chantant très gaiement.

À ta fenêtre
Daigne paraître.

Il souffle dans son trombone très tragiquement.

Malheureux, que fais-tu ? Songes à ta victime ;

Écoute les Thébains te reprochant ton crime.

M’entends-tu pas ?...

Très gaiement.

Les boleras,
Les fandangas...

Très tragiquement.

Oui, je cours de ce pas, pour cacher mes forfaits,

M’ensevelir vivant au fin fond des forêts...

Viens... viens...

Très gaiement.

Viens, il fait beau... beau... beau...
Suis ton Pedro... dro... dro... dro...

TCHIKULI, l’interrompant.

Pardon... Dans les forêts si l’on vous abandonne,

Comment y vivrez-vous ?

ŒDIPE.

En jouant du trombone.

Si quelque Thébain passe, en lui tendant la main,

Je le régalerai de mon joyeux refrain.

Très gaiement.

Digue, don, digue, don...

TCHIKULI.

Ah ! très bien !

Ensemble général.

TCHIKULI, ŒDIPE et TOUS.

Digue, don, digue, don,
Ah ! ah ! ah !
La lune brille,
Et cætera.

Œdipe sort en dansant.

 

 

Scène II

 

LES MÊMES, moins ŒDIPE, à la sortie, forté dramatique à l’orchestre, SUZANNE, des Fugitifs, paraît à la coulisse opposée

 

SUZANNE.

Ils ont perdu ma trace... oui... ils ne me voient pas !

Elle entre en scène à reculons et en regardant toujours dans la coulisse de gauche.

TCHIKULI, entrant à reculons aussi, même jeu dans la coulisse de droite.

Il est très gai, ce quinze-vingt... très gai...

Ils se heurtent au milieu du théâtre. Tous deux poussent un cri terrible et vont se réfugier aux deux avant-scènes.

SUZANNE.

Ah ! les étrangleurs ! les étrangleurs !

TCHIKULI.

Qu’est-ce qu’elle a, celle-là ? qu’est-ce qu’elle a, celle-là ?

SUZANNE.

Ah ! monsieur, protégez-moi... les Indiens nous pour suivent et nous errons en fugitifs...

TCHIKULI.

Ah ! les fugitifs !

SUZANNE.

Et je suis seule, monsieur... Mon mari, couic, mon gendre, couic !... Couiqués ! monsieur, couiqués !

TCHIKULI.

C’est de la déveine !

SUZANNE.

Ils nous poursuivent.

TCHIKULI.

Mais qui ça ?

SUZANNE.

Les étrangleurs de l’Inde... ils sont venus en Chine... le pays en est plein !...

TCHIKULI.

Ah bon ! ah bien ! ça nous manquait les étrangleurs ; mais maintenant nous avons l’article... Ah ! ça va-t-être propre !

SUZANNE, avec un cri.

Ah !... Paul... où est mon petit Paul ?...

TCHIKULI.

Qui ça, Paul ?

SUZANNE.

Mon fils ! un enfant de quatre ans ! si beau ! si intelligent !

TCHIKULI, souriant.

On l’aura étranglé.

SUZANNE.

Ah ! mon petit Paul, mon enfant !

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, LE PETIT PAUL, grand et gros gaillard en costume d’enfant

 

LE PETIT PAUL, entrant.

Me voilà, petite mère, me voilà.

SUZANNE, le contemplant avec bonheur.

Ah ! c’est lui !

TCHIKULI, étonné.

C’est ça le petit Paul ?

SUZANNE.

Il a quatre ans, monsieur.

TCHIKULI.

On ne les lui donnerait pas.

LE PETIT PAUL.

Je suis intelligent, moi, allez.

SUZANNE.

Raconte à monsieur l’histoire du caniche.

LE PETIT PAUL, d’un air abruti.

Y avait dans les hautes herbes un serpent qui voulait manger mon caniche... J’y ai fait son affaire au serpent.

SUZANNE, à Tchikuli.

C’est joli à cet âge-là...

TCHIKULI.

Très joli... parce que les serpents, c’est venimeux ces bêtes-là !

LE PETIT PAUL.

Mais v’là que mon caniche avait eu peur, et en se sauvant, il s’était jeté dans le fleuve... alors j’ai tiré ma coupe, je l’ai empoigné, je l’ai ramené.

Avec sentiment.

V’là l’histoire du caniche.

SUZANNE, le rouvrant de baisers.

Cher enfant !... cher amour !

Musique.

L’ÉTRANGLEUR, dans la coulisse.

Ous qu’ils sont, ous qu’ils sont ?

SUZANNE, avec un cri.

Ah !

TCHIKULI.

Quoi donc ?

SUZANNE.

Voyez... là-bas dans les jungles ?

TCHIKULI.

Un jongleur !

SUZANNE.

Non... l’étrangleur de L’Inde. Viens, mon petit Paul.

Elle se baisse et lui entoure les jambes de ses bras comme pour l’enlever.

Ah ! je ne peux pas ! je ne peux pas ! C’est lui ! Nous sommes perdus !

L’ÉTRANGLEUR, se précipitant en scène.

Ah ! la voilà... on va rigoler.

SUZANNE, se jetant à ses genoux.

Grâce !

LE PETIT PAUL, même jeu.

Grâce !

TCHIKULI.

Grâce !

L’ÉTRANGLEUR.

Pincés, mes amours.

SUZANNE.

Ah ! mon enfant.

TCHIKULI, à l’Étrangleur.

Voyons, monsieur l’Étrangleur, comment avez-vous pu embrasser cette profession-là ?

L’ÉTRANGLEUR.

J’ai été refusé à mon baccalauréat.

TCHIKULI.

Ça n’est pas une raison.

L’ÉTRANGLEUR.

Il me faut le petit Paul.

SUZANNE.

Ah !

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, JEAN LEBLANC

 

JEAN LEBLANC, paraissant.

Ah ! ça, qu’est-ce que c’est ?... Mais taisez-vous donc ! Mais taisez-vous donc ! Il n’est pas permis de faire un ta page comme vous en faites un !...

Il rit.

C’est vrai, ça !

SUZANNE et PAUL.

Sauvés, mon Dieu ! sauvés !

L’ÉTRANGLEUR.

Qu’est-ce que c’est que celui-là ?

JEAN LEBLANC.

Ne faites pas le malin ! ne faites pas le malin ! Que par la force des reins, je me fais fort de vous porter, vous et madame votre épouse, l’un portant l’autre, jusqu’à Mémorenci ?... Ne faites pas le malin ! ne faites pas le malin.

SUZANNE.

Oh ! merci ! merci !

JEAN LEBLANC, à Suzanne.

Madame, que j’ons vu à la foire des femmes que l’on montrait pour de l’argent... et qui certainement ne vous valaient point.

Air : des Carrières.

Je devrais comm’ paysan
Rêver un’ paysanne.

TOUS.

Il devrait comme paysan
Rêver un’ paysanne.

JEAN LEBLANC.

Mais je sens en vous voyant,
Je sens mon cœur faire hi-hant !
Acceptez mes feux,
Je suis amoureux,
Amoureux comme un âne.

TOUS.

Mais il sent en la voyant,
Il sent son cour faire hi-hant !
Quels tendres aveux,
Il est amoureux,
Amoureux comme un âne.

L’ÉTRANGLEUR.

Je vais l’étrangler aux petits oignons !

SUZANNE.

Ah !

JEAN LEBLANC.

Oh ! mais, ne fais pas le malin ! ne fais pas le malin !... Oh ! Seigneur, je... mon Dieu ! je... que si j’avais seulement ma bague de Tolède, j’ te passerais, à travers le corps, le poumon de mon épée !... Ne fais pas le malin ! ne fais pas le malin !

Il emporte dans les coulisses l’étrangleur qui se débat.

TOUS.

Admirez tous Jean Leblanc,
C’est un fameux bon enfant,
Pour braver les coups,
Il est, voyez-vous,
Entêté comme un âne.

Tous sortent.

 

 

Scène V

 

FANFAN LA TULIPE, puis MARGUERITE, QUATRE GARDES FRANÇAISES entrent en scène, entraînant un âne sur lequel est Fanfan la Tulipe

 

CHŒUR.

Air : En avant, Fanfan la Tulipe.

En avant,
Fanfan
La Tulipe,
Mill’ millions d’un’ pipe
En avant !

FANFAN.

Je suis d’ l’Ambigu,
L’enfant très connu !
Mes amis
Les titis
M’applaudissent !
Je veux, en ce jour,
Je veux qu’à leur tour
Les Chinois,
À la fois,
Me chérissent !

FANFAN, parlé.

Arrête, mon brave Zémire, mon bon cheval de guerre !

Reprise.

En avant, etc.

Il embrasse l’âne en pleurant. Jeu de scène imité de M. Mélingue. Musique de drame. Entre Marguerite, de Faust, en Alsacienne, avec des cheveux blonds.

Pot-pourri.

MARGUERITE.

Air : De la Folle.

Faust... ou donc est-il ?...
J’étais en Allemagne
Un’ pauvre enfant !
Je devins la compagne
D’un sacripant !
À la barrièr’ du Maine
Il m’entraîna ;
Au bout d’une semaine
Il me lâcha !

Hi !...

Elle pleure et s’essuie les yeux avec le coin de son tablier.

FANFAN.

Air.

V’là c’ que c’est que d’êtr’ folichonnette !
Les homm’s n’ont pas d’égards
Ils s’ conduisent avec un conquête
Comme de vrais savoyards !

MARGUERITE.

Si j’avais su ça,
J’aurais dit : oui-dà !...

ENSEMBLE.

Ah ! ah ! (bis.)

MARGUERITE.

J’aurais dit : oui-dà !
Puisque c’est comme ça,
Mon p’tit bibi, halte-là !

MARGUERITE.

Air.

Mais, il disait : Marguerite, je t’aime !

FANFAN.

Tra la la,
On dit toujours ça !

MARGUERITE.

À ce gueux-là, j’ai répondu de même :
Tiens voilà mon cœur !
Ah !
Tiens, voilà mon cœur !

FANFAN.

Air : Loïsa Puget.

Pristi ! qu’elle est belle !
Elle me rappelle
Ma Pompadour
Premier amour !
Ah ! faisons-lui de la prunelle !

MARGUERITE.

Pauvre Marguerite !
J’ai couru si vite
Depuis c’ matin,
Par maint
Chemin,
Que, ma foi, j’meurs de faim !

FANFAN, tirant de sa poche deux pommes et deux eustaches.

Ah ! Marguerite ! acceptez cett’ pomm’ de reinette !

MARGUERITE, avec pudeur.

Croquer des pommes, ça n’est pas l’ fait d’un’ jeun’ fille honnête !

FANFAN, avec prière.

Bah ! croquons
Sans façons !
Si notr’ première
Mère
N’avait pas croqué d’ ça
Nous ne serions pas là !

MARGUERITE et FANFAN.

Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !...

ENSEMBLE.

Déjeunons
Sans façons
Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !...
Sans façons
Déjeunons !

MARGUERITE.

Air : de Mangeant.

Que faire maintenant ?
Conseillez-moi, Fanfan.
Je suis un’ fill’ perdue
Car ma faute est connue !

Sons de trompette et de tambour.

FANFAN.

Air : de Mangeant.

C’est le tambour... il dit, ma chère :
Faut oublier ton chenapan
Rataplan !

MARGUERITE.

Rapataplan !

FANFAN.

Bien vite, fais-toi cantinière
Dans le régiment de Fanfan.

MARGUERITE.

Rapataplan ! Ah ! comm’ ça m’ va ?
Comm’ ça m’ va ! comm’ ça m’ va !
Ah ! ah ! ah ! ah !

Faisant le geste de battre la caisse.

Ran plan plan ?
Plan plan plan plan !
Tambour battant !
Je suis cantinière, (bis)
Cantinière du régiment !
Rapataplan !
En avant !

Ensemble (reprise).

MARGUERITE.

Près de Fanfan, la Marguerite
Oubliera Faust assez gaiement,
Rapataplan !

FANFAN.

Quand un premier amant vous quitte,
Faut en prendre un s’cond, carrément !

MARGUERITE.

Rapataplan.
Ah ! comm’ ça m’ va ! etc.

Pas de deux entre Marguerite et Fanfan. Ils sortent l’un à droite, l’autre à gauche. Tous les personnages de la scène rentrent en chantant le chœur suivant, et se placent sur trois rangs, faisant face au public.

CHŒUR.

Air précédent.

Rapataplan !
Plan plan plan !
Tambour battant !
Quand l’année expire,
Que notre délire
L’enterre au moins joyeusement !
Rapataplan
En avant !

FANFAN.

Messieurs, notre pièce est finie,
Accueillez-la par un roul’ment !

TOUS.

Rapataplan !

FANFAN.

Mesdam’s songez que la folie
Est le drapeau d’ not’ régiment !

TOUS.

Rapataplan !

MARGUERITE.

Si chacun nous fêtait
Et nous applaudissait,
Ah ! comm’ ça nous irait : (bis)
Rapataplan !
Plan plan plan !
Tambour battant,
Que l’on applaudisse !
Et que tout finisse,
Finisse militairement !
Rapataplan !
En avant !

TOUS.

Rapataplan !
Plan plan plan !
Tambour battant,
Que l’on applaudisse !
Et que tout finisse,
Finisse militairement !
Rapataplan !
En avant !

Tous les personnages reculent, en chantant l’ensemble et en marquant le pas.

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